1 septembre 2022

Publications

📝Le principe de proximité systémique active, corolaire du renouvellement du principe de souveraineté par le Droit de la Compliance, in 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les Buts Monumentaux de la Compliance

par Marie-Anne Frison-Roche

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 Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Le principe de proximité systémique active, corolaire du renouvellement du principe de souveraineté par le Droit de la Compliance", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Buts Monumentaux de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2022, p. 501-520. 

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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) : D'une façon étonnante, c'est souvent sur un ton querelleur, courroucé, mécontent, que l'on parle de prime abord de la Compliance, surtout lorsque celle-ci prend une forme juridique, car il s'agit alors de parler de sanctions qui viennent de loin et frapperait à la fois très fort et d'une façon illégitime, le Droit semblant donc ne prendre sa part dans la Compliance que pour accroître sa brutalité : le Droit c'est ce qui prolongerait la guerre entre les Etats pour mieux frapper cette sorte de population civile que serait les entreprises..., dans une nouvelle sorte de "guerre totale planétaire"...

Pourquoi tant de détestation, qui ne peut qu'être engendrée par une telle présentation ? 

Parce que, grâce à la puissance du Droit, la Compliance serait donc le moyen pour un Etat, enfin trouvé, de se mêler des affaires des autres afin de servir ses intérêts propres, englobant ceux de ses entreprises, d'aller faire la guerre aux autres Etats et aux entreprises dont ceux-ci se soucient sans avoir même à la leur déclarer dans les formes. Le Droit de la Compliance permettrait enfin à un Etat pas même stratège, juste plus malin, de sortir de son territoire pour aller régenter les autres. Il est vrai que cela parait d'autant plus exaspérant que cela serait en outre sous couvert de vertu et de bons sentiments. Ainsi on ne compte plus dans les écrits qui décrivent et commentent les occurrences de l'expression "cheval de Troie", "guerre économique", etc. L'on compte ainsi plus d'articles sur ce sujet du Droit de la Compliance comme moyen d'aller dicter à des sujets de droit qui relèvent pourtant d'autres systèmes juridiques leurs comportements et de les sanctionner pour y avoir manqué, que sur tous les autres sujets techniques de Compliance.

Dès l'instant que le terme d' "extraterritorialité" est lâché, les couteaux sont tirés. L'abattement de la défaite, car qui peut lutter contre la puissance américaine, le Droit américain séduisant tous ? L'appel à la résistance, ou à tout le moins à la "réaction". En tout cas, il faudrait remettre l'analyse sur son vrai terrain : la politique, la conquête, la guerre donc laisser là la technique juridique, qui serait bonne pour les naïfs et avant tout compter les divisions amassées de chaque côté des frontières, puis constater que seuls les Etats-Unis auraient eu l'ingéniosité d'en compter beaucoup, avec leur armada de juges, de procureurs et d'avocats, avec un Droit de la Compliance amassé comme autant de pièces d'or depuis les années 30, les entreprises américaines relayant l'assaut en internalisant le Droit de la Compliance par des codes, du droit qui n'a de "souple" que le nom et des standards de communauté gouvernant la planète selon des principes américains, la solution consistant alors d'en aligner le plus possible en réaction, puis de tenter de "bloquer" l'assaut. Car s'il n'existe pas de Droit global, le Droit de la Compliance aurait parvenu à globaliser le Droit américain. 

La technique des lois de blocage serait donc l'issue heureuse sur laquelle les forces devraient se concentrer pour restaurer la "souveraineté", puisque l'Europe avait été envahie, par surprise par quelques textes célèbres (FCPA) et quelques cas dont l'évocation (BNP) pour l'oreille française sonne comme un Waterloo. Le Droit de la Compliance ne serait donc qu'une morne plaine...

Mais est-ce ainsi que l'on doit appréhender la notion de souveraineté ? La question dite de "l'extraterritorialité du Droit de la Compliance" n'a-t-elle pas été totalement biaisée par la question, certes importante mais aux contours à la fois très précis et très spécifiques, des embargos qui n'a quasiment pas de rapport avec le Droit de la Compliance ?

La première chose à faire est donc d'y voir plus clair dans cette sorte de pugilat de l'extraterritorialité, en isolant la question des embargos des autres objets qui ne doivent pas appréciés de la même façon (I).

Cela fait, il apparaît que là où le Droit de la Compliance est requis, il faut que celui-ci soit effectivement indifférent au territoire : parce qu'il intervient là où le territoire, au sens très concret de la terre dans laquelle on s'ancre n'est pas présente dans la situation à régir, situation à laquelle nos esprits ont tant de mal à s'adapter et qui pourtant désormais est la situation la plus commune : finance, spatial, numérique. Si nous voulons que l'idée de civilisation y demeure, c'est-à-dire que la notion de "limite" y soit centrale. Or, la souveraineté est liée non pas à la toute-puissance, ce sont les petits-enfants qui croient cela, elle est au contraire liée à la notion de limites (II).

Or si la limite avait été naturellement donnée aux êtres humains par le territoire, le sol sur lequel nous marchons et la frontière sur laquelle nous butons et qui nous protège de l'agression, si la limite avait été naturellement donnée aux êtres humains par la mort et l'oubli dans lequel finit par tomber notre corps et notre imagination. En effet, la technologie efface l'une et l'autre de ces limites naturelles. Le Droit était le reflet même de ces limites, puisqu'il  était construit sur l'idée de vie et de mort, avec cette idée comme quoi par exemple l'on ne pouvait plus continuer à vivre après notre mort. La technologie numérique pourrait remettre en cause cela. De la même façon, notre Droit avait de la même façon "naturelle" reflété les frontières terrestres, puisque, le Droit international public étant du droit public interne, veillait à ce que chaque sujet souverain reste dans ses frontières terrestres et n'aille au-delà qu'avec l'accord des autres, le Droit international public organisant à la fois l'accueil amical de l'autre, par les traités et la diplomatie, comme l'entrée inamicale, par le Droit de la guerre, tandis que le Droit international privé accueille les Droits étrangers si un élément de rattachement est déjà présent dans la situation.

La complexité des règles et la subtilité des solutions ne modifient la solidité de cette base-là, rattachant toujours le Droit à la réalité matérielle des choses de ce monde qui sont nos corps, qui apparaissent et disparaissent et notre "être" avec eux, et la terre quadrillée par des frontières. Les frontières ont toujours été franchies, le Droit du commerce international n'étant qu'une traduction économique et financière de ce goût naturel des voyages qui ne remet pas en cause le territoire, les êtres humains passant de l'un à l'autre.

Mais le global est arrivé, non pas seulement dans ses opportunités, car l'on peut toujours renoncer au mieux, mais dans des risques globaux dont la naissance, le développement et le résultat ne sont pas maîtrisés et dont il n'est pas pertinent de ne songer qu'à réparer les dégâts car c'est éviter que les risques ne dégénèrent en catastrophe systémique qui est aujourd'hui l'enjeu. Que faire si le territoire se dérobe et si l'hubris saisit les êtres humains qui prétendraient que la technologie pourrait être les nouvelles ailes conduisant quelques fortunés vers le soleil de l'immortalité ? Nous pourrions aller vers un monde à la fois catastrophique et sans limite, deux qualificatifs que les penseurs classiques estimaient identiques.

Le Droit étant ce qui apporte de la mesure, c'est-à-dire des limites dans un monde qui par la technologie promet à quelques-uns la délivrance de toutes ces limites "naturelles", pourrait, par la nouvelle branche du Droit de la Compliance, insérer de nouveau des limites à un monde qui, sans cet apport, deviendrait démesuré, les uns pouvant disposer des autres sans aucune limite : ce faisant le Droits de la Compliance deviendrait alors un instrument de Souveraineté, en ce qu'il pourrait imposer des limites, non pas par impuissance mais au contraire par la force du Droit. C'est pourquoi il est si expressément lié au projet politique de "souveraineté numérique". 

Pour renouveler ce rapport entre le Droit et la Souveraineté, où l'Etat prend une nouvelle place, il faut penser de nouveaux principes. Il est ici proposé un nouveau principe : celui de la "proximité", qui doit être insérée dans le Droit Ex Ante et systémique qu'est le Droit de la Compliance. Ainsi inséré, le Principe de Proximité peut être défini d'une façon négative c'est-à-dire sans recourir à la notion de territoire et d'une façon positive c'est-à-dire poser comme étant "proche" ce qui est proche systémiquement, dans le présent et dans le futur, le Droit de la Compliance étant une branche du Droit systémique ayant pour objet l'Avenir. 

Ainsi, penser en termes de proximité consiste à concevoir cette notion comme principe systémique, qui renouvelle alors la notion de Souveraineté et fonde l'action des entités en position d'agir, c'est-à-dire les entreprises (III).

Si l'on pense la proximité non pas d'une façon territoriale, le territoire ayant une dimension politique forte mais pas une dimension systémique, mais que l'on pense la proximité systémique d'une façon concrète à travers les effets directs d'un objet dont la situation impacte immédiatement la nôtre (comme dans l'espace climatique, ou dans l'espace numérique), alors la notion de territoire n'est plus première et l'on peut s'en passer. 

Si l'idée d'humanisme devait enfin avoir quelque réalité, de la même façon qu'une entreprise "donneuse d'ordre" a un devoir de Compliance à l'égard de qui travaille pour elle, cela rejoint là encore la définition du Droit de la Compliance comme protecteur des êtres humains qui sont proches parce qu'internalisés dans l'objet que nous consommons. C'est bien cette technique juridique-là qui permet la transmission du droit d'action en responsabilité contractuelle avec la chose vendue. 

Dès lors, un Principe de Proximité active justifie l'action des entreprises pour intervenir, de la même façon que les Autorités publiques sont alors légitimes à les superviser dans l'indifférence du rattachement juridique formel, ce que l'on voit déjà dans l'espace numérique et dans la vigilance environnementale et humaniste.

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