21 avril 2021
Publications
► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Compliance et incitations : un couple à propulser", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les outils de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2021, p. 123-130.
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🚧lire le document de travail bilingue sur la base duquel cet article a été élaboré, doté de développements et de références techniques supplémentaires, ainsi que de liens hypertextes
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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les outils de la Compliance, dans lequel cet article est publié
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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) : La théorie dite des incitations vise les mécanismes qui n'ont pas recours directement à la contrainte. Elles auraient donc peu de place dans le Droit de la Compliance puisque celui-ci semble saturé par les procédures de sanction, obsédées par les sanctions, les autorités pour les prononcer, les entreprises pour les éviter. Les sanctions seraient l'opposé même de l'incitation, puisqu'elles sont la forme la plus extrême de l'obligation. Mais même s'il faut réaffirmer que cette attention faite aux sanctions cache l'importance de tous les mécanismes Ex Ante de compliance, il faut dans un premier temps penser les sanctions elles-mêmes doivent être pensées comme des incitations. Pensées comme des incitations, les sanctions se définissent alors comme des outils pour aboutir de la part des uns et des autres aux comportements désirés par ceux qui ont mis en place ces dispositifs. Le Droit, notamment la jurisprudence sensible aux buts monumentaux consacre de plus en plus cette définition des sanctions.
La contradiction entre sanction et incitation ayant disparu, le Droit de la Compliance n'étant donc plus menacé dans son unité, l'association apparaît comme naturelle entre les mécanismes incitatifs et cette nouvelle branche du Droit, dès l'instant que celle-ci est défini d'une façon dynamique. Ce lien par la définition doit être dégagé dans un deuxième temps. En effet si le Droit de la Compliance est défini en plaçant sa normativité juridique dans les "buts monumentaux" qu'il poursuit, comme la disparition de la corruption, la détection du blanchiment d'argent afin que disparaisse la criminalité qui lui est sous-jacente, ou comme la protection effective de l'environnement, ou le souci concret des êtres humains, alors ce qui compte c'est non pas les moyens en eux-mêmes mais la tension effective vers ces "buts monumentaux". Dès lors, ce qui relevait précédemment des politiques publiques menées par les États, parce que ceux-ci ne sont définitivement pas en mesure de le faire, la charge en est internalisée dans les entreprises qui sont en position de tendre vers ces buts : les "opérateurs cruciaux", parce qu'ils en ont la surface, les moyens technologiques, informationnels et financiers.
Dans cette perspective-là, l'internalisation de la volonté publique provoquant une scission avec la forme étatique liée à un territoire qui prive le Politique de son pouvoir de contrainte, les mécanismes incitatifs apparaissent comme le moyens le plus efficace pour atteindre ces buts monumentaux. Ils apparaissent comme ce moyen "naturel" à la fois négativement et positivement défini. Négativement en ce qu'ils ne requièrent pas en Ex Ante de sources institutionnelles nettement repérables et localisées, pas plus qu'ils ne requièrent davantage en Ex Post de pouvoir de sanction : il suffit de substituer l''intérêt à l'obligation. Positivement les incitations relaient à travers les stratégies des opérateurs ce qui était la forme si souvent critiquée et moquée de l'action publique : le "plan". La durée est ainsi injectée grâce au mécanisme de la Compliance, comme l'on le voit à travers le développement de celle-ci dans le souci de l'environnement ("plan Climat"), ou à travers le mécanisme de l'éducation, laquelle ne se conçoit que dans la durée.
Pourtant l'opposition paraît radicale entre Droit de la Compliance et Incitations. Cela tient à trois convictions souvent développées et qu'il faut dépasser. En premier lieu l'idée que d'une façon générale il n'y aurait de Droit que s'il y a un mécanisme de contrainte immédiate qui est attachée à la norme. Dès lors que l'incitation ne reposerait pas sur l'obligation, alors elle ne serait rien... En deuxième lieu, et comme si cela était une sorte de consolation..., la Compliance non plus ne serait pas non plus vraiment du Droit... On dit si souvent qu'il ne s'agit que d'une méthodologie, un ensemble de process sans sens, des procédures à suivre sans chercher à comprendre, process que les algorithmes intègrent dans une mécanique sans fin et sans sens, ou qu'au contraire la Compliance serait emplie de sens par l'Ethique et la Morale, lesquelles sont loin du Droit. Tandis que les incitations s'adressent à l'esprit humain qui calcule, la Compliance serait donc soit un process par lequel les machines se connecteraient à d'autres machines, donc un supplément d'âme, là où le calcul n'a pas lieu d'être ... En troisième lieu, les solutions seraient à trouver dans le Droit de la concurrence, parce qu'il peut se passer des États, les soumettre et appréhender ce qui est a-sectoriel, notamment la finance et le numérique, le monde étant désormais financiarisé et numérisé. La violence du Droit de la concurrence, qui remonte dans l'Ex Ante grâce à des "sanctions de compliance" en appliquant notamment le droit des facilités essentielles, en continuant à nier la pertinence de la durée et en prenant comme souci la "puissance de marché", serait également incompatible avec un couplage avec des mécanismes incitatifs qui reposent sur de la durée et de la puissance de ceux auxquels ils s'appliquent, convergeant vers des buts, lesquels sont arrêtés par ce que le Droit de la concurrence a pour objet d'ignorer : le projet. Ce projet qui prétend construire le futur est pourtant celui du Politique et celui de l'entreprise, qui utilisent leur puissance déployée dans le temps pour le concrétiser. C'est sans doute que se joue l'avenir de l'Europe.
Pour dépasser cette triple difficulté, il faut donc dans un troisième temps relever les modifications de régime juridique apporté au Droit économique par le Droit de la Compliance, en ce que cette nouvelle branche est autonome du Droit de la Concurrence, voire et parfois son opposé, pour que l'insertion des mécanismes incitatifs permettent à des organisations, parfois méconnues ou contrées par le Droit de la Concurrence, d'atteindre des "buts monumentaux" auxquels il est impératif aujourd'hui de prétendre. Par exemple la prise en main des enjeux de climat ou la construction d'une industrie souveraine de la donnée. Cela est posé expressément par la Commission européenne, qui supervise de telles initiatives, la Supervision étant ce qui s'articule avec la Compliance, dans un nouveau couple qui prolonge la Régulation, remplace en Ex Ante le Droit de la Concurrence, branche pertinente pour l'Ex Post. Tous les textes qui sont en train de l'exprimer reposent sur ce couple reformé : Compliance et Incitation.
Ce couple suppose que l'on reconnaisse en tant que telle l'existence des entreprises en tant qu'elles portent un projet, qui est autre que la création de richesses marchandes circulant sur un marché, qui peut être un projet industriel propre à une zone géographique à la fois économique et politique. La Régulation se déploie pour d'une part se détacher de la notion de secteur et d'autre part se transformer en supervision des entreprises cruciales dans la correspondance entre le projet et l'action, ce qui renvoie à la notion de "plan". En cela la supervision bancaire n'est que le bastion avancé de tous les plans thématiques, énergétiques, climatiques et sanitaires, ou plus largement industriels et technologiques pouvant par incitation être mis en place, cette conception de la Compliance permettant de bâtir des zones qui ne soient pas réduites à l'échange marchand instantané. L'incitation correspond au fait que le Droit de la Compliance s'appuie sur la puissance de l'entreprise pour atteindre ses propres buts politiques, par exemple lutter contre la désinformation dans l'espace numérique ou obtenir un environnement sain. Cela suppose que la Compliance cesse de n'être conçue que comme un mode d'effectivité des règles, par exemple du Droit de la concurrence, pour être reconnue comme une branche substantielle du Droit. Une branche qui exprime des buts politiques. Une branche qui s'ancre dans les entreprises cruciales dont elle reconnait l'autonomie par rapport aux marchés. Ce qui permet, notamment par le couplage avec les mécanismes incitatifs amenant à des fonctionnements collaboratifs à long terme supervisés par des autorités publiques, à n'être pas régis par le simple Droit de la concurrence, inapt à concrétiser des projets.
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21 avril 2021
Publications
► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Les droits subjectifs, outils premiers et naturels du Droit de la Compliance", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les outils de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2021, pp. 301-323.
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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) : Dans la conception traditionnelle de l'architecture des secteurs régulés par le Droit et dans le Droit de la Compliance qui prolonge les techniques étatiques de Régulation, les droits subjectifs ont peu de place. Mais cette configuration n'a plus lieu, au contraire les droits subjectifs sont aujourd'hui au cœur, et le seront de plus en plus. Ils sont et seront les outils premiers du Droit de la Compliance parce qu'ils constituent un "outil" d'une grande efficacité pour assurer le fonctionnement entier d'un système dont les buts sont si difficiles à atteindre. Parce qu'il faut faire feu de tout bois pour concrétiser ces buts, les Autorités publiques non seulement s'appuient sur la puissance des opérateurs cruciaux, mais encore distribuent des prérogatives aux personnes qui, ainsi incitées, activent le système de Compliance et participent à la réalisation du "but monumental". Les droits subjectifs peuvent s'avérer les outils les plus efficaces pour atteindre effectivement les buts fixés, à tel point qu'on peut les considérer comme des "outils premiers".
Mais il convient d'avoir plus de prétention et de concevoir les droits subjectifs comme les outils les plus "naturels" du droit de la Compliance. En effet parce que tous les Buts Monumentaux par lesquels le Droit de la Compliance se définit peuvent se ramener à la protection des personnes, c'est-à-dire à l'effectivité de leurs prérogatives, par un effet de miroir entre les droits subjectifs donnés comme moyens par le Droit aux personnes et les droits subjectifs qui constituent le but même de tout le Droit de la Compliance, notamment la protection de tous les êtres humains, même s'ils sont en situation de grande faiblesse, les droits subjectifs devenant un "outil naturel" du Droit de la Compliance. Nous ne sommes qu'à l'orée de leur déploiement et c'est sans doute sur eux que pourra se réguler l'espace digital dans lequel désormais nous vivons, afin que nous n'y soyons pas étouffés et qu'il constitue pour les personnes un espace civilisé.
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21 avril 2021
Publications
► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "La formation : contenu et contenant de la Compliance", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les outils de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2021, p. 227-244.
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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation and Compliance) : Au premier titre, en tant que la formation est un outil spécifique de Compliance, elle est supervisée par les Régulateurs. Elle devient même obligatoire lorsqu'elle est contenue dans des programmes de Compliance. Puisque l'effectivité et l'efficacité sont des exigences juridiques, quelle est alors la marge des entreprises pour les concevoir et comment en mesure-on le résultat ?
Au second titre, tant que chaque outil de Compliance comprend, et de plus en plus, une dimension éducative, l'on peut reprendre chacun d'entre eux pour dégager cette perspective. Ainsi même les condamnations et les prescriptions sont autant de leçons, de leçons données, de leçons à suivre. La question est alors de savoir qui, dans ce Droit si pédagogique, sont les "instituteurs" ?
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21 avril 2021
Publications
► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Décrire, concevoir et corréler les outils de la Compliance, pour en faire un usage adéquat", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les Outils de la Compliance, coll. Régulations & Compliance, Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2021, p. 3-24.
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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les outils de la Compliance, dans lequel cet article est publié
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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) : L'article constitue l'introduction générale de l'ouvrage sur Les outils de la Compliance. Dans sa première partie il développe la problématique d'ensemble de ceux-ci. Dans sa seconde partie, il présente chacune des contributions, replacée dans la construction d'ensemble de l'ouvrage.
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21 avril 2021
Publications
► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Approche juridique des outils de la Compliance. Construire juridiquement l'unité des outils de la Compliance à partir de la définition du Droit de la Compliance par ses "buts monumentaux"", in M.-A. Frison-Roche, (dir.), Les outils de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2021, p. 27-38.
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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) : Les "outils de la compliance" ne s'empilent pas les uns sur les autres. Ils forment un système grâce à une unité puisée dans les buts que tous ces multiples et différents outils servent : les "buts monumentaux" par lesquels le Droit de la Compliance se définit.
Tous les outils sont configurés par ces buts et pour maîtriser toutes ces techniques, il est indispensable de les mettre tous en perspective de ce qu'est le Droit de la Compliance, lequel est conçu téléologiquement au regard de ses buts. Le Droit de la Compliance étant le prolongement du Droit de la Régulation, il est comme lui construit sur un équilibre entre le principe de concurrence et d'autres soucis que les Autorités publiques ont la prétention de prendre en charge. Le Droit de la Compliance a d'ailleurs plus de "prétention" à ce titre, par exemple en matière environnementale. Tous les moyens sont alors bons, la violence des outils se mariant sans difficulté avec les engagements volontaires puisque ce sont les buts qui gouvernent la matière.
Comme le montre le droit positif, il en résulte une méthode d'interprétation et des niveaux de contrainte communs à tous les outils de Compliance. Partant des buts, dans lesquels la normativité juridique est logée, l'interprétation des différents outils est ainsi unifiée. Plus encore, les différents degré de contrainte ne s'opèrent pas selon la considération des sources (critère juridique traditionnel) mais par les buts, selon la distinction juridique entre les obligations de moyens et les obligations de résultats qui résultent de l'articulation entre les outils, dont l'établissement est une obligation de résultat et le but dont l'atteinte n'est qu'une obligation de moyens.
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21 avril 2021
Publications
► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Résoudre la contradiction entre "sanction" et "incitation" sous le feu du Droit de la Compliance", in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les outils de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2021, p. 89-98.
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🚧lire le document de travail bilingue sur la base duquel cet article a été élaboré, doté de développements et de références techniques supplémentaires, ainsi que de liens hypertextes
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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Les outils de la Compliance, dans lequel cet article est publié
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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation and Compliance) : Compliance et Incitations paraissent à première vue totalement opposées. Pour deux raisons majeures. En premier lieu, parce que les sanctions ont une place centrale dans le Droit de la Compliance et que les incitations supposent une absence de contrainte sur les opérateurs. En second lieu, parce que les incitations ont lien avec l'autorégulation et que le Droit de la Compliance suppose une présence forte des Autorités publiques. Ainsi, il faudrait choisir : soit Compliance, soit Incitations ! Soit l'efficacité de l'une, soit l'efficacité des autres ; soit les techniques de l'une, soit les techniques de l'une, soit les techniques des autres ; soit la philosophie de l'une, soit la philosophie de l'autre. Se résigner à la déperdition qu'un tel choix nécessaire impliquerait. Mais poser les termes ainsi revient à penser pauvrement les situations et à réduire les champs des solutions qu'elles appelles. Si l'on reprend une définition riche du Droit de la Compliance, l'on peut au contraire articuler Compliance et Incitations. Dans cette perspective, les sanctions peuvent devenir non plus ce qui bloque l'usage des incitations mais au contraire ce qui en constitue le terrain. Plus encore le couplage entre les Incitations et les exigences du Droit de la Compliance doit être fortement encouragé, dès l'instant que les Autorités publiques supervisent en Ex Ante toutes les initiatives prises par les "opérateurs cruciaux".
Cet article porte sur le premier enjeu En effet, la théorie dite des incitations vise les mécanismes qui n'ont pas recours directement à la contrainte. Elles auraient donc peu de place dans le Droit de la Compliance. Mais celui-ci semble saturé par les procédures de sanction. L’on peut même dire qu’il semble les mettre au centre, les Autorités publiques présentant le nombre de sanction comme étant un signe de succès, tandis que les entreprises semblent obsédées par leur perspectives, les deux soucis finissant par une si étrange convergence que sont les Conventions Judiciaires d’Intérêt Public.
L’observateur honnête ne peut qu’être immédiatement mal à l’aise. En effet, il ne peut que relever la définition de la sanction comme une « contrainte » déclenchée Ex Post , au cœur même d’un Droit de la Compliance qui se présente comme un ensemble de mécanismes Ex Ante. A partir de cette contradiction dans les termes, faudra-t-il renoncer à l’association et penser que cela serait une faute contre l’esprit que de penser la sanction comme une incitation ?
C’est sans doute à ce propos que l’on perçoit le plus nettement le choc de deux cultures, qui ne communiquent pas, alors que techniquement elles s’appliquent aux mêmes situations. En effet, parce que la Compliance a été pensée par la Finance, tout lui est outil. Dès lors, la tendance à ne penser la sanction que comme une incitation est très forte en Droit de la Compliance, se manifeste continûment et ne s’arrêtera pas (I). Mais quelques soient les raisons de la concevoir ainsi, les principes de l’Etat de Droit ne peuvent pas disparaître et si l’on ne veut pas qu’ils s’effacent, alors il faut les articuler (II). C’est un jeu essentiel (II).
C’est pourquoi l’on peut dire littéralement que la Compliance a mis le feu au Droit pénal par sa conception, logique mais close sur elle-même, des sanctions comme simples incitations. Pour que le Droit pourtant demeure, il faut tenir une définition très ferme du Droit de la Compliance centré sur son But Monumental qu’est la protection de la personne.
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21 mars 2021
Publications
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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, 4 cas pratiques pour éprouver le couple Sécurité juridique /Insécurité juridique face à une crise économique, document de travail, mars 2021.
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🖥️ Ce document de travail a été élaboré pour servir de base à une conférence se tenant le 22 mars à la Cour de cassation sur le thème de l'Insécurité juridique en cas de situation exceptionnelle, notamment en cas de crie économique : voir la présentation de la conférence et sa vidéo.
Il a été fait plutôt que de renoncer à faire cette conférence. Ce qui aurait été le résultat d'un "effet domino".
Quasiment le sujet même de cette conférence.
En effet, il a été élaboré sur page blanche en remplacement d'un premier document de travail, élaboré en février 2021, et non encore fini lorsque l'incendie qui s'est déclenché dans la nuit du 9 au 10 mars 2021 dans les entrepôts d'OVH a fait disparaître de très nombreux sites. Soit temporairement, soit définitivement. Suivant que les sites et leur sauvegarde avaient été situés dans tel ou tel bâtiment.
La perspective d'une possible sauvegarde de la sauvegarde de ce présent fût évoquée et la possible restauration du site envisagée par OVH pour le 22 mars, le jour même du colloque.
La sauvegarde des sauvegardes n'étant pas acquise, le document de travail initial n'étant pas achevé, j'ai choisi de reprendre le sujet sous un autre angle.
Car s'il est vrai que pouvoir accéder à sa documentation et sa bibliothèque, lesquelles sont sur mon site, est une bonne assise pour produire quelque chose, réfléchir sans cela est une méthode, ici contrainte, qui est également recevable.
Il suffit de regarder autour de soi.
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📝 lire l'article alimenté par ce document de travail : "Instaurer l'insécurité juridique comme principe, outil de prévention des crises systémiques catastrophiques totales", 2023.
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🔓Lire les développements ci-dessous ⤵️
25 février 2021
Publications
Référence complète : Frison-Roche, M.-A., La "crise économique", la concevoir et intégrer ouvertement de l'insécurité juridique. Comment la concevoir ? Quel régime juridique concevoir pour une insécurité juridique admise, voire requise ?
Ce document de travail a été élaboré pour servir de base à une intervention : L'avenir de la notion d'insécurité juridique au regard du traitement des situations extraordinaires : crise économique, dans le colloque "Insécurité juridique : émergence d'une notion ?, Cour de cassation, 22 mars 2021, Paris.
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"whatever it takes"
A un moment, le maître se lève. Si la position royale est la position assise lorsque, pondéré, il écoute et juge, c'est en se levant qu'il montre son acceptation d'être aussi le maître parce qu'il est en charge de plus et qu'il fera usage de tout pour gagner.
A situation financière exceptionnelle, tous les moyens de politique monétaire sont donc bons. C'est ce qui fût dit. Sans aucune limite. Et ce ne n'est pas un principe comme celui de la sécurité juridique, ayant permis à des personnes de jouer de leurs droits, par exemple celui de spéculer, d'engranger par avance des prérogatives sur la situation de demain, qui aurait pu empêcher cette puissance de jure permettant de sauver l'Europe. Car à prendre littéralement la formule, même si c'est au prix des droits acquis et des règles précédemment posées qu'il aurait valu payer, s'il avait valu faire page blanche pour en écrire de toutes nouvelles pour sauver l'Europe, la plume de Draghi les aurait tracées sans s'arrêter à cela. Ainsi, par une telle formule c'est par la Grande Porte, celle de la crise économique et financière, que l'insécurité juridique est entrée dans le Droit.
Dans le cas de la crise de 2008, la parole suffît puisque la perspective d'une intervention sans limite du pouvoir monétaire sans limite de la Banque centrale fit que les agissements spéculatifs dévastateurs ne déferlèrent pas. Avoir levé la règle de Droit en ce qu'elle suppose la limite en affirmant qu'il y aurait prévalence absolue du but, suffît donc en Ex Ante pour que la crise ultime ne s'ouvre pas. Cet épisode, digne d'Homère, suffit à éclairer l'insécurité juridique par une de ses dimensions lorsqu'elle est non seulement admissible mais requise : elle peut constituer un acte héroïque.
Dans une telle perspective, plutôt que de laisser l'insécurité juridique dans l'ombre ce qui ne serait qu'une sorte d'imperfection (parce que l'insécurité juridique ne serait donc que l'imperfection de la sécurité juridique), par l'idée par le "légalisme" devrait avoir des limites, que "le Droit n'est pas tout" et qu'il faudrait savoir "fermer les yeux"..., il faudrait plutôt assumer de dire que certaines circonstances il faut dire haut et fort, c'est-à-dire le dire de jure , l'insécurité juridique est légitime, licite, conforme à la hiérarchie des normes juridiques.
En cela, dessiner le concept positif de l'insécurité juridique (ce qui ne peut que plaire aux hégéliens), accroît la sécurité juridique : ainsi cela permet d'associer aux hypothèses d'insécurité juridique un régime juridique plus clair. En effet, plutôt que de mettre sous le tapis le Droit, ce qui explique bien des tensions entre le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat d'une part et le Législateur et le Gouvernement d'autre part concernant "l'Etat d'urgence", l'on pourrait disposer des conditions dans lesquelles l'insécurité juridique permet d'écarter ou de limiter des règles.
Il est posé comme hypothèse qu'à l'avenir une certaine doser d'insécurité juridique pourrait être ouvertement admise : cela serait donc juridiquement conçu, le Droit gagnant toujours avancer à visage découvert. Même si l'on apprécie la "flexibilité" du Droit, il est toujours dangereux en Droit d'affirmer appliquer des règles tout en ne les appliquant pas.
L'idée proposée est donc que dans des "situations extraordinaires", l'insécurité juridique serait une dimension, voire un principe admissible. Et développant ce premier point il est proposé que l'hypothèse d'une "crise économique" justifie une dimension, voire un principe d' "insécurité juridique".
Mais cette première affirmation est à éprouver. En effet, une crise économique, notion qu'il convient de définir, si elle doit avoir un effet si majeur de retournement, est-elle une "situation" si extraordinaire que cela ?
En outre, pour traiter cette situation extraordinaire que constitue une "crise économique", quelle dose d'insécurité juridique serait juridiquement admissible, voire pourrait être juridiquement revendiquée ? Voire pourrait-on concevoir un renversement de principe qui conduirait le Droit applicable à une crise économique sous l'égide de l'insécurité juridique ?
Dans un tel cas, la question qui se pose alors est de déterminer les conditions et les critères de la sortie de la crise économique, voire de déterminer les éléments de perspective d'une crise économique, qui pourrait justifier par avance l'admission d'injection d'insécurité juridique. Le Droit a avant tout maîtriser sur le temps futur.
En amont, sur la mise en perspective de l'affirmation d'Emmanuel Macron du 12 mars 2020 par rapport à l'affirmation de Mario Draghi : Laurent, R., Les Echos, 13 mars 2020, qui estime que le Pouvoir politique prend distance par rapport à la formulation choisie le matin même par Christine Lagarde, mais on peut aussi estimer qu'un chef d'Etat n'a jamais la même position face à une crise que celle d'un Banquier central (voir aussi la formule utilisée par la présidente de la Commission européenne le 10 mars, qui se réfère à l'usage de "tous les outils disponibles"). En aval, sur l'explicitation de la formule, Emmanuel Macron qui lie crise sanitaire, crise économique et crise politique, 31 janvier 2021.
Pour une perspective plus simplement financière, qui s'exprime du coup par une autre formule : Whatever it costs, v. Benassy- Quéré, A., What ever it costs, how much is it? 27 février 2021.
8 février 2021
Publications
► Référence complète : Frison-Roche, M.-A., L'invention de la vigilance : un terme nouveau pour une Responsabilité en Ex Ante, Document de travail, février 2021.
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Ce document de travail sert de base à une conférence donnée à Oslo le 9 février 2021.
Pour aller plus loin, ➡️La Responsabilité Ex Ante, 2022
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Lire ci-dessous le document de travail⤵️
6 janvier 2021
Publications
Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Environnemental Compliance Law, as an Ex Ante Responsability, for an annexe in a French Report on the liability for the environmental Damages, for the European Commission, janvier 2021.
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Mise à jour : 24 décembre 2020 (Rédaction initiale : 15 juillet 2020 )
Publications
Ce document de travail a tout d'abord servi de base à la première des conférences faites dans le colloque qui s'est tenu sous la direction scientifique de Lucien Rapp, Les incitations, outils de la Compliance, le 12 décembre 2019, à Toulouse,
Cette première a porté sur le thème de la sanction comme incitation, tandis que la seconde en synthèse de ce colloque a porté plus globalement sur le sujet : Incitations et Droit de la Compliance.
Il a ensuite servi de base à un article dans l'ouvrage Les outils de la Compliance, dans la collection Régulations & Compliance.
Lire une présentation générale de cet ouvrage.
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Introduction et Résumé du document de travail : Compliance et Incitations paraissent à première vue totalement opposées. Pour deux raisons majeures. En premier lieu, parce que les sanctions ont une place centrale dans le Droit de la Compliance et que les incitations supposent une absence de contrainte sur les opérateurs. En second lieu, parce que les incitations ont lien avec l'autorégulation et que le Droit de la Compliance suppose une présence forte des Autorités publiques. Ainsi, il faudrait choisir : soit Compliance, soit Incitations ! Soit l'efficacité de l'une, soit l'efficacité des autres ; soit les techniques de l'une, soit les techniques de l'une, soit les techniques des autres ; soit la philosophie de l'une, soit la philosophie de l'autre. Se résigner à la déperdition qu'un tel choix nécessaire impliquerait. Mais poser les termes ainsi revient à penser pauvrement les situations et à réduire les champs des solutions qu'elles appelles. Si l'on reprend une définition riche du Droit de la Compliance, l'on peut au contraire articuler Compliance et Incitations. Dans cette perspective, les sanctions peuvent devenir non plus ce qui bloque l'usage des incitations mais au contraire ce qui en constitue. Plus encore le couplage entre les Incitations et les exigences du Droit de la Compliance doit être fortement encouragé, dès l'instant que les Autorités publiques supervisent en Ex Ante toutes les initiatives prises par les "opérateurs cruciaux".
Ce document de travail porte sur le premier enjeu En effet, la théorie dite des incitations vise les mécanismes qui n'ont pas recours directement à la contrainte. Elles auraient donc peu de place dans le Droit de la Compliance. Mais celui-ci semble saturé par les procédures de sanction. L’on peut même dire qu’il semble les mettre au centre, les Autorités publiques présentant le nombre de sanction comme étant un signe de succès, tandis que les entreprises semblent obsédées par leur perspectives, les deux soucis finissant par une si étrange convergence que sont les Conventions Judiciaires d’Intérêt Public.
L’observateur honnête ne peut qu’être immédiatement mal à l’aise. En effet, il ne peut que relever la définition de la sanction comme une « contrainte » déclenchée Ex Post , au cœur même d’un Droit de la Compliance qui se présente comme un ensemble de mécanismes Ex Ante. A partir de cette contradiction dans les termes, faudra-t-il renoncer à l’association et penser que cela serait une faute contre l’esprit que de penser la sanction comme une incitation ?
C’est sans doute à ce propos que l’on perçoit le plus nettement le choc de deux cultures, qui ne communiquent pas, alors que techniquement elles s’appliquent aux mêmes situations. En effet, parce que la Compliance a été pensée par la Finance, tout lui est outil. Dès lors, la tendance à ne penser la sanction que comme une incitation est très forte en Droit de la Compliance, se manifeste continûment et ne s’arrêtera pas (I). Mais quelques soient les raisons de la concevoir ainsi, les principes de l’Etat de Droit ne peuvent pas disparaître et si l’on ne veut pas qu’ils s’effacent, alors il faut les articuler (II). C’est un jeu essentiel (II).
C’est pourquoi l’on peut dire littéralement que la Compliance a mis le feu au Droit pénal par sa conception, logique mais close sur elle-même, des sanctions comme simples incitations. Pour que le Droit pourtant demeure, il faut tenir une définition très ferme du Droit de la Compliance centré sur son But Monumental qu’est la protection de la personne.
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Lire ci-dessous les développements.
Mise à jour : 21 décembre 2020 (Rédaction initiale : 11 décembre 2019 )
Publications
Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Compliance et Incitation : un couple à propulser par la notion de "Compliance incitative", document de travail, décembre 2019.
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Ce document de travail a tout d'abord servi de base à la conférence ayant constitué l'intervention finale dans le colloque qui s'est tenu sous la direction scientifique de Marie-Anne Frison-Roche et Lucien Rapp, Les incitations, outils de la Compliance, le 12 décembre 2019, à Toulouse.
(voir le premier document de travail, sous-jacent au thème de l'articulation entre la sanction et l'incitation)
Il a ensuite servi de base à un article dans l'ouvrage Les outils de la Compliance, dans la collection Régulations & Compliance.
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Introduction et Résumé du document de travail :
Compliance et Incitations paraissent à première vue totalement opposées. Non seulement parce que les sanctions sont au cœur de la Compliance et qu’à la sanction l’on associe la contrainte alors qu’à l’incitation l’on associe la non-contraint
Pour cela, il convient développer la notion de « Compliance incitative ». Non seulement il le convient mais il est particulièrement adéquate dans une nouvelle conception de la souveraineté. Par exemple pour l’Europe.
. Comme pour les sanction là encore Compliance et Incitations paraissent pourtant à première vue totalement opposées. Puisque les incitations supposent une absence de contrainte sur les opérateurs, les incitations ont lien avec l'autorégulation et que le Droit de la Compliance suppose une présence forte des Autorités publiques.
Il est vrai que la théorie dite des incitations vise les mécanismes qui n'ont pas recours directement à la contrainte. Mais de la même façon que l’on peut articuler « sanction » et « incitation » si l’on définit le Droit de la Compliance par ses But Monumentaux », de la même façon l’on peut penser plus efficacement les relations entre les Autorités publiques et les entreprises à travers une notion ici proposée : la « Compliance Incitative ». Pour cela, il est essentiel de partir d’une définition dynamique du Droit de la Compliance par ses buts monumentaux. En effet si le Droit de la Compliance est défini en plaçant sa normativité juridique dans les "buts monumentaux" qu'il poursuit, comme la disparition de la corruption, la détection du blanchiment d'argent afin que disparaisse la criminalité qui lui est sous-jacente, ou comme la protection effective de l'environnement, ou le souci concret des êtres humains, alors ce qui compte c'est non pas les moyens en eux-mêmes mais la tension effective vers ces "buts monumentaux". Dès lors, ce qui relevait précédemment des politiques publiques menées par les États, parce que ceux-ci ne sont définitivement pas en mesure de le faire, la charge en est internalisée dans les entreprises qui sont en position de tendre vers ces buts : les "opérateurs cruciaux", parce qu'ils en ont la surface, les moyens technologiques, informationnels et financiers.
Dans cette perspective-là, l'internalisation de la volonté publique provoquant une scission avec la forme étatique liée à un territoire qui prive le Politique de son pouvoir de contrainte, les mécanismes incitatifs apparaissent comme le moyens le plus efficace pour atteindre ces buts monumentaux qui expriment la souveraineté. Ils apparaissent comme ce moyen "naturel" à la fois négativement et positivement défini. Négativement en ce qu'ils ne requièrent pas en Ex Ante de sources institutionnelles nettement repérables et localisées, pas plus qu'ils ne requièrent davantage en Ex Post de pouvoir de sanction : il suffit de substituer l''intérêt à l'obligation. Positivement les incitations relaient à travers les stratégies des opérateurs ce qui était la forme si souvent critiquée et moquée de l'action publique : le "plan". La durée est ainsi injectée grâce au mécanisme de la Compliance, comme l'on le voit à travers le développement de celle-ci dans le souci de l'environnement ("plan Climat"), ou à travers le mécanisme de l'éducation, laquelle ne se conçoit que dans la durée.
Ce projet qui prétend construire le futur est pourtant celui du Politique et celui de l'entreprise, qui utilisent leur puissance déployée dans le temps pour le concrétiser. C'est sans doute que se joue l'avenir de l'Europe.
En effet ce n’est en rien parce que les entreprises et les individus sont moteurs pour atteindre les buts monumentaux qui fondent et définissent le Droit de la Compliance que les Autorités publiques ne sont pas non plus au centre : elles le sont, et d’une façon nécessaire, puisqu’elles supervisent tout le système initié et conduit par les premiers, supervisant la façon dont ils tendent vers la concrétisation des buts monumentaux (I).
Le Politique exprime des prétentions en formulant des "buts monumentaux". Les entreprises par leurs organisations et leurs actions, les individus par leurs droits
Ainsi ce qu'il convient de désigner comme la "Compliance incitative", en facilitant des initiatives développées dans et par des entreprises, permet des projets qui se développent dans le temps - comme pouvaient le faire les entreprises publiques- dans des espaces peu atteignables, que sont le numérique et la finance (I). Pus encore, peuvent naître des projets industriels, suscités par la Compliance et coordonnées par elle, notamment dans l'espace européen (II). Dans cette perspective de "Compliance incitative", la Régulation directe fait place à une Supervision, tenue par des Autorités publiques, ce qui débouche notamment sur une Europe qui peut ainsi être souveraine alors même que ne peut se constituer un Etat souverain (III).
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Lire ci-dessous les développements ⤵
Voir cette question analysée d’une façon autonome, Frison-Roche, M.A., Résoudre la contradiction entre « sanction » et « incitation » sous le feu du Droit de la Compliance, 2020.
Frison-Roche, M-A., Les droits, outils premiers et naturels, de la Compliance, 2020.
8 décembre 2020
Publications
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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "La compliance", in J.-B. Racine (dir.), Le droit économique au XXIe siècle. Notions et enjeux, LGDJ, coll. "Droit & Économie", 2020, pp. 97-108
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🚧lire le document de travail bilingue sur la base duquel cet article a été élaboré, doté de développements supplémentaires, de références techniques et de liens hypertextes
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📕consulter une présentation générale de l'ouvrage, Le droit économique au XXIe siècle. Notions et enjeux, dans lequel cet article est publié
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📚consulter la présentation des autres ouvrages de cette collection, fondée et dirigée par Marie-Anne Frison-Roche
► Résumé de l'article :
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Mise à jour : 3 décembre 2020 (Rédaction initiale : 15 juillet 2020 )
Publications
► Référence générale : Frison-Roche, M.-A., Les droits subjectifs, outils premiers et naturels du Droit de la Compliance, document de travail, juillet 2020.
Ce document de travail sert de base à un article paru ultérieurement dans l'ouvrage Les outils de la Compliance.
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Il fut un temps où les techniques de Régulation n'étaient avant tout que des calculs de la meilleure tarification, repris par des entreprises en monopole, tandis que les techniques de Compliance n'étaient qu'obéissance aux prescriptions qui nous régissent. Tout cela pouvait donc n'être affaires de règles à calcul et de badines, maîtrisées par des ingénieurs et n'être constitué que de réflexes mécaniques de "conformité" à toutes sortes de règles grâce au corset qui assure que chacun soit plié devant celles-ci
Les systèmes ont depuis évolué pour intégrer ces prérogatives de chaque personne : les droits subjectifs. Cette évolution est-elle vraiment acquise ? Sans doute plus effectivement dans le Droit de la Régulation que dans son prolongement qu'est le Droit de la Compliance. Cela peut étonner puisque le Droit de la Compliance, en ce qu'il prolonge le Droit de la Régulation dans les entreprises devrait au contraire favoriser les droits subjectifs en rencontrant l'entreprise, laquelle est un groupement de personnes....
En outre, si la Régulation fait depuis longtemps l'objet d'une branche du Droit dans laquelle les droits ont pleine place
Cela serait donc comme à regret, et sans doute parce que quelques juridictions constitutionnelles attachent encore quelque prix à des droits fondamentaux que les systèmes de conformité des comportements aux règles font quelques places aux prérogatives des personnes, à leurs droits subjectifs premiers. L'on dit parfois que cette concession fait partie des coûts. Cela serait donc comme par un "forçage" que les droits subjectifs existeraient dans les systèmes de compliance, une sorte de prix que l'efficacité de la Compliance doit verser en tribut à l'Etat de Droit
Si, dans une définition pauvre, l'on admettait que la Compliance ne soit que cette "conformité", débouchant sur un paysage dans lequel les comportements des personnages s'ajustent aux règles gouvernant les situations, la Compliance n'étant que la façon la plus "efficace" d'assurer l'application des règles, dans une perspective mécanique du Droit, alors il faudrait effectivement réduire les prérogatives des personnes à une part congrue, car tout "surcoût" a vocation à disparaître, même s'il est ici produit par les exigences constitutionnelles. Dans la bataille qui s'annonce entre l'efficacité d'application des règles et le souci des prérogatives juridiques des personnes, lesquelles devraient avant tout obéir et non pas revendiquer leurs droits, - surtout lorsqu'il s'agit de leur droit à ne pas obéir ou de leur droit à garder des secret dans des techniques de Compliance qui reposent sur la centralisation des informations -, l'efficacité de l'efficacité ne pourrait que, par la puissance même de cette tautologie, l'emporter
La défaite pourrait n'être pourtant pas totale; la collaboration serait encore possible et active entre des personnes se prévalant de leurs droits subjectifs et le Droit de la Compliance. En effet, par de nombreux aspects, si les droits subjectifs ont été reconnus dans les systèmes de Compliance, c'est non seulement parce que le Droit de la Compliance, comme toute branche du Droit, ne peut se déployer que dans le respect des droits fondamentaux gardés par les textes juridiques fondamentaux, mais aussi en raison de l'efficacité des droits subjectifs comme "outils de Compliance".
C'est parce qu'ils constituent un "outil" d'une grande efficacité pour assurer le fonctionnement entier d'un système dont les buts sont si difficiles à atteindre, parce qu'il faut faire feu de tout bois pour concrétiser ces buts, que les Autorités publiques non seulement s'appuient sur la puissance des opérateurs cruciaux, mais encore distribuent des prérogatives aux personnes qui, ainsi incitées, activent le système de Compliance et participent à la réalisation des "But Monumentaux". Les droits subjectifs peuvent s'avérer être les outils les plus efficaces pour atteindre effectivement les buts fixés, à tel point qu'on peut les considérer comme des "outils premiers" (I).
Mais il convient d'avoir plus de prétention, voire de renverser la perspective. En effet, parce que tous les Buts Monumentaux par lesquels le Droit de la Compliance se définit peuvent se ramener à la protection des personnes, c'est-à-dire à l'effectivité de leurs prérogatives! S'opère alors un effet de miroir entre les droits subjectifs donnés par le Droit aux personnes et les droits subjectifs qui constituent le but même de tout le Droit de la Compliance, notamment la protection de tous les êtres humains, même s'ils sont en situation de grande faiblesse. Dans cette perspective plus ambitieuse, les droits subjectifs deviennent un "outil naturel" du Droit de la Compliance (II).
Contre cela, la critique radicale, savante et fondée d'Alain Supiot, dans l'ensemble de son oeuvre et plus particulièrement dans La gouvernance par les nombres, 2015.
Sur la définition de l'entreprise comme un groupe de personnes qui se réunissent pour entreprendre, v. le travail de référence d'Alain Supiot, par exemple son article d'introduction "L'entreprise face au marché total", dans l'ouvrage qu'il a dirigé L'entreprise dans un monde sans frontières. Perspectives économiques et juridiques, 2015
Si l'entreprise pouvait renaître comme idée de cristallisation d'une idée commune entre des personnes, naturellement titulaires de droits subjectifs, exerçant ensemble leur liberté d'entreprendre pour réaliser un projet commun, ce qui correspond à la définition classique du contrat d'entreprise donnée à l'article 1832 du Code civil, cela renforcerait considérablement la présence des droits subjectifs dans le Droit de la Compliance et conforterait la nature humaniste de celui-ci.
En outre, dans une telle définition la loi de la majorité, qui n'est qu'une loi de fonctionnement d'une catégorie de sociétés que sont les sociétés de capitaux, deviendrait moins puissante, au profit des "droits propres" de tout associé (au-delà du cercle des sociétés de personnes), sans qu'il soit besoin d'aller chercher au-delà du cercle des associés ou titulaires de titres émis par la société ou l'entreprise (dit shareholders) et d'aller donner le "droit à la parole" à des personnes qui, parce qu'elles sont "concernées" (les "parties prenantes", les skateholders) ont désormais de plus en plus le "droit à la parole".
Voir le Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance, notamment dans les Entrées : "droits" (comme "droit à l'oubli", "droit subjectif", "Droit public, Droit privé", etc.).
La Compliance by Design reflète ces tensions. V. par exemple Granier, C., L'originalité normative de la Compliance by design, 2020
Contre cette conception de la légalité, qui prévoit tout et à laquelle il faudrait prouver par avance et que l'on se "conforme" entièrement, ce qui est contraire aux principes mêmes du libéralisme dont le principe est la liberté d'agir et non pas l'obéissance, Carbonnier affirme que les règles sont faites ne pas s'appliquer et qu'elles ne sont que le "mince vernis" des choses, qu'il convenait de se méfier de la "passion du Droit". V. not. son dernier ouvrage Droit et passion du droit sous la Vième République, 1996. Carbonnier est considéré comme le plus grand juriste français du XXième siècle. Il rédigea les lois qui réformèrent en profondeur le Code civil et publia des ouvrages sur "l'art législatif".
Au contraire, l'Etat de Droit n'est pas un coût extérieur au système de Compliance efficace, que celui-ci doit internaliser. Il est le fondement même du Droit de la Compliance. Voir dans ce sens la démonstration faite par le président de la Cour de Justice de l'Union européenne, Koen Lenaerts, Le juge de l'Union européenne dans une Europe de la Compliance, in Frison-Roche, M.-A., Pour une Europe de la Compliance, 2019.
Sur la démonstration comme quoi la Constitution, en ce qu'elle contient de l'incalculable, est broyée dans cette façon de faire, v. Alain Supiot, Intervention 31 mars 2020.
26 novembre 2020
Publications
► Référence complète : Frison-Roche, M.A., Pour une conception humaniste du Droit des affaires et de son enseignement, in Un juriste pluriel. Mélanges en l'honneur d'Alain Couret, Editions Francis Lefebvre et Dalloz, 2020, pp.985-990.
Résumé de l'article : Alain Couret est un grand professeur de Droit et un très bon technicien de celui-ci. On se surprend soi-même non seulement à devoir souligner cette maîtrise technique insérée dans l'activité d'enseignement mais à prévenir qu'il s'agit d'une grande qualité. Cette maîtrise technique et l'aptitude à transmettre le savoir juridique par la compréhension de ses principes de base, n'est-ce pas le métier même de professeur ? Si chacun l'admet, alors désigner ainsi Alain relèverait du pléonasme...
Mais l'on entend souvent aujourd'hui que l'art juridique ne serait plus qu'un art de tordre les textes et les mots dans tous les sens, que ceux-ci s'y prêteraient, voire qu'ils seraient faits pour cela, qu'il faudrait apprendre avant tout à argumenter et à contredire si habilement que le tiers spectateur, qu'il soit juge, auditoire ou opinion publique, sera persuadé à la fin que, dans le cas particulier auquel la discussion est cantonné, l'intérêt défendu est bien le meilleur, que c'est bien celui-ci qu'il faut protéger et non pas celui de l'adversaire, qu'il faut rendre effectif cet intérêt singulier-là. Quitte à penser différemment dans le cas suivant. D'ailleurs, il sera possible par la suite de soutenir une autre cause, puisque les situations ne sont jamais semblables. Dans cette façon de faire, connaître techniquement le Droit et ses principes de base apparaît secondaire. La technique ? Cela serait les machines qui s'en chargeront. Les principes ? Ils seraient à éviter, parce que cela ne servira à rien : à chaque cas sa solution.
Par ses enseignements et ses écrits, Alain Couret exprime le contraire : le Droit des affaires n'est pas réductible à un amas réglementaire, repose sur des principes qui reflètent la conception que l'on se fait de la place des êtres humains dans les échanges, dans l'entreprise, dans l'organisation marchande. Enseigner le Droit des affaires, c'est transmettre ces principes. C'est aussi les discuter. Ecrire, dans une continuité avec l'enseignement, c'est au besoin inventer d'autres principes, tandis que les machines continuent de stocker par milliers les dispositions techniques posées là, chacune équivalente à une autre. Enseigner des principes, seuls les êtres humains sont aptes et soucieux de le faire, à l'exemple d'Alain Couret. Si on l'oublie, alors les professeurs étant devenus des répétiteurs, les machines répéteront bien mieux qu'eux par un débit infatigable les "paquets réglementaires". Mais inventer de nouveaux principes, seuls les êtres humains ont souci à le faire, à travers des idées. Lorsqu'un auteur prit l'image d'algorithmes qui "rêvent", c'était pour mieux poser qu'ils ne le font pas!footnote-1485, tandis que Lévy-Strauss définissait l'enseignement comme le fait pour une personne particulière de rêver tout haut.
Et le Droit des affaires, n'est-à-ce pas d'imagination et d'humanisme dont il a besoin, plus que jamais, puisque l'intimité des affaires et de la technologie mécanise les êtres humains ? , à travers des personnalités comme celle d'Alain Couret, alors même que nous allons toujours plus vers un pointillisme et une déshumanisation, à laquelle sa conception réglementaire participe ?
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📝 Lire l'article.
📝 Lire la présentation générale de l'ouvrage dans lequel l'article a été publié.
Mise à jour : 13 novembre 2020 (Rédaction initiale : 15 juillet 2020 )
Publications
Référence : Frison-Roche, M.-A., Construire juridiquement l'unité des outils de la Compliance à partir de la définition du Droit de la Compliance par ses "buts monumentaux", Document de travail, 2020.
Ce document de travail a servi de base à un article, s'insérant dans un ouvrage Les outils de la Compliance, 2020
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Résumé du document de travail : Les "outils de la Compliance" ne s'empilent pas les uns sur les autres. Ils forment un système grâce à une unité puisée dans les buts que tous ces multiples et différents outils servent : les "buts monumentaux" par lesquels le Droit de la Compliance se définit.
Tous les outils étant configurés par ces buts, il est indispensable, pour maîtriser toutes ces techniques, de les mettre toutes en perspective de ce qu'est le Droit de la Compliance, lequel est conçu téléologiquement au regard de ses buts. Le Droit de la Compliance étant lui-même le prolongement du Droit de la Régulation, il est comme lui construit sur un équilibre entre le principe de concurrence et d'autres soucis que les Autorités publiques ont la prétention de prendre en charge. Le Droit de la Compliance a d'ailleurs plus encore de "prétention" que le Droit de la Régulation, par exemple en matière environnementale ou de droits humains. Tous les moyens sont alors bons, la violence des outils se mariant sans difficulté avec les engagements volontaires puisque ce sont les buts qui gouvernent la matière et qui convergent tous, dans une définition européenne du Droit de la Compliance, vers la protection des êtres humains.
Comme le montre le droit positif, il en résulte une méthode d'interprétation et des niveaux de contrainte qui sont communs à tous les outils de Compliance. Partant des buts, dans lesquels la normativité juridique est logée, l'interprétation des différents outils est ainsi unifiée et leur corrélation est faite par la jurisprudence sans qu'il soit nécessaire d'élaborer une législation qui les rassemblerait tous. Plus encore, les différents degrés de contrainte ne s'opèrent pas selon la considération des sources (critère juridique traditionnel) mais par les buts, selon la distinction juridique entre les obligations de moyens et les obligations de résultats : l'articulation s'opère entre les outils, dont l'établissement est une obligation de résultat, et les buts dont l'atteinte n'est qu'une obligation de moyens.
6 novembre 2020
Publications
Dans un premier temps, ce document de travail a servi de base à une intervention dans la conférence-débat présidée par le président François Ancel avec Madame la Conseillère Carole Champalaune, "L'office du juge, les enjeux économiques et l'impartialité", dans le cycle de Table-Ronde que la Cour de cassation organise sur le thème général de Penser l'office du juge.
Dans un second temps et postérieurement à cette conférence, il a servi de base à un article publié dans un ouvrage collectif.
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Présentation générale. Pour s'insérer dans l'ambition du cycle général de colloques qui est de "Penser l'Office du Juge" et dans celui-ci qui appréhende l'impératif d'attractivité économique de celui-ci, le propos dégage tout d'abord le rapport qui paraît contradictoire entre celui-ci et la distance que le juge doit conserver. Ainsi il est souvent affirmé que le juge devrait être à ce point internalisé dans les "places", notion économique de grande portée (à laquelle est consacrée la première partie de l'introduction, définissant la "place" à la fois comme un espace close et poreux et comme un "justiciable systémique") qu'il devrait ipso facto perdre sa distance, c'est-à-dire son impartialité. Comme les places sont en concurrence, même si l'on met en balance l'efficacité de la place, d'une part, et l'impartialité, d'une part, d'un juge qui lui est extérieur et se réfère au Droit, l'Impartialité en ressortirait nécessairement affaiblie. Il faudrait alors au cas par cas amener le juge à faire les concessions voulues.
Le propos vise à prendre la position contraire et poser que les places - notamment parce qu'il faut les distinguer fortement des marchés, dont elles furent les ancêtres - requièrent un juge, qui sont à la fois "singulier", c'est-à-dire avec une personnalité, un visage, des opinions, et en distance pour que sa fantaisie ne surprenne pas les places. En effet, celles-ci requièrent une justice humaine, et non pas mécanique et le juge singulier, dont le juge des référés ou l'arbitre sont l'épigone, répond à ce besoin. Mais pour réduire ces "marges de discrétion", façon dont l'économie qualifie l'impartialité d'une personne qui ne peut jamais être neutre, la façon de faire de ce juge doit être insérée dans des mécanismes qui diminuent ces marges. De cette façon, la place a alors un juge qui est toujours plus impartial, et ce faisant devient toujours plus attractive.
Pour obtenir cela en pratique, la place exprime deux attentes légitimes en tant que "justiciable systémique", dont la satisfaction accroit et l'impartialité du juge singulier et accroit l'attractivité de la place comme espace. Ce qui montre bien qu'attractivité de la place et impartialité du juge, parce qu'inséré dans des procédures et dans une institution et une famille juridictionnelle, ne sont non seulement pas contradictoires, mais sont au contraire convergents, l'un alimentant l'autre.
Concrètement, et la pratique juridictionnelle le montre, il faut consolider l’impartialité du juge singulier en l’insérant dans des processus collectifs. Comme il faut favoriser un rayonnement de l’impartialité par un renforcement de la « famille juridictionnelle ».
Pour consolider l'impartialité du juge singulier en l'insérant dans des processus collectif, il faut admettre sans hésiter la subjectivité du juge, la rechercher même, le juge des référés ou l'arbitre étant bien les épigones du juge adéquat. La réduction des marges de discrétion, définition de l'impartialité étant obtenue par l'insertion du juge dans une procédure dont il est seul le maître mais dans laquelle il n'est pas seul. Cela a pour conséquence technique qu'il est lui-même dans un débat contradictoire, non seulement pendant l'instance, mais encore avant celle-ci (dans les médias), par le jugement (et l'arrêt de la Chambre criminelle du 25 novembre 2020 est un modèle du genre) et après le jugement. En cela le juge montre que par son office il est dans le futur, comme le montrera la justice climatique. En outre pour limiter ses marges de discrétion, le juge singulier doit s'insérer dans un principe rationnel de cohérence, vertical et horizontal. Vertical parce qu'il intègre ce qu'il est dit et la technique de "l'avis déterminant" est à encourager, le juge singulier ne devant s'y soustraire que s'il a de "fortes raisons" pour le faire et selon cette règle générale Comply or Explain (qui est le contraire même de l'obéissance aveugle). Horizontal parce que le juge soit se tenir à ce qu'il a dit, l'estoppel étant elle-aussi une règle de logique. Mais surtout l'institution doit dégager le plus possible des "doctrines", par tous les moyens, dont les rapports annuels sont un exemple.
Pour consolider l'impartialité du juge singulier en renforçant la "famille juridictionnelle", il convient d'en avoir une conception plus large, ce qui pourrait mener à des "lignes directrices" communes à des juridictions diverses, et plus forte, en intégrant ceux qui entourent le juge pour mener jusqu'au jugement. En cela la procédure devant la Cour de Justice de l'Union européenne, travail sur un dossier commun, est un modèle. Si cette communauté était plus forte encore, l'office du juge rendrait un plus grand service encore qu'il ne fait déjà dans l'espace numérique.
Ainsi, des juges toujours humains, toujours divers, toujours singuliers, qui écoutent, considèrent et ajustent à la situation, qui au sein d'une famille juridictionnelle s'insèrent dans une doctrine institutionnelle qui les dépassent et les portent mais qu'ils transforment s'il y a une forte raison, toujours dite, pour ce faire : voilà l'impartialité incarnée rend ant une place économique et financière attractive.
Introduction. Quand j'ai choisi de consacrer quelques années à élaborer une thèse sur Le principe du contradictoire, en procédure civile, pénale et administrative, l'on m'avait conseillé de prendre un sujet plus étroit et moins basique. Quand j'ai été agrégée, l'on m'a conseillé de "passer aux choses sérieuses", c'est-à-dire au droit des affaires, mais c'est par une chronique de Droit processuel financier que j'ai débuté. Car ce lien entre la façon dont les juges progressent dans la façon de comprendre le cas (procédure) et arrivent jusqu'au moment de décider (jugement) est si fort avec la vie économique, comme les fils de chaine et les fils de trame, qu'on aurait bien tort de dissocier. Pour ma part je ne peux dissocier la solution trouvée et la façon d'élaborer celle-ci. D'ailleurs si les juristes anglais sont si précieux en droit des affaires, c'est sans doute parce que le contentieux leur coule dans les veines, que les techniques probatoires leur sont enseignées avec soin, que pour eux le juge est toujours virtuellement présent, assis à la table des négociations contractuelles, simplement actualisé si vient le temps du contentieux. De la même façon que Carbonnier disait que l'Etat est en France présent dans l'élaboration de tout contrat. Pour ne prendre qu'un exemple récent, quand je regarde comme tous les badauds les rebondissements de la saga Facebook, je mesure la dépendance dans laquelle et la Commission Européenne et cette entreprise que l'on dit toute-puissance sont par rapport au Président du Tribunal de l'Union européenne qui appliqua dans son Ordonnance du 29 octobre 2020 le principe du due process , lequel est la forme processuelle du droit au respect des données personnelles, pour réorganiser tout le mécanisme d'obtention des courriels échangés à l'intérieur de cette entreprise.
Pourtant quand j'écoute les représentants des grandes entreprises, ils ne semblent guère apprécier le Droit, qu'ils appellent généralement "réglementation", et encore moins les juges, ce qu'ils font et comment ils le font, c'est-à-dire leur office, les deux étant liés si l'on pose que "le juge applique la réglementation". Pour en rester à la perception des entreprises et sans entrer dans le sujet lui-même du rapport entre l'office du juge face à la loi
Mais si cela était si vrai, les entreprises cesseraient de tant vanter le modèle anglais, qui est décrit comme une sorte d'idéal dans presque chaque article, alors qu'il est si onéreux, ou le système américain, qui est si complexe dans son articulation entre les niveaux étatiques et le niveau fédéral que tout juriste américain est avant tout un processualiste.
L'idée est alors différente. Il ne s'agit plus de reprocher à la justice son inadéquation mécanique mais plutôt le fait qu'elle ne s'ajusterait pas aux besoins (avec le coût - accepté - de cet ajustement) du monde économique. En effet, le Royaume-Uni et les Etats-Unis seraient certes des sociétés juridictionnelles mais dans lesquels le juge aurait l'attitude adéquate : s'effacer derrière la loi des parties afin de mieux la servir. Les entreprises reprochent alors aux juges français ou allemand de ne pas suivre, participant en cela à ce qui serait ce grave défaut de l'Etat qui substitue sa volonté à celle des parties.
A lire divers travaux, les entreprises voudraient que l'Etat et ses juridictions se mêlent le moins possible de ce que les parties ont décidé tout en leur fournissent leur puissance au titre de ce principe de "sécurité juridique" portée au plus haut. Cette neutralité du principe de "sécurité juridique" qui utilise la force du Droit en lui ôtant pourtant la parole, utilisant le Droit et le juge comme des porte-voix, pose que les parties intéressées, qui sont les plus à même de mesurer leurs besoins et de construire les mécanismes adéquats, fassent leur "petite loi", puisque c'est par cette expression-là que Carbonnier désignait le contrat.
Mais comme dans le monde concret, l'idéal de l'ajustement contractuel pur et parfait n'existait pas plus que n'existe la concurrence pure et parfaite, un agent doit intervenir d'une façon neutre pour servir la petite loi quand l'autorégulation ne fonctionne pas, par exemple lorsque l'ajustement des intérêts ne perdure plus dans le temps. Comme Robespierre voulait un juge "bouche de la Loi", il faudrait un juge dont l'office serait d'être la "bouche du Contrat". Le juge anglais se définit sans doute ainsi, associant étroitement Impartialité et non-immixtion dans le contrat. Un juge non intrusif, qui jamais ne décide mais toujours sert.
C'est bien cette grille de lecture que le professeur d'économie d'Harvard a utilisé pour élaborer le classement Doing Business, qui mesure l'attractivité du Droit et du Juge, c'est-à-dire son aptitude à permettre aux entreprises, grandes ou petites, de se développer. Guy Canivet dans l'ouvrage qu'il co-dirigea à ce propos
Pourtant, cela non plus ne doit pas être si vrai, et l'association entre Impartialité et non-immixtion dans la situation initiale soumise au juge ne doit pas être si exacte, quand on entend par ailleurs tant de compliments argumentés adressés au Conseil d'Etat dans son appréhension du contentieux économique, que la suggestion est faite par des entreprises de lui en transférer la totalité de la connaissance, par exemple en matière de régulation financière et bancaire. Il ne paraît pourtant pas un juge effacé.
Mais c'est peut-être à force de lire les travaux d'Analyse Economique du Droit qui sont construits sur cette conception-là, que l'on finit par les recopier et peut-être y adhérer, souhaiter un juge qui ne dise jamais non, un juge mécanique. D'ailleurs ce que l'on appelle l' "intelligence artificielle" promet cela. Dans une justice non-humaine, la machine assure que la décision est prise avec une automaticité qui garantit une absence de parti-pris. Qui n'a pas d'âme ne peut être corrompu, qui n'a pas de raison ne peut se tromper. Cette passion actuelle pour les algorithmes, reposant sur la confiance faite aux machines et la défiance faite aux êtres humains, qui demeure les juges, repose sur un idéal de justice infaillible. Mais là encore c'est une erreur que d'associer Impartialité et Infaillibilité
Cette neutralisation du juge par les machines est généralement approuvée par les travaux. Elle n'est pourtant que le dépend de la solution plus artisanale et sanctionnée pénale consistant à neutraliser le juge par la corruption ; c'est un système juridique bien attractif que celui dont on est directement propriétaire... Mais les études montrent l'inefficacité économique pour une place de la corruption. Même si l'on laisse de côté l'appréciation morale de la corruption, l'effet sur l'image, etc., même si l'on imagine des entreprises qui n'adhèrent pas à "L'amour des Loi" posée par Rousseau, qui ne distinguent pas entre leur intérêt et leurs obligations - ne suivant les obligations que si elles ont un intérêt à le faire, la volonté du juge ne jouant plus alors que dans le jeu des incitations, qui placent le Droit et le Juge, comme des éléments de l'environnement des entreprises, il a été montré que les entreprises ne souhaitent pas un système juridique corrompu. La Commission Européenne a notamment publié des rapports sur la contribution directe de l'Etat de Droit et de l'effectivité de juridictions impartiales sur le développement économique d'une zone.
L'on semble donc confronté à une double aporie, menant à ce qui serait une sorte de souhait de disparition : soit il faudrait que le juge soit absent (pour en finir avec ce qui a été décrit d'une façon critique comme la "société contentieuse"), soit il faudrait qu'il soit un serviteur docile et neutre de la loi du contrat.
Parce que cela n'est pas admissible, le choc en retour est très violent. En effet, face à ce qui serait la prétention, voire l'exigence, des entreprises face au Droit, aux Juridictions et aux juges pris les uns après les autres (le juge pénal étant peut-être le plus détesté de tous...), la réaction est celle d'une sorte de rejet en bloc de cette demande des entreprises d'un juge qui prend en considération les effets économiques de ses décisions !
L'on lit alors en symétrie des rapports qui affirment que le "Droit n'est pas une marchandise", que le juge n'est pas un distributeur automatique de ces nouveaux bonbons sucrés que seraient les jugements devant faire toujours plaisir, que la notion de "marché du Droit" qui déclenche tant d'écrits théoriques, doit être rejetée. Car le Droit étant une valeur, la valeur de justice, le juge ayant pour office de concrétiser dans les cas particuliers cette vertu-là, ces prémisses d'adéquation de son office à ce qu'en attendent les entreprises, serait en quelque sorte attentatoire à la "grandeur de la Justice", réduite à l'état d'étalage où l'on propose à l'encan les jugements frais du matin aux acheteurs de systèmes juridiques, foi de forum shopping.
Bataille rangée, dont nul ne peut sortir gagnant, car les jugements sont à la fois une prestation et une valeur, Guy Canivet ayant montré l'apport de l'impartialité du juge à l'économie du Droit
Les entreprises savent qu'elles ne peuvent pas anéantir, sous les formes précitées, le Droit et les juges. Mais elles ne veulent pas non plus en dépendre totalement. Elles demandent comme tout un chacun un "juge en distance", car c'est ainsi que l'on peut définir l'impartialité : un juge impartial n'est ni un juge passif ni un juge mécanisé ni un juge transparent par rapport à la situation qu'il appréhende, c'est un juge qui par méthode parvient à se placer "en distance" par rapport à lui-même et à la situation qu'il a pour office d'appréhender
Mais en quoi cette exigence est-elle particulière pour les entreprises, par rapport aux autres justiciables ?
Car elles n'ont pas plus de "droit à un tribunal impartial"
Dès lors une décision nouvelle n'a pas le même statut pour un justiciable et pour ce justiciable systémique que sont les places. Tous dépendent de la justice et de sa qualité, et il est exclu de dire que les entreprises, notamment les grandes, devraient avoir une justice de meilleure qualité, que le commun des mortels. Précisément, le critère n'est pas là. En effet un justiciable aura besoin d'un jugement une fois. Les jugements rendus par ailleurs, avant et après, par ce juge ne le concernent pas car il ne reviendra pas. pour un justiciable systémique, c'est davantage les jugements futurs qu'il prend en considération. Les entreprises doivent pouvoir anticiper ce que dira le juge demain.
Pour cela, le juge ne doit pas pouvoir juger comme il l'est. Cette mise en distance par rapport à son propre pouvoir permet à la place d'intégrer par avance les jugements futurs (bons ou mauvais, là n'est pas le sujet), puisque les places sont des espaces de calcul et de probabilité, notamment les places financières.
Ce qui est donc à exclure est le "pouvoir discrétionnaire". En effet, un pouvoir qui tient entièrement en son dépendance celui sur lequel sa décision va porter est qualifié en Droit de "pouvoir discrétionnaire". Le pouvoir discrétionnaire n'existe quasiment plus en Droit français et européen. Un pouvoir ne doit pas pouvoir "disposer comme il le veut" de ceux qui dépendent de lui, si légitime, si puissant et si indépendant soit-il par rapport à eux.
Comme l'on ne peut, et l'on ne doit, pas nier le pouvoir du juge (car si on le nie, il l'exerce alors de fait, mais sans contrôle et sans limite), la demande des entreprises vient du fait qu'elles vont venir et revenir devant le même juge, la même juridiction, le même ordre de juridiction, le même système juridictionnel. Ce qui est attractif pour elles, c'est de pouvoir penser sur le moment qu'elles seront traités de la même façon dans le moment suivant : cette permanence dans le temps, quel que soit l'être humain singulier qui juge, constitue la qualité d'impartialité du juge. En cela, l'impartialité du juge est l'inverse de l'amitié entre Montaigne et La Boétie, il n'y a aucun phénomène d'élection, sans qu'il y ait de crainte pour autant. L'impartialité du juge garantit à l'entreprise qui viendra demain devant le juge qu'elle ne sera pas surprise par la façon incohérente dont son cas sera jugé.
Cette impartialité objective singulière du juge est une qualité qui constitue un élément d'attractivité majeure pour les opérateurs économiques.
Thème qui a donné lieu à de très nombreux travaux, notamment en Droit comparé. L'article 12 du Code de procédure civile exprime ce qu'est l'office du juge par rapport à la situation qui lui est soumise.
Canivet, G., Frison-Roche, M.-A. et Klein, M., Mesurer l'efficacité l'efficacité économique du Droit, 2007.
Le droit positif afférent à "l'erreur du juge" est lui-même très instructif, puisque le juge ne peut se voir reprocher une erreur, sauf s'il y a une faute de procédure, ce qui est précisément le critère développé dans cette présente étude pour la définition de l'impartialité. Sur cette question, v. Frison-Roche, M.-A., L'erreur du juge, 2001.
Canivet, G., Economie de la Justice et procès équitable, 2001.
Frison-Roche, M.-A., L'impartialité du juge, 1999.
Frison-Roche, M.-A., Le droit à un tribunal impartial, 2012.
1 novembre 2020
Publications
Ce document de travail a servi de base à une interview menée par Olivia Dufour et parue dans Actu-juridiques-Lextenso le 11 janvier 2021.
24 septembre 2020
Publications
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► Référence cpmplète : M.-A. Frison-Roche. "L'aventure de la compliance", D. 2020, chron., pp. 1805-1806.
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🚧lire le document de travail bilingue doté de développements supplémentaires, de références techniques et de liens hypertextes, ayant servi de base à l'article.
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► Résumé de l'article : Le Droit de la Compliance est une "aventure" en ce qu'il est une nouvelle branche du Droit, ancrée dans le Droit de la Régulation, qui s'est libérée de celui-ci tout en conservant les principes majeurs auxquels il donne un nouveau souffle. De la même façon que j'étais entrée en 2000 à Sciences po pour créer un Master de Droit économique centré autour du Droit de la Régulation, Droit à l'époque nouveau, un Forum de la Régulation et une Chaire Régulation, désormais "vingt ans après" et comme dans toute aventure l'objectif est de donner des bases solides, cohérentes et substantielles à ce Droit qui se pratique intensément sans être pleinement conçu.
Il ne faut pas réduire la Compliance à une procédure d'effectivité et d'efficacité d'autres règles, comme le Droit de la concurrence ou le Droit pénal, une sorte de voies d'exécution passant de l'Ex Post à l'Ex Ante, car cela serait à la fois trop peu (simplement des process) et trop (la puissance du Droit de la Compliance au service de toutes règles, la violence de la Compliance pouvant servir à du Droit substantiel lui-même très violent, ce que l'on peut observer dans certains systèmes légaux).
Il faut ancrer toute cette nouvelle branche du Droit dans des buts, ce Droit étant de nature téléologique comme l'est le Droit de la Régulation. Ces buts sont "monumentaux", ce par quoi les Autorités publiques expriment encore, et plus encore, des "prétentions", comme la sauvegarde de l'environnement ou des personnes plutôt éloignées du territoire sur lequel elles ont classiquement prise.
Tous ces "buts monumentaux" convergent vers un but qui les englobent tous : la protection de la personne, ce qui justifie la puissance inusitée des mécanismes juridiques de Compliance et le rapport nouveau entre les Etats et les "entreprises cruciales". En cela, l'Europe est exemplaire d'un Droit nouveau dont elle porte le modèle.
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📚lire les autres chroniques Droit de la compliance publiées au Recueil Dalloz
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16 septembre 2020
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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Se tenir bien dans l'espace numérique", in Mélanges en l'honneur de Michel Vivant, Penser le droit de la pensée, Dalloz et Lexis Nexis, 2020, pp. 155-168.
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► Résumé de l'article : L'espace numérique est un des rares espaces non spécifiquement cadrés par le Droit, liberté qui a aussi pour grave conséquence d'offrir l'opportunité à ses acteurs de ne pas "se tenir bien", c'est-à-dire d'exprimer et de diffuser largement et immédiatement des pensées haineuses, lesquels demeuraient auparavant dans des cercles privés ou restreints. L'intimité du Droit et de la notion juridique de Personne en est atteinte : le numérique permet à des individus ou des organisations d'agir comme des personnages démultipliés et anonymes, acteurs numériques dépersonnalisés porteurs de comportements attentatoires à la dignité d'autrui.
Contre cela, le Droit de la Compliance offre une solution adéquate : internaliser dans les opérateurs numériques cruciaux la charge de tenir disciplinairement substantiellement l'espace numérique. L'espace numérique a été structuré par des entreprises puissantes à même d'y maintenir l'ordre. Parce que le Droit ne doit pas réduire l'espace digital à n'être qu'un simple marché neutre de prestations numériques, ces opérateurs cruciaux, comme les réseaux sociaux ou les moteurs de recherches doit être obligés de contrôler substantiellement les comportements. Il peut s'agir d'une obligation des internautes d'agir à visage découvert, politique de "l'identité réelle" contrôlée par les entreprises, et de respecter les droits d'autrui, droits intimes, dignité, droits de propriété intellectuelle. Dans leur fonction de régulation, les entreprises digitales cruciales doivent être supervisées par des Autorités publiques
Ainsi le Droit de la Compliance substantiellement défini est gardien de la personne comme "sujet de droit" dans l'espace digital, par le respect que les autres doivent en avoir, cet espace passant du statut d'espace libre à celui d'espace civilisé, dans lequel chacun est contraint de se tenir bien.
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► Consulter pour aller plus loin :
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10 septembre 2020
Publications
Ce document de travail est la base d'un article publié au Recueil Dalloz dans les Chroniques MAFR Droit de la Compliance.
Lire les autres chroniques parues chez Dalloz dans la rubrique Chroniques MAFR Droit de la Compliance
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Mise à jour : 25 juillet 2020 (Rédaction initiale : 1 juillet 2020 )
Publications
Ce document de travail a servi de base à un article, s'insérant dans un ouvrage Les outils de la Compliance, 2020
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Résumé du document de travail :
La formation est tout à la fois un outil spécifique de Compliance, parfois exigé par le Droit de la Compliance, et une dimension que chaque outil de Compliance exprime.
Au premier titre, en tant que la formation est un outil spécifique de Compliance, elle est supervisée par les Régulateurs. Elle devient même obligatoire lorsqu'elle est contenue dans des programmes de Compliance. Puisque l'effectivité et l'efficacité sont des exigences juridiques, quelle est alors la marge des entreprises pour les concevoir et comment en mesure-on le résultat ?
Au second titre, tant que chaque outil de Compliance comprend, et de plus en plus, une dimension éducative, l'on peut reprendre chacun d'entre eux pour dégager cette perspective. Ainsi même les condamnations et les prescriptions sont autant de leçons : leçons données, leçons à suivre. La question est alors de savoir qui, dans ce Droit si pédagogique, y sont les "instituteurs".
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Introduction.
La formation s'apparente à ces choses - et des plus précieuses - que l'on fait, voire que l'on rêve de faire, mais que l'on peine à exprimer dès l'instant qu'on les prend comme objet d'écrit technique. Just do it.
Il serait pourtant malheureux de publier un ouvrage sur Les outils de la Compliance sans qu'une place particulière soit faite à la formation, la pièce manquerait au puzzle.
Tant d'argent consacré par les entreprises, de gré ou de force, notamment lorsque les programmes de compliance imposés au titre de sanction comprennent de lourdes obligations de formation menant chacun à retenir mot à mot tout ce qu'il lui est interdit de faire, afin de toujours désormais s'en abstenir. La formation est ainsi la pointe acérée d'un Droit si dur qu'elle apparaît sous l'acier de l'épée pénale dans les amphithéâtres et les e-learnings.
Mais aussi tant de discours sur la nécessité d'une "culture de compliance" qui devrait être inculquée à l'intérieur des entreprises, la Compliance se mariant alors avec joie dans une harmonie avec leur "raison d'être" et l'identité historique de ce groupe de personnes qu'est une entreprise à travers des formations qui racontent la Compliance comme un lien, une main tendue vers ceux avec lesquels les managers veulent renouveler un contrat moral dans une éthique pour laquelle ils donnent le bon exemple. Ce n'est plus l'interdit mais la communication et la communauté qui donnent le ton d'un dialogue humain avec les salariés, les parties prenantes, l'administration et les juges.
L'on répondra que l'un n'exclut en rien l'autre, que la formation doit viser tout cela, l'apprentissage des prescriptions obligatoires à suivre sans discuter mais aussi l'adhésion à des lignes de conduite, et ce parce qu'on a compris qu'elles étaient fondées.
Tout et son contraire, donc. " Apprendre par cœur" prend ainsi son sens entier : obtenir que chacun retienne mécaniquement pour qu'aucun faux-pas ne soit jamais fait par personne (avec toujours plus de machines qui nous apprennent en masse la masse réglementaire sur les écrans de nos téléphone) mais aussi arriver à ce que notre "cœur" soit un peu apporté dans la Compliance grâce à des méthodes particulières de formation (avec des groupes toujours plus petits, des échanges toujours moins publics dans des endroits conviviaux). Tout et son contraire donc.
Il faudrait mais il suffirait de cumuler. Faire tout. Ceux qui proposent des logiciels de formation comme ceux qui organisent des conférences, des rencontres, des voyages y sont favorables, dans une addition du « présentiel » et du « distanciel », du mécanique et de l'humain. Mais, concrètement, à la fin les entreprises observent que puisque l'un ne remplace pas l'autre les coûts s'additionnent. Or, dans le coût de la compliance qui constitue un défaut de celle-ci, la formation prend une bonne part. Les entreprises finissent par trouver l'addition lourde, d'autant plus qu'elles pensaient que la formation des personnes relèvent de l'école publique et ne doit pas être à leur charge!footnote-1837.
Ainsi l'apprentissage du Droit des obligations par exemple ne fait pas partie du Droit des obligations. L'on peut souhaiter que chacun connaisse le droit des contrats et de la responsabilité mais cela n'est pas internalisé dans cette branche du Droit. L'on peut rappeler d'une façon générale que les sources du Droit doivent être claire afin que leurs destinataires les comprennent et ainsi "apprennent", cette dimension pédagogique étant inhérente au Droit, renforcée juridiquement par l'objectif d'accessibilité du Droit et Carbonnier affirmait que le Législateur est un pédagogue ("Toute loi nouvelle est-elle mauvaise ?), mais c'est une remarque qui vaut pour toute production juridique. D'une façon plus pertinente, l'on observe que le Droit de la consommation a intégré parmi les obligations des professionnels un obligation de former les consommateurs. Plus encore le Droit financier, notamment sous l'influence du Droit américain en ce que celui-ci repose sur l'information de l'investisseur et l'aptitude de celui-ci à la manier (par exemple dans la loi Dodd-Frank, intégre la formation de celui-ci dans la branche du Droit elle-même. Elle entre alors dans la mission de l'Autorité de Régulation et dans les obligations des opérateurs dominants. Le Droit de la Compliance étant particulièrement interactif avec le Droit financier, la formation y prend alors une place considérable, juridiquement organisée et sanctionnée.
En outre la formation à la Compliance n'est pas extérieure au Droit de la Compliance, ce qui la rend particulière!footnote-1838. En effet le Droit de la Compliance, ensemble de mécanismes Ex Ante, a pour objet de concrétiser des "buts monumentaux"!footnote-1836. Fixés par les Autorités publiques, ceux-ci sont internalisés dans les entreprises pour qu'elles mettent en place les moyens requis afin qu'ils soient à l'avenir atteints. Ces buts monumentaux peuvent être négatifs (que la corruption, le blanchiment, la violation des droits humains, la crise du système financier, etc. n'aient pas lieu), ou être positifs (que l'équilibre écologique soit restauré, l'éducation soit offerte, les soins apportés, etc.).
Le Droit de la Compliance prend comme critère l'effectivité des mécanismes mis en place, leur réalité, mais aussi leur efficacité, c'est-à-dire leur aptitude à faire en sorte que leur but soit atteint. La formation doit atteindre son but. Alors en matière de Compliance, la finalité n'est pas celui de toute formation, à savoir transmettre un savoir afin de rendre plus savant!footnote-1839, mais c'est de contribuer au "but monumental" du Droit de la Compliance lui-même, qui a un but pratique et non pas un but savant. Par exemple, la formation sur les règles applicables en matière de corruption doit avoir pour effet de réduire la corruption. Et parce que la formation est elle-même une partie du Droit de la Compliance, de la même façon que l'Autorité de Régulation peut obliger à se former et à former autrui, l'Autorité de Supervision doit contrôler non seulement la réalité mais encore l'effectivité et l'efficacité des formations.
Or, l'effectivité et l'efficacité des formations de Compliance, parce que celles-ci sont partie intégrante du Droit de la Compliance, doivent être contrôlées par l'Autorité non seulement dans leur réalité mais encore dans leur aptitude concrète à participer au but poursuivi. Ainsi pour poursuivre l'exemple de la lutte contre la corruption, la formation y joue un rôle déterminant car l'entreprise est face à une alternative : ou une solution mécanique consistant à fixer des interdictions littérales, par exemple l'interdiction de toute cession de valeur supérieure à un certain montant (selon le raisonnement des textes "anti-cadeaux") avec le risque des contournements qu'offrent toujours toutes prescriptions littérales, ou une solution par la formation consistant à faire comprendre à tous qu'il est mal de corrompre mais qu'il est admissible de donner des échantillons. La formation mise donc plutôt sur l'esprit tandis que la machine intégre la lettre.
Mais cela renvoie la question à l'Autorité de Régulation et de Supervision qui va apprécier les diligences de l'entreprise pour atteindre les buts. L'on observe que, de plus en plus, les Autorités font comme l'économie d'une étape : plutôt que d'expliquer aux entreprises comme éduquer les personnes qui travaillent pour elles et avec elles, les régulateurs éduquent directement. Est ainsi remarquable le "guide" publié en 2012, dont la deuxième édition de 2019 a été mise à jour en 2020, conjointement par le Department of Justice américain (DoJ) et le Régulateur financier (Securities & Exchanges Commission - SEC) pour tout savoir sur le Foreign Corruption Practices Act (FCPA). A travers les explications offertes à tous!footnote-1840 des principes, les définitions rappelées, les cas racontés, ce sont des prescriptions de comportement qui sont formulées notamment à destination des entreprises étrangères par l'autorité de poursuite et l'autorité de sanction américaines, ainsi alliées dans ce manuel dont le poids est tel qu'on peut considérer qu'il a valeur de lignes directrices, Droit souple créateur de droits.
Dans la concentration de tous les pouvoirs que l'on reproche souvent au Régulateur, il y aurait aussi le magistère de l'instituteur, celui qui éduque les parties prenantes. Après avoir affirmé, sur le même modèle américain, que le Régulateur devait être "l'avocat" (au sens large, the advocate) des règles auprès des entreprises en leur démontrant l'intérêt que celles-ci ont de les respecter, il est logique que, dans ce que certains ont appelé la "Régulation, Acte 2" cette plaidorie du Régulateur sur la bonne nouvelle que constitue la Régulation pour l'entreprise justifiant ainsi que celle-ci l'intégre en Ex Ante se prolonge en cours magistral : le "Régulateur - Instituteur" explique à chacun comment manier les règles pour un Droit toujours en progrès (Better Regulation).
Alors que la formation n'était que périphérique, la voilà au coeur. Si elle est si importante, comme tout autre "outils de la Compliance", elle doit prendre ce que l'on attend d'elle. Les écrits sur la formation exposent le plus souvent ce qu'elle doit être et un esprit chagrin mesure ce qui paraît parfois un gouffre entre leurs descriptifs et la réalités parfois rapportée.
Eduquer étant sans doute une des actions les plus difficiles, sans doute ne faut-il pas ni décrire un paradis de maïeutique ni écrire un brûlot contre ce qui a déjà le mérite d'exister, mais répertorier ce que l'on peut attendre d'une formation lorsqu'elle s'applique à la Compliance, puisqu'ici plutôt encore que pour les autres outils il s'agit d'une obligation de moyens. Quel contenu doit avoir une telle formation ? (I). Mais parce que le Droit de la Compliance vise la formation comme l'un des moyens d'atteindre les "buts monumentaux" qui constituent le coeur substantiel de cette branche du Droit, la dimension de formation n'est pas limitée aux formations dûment estampillées, car l'on retrouve cette dimension pédagogique dans quasiment tous les autres outils (II). En cela, l'on peut dire que la formation est l'alpha et l'omega de la Compliance.
15 juillet 2020
Publications
L'analyse des outils du Droit de la Compliance permet de mieux cerner ce qu'est le Droit de la Compliance dans son ensemble.
La "cartographie des risques" est analysée comme un outil essentiel de la Compliance, peut-être le plus important puisque ces cartographies sont des instruments élaborés en Ex Ante par les entreprises, ce qui correspond à la définition même du Droit de la Compliance, lequel est un Droit Ex Ante.
En cela, avant même de rechercher d'une façon plus analytique ce que peut constituer juridiquement l'activité pour une entreprise de dresser des cartes des risques qui l'entourent, pays par pays, activité par activité,
Le plus souvent l'on ne fait que décrire le mécanisme de cartographie des risques, sans le qualifier juridiquement. Le législateur ne fait pas davantage. Ainsi, dans l'article 17 de la loi dite "Sapin 2", la cartographie est décrite comme "la forme d'une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d'exposition de la société à des sollicitations externes aux fin de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activité et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité.". De la même façon, l'article 1ier de la loi dite "Vigilance" du 27 mars 2017 vise "une cartographie des risques destinées à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation".
Ce sont des descriptions, ce qui ne suffit pas à constituer une définition : le texte ne vise que la "forme" que cet élément d'information prend, sans en dire davantage. La lettre du texte descriptif inséré dans la seconde partie de l'article 17 de la Loi dite "Sapin 2, renvoyant à la première partie de cet article, le vise expressément comme une "modalité" d'une "l'obligation": cette "obligation" consiste à prendre des "mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l'étranger, de faits de corruption ou de trafic d'influence". Pour bien remplir cette obligation, l'entreprise doit disposer de cet "outil" qu'est la cartographie des risques.
Si l'on sort du cas particulier de la lutte contre la corruption, la méthode est la même. Ainsi, de la même façon lorsqu'on consulte les documents par lesquels les Autorités de Régulation, par exemple l'Autorité de marché financier, présente la manière requise pour bien identifier les risques, y compris les risques de "non-conformité"!footnote-1734, l'on y trouve une description des façons de faire, mais sans davantage rencontrer de définition, encore moins de définition juridique de cette cartographie. L'on retrouve cette même tendance dans le procédé de la Compliance elle-même,
Peut-être que que cette absence de définition juridique de la Cartographie des risques n'est-elle elle-même que le reflet de l'absence plus générale du Droit dans dans l'ensemble des mécanismes de Compliance, absence paradoxale pour un espace si empli par ailleurs de la fureur pénale, sans doute parce que si souvent réduite dans sa présentation à un process mécanique, n'apparaissant juridique que sous son mauvais jour : celui de la sanction. Cette conception mécanique d'une Compliance comme process conduit à proposer que des machines et non des êtres humains en établissent les outils, notamment la cartographie des risques. Finis les compas et les cartes d'état-major, bonjour les bases de données et les connexions automatiques pour que des voyants d'alerte s'allument.
A lire les lois, il est acquis pour le législateur que la cartographie n'est qu'un "outil", la loi dite "Sapin 2" la désignant comme une "modalité". Prenant appui sur cette nature instrumentale, il faut donc chercher ce pour quoi est fait l'outil. Soit il est conçu pour que la loi ne soit pas méconnue, la cartographie repérant par exemple le risque accru que le Droit (souvent appelé la "réglementation") soit violé : c'est qu'il est usuellement désigné sous l'appellation étrange de "risque de conformité", terme que l'on trouve le plus souvent sous la plume de non-juristes et dont l'expression de "risque pénal" est sans doute l'ancêtre.
La cartographie permet alors à l'entreprise d'exécuter son "obligation de Compliance", c'est-à-dire de faire en sorte en Ex Ante que la loi soit respectée en éliminant par avance le risque qu'elle ne le soit pas. Ainsi dès 2008, l'OCDE définissait la cartographie des risques par ses objectifs, à savoir "mettre en place des moyens efficients pour réduire des risques de fraudes et de corruption et pour mettre en place des enquêtes efficients en concentrant les efforts sur les procédés efficaces". !footnote-1739.
Si la notion de corruption renvoie au Droit pénal, celle de fraudes est plus vaste que le Droit car si "la fraude corrompt tout" toute fraude n'est pas saisie par le Droit si la lutte pour la combattre n'emprunte pas un instrument juridique. Plus généralement et par ailleurs, de nombreux risques ne concernent en rien le Droit et devront pourtant être pris en considération par l'entreprise comme autant d'éléments d'information à considérer pour son action : les risques économiques, les risques naturels ou les risques politiques, ainsi que les "risques de marché", à propos desquels les Autorités de marchés, comme l'Autorité de marché financier dresse régulièrement une "cartographie des risques"!footnote-1740 . Mais cette cartographie-là ne semble pas regarder le Droit, alors même qu'elle ne relève déjà plus de la seule bonne gestion interne de l'entreprise.
Ainsi, si l'on choisit de consulte non plus les lois mais plutôt des cartographies élaborées par des entreprises, l'on doit constater leur diversité, sans savoir si ces cartographies constituent une "modalité" d'une obligation juridique, devenant de ce fait par transitivité un objet juridique, ou si elles constituent plutôt un élément de détermination de la stratégie de l'entreprise, appelant donc une qualification comme un "acte de management", ce qui est neutre pour le Droit.
L'on peut hésiter dans la réponse à apporter à la question, tout en soupçonnant l'existence d'une obligation générale de cartographier les risques, au-delà du cas particulier de la loi dite "Sapin 2" (dont le seul sujet est la corruption) car aujourd'hui de quoi le Droit ne se mêle-t-il pas ? Surtout d'un fait aussi important et prégnant et coûteux que la cartographie des risques, notamment dans des secteurs eux-mêmes "risqués" comme le secteur bancaire et financier, ou le secteur énergétique, ou (quittant la perspective sectorielle) dans l'espace digital ou dans le commerce international ?
Pourtant l'on observe à quel point la "cartographie des risques" n'a pour l'instant été que peu pensée en Droit. Il est vrai que le juriste, qui toujours ordonne, a du mal à suivre ... En effet, lorsqu'il est exposé que la cartographie doit viser à la fois des "risques économiques", des "risques politiques", et ces "risques de conformité" (c'est-à-dire de violation future du Droit), le juriste a du mal à comprendre comment les "risques de conformité" pourrait être un élément d'un outil qui n'est lui-même qu'un élément d'un "Droit de la Compliance", dont on lui affirme par ailleurs qu'il faut l'appeler "Droit de la Conformité" ? Même sans être expert de la théorie des ensembles, le juriste comprendre que cet élément de "conformité" ne peut pas être à la fois ce sous-ensemble et l'ensemble "conformité" dans lequel l'outil de la cartographie s'insère!footnote-1888.
L'on peut consulter de très nombreux écrits qui détaillent la cartographie, qui, par une sorte d'effet de miroirs, dressent des cartographies des exigences à laquelle l'entreprise doit se plier, pays par pays, textes par textes, secteurs par secteurs, loi par loi, aussi bien que des exigences de cartographies des risques de méconnaissance dans le futur de ces exigences ("risques de conformité").... Nous sommes face à un château de cartes, toujours plus minutieusement décrit, sans jamais rencontrer de qualification juridique.
Si l'on cherche pourtant une qualification juridique, ne serait-ce que pour produire de la sécurité juridique, l'on se demandera par exemple si l'acte de dresser une telle carte constitue un fait juridique ou un acte juridique. Je ne vois pas que la question ait été même posée. Pourtant, les conséquences de régime en sont immenses. En effet, à supposer que cela ne soit qu'un fait juridique, peut-il être un "fait justificatif" ? Les avocats y ont songé et ont plutôt trouvé du côté des Autorités publiques une porte fermée, lorsqu'ils ont voulu se prévalu des faits de diligences que constituent les cartographies de risques pour échapper à des sanctions...
Mais si dresser une cartographie n'était pas un simple fait mais pourquoi ne serait-ce pas un acte juridique ? La catégorie juridique des actes juridiques unilatéraux est là pour l'accueillir. Dans ce cas-là, la cartographie des risques engage l'entreprise et l'on observe que les autorités de régulation et de supervision, comme les juridictions, le conçoivent de plus en plus ainsi. Mais si l'entreprise est engagée par un tel acte juridique unilatéral que constitue la cartographie des risques, auprès de qui l'est-elle ? Plus précisément encore, si elle devient débitrice de l'obligation de cartographier, même si aucune loi particulière ne le lui prescrit d'une façon précise, alors il existe nécessairement un créancier bénéficiaire de cette obligation. Qui est-il ? Et pourquoi l'est-il ?
L'essentiel de cette contribution est de poser ces questions. Elles sont élémentaires. Elles ouvrent des pistes, celles que l'exercice de qualification juridique, de mise en catégorie juridique et de définition juridique, ouvrent.
Si pour l'instant l'exercice de qualification a été peu pratiqué, la cartographie des risques étant étrangement laissé aux algorithmes, aptes à entasser des données et inaptes à définir et à qualifier juridiquement, cela tient peut-être au fait plus général que le Droit et le risque sont peu souvent directement associés. Le mécanisme de bonne gestion que constitue la cartographie des risques, notamment dans les organisations qui ne sont pas des entreprises mais sont en charge d'administrer et adoptent sans contrainte cette bonne méthode!footnote-1735, y incite lui-même d'autant moins qu'on peut lire qu'il s'agirait, via ces cartographies, pour l'entité méticuleuse d'identifier par avance notamment le "risque juridique"!footnote-1731, c'est-à-dire l'application qui pourrait lui être fait du Droit, application incertaine, application contrariante. Combien de séminaires à succès sur le "risque pénal"... Comme en défense, les juristes exposent d'une façon trop générale que le Droit est constitué pour lutter contre le risque, lequel est un fait. En effet l'on répète à longueur de rapports que le système juridique est là pour "sécuriser", le réduisant parfois à cette performance technique tenant à sa nature même, par le principe de "sécurité juridique", que l'Etat par sa permanence, sa violence légitime, son imperium, nous donne en échange la paix, que le contrat par la "petite loi" qu'il constitue offre aux parties qui l'édictent un havre de sécurité pour cet îlot de stabilité dans un futur qu'on ne connait jamais tout à fait ; gare à nous si l'on sort de l'ordre juridique car l'on retombe dans le risque...
Ainsi, soit l'on est dans le Droit, assujettis aux exigences légales, et l'on bénéficie de sa sécurité spécifique, ce que les économistes désigneraient volontiers comme la "réglementation", soit on est dans la liberté de l'action, et l'on est alors dans le risque.... Il en serait comme pour les marchés, à propos desquels il faut choisir entre la liquidité et la sécurité : si l'on veut de la liberté d'action, alors il faut moins de réglementation, et donc moins de sécurité, plus de risque.... Cette opposition traditionnelle et si souvent relayée en économie est remise en cause par l'obligation de cartographie des risques car si ceux-ci sont établis, ce n'est pas pour les connaître en soi mais pour les combattre, au-delà de l'obligation classique d'information sur les risques, dont on trouve de nombreux ancrages dans les branches du Droit, notamment le Droit des sociétés, notamment celles exposés aux marchés financiers (I).
Dès lors, puisqu'il y a sous l'information classique de la prétention politique, de la volonté de "prévenir" le mal, qui se transforme rapidement dans la volonté de "promouvoir" le bien, le nouveau apparaît. La nouveauté est tout d'abord institutionnelle (II). En cela, la loi dite "Sapin 2", à travers l'instauration de l'Agence Française Anticorruption, a institutionnalisé ce mécanisme par lequel les entreprises "exposées" aux marchés financiers ou/et aux investisseurs internationaux, ou/et au commerce internationaux, présentent d'une façon claire et ordonnée -c'est-à-dire par une cartographie - les risques qu'ils ont identifiés dans leurs actions présentes et futures, rendant plus concrètement des comptes sur leur organisation structurelle d'analyse des risques. Des autorités publiques vont superviser les entreprises exposées à ces risques. Certes les banques y sont juridiquement accoutumées, mais les banques sont dans un secteur qui est régulé et supervisé. Ce qui est remarquable tient au fait que le Droit de la Compliance vient appliquer, via l'exigence de cartographie des risques, la technique juridique de supervision à des entreprises qui agissent dans des secteurs qui ne sont pas supervisés, voire qui ne sont parfois pas même régulés, par exemple l'immense champ du commerce international. De cette façon, ces entreprises, qui ne sont pas sectoriellement régulées, deviennent structurellement transparentes et supervisées au titre du Droit de la Compliance, qui contrôle notamment l'effectivité et l'efficacité du mécanisme de cartographie des risques.
Le principe libéral selon lequel une entreprise ne rend compte que de son comportement et non de son organisation interne en est entamé, puisque la cartographie des risques est un mécanisme Ex Ante qui relève de la structure même des entreprises et dont l'effectivité est contrôlée par les Autorités publiques. Ainsi, par la seule technique imposée par le Droit, la méthode de transparence, naguère propre aux entreprises supervisées devient générale à toutes les entreprises agissant sur des marchés ordinaires, dès l'instant qu'un risque existe. C'est une nouveauté radicale, puisque le risque dont il s'agit n'est pas un risque de secteur et qu'une crise générale n'est plus à craindre. La rupture est ainsi opérée avec le Droit de la supervision qui jusqu'ici était insécable du Droit de la Régulation, l'obligation de cartographie des risques s'appliquant à tout "opérateur crucial" exposé au risque de corruption, en ce que celle-ci doit être combattue d'une façon globale.
Dès lors, la cartographie des risque est un outil qui, au-delà de la simple description, prend sa définition d'une façon téléologique, comme est élaboré tout élément du Droit de la Compliance. Son but est de prévenir des risques qui compromettent des ambitions qui ne sont pas toujours de nature économique mais qui sont de nature politique (III). La lutte contre la corruption n'en est qu'un exemple, la loi dite "vigilance" exigeant elle-aussi une "cartographie des risques" en matière de droits humains, tandis que cette technique est reprise par des textes plus ou moins contraignant en matière environnementale. Certes des entreprises en position de porter de telles ambitions politiques, de force - en raison de leur position - ou de gré - par leur raison d'être ou par leur politique de responsabilité sociétale -, doivent le supporter, les transformant en acteurs politiques majeurs. Elles ne sauraient pour autant se substituer aux Autorités publiques, lesquelles d'une part fixent les "buts monumentaux" qu'il s'agit d'atteindre d'une part et qui d''autre part supervisent en Ex Ante et en Ex Post la mise en place et le fonctionnement de ces outils au sein des entreprises cruciales.
18 juin 2020
Publications
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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, Le Droit rêvé de la Compliance, document de travail, juin 2020.
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Ce document de travail, "Le Droit rêvé de la Compliance", sert de base à un article, "La compliance", inséré dans l'ouvrage collectif à paraître sous la direction de Jean-Baptiste Racine, Le Droit économique du XXIème siècle, dans la collection Droit & Economie, LGDJ-Lextenso, 2020.
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Personne ne peut savoir ce que sera le Droit du XXIième siècle. Prétendre le connaître, c'est juste ne pas réaliser son ignorance. Pourquoi alors écrire à ce propos, puisque le futur est toujours surprenant ?
L'on ne peut écrire que sur la part d'inconnu du Droit de demain. Si l'avenir ensuite se calque sur ce qui fût écrit, alors tant mieux pour le prophète, hommage pouvant, par exemple, ainsi être rendu à Pierre Godé
Lévi-Strauss soutenait qu'enseigner se définit comme rêver à voix haute. Enseigner et décrire le Droit d'un siècle que l'on ne connaitra pas donne plus encore la liberté de le rêver. Cette liberté s'accroît lorsque l'objet est une branche du Droit en train de naître, état du balbutiant "Droit de la Compliance" dont certains soutiennent encore , comme on le fît pour le Droit de la Régulation, qu'il n'existe pas. La main peut alors à sa guise en tracer les traits beaux ou hideux : quel visage aura le Droit de la Compliance, dès l'instant qu'on suppute qu'il existera ?
Il pourra aussi bien être un cauchemar (I) qu'un rêve heureux (II).
C'est à nous de choisir dans quelle catégorie cette branche du Droit va s'épanouir. Car ce dont l'on peut être certain, c'est de cet épanouissement. C'est certes déjà prendre parti que de présupposer l'existence même du Droit de la Compliance. Non pas seulement de le considérer éventuellement avec hostilité car être ennemi de quelque chose ou de quelqu'un c'est déjà reconnaître leur existence. Avant cela, deux objections font radicalement barrage à l'existence même du Droit de la Compliance et leur ombre demeure dans l'avenir de celui-ci
En premier lieu, l'on affirme que la Compliance ne relèverait pas du Droit, mais par exemple de la seule éthique puisqu'elle consisterait à bien se tenir dans des entreprises qui se soucient de l'intérêt d'autrui ou de la planète, par exemple par une prise en charge spontanée de l'environnement ; la Compliance étant une cristallisation de la responsabilité sociale, celle pour laquelle l'on a sa conscience, l'on exprime sa raison d'être et l'on ne rend pas de comptes juridiques
En second lieu, il y aurait bien des mécanismes de Compliance mais insuffisants à constituer une branche du Droit. En effet l'on trouverait de la Compliance en Droit des sociétés, en Droit du travail, en Droit financier, en Droit bancaire, en Droit pénal, en Droit administratif, en Droit européen, en Droit international, etc.
Ces branches classiques, depuis si longtemps constituées, suivant le point de vue adopté, gagneraient en modernité ou seraient menacées de décadence par cette sorte de prolongement que sera la Compliance. Il y aurait ainsi autant de "petits droits de la Compliance" qu'il y a de branches du Droit. Ces nouveaux développements internes seraient comme un nouveau bourgeon, sur lequel il faudrait apporter des soins - si l'arbre en reprend vigueur - ou mauvaise herbe à éradiquer - si le jardin à la française en perd sa perspective .
Ainsi la matière étant éparpillée en autant que de juristes spécialistes, souvent pénalistes ou spécialistes de droit bancaire et financier, puis demain tous les spécialistes de toutes les branches du Droit, cela pourrait constituer l'obstacle le plus radical à ce que le Droit de la Compliance se constitue en lui-même. En effet, l'on en reviendrait à confondre la Compliance et la "modernisation" du Droit lui-même en son ensemble, puisqu'il ne s'agirait que de parfaire chacune des branches classiques du système juridique.
Si l'on garde dans ce demi-sommeil qu'est toute projection dans l'avenir l'espoir d'une branche du Droit constituée, l'on doit écarter ces deux perspectives d'anéantissement, soit dans l'absence totale de Droit soit dans le recouvrement par tout le Droit. Pour écarter les esprits chagrins qui ne voient aucun avenir à la Compliance et ne garder que ses ennemis dans l'espace de cet article, prenons comme conjecture que le Droit de la Compliance existera au XXIième siècle. Sous quelle forme et par quelles voies, dans la paume de quelles institutions, à l'ombre de quel système juridique ? Puisqu'il s'agit de se projeter sur l'écran noir de nos nuits de juristes rêveurs, ne prenons l'état actuel qu'en tant que film-annonce. Comme celui élaboré par le génie qui par Le mépris non seulement fît descendre dans les flammes de l'enfer le cinéma devenu industrie de consommation dont nous gavent les producteurs mais nous offrit la vision de son avenir. De quoi ce que nous voyons aujourd'hui est-il le film-annonce ? Nous avons laissé aller notre imagination puisque les films-annonces sont des oeuves autonomes par rapport au film qui les suit.
Nous n'avons pas idée de ce qui va advenir et ce que nous regardons des brèves et violentes images actuelles du Droit de la Compliance, dont le cinéma fait plutôt un héros du lanceur d'alerte
Tout dépendra de la conception que l'on retiendra du Droit de la Compliance. Parce que le scénario n'est pas écrit, parce que le Droit de la Compliance est un Droit politique, qu'il se définit par les ambitions que nous pouvons prétendre avoir en fixant des "buts monumentaux" que nous allons atteindre, prétention qui en fera une branche majeure du Droit de demain, ou bien nous pouvons abandonner toute prétention, baisser la tête et les bras, et récuser toute prétention. C'est alors que la puissance du Droit de la Compliance, qui n'en sera pas moins grande, se retournera contre nous, êtres humains, comme dans un cauchemar.
Mélanges Pierre Godé, ouvrage hors commerce, 2019.
Godé, P., Le Droit de l'avenir (Un Droit en devenir), 1999.
C'est notamment l'idée du mouvement d'analyse de Law & Literature qui pose qu'en racontant le passé d'une façon ou d'une autre, en l'inventant donc, le Droit, et notamment le Juge, invente le futur et se faisant l'écrit, le crée. Sur ce mouvement qui fût puissant aux Etats-Unis, v. Cabrillac, R. et Frison-Roche, M.-A., Droit et Littérature, à paraître.
V. infra I. Le Droit de la Compliance comme pieuvre cauchemardesque.
Sur le fait que la "responsabilité sociétale" permet de ne pas être juridiquement responsable, v. Supiot, A., Du nouveau au self-service normatif: la responsabilité sociale des entreprises, 2004 ; ce n'est pas le sujet du présent article et cette question ne sera pas développée ici.
V. par exemple, Remplacer la Régulation par la norme par la Régulation par la Donnée, 2020.
V. par exemple Frison-Roche, M.-A., Le Droit de la Compliance, 2016 (monographie) ; Le Droit de la Compliance, 2020 (ouvrage).
Sur ce que le cinéma fait du lanceur d'alerte, avec la mise à disposition des bandes-annonces et d'extraits des films, v. Frison-Roche, M.-A., l'introduction de l'article L'impossible unicité de la catégorie des lanceurs d'alerte, 2019.
Frison-Roche, M.-A., ... (retrouver sur LinkedIn).
28 mai 2020
Publications
Référence complète: Frison-Roche, M.-A., L'impossible unicité juridique de la catégorie des "lanceurs d'alertes", in Chacornac, J. (dir.), Lanceurs d'alertes, regards comparatistes, Publications du Centre français de droit comparé, mai 2020, Volume 21, p.13-31.
Lire la présentation générale de l'ouvrage dans lequel l'article a été publié.
Lire le document de travail bilingue ayant servi de base au présent article.
Consulter la présentation de la conférence, "Les lanceurs d'alertes : glose", notamment les slides, lors du colloque organisé par la Centre français du droit comparé le 23 novembre 2018 sous la direction de Jérôme Chacornac
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Introduction de l'article
"Les lanceurs d'alerte". Voilà bien une expression nouvelle. Qui remporte un plein succès. A peine entendue une fois, on l'entend partout...
Un thème non pas de cours ou de contrôle de connaissances, mais plutôt un sujet de conversation quotidienne. Car c'est chaque jour qu'on nous en parle, en termes plus ou moins gracieux. Par exemple le Président Donald Trump le 1ier octobre 2019 a déclaré à la presse "vouloir interroger" le lanceur d'alerte qui l'aurait illégitimement dénoncé et n'aurait pas, selon lui, le droit de dissimuler son identité, preuve en cela selon lui du caractère mensonger de ses affirmations à son encontre, tandis que l'avocat de celui-ci indique le 6 octobre 2019 qu'il ne parle pas au nom d'un seul lanceur d'alerte ainsi pris à partie mais d'une pluralité de personnes ayant donné des informations à l'encontre du Président des Etats-Unis. Même les scénaristes les plus imaginatifs n'auraient pas écrit des rebondissements aussi brutaux ni aussi rapides. Spectateurs, on attend le prochain épisode, espérant secrètement l'escalade.
Et justement si l'on va au cinéma, c'est encore d'un lanceur d'alerte dont on nous raconte le dévouement et le succès, voire le drame, au bénéfice de la société globale, et notamment de la démocratie, puisque les secrets sont combattus au bénéfice de la vérité. Ainsi, The Secret Man désigne Mark Felt comme le premier lanceur d'alerte. Revenant vers ce que l'on présente souvent comme étant un média plus "sérieux"!footnote-1391, l'on écoute France-Culture et voilà encore conté le récit d'une historienne ayant travaillé comme archiviste sur des événements que le pouvoir politique aurait voulu tenir cachés en détruisant éventuellement leurs traces mais que son métier conduisit à conserver : la voilà expressément présentée aux auditeurs studieux comme un "lanceur d'alerte" .... Tandis que la même radio tente de retrouver celui qui pourrait bien être, comme dans une sorte de concours le "premier des lanceurs d'alerte" !footnote-1727?.... Cette réécriture de l’Histoire peut se défendre car finalement que firent d'autre Voltaire pour Calas, ou Zola pour Dreyfus ?
C'est aussi un sujet de discussion législative puisqu'aux Etats-Unis la loi Dodd-Frank de 2010 a inséré dans la loi de 1934 qui instaura la Securities & Exchanges Commission un dispositif complet de rétribution et de rémunération des lanceurs d'alerte, tandis qu'après avoir élaboré en 2012 des lignes souples mais directrices à ce propos!footnote-1698, la Commission européenne a le 20 novembre 2018 publié le texte de ce qui deviendra une Directive ayant pour objet de donner un statut européen unifié au personnage, dans le dispositif progressivement élaboré pour protéger celui qui a été présenté en 2018 comme celui "ne peut pas être puni pour avoir fait ce qui est juste".
En Europe, la Directive tout d'abord approuvée par une Résolution du Parlement européen le 16 avril 2019 sur la protection des personnes dénonçant des infractions au Droit de l'Union puis adoptée le 7 octobre 2019 (Directive du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, intitulé différent on le notera, devra être transposée dans les deux prochaines années dans les législations des Etats-Membres. L'objet n'en est pas général, puisque seules les "violations du Droit de l'Union" sont visées mais le personnage du "lanceur d'alerte" quant à lui est plus globalement visé : il est "entier"!footnote-1699.
Bref, le lanceur d'alerte est une vedette!footnote-1390. Une sorte de personnage historique, couvert de coups et de gloire, allant de Voltaire à Snowden, l'un comme l'autre trouvant à s'incarner sur les écrans!footnote-1681 ....,
Consacré par la loi, qui lui associe un régime juridique de protection à tel point que, tel une tunique de Nessus, c'est ce régime juridique qui va définir le personnage et non l'inverse. Lorsqu'on lit la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite "Sapin 2", l'on remarque que le Législateur fait grand cas de ce personnage, puisqu'il lui consacre son chapitre II !footnote-1682 : "De la protection des lanceurs d'alerte", et que c'est par sa protection même qu'il lui ouvre formellement et à grands battants la porte du Droit.
Mais pourquoi un pluriel ? Certes quand on lit les considérants de la Directive communautaire du 7 octobre 2019 sur la protection des lanceurs d'alerte!footnote-1702, il ne s'agit que d'une énumération de tous les sujets à propos desquels il est une bonne idée de les protéger, ce qui incite donc à ne voir dans ce pluriel que l'indice de cette liste non limitative des sujets dont il est de bon aloi qu'on nous alerte, signe de l'absence de définition de qui doit nous alerte. La lecture de la loi française dite "Sapin 2" rend moins sévère mais plus perplexe. En effet, de cette pluralité visée par le titre du chapitre consacré aux "lanceurs d'alerte", il n'est plus question dans la suite de la loi, dans la définition même qui suit, l'article 6 qui ouvre ce chapitre consacré aux "lanceurs d'alerte" offrant au lecteur immédiatement un singulier puisqu'il débute ainsi : "Un!footnote-1684 lanceur d'alerte est une personne ...". Nulle mention de diversité. L'art de l'écriture législatif aurait pourtant même requis que l'article qualificatif ne soit pas seulement singulier mais qu'il ne soit pas encore indéfini. Stendhal s'il avait encore daigné avoir la Loi pour livre de chevet aurait voulu trouver comme début de chapitre une phrase comme : "Le!footnote-1683 lanceur d'alerte est une personne ...".
Ainsi semblent se contredire au sein de la loi "Sapin 2 le titre même qui présente le personnage, en ce qu'il utilise un pluriel défini (les) tandis que l'article de définition qui le présente est au singulier indéfini (un)....
Voilà une première raison pour ne plus avancer que d'une façon très prudente, dans ce "pas à pas" que constitue une lecture au mot à mot : une glose. Celle-ci consiste à prendre au pied de la lettre l'expression-même. La seconde raison de ce choix technique est que la glose convient bien à une introduction d'ouvrage collectif, permettant ainsi à des développements plus ciblés de prendre place dans d'autres contributions, sur les techniques, les difficultés et les limites de cette protection, ou sur l'historique de celle-ci, ou les raisons de la venue dans le Droit français de ces lanceurs d'alerte et la façon dont ils se développent, ou non, ailleurs.
Je vais donc me contenter de reprendre à la lettre cette expression déjà juridique : Les (I) lanceurs (II) d'alerte (III).