Matières à Réflexions

30 août 2021

Compliance : sur le vif

   Un article du 3 mars 2021, Smile for the camera: the dark side of China's emotion-recognition tech, puis un article du 16 juin 2021, "Every smile you fake" - an AI emotion - recognition system can assess how "happy" China's workers are in the office décrit la façon dont une nouvelle technologie de reconnaissance émotionnelle est apte, à travers ce qui sera bientôt démodé d'appeler la "reconnaissance faciale", de distinguer un sourire qui traduit un état de satisfaction effective d'un sourire qui n'y correspond pas. Cela permet à l'employeur de mesurer l'adéquation de l'être humain à son travail.  Il est promis qu'il en sera fait usage d'une façon éthique, pour améliorer le bien-être au travail. Mais n'est-ce pas en soi que cette technologie est incompatible avec toute compensation par un accompagnement éthique ? 

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La technologie élaborée par une entreprise technologique chinoise et acquise par d'autres entreprises chinoises ayant beaucoup d'employés, permet d'avoir de l'information sur l'état d'esprit effectif de la personne à travers et au-delà de ses mimiques faciales et de son comportement corporel.

La technologie de reconnaissance émotionnelle avait été mise au point pour assurer la sécurité, en luttant contre des personnes au projet hostile, les Autorités publiques l'utilisant par exemple dans les contrôles dans les aéroports pour détecter les desseins criminels que pourraient avoir certains passagers.

Il est affirmé ainsi que non pas qu'il s'agit de lutter contre quelques personnes malfaisantes ("dangerosité") pour protéger le groupe avant que l'acte ne soit commis ("défense sociale) mais qu'il s'agit d'aider l'ensemble des travailleurs. 

En effet non seulement l'usage qui en sera fait sera éthique, car en premier lieu les personnes qui travaillent pour ces entreprises chinoises à l'activité mondiale, comme Huawaï, le font librement et ont accepté le fonctionnement de ces outils d'intelligence artificielle (ce qui n'est pas le cas des personnes qui voyagent (le contrôle étant alors un sorte de mal nécessaire qu'ils n'ont pas à accepter, qui leur est imposé pour la sauvegarde du groupe), mais encore et surtout que la finalité est elle-même éthique : s'il s'avère que la personne ne se sent pas bien au travail, qu'elle n'y est pas heureuse, avant même qu'elle ait peut-être conscience, l'entreprise pourra lui venir en aide.

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Prenons ce cas pratique du côté du Droit et imaginons que cela soit contesté devant un juge appliquant les principes du Droit occidental.

Est-ce que cela serait admissible ?

Non, et pour trois raisons.

1. Un "usage éthique" ne peut pas justifier un procédé en soi non-éthique

2. Les premières libertés sont négatives

3. Le "consentement" ne doit pas le seul principe régissant l'espace technologique et numérique

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I. UN "USAGE ETHIQUE" NE PEUT JAMAIS LEGITIMER UN PROCEDE EN SOI NON-ETHIQUE

es procédés en eux-mêmes non-éthiques ne peuvent pas être rendus "admissibles" par un "usage éthique" qui en sera fait.

Ce principe a été rappelé notamment par Sylviane Agacinski en matière bioéthique : si l'on ne peut pas disposer de la personne d'autrui à travers une disposition de son corps qui rend sa personne même disponible (v. not. Agacinski, S., ➡️📗 Le tiers-corps. Réflexions sur le don d'organes, 2018). 

Sauf à rendre la personne réduite à la chose qu'est son corps, ce qui n'est pas éthiquement admissible en soi, cela est exclu, et le Droit est là pour que cela ne soit pas possible. 

C'est même pour cela que la notion juridique de "personne", qui n'est pas une notion qui va de soi, qui est une notion construite par la pensée occidentale, fait rempart pour que les êtres humains ne puissent pas être entièrement disponibles aux autres, par exemple par la mise sur le marché de leur corps (v. Frison-Roche, M.-A., ➡️📝Pour protéger les êtres humains, l'impératif éthique de la notion juridique de personne, 2018). C'est pourquoi par exemple, comme le souligne Sylviane Agacinski il n'y a pas d'esclavage éthique (un esclave qu'on ne peut pas battre, qu'il faut bien nourrir, etc.).

Que l'être humain y consente ("et s'il me plait à moi d'être battue ?") n'y change rien.

 

II. LA PREMIERE LIBERTE EST CELLE DE DIRE NON, PAR EXEMPLE EN REFUSANT DE REVELER SES EMOTIONS : PAR EXEMPLE CACHER SI L'ON EST HEUREUX OU PAS DE TRAVAILLER

La première liberté n'est pas positive (être libre de dire Oui) ; elle est négative (être libre de dire Non). Par exemple la liberté du mariage, c'est avant d'avoir la liberté de se marier, avoir la liberté de ne se marier : si l'on ne dispose pas de la liberté de ne pas se marier, alors la liberté de se marier pert toute valeur. De la même façon, la liberté de contracter suppose la liberté de ne pas contracter, etc.

Ainsi la liberté dans l'entreprise peut prendre la forme de la liberté d'expression, qui permet aux personnes, selon des procédures fixées par le Droit, d'exprimer leur émotions, par exemple leur colère ou leur désapprobation, à travers la grève.

Mais cette liberté d'expression, qui est une liberté positive, n'a de valeur qu'à condition que le travailleur est la liberté fondamentale de ne pas exprimer ses émotions. Par exemple s'il n'est pas heureux de son travail, car il n'apprécie pas ce qu'il fait, ou qu'il n'aime pas l'endroit où il ne fait, ou il n'aime pas les personnes avec lesquels il travaille, son liberté d'expression exige qu'il ait le droit de ne pas l'exprimer. 

Si l'employeur dispose d'un outil qui lui permet d'obtenir l'information quant à ce que le travailleur aime ou n'aime pas, alors celui-ci perd cette liberté première.

Dans l'ordre juridique occidental, l'on doit pouvoir considérer que c'est au niveau constitutionnel que l'atteinte est réalisée à travers le Droit des personnes (sur l'intimité entre le Droit des personnes et le Droit constitutionnel, v. Marais, A.,➡️📕  Le Droit des personnes2021).  

 

III. LE CONSENTEMENT NE DOIT PAS ETRE LE SEUL PRINCIPE REGISSANT L'ESPACE TECHNOLOGIQUE ET NUMERIQUE 


L'on pourrait considérer que le cas de l'entreprise est différent du cas des contrôles opérés par l'Etat pour la surveillance des aéroports, car dans le premier cas les personnes observées ont consenti.

Le "consentement" est aujourd'hui la notion centrale, souvent présentée comme  l'avenir de ce que chacun souhaite : la "régulation" de la technologie, notamment lorsqu'elle prend la forme des algorithmes ("intelligence artificielle"), notamment dans l'espace numérique. 

Le "consentement" permettrait un "usage éthique" et pourrait mettre fonder l'ensemble (sur ces problématiques, v. Frison-Roche, M.-A., ➡️📝Se tenir bien dans l'espace numérique, 2019).

Le "consentement" est une notion sur laquelle le Droit prend aujourd'hui des distances en Droit des personnes, notamment quant au "consentement" donné par les adolescents sur la disponibilité de leur corps, mais pas encore sur le numérique. 

Sans doute parce qu'en Droit des obligations, le "consentement" est quasiment synonyme de "libre volonté", alors qu'il faut les distinguer (v. Frison-Roche, M.-A., ➡️📝La distinction entre la volonté et le consentement, 1995). 

Mais l'on voit à travers ce cas, qui précisément déroule en Chine, le "consentement" est en Droit comme ailleurs un signe de soumission. Ce n'est que d'une façon probatoire qu'il peut constituer une preuve d'une libre volonté ; cette preuve ne doit se transformer en présomption irréfragable.

Les Autorités de Régulation des données (par exemple en France la CNIL) cherchent à reconstituer ce lien probatoire entre "consentement" et "liberté de dire Non" pour que la technologie ne permette pas par des "consentements mécaniques", coupés de tout rapport avec le principe de liberté qui protège les êtres humains, de déposséder ceux-ci (v. Frison-Roche, M.-A., Oui au principe de la volonté, manifestation de la liberté, Non aux consentements mécaniques , 2018). 

 

Plus la notion de consentement ne sera plus que périphérique et plus les êtres humains pourront être actifs et protégés.

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25 août 2021

Publications

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 Référence complète : M.-A. Frison-Roche, Les Buts Monumentaux, cœur battant du Droit de la Compliance, document de travail, août 2021

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📝Ce document de travail constitue la base de l'article, "Les buts monumentaux, cœur battant du droit de la compliance", qui constitue l'introduction 

📕dans sa version française, de l'ouvrage Les buts monumentaux de la Compliancedans la collection 📚Régulations & Compliance

 📘dans sa version anglaise, de l'ouvrage Compliance Monumental Goals, dans la collection 📚Compliance & Regulation

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► Résumé du document de travail : L'on peut définir cette branche du droit comme l'ensemble des procédés obligeant les entreprises à donner à voir qu'elles respectent l'ensemble des réglementations qui s'appliquent à elles. L'on peut aussi définir cette branche par un cœur normatif : les "buts monumentaux". Ceux-ci permettent de rendre compte du droit positif nouveau, rendu ainsi plus clair, accessible et anticipable. Ils reposent sur un pari, celui du souci de l'autre que les êtres humains peuvent avoir en commun, forme d'universalité. 

Par les Buts Monumentaux, apparaît une définition du Droit de la Compliance qui est nouvelle, originale et spécifique.  Ce terme nouveau de "Compliance" désigne en effet une ambition nouvelle : que ne se renouvelle pas à l'avenir une catastrophe systémique. Ce But Monumental a été dessiné par l'Histoire, ce qui lui donne une dimension différente aux États-Unis et en Europe. Mais le cœur est commun en Occident, car il s'agit toujours de détecter et de prévenir ce qui pourrait produire une catastrophe systémique future, ce qui relève de "buts monumentaux négatifs", voire d'agir pour que l'avenir soit différent positivement ("buts monumentaux positifs"), l'ensemble s'articulant dans la notion de "souci d'autrui", les Buts Monumentaux unifiant ainsi le Droit de la Compliance. 

En cela, ils révèlent et renforcent la nature toujours systémique du Droit de la compliance, comme gestion des risques systémiques et prolongement du Droit de la Régulation, en dehors de tout secteur, ce qui rend disponibles des solutions pour les espaces non-sectoriels, notamment l'espace numérique. Parce que vouloir empêcher le futur (faire qu'un mal n'advienne pas ; faire qu'un bien advienne) est par nature politique. Le Droit de la Compliance concrétise par nature des ambitions de nature politique, notamment dans ses buts monumentaux positifs, notamment l'égalité effectif entre les êtres humains, y compris les êtres humains géographiquement lointains ou futurs. 

Les conséquences pratiques de cette définition du Droit de la Compliance par les Buts Monumentaux sont immenses. A contrario, cela permet d'éviter les excès d'un "droit de la conformité" visant à l'effectivité de toutes les réglementations applicables, perspective très dangereuse. Cela permet de sélectionner les outils efficaces au regard de ces buts, de saisir l'esprit de la matière sans être enfermé dans son flot de lettres. Cela conduit à ne pas dissocier la puissance requise des entreprises et la supervision permanente que les autorités publiques doivent exercer sur celles-ci. 

L'on peut donc attendre beaucoup d'une telle définition du Droit de la Compliance par ses Buts Monumentaux. Elle engendre une alliance entre le Politique, légitime à édicter les Buts Monumentaux, et les opérateurs cruciaux, en position de les concrétiser et désignés parce qu'aptes à le faire. Elle permet de dégager des solutions juridiques globales pour des difficultés systémiques globales a priori insurmontables, notamment en matière climatique et pour la protection effective des personnes dans le monde désormais numérique où nous vivons. Elle exprime des valeurs pouvant réunir les êtres humains.

En cela, le Droit de la Compliance construit sur les Buts Monumentaux constitue aussi un pari. Même si l'exigence de "conformité" s'articule avec cette conception d'avance de ce qu'est le Droit de la Compliance, celui-ci repose sur l'aptitude humaine à être libre, alors que la conformité suppose davantage l'aptitude humaine à obéir. 

C'est pourquoi le Droit de la Compliance, défini par les Buts Monumentaux, est essentiel pour notre avenir, alors que le droit de la conformité ne l'est pas.

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Lire les développements ci-dessous ⤵️

16 août 2021

Publications

 Référence complète : Frison-Roche, M.-AConforter le juge et l'avocat pour imposer le Droit de la Compliance comme caractéristique de l'État de Droit, document de travail, aout 2021.

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🎤 ce document de travail a été élaboré pour préparer quelques éléments de l'intervention d'ouverture dans le colloque Quels juges pour la Compliance?, coorganisé par le Journal of Regulation & Compliance et l'Institut Droit Dauphine, se tenant à l'Université Paris-Dauphine le 23 septembre 2021.

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📝il a été aussi la base d'un article :

📕 publié dans sa version française dans l'ouvrage La juridictionnalisation de la Compliancedans la collection 📚Régulations & Compliance

 📘dans sa version anglaise dans l'ouvrage Compliance Jurisdictionalisation, dans la collection 📚Compliance & Regulation

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 Résumé du document de travail : L’on peut comprendre que les mécanismes de compliance sont présentés avec hostilité parce qu’ils paraissent conçus pour éloigner le juge, alors qu’il n’y a pas d’Etat de Droit sans Juge. Des arguments solides présentent les techniques de compliance comme convergeant vers l’inutilité du juge (I). Certes, on croise des magistrats, et de toutes sortes, et de très puissants, mais cela serait signe d’imperfection : lorsque sa logique ex ante se sera déployée dans toute son efficacité, le juge ne serait plus requis… Et l’avocat disparaîtrait donc avec lui…  

Cette perspective d’un monde sans juge, sans avocat et finalement sans Droit, où des algorithmes pourraient organiser par de multiples process en Ex Ante la « conformité » de tous nos comportements à toute la masse réglementaire qui nous est applicable, suppose que l’on définisse cette nouvelle branche du Droit comme la concentration des process qui donne pleine efficacité à toutes les règles, sans considération de leur teneur. A supposer que ce rêve d’ingénieur soit même réalisable, l’on ne peut faire ainsi l’économie des juges et des avocats.

C'est pourquoi il est impérieux de reconnaître leurs apports au Droit de la Compliance, apports liés inestimables (II).

Tout d’abord parce qu’un pur Ex Ante n’a jamais existé et que même au temps des Légistes📎!footnote-2689, il fallait encore des personnes pour interpréter les règlements car un ordre juridique doit toujours être interprété en Ex Post par celui qui doit de toutes les façons répondre aux questions que le posent les sujets de droit, dès l’instant que le système politique admet d’attribuer à ceux-ci le droit de former des prétentions devant un juge. Ensuite l’Avocat, dont l’office bien qu’articulé à celui du Juge, est distinct de celui-ci, à la fois plus restreint et plus large, puisqu’il doit apparaître dans tous les cas où la figure juridictionnelle se met en place. Or, le Droit de la Compliance a multiplié celle-ci puisque non seulement, prolongeant en cela le Droit de la Régulation, il confie de nombreux pouvoirs aux Autorités administratives, mais encore il transforme les entreprises en juge, ce à l’égard de quoi l’Avocat doit faire face.

Plus encore le Droit de la Compliance ne prend son sens qu’à partir des Buts Monumentaux qu’il sert📎!footnote-2690. C’est en cela que cette branche du Droit préserve la liberté des êtres humains, notamment dans l’espace numérique où les techniques de compliance les protègent de la puissance des entreprises par l’usage que le Droit contraint ces entreprises de faire de cette puissance même. Or en premier lieu ce sont les Juges qui, dans leur diversité📎!footnote-2691, impose comme référence la protection des êtres humains, soit comme limite à la puissance des outils de compliance📎!footnote-2692 soit comme finalité même de ceux-ci. En second lieu, l’Avocat, là encore se distinguant du Juge, au besoin vient rappeler que toutes les parties dont les intérêts sont impliqués doivent être prises en considération. Dans un Droit toujours plus souple et dialogal, chacun se présente comme « l’avocat » de tel ou tel but monumental : l’Avocat est légitime à être le premier à occuper cette place.

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🔓Lire les développements ci-dessous ⤵️

1

 L’empire chinois n’a semble-t-il jamais apprécié les juges, ne leur faisant place que sous la forme de serviteurs purs de l’Etat, qu’ils soient des enquêteurs, des punisseurs et de gardiens de l’ordre public. Sur cet aspect du Droit chinois, v. … ; sur cette période particulièrement sanglante des légistes, où le principe de « certitude » de la législation a été portée à ses nues, v. …

2

🕴️Frison-Roche, M.-A. (dir.), Les buts monumentaux de la compliance, 2022.

3

Cette présente étude est générale. Pour une étude plus analytique, v. 🕴️Frison-Roche, M.-A., « Le rôle du juge dans le Droit de la Compliance », in 🕴️Frison-Roche, M.A. (dir.), La juridictionnalisation de la compliance2023. 

4

🕴️Frison-Roche, M.-A. (dir.), 📕Les outils de la compliance, 2021. 

10 août 2021

Publications

Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Le rôle du juge dans le Droit de la Compliance,  document de travail, aout 2021.

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🎤 ce document de travail a été élaboré pour préparer quelques éléments de l'intervention d'ouverture dans le colloque Quels juges pour la Compliance? , se tenant à l'Université Paris-Dauphine le 23 septembre 2021 et pour constituer la base d'un 📝article :

📕 cet article sera publié dans sa version française dans l'ouvrage La juridictionnalisation de la Compliancedans la collection 📚Régulations & Compliance

 📘  dans sa version anglaise dans l'ouvrage Compliance Jurisdictionalisationdans  la collection 📚Compliance & Regulation

23 juillet 2021

Publications

Référence complète: Frison-Roche, M.-A., Programme de mise en conformité (Compliance), Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 12345, 2021

Lire la définition

22 juillet 2021

Publications

 Référence complète : Frison-Roche, M.-A.Définition du Principe de Proportionnalité et définition du Droit de la Compliance,  document de travail, juillet 2021.

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🎤 Ce document de travail a été élaboré pour préparer une conférence dans le colloque Compliance et proportionnalité. Du contrôle de proportionnalité à la proportionnalité du contrôle, se tenant à Toulouse le 14 octobre 2021, qui lui-même s'insère dans le cycle complet de manifestations scientifiques autour du thème Les Buts Monumentaux de la Compliance.

 Consulter les slides support de la conférence, en ce que les slides résument ce document de travail

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📝Ce document de travail constitue aussi la base d'un article. Cet article sera publié 

📕dans sa version française, dans l'ouvrage Les buts monumentaux de la Compliancedans la collection 📚    Régulations & Compliance

 📘dans sa version anglaise, dans l'ouvrage Compliance Monumental Goalsdans  la collection 📚   Compliance & Regulation

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► Résumé du document de travail : Mesurer les rapports entre le principe de proportionnalité et le Droit de la Compliance dépend entièrement de la définition que l'on retient du Droit de la Compliance.  Prenons tout d'abord la définition du Droit de la Compliance comme simple "mode d'efficacité" des règles auxquelles on tient (I). Plus on en reste à cette définition procédurale du Droit de la Compliance comme un mode d'efficacité des règles et moins on détectera de spécificités dans l'application qui y en est faite du principe de proportionnalité. On trouvera certes de très nombreux exemples d'application du principe de proportionnalité mais l'addition et la variété des exemples ne suffisent pas à sculpter un rapport original entre Proportionnalité et Compliance.

L'exercice n'est pas inutile pour autant. En effet, dans la confusion qui marque encore l'émergence du Droit de la Compliance en train de naître, la nature juridique des mécanismes de compliance demeure contestée. Or, l'imposition de la proportionnalité, en tant que non seulement elle est une obligation mais en tant qu'elle est une limitation des pouvoirs dans cette première définition qui voudrait se centrer sur l'efficacité, rappelle que la Compliance, conçue comme "process", ne serait alors  de toutes les façons supportable, à tout le moins, que comme "procédure", ancrée  dans l'État de Droit, donc autolimitée. Mais la proportionnalité est alors comme une douche froide dans la compliance, puisque c'est l'autolimitation dans un Droit qui n'aurait pourtant pour seule définition que l'efficacité. De l'inefficacité dans l'efficacité : ce n'est plus une relation, c'est alors une opposition qui s'établit entre les deux termes …

Si l'on a cette définition du Droit de la Compliance, l'on n'a pas d'autre choix que de se mettre dans cette quadrature du cercle car, dans cette définition procédurale de la Compliance comme méthode d'effectivité, d'efficacité et d'efficience des règles que l'on aime plus que d'autres, il faut pourtant bien admettre que la Compliance, puisqu'elle est branche du Droit, sauf à se dédire de sa Nature même, doit s'ancrer dans l'État de Droit.

Dans cette nouvelle branche du Droit, par le principe de proportionnalité, viennent de force  s'ancrer des solutions classiques venues des Droits constitutionnel, public ou pénal ; c'est alors ce qu'on demande au principe de proportionnalité : interdire à la Compliance de n'être qu'un process. Le Droit de la répression a une large part dans cette conception le ,principe de proportionnalité venant rappeler aux organes répressifs de Compliance la part que le Droit pénal y prend encore (avec difficulté et pour l'instant…) dans l'admission d'inefficacité que le Droit exige, notamment face aux technologies de la Compliance.

Dans cette première définition, le principe de proportionnalité vient ainsi rappeler à la Compliance, toute entière tenue dans l'idée d'efficacité qu'elle est un "Droit" de la Compliance et qu'en cela ancrée, il lui faut limiter son efficacité. C'est donc une sorte de prix que ces techniques versent, à regret…, à l'État de Droit et notamment aux libertés des êtres humains. Une tentation est forte de ne pas vouloir payer ce prix. Par exemple, en affirmant qu'il existerait un nouveau monde technologique, que le nouveau système, tout entier en algorithmes, va promouvoir dans un éloignement du Droit, rejeté vers l'Ancien Monde. Nous le lisons déjà, nous le voyons en Chine. D'autres affirment qu'il faudrait "faire la balance".  Mais à faire la balance entre l'efficacité et l'autolimitation, l'on sait très bien qui va l'emporter…

Mais pourquoi ne pas regarder plutôt du côté d'une définition du Droit de la Compliance où, tout au contraire, les deux notions, au lieu de s'opposer, s'épaulent !  

En effet, le Droit de la Compliance se définit alors dans le prolongement du Droit de la Régulation comme un ensemble de règles, d'institutions, de principes, de méthodes et de décisions prenant leur sens et leur normativité dans des buts qui lui sont spécifiques. Dans cette définition à la fois propre et substantielle, ces "buts monumentaux" sont systémiques et requièrent que tous les moyens soient mobilisés pour qu'ils soient atteints. Futurs et de nature négative (des événements ne devant pas advenir) mais aussi futurs et de nature positive (des évènements devant advenir), le Droit de la Compliance ne s'applique pas à toutes les règles dont nous souhaitons l'efficacité (car pourquoi ne pas vouloir l'efficacité de toutes les règles ?) mais à ce type particulier de "buts monumentaux", dans une alliance entre les Autorités politiques en charge du futur des groupes humains et les entités en position de mobiliser leurs moyens. La méthode est alors différente. Il ne s'agit plus de retrancher et la perspective de la répression doit passer au second plan. 

Une inversion se produit.

La proportionnalité cesse d'être ce qui limite l'efficacité pour devenir ce qui accroît l'efficacité. Dès l'instant que l'on a un but précis, la proportionnalité n'est pas la conséquence de la limitation (comme dans le principe de "nécessité" de la loi pénale, en tant que celle-ci est une exception), elle est la conséquence du fait que tout mécanisme juridique est un "Outil de la Compliance", qui n'a de sens que par rapport à un "but monumental". Il est alors essentiel de fixer les "Buts Monumentaux du Droit de la Compliance". Comme c'est là qu'est logée la normativité juridique de la Compliance, le contrôle doit d'une façon première porter sur cela. Puis tous les outils de la Compliance doivent s'ajuster d'une façon "proportionnée", c'est-à-dire efficace, à ses buts : autant qu'il est nécessaire, pas plus qu'il n'est nécessaire. Selon le principe d'économie (que l'on appelle aussi le "principe d'élégance" en mathématique).

La règle contraire au principe de proportionnalité est alors : la règle inutile pour atteindre le but. La règle inutile est la règle véritablement disproportionnée : c'est ainsi qu'il faut lire le contrôle judiciaire des sanctions excessives, non pas par la notion de "la limite" mais par la notion de " l'inutile". 

Tout repose alors sur la qualité juridique du but. De droit - et cela mériterait d'être une exigence de niveau constitutionnel, le but doit toujours être lisible, compréhensible, non contradictoire, atteignable.

Cela accroît l'office du juge. Cela renouvelle  aussi le pouvoir du législateur dans une conception qui cesse d'être discrétionnaire.

Le Législateur garde certes l'apanage de fixer les Buts Monumentaux, tandis que le juge regarde la qualité de la formulation qu'il en faite, afin de pouvoir en mesurer la proportionnalité des moyens qui sont mis en  place par l'État et par les entreprises, tandis que les entreprises peuvent se rallier aux Buts Monumentaux du Politique en faisant alliance avec lui, mais certainement pas en instituer d'autres d'une façon autonome car les entreprises ne sont pas des entités politiques normatives, alors qu'elles sont libres de déterminer les moyens nécessaires pour atteindre ces buts, le juge contrôlant le mécanisme de proportionnalité qui fait fonctionner l'ensemble de ce nouveau système.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel allemand exprime cette conception-là 📎!footnote-2122. Elle est pleinement conforme à ce qu'est le Droit de la Compliance dans ce qu'est le But Monumental qui contient tous les Buts Monumentaux systémiques : la protection de l'être humain. Mais l'on mesure à quel point les cours suprêmes et les autorités qui préservent les systèmes, comme la Banque centrale européenne s'opposent, comme les gardiens des systèmes et les gardiens des libertés, les pénalistes notamment, s'affrontent 📎!footnote-2121

Il me semble que ces affrontements ne sont pas inéluctables, parce qu'ils sont fondés dans un enjeu de définition de ce qu'est la "conformité". En effet, l'on peut se contenter d'appréhende les mécanismes de conformité comme des process ayant pour objet d'obtenir le respect de l'ensemble de la réglementation qui s'applique à l'entreprise, une sorte de "voies d'exécution en ex ante" qui permet d'obtenir l'effectivité des règles par avance sans qu'il soit nécessaire de sanctions en ex post (car il vaut mieux prévenir que guérir), l'assujetti prenant en charge lui-même cette effectivité et étant sanctionné non plus pour avoir violé la règle ainsi gardée mais pour avoir violé la règle qui garde la règle, avec une violence plus grande que s'il avait violé la règle substantielle ainsi gardée par les techniques de compliance. Le principe de proportionnalité vient limiter cette exigence ainsi internalisée et la violence de cette internalisation. Dès lors, la proportionnalité limite au nom de l'État de Droit l'efficacité du droit de la conformité : la proportionnalité est la dose légitime d'inefficacité dans ce droit de l'efficacité que serait le droit de la conformité. On se résignerait à cet oxymore. C'est peut-être encore la perspective de beaucoup de jurisprudences rendues. 

Mais si l'on ne s'y résigne pas à cet oxymore et à la solution faible de la "mise en balance", l'on peut au contraire repartir de l'autre définition du Droit de la Compliance, non plus procédurale, mais substantielle. Si l'on reprend la définition de la proportionnalité comme l'usage de pas plus de moyens qu'il n'est nécessaire mais autant de moyens qu'il est nécessaire, alors puisqu'il s'agit de mesurer les moyens, il est inévitable de se tourner vers les buts. Et ceux-ci doivent bénéficier de tous les moyens requis pour les atteindre. En cela, le principe de proportionnalité est peut-être ce qui limite le droit de la conformité (conception procédurale) mais c'est certainement ce qui accroît le droit de la compliance, puisque tous les moyens nécessaires doivent être conférés, même dans le silence des textes, et les moyens inutiles délaissés. Et c'est ainsi que raisonne le Tribunal constitutionnel allemand et le Conseil d'Etat face aux enjeux climatiques. 

On est ainsi conduit à repenser le bon usage du principe de proportionnalité dans le Droit de la Compliance, en fonction de la définition que l'on donne à celui-ci.

Il faut alors comprendre le rapport entre la Compliance et la Proportionnalité à travers le couple "Principe / Exceptions" mais aussi au-delà de celui-ci, puisque le Droit de la Compliance n'est pas qu'une exception légitime, il est aussi, voire au contraire, le support, ce que sont désormais les principes les plus fondamentaux de l'État de Droit (I). Une fois cela établi, l'on doit observer les conséquences techniques qui en découlent, qui ne sont pas tant un contrôle et une limitation des pouvoirs de l'État qu'une validation des pouvoirs des entreprises puisque ceux-ci doivent être ceux requis pour que celles-ci puissent exécuter la tâche qui est désormais, de gré ou de force, la leur (II). Ainsi le pouvoir disproportionné et qui doit être sanctionné à ce titre est le pouvoir inutile ou inapte au regard des buts, ce qui vaut dans une nouvelle définition du principe de proportionnalité ainsi éclairé par le Droit de la Compliance aussi bien à l'égard des pouvoirs des entreprise qu'à l'égard des pouvoirs du Législateur (III). De cette manière, symétriquement éclairées, la Proportionnalité et la Compliance renouvellent les sources du Droit et permettront de construire le Droit de l'Avenir 📎 !footnote-2274

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Lire les développements ci-dessous ⤵️

 

 

 

3

Sur cette notion de "Droit de l'Avenir" lire le prophétique article de 👤Pierre Godé, 📝Le droit de l'avenir (un droit en devenir)in Mélanges François Terré, 📒L'avenir du droit, 1999. 

8 juillet 2021

Base Documentaire : Doctrine

► Référence complète : J.-Ch. Roda, "Le standard de preuve : réflexions à partir du droit de la concurrence", D. 2021, pp.1297-1303

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► Résumé de l'article (fait par l'auteur) : "Jusqu'à une période récente, le "standard de preuve", traduit de la notion de standard of proof des droits de Common Law, n'était connu que des seuls comparatistes. Aujourd'hui, ce concept a priori étranger a pénétré le système juridique français, par l'intermédiaire du droit européen de la concurrence : les autorités de marché s'y réfèrent régulièrement et, mécaniquement, le juge français aussi. Les "concurrentialistes" sont désormais habitués à croiser la notion, mais elle demeure encore fuyante : on se demande si son émergence n'est pas un trompe-l'oeil. Plus largement, la question se pose de savoir si la notion a un avenir et une réelle utilité en dehors du droit de la concurrence.".

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🦉Cet article est accessible en texte intégral pour les personnes inscrites aux enseignements de la Professeure Marie-Anne Frison-Roche

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7 juillet 2021

Base Documentaire : 11. Agence Française Anticorruption (AFA)

Référence complète: AFA, Commission des sanctions, Société I. SA, Décision n°19-2, 7 juillet 2021

Lire la décision 

3 juillet 2021

MAFR TV

► Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Le big-bang du Droit de la Compliance, émission avec Jean-Philippe Denis, 3 juillet 2021. 

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🎥 Regarder l'émission, telle qu'elle est diffusée sur les canaux de Xerfi Canal. 

 

🎥Regarder l'émission enrichie avec des sous-titres en français

29 juin 2021

Base Documentaire : Soft Law

► Référence complète : Assemblée Nationale, Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne, Rapport d'information, Warsmann, J.-L., (prés.) et Latombe, Ph., (rapp.), 29 juin 2021 (2 t.).

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📓Lire le rapport.

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26 juin 2021

Publications

► Référence complète : Frison-Roche, M.-A., notes prises pour faire le rapport de  synthèse du colloque de Droit et Commerce, La concurrence dans tous ses états, 26 juin 2021.

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► Méthode : En raison de la richesse et la diversité des propos tenus, pour tenir le temps imparti, des passages n'ont pas été repris à l'oral. 

Parce qu'il s'agit d'une synthèse, le document ne s'appuie que sur les propos tenus et n'est pas doté de références techniques, ne renvoyant pas non plus à des travaux personnels.

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► Articulation des notes prises au fur et à mesure de l'écoute des différentes interventions des orateurs successifs :

  • Pendant 2 jours, l'écoute de toutes les interventions sur "le Droit de la Concurrence dans tous ses états" a fait ressortir les choix qui s'offrent pour ce qui pourrait être demain cette branche du Droit : ce sont des choix de nature politique entre diverses définitions possibles de ce que doit être le Droit de la Concurrence.
  • L'essentiel est sans doute que cette définition soit claire ; pour être claire, il faut qu'elle soit de principe et que le but poursuivi par le Droit de la Concurrence soit simple, pour dans un second temps s'articuler avec d'autres branches du Droit (par le juge, notamment), et avec des "politiques", comme la "politique de la concurrence", puis d'autres politiques (par des Autorités politiques, notamment européennes).
  • Les interventions ont proposé des conceptions diverses, voire opposées de ce que doit être le Droit de la Concurrence, mais tous se sont accordés sur le fait qu'il a subi de nombreux chocs et que, sans doute, son rétablissement passe par une "culture" commune de la Concurrence.
  • Les évolutions ont attaqué les piliers mêmes du Droit de la concurrence pour mieux le reconstruire en le faisant passer d'une perspective principalement Ex Post vers une perspective principalement Ex Ante, en donnant pertinence aux objets mêmes, notamment aux données, en prenant en considération les êtres humains.
  • L'évolution peut s'opérer par internalisation des perspectives de Régulation et de Compliance dans un Droit de la Concurrence qui s'hypertrophie et devient politique, ce qui pose la question de la légitimité de cette conception "holistique" ; elle peut aussi s'opérer par un Droit de la concurrence qui demeure "autocentré" sur ses notions techniques de marché, de prix, etc., mais s'articule avec les autres branches du Droit, économiques ou non. C'est un choix politique.
  • Il est entre les mains non seulement des États et des Parlements, notamment à propos de l'espace numérique, mais encore, voire surtout, entre les mains des cours suprêmes, catégorie à laquelle la Cour de Justice de l'Union européenne appartient et à laquelle chacun s'est référée en permanence. 

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🔻Lire les notes prises d'une façon exhaustive ci-dessous.

 

26 juin 2021

Conférences

 ►Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Rapport de synthèse, in Droit et Commerce, La concurrence dans tous ses états, Deauville, 25 et 26 juin 2021.

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📅 Cette manifestation avait été initialement programmée pour les 22 et 23 juin 2020, puis en raison de la crise sanitaire a été reportée aux 27 et 28 mars 2020 ; elle se déroule finalement un an après.

 

📝 Lire la présentation générale du colloque et son programme

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Ce rapport a été établi à partir des notes prises à l'écoute des rapports qui se sont succédés pendant les 2 jours et immédiatement après le dernier rapport particulier du colloque. 

25 juin 2021

Compliance : sur le vif

  Sous la direction scientifique de la professeure Emmanuelle Claudel, l'Association Droit et Commerce consacre son colloque annuel à ➡️📅 La concurrence dans tous ses états. Dans l'introduction qu'elle a prononcée retraçant toute l'évolution de ce Droit, Emmanuelle Claudel a souligné que le Droit de la concurrence prend distance avec ses notions de base, comme la notion de "marché".

En effet, dans un système économique et social dont il faut réajuster l'organisation, la notion de "filière" doit retrouver sa juste place en articulation avec la notion de "marché". Pour bien des objets, il est pertinent de penser non pas seulement en terme de "marché" mais en terme de filières. En effet la "filière" donne de la consistance à l'objet même. Par exemple les forêts ou bien l'alimentation, ce que la Commission européenne a fait (I).

Mais si l'on regarde donc plus concrètement l'espace économique, qu'on y voit des personnes et des choses, comme les produits agricoles et ce à quoi ils servent, c'est-à-dire à nourrir les êtres humains, alors il faut confier ce "but monumental" à des entreprises cruciales la tâche d'atteindre cela (II). Le Droit de la Compliance peut à l'avenir prendre cela en charge, en mettant à la fois de nouvelles obligations, mais aussi en desserrant le rapport si violent, par son indifférence même, entre concurrence et produits alimentaires.

 

 

I. PENSER NON PLUS SEULEMENT EN "MARCHES" MAIS EN FILIERE : L'EXEMPLE DE LA FERME A LA FOURCHETTE

On commence à l'affirmer pour la forêt mais aussi pour l'agriculture que la Commission européenne connecte désormais avec l'alimentation.  Ainsi l'alimentation ne doit pas être simplement conçue comme une succession de "marchés". En effet à ne les concevoir qu'ainsi, les marchés agricoles, qui devraient bénéficier des financements offerts par les marchés financiers sont du coup parfois happés par ceux-ci, qui peuvent littéralement affamer le monde plutôt que d'aider à le nourrir.

Aujourd'hui, l'on admet de penser l'agriculture en "filière" et, comme l'écrit la Commission européenne : De la ferme à la fourchette. En effet si l'agriculture est un "secteur" important c'est parce qu'il permet de nourrir la population. Ce fait de base a été souvent oublié, notamment parce que le Droit de la concurrence, prenant appui sur le commerce des produits et non sur les produits eux-mêmes (dont il ne mesure que la substituabilité, pour cerner les marchés pertinents) ne s'intéresse pas à ce pour quoi sont faites les choses. Il ne faut pas le lui reprocher, mais en échange, il ne peut prétendre dominer tout, puisqu'il ne s'intéresse qu'à cette part restreinte de notre vie.

La Commission européenne, qui se dégage de plus en plus de la notion neutre de marché pour aller vers les notions substantielles de produits et de ce pourquoi ils sont faits, de leurs résultats (heureux ou malheureux), est en train de mettre en place une politique industrielle et ce qui pourrait être une véritable politique agricole, qui ne soit pas faite que de subventions.

Elle consiste à dire qu'il faut concevoir une filière qui part des sols, de leur usage agricole et d'élevage pour aboutit à ce pourquoi cela est fait : nourrir la population.

Cela paraît simple, mais dans un Droit dominé par le Droit de la concurrence, qui lutta par exemple par les techniques de soutien des prix, c'est une façon nouvelle, parce que concrète, de concevoir.

Mais comment faire ?

Parce que la Régulation n'a pas à être pour autant à être administrée, le Droit de la Compliance peut être d'un grand apport, notamment à travers les marchés de gros.

 

II. INTERNALISER LES BUTS MONUMENTAUX DES FILIERES AGRICOLES DANS LEURS ENTREPRISES CRUCIALES

Plutôt que d'administrer les secteurs, il convient d'internaliser dans des entreprises cruciales les buts monumentaux qui concernent l'avenir du groupe social, par exemple nourrir la population.

C'est à ce titre qu'il faut concevoir les "marchés de gros", non pas seulement comme le fait le Droit de la concurrence, qui les qualifient comme des marchés entre les producteurs et les revendeurs, mais comme des entreprises qui sont, au sein de filières parfois vitales, sont en charge de superviser l'articulation entre l'amont et l'aval pour que le but soit concrétisé.

C'est pourquoi ces entreprises-là sont directement concernées par le Droit de la Compliance, dans sa définition non pas mécanique de respect de la réglementation qui leur est applicable (ce qui est notre obligation à tous) mais dans sa définition qui met la Compliance comme un au-delà du Droit de la concurrence (➡️📝Frison-Roche, M.-A., Droit de la Concurrence et Droit de la Compliance, 2018)  

Ainsi les marchés de gros en matière alimentaire ont un rôle décisif à jouer, comme l'a montré la société du marché de Rungis qui, dans le temps de la crise sanitaire, a participé à assurer la continuité d'approvisionnement (v. d'une façon plus générale Journal of Regulation & Compliance et Faculté de Droit de Montpellier , ➡️📅colloque Normes publiques et Compliance en temps de crise : les buts monumentaux à l’épreuveles contributions servant de base à ➡️📕  Les Buts Monumentaux de la Compliance , 2022).

L'internalisation de ces buts dans des entreprises résout l'aporie à laquelle sont confrontés les Etats dans leur intimité avec la notion de frontières.

En effet, si l'on adopte une définition des "marchés de gros" non plus à travers la définition du "marché" mais à travers la définition de "l'entreprise cruciale", laquelle est elle-même "régulée" (Frison-Roche, M.-A., ➡️📝Réguler les entreprises cruciales, 2014).

Les "marchés de gros", ce sont des entreprises où les détaillants vont s'approvisionner chaque jour, souvenir de ce que fût la place du marché, souvenir du temps où le marché est le lieu où les êtres humains se rencontraient, où l'échange étaient non pas entre les capitaux et les marchandises mais entre les personnes (Supiot, A., ➡️📕 Mondialisation ou Globalisation ?, 2019).

Ces entreprises sont regroupées dans une association mondiale : le World Union of Wholesale Markets. Il s'agit pour les entreprises de gros de se réunir pour faire en sortir que les filières fonctionner de l'entretien des sols jusqu'à la bouche des êtres humains.

Car il est si difficile de trouver un Régulateur mondial qui soit en matière agricole à la fois légitime et efficace (v. sur ces questions les travaux 

Il est possible qu'un Régulateur public soit plus légitime mais il est pour l'instant impossible à établir mondialement (v. d'une façon générale Collart-Dutilleul, Fr. et Le Dolley, E., dir.,➡️📕 Droit, économie et marchés de matières premières agricoles2013).

Dès lors, une alliance entre les Autorités politiques, qui se soucie de la santé publique et les entreprises cruciales, dont ces "marchés de gros" sont un exemple, par des "obligations de compliance" ainsi comprises est une perspective concrète. 

Il en résulte alors une obligation et un pouvoir de vigilance et de coordination, que l'on trouve déjà en matière bancaire (secteur où le Droit de la Compliance est plus mature qu'ailleurs) qui doit se développer, plutôt que d'être l'objet de la segmentation que, par nature, le Droit traditionnel de la concurrence engendre, marché par marché, marché contre marché.

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24 juin 2021

Compliance : sur le vif

  Le Droit de la Compliance est avant tout une gestion du temps. C'est pourquoi il est situé en Ex Ante, avant que les catastrophes n'arrivent, dans le but qu'elles n'arrivent pas, pour intervenir au moins à temps pour briser l'effet domino. C'est pourquoi l'on a internalisé dans les entreprises la concrétisation de Buts Monumentaux dont l'atteinte était jusqu'ici l'affaire des Etats. Ce n'est pas pour autant que l'Ex Post n'est pas pertinent. Ne serait-ce que parce qu'il est le plus légitime. Il en est ainsi des juges. Ce qui vient d'arriver à Rudy Giuliani l'illustre parfaitement.

Le 24 juin 2021, la Cour suprême de l'Etat de New-York a rendu sa décision concernant Rudy Giuliani (➡️⚖️Supreme Court of the State of New York Appellate Division, First Judicial Department, 24 juin 2021, Giuliani )

Rudy Giuliani, qui fut procureur fédéral, puis maire de New-York, puis conseil du Président Donald Trump, puis avocat a été condamné à la suspension provisoire de sa licence professionnelle dans l'Etat de New-York (➡️📝New York Times Court Suspends Giuliani's Law License, citing Trump Election lies, 24 juin 2021). 

L'arrêt cite les événements insurrectionnels du Capitol et s'appuie sur un comité d'appréciation déontologique de la conduite que les avocats doivent avoir. On relève en effet en premier lieu la convergence dans la motivation des décisions prises entre l'entreprise Facebook à l'égard de Donald Trump, la structure professionnelle à laquelle Rudy Giuliani appartient et la décision de la juridiction étatique (I).

L'articulation se fait plutôt dans le temps (II). D'abord l'entreprise qui intervient au plus vite, car il faut agir (mais pour agir, il faut aussi juger...) ; puis la profession (et ici l'intéressé appartient à une profession réglementé mais c'est bien au nom de "l'intérêt public général" que la sanction sera prononcée), rien ne pouvant échapper à la validation ou remise en cause in fine du Juge (II). 

 

 

I. L' articulation des principes substantiels mis en oeuvre par l'Entreprise, la Juridiction et la Régulateur professionnel

Dans un Etat de Droit, les principes fondamentaux sont les mêmes pour les sujets de droit (les entreprises étant des sujets de droit comme les autres), les corps intermédiaires (comme les ordres professionnels), les juridictions et les Etats.

Dans un Etat de Droit, la vérité est gardée d'une façon élémentaire par le Droit et la désinformation est sanctionnée.

Ainsi, même si la puissance de la liberté d'expression aux Etats-Unis a une puissance constitutionnelle à nulle autre pareille, la "désinformation" n'étant pas sanctionnée en tant que telle, la voie juridictionnelle de l'action en diffamation permet d'obtenir protection contre des pratiques de désinformation massive.

Même si des historiens se sont inquiétés de la faiblesse paradoxale  des Etats-Unis en raison de son système juridique (see 💻Snyder, T., The State of Our Democracy, 2021) des professeurs de droit d'Harvard sont intervenus pour expliquer que l'on ne pouvait pas soutenir n'importe quoi, l'action en diffamation permettant de réagir.

C'est notamment cette voie qui avait été utilisée en janvier 2021 contre Rudy Giuliani (➡️📝NYT, Rudy Giuliani sued by Dominion Voting Systems over False Election Claims) pour avoir déclenché une campagne virale de désinformation à propos de ce qui était présentée comme un résultat inexact dans les résultats de l'élection présidentielle.

C'est donc bien la "désinformation" qui est sanctionnée.

Elle a été également par les entreprises numériques systémique que sont Google, Twitter, Facebook et Instagram, qui ont désactivé les comptes de Donald Trump, l''autre acteur.

Mais en outre, Rudy Giuliani est un avocat.

A ce titre, ce qu'il fait engage l'honneur de sa profession. Il a donc vocation à faire l'objet de poursuite disciplinaires et fait l'objet 

C'est pourquoi la juridiction de l'Etat de New-York a pris conseil auprès d'un "comité déontologique".

Au regard notamment des conclusions de celui-ci, la juridiction étatique que les fausses déclarations faites ont terni l'entière réputation de la profession d'avocat. Cela a justifié sa suspension dans l'Etat de New-York. Cette suspension est temporaire (les poursuites proprement disciplinaires vont commencer).

Mais par ailleurs, la Cour estime que la conduite déontologiquement reprochable à "directement" accru les tensions qui ont conduit aux violences des événements du Capitol. 

En prenant une telle justification, la Cour opère la jonction d'une part avec l'autre personnage que Rudy Giuliani conseillait, Donald Trump, mais surtout avec la décision prise par les entreprises privées, qui ont suspendu les comptes de celui-ci.

Ainsi, au nom des mêmes principes, l'ordre public et le respect de la vérité, la juridiction en se connectant par sa motivation et aux entreprises qui avaient agi avant et à l'organe disciplinaire qui interviendra après, a montré la cohérence du système juridique américain.

 

II.  L'articulation dans le temps entre les entreprises cruciales, les juridictions et les professions

La difficulté vient plutôt de l'articulation dans le temps.

En effet, dans ce cas de Donald Trump qui, notamment juridiquement conseillé par Rudy Giulani, affirma que les élections avaient été volés, ce qui contribua à un début d'insurrection et des émeutes au Capitole, la question est le temps de réaction et la modalité de réaction.

Le premier type d'entités à réagir a été les entreprises digitales systémiques : Google, Twitter, Facebook.

La modalité a été la suppression des comptes de Donald Trump, avec comme justification l'incitation à la déstabilisation et à la guerre civile.

Contrôlant ainsi les "discours de haine", en Europe sur ordre de la loi, aux Etats-Unis en se prévalant d'une Corporate Social Responsabilité (CSR), 

En cela, l'entreprise est donc instituée "Juge et procureur d'elle-même" par le Droit de la Compliance, parce qu'elle est en position d'agir au bon moment, c'est-à-dire immédiatement (v. ➡️📅  colloque Journal of Regulation & Compliance et Faculté de Droit Lyon 3,  L'entreprise instituée Juge et Procureur d'elle-même , in La juridictionnalisation de la Compliance, 2021).

Il est remarquable que, malgré toutes les critiques qu'on peut légitimement en faire (v. par ex. Heymann, J., La nature juridique de la "dite" Cour suprême de Facebook, in L'entreprise instituée Juge et Procureur d'elle-mêmepréc.) cette juridictionnalisation fonctionne, dès l'instant que les principes processuels sont respectés (v.➡️📝Frison-Roche, M.-A., Le jugeant-jugé: articuler les mots et les choses pour surmonter l'éprouver conflit d'intérêts des entreprises instituées juges et procureurs d'elles-mêmes, in ➡️📕 La juridictionnalisation de la Compliance, 2022).

 

Mais in fine la décision est toujours revenir aux juridictions et les systèmes tiennent avant tout sur la probité des personnes, lesquelles s'ancrent le plus solidement dans des "professions".

Ce qui remarquable dans le cas présent, c'est que l'on a pu "attendre" le temps de la justice, parce que la sanction du conseiller - et sa neutralisation par une interdiction d'exercer - est moins urgente que la neutralisation de Donald Trump sur les réseaux sociaux. Leur pouvoir d' "influenceur n'est pas le même.

 

Il est pourtant remarquable que si la juridiction a pris soin de s'appuyer sur l'avis d'un "comité déontologique", elle n'a pourtant pas attendu la sanction disciplinaire proprement dite.

Celle-ci viendra plus tard.

La justice elle-aussi, avant tout sensible au temps a donc prononcé pour l'avance : une suspension "provisoire". De la même façon que l'on a souvent dit que fermer un compte dans l'espace digital était une peine capitale, l'on peut considérer qu'une suspension professionnelle était, même sous forme "provisoire" une peine capitale pour un professionnel. 

L'on mesure ici que les professions, ici la profession d'avocat, sont centrales dans les mécanismes de Compliance.  Effectivement, plus les Etats seront fragilisés par leur rapport naturel avec la "frontière" et plus la notion technique de "profession", qui n'a pas ce rapport naturel, devra être développée.
Or, supervisée par le Juge, une profession a en son cœur la déontologie. Celle-ci même que le Juge a, par anticipation, pris comme base pour sanctionner pour l'avenir le conseiller d'un président immédiatement écarté par l'entreprise systémique. 

 

Ainsi, tant qu'entreprises cruciales, structures professionnelles et juridictionnelles s'ajustent sur le fond, l'ajustement dans le temps peut fonctionner, par anticipation et rétroaction.

 

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23 juin 2021

Conférences

Référence complète: Frison-Roche, M.-A., Le jugeant-jugé : articuler les mots et les choses face à l'éprouvant conflit d'intérêts, in L'entreprise instituée Procureur et Juge d'elle-même par le Droit de la Compliance, colloque coorganisé par le Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et la Faculté de droit de Lyon 3.

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📅  23 juin 2021, de 9h30 à 18h30 

🧭 Faculté de droit de Lyon 3, salle de la Rotonde et en numérique

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📊 Consulter les slides sur lesquelles s'appuie cette conférence.

 

🎥 Regarder la vidéo de cette conférence. 

 

📝 Lire le programme général de ce colloque

 

📝 Lire le document de travail sur la base duquel la conférence a été élaborée.

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📅 Ce colloque s'insère dans le cycle de colloques 2021 organisé par le Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et ses partenaires autour de La juridictionnalisation de la Compliance

 

📕 📘 La conférence est la première base à l'écriture d'un article, à paraître dans un ouvrage dont la version française est La juridictionnalisation de la Compliance co-éditée par le JoRC et Dalloz, et dont la version anglaise, Compliance Juridictionnalisation, est co-éditée par le JoRC et Bruylant. 

📚   L'ouvrage français va paraître dans la collection "Régulation & Compliance " tandis que l'ouvrage anglaise paraîtra dans la collection "Compliance & Regulation". 

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🔻 Résumé de la conférence : lire ci-dessous

23 juin 2021

Publications : Doctrine

 Référence complète : Douville, T., Quel droit pour les plateformes ?, in Delpech, X. (dir.), L'émergence d'un droit des plateformescoll. « Thèmes et commentaires », Dalloz, 2021, pp.217-239.

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► Lire la présentation générale de l'ouvrage dans lequel est publié cet article. 

23 juin 2021

Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète: Siproudhis, J.-B.,, C., The transfer of responsibility from the regulator and the judge to the company: demonstration by the whistleblowing mechanism, in Frison-Roche, M.-A. (ed.), Compliance Jurisdictionalisationseries "Compliance & Regulation", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Bruylant, à paraître. 

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 Résumé de l'article (fait par l'auteur) : From the practitioner perspective, compliance is geared towards a gradual transfer of responsibilities from both regulators and judges. 

 In France, the whistleblowing mechanism imposed by the so-called "Sapin 2" and "Duty of Vigilance" laws illustrates this evolution. Indeed,  internal alerts management follows key judiciary process milestones : admissibility, investigations, dismissal or sanction.

This turns corporations duties into prosecutors or judges’, provided that they respect a specific framework contributing to respect the rules of a fair trial.

This requirement raises several legal and sociological challenges to which the author devotes his developments.

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📝 consulter la présentation générale de l'ouvrage dans lequel cet article.

 

23 juin 2021

Base Documentaire : Doctrine

 Référence complète : Siproudhis, J.-B.,, C.,  Le transfert de responsabilité du régulateur et du juge vers l’entreprise : la démonstration par le système d’alerte, in Frison-Roche, M.-A. (dir.), La juridictionnalisation de la Compliancesérie "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, à paraître. 

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 Le résumé ci-dessous décrit un article qui fait suite à une intervention dans le colloque L'entreprise instituée Juge et Procureur d'elle-même par le Droit de la Compliance, coorganisé par le Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et la Faculté de Droit Lyon 3. Ce colloque a été conçu par Marie-Anne Frison-Roche et Jean-Christophe Roda, codirecteurs scientifiques, et s'est déroulé à Lyon le 23 juin 2021.

Dans l'ouvrage, l'article sera publié dans le Titre I, consacré à  L'entreprise instituée Juge et Procureur d'elle-même par le Droit de la Compliance.

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 Résumé de l'article (fait par l'auteur) : Vue de l’entreprise, l’évolution de la compliance conduit à un transfert progressif de responsabilités du régulateur, mais aussi du juge.

Ceci est notamment illustré par le mécanisme de réception et de traitement des alertes internes imposé par les lois dite Sapin 2 et Devoir de vigilance. En pratique, en effet, si l'on prend l'exemple technique du lancement d'alerte, la gestion de ces alertes par les entreprises est séquencée comme une procédure judiciaire : analyse de la recevabilité, lancement d’investigations, décision de non-lieu ou de sanction.

L’entreprise « instituée procureur et juge d’elle-même » devra respecter un cadre précis contribuant au respect élémentaire des règles d’un procès équitable, ce qui ne va pas sans soulever plusieurs questions juridiques et sociologiques auquel l’auteur consacre ses développements.

 

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📝 Consulter une présentation générale du volume dans lequel l'article est publié.

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23 juin 2021

Compliance : sur le vif

  Compliance et preuve; L'entreprise peut obliger les employés à revenir travailler. C'est façon à contrôler. L'Agence américaine de Santé a confirmé son "droit" à leur obliger à être vaccinés pour ce faire, parce qu'elles relayent ainsi la politique générale de santé.   Mais comment les entreprises peuvent-elles contrôler l'effectivité de ces vaccination ? Car lorsque l'entreprises devient ainsi "procureur et juge" de ses salariés au titre du Droit de la Régulation (ici de la Santé), ce sont les questions probatoires qui se posent.  

Le 28 mai 2021, l'agence américaine fédérale The US Equal Employment Opportunity  Commission - EEOC  a publié un communiqué sur la question de savoir si les employeurs pouvaient contraindre leurs employeurs à revenir travailler dans les locaux de l'entreprise : ➡️📝EEOC, EEOC Issues Updated Covid-19 Technical Assistance. Provided Additional Information on Vaccination, 28 mai 2021)

 Si le New-York Times en a immédiatement conclu que les entreprises pouvaient immédiatement faire revenir tout le monde (➡️📝New York Times, Employers can require workers to get Covid-19 vaccine, US Said, 16 juin 2021), l'Agence de Régulation est plus nuancée parce qu'elle suit la méthode anglo-américaine de "balance des droits". 

Et la difficulté va résider sans doute plutôt dans la question probatoire ... '

 

I. DEBAT SUBSTANTIEL SUR LA MISE EN EQUILIBRE ENTRE LES DROITS ET LES LIBERTES 

La première question est sur ce débat entre "les droits et les responsabilités" des uns et des autres.

Sur la méthode tout d'abord : c'est une façon britannique et américaine qui consiste à procéder par mise en balance : ici le "droit" de l'entreprise d'organiser comme elle veut son fonctionnement, ici conçu plutôt comme un "droit" tiré du contrat de travail, plutôt que comme un pouvoir disciplinaire unilatéral. L'on sait que les traditions juridiques divergent sur ce point essentiel.

Le 10 juin 2021, BBC News relaye l'ordre dans ce sens de la banque Goldman Sachs, sur le fondement managérial comme quoi le télétravail pour tout le monde serait une "aberration". Il exprime donc son pouvoir d'organisation de l'entreprise, exprimé d'ailleurs dans une note non publique : ➡️📻BBC News, "Goldman bankers ordered to report vaccine status before office return, 10 juin 2021".

Mais c'est bien en termes de mise en balance des droits subjectifs qu'une universitaire britannique, cité par la BBC, analyse la situation: "Vaccinations create a conflict of legal protections, where the freedom of individual choice is weighed against the health and safety of others."

"Some employees may have a justifiable reason for not wanting to take the vaccine, and we would always urge employers to discuss an employee's reluctance, whether it be related to a disability or religious reasons.".

Dès l'instant que l'on voit la Compliance à travers le contrat, l'analyse prend ses bases.

Mais le débat le plus important sera probatoire.

 

II. DEBAT PROBATOIRE A VENIR SUR L'EFFECTIVITE DE LA VACCINATION

 

Comment s'assurer que les personnes sont effectivement vaccinées ? 

Des entreprises peuvent organisent elles-mêmes la vaccination.

Mais les personnes présentent des certifications, le risque est grand de certifications falsifiés. La difficulté se rencontre déjà pour le passage des frontières ou l'entrée dans des lieux publics, les officines de fabrication de certifications falsifiés s'étant immédiatement mises en place.

L'enjeu est donc la préconstitution de preuves fiables (sur la "culture probatoire", indissociable de la "culture de compliance", ➡️📝 Frison-Roche, M.-A., Formation: contenu et contenant du Droit de la Compliance, in ➡️📕 Les outils de la Compliance, 2021).

Or, en Droit les preuves préconstituées sont davantage des "preuves légales" (qui n'ont pas la vérité pour but, mais plutôt la sécurité et l'engagement) tandis que la vérité d'un fait se prouve librement Ex Post. Il s'agit ici de la preuve Ex Ante d'un fait (le vaccin).

La question des "tiers de confiance" (et son sombre double qu'est le falsificateur) est au cœur du Droit de la Compliance. En tant que celui-ci gère la détection des risques et la prévention des crises pour protéger les personnes, la construction d'un système fiable, c'est-à-dire probatoire est centrale.

La preuve des vaccinations n'en est qu'un premier exemple. Or, c'est bien aux entreprises de construire ces preuves. De les concevoir structurellement ? D'en supporter le coût ?

Sans doute oui, puisque ce pouvoir exercé sur autrui est conféré afin que les entreprises exécutent leurs obligations de Compliance.

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22 juin 2021

Publications

Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Comment faire fonctionner l'entreprise nommée Procureur et Juge par le Droit de la Compliance : Le jugeant-jugé ; le pourchassant-pourchassé ; l'enquêteur - enquêté ; le scrutateur - scruté, etc.,  document de travail,  juin 2022.

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🎤 ce document de travail a été élaboré pour préparer une conférence dans le colloque L'entreprise instituée Procureur et Juge d'elle-même par le Droit de la Compliance, à Lyon le 23 juin 2021.

📝Il constitue la base d'un article

📕 cet article sera publié dans sa version française dans l'ouvrage La juridictionnalisation de la Compliance, dans la collection 📚   Régulations & Compliance

 📘  dans sa version anglaise dans l'ouvrage Compliance Juridictionnalisation., dans  la collection 📚   Compliance & Regulation

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► Résumé du document de travail : Puisque le thème de cette réflexion générale sur L'entreprise instituée Juge et Procureur d'elle-même par le Droit de la Compliance porte sur un ensemble d'autres réflexions soucieuses de l’ajustement des mots et des choses, la façon dont le rapport entre les uns et les autres évoluent, ce travail va porter sur la question de savoir si cette évolution est radicale ou pas, lorsqu'on parle de "juge".

Car, "juger" c'est un mot que le Droit a disputé à d'autres discipline (➡️📔!footnote-2090), mais qu'il s'est approprié pour non pas tant avoir davantage de pouvoirs, par exemple celui de surveiller et de punir, mais au contraire s'imposer des limites, puisqu'à celui qui juge il a mis aux pieds les chaines de la procédure, ce qui rend supportable pour l'autre un tel pouvoir exercé (➡️📔!footnote-2091). C'est pourquoi ceux qui veulent le pouvoir de juger voudraient souvent n'en avoir pas le titre, car avoir de jure  le titre de juge c'est être soumis au régime corrélé, c'est se soumettre à l'exactitude procédurale.

Le Droit repère qui juge et oblige ce si-puissant à la procédure. Mais il a aussi le pouvoir d'instituer juge et tous les personnages du procès. Il le fait d'ordinaire avec clarté en distinguant les uns des choses. C'est si important que ce conseil a valeur constitutionnelle. Ainsi, non seulement celui qui juge doit être nommé ainsi mais l'appareillage procédurale qui va avec le personnage et qui constitue à la façon une façon de faire et des droits fondamentaux, ne sont pas "concédés" par bonté ou dans un second temps : c'est un bloc. Si l'on ne voulait pas avoir à supporter les droits processuels, il ne fallait vouloir être juge. Certes on pu en conclure que la procédure serait donc devenue "substantielle" ; par cette élévation, il s'agit plutôt de dire que la procédure ne serait plus une "matière servante": c'est une sorte de déclaration d'amour pour la procédure, tant qu'on affirme qu'à l'acte de juger, d'enquêter ou de poursuivre, sont "naturellement" attachées les droits pour celui qui risque d'en être l'objet.

Le Droit de la Compliance, à la recherche d'alliés pour atteindre les Buts Monumentaux pour l'atteinte desquels il a été institué, va requérir, voire exiger d'entreprises privées qu'elle aillent elles-mêmes rechercher, c'est-à-dire enquêter, des faits susceptibles de lui être reprochés. Le Droit de la Compliance va aussi exiger qu'elles poursuivent les personnes ayant commis ces faits. Il va encore exiger qu'elles sanctionnent les faits que des personnes ont commis en son nom.

On le comprend bien du point de vue de l'efficacité Ex Ante. La confusion est souvent très efficace. Par exemple il est plus efficace que celui qui poursuit soit aussi celui qui instruise et qui juge, puisqu'il connait bien le dossier. D'ailleurs il est plus efficace qu'il prenne aussi les règles, ainsi il connait mieux que quiconque "l'esprit" des textes. Cela fut souvent souligné en Droit de la Régulation.  Mais tout cela ne va pas de soi.

Pour deux raisons, l'une extérieure et l'autre intérieure. 

La première raison, extérieure, tient que l'on ne pourrait pas "nommer" juge qui ne l'est pas. Cela serait trop facile, car il suffirait alors de désigner quiconque, voire de le faire soi-même pour s'approprier le régime qui va avec, pouvoir notamment d'obtenir qu'autrui obéisse alors même qu'il n'est pas subordonné ou qu'il transmette des informations, alors même qu'il serait concurrent : il faudrait alors rappeler seul le juge pourrait se nommer juge ! et dans ce temps nouveau, voilà que des entreprises seraient juges, procureurs, enquêteurs ! Les temps seraient donc si graves et en si grand désordre qu'il faudrait en revenir à cette tautologie là... (➡️💬!footnote-2092)? Mais sommes-nous dans une telle radicalité ? D'ailleurs, les juges ont-ils "l'apanage" du jugement et le Droit n'admet-il pas cela depuis longtemps ? Dès l'instant que la procédure est là en Ex Ante et le contrôle du juge en Ex Post ?  

La seconde raison, interne à l'entreprise, tient à ce que l'entreprise enquête sur elle-même, se juge elle-même, se sanctionne elle-même. Or, la personne morale n'exprimant sa volonté qu'à travers soit ses organes, l'on souligne en pratique les difficultés pour un même être humain de formuler des griefs, en tant qu'il est le mandataire de la personne morale, à la personne physique qu'il est lui-même. Les deux intérêts des deux ne sont pas les mêmes, sont souvent opposés, et comment les secrets de l'un peuvent être tenus à l'égard de l'autre. C'est tout le mystère, voire l'artifice de la personnalité morale qui apparaît et l'on comprend mieux que le Droit de la Compliance ne veut plus utiliser cette notion étrange. Car toutes les règles de procédure ne peuvent masquer que se poursuivre soi-même n'a pas plus de sens que de contracter avec soi-même. Ce conflit d'intérêts est impossible à résoudre car nommer un même individu x puis le nommer y, en déclarant ouverte la dispute entre eux n'a pas de sens. 

Ce dualisme impossible à admettre dès l'instant qu'il s'agit de faire jouer ces fonctions à l'égard des mandataires sociaux peut retrouver vie en instituant des tiers de confiance qui vont porter les secrets et les oppositions.  Par exemple par la désignation de deux avocats distincts par l'être humain mandataire et l'être humain dirigeant, chaque avocat pouvant avoir des secrets l'un pour l'autre et s'opposer l'un à l'autre. Ces espaces de reconstitution des oppositions si "naturelles" en procédure entre celui qui juge et celui qui est jugé peuvent aussi avoir prendre la forme technologique des plateformes : là où il n'y a plus personne, là où le process a remplacé la procédure, il n'y a plus non plus de jugement humain. L'on mesure ainsi que la crainte des conflits d'intérêts est si forte que l'on se résigne à dire que seule la machine serait "impartiale", dérisoire conception de l'impartialité contre laquelle il convient de lutter.

Cela permet alors d'aboutir à une dernière question : l'entreprise peut-elle prétendre exercer le pouvoir juridictionnel de poursuivre et de juger et d'enquêter sans même se prétendre ni procureur, ni juge d'instruction, ni tribunal ? L'avantage serait de pouvoir se soustraire au régime juridique que le Droit classique attache à ses mots-là, principalement les droits de la défense, les droits d'action et le principe de publicité de la justice.  Quand Facebook dit "réagir" à la décision du 5 mai 2021 adoptée par ce qui ne serait qu'un Oversight Board pour décider pourtant "en conséquence" une suspension de 2 ans du compte de Donald Trump, l'art des qualifications semble être utilisé afin d'éviter toute contrainte de régime.  Mais cet art de l'euphémisme est bien ancien. Ainsi les Etats, lorsqu'ils voulurent accroître la répression, présentèrent la transformation du système comme un adoucissement de celui-ci à travers la "dépénalisation" du Droit économique, transféré des tribunaux correctionnels aux AAI. L'efficacité en fût grandement accrue, puisque les garanties de la procédure pénales ont cessé de s'appliquer. Mais 20 ans plus tard, les mots retrouvèrent leur chemin vers les choses : sous le Droit pénal, dormait la "matière pénale", qui requière la même "impartialité". Un juge un jour l'affirma et tout fut changé. Attendons donc ce qu'en diront les Cours, puisqu'elles sont les maîtres des qualifications, comme le dit l'article 12 du Code de procédure civile(➡️🏛️!footnote-2112), texte qu'écrivit Motulsky et qui exprime la façon dont le juge concrétise le système juridique et l'Etat de Droit(➡️📔!footnote-2111). 

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1

📔 Archives de Philosophie du Droit, Le procès, 1995.

Kant, etc.

2

La procédure est ainsi ce qui fonde le procès de Nuremberg, lui-même berceau de la Justice internationale, alors même que l'Ordre juridique international n'existe pas. 

3

Confucius affirmait que la seule mais suffisante façon de rappeler l'ordre dans le Royaume est de nommer "mère" la mère et "fils" le fils. Ecouter Cheng, A., Pourquoi Confucius mérite toute notre attention, 2017 (à propos des Entretiens de Confucius).

4

📜 Article 12 du Code de procédure civile :

 

Modifié par Conseil d'Etat 1875, 1905, 1948 à 1951 1979-10-12 Rassemblement des nouveaux avocats de France et autres, JCP 1980, II, 19288

Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.

Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat.

Le litige né, les parties peuvent aussi, dans les mêmes matières et sous la même condition, conférer au juge mission de statuer comme amiable compositeur, sous réserve d'appel si elles n'y ont pas spécialement renoncé.

5

📔 Motulsky, H., Principes d'une réalisation méthodique du Droit. Eléments générateurs des droits subjectifs, thèse 1948. rééd. 2002.

21 juin 2021

Compliance : sur le vif

C'est dans sa rubrique "Risk and Compliance" que le Wall Street Journal par un article du 18 juin 2021,, présente le démarrage, depuis le 1ier juin 2021 du Parquet européen➡️📝 Europe’s Chief Prosecutor Has 300 Cases on Her Plate Already .

 

Cette insertion présume que c'est par une perspective de Compliance qu'il faut appréhender cet organe si nouveau, pour comprendre et anticiper son action.

dans ce sens :

➡️ 📧 Frison-Roche, M.-A., Entrée en scène du Parquet européen : l'entreprise étant devenue elle-même Procureur privé, allons-nous vers une alliance de tous les procureurs ? juin 2021

➡️ 💬  Frison-Roche, Le Parquet Européen est un apport considérable au Droit de la Compliance", juin 2021 

 

I. UNE ACTION QUI VA SE CONCENTRER SUR LES MOYENS UTILISES POUR PORTER ATTEINTE AUX INTERETS FINANCIERS DE L'UNION

 

La publication du Wall Street Journal prend la forme d'un entretien avec la Procureure européen. Les réponse de celle-ci confirment également le lien consubstantiel entre Parquet européen et Droit de la Compliance. 

Il est remarquable que celle-ci se libère immédiatement de la perspective  souhaite un traitement de nombreux cas, notamment dans le secteur de la santé, de l'infrastructure et des infrastructures ("Our expectation is to hove more cases, especially in the healthcare system, in public procurement, infrastructure, and also in agriculture".

Or, le Règlement communautaire de 2017 ayant institué le Parque européen lui avait donné comme "mandat" de poursuivre les infractions portant atteinte aux "intérêts financiers de l'Union", sans n'être plus entravé par la lourdeur des procédures de coopérations entre les Etats alors que ces infractions sont le plus souvent transfrontalières.

Mais l'on pouvait penser que, prenant sciemment le moyen (corruption, blanchiment d'argument) pour le but, le Parquet européen allait immédiatement poursuivre non plus tant seulement la défense des intérêts financiers de l'Union (certes intérêts financiers endommagés par la corruption ou le blanchiment) mais ces faits eux-mêmes : ainsi le Parquet européen s'articule avec les Autorités européennes de Supervision, notamment bancaire et financière, qui luttent en Ex Ante contre ces infractions et les préviennent.

 

 

II. UNE ACTION QUI SE CONCENTRE SUR LES SECTEURS JURIDIQUEMENT NON REGULES EN EX ANTE PAR DES AUTORITES SECTORIELLES DE REGULATION

 

Plus encore, l'on remarquera que la Procureure européenne visent trois secteurs économiques qui ne sont pas des "secteurs régulés" au sens juridique du terme, c'est-à-dire sur lesquels ne veillent pas une Autorité sectorielle de Régulation et/ou de Supervision : la santé, les infrastructures et l'agriculture.  

Ainsi, la puissance du Droit de la Régulation, qui tient dans son Ex Ante, et sa faiblesse, qui tient à l'existence prérequise d'une Autorité sectorielle prérequise, est compensée : l'action du Parquet n'est pas limité à des secteurs juridiquement régulés.

Alors que les Autorités de concurrence sont contraintes de par leur mandat (➡️ 📅 La concurrence dans tous ses états, juin 2021 ) à protéger l'état concurrentiel des marchés, un Parquet peut se saisir de toute infraction sans avoir à déterminer ni marché ni secteur. 

Ce que vise la Procureur européenne, à savoir Santé, Infrastructures et Agriculture, ont été sans doute abîmés à la fois par la seule primauté de la perspective concurrentielle et par un Droit pénal bridé par une coopération interétatique difficile, alors même qu'ils ne font pas l'objet d'une Régulation Ex Ante supranationale.

Le Parquet européen a vocation à améliorer directement cela. 

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18 juin 2021

Compliance : sur le vif

Le Droit est lent, mais ferme. Par son arrêt du 15 juin 2021, Facebook , la Cour de Justice de l'Union européenne interprète largement le pouvoir des Autorités nationales, puisqu'il sert la protection des personnes dans l'espace numérique (➡️📝CJUE, 15 juin 2021, Facebook)

 

Le reproche de lenteur est si souvent adressé au Droit et à la Justice.  Mais l'essentiel est que, dans le brouhaha de réglementations changeante, il établisse des principes clairs et ferme, permettant à chacun de savoir à quoi se tenir. Plus le monde est changeant et plus le Droit est donc requis.

Quand le Droit dégénèrent en réglementations, c'est alors au Juge de faire le Droit. Les "Cours suprêmes" apparaissent, de jure comme aux Etats-Unis, de fait comme dans l'Union européenne par la Cour de justice de l'Union européenne qui pose les principes, soit avant tout le monde, comme elle le fît pour le "droit à l'oubli" en 2014 (➡️📝CJUE, Google Spain, 13 mai 2014), puis l'impossibilité de transférer vers des pays-tiers des données sans l'accord des personnes concernées (➡️📝CJUE, Schrems, 6 octobre 2015).

Le contentieux Facebook est une sorte de roman. L'entreprise sait que c'est aux juridictions qu'elle parle avant tout. En Europe, elle le fait derrière les murailles de l'espace juridique irlandais, dont elle voudrait pouvoir ne pas sortir avant de mieux dominer l'espace numérique mondial, tandis que les autorités de régulation nationales veulent la saisir pour protéger les citoyens.

Se pose donc une question technique de "compétence juridictionnelle". Les textes y ont pourvu, mais le Droit est malhabile car conçu pour un monde encore ancré dans le sol : le RGPD de 2016 organise donc des coopérations entre Autorités nationales de régulation par un "guichet unique", obligeant les Autorités à se dessaisir pour que le cas ne soit traité que par l'Autorité nationale "chef de file". Cela évite l'éclatement et la contradiction. Mais avant l'adoption du RGPD, le Régulateur belge de protection des données avait ouvert une procédure contre Facebook à propos des cookies. Le mécanisme du "guichet unique", intervenu en 2016, n'est donc évoqué que devant la Cour d'appel de Bruxelles, à laquelle il est demandé de se dessaisir au profit de l'Autorité de Régulation irlandaise, puisque l'entreprise a en Europe son siège social dans ce pays. La Cour d'appel saisit la CJUE en question préjudicielle.

Par son arrêt du 15 juin 2021 (➡️📝CJUE, Facebook, 15 juin 2021), celle-ci suit les conclusions de son Avocat général  maintient la compétence du Régulateur national car, même après le RGPD, le cas supporte encore son traitement national. Retenons la raison. La Cour relève que la règle du "guichet unique" n'est pas absolue et que l'autorité national de régulation peut maintenir sa compétence, notamment si la coopération entre autorités nationale est difficile.

Plus encore, ne faudra pas un jour ajuster plus radicalement le Droit au fait que l'espace numérique n'est pas tenu par des frontières et que l'ambition de "coopération transfrontalière" est mal adaptée ? C'est bien sur ce constat d'inefficacité consubstantielle à l'espace numérique qu'a été conçu et mis en place le Parquet européen, qui n'est pas une coopération, ni un guichet unique, mais bien un organe de l'Union agissant localement pour l'Union, en lien direct avec les soucis de Compliance (➡️📝Frison-Roche, M.-A. "Le Parque Européen est un apport considérable au Droit de la Compliance", 2021 et Frison-Roche, M.-A., Entrée en scène du parquet européen: l'entreprise étant devenue elle-même procureur privé, allons-nous vers une alliance de tous les procureurs?, 2021).

C'est donc de cela qu'il faut s'inspirer.

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17 juin 2021

Base Documentaire

Référence complète : Valluis, B., Etats-Unis : les lois d'un empire sans frontières, in Abis, S., Le Déméter 2021, 2021, p.265-280.

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Valluis, Bernard. « États-Unis : les lois d’un empire sans frontières », Sébastien Abis éd., Le Déméter 2021. IRIS éditions, 2021, pp. 265-280.

15 juin 2021

Base Documentaire : 05. CJCE - CJUE

Référence complète: CJUE, Grande chambre, Arrêt Facebook Ireland e.a. contre Gegevensbeschermingsautoriteit, C-645-19, 15 juin 2021

Lire l'arrêt

Lire le résumé de l'arrêt produit par la Cour

Lire le communiqué de presse

15 juin 2021

Compliance : sur le vif

  Blanchiment d'argent, cryptomonnaie et l'art de le dire : Communiqué du 3 juin 2021 de la Financial Conduct Authority et l'art de le dire. Le Droit est plus soft que jamais. 

 

Les Anglais ont leur façon de dire les choses : ainsi la Financial Conduct Authority - FCA, Autorité britannique de régulation des marchés financiers, a publié le 3 juin 2021 un communiqué dont l'expression est remarquable. Son objet est la cryptomonnaie et, comme dans un plan de dissertation à la française, il y a un grand I et un grand II. Dans le grand I, il est juste mentionné que le délai pour les entreprises de cette industrie pour obtenir un agrément, qui devait s'achever prochainement, va être reporté à mars 2022. Pourquoi ? Parce que quasiment toutes n'ont pas pu démontrer leur capacité à n'être pas résistantes au blanchiment d'argent et autres activités criminelles. Cela n'est en rien présenté comme une condamnation, juste la cause objective d'un report de date, le temps pour le Régulateur de mieux examiner les dossiers, eux-mêmes à compléter.

Le grand II concerne la protection des consommateurs. Le Régulateurs rappelle que le consommateur peut perdre tout dans un produit extrêmement risqué et souligne qu'il est peu probable que ce profane ruiné pourra même accéder à l'organe de médiation pour obtenir quoi que ce soit. C'est purement informatif.

C'est de cette façon-là que les Régulateurs anglais formulent leur opinion sur la cryptomonnaie.

C'est élégant (la presse est plus directe).

Cela permet aussi de n'être pas couvert d'injures par les thuriféraires de la chose : sont exprimés juste un délai accordé et non une condamnation comme instrument de criminalité, juste un regret sur le non-accès à l'ombudsman.

Mais si l'évolution de la bulle montre que des petits investisseurs sont ruinés, le Régulateur aura averti et émis par avance les regrets qu'il en a eus. Et si les faits révèlent que c'est massivement par la cryptomonnaie que le crime se blanchit, le Régulateur a donné à voir à tous sa prudence, le temps qu'il prend et son aimable clairvoyance.

Personne ne connait mieux qu'un Anglais le Droit de la Responsabilité.

 

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