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Mise à jour : 27 mai 2019 (Rédaction initiale : 13 mai 2019 )

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Ce document de travail a été fait en premier lieu pour servir de support à la participation à la conférence  L'officier ministériel est-il soluble dans la blockchain ? , qui s'est tenu au "Club du Droit" , au Conseil supérieur du Notariat le 14 mai 2019.

Consulter la présentation générale de la conférence.

Puis sous une forme approfondie, il sert de base à l'article publié dans la Revue Defrénois.

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Introduction et résumé.

L'analyse technique de la confrontation entre l'outil que constitue la blockchain!footnote-1594 et les fonctions que doivent assurer les "officiers ministériels"!footnote-1542, doit permettre de déduire l'usage que les officiers ministériels ont vocation à faire des blockchains.

Pour cela, il est nécessaire de garder à l'esprit cette distinction si simple : la blockchain est un outil, une chose, un dispositif mécanique, un ensemble d'algorithmes, une mécanique renvoyant à des capacités mathématiques basées sur la maîtrise et le maniement des chiffres et des cryptages, tandis que l'officier ministériel est un être humain.

Cela renvoie à la distinction que le système juridique occidental, qu'il soit de Civil Law ou de Common Law, pose comme summa divisio : la distinction entre les êtres humains et les choses. Cette distinction première est formulée pour que l'on ne traite pas les êtres humains comme des choses, impossibilité produite puisqu'ils sont qualifiés de "personnes"!footnote-1584. Il ne s'agit pas d'une idée naturelle, car si l'occasion se présente nous serions bien enclins à traiter l'autre être humain comme une chose.  Cela serait à la fois si agréable et si efficace : la tendance en est naturelle à la fois à titre individuel (agrément) et pour le système (efficacité).

Mais le Droit, dans son premier principe qui oppose la "personne" et les "choses", rendant les choses disponibles à la personne et la personne indisponible, s'y oppose, afin d'empecher celui qui n'aurait les moyens d'être un loup pour l'autre. Locke a soutenu que c'est la ratio legis de la société. Cette raison de nature politique implique que cette distinction entre la personne et les choses demeure très claire. Aujourd'hui, l'on tente à tout instant de nous la faire oublier. 

Pour que cette distinction essentielle demeure effective, non seulement il ne faut pas que l'on imagine des êtres humains comme des choses (réduites à leur corps, par exemple, ou réduites à des actes mécaniques de consommation!footnote-1543), ainsi qu'est  notamment décrit et dénoncé par Alain Supiot dans ses ouvrages successifs!footnote-1582, mais il ne faut pas non plus que,  notamment par un vocabulaire imaginé, l'on représente des choses comme agissant comme des personnes, alors qu'il ne s'agit que d'outils.

Or la technologie nous représente de plus en plus des choses à formes et à réactions anthromophormiques, à travers des robots qui nous "parlent", des machines "intelligentes", des algorithmes qui "apprennent", etc. Le succès économique des promoteurs de machines, et autres robots à forme humaine, des solutions mécaniques présentées comme "intelligentes" repose sur l'oubli de la distinction de la personne et des choses. Nous pourrions alors acheter des machines qui nous aiment, qui nous apprennent, qui nous éduquent, qui soient nos maîtres. Ainsi l'aphorisme des promoteurs de ce que l'on appelle d'une façon imagée "l'intelligence artificielle", "The code is Law" (le code binaire de la formule mathétique est la loi, tout doit être automatique, la réglementation devant suivre sans troubler cette automaticité) aura balayé le précepte de Portalis : "Les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois". 

Il est certes possible d'effacer cettte distinction entre la personne et les choses de notre système de pensée, puisqu'il ne s'agit ni d'une distinction naturelle ni d'une distinction évidente. La difficulté est qu'elle est la base du Droit occidental!footnote-1583 et qu'il y a de fortes raisons de la conserver car c'est ce qui protége l'être humain faible contre l'injustice, ce qui lui permet de participer à l'ordre général et à l'organisation de la société, d'éviter un ordre construit sur un pur rapport de force, lequel ne peut que conduire à de la violence.

C'est cet arrière-plan là qui se joue dans l'insertion des blockchains et autres technologies, en ce qu'elles impliquent de concevoir d'une autre manière la façon dont les différentes professions doivent exercer aujourd'hui leurs fonctions. Si ces outils sont conformes à ces fonctions, voire les améliorent, les professionnels doivent les accueillir sans réserve, voire participer directement à leur développement. Si ces outils ne sont pas aptes à remplir certaines fonctions confiées à ces professionnels, et qu'il s'avère que ces fonctions sont nécessaires, voire essentiels, alors il faut a fortiori veiller à ce que, par inadvertance ou malignité, ces fonctions-là ne sont insérés dans une blockchain, dont la capacité de conservation et de fiabilité n'équivaut en rien à une capacité de penser. Une machine ne pense pas.

C'est pourquoi il faut partir des fonctions, en distinguer la fonction technique de conservation des actes,  la fonction technique de duplication des actes et la fonction d'élaboration des actes qui ne peut se réduire à cela (I).

Il apparaît qu'à supposer la fiabilité de conservation et duplication acquise, dès l'instant qu'il y a une part d'élaboration dans l'acte, une intervention humaine doit avoir lieu car une machine est inapte à effectuer les vérifications nécéssaire. L'on retrouve ici la distinction entre le negotium retranscrit, cette retranscription n'étant jamais mécanique, et l'instrumentum lui-même qui, scindé de ce qui l'a fait naître peut être soumis à des technologies duplicatives et de conservation à ce point efficaces que les notions d'original et de copie pourraient être remises en question en raison de la fiabilité de la blockchain (II).

Ainsi la blockchain est une technologie efficace sur les instrumentums comme actes scindés des negotiums , ce qui est une révolution profonde. Mais cette technologie ne peut en rien  garantir la correspondance entre le negotium et l'instrumental. La fiabilité ainsi apportée dans la conservation, la disponibilité et la duplication à l'infini des instrumentums, est non seulement extrêmement utile mais ne contredit en rien l'office des officiers ministériels. Cette fiabilité technologique justifie que les officiers ministériels l'intègrent et la favorisent. Mais la fonction de ceux-ci ne se limite pas à être des conservateurs et des duplicateurs. Nous ne passons pas du moine copiste à la blockchain. Leur principal office est de vérifier l'exactitude des mentions de l'instrumentum par rapport à la réalité du negotium.Cette assurance d'exactitude par rapport à la réalité est si précieuse dans une économie de marché !footnote-1585. L'officier ministériel le fait en tant qu'être humain, tandis qu'une machine ne peut ni vérifier cette correspondance, ni conseiller les parties - notamment pas la partie faible dans le negotium.  Or, le Droit a pour fonction de protéger les personnes. C'est une des raisons fondamentales pour laquelle il a opposé la "personne", toujours considérée dans sa singularité, et les choses, catégorie dont les machines doivent continuer de relever. C'est pourquoi l’État - qui n'a jamais ignoré l'efficacité des techniques de "décentralisation" - s'est décentralisé dans son office et son pouvoir via dans des officiers ministériels, afin qu'ils dressent d'une façon autonome des actes qui racontent ce qui s'est passé (instrumentum), l'acte correspondant à la réalité objective des transactions (leur objet) aussi bien qu'à leur réalité subjective (consentement). Si l'on choisit de ne plus confier cela à des êtres humains porteurs de cette fonction-là, pour laquelle une machine est inapte, cela serait un choix politique (III).

Cela serait le choix d'un marché très liquide et sans sécurité :sans intermédiaire, sans coût en ex ante, sans garantie, sans considération du long terme. Pourquoi pas. Cela produit des économies immédiates, comme le fait toute désintermédiation. Cela fut fait par le Droit américain, notamment pour les prêts immobiliers, recopiés par quiconque sans vérification, puis retranscrits et découpés des millions de fois dans des subprimes. Le réajustement entre ce qui est marqué sur le titre et ce qui est la réalité des choses s'opère sur le long terme, en ex post, par une crise, qui restaure les informations.  Elle arriva en 2008. Pour l'instant, ce choix politique n'est pas fait par le Droit européen, le souci de sécurité dans le lien d'exactitude entre les biens, les volontés, et les titres qui en parlent (éboration des actes) est préféré. Cela tient au fait que l'Europe a été le principal payeur de la crise financière née aux Etats-Unis et que l'Europe distingue l'aptitude humaine et l'aptitude mécanique. 

Une fois que cette distinction est clairement opérée, parce que l'élaboration d'un acte doit être faite par l'officier ministériel, être humain investi par l’État de la charge particulière d’assurer l'exactitude des mentions de l'acte avec la réalité des personnes, des volontés, des obligations et des biens, il est d'autant plus opportun que les officiers ministériels s'organisent pour développer la technologie des blockchains. En effet, une fois que cet acte élaboré d'une façon fiable, et méritant à ce titre d'être authentique, en raison du continuum entre élaboration, conservation et duplication, parce que c'est aux officiers ministériels d'élaborer les actes les plus incontestablement fiables, c'est à eux de se doter des moyens technologiques de les conserver et de dupliquer efficacement (IV). 

1

Sur les différents types de blockchains, publiques, privées, mixtes, et les différents standards en compétition, v. par ex. l'exposé qu'en fait Dominique Legeais, Blockchain et crypto-actifs : état des lieux, RTD. com, 2018, p.754 et s.

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Sur la confrontation déjà faite dans l'analyse économique de la "régulation" et la fonction notariale, v. Frison-Roche, M.-A., Le notariat, profession confortée par la loi dite "Macron" comme essentiellement fiduciaire, 2016. 

LE NOTARIA PROFESSION ESSENTIELLEMENT FIDUCIAIRE, IN "L'OUVERTURE À LA CONCURRENCE"

4

Anders, G., notamment dans son ouvrage central L'obsolescence de l'homme (1956)présentant l'être humain réduit à l'état de "machine désirante" par une société de pure et simple consommation. Le souci qu'il en a comme philosophe rejoint le souci qu'en avait Jacque Ellul, comme juriste, s'inquiétant de la "société technicienne" (...). Or, les machines correspondent aujourd'hui au dessin que ces auteurs du milieu du XXième siècle en faisaient. De la même façon, Alain Supiot rapporte à Kafka le souci du "machinisme" dans le fonctionnement des institutions humaines (....) ; il ne fait notamment dans son analyse de Kafka comme "artiste de la Loi" (2019).

5

Par exemple Supiot, A., La gouvernance par les nombres, 2015 ; Mondialisation ou globalisation ? Les leçons de Simone Weil, 2019 ; Le droit au XXIème siècle : droit, technique et écoumène (dernière leçon au Collège de France, 22 mai 2019).

Sur cette idée folle et dévastatrice qu'il faut faire davantage confiance aux machines qu'il ne faut faire confiance aux êtres humains, ce qui justifierait donc de "mécaniser" les autres humains, idée folle reprise le plus souvent par les auteurs avec entrain, v. par ex. Caprioli, E.A., La blockchain ou la confiance dans la technologie, JCP 2016. 672, n° 3. 

7

Frison-Roche, M.-A., L'acte authentique, acte de marché, 2010. 

27 mai 2019

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Ce document de travail sert de base à une conférence dans la Journée d'étude : "J'ai toujours été pour tout être". Guillaume Dustan ou l'infini des possibles", du 28 mai 2019.

Ecouter la conférence. 

Il est aussi référencé dans l'Emission qui lui est consacrée par France Culture le 15 février 2020

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J'ai toujours été pour Tout Etre. 

"Tout Etre", c'est un très bon plan. Personne ne l'a : ce plan est trop onéreux, trop aristocratique, trop dévastateur pour celui qui  le conçoit et le déroule. 

C'est pourtant ce qui fît William. Etre un homme accompli.

Le poser, le dire, le mener, suppose des qualités consubstantielles qui se cumulent, qui sont immédiatement acquises, visibles, constantes. Elles font se diriger toutes les flèches contre l'impudent. Depuis le départ et jusqu'à la fin. L'essentiel, la beauté, la prouesse d'un tel plan tiennent en ce qu'aucune de ces qualités ne se contredisent, ne s'affaiblissent les unes les autres, alors qu'on les met usuellement soit en choix exclusif soit en balance.

Que le corbeau, cher à Guillaume d'Occam, puisse être effectivement pleinement noir et encore être aussi pleinement blanc, en même temps, et pour autant n'en jamais devenir gris. Sinon la vie ne serait plus que grisaille, gribouillage et improvision. Il fallait que jamais la pureté du blanc ne vienne assombrir la pureté du noir. Tout noir et tout blanc, pleinement. Pour William faire différemment aurait été gâcher ses talents. Qui étaient si grands. Dès le départ, quand il était tout petit. Et jusqu'à la fin. Si douloureuse.

Cela fût un plan bien conçu, bien mené. Très réussi. Nous parlions souvent ensemble du dialogue de Platon, Le Philèbe , dans lequel celui-ci récuse le "mixte" pour louer la beauté du geste pur, du plaisir pur, ceux qui sont liés à l'inattendu et à la pureté de l'âme. Tout ce que les mécanismes d'intérêt, de calcul et d'opportunisme détruisent. Parce que William "a toujours été" du côté de la pureté, c'est-à-dire de l'absence de calcul, il ne pouvait y avoir de place pour le gris, ce mixte par exemple. L'âme de William était si pure.

Ainsi, Guillaume Dustan ne gâcha pas William Baranès. L'intensité de la couleur de l'un laissa intacte la pureté de la couleur de l'autre. Car " Tout Etre" demande avant tout de ne pas transiger, ni avec autrui ni avec soi.

Etre du côté du Tout, puisque William a "toujours été pour Tout Etre", cela ne laisse pas la place à grand chose, pas même pour la respiration. L'on comprend  qu'à un moment le souffle lui ait manqué. Et là personne n'est venu puisque Tout Etre c'est prétendre se suffire. 

Car qui réussit à " Tout Etre" ? 

Cest-à-dire à Etre totalement Tout d'une façon substantiellement ontologique et contradictoire, si cela n'est le Christ ? 

Celui-ci affirma être à la fois totalement Dieu et totalement homme.  Il est vrai que ce personnage ne plût pas à tout le monde et qu'il fût crucifié à la grande joie de beaucoup et grâce à la souplesse du Tribunal dont il relevait de jure, l'eau étant disponible en abondance  pour effacer toutes traces sur les mains de ceux qui auraient eu à perdre s'ils avaient exercé leurs responsabilités, le reste s'efffaçant dans l'indifférence .

"Tout Etre" c'est affronter dès le départ la perspective possible de cela. Avec la douleur par avance du spectacle non pas de ceux qui vous crucifient, non pas de ceux qui vous jettent des pierres sur le chemin, mais de tous ceux qui n'en ont rien à faire alors que l'ascèce de cette vie Totale fût conçue et menée pour eux. La dimension christique de la vie de William Baranès est tangible par cette complétude qu'il attînt en étant tout aussi  pleinement Guillaume Dustan. Quand le calvaire commença pour cette personne entière, littérallement entière, personne ne bougea. 

Un plan de cette ambition, Tout Etre, tout de suite et pour toujours l'on le retrouve chez Napoléon, qui fût  lui aussi tout de suite Tout  et qui ne trouva quelque repos qu'à Sainte-Hélène. Car il faut des îles pour contenir des personnages si grands : en les entourant d'eau, on peut tenter de les sauver d'eux-mêmes. D'ailleurs William partit dans des îles pour y exercer son office de juge.

Il pensait peut-être que l'eau pourrait éteindre le feu. Mais dans la maison qui brûlait, quand il fallut ne sauver qu'une chose, il fît comme répondît Cocteau : il ne sauva que le feu. Cocteau ne disait cela que pour faire de l'esprit, allant quant à lui de fête en fête, alors que William se consuma pour ne garder que le plus précieux des précieux pour qui ne veut que le Tout : garder la flamme. Comme une vestale. William était un classique.

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 je ne saurais dire quelle place avait l'amitié et encore moins l'exercice du Droit pour Guillaume Dustan, mais je crois pouvoir dire celle qu'ils occupaient pour William.

Là encore, cela serait méconnaître qui était William de monter l'un contre l'autre, d'opposer l'ami et le juriste, comme si l'on devait décrire un personnage privé, celui qui fut l'ami par exemple, et un personnage public de la fonction publique, juge administratif, auteur d'écrits de Droit ou de réflexion sur le Droit.

En effet, lorsque nous discutions ensemble en soliloque partagé, le Droit avait une grande place. Nous n'étions qu'étudiants lorsque nous avons commencé à parler du Droit et de l'Injustice, ce qui nous permit plus tard, devenant plus grands en âge, de rédiger des écrits, de diriger des ouvrages et d'organiser des manifestations sur la Justice et sur le Droit.

Des descriptions de lui semblent présenter son "côté juriste" comme un élément annexe,ou paradoxal, ou un paravent, ou un pis-aller (il faut bien trouver une source de revenus...., être fonctionnaire....). C'est lui faire injure. Celui qui pose "Tout Etre" ne saurait perdre du temps avec des à-côtés, s'affaiblir avec des besognes sans intérêt ou sans rapport avec son plan. Dans son plan, la Justice et le Droit ont une grande place.

Prenons un autre auteur qui, avant que Guillaume Dustan ne l'exprime à son tour et à sa manière, avait réfléchi sur la façon dont la société broye les êtres humains, ce que l'on pourrait désigner comme l'injustice du monde, Kafka. Alain Supiot, professeur de droit, a montré dans sa leçon inaugurale au Collège de France en 2012 et dans un article paru récemment dans le Nouveau Magazine Littéraire sur "Kafka, artiste de la Loi", que Kafka était juriste pour une compagnie d'assurance, vérifiant la réalité des accidents du travail et que cela marqua profondément son oeuvre, que l'on dit romanesque. Il faut avoir étudié, dossier après dossier, les bras et les jambes brisés par les machines aveugles et qui ne s'arrêtent pas tandis que le sang coule et que le corps se révulse, pour écrire ensuite Le procès ou La colonie pénitentaire....

Pour William, cela fût la même démarche. A l'envers. Ayant vu enfant la famille et la société broyer les êtres humains innocents, il choisit de devenir juriste, de connaître le Droit, de parler du Droit et de le pratiquer. Non pas parce qu'il faut bien choisir un métier et que l'ENA mènerait à tout. Non. Parce que l'injustice qui fût pour lui comme un bain d'acide dans lequel il trempa, ce qui donne de l'acuité, puis vit chacun y couler, il décida de le décrire, et sans doute Guillaume le fît aussi totalement, mais il décida également de la combattre. Dans le Tout, il y a l'action.

Nous n'avons à nous résigner de rien. Surtout pas si nous sommes des personnes entières. L'injustice, on la repère par l'expérience. Comme le dit Ricoeur, l'injustice est un fait qui rend "perspicace" et nous évite de perdre des forces et du temps à chercher le point exact de ce qui pourrait être le "juste". Puis, nous devons le dire, car "dire l'injustice", c'est déjà faire quelque chose en faveur de celui qui en est victime (Arendt: dire, c'est déjà agir pour autrui). C'est pourquoi William fît de nombreux travaux de philosophie de la justice en tant que celle-ci est nouée par un souci pour autrui, constitue donc un lien avec celui-ci, c'est-à-dire constitue l'amitié (I).

Plus concrètement encore, William choisit d'être juge, non pas par dépit et mauvais classement de sortie à l'ENA du fait de notes de stage catastrophiques - il est vrai que faire des leçons de morale à ceux qui notent se paye -, mais parce qu'être juge représentait pour lui la concrétisation de la justice au bénéfice de tout un chacun (II).

Si William était juriste, et pleinement, c'était par amitié pour le genre humain, pour aider autrui, celui qui était plus mal loti que lui (III). Voilà le bénéfice d'une vision totale du monde : l'on trouve toujours encore plus malheureux que soi. Et William mena même l'exploit de trouver plus malheureux que lui : Autrui.

Mise à jour : 3 mai 2019 (Rédaction initiale : 7 février 2019 )

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Ce document de travail sert de base à un article paru par la suite au Recueil Dalloz.

Par rapport à celui-ci, il est doté de notes, de références, de liens ; il est écrit en français et en anglais. 

 

Résumé :Le Droit de la Compliance est souvent présenté comme des procédures vides et mécaniques, dans laquelle les êtres humains n'ont pas d'importance. C'est bien l'inverse et cela justifie qu'il lutte contre la technique juridique de la personnalité.. En effet en tant qu'il est un Droit de l'information et même dans sa fonction de prévention des risques systémiques et de protection des marchés, le Droit de la Compliance pose l'exigence de connaître "véritablement" la personne qui est "pertinente" pour le but fixé, par exemple la lutte contre la corruption ou le blanchiment d'argent, érigeant en principe ce que les Droits classiques des sociétés ou de la concurrence avaient admis par endroit. Dans une conception plus européenne, le Droit de la Compliance en tant qu'il est un droit de protection vise à protéger au-delà des personnes les êtres humains, de près ou de loin, véritables bénéficiaires finaux de cette nouvelle branche du Droit. 

Mise à jour : 3 mai 2019 (Rédaction initiale : 24 août 2018 )

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Référence générale : Frison-Roche, M.-A., Game of Thrones, un Droit si classique. Pour l'instant, Document de travail, 2018, http://mafr.fr/fr/article/game-of-thrones-un-droit-si-classique/

 

Ce document de travail a été rédigé pour servir de base à l'article paru dans l'ouvrage Du droit dans Game of Thrones.

Résumé. Dans cette série emplie de surprises grandioses, de personnages épiques, de retournements, et ce d’autant plus qu’elle se mit à courir plus vite que le livre dont elle naquit, on semble ne trouver que ce que l'on connaît déjà du Droit : il suffirait de soulever les déguisements, comme on le fait dans une fable. On y retrouve alors les règles juridiques classiques (I), la reproduction en décalque de l'organisation juridique féodale (II), parfois contestée au nom de principes exogènes (III). Mais il est remarquable que la série ne soit pas encore finie. Or, ce qui va arriver ne renvoie-t-il pas à des problématiques juridiques que nous ne maîtrisons pas nous-mêmes ? Saison inconnue au sens plein du terme, terrain juridique glacé et  sol incertain d’un Droit qui prendrait la forme des "sans-visages" et des "morts qui marchent" ? (IV).

 

Lire les développements ci-dessous. 

19 février 2019

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9 février 2019

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► Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Pour une conception humaniste du Droit des affaires et de son enseignement,  document de travail, février 2019

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📝ce document de travail a été élaboré pour servir de base à un article publié un an et demie après sa remise, en novembre 2020  dans les  📘

 

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Alain Couret est un grand professeur de Droit et un très bon technicien de celui-ci. On se surprend soi-même non seulement à devoir souligner cette maîtrise technique insérée dans l'activité d'enseignement mais à prévenir qu'il s'agit d'une grande qualité.  Cette maîtrise technique et l'aptitude à transmettre le savoir juridique par la compréhension de ses principes de base, n'est-ce pas le métier même de professeur ? Si chacun l'admet, alors désigner ainsi Alain relèverait du pléonasme...

Mais l'on entend souvent aujourd'hui que l'art juridique ne serait plus qu'un art de tordre les textes et les mots dans tous les sens, que ceux-ci s'y prêteraient, voire qu'ils seraient faits pour cela, qu'il faudrait apprendre avant tout à argumenter et à contredire si habilement que le tiers spectateur, qu'il soit juge, auditoire ou opinion publique, sera persuadé à la fin que, dans le cas particulier auquel la discussion est cantonné, l'intérêt défendu est bien le meilleur, que c'est bien celui-ci qu'il faut protéger et non pas celui de l'adversaire, qu'il faut rendre effectif cet intérêt singulier-là. Quitte à penser différemment dans le cas suivant. D'ailleurs, il sera possible par la suite de soutenir une autre cause, puisque les situations ne sont jamais semblables. Dans cette façon de faire, connaître techniquement le Droit et ses principes de base apparaît secondaire. La technique ? Cela serait les machines qui s'en chargeront. Les principes ? Ils seraient à éviter, parce que cela ne servira à rien : à chaque cas sa solution.

Par ses enseignements et ses écrits, Alain Couret exprime le contraire : le Droit des affaires n'est pas réductible à un amas réglementaire, repose sur des principes qui reflètent la conception que l'on se fait de la place des êtres humains dans les échanges, dans l'entreprise, dans l'organisation marchande. Enseigner le Droit des affaires, c'est transmettre ces principes. C'est aussi les discuter. Ecrire, dans une continuité avec l'enseignement, c'est au besoin inventer d'autres principes, tandis que les machines continuent de stocker par milliers les dispositions techniques posées là, chacune équivalente à une autre. Enseigner des principes, seuls les êtres humains sont aptes et soucieux de le faire, à l'exemple d'Alain Couret. Si on l'oublie, alors les professeurs étant devenus des répétiteurs, les machines répéteront bien mieux qu'eux par un débit infatigable les "paquets réglementaires". Mais inventer de nouveaux principes, seuls les êtres humains ont souci à le faire, à travers des idées. Lorsqu'un auteur prit  l'image d'algorithmes qui "rêvent", c'était pour mieux poser qu'ils ne le font pas!footnote-1485, tandis que Lévi-Strauss définissait l'enseignement comme le fait pour une personne particulière de rêver tout haut. 

Et le Droit des affaires, n'est-à-ce pas d'imagination et d'humanisme dont il a besoin, plus que jamais, puisque l'intimité des affaires et de la technologie mécanise les êtres humains ? , à travers des personnalités comme celle d'Alain Couret, alors même que nous allons toujours plus vers un pointillisme et une déshumanisation, à laquelle sa conception réglementaire participe ? 

8 janvier 2019

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Ce document de travail sert de base à une conférence faite à Nice le 4 février 2020.

Se reporter à la présentation de la conférence, notamment aux slides qui sont le support de sa présentation.

Le document de travail est aussi le sous-jacent de l'article à paraître dans l'ouvrage Les outils de la Compliance. 

 

Résumé du document de travail. L'on souligne si souvent le lien entre le Droit et l'Histoire, entre le Droit et la Société, mais assez peu entre le Droit et la Géographie. Braudel n'a pas assez d'émule en la matière. Pourtant Pascal affirmait comme un constat que les règles de droit ne sont pas les mêmes en-deça et au-delà des pyrénées. Montesquieu dans la nouvelle formulation qu'il propose de la Théorie des climats, donne à l'observation des variété des systèmes et leur corrélation avec la géographie un tour plus normatif. Les êtres humains seraient différents suivant les régions et par l'effet du temps une différence de nature apparaît qui implique qu'on ne doive pas concevoir la même règle suivant les zones du monde. L'on évoque souvent Montesquieu et la bonne idée de revenir à ces conseils en matière d'art de concevoir les lois. Pourquoi ne pas le reprendre celui-là en matière de Droit de la Compliance, puisque les climats y sont si différents ? D'autant plus si l'on reprend plus littéralement la référence au "climat", aux différents climats et on a en tête le lien désormais très fort entre le Droit et les politiques de l'Environnement d'une part et les outils du Droit de la Compliance d'autre part (comme ladite "finance verte").

 Si on doit le faire avec précaution, on peut déjà le faire comme exercice, ne serait-ce que pour éprouver la façon dont on conçoit et applique les outils de la Compliance sans jamais penser aux différences de latitude, qui ne font ni chaud ni froid aux intelligences artificielles. 

C'est certainement avec grande prudence qu'il convient d'avancer mais en exprimanplus de considération pour les rapports essentiels entre Droit, Compliance et Géographie, et non pas seulement un simple indicateur qui vient in fine dans la cartographie des risques et dans les programmes de compliance, Si l'on y prête attention, alors cela permet d'éviter deux écueils (I). Le premier est celui d'éviter de donne toute la place à des outils qui n'intègrent en rien cette dimension géographique, par la réduction de ce qu'est la Compliance elle-même. Ce risque de donner trop peu d'importance à la dimension géographique dans la conception et l'usagedes outils de la Compliance (A) peut prendre trois formes.  En effet si l'on réduit la Compliance à n'être qu'une "procédure" visant à s'assurer mécaniquement de sa "conformité" à la "réglementation" (1), alors cette définition littéralement vide de sens peut s'appliquer partout et à tout le monde. Mais le Droit de la Compliance n'est-il que cela ? C'est notamment méconnaitre son caractère normativement téléologique. La deuxième exclusion de la pertinence géographique, qui signe pareillement une vision pauvre de la Compliance, consiste à confier toute la mécanique de la Compliance à des plateformes et des algorithmes, par lesquelles des machines se "parlent" et "élaborent des normes (2). Si la Compliance n'est que captation, stockage et corrélation de données, cela est concevable. Mais le "terrain" où les signaux faibles sont perçus, mémorisés, où les normes sont "intériorisés, montrent que cela varie selon les zones. A ce titre, l'idée de "régulation par les data", promue par de nombreux régulations mérite plus de prudence car l'information ne fait pas la décision à elle-seule, le Droit de la Compliance demeurant de l'Ex Ante avec des organismes qui décident pour le futur. De la même façon, le Droit de la Compliance se concrétise dans des entreprises, soit toutes (corruption, sécurité des travailleurs), soit celles de certains secteurs (banques pour le blanchiment d'argent) ou d'une certaine taille (vigilance). Lorsqu'il est posé que les normes de Compliance, concrétisé par les contrôles internes, sont les mêmes pour l'ensemble des implantations de l'entreprise dite "globale" (3), n'est-ce pas une vision un peu passée de l'entreprise ? Alors qu'on remet en cause l'Etat, parce que trop hiérarchique, voilà le board de l'entreprise qui impose parfois via son pouvoir réglementaire privé la même norme, fixée sur l'Occident..... Mais une fois alerté sur ce premier type d'écueils, c'est pour mieux se garder d'un autre type d'écueils. Il est l'inverse. En effet, il faut se garder de donner trop d'importance à la dimension géographique dans la conception et l'usage que l'on a des outils de la Compliance (B).  Il ne convient pas en effet de dresser des frontières entre les systèmes de Compliance, puisque la Compliance a donné lieu à un Droit nouveau, lié fortement au phénomène dit de la "mondialisation" (1). Or, non seulement l'on observe la permanence de ces frontières, sur lesquels les systèmes internationaux de règlement buttent, mais l'on constate que le Droit de la Compliance permet la construction de nouveaux murs, contre lesquels l'on ne pourrait rien. Tandis qu'il y a une guerre entre des Compliances locales exportées, dont celle des Etats-Unis est la plus voyante parce que sa voix porte le plus, mais c'est avant tout une défaite du Droit, à propos de laquelle l'on a tendance à confondre la partie et le tout (2). 

Une fois que l'on a tenté de retrouver un peu ses esprits, il convient de classer car les techniques de Compliance, dès l'instant qu'on les veut substantielles, c'est-à-dire construites sur les buts que leur puissance peuvent effectivement atteindre, ont un champ d'action immense ce qui fait qu'on doit à la fois en dégager des règles générales mais concrètes. Pour trouver le juste rapport entre Droit de la Compliance et Géographie (II), l'on peut proposer un tryptique.  En premier lieu, il existe sans doute ce qui relève de l'information technique et des méthodes de conservation, là où l'on peut accéler en passant des stades de développement et passer directement vers des techniques de détection, sans se soucier de conserver dans le local qui y figurer car cela n'est pas utile (A). Puis en s'attachant à la normativité de la Compliance, c'est-à-dire aux différents buts poursuivis, il s'avère que certains sont certes objectivement ancrés dans la géographie d'une zone, laquelle trouve particulièrement sa pertinence en matière d'environnement, mais ont des effets qui passent les pyrénées chères à Pascal, ce qui justifie des exigences de Compliance, comme le montra le cas de l'Amazonie (B). Plus encore, si l'on met quelque espoir dans le Droit de la Compliance et que le but monumental poursuivi par celui-ci est de nature politique et non pas seulement technique, la Compliance étant ce qui soutient et non ce qui se substitue au Politique, il faut alors assumer la Responsabilité Ex Ante portée par la Compliance à travers la notion de Vigilance. Cela est en train de prendre place. Ce qui est encore à concevoir est d'améliorier la définition même de ce que sont les outils de Compliance, trop abrupts, trop violents. En cela, ils doivent être conçus non comme une violence - si légitime soit-elle, mais comme un "chemin", ce que les textes de "transition" énergétique nous montrent. L'entreprise devient alors le superviseur des autres pour les amener d'un état à un autre (C). Le Droit comme "chemin" et non comme prescription, c'est le Droit kanak qui nous en montre l'exemple. 

2 janvier 2019

Publications

 Référence complète : M.-A. Frison-Roche,  Un droit substantiel de la Compliance, appuyé sur la tradition humaniste de l'Europe, document de travail, janvier 2019.

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 Ce document de travail sert de base à un article qui a été publié dans l'ouvrage collectif Pour une Europe de la Compliance, dans la collection Régulation & Compliance.

 

Résumé du document de travail : L'on présente souvent la Compliance comme un ensemble lourd, coûteux et incompréhensible de process, ensemble vide de sens, tandis que l'on ressent l'Europe comme un projet dont l'achèvement serait sans espoir ; alors mêler les deux ... Et pourtant ! Pour que Compliance et Europe s'adossent l'une à l'autre dans une construction commune, il faut tout d'abord que l'Europe cesse d'être "en défense" n'appréhendant la Compliance que d'une façon "réactive", ne mettant son talent au mieux que pour la recopier au pire que pour la rejeter (I). L'Europe a d'autant plus de mal à faire autre chose que le Droit de la Compliance étant le prolongement du Droit de la Régulation, c'est secteur par secteur, but particulier par but particulier que le Droit de la Compliance lui apparaît, la seule unité étant la forme, procédure Ex Ante des obligations structurelles ou procédure Ex Post des sanctions. Dans ce vide de sens d'une Compliance qui ne serait qu'une méthode et rien de plus, l'Europe n'est alors qu'un réceptacle récalcitrant....

Mais si l'on voit au-delà des secteurs, comme y invite le Droit européen des données désormais fortement constitué sur le Droit de la Compliance pour protéger les données sensibles sans méconnaître le principe de circulation des données, données sensibles dont les données personnelles ne sont qu'une variété, l'on mesure que la référence au secteur s'efface. Un Droit substantiel de la Compliance peut alors se construire au regard des impératifs européens qui ont toujours été la protection de la personne (II). Se détachant de la régulation sectorielle, il apparaît alors plusieurs buts de compliance, appelant plusieurs formes de contrainte et plusieurs portées des mécanismes de Compliance.

Si le but est la prévention de risque de catastrophes systémiques, comme le sont les défaillances bancaires, l'éclatement des bulles financières, la mise en circulation d'informations inexactes dévastatrices ou le développement de maladies contagieuses, alors le Droit de la Compliance doit se constituer sans frontière, le coeur en est la gestion des informations, leur recueil et leur transmission à ceux qui les manient au mieux au regard des risques car la protection du système global le requiert et l'Europe y prend sa part. Mais dans les autres cas, la protection de la personne ne requiert pas cela car elle ne croise pas l'hypothèse de contamination de système. Or, l'Europe a inventé la notion juridique de "personne", idée qui recouvre tout être humain, sa vie, sa liberté et ses secrets. L'action immédiate et la transparence n'y sont plus requises de la même façon. Il convient alors, comme l'a fait le Droit européen à propos des données, d'organiser à la fois la circulation et la garde des secrets, en déterminant celui qui est le mieux placé pour le faire.

Le Droit de la Compliance pose que c'est toujours l'entreprise qui est la mieux placée pour le faire,  mais soit pour ne pas utiliser l'information, soit pour transmettre l'information suivant les buts du Droit de la Compliance, soit sans interférence de l'Etat soit sous la tutelle de l'Etat et c'est toujours l'Autorité publique qui formule les buts. Plus encore, l'Europe peut prétendre qu'un marché n'est un espace vivable que s'il met en son centre l'être humain, qui n'est pas qu'un outil, cette conception humaniste permettant d'exiger des autres le respect de normes à propos desquelles l'Europe est exemplaire à travers ses entreprises et peut prétendre l'exiger à propos des entreprises qui entrent sur son espace, soit directement, soit à travers leurs produits. 

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Lire ci-dessous le document de travail développé

 

 

8 novembre 2018

Publications

Ce document de travail a été établi pour servir de base à une intervention dans le cadre d'une audition du 9 novembre 2018 devant une mission menée au Ministère de la Justice sur l'avenir des opérateurs de ventes volontaires

4 octobre 2018

Publications

Ce document de travail a servi  de base à une intervention dans la conférence qui se tient au Collège de France.

Lire la présentation de la conférence

Sous une forme approfondie, il sert de base à une contribution dans l'ouvrage Pour l'Europe de la Compliance. 

 

1 octobre 2018

Publications

 Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Droit de la Concurrence et Droit de la Compliance, document de travail, octobre 2018.

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 Ce document de travail a servi de base à un article paru ultérieurement la Revue Concurrences  ; lire la présentation de cet article

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 Résumé et introduction : Le Droit de la Compliance est une branche du Droit nouvelle, encore en construction. L'on peut en avoir une "définition restreinte, consistant à la concevoir comme l'obligation qu'ont les entreprises de donner à voir qu'elles se conforment en permanence et d'une façon active au Droit. L'on peut en avoir une définition plus riche, de nature substantielle, la définissant comme l'obligation ou la volonté propre qu'ont certaines entreprises de concrétiser des "buts monumentaux" dépassant la seule performance économique et financière. Le Droit de la concurrence intègre en partie ses deux conceptions de la Compliance. Précurseur , le Droit de la concurrence concrétise avec dynamisme la première conception du Droit de la Compliance  (I). C'est avec davantage de difficultés mais aussi beaucoup plus d'avenir que le Droit de la Concurrence peut exprimer en dialectique la seconde conception du Droit de la Compliance comme internationalisation de "buts monumentaux", notamment dans l'espace numérique (II). 

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Lire  ci-dessous les développements du document du travail

Mise à jour : 8 septembre 2018 (Rédaction initiale : 30 avril 2018 )

Publications

   Ce document de travail avait vocation à servir de support à une conférence dans le colloque Droit & Ethique du 31 mai 2018 dans un colloque organisé par la Cour de cassation et l'Association française de philosophie du Droit sur le thème général Droit & Ethique

Voir une présentation de la conférence

Il a plutôt servi de support à l'article paru dans les Archives de Philosophie du Droit (APD).

 

   Résumé : C'est par le Droit que l'être humain a acquis en Occident une unité (I). Ce que la Religion avait pu faire, le Droit l'a également fait en posant sur chaque être humain la notion indétachable de lui de "personne"(I.A). Mais c'est cela qui est remis en cause aujourd'hui, non pas la personnalité et le pouvoir que l'être humain a d'exprimer sa liberté mais l'unité que cela implique dans la disposition que l'on a de soi en repoussant le désir qu'autrui a toujours eu de disposer de nous. Le Droit actuel tend en effet à "pulvériser" les êtres humains en données et à transformer en prestations juridiques neutres ce qui était considéré comme de la dévoration d'autrui. La notion juridique de "consentement", cessant d'être une preuve d'une volonté libre mais devenue une notion autonome, y suffirait (I.B.).

Pour empêcher que ne règne plus que la "loi des désirs", laquelle ne fait que traduire l'ajustement des forces, il faut requérir ici et maintenant  la souveraineté éthique du Droit, parce que le Droit ne peut pas être qu'une technique d'ajustement des intérêts (II). L'on peut former cette requête si l'on ne veut pas vivre dans un univers a-moral (II.A), si l'on constate que l'unité de la personne est l'invention juridique qui protège l'être humain faible (II.B.). Si on en admet l'impératif, il faut alors se demander enfin qui en Droit va l'exprimer et l'imposer, notamment de la Loi, ou du Juge, car nous semblons avoir perdu la capacité de rappeler ce principe de la Personne sur laquelle l'Occident fut si centré. Or, les principes qui ne sont plus dits disparaissent. Il ne resterait plus alors que l'ajustement au cas par cas des intérêts entre êtres humains dans le champ mondial des forces particulières. A cette aune, le Droit ne serait plus qu'une technique de sécurisation des ajustements particuliers. Réduit à cela, Le Droit aurait perdu son lien avec l'Ethique.   (II.C).

 

Lire ci-dessous les développements.

Mise à jour : 1 septembre 2018 (Rédaction initiale : 10 mai 2018 )

Publications

Ce document de travail a servi de base à un article pour l'ouvrage Compliance : Entreprise, Régulateur, Juge. , publié ultérieurement en mai 2018 dans la Série Régulations des Éditions Dalloz.

Voir les autres ouvrages publiés dans cette collection, dirigée par Marie-Anne Frison-Roche.

 

RÉSUMÉ : L'Entreprise, le Régulateur et le Juge sont trois personnages capitaux pour la construction d'un Droit de la compliance qui émerge. Un risque important tient dans une confusion de leur rôle respectif, l'entreprise devenant régulateur, le régulateur devenant conseil d'une place qui va à la conquête des autres, le juge se tenant en retrait. Il convient que chacun tienne son rôle et que leur fonction respective ne soit pas dénaturée. Si cette confusion est évitée, alors les points de contact peuvent se multiplier et on l'observe. Mais dès l'instant que chacun reste à sa place, l'on peut aller plus loin que ces points de contacts et s'ils en étaient d'accord, les trois personnages peuvent tendre vers des buts communs. Cela est d'autant plus légitime que le Droit de la Compliance, comme le Droit de la Régulation est de nature téléologique, ce qui rend ces branches du Droit profondément politiques. Ces buts communs sont techniques, comme la prévention des risques. Ils peuvent être plus politiques et plus hauts, s'il y a une volonté partagée, sans jamais l'un des personnages se fonde dans un autre : il s'agit alors de se soucier avant de l'être humain. La désignation de ce but commun à l'Entreprise, au Régulateur et au Juge peut s'exprimer par un mot : l'Europe.

2 août 2018

Publications

 Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Oui au principe de la volonté, Non aux consentements purs, document de travail pour une contribution aux Mélanges dédiés à Pierre Godé, 2018, accessible à http://mafr.fr/fr/article/oui-au-principe-de-la-volonte-non-aux-consentement/

Les Mélanges Pierre Godé, dont Marie-Anne Frison-Roche est l'éditeur au sens britannique du terme, ont été publiés hors-commerce par LVMH en exemplaires limités, numérotés et illustrés. 

Quelques exemplaires sont disponibles dans des salles de travail d'Université qui ont rendues destinataires de l'ouvrage. 

 

 Résumé : Pierre Godé a consacré sa thèse à défendre la liberté de l'être humain, liberté que la personne exerce en manifestant sa volonté. Cette volonté se manifeste, même tacitement, par cette trace que constitue le "consentement". Dans une société politique et économique libérale, c'est-à-dire fondée sur le principe de la volonté de la personne, le consentement doit toujours être défini comme la manifestation de la volonté, ce lien entre le consentement et la volonté étant insécable (I). Mais par une perversion du libéralisme le "consentement" est devenu un objet autonome de la liberté de la personne, consentement mécanique qui a permis de transformer les êtres humains en machines, machines à désirer et machines à être désirées, dans un univers de "consentements purs", où nous ne cessons de cliquer, consentant à tout sans plus jamais vouloir. Ce consentement qui a été scindé de la volonté libre de la personne est le socle et d'un marché de l'Humain et des démocraties illibérales, menaces contre les êtres humains (II). L'avenir du Droit, auquel croyait Pierre Godé, est de continuer à ambitionner de protéger l'être humain et, sans contrer la volonté libre de celui-ci comme avait été tenté de le faire le mouvement du Droit de la consommation, de renouer avec un mouvement libéral du Droit et de lutter contre ces systèmes de consentements purs (III).

Et s'il me plaît à moi, d'être battue ?

Le Médecin malgré lui, Molière, acte I

 

🔻Lire l'article ci-dessous 

2 août 2018

Publications

L’on présente la situation de GPA en disant souvent qu’elle est « complexe », ce qui implique mille réflexions avant d’avoir une opinion nette, voire que cela exclut d’en avoir une. La position adéquate serait bien plutôt de dessiner de multiples solutions : parce qu’il y aurait tant de cas possibles, mille cas possibles, allant de la plus horrible des situations à la plus admirable, ce qui doit impliquer mille solutions adaptées à chaque cas, de l’exclusion horrifiée dans certains cas à l’admission enthousiaste dans d’autres. Mais de position de principe, non, cela serait tout à la fois impossible, car réducteur de la réalité humaine et inadéquat, car cette réalité serait si « complexe ».

Cette complexité ne serait comprise que par quelques experts qui diront ce que l’opinion publique doit penser, experts qui raconteront les cas qu’ils connaissent dans leur diversité, puisque la GPA relève de leur domaine d’expertise. Ainsi la GPA serait une question d’expertise, dont nous ne devrions pas avoir souci en ce que cela ne concerne que quelques milliers de cas, qui ne peut être véritablement comprise que de professionnels en médecine ou en droit de la famille, et qui doit recevoir des centaines de solutions adaptées à chaque cas, solutions élaborées par ces experts.

Cela est faux. La situation de GPA est simple. Et la position qu’elle appelle est également simple. Il faut faire un choix : dire Oui à la GPA ou dire Non à la GPA. C’est non seulement aisé à faire mais c’est pour nous un devoir de le faire car à travers ce cas qui paraît si particulier de la GPA c’est un choix de société qui s’opère et dont les citoyens ne peuvent être exclus, puisqu’il s’agit de déterminer quelle est la place de l’être humain dans l’organisation économique et sociale.

La réponse positive, qui conduit à admettre la pratique de la GPA, comme la réponse négative, qui conduit à exclure cette pratique, peuvent être formulées. Les deux réponses peuvent être étayés sur des arguments forts.  Il est essentiel de ne pas les craindre. Mais il est aujourd’hui crucial de faire ce choix collectif clairement car à travers cette question qui paraît particulière et circonscrite de la GPA, c’est un choix de société qui est fait aujourd’hui et maintenant.

Si nous ne le faisons pas explicitement, par le seul jeu de nos comportements qui se superposent sur nos silences, nos ambiguïtés, notre lâcheté aussi qui se dissimule sous le prétexte de ce qui serait le discours de la "complexité", le choix se fera de lui-même.

Il est déjà en train de se faire : parce que nous n’avons pas le courage de dire clairement ce que collectivement nous voulons comme modèle de société pour nous êtres humains, nous coulons doucement vers une acceptation jour après jour, cas après cas, émiettement de règles après émiettement, exception après exception, vers un Oui.

Et pourquoi pas ? Pourquoi ne pas dire Oui à la GPA ? Il y a des arguments pour l’admettre. Mais il faut le faire clairement. En l’assumant. Dire Oui. Aller vers cette société-là.

Ou bien, si l’on ne le veut pas, parce que la GPA implique nécessairement un statut de la femme, de l’enfant, de l’être humain, et de l’organisation sociale, que l’on ne veut pas, alors il faut dire Non. Et cela aussi, il faut l’assumer.

Il faut dire, savoir dire Oui comme il faut savoir dire Non. C’est cela être responsable. Dans une société libérale, nous devons exprimer notre volonté et dire clairement ce que nous voulons.

Pour une question si importante, cette situation apodictique de la GPA conduisant à déterminer ce qui constitue la valeur d’un être humain, il n’est pas admissible de répondre à la fois Oui et Non, comme il n’est pas admissible de répondre ni Oui ni Non.

Il faut répondre nettement si le Droit, qui exprime et garde les valeurs fondamentales d’une organisation sociale et y place les êtres humains qui la composent, admet ou n’admet pas cette pratique. Oui ou Non.

Pour l’instant, à cette question il n’est plus répondu. Alors qu’il est admissible de répondre Non, qu’il est admissible de répondre Oui, il n’est pas admissible de ne pas répondre.

L’enjeu actuel n’est donc pas d’être pour ou d’être contre. L’enjeu est d’exiger que chacun assume sa position et qu’à partir de là, en raison de l’ampleur de la question générale impliquée par la situation particulière de la GPA, le Droit, le corps social et le Politique décident de la réponse, qui donne la place de l’être humain dans le système économique et social.

Ainsi, la Californie a choisi de répondre Oui, renvoyant à un certain modèle d’organisation économique et sociale. Que va faire l’Europe ?

 

Lire la suite en dessous. 

7 juin 2018

Publications

L'on semble bien obnubilé par le "RGPD"...  Que l'on étudie virgule après virgule. Cela se comprend puisqu'il faut bien des modes d'emploi.

Il convient aussi de regarder ce qui a constitué son terrain et son contexte, avant de comprendre de quoi ce Règlement est porteur. 

Pour le comprendre, il faut sans doute regarder certains détails, certains mots (sa "lettre"), son but (son "esprit"). D'ailleurs,classiquement en Droit dans le Code civil il est rappelé que pour connaître l'esprit d'un texte il faut partir de sa lettre, c'est-à-dire de ses mots. Et là, l'on est bien ennuyé pour que nous ne parlons que par sigles : RGPD, RGPD ... Mais ce sigle est-il même exact ? Est-ce là le titre du Règlement de 2016 ? Non. Le juriste, qu'il soit européen ou américain, de Civil Law ou de Common Law, ne lit pas les commentaires : il lit les textes, les lois et les jurisprudences. Il cherche les définitions et les qualifications. Il replace les mots qui se saisissent des réalités dans l'ensemble : par exemple : la "donnée". Il en cherche la définition. Qui définit ce qu'est une "donnée" ?

Puis il prend une perspective. Non pas parce qu'il est un bel esprit, qui aime les perspective. Non, le juriste est plutôt un esprit besogneux, assez plat. La perspective vient de la matière. Mais on sommes en "Droit économique". Et même en "Droit de la régulation". Or, dans ces matières-là, il n'est pas contesté que la "norme", le principe, celui qui donne un sens aux définitions, aux qualifications, aux règles techniques, qui donnent des solutions aux cas non prévus par le texte, est dans le but poursuivi par les dispositions : c'est un Droit de nature "téléologique".

Quel est le but du "RGPD". Il suffit de lire le titre de ce Règlement. Cela est bien difficile, puisqu'un sigle l'a désormais recouvert ... Mais ce règlement du 27 avril 2016 est  relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données

Il a donc deux buts : la protection des personnes ; la circulation des données.

Il faut donc poser que le but du Règlement est la construction de l'Europe numérique, sur le principe de circulation des données, principe libéral classique qui construit un espace par la dynamique de la circulation : c'est la perspective de l'Europe numérique qui anime le Règlement (I). Pour ce faire, quelle est la nouveauté du système ? Elle tient en une seule chose. Car le Parlement français a insisté sur le fait que la nouvelle loi de transposition adoptée le 17 mai 2018 vient modifier la loi informatique et Libertés de 1978 sans la remplacer. La nouveauté tient dans le fait que ce ne sont plus les Autorités publiques, nationales ou de l'Union qui sont en charge de l'effectivité du dispositif, mais les entreprises elles-mêmes : la Régulation digitale (qui demeure publique) a été internalisée dans les entreprises. Il s'agit désormais d'un mécanisme de "Compliance". En cela, le "RGDP" est non seulement le bastion avancé de l'Europe numérique, mais encore le bastion avancé de "l''Europe de la Compliance". Celle-ci a un grand avenir, notamment vis-à-vis des Etats-Unis, et les entreprises y ont un rôle majeur. Le numérique n'en est qu'un exemple, le Droit européen de la Compliance étant en train de se mettre en place. 

Mise à jour : 30 mai 2018 (Rédaction initiale : 23 septembre 2017 )

Publications

Ce document de travail a servi de base à une conférence prononcée à l'Académie des Sciences Morales et Politiques le 25 septembre 2017, dans le cycle de conférences menées sous la présidence de Michel Pébereau, Quelles réformes ?.

Consulter la présentation du cycle de conférences (2017).

Il a servi de base à la publication d'un article paru en 2018 dans l'ouvrage dirigé par Michel Pébereau Réformes et transformations.

 

Mise à jour : 4 avril 2018 (Rédaction initiale : 12 novembre 2017 )

Publications

To access the English version of this working paper, click on the Britsh flag

Ce working paper sert de support à un article paru au Recueil Dalloz 2017.

Le journal Les Échos, dans son édition du 7 novembre 2017 relate le fait qu'une machine recouverte d'une matière ressemblant à de la peau et dotée d'un appareil produisant des sons a émis un discours en public lors d'un congrès sur le numérique. L'article a pour titre : Le premier robot citoyen donne sa propre conférence au web summit .

Quelque temps plus tard, des reportages montrent le même robot marchant et prenant plus de 60 expressions faciales, le texte laudatif qui accompagne les images désignant l'automate par l'article : she.!footnote-1262.

La machine, qui relève juridiquement de la catégorie des "choses", est donc présentée comme une personne.

Tournons notre regard ailleurs.

Des femmes, qui sont des êtres humains, signent des contrats par lesquels elles consentent à engendrer des enfants avec lesquels elles affirment qu'elles n'ont pas de lien, qu'elles n'en sont pas les mères, qu'elles les remettront immédiatement à la sortie de leur ventre à ceux qui ont désiré leur venue, ce désir de parentalité créant quant à lui le véritable et seul lien entre l'enfant et ses "parents d'intention". La mère-porteuse est souvent ouvertement qualifiée de "four".

La femme, qui relève juridiquement de la catégorie de la "personne", est donc présentée comme une chose.

Les deux phénomènes si sensationnels sont de même nature.

Ils appellent deux questions :

1. Pourquoi ? La réponse est : l'argent. Car l'un comme l'autre résultent de la construction nouvelle de deux fabuleux marchés par l'offre.

2. Comment ? La réponse est : par la destruction de la distinction entre la personne et les choses.

La distinction entre la personne et les choses n'est pas naturelle, elle est juridique. Elle est la base des systèmes juridiques occidentaux, leur summa divisio.

Si cette distinction disparaît, et pour que l'argent se déverse il faut effectivement qu'elle disparaisse, alors l'être humain faible deviendra la chose de l'être fort.

 

Lire ci-dessous les développements.
 

12 décembre 2017

Publications

Référence complète : Frison-Roche, M-A., Compliance : avant, maintenant, après, décembre 2017.

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Ce document de travail  a servi de support à l'article paru dans l'ouvrage : Borga, N., Marin, J.-Cl., Roda, J.-Ch. (dir.), Compliance : l'entreprise, le régulateur et le juge , de la Série Régulations, co-éditée par les Éditions Dalloz et le Journal of Regulation and Compliance (JoRC). 

Ce travail utilise par liens le Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance.

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Résumé du document de travail : Autant l'admettre. Parce que devant des règles de "Compliance si nombreuses et si disparates l'on a tant de mal à s'y retrouver, l'on est contraint à partir dans des directions si changeantes, que nous nous consolons de leur poids, de leur coût et de l'incompréhension que nous en avons en disant que la "Compliance" est "complexe" et "transdisciplinaire", comme si les mots compliqués pouvaient masquer notre désarroi. Mais la "Compliance" n'est pas un cataclysme, une bombe envoyée par les américains pour anéantir l'Europe, la nouvelle forme d'une Guerre froide en habits juridiques ; c'est une façon de voir des choses qui vient de loin, avec une cohérence qui lui est propre et qu'il faut avant tout comprendre. Pour mieux s'y déployer.

Si l'on comprend d'où vient ce nouveau corpus qui contraint aujourd'hui les entreprises à prouver qu'elles prennent effectivement en charge la concrétisation de certains buts qui les dépassent, notamment la lutte contre le blanchiment d'argent, la fraude fiscale, mais aussi la lutte contre la vente des êtres humains ou la lutte pour la préservation de la nature et de la planète, alors l'on peut continuer l'histoire, dans une nouvelle alliance entre certaines entreprises et les autorités publiques.

En effet, toutes les entreprises ne sont pas visées par une telle internalisation de "buts monumentaux" en leur sein. Une entreprise ordinaire a quant à elle vocation à se développer pour réaliser un but qui est le sien. Le système de Compliance ne peut concerner que des "entreprises cruciales". S'il doit y avoir changement de projet poursuivi par l'entreprise, cela ne peut tenir qu'à sa "position" dans un système. Cette position peut avoir une source objective (entreprise systémique) ou une source subjective, parce que l'entreprise veut concrétiser ces buts globaux car elle veut être "responsable". Dans ce cas, l'entreprise supporte alors la charge de preuve qu'un tel discours de responsabilité nouvelle correspond à un comportement et à une culture effective. Le poids des règles existe déjà aujourd'hui. Et c'est encore comme cela qu'aujourd'hui d'une façon négative et passive que la Compliance est perçue, par ceux qui la "subissent" (entreprises), voire par ceux qui l'appliquent (autorités publiques).

La transformation vers une "culture de confiance, c'est l'enjeu d'un passage entre aujourd'hui et demain. En effet demain, c'est une relation de confiance qui pourrait se construire entre ces entreprises-là et les autorités publiques, parce qu'elles partageaient les informations (enjeu systémique), parce qu'elles seraient d'accord sur les buts monumentaux (tous centrés sur la protection des êtres humains, que le seul fonctionnement marchand ne peut produire, que les seuls États ne peuvent assurer).

En cela, la "Compliance" est avant tout un pari, celui de la place des êtres humains sur des marchés mondialisés.

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Lire le document de travail ci-dessous

Mise à jour : 25 octobre 2017 (Rédaction initiale : 27 mai 2016 )

Publications

► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, La Mondialisation vue par le Droit, document de travail, mai 2017

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🎤 ce document de travail  a dans un premier temps servi de base à un rapport de synthèse proposé dans le colloque organisé par l'Association Henri Capitant, dans les Journées internationale Allemandes sur La Mondialisation.

📝 Il sert dans un second temps de base à l'article paru dans l'ouvrage La Mondialisation.

📝 Dans sa version anglaise, il sert de base à l'article écrit en anglais (avec un résumé en espagnol) à paraître au Brésil dans la Rarb - Revista de Arbitragem e Mediação  (Revue d`Arbitrage et Médiation).

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Dans ce Working Paper, sont insérées des notes, comprenant des développements, des références et des liens vers des travaux et réflexions menés sur le thème de la mondialisation. 

Il utilise par insertion le Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance.

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► Résumé du document de travail : La mondialisation est un phénomène déroutant pour le juriste. La première chose à faire est d'en prendre la mesure. Une fois celle-ci prise, il est essentiel que l'on s'autorise à en penser quelque chose, voire que l'on s'impose d'en penser quelque chose. Par exemple sur le caractère nouveau ou non du phénomène, ce qui permet dans un second temps de porter une appréciation sur ce qui est en train de se mettre en place. Si en tant que le Droit peut et doit "prétendre" défendre chaque être humain, prétention universelle ayant vocation à faire face au champ mondial des forces, la question suivante - mais secondaire - se formule alors : quid facere ? Rien ? Moins que rien ? ou bien réguler ? Ou bien prétendre encore que le Droit remplisse son office premier qui est de protéger la personne faible, y compris dans le jeu de forces qu'est la mondialisation ?

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30 juin 2017

Publications

 Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Tracer les cercles du Droit de la Compliance, juin 2017.

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📝Ce document de travail sert de support à l'article paru dans les Mélanges dédiés à notre très regretté ami et collègue Philippe Néau-Leduc

Ce travail utilise par liens le Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance.

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 Résumé du document de travail : Le Droit de la compliance participe du même fonctionnement téléologique que le Droit économique auquel il appartient, consistant à placer la normativité des règles, décisions et raisonnements, dans les buts poursuivis. Une fois que l'on sait quels sont les buts poursuivis par les techniques de compliance, alors on sait qui doit en avoir la charge, qui doit y être soumis, qui doit activer les règles : les règles de compliance doivent être activées par ceux qui sont les mieux placés pour aboutir au résultat concrétisant le but recherché par celui qui a conçu le mécanisme de compliance. Les "cercles" sont ainsi tracés d'une façon rationnelle et pragmatique. Cela, tout cela ("effet utile"), mais pas au-delà de cela. La notion d'efficacité n'implique pas toujours une mise en balance : elle peut au contraire impliquer  de dessiner des cercles qui désignent ceux qui sont "placés" pour porter la charge des règles car ils sont aptes à leur faire produire les effets recherchés. A l'intérieur de ces cercles, les règles doivent s'appliquer sans restriction et sans compromis, mais elles ne doivent pas s'appliquer au-delà de ces cercles.

Dessiner de tels cercles nécessite de définir le Droit de la compliance lui-même, puisque d'une part le choix de ceux qui doivent concrétiser la Compliance dépend des buts de celle-ci et que d'autre part la définition du Droit de la Compliance est elle-même de nature téléologique . C'est pourquoi, à l'inverse de l'affirmation comme quoi l'exercice de définition serait inutile dans ces matières, qui seraient avant tout du cas par cas, cet effort de définition et cette détermination des finalités sont au contraire déterminants pour savoir en pratique qui doit porter les obligations de compliance et qui ne le doit pas.

Or il suffit d'avoir posé cela pour qu’apparaisse la difficulté majeure de la matière, difficulté qui explique les résistances, voire donne l'impression que l'on se heurte à une aporie. En effet, si par principe ce que l'on attend de la part des "usagers" des mécanismes doit s'articuler au but qui est affecté par les auteurs des mécanismes de compliance à ceux-ci, encore faut-il qu'il y ait une correspondance minimale entre les buts visés par ces auteurs (Législateurs et Régulateurs) et les buts poursuivis par ceux qui en sont chargés de les mettre en œuvre : les entreprises. Or, cette correspondance n'existe pas à première vue, parce que les mécanismes de compliance ne trouvent leur unicité qu'au regard de "buts monumentaux" dont les autorités publiques ont le souci légitime, alors que les entreprise ont pour but leur intérêt propre. Les deux cercles ne correspondent pas. L'internationalisation du souci de ces buts dans les entreprises ne serait donc qu'un mécanisme de violence dont les entreprises sont l'objet, violence ressentie comme telle. (I).

Pour résoudre cette violence, il vaut mieux cesser de confondre État et entreprises, dont les buts ne sont pas les mêmes, et dessiner le cercle des sujets de droit "éligibles" à la compliance. Celle-ci est fortement légitime à viser  certaines entités, notamment cette catégorie d'entreprises que sont les "opérateurs cruciaux" , d'une façon contraignante, comme elle est légitime à gouverner les entreprises qui ont exprimé la volonté de surpasser leur intérêt propre.  Ces cercles de nature différente peuvent se recoupent sur un opérateur concret : par exemple si une banque - opérateur crucial structurel parce que systémique - est internationale - opérateur crucial par son activité - décide en outre de se soucier d'autrui, par l'engagement vérifié par les autorités de dépasser son intérêt propre (responsabilité sociétale), mais ces différents cercles ne se confondent pas. En toute hypothèse, des entreprises peuvent n'appartenir qu'un seul cercle, voire n'appartenir à aucune. Dans ce dernier cas, elles doivent alors demeurer hors d'atteinte de la pression et du coût du Droit de la Compliance, notamment parce qu'elles ne sont pas objectivement requis pour concrétiser les buts monumentaux dont on vise l'effectivité et qu'elles ne le souhaitent pas : dans un système libéral, c'est aux autorités publiques de viser l''intérêt général, les personnes ordinaires y participant indirectement par le paiement de l'impôt. (II).

C'est en faisant ces "cercles de la compliance" des sujets de droit éligibles pour mettre en œuvre la charge lourde mais justifiée et contrôlée de la Compliance au regard des buts monumentaux que celle-ci vise, que s'ouvre alors  une voie royale, pour trouver une unicité et accroître la "fonction monumentale" du Droit de la compliance par une relation de confiance vers l'intérêt général mondial, plutôt que l'application mécanique de règles dont on ne comprend pas le sens et dont on ne perçoit plus que la violence.

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Lire les développements ci-dessous

14 avril 2017

Publications

► Référence complète : Frison-Roche, M.-A.Du Droit de la Régulation au Droit de la Compliance, document de travail, avril 2017.

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📝 Ce document de travail sert de base :

à l'article 📝Du Droit de la Régulation au Droit de la Compliance,

dans l'ouvrage 📕Régulation, Supervision, Compliance

dans la collection 📚 Régulations & Compliance, coéditée par le Journal of Regulation & Compliance et Dalloz. 

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► Résumé du document de travail : Il s'agit de montrer le mouvement qui part du Droit de la Régulation, aujourd'hui constitué, au Droit de la Compliance, aujourd'hui en train de naître.

Pour expliquer ce mouvement, permettant d'anticiper l'avenir proche, dans ce qu'il ne faut pas qu'il soit et dans ce qu'il devrait être, il convient de restituer comment le Droit de la Compliance est né d'un Droit de la Régulation qui a retrouvé ainsi les sources d'un Droit des services publics dont il avait dans un premier temps coupé les racines (I).

En effet le Droit de la Régulation a d'une façon heureuse renouvelé le Droit mais a aussi rétréci sa perspective. Aujourd'hui, le phénomène de mondialisation appelle un besoin d'autorité!footnote-902 publique que les États ne peuvent être satisfaire par des modes juridiques traditionnels, alors même qu'est nécessaire la mise en place d'une sorte de "service public mondial". Celui-ci s'opère alors par le Droit de la Compliance qui révolutionne tous les systèmes juridiques, aussi bien de Common Law que de Civil Law (II).

En effet, le Droit de la Compliance internalise dans certaines entreprises, les "opérateurs cruciaux", le devoir de rendre effectifs des "buts monumentaux" que les Autorités de régulation ont formulés et dont ces entreprises doivent rendre mondialement effectifs. En cela, le Droit de la Compliance est le prolongement du Droit de la Régulation, qui prend une nouvelle ampleur et dans ses buts et dans son espace. C'est l'ensemble du Droit qui en est transformé.

L'avenir proche va dire s'il se traduit par des affrontements, entre entreprises et régulateurs, entre Europe et États-Unis, ou au contraire par un pacte de confiance entre les opérateurs cruciaux et les Régulateurs. Si l'on parvient à cela, le Droit de la Compliance, exprimant la dimension politique du Droit de la régulation, exprimant la part des entreprises cessant d'être neutralisées par la mécanique des marchés, sera un progrès du Droit. C'est dans cette perspective qu'il faut construire le Droit européen de la Compliance.

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► Ce document de travail utilise le Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance.

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► Lire les développements ci-dessous ⤵️

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D'une façon plus générale, Frison-Roche, M.-A., La mondialisation vue par le Droit, 2017.

30 mars 2017

Publications

Ce working paper a servi de base à un article publié ultérieurement dans les Mélanges en l'honneur de Jean-Jacques Daigre, Autour du droit bancaire et financier, en 2017. 

 

Compliance. Confiance. Deux mots qui reviennent de plus en plus souvent sous nos yeux de lecteurs ou à nos oreilles d'auditeurs. Et pourtant ils ne semblent pas bien s'assortir. Ils paraissent même se repousser l'un l'autre.

En effet, la compliance est ce par quoi les autorités publiques font confiance à certains opérateurs privés, non pas en eux-mêmes, mais à leurs capacités structurelles à capter mécaniquement l'information dont ces autorités ont besoin (I).

Cela suppose une vision du monde dans lequel les entreprises sont puissantes et sont seules puissantes mais ne sont pas vertueuses, tandis que les autorités publiques, comme le Ministère public ou les régulateurs, sont faibles mais sont seuls vertueux. Une telle conception de la compliance transforme les entreprises en automates. Une telle vision du monde n'a pas d'avenir : on ne peut faire confiance qu'à des êtres humains, dont il faut accepter le caractère faillible, la compliance étant alors l'expression d'un rapport noué sur une confiance qui se donne à voir entre des opérateurs non mécaniques, à savoir les institutions publiques et les opérateurs privés qui peuvent l'un et l'autre avoir en commun souci d'un intérêt qui les dépasse et que l'on appelait naguère l'intérêt général (II).

De cette réalité sans doute nouvelles pour des entreprises privées mais qui explique l'étrange intimité entre le violent Droit de la compliance et le nouvel ordre spontané de la Responsabilité sociétale des entreprises, c'est à celles-ci  de faire la preuve de ce souci d'autrui qu'elles partage avec les Autorités publiques, sauf à retomber dans une compliance réduite à des procédures coûteuses, vides sans fin jalonnées de sanctions sans contrôle.

C'est ainsi aux entreprises de faire que cette branche du Droit de la Compliance en train de naître devienne ce qui peut être le meilleur, alors qu'il est possible qu'elle devienne ce qui serait donc le pire.

 

 

Mise à jour : 6 février 2017 (Rédaction initiale : 5 janvier 2015 )

Publications

Ce document de travail a servi de base à un article publié dans les Mélanges dédiés à Claude Lucas de Leyssac.

 

concurrence-in-melanges-en-lhonneur-du-p/">Lire la présentation de l'article publié, qui a résulté du document de travail.

 

 

Banque et Concurrence ne font pas bon ménage. Ce n'est pas tant que les banques feraient figure de récidivistes à propos desquels les Autorités de concurrence devraient hausser le ton par des sanctions toujours plus lourdes afin que la leçon concurrentielle soit enfin entendue. Ce sont plutôt deux ordres qui s'affrontent, deux incompréhensions face à face. En effet,  les banques trouvent adéquat de s'entendre pour que le système bancaire fonctionne. Plus encore, les pouvoirs publics leur demandent un comportement politique en finançant l'économie lorsque celle-ci ne s'appuie pas sur les marchés financiers, voire de lutter contre l'exclusion sociale en pratique l'inclusion des êtres humains. Dès lors, comment elles-mêmes auraient-elles un comportement de marché consistant dans un comportement égoïste et d'agression envers leurs homologues ?

Si l'on plonge dans ce creuset de l'incompréhension engendrant le heurt violent entre les banques, qui évoquent leur mission, voire leur devoir, et les autorités de concurrence, qui se prévalent des leurs , on bute sur l'écueil de la définition même de ce qu'est une banque. L'on peut estimer qu'une banque est un prestataire de services divers, agissant sur des marchés en concurrence; le droit en assure le bon fonctionnement de ceux-ci, les Autorités qui  gardent l'efficacité des marchés se saisissant des banques qui y exercent leurs activités. Mais si l'on choisit d'insister sur le fait que les banques sont ce qui fait fonctionner l'économie et consolident le lien social, alors elles sont partie intégrante d'un système qui leur est propre : le système bancaire. En outre,  celui-ci est un élément essentiel de la société, perspective dans laquelle la concurrence n' y est plus qu'adjacente.

Or, plus l'Europe parvient à construire l'Europe bancaire, plus elle élabore un mécanisme de résolution des difficultés, plus la banque est avant tout affaire d'État et non de marchés financiers, ensemble qui est affaire d'histoire des peuples, et moins la concurrence en est la mesure première.

Il convient donc de partir de l'existence incontestée des marchés bancaires et du mécanisme concurrentiel que le droit y attache corrélativement (I). Mais l'ampleur des résistances révèle qu'on semble à dessein ou non avoir fait l'impasse sur l'élémentaire et l'essentiel : la définition même de ce qu'est une banque (II). Or, si l'on admet que la banque est l'opérateur du système bancaire, lequel alimente l'ensemble de l'économie, alors la loi concurrentielle n'y a qu'un rôle adjacent et ne peut en constituer l'ossature (III). L'Union bancaire européenne est en train de le démontrer.

15 décembre 2016

Publications

Ce working paper a servi de base à un article publié dans le journal Le Monde du 16 décembre 2016.

Par un décret du 5 décembre 2016, il est mis fin à un usage qui préservait la Cour de cassation du contrôle exercé par les services de l'Inspection judiciaire. C'est une atteinte, d'apparence anodine mais profonde, à la séparation des pouvoirs, socle constitutionnel de notre État de droit et de notre démocratie.

Lire ci-dessous.