Mise à jour : 4 juillet 2019 (Rédaction initiale : 30 avril 2019 )

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🚧 Se tenir bien dans l'espace numérique

par Marie-Anne Frison-Roche

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  Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Se tenir bien dans l'espace numérique, document de travail, avril 2019.

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📝 Ce document de travail sert de base à un article paru ultérieurement dans les Mélanges en hommage à Michel Vivant.

 

Résumé : Le juriste voit le monde à travers la façon dont il apprit à parler!footnote-1536, vocabulaire juridique lui-même agencé, que l'on soit en common law ou en civil law, en branche du droit. Ainsi, nous pensons avoir affaire à l'être humain qui ne bouge pas, pris par la notion juridique exprimée par le terme de "personne", son état, son corps et son développement biologique dans le temps, du bébé au mourant, tenant entièrement dans ce creux de ce mot-là "personne", tandis que les comportements de l'être humain à l'égard du monde, des autres et des choses, sont regroupés dans d'autres branches du Droit : le Droit des obligations et le Droit des biens, lequel n'est que ce que les personnes font des choses. 

Le Droit de l'environnement est déjà venu brouiller cette distinction, si habituelle mais à la réflexion si étrange d'une personne prise tout d'abord dans son isolement immobile (droit des personnes), puis ensuite dans ses seules actions (droit des obligation et des biens). En effet, la notion même d' "environnement" pose que la personne n'est pas isolée, qu'elle est "environnée", qu'elle est ce qu'elle est et deviendra en raison de ce qui l'entoure, et qu'en retour le monde est durablement affecté par son action personnelle. A la réflexion, lorsque jadis le "Droit des personnes" ne se distinguait pas du Droit de la famille, l'être humain y était plus pleinement restitué par un découpage du Droit qui non seulement le suivait de la naissance à la mort mais encore dans ses interactions les plus précieuses : les parents, les fratries, le couple, les enfants. Ainsi le Droit de la famille était plus fin et plus fidèle à ce qu'est la vie d'un être humain.

Avoir institué le Droit des personnes, c'est donc avoir promu de l'être humain une vision certes plus concrète, car c'est avant tout de son identité et de son corps que l'on nous parle, s'étonnant que l'on n'a précédemment remarqué que les femmes ne sont pas des hommes comme les autres!footnote-1537 sans pourtant retenir que l'abstraction est parfois la meilleure des protections!footnote-1538 . Mais c'est aussi avoir isolé les êtres humains, scindés de ce qu'il font, de ce qu'ils touchent, de ce qu'ils disent aux autres. C'est en avoir pris juridiquement une perception statique d'un "homme sans relation".  Nous sommes passés de l'individualisme juridique du Droit de l'être seul. 

De cette vision concrète, nous en avons tous les bénéfices mais le Droit, beaucoup plus qu'au XVIIIème siècle, perçoit l'être humain comme un sujet isolé, dont la corporéité cesse d'être voilée par le Droit!footnote-1570, mais pour lequel la relation à autrui ou aux choses ne le définit pas. Ce qui le rapproche beaucoup des choses. Un sujet qui fait ce qu'il veut, comme il peut, limité par la force des choses. Les choses sont si puissantes et l'être humain, de fait, si faible. Par exemple les marques qu'il laisse sont effacées du fait du temps. L'emprise qu'il a sur le monde s'arrête à l'ampleur de son savoir, du temps et de l'argent dont il dispose, des machines qu'il a construites pour mieux utiliser son propre temps et atteindre des projets qu'il a conçus. Dans cette conception, la Personne et la Liberté ne font qu'un, renvoyant le sujet à sa solitude.

Cette liberté va buter sur le besoin d'ordre, exprimé par la société, le contrat social, l'Etat, le Droit, qui impose des limites à la liberté de l'un pour préserver celle de l'autrui, comme le rappelle la Déclaration des droits de 1789. Ainsi, tout désir n'est pas transformable en action, alors même que de fait les moyens seraient à la portée de la personne en cause, parce que certains comportements sont interdits en ce qu'ils causeraient trop de désordre et, s'ils sont néanmoins commis, ils sont sanctionnés pour que l'ordre revienne. Ainsi, ce que l'on pourrait appeler le "droit des comportements", obligations de faire et de ne pas faire logées dans le droit pénal, civil et administratif, droits nationaux et internationaux, droits substantiels et droits procéduraux, vont contraindre l'être humain en mouvement dans l'espace ouvert par le principe de liberté inhérent à son statut de Personne. 

L'être humain est donc limité dans ce qu'il désire faire. En premier lieu par le fait : ses forces qui s'épuisent, sa mort qui viendra, le temps compté, l'argent qui manque, les connaissances qu'il ne sait pas même ne pas détenir, c'est-à-dire par son humanité même; En second lieu par le Droit qui lui interdit tant d'actions.... : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas prendre le conjoint d'autrui, ne pas faire passer pour vrai ce qui est faux, etc. Pour l'être humain en mouvement, plein de vie et de projets, le Droit a toujours eu un côté "rabat-joie". Il est pour cela souvent moqué et critiqué en raison de toutes ses réglementations entravantes, voire détesté ou craint en ce qu'il empêcherait de vivre selon son désir, qui est toujours mon "bon plaisir", bon puisque c'est le mien. Isolé et tout-puissant, l'être humain seul ne voulant pas considérer autre que son désir seul. 

La psychanalyse a pourtant montré que le Droit, en ce qu'il pose des limites, assigne à l'être humain une place et une façon de se tenir à l'égard des choses et des autres personnes.  Si l'on ne se tient plus, en s'interdisant la satisfaction de tout désir (le premier de ceux-ci étant la mort de l'autre), la vie social n'est plus possible!footnote-1571. Chacun suit la même loi à table, à l'abri de laquelle une discussion peut s'engager entre convives et sans laquelle elle ne le peut pas!footnote-1539. On se tient droit sur sa chaise, on ne mange pas avec les doigts, on ne parle pas la bouche pleine, on n’interrompt pas celui qui parle. Certes, on apprend souvent en début d'apprentissage du Droit qu'il ne faut pas confondre la "politesse" et le Droit. Que ces règles précitées relèvent de la politesse et que cela n'est pas du Droit...

Mais cette présentation vise à faire admettre que le critère du Droit serait dans l'effectivité d'une sanction par la puissance publique : l'amende, la prison, la saisie d'un bien, ce que l'impolitesse ne déclenche pas alors que le Droit l'impliquerait : nous voilà ainsi  persuadés de l'intimité entre la puissance publique (l’État)  et le Droit. Mais plus tard, après cette première leçon apprise, le doute vient de la consubstantialité entre le Droit et l’État. Ne convient-il pas plutôt estimer que le Droit est ce qui doit conduire chacun à "bien se tenir" à l'égard des choses et des personnes qui l'environnent ? La question de la sanction est importante, mais elle est seconde, elle n'est pas la définition même du Droit. Carbonnier soulignait que le képi du gendarme est le "signe du Droit", c'est-à-dire ce à quoi on le reconnait sans hésiter, ce n'est pas sa définition.

La question première sur laquelle porte le Droit n'est alors pas tant la liberté de la personne que la présence d'autrui. Comment utiliser sa liberté et le déploiement associé de force en présence d'autrui ? Comment ne pas l'utiliser alors qu'on désire lui nuire, ou que la nuisance née pour lui de l'usage de ma force libre m'est indifférente!footnote-1540 ? Comment le Droit peut-il conduire à ce que j'utilise mes moyens à son bénéfice alors que nos intérêts ne convergent pas ? 

Nous n'utilisons pas notre force contre autrui parce qu'on y a intérêt ou le désir, on ne lui apporte pas le soutien de notre force alors qu'il nous indiffère, parce que le Droit nous tient. Si le surmoi n'a pas suffi. Si le Droit et la "fonction parentale des États" n'ont pas fait alliance. On le faisons parce que nous nous "tenons". 

Ou plutôt nous nous tenions.

Car aujourd'hui un monde nouveau est apparu : le monde numérique qui permet à chacun de ne pas "se tenir", c'est-à-dire de maltraiter en permanence autrui, de ne jamais le prendre en considération, de l'agresser massivement. C'est une expérience nouvelle. Il ne s'agit pas d'un phénomène pathologique, comme l'est la délinquance (ce qui amène simplement sanction), ni d'une défaillance structurelle dans un principe par ailleurs admis (ce qui amène régulation) mais plutôt un usage nouveau, qui vaudrait règle nouvelle : dans l'espace digital, on peut faire tout et n'importe quoi, l'on n'est pas tenu par rien ni personne, l'on peut "se lâcher" (I). Cette absence de "tenue" est incompatible avec l'idée de Droit, en ce que celui est fait pour les êtres humains et protéger ceux qui n'ont pas les moyens de se protéger par eux-mêmes ; c'est pourquoi il faut y remédier (II).

1

Cornu, G., Linguistique juridique, 2005. 

2

Frison-Roche, M.-A. et Sève, R., Le Droit au féminin (dir.), 2003.

3

Sous le masque du "sujet de droit", nous sommes tous égaux, v. Archives de Philosophie du Droit, Le sujet de droit, 1989.

4

Baud, J.P., L'affaire de la main volée. Histoire juridique du corps humain, Le Seuil, 1993. 

5

Sur la névrose comme mode constitutif de la sociabilité de l'enfant, v. Lebovici, S., "C'est pas juste", in La justice. L'obligation impossible, 1994. 

6

Lire l'article d'Alain Supiot sur la Loi commune et la discussion, appréhendée à travers l'oeuvre de Kafka : "Kafka, artiste de la loi", 2019; Kafka est très présent dans l'oeuvre d'Alain Supiot, par exemple dans sa leçon inaugurale au Collège de France, 2012. 

7

C'est pourquoi avoir scindé Droit de la personne et Droit de la famille masque encore une autre réalité : la famille n'est pas composée de tiers. Les liens sont là. Ils préexistent. En partant du seul Droit des personnes, l'on peut "construire" sa famille par des liens dessinés sur feuille blanche : la contractualisation des familles composées d'individus devient pensable, voire naturelle.

I. LA REMISE EN CAUSE PAR L'ESPACE NUMÉRIQUE DE L'USAGE JURIDIQUE COMMUN DE "SE TENIR BIEN"

Revenons sur ce que veut dire juridiquement pour un être humain le fait de "se tenir", et plus précisément le fait de "se tenir bien" (A) afin de mesurer en quoi pour la première fois  l'espace digital, en ce qu'il n'est pas cadré, permet à toute personne qui le désire, de ne pas "se tenir", et donc de ne pas se tenir bien envers autrui, déversant des flots de haine et d'inexactitude sur tout et sur tous, sans discontinuer (B).

 

A. QU'EST-CE "SE TENIR" ET "SE TENIR BIEN" ?

Car pour se tenir "bien" (2), il faut d'abord et avant tout "se tenir" (1). 

1. Se "tenir"

"Tenir" suppose une action dans la durée : par exemple on tient un objet lorsqu'on le saisit et le maintient pendant un certain laps de temps. Ainsi tenir suppose une résistance au temps, temps qui passe et qui emporte tout, tandis que, parce que l'on "tient",  quelque chose peut demeurer. 

Ainsi, il faut déjà être soi-même identique dans le temps qui passe pour être apte à tenir dans son identité dans un environnement qui ne cesse de bouger. Cette discussion fondatrice entre Parménide (l’Être) et Héraclite (le Devenir), tranchée par Platon qui par la notion de Personne injecta ce qui demeure dans ce qui passe pourtant (et c'est le début de l'Histoire). Michel Vivant a bien raison d'ouvrir son Précis Dalloz consacré au "droit d'auteur" sur l'affirmation que "Rien n'est immuable"!footnote-1580, l'auteur étant une catégorie incertaine et aussi peu permanente que le sont les fleuves, c'est bien sous le costume de tant de droits voisins chamarrés que demeure l'idée d'une création toujours humaine.

Pour obtenir cette permanence dans un monde qui bouge,  l'être humain doit tenir, par exemple, se souvenir de ce qu'il a dit : on ne peut se tenir si l'on n'a pas de mémoire, si l'on ne vit que dans l'instant. Le Droit est là pour rappeler les promesses que constituent nos paroles, même si nous avons changé depuis, même si les choses ont changé depuis. C'est pourquoi il fut si difficile d'intégrer dans le droit positif de la Loi du droit des obligations la théorie de l'imprévision car depuis toujours le fleuve est à chaque instant différent mais c'est l'être humain qui, plongé dans le fleuve des événements, en tant que personne doit pourtant demeurer dans ce qu'il a dit et "tenir ses promesses", doit demeurer dans ce qu'il a fait et "rendre des comptes". 

 

2. Se tenir "bien"

Se tenir "bien" renvoie au fait que nous ne sommes pas seuls. Nous formons des sociétés avec des personnes qui sont différentes de nous, que nous ne connaissons pas, qui ne pensent pas comme nous, et qui sont pourtant à part égale dans la même société. 

Ces autruis lointains et abstraits, notre devoir politique est de les considérer comme bénéficiant d'une égale "liberté" dans un lien d' "égalité" avec "fraternité", alors qu'ils ne sont pas de notre famille. Ce sont des frères étrangers. A leur égard, nous avons le devoir politique et juridique de nous "tenir bien"!footnote-1572

Cela ne signifie pas qu'il faille chercher à les connaître, à les concevoir comme des membres de la famille (système de l'Ancien Régime qui élabore un système cloisonné de castes et de corps intermédiaires, dans lequel l'on ne reconnait que celui qui a un lien effectif avec soi) mais qu'il faut les reconnaître politique comme des égaux. Comme l'a très bien dit la Cour de cassation, nos contacts sur Facebook ne sont pas vraiment nos "amis"!footnote-1544.

Il s'agit d'un devoir politique de fraternité, souligné dès Aristote, entraînant une obligation juridique de solidarité, base des systèmes de protection sociale!footnote-1541, ne supposant pas à penser concrètement qu'autrui est mon égal mais m'obligeant à le considérer comme tel, à agir à son égard comme s'il l'était. En cela, il s'agit de "se comporter bien", quoi qu'on pense.  Ce devoir politique est le socle d'un devoir de vie en société en ce qu'il s'agit simplement de "retenir" à l'intérieur de soi les pensées néfastes que nous avons pour autrui : notre haine pour lui. De cela aussi, Freud en a très bien parlé. 

Nous avons la liberté de penser que les juifs, les noirs, les arabes, les homosexuels et les femmes (cela fait souvent un package dans l'esprit de certains) sont des êtres inférieurs, que nous aimerions mettre au pas, voire exclure. Si nous sommes en famille ou entre amis, nous pouvons le dire et le chanter. Mais ce que le Droit interdit, c'est de le dire publiquement, d'en faire des livres, de le diffuser au public. Se "tenir bien", c'est tenir à l'intérieur tout le mal que nous pensons d'autrui et tout le mal que nous lui souhaitons. Le droit pénal, aussi bien pour l'injure que pour l'incitation à la haine raciale ou l'homophobie, a tracé finement le trait qui sépare l'intime, même collectif, où l'on peut tout dire, et le public, espace où il faut se tenir bien parce que l'on n'est plus entre soi!footnote-1581.  

Des affirmations politiques comme "je dis tout haut ce que tout le monde dit tout bas" ou "je suis simplement décomplexé", sont criminogènes car elles incitent à ne plus se tenir bien, et de ce fait à ne plus se tenir du tout.

 

B. POUR LA PREMIÈRE FOIS, UN ESPACE NON CADRÉ PERMETTANT DE NE PAS SE TENIR

Or, l'espace numérique permet ne ne plus se tenir parce que la personne y interagit avec les autres d'une façon démultipliée et masquée non pas par la personnalité juridique intime de l'identité, mais par l'anonymat et les identités multiples, fausses et instantanées (1). De cette façon, ces duplications anonymes qui sont contraires à l'idée même de personnes ont pour effet - voire sont le moyen - d'un déferlement de haine et de massacre de l'idée même de personne (2).

 

1. Le numérique, lieu des êtres humains masqués et démultipliés, qualités contradictoires avec la notion juridique de Personne

Dans l'espace numérique, dans lequel chacun peut entrer, il est possible de se créer non pas même une identité mais plutôt un avatar : une personnalité qui n'existe pas!footnote-1630. Non seulement un "faux compte", mais une personne qui n'existe pas et qui entrera pourtant avec un "profil" qui ne correspond à aucun identité. Doté ainsi d'une sorte de faux passeport, cette personne qui n'est que numérique peut entrer dans le cercle des dialogues et n'en suivre aucune règle, puisqu'elle n'en subira aucune conséquence, n'existant pas. Elle échappe ainsi à la règle fondatrice du contradictoire et à l'épreuve de recevabilité du dialogue, décrite notamment par Perelman!footnote-1573

Or, la personnalité est une notion juridique précise qui a été élaborée en Droit tout d'abord pour traduire une réalité : un être humain est ainsi "traduit" comme une "personne" dans l'ordre juridique. Mais il s'agit aussi par l'effet de la jurisprudence d'apposer la qualité de "personne" sur des groupements, non pas pour traduire une réalité!footnote-1546 mais pour lui imputer une responsabilité, plus particulièrement pour leur reprocher efficacement des accidents!footnote-1545 ou permettre à des tiers d'obtenir paiement de prestations exécutées à leur bénéfice. 

Dans l'espace numérique, des êtres humains ou des organisations agissent, développent des stratégies, atteignent les autres, en se démultipliant, en agissant anonymement, en disparaissant à l'instant même où il faudrait répondre de ce qu'il vient d'être dit ou fait. Dans ce monde immatériel, où le Droit ne peut se saisir des corps pour demander trivialement des comptes, il suffit de faire naître des apparences d'êtres existant pour agir sans jamais répondre. Comme il est possible de créer à l'infini de nouvelles apparences, de nouvelles fausses identités, de nouveaux faux visages, plus ces voix se multiplient et moins l'existence même d'êtres effectifs devient acquise et ceux-ci qui agissent derrière ces personnalités qui ne sont que des stratégies à la Potemkine. 

Nous sommes aujourd'hui dans une situation où les personnes auxquelles nous croyons parler n'existent pas et où les personnes réelles qui s'adressent à nous sont en réalité invisibles. Ces acteurs numériques dépersonnalisés sont souvent des comportements dévastateurs pour les autres êtres humains, qui restent sans défense. 

 

2. L'atteinte systématique à la dignité d'autrui par des acteurs numériques dépersonnalisés 

Des études récentes montrent que le monde occidental est en train de devenir de plus en plus triste et de plus en plus dansant. Des études universitaires empiriques menées aux États-Unis montrent que l'omniprésence des réseaux sociaux renvoient aux êtres humains une image du monde qui les rend tristes et fébriles, attitude effective qui changent leur comportement dans le monde digital, puis dans un monde "réel" digitalisé!footnote-1547.  Parce que cette tristesse n'entraîne pas une passivité mélancolique (le spleen) mais au contraire s'exprime dans de l'énergie, celle-ci se concrétise par un reproche général fait au monde et aux autres.

Le reproche est une action. Une action qui peut être une action triste!footnote-1574. C'est le cas lorsqu'on affirme par exemple qu'un complot mondial organisé par une minorité a été si bien mené - notamment par le secret - à son seul profit, thème récurent de l'antisémitisme, Le complotisme est une passion triste. Mais si l'on "se tient bien", comme le reproche est une imputation à autrui d'un effet néfaste produit dans le monde, on ne le dit pas. Sauf à avoir des preuves, à suivre une procédure, à entendre sa défendre, etc.

En cela, le "complotisme" est l'opposé même de "l'accusation" au sens juridique du terme!footnote-1575. En cela, il est l'opposé de la rationalité, dont on a pu souligner le déclin général!footnote-1548, et dont on souligne ici plus particulièrement le déclin de sa forme juridique, la rationalité juridique prenant la voie de la procédure!footnote-1549

Les reproches deviennent non seulement irrationnels mais insensés et inadmissibles lorsqu'ils prennent la forme d'incitation à la haine raciale, de diffamation, d'injure, de discours de haine. Il devrait y alors une conséquence : dans ces cas, l'auteur de ces actions doit en répondre devant le Droit, notamment le juge pénal. Mais pour répondre devant un juge, encore faut-il en avoir techniquement "l'aptitude", c'est-à-dire être une "personne" au sens juridique, c'est-à-dire avoir une identité : un nom pour être appelé, un domicile ou un siège social pour être localisé et convoqué. Or, le monde numérique par son inconsistance, sa virtualité, sa globalité, permet d'agir sans identité réelle et sans être localisé.

Ces acteurs numériques "dépersonnalisés" que nous sommes ne sont plus tenus par ce carcan de la personnalité juridique qui, par avance, nous contraint, telle une colonne vertébrale, à nous maintenir dans le temps et à répondre demain de ce que nous avons dit et fait à autrui hier, à exécuter demain ce que nous avons promis hier, à justifier demain l'exactitude de nos propos diffusés hier. Non, cette ossature inhérente à la notion de personne, en tant que la Personne et son Comportement dans le temps sur son environnement sont indissociables!footnote-1550 étant effacée, l'être humain ne se tient plus, ne répond plus dans le temps de ce qu'il fait, ne considère plus autrui comme son égal : les vannes sont ouvertes pour le massacre d'autrui pour tous et chacun. On le constate à chaque instant.

Quid facere ? 

 

II. SOLUTIONS POUR INTRODUIRE DE LA TENUE PERSONNELLE DANS L'ESPACE DIGITAL 

L'on est un peu désemparé, sauf à accorder grand crédit au seul Droit extérieur - auquel les internautes se soustraient - ou à la seule éthique - que les internautes exprimeraient dans leur comportement collectif dans une morale partagée grâce à une éducation!footnote-1576 dont on a du mal à trouver l'origine!footnote-1551. Si l'on reconnaît la difficulté actuelle issue d'un nouvelle configuration du monde, digitalisé par un monde digital dans lequel les êtres humains ne se tiennent pas, une des solutions possibles peut venir du Droit de la Compliance. En effet, plutôt que de se plaindre du fait que cet espace numérique est tenu par des opérateurs privés et étrangers, pourquoi ne pas prendre appui sur leur puissance et internaliser par cette nouvelle branche du Droit!footnote-1552, la charge de tenir cet espace ? De le tenir d'une façon substantielle, c'est-à-dire de contrôler en Ex Ante ce qu'il s'y dit, ce qu'il s'y fait ? C'est alors aux opérateurs numériques cruciaux de constituer cette colonne vertébrale qui contraint de l'intérieur à bien se tenir en Ex Ante pour que nous ne sombrions pas dans cette marée de tristesse agissant massivement autrui contre autrui (A). 

Ces opérateurs, encadrés par la Loi, supervisés par les Autorités publiques, peuvent n'admettre dans un espace qu'ils tiennent que des êtres et des entités se présentant comme des "personnes" au sens juridique du terme, c'est-à-dire agissant à identité connue et constante. Par ce seul fait, en tant qu'elles sont juridiquement des personnes et non pas des fantômes, elles se tiendront mieux. D'une façon plus précise, la personne se définissant comme un "sujet de droit", titulaires de droits, ces opérateurs numériques, par le pouvoir de contrainte que le Droit doit leur accorder,  doivent avoir l'obligation de ne laisser agir que des personnes identifiées et concrètement tenues de respecter autrui, à travers l'effectivité des droits de celui-ci (B). Par exemple les droits de propriété intellectuelle. 

 

A. LE DROIT DE LA COMPLIANCE, POUR INTERNALISER DANS LES OPÉRATEURS NUMÉRIQUES CRUCIAUX LA CHARGE DE TENIR SUBSTANTIELLEMENT L'ESPACE NUMÉRIQUE

Dans une optique classique de Droit de la concurrence, l'on craint la domination des opérateurs numériques qui tiennent un monde qu'ils ont construit : plateformes et moteurs de recherche. Non qu'il ne faille y être vigilant puisque leur modèle économique commun est l'exploitation des données, ce qui constitue un souci à la fois pour la concurrence et pour les libertés individuelles. Mais le Droit de la concurrence lui-même ne fait pas reproche à un opérateur d'être puissant!footnote-1553 et il convient au contraire de tirer profit de cette puissance pour remettre de l'ordre dans cet espace inédit (1) en obligeant les opérateurs numériques cruciaux à contrôler ce qu'il s'y passe (2). En effet le numérique ne peut se résumer à être un marché neutre de prestations digitales et son contenu doit être contenu. La "Régulation" est dans cette tautologie même.

 

1. Utiliser la puissance des opérateurs numériques cruciaux pour remettre de l'ordre dans l'espace digital

Le rapport entre le Droit et la force est un thème si ancien... , le Droit étant souvent défini comme la force juste qui arrête la force injuste!footnote-1555. Mais le Droit ne peut-il pas profiter des force de l'objet sur lequel il porte, plutôt que d'être neutre ou de lutter contre ? Le monde numérique a été construit par l'intelligence et l'audace de quelques entrepreneurs, servis par les circonstances et ayant mis à profit des technologies, œuvrant ensemble ayant constitué le terreau de ce nouveau monde qu'est le digital. Construire un monde et non pas seulement le découvrir, c'est un évènement sans précédent et il faut en reconnaître le mérite aux entrepreneurs qui ont largué les amarres vers un monde qui n'existait pas avant eux.

La force que ces entrepreneurs ont eu de construire un monde qui n'existait pas, la force qu'ils en tirent par nature puisqu'ils en sont les architectes, ne mérite pas per se qu'on la contrarie. Mais elle ne justifie pas non plus qu'elle les constituent en "maîtres"!footnote-1556. Les entreprises qui tiennent le numérique et qui sont en cela les "entreprises numériques cruciales"!footnote-1554, doivent être actées dans leur puissance mais se voir pour cela imputer en Ex Ante un rôle particulier!footnote-1557

Puisque des opérateurs du numérique ont construit et tiennent un espace nouveau, qui a transformé en retour le monde dit "réel", c'est à eux d'y maintenir de l'ordre, c'est-à-dire de faire en sorte que des règles y soient actives pour que des propos n'y soient pas tenus, que des comportements n'y soient pas admis. 

Parce qu'ils ne doivent pas être les maîtres de ce monde, parce qu'ils seraient alors nos maîtres, ce qu'ils ne sont pas légitimes à être, ces règles de comportement et de tenue doivent être fixées par le Politique, c'est-à-dire le Législateur ou les Hautes Juridictions ou les Autorités publiques de régulation et de supervision. Mais parce qu'ils sont des opérateurs numériques cruciaux, qu'ils tiennent les places où tout s'échange, qu'ils constituent les réseaux où tous se trouvent, les moteurs par lesquels on accède à tout, c'est à eux de mettre en œuvre ces règles de comportements.

Le Politique et les Autorités publiques doivent donc non pas contrer leur puissance mais utiliser celle-ci en internalisant dans ces opérateurs les règles de comportements que le Droit a fixées, ce qui rappellent à ces entreprises qu'elles ne sont pas les nouveaux "Constituants" d'un monde global puisque virtuel!footnote-1558. Ces Autorités publiques dans lesquelles l'idée d’État demeure doivent exiger de ces entreprises qu'elles utilisent leurs forces pour rendre effective des règles dont la concrétisation est hors de la portée des États, puisque les moyens sont plus limités, de fait (argent, information) et de droit (territorialité). 

 

2. Obliger les opérateurs numériques cruciaux à contrôler substantiellement ce qui se passer dans l'espace numérique, qui ne se réduit pas à un marché neutre de prestations

C'est ainsi que des lois sont en train d'obliger les opérateurs numériques cruciaux, comme les plateformes ou les réseaux sociaux, à faire disparaître les fausses informations. Par exemple la loi du 22 décembre 2018 relative t à la lutte contre la manipulation de l'information et la loi prochaine de lutte contre les contenus haineux qui obligent ces opérateurs à intervenir en Ex Ante contre ces contenus haineux ou faux.

Ces textes caractérisés par des buts très précis (la diffusion de fausses informations n'est visée que pendant les périodes élecorale) sont inspirés par une idée plus générale : obtenir le respect des êtres humains, mis en danger par un nouveau monde où l'on peut dire n'importe quoi (faire passer pour vrai ce qui est faux) et agresser n'importe qui, sans réaction possible autre qu'en retour l'accroissement de l'agression. Or, comme le démontra René Girard!footnote-1559, c'est pour arrêter l'escalade de la violence, cette vendetta observable sur le net, que le Droit et les institutions se sont établis. C'est notamment pour cela que Carbonnier rappelle que la Personne relève du "sacré"!footnote-1560 : ce à quoi l'on ne s'attaque pas, tandis que nous constatons à quel point des êtres humains sont piétinés dans l'espace numérique à chaque instant.

Pour arrêter cela, il faut que le Droit, notamment le Droit de l'Union européenne ne conçoive pas l'espace numérique européen comme ne constituant qu'un "marché unique digital", ce qui paraît parfois son seul plan, mais comme un monde complet, impliquant une protection substantielle et centrale de l'être humain. Pour l'instant, l'Europe, encore trop scindée entre l'Union européenne et l'Europe des droits humains, n'anticipe qu'un marché des prestations numérique, alors que c'est un nouveau monde dans lequel les êtres humains vivent qu'il convient d'organiser. 

En tant qu'il est souverain, le Droit doit donner ordre aux opérateurs numériques cruciaux de protéger ces êtres humains. Le Droit communautaire l'a déjà fait avec éclat et réussite en les obligeant à respecter ceux-ci à l'occasion des stockages, maniements et cessions des données à caractère personnel, tout d'abord par la jurisprudence de la Cour de Justice condamnant Google en 2014 puis Facebook en 2015, puis par le Réglement de 2016. 

Il convient d'aller plus loin, le Droit fixant ces buts, les opérateurs les concrétisant.

 

B. DES PERSONNES AGISSANT A IDENTITÉ CONNUE, CONSTANTE ET CONTRÔLÉE, TENUES DE RESPECTER AUTRUI À TRAVERS LES DROITS DE CELUI-CI

Pour que les êtres humains cessent d'être victimes, de comportements qui disposent d'eux-mêmes comme s'ils n'étaient que des objets à travers l'utilisation de leurs "données"!footnote-1561 ou par des comportements qui dénient leur dignité indissociable de leur qualité juridique de personne, il faut considérer que chacun est certes une potentielle victime mais aussi une potentiel agresseur.  C'est dans cette qualité-là qu'il convient de demander aux opérateurs numériques cruciaux de saisir les intervenants, car s'il n'y a plus d'agresseur, parce que chacun serait contraint de "bien se tenir", alors il n'y aurait plus de victime.

C'est pour cela qu'il est essentiel d'obtenir par la puissance des opérateurs que chacun dans le monde digital "se tienne bien", c'est-à-dire respecte autrui. Pour cela, il faut demander aux opérateurs d'exiger que chacun soit contraint d'agir à visage découvert, c'est-à-dire à identité connue, constante et contrôlée (1). Puis il faut internaliser dans les opérateurs numériques cruciaux une obligation qui est extérieure à leur but intrinsèque d'entrepreneur mais qui tient à leur position cruciale inhérente à ce monde digitale : faire en sorte que les uns respectent les droits des autres, seule façon effective pour une personne de respecter autrui : à travers la mise en œuvre des droits d'autrui (2). 

 

1. Obliger les opérateurs numériques cruciaux à obliger chacun à agir à visage découvert : la "politique de l'identité réelle"

Pour contraindre les personnes à "se tenir", la Loi doit donner l'ordre de mettre fin à la possibilité de créer des faux profils. Il n'est pas admissible que le mécanisme de la "société fictive" soit sanctionnée en droit des sociétés et qu'on admette la création de faux profils!footnote-1562

Plus encore, si la notion juridique de la "personne" renvoie au masque (persona), c'est pour mieux attacher à l'être humain, qui sans cesse change, une identité qui quant à elle demeure et permet toujours à autrui de s'adresser à elle!footnote-1563 : il faut exiger des opérateurs qu'ils contrôlent l'identité des personnes qui agissent grâce à eux. Ce qui est souvent qualifié de "politique de l'identité réelle"!footnote-1564 doit être imposée à tous les opérateurs par les Autorités publiques. Tant mieux si cela converge avec des initiatives de ceux-ci, mais ces mouvements ne sont ni requis, ni les plus solides car ces entreprises n'ont pas à fixer les lois de l'espace digital commun.

Obligés d'agir en leur nom, devant subir les conséquences de leur prise de parole, les êtres humains peuvent maintenir la violence ou la fausseté des propos ou comportements mais le plus souvent, parce que la nécessité de l'assumer est une façon d'en répondre Ex Ante aux yeux de tous, cela conduit de ce seul fait à une modération. Le masque de la haine n'est pas gracieux, il est plus difficile de le porter en nom propre. Ce n'est que dans les films de Gérard Oury, si grand cinéaste de la haine et de la persécution, que l'on remet en mains propres les lettres anonymes que l'on a écrites!footnote-1577

Dans une perspective plus générale, la personne qui montre son "vrai visage" se tient de ce seul fait. Par exemple dans la cohérence entre son comportement passé, présent et futur. Les génies de ses trois Noëls viennent en permanence lui demander des comptes, dans cet espace digital qui garde tout en mémoire, et cela peut suffire, par la maintenance des souvenirs, à lui donner du maintien. Il est donc essentiel de proscrire l'anonymat, sauf exceptions. 

 

2. Obliger les opérateurs numériques cruciaux à obliger chacun à respecter les droits d'autrui : l'effectivité de la personne comme "sujet de droit"

Si l'on veut aller plus loin dans l'exigence que chacun "se tienne bien", c'est-à-dire respecte autrui en tant qu'il est une personne!footnote-1565, il faut obtenir que chacun soit pleinement considéré comme une personne, c'est-à-dire un "sujet de droit". L'ambition grandit alors puisque la mesure du respect que l'on a d'elle dépasse le noyau dur de sa dignité, qui demande à n'être pas bafouée, pour aller vers l'effectivité de ses droits.

Or, les droits subjectifs sont sans cesse méconnus dans le monde digital. Sans doute parce que ce monde a été construit sur la technologie et que le Droit y est peu considéré, selon ce nouvel adage qui poserait que le codage de l'algorithme serait la seule loi fondatrice, les prérogatives juridiques des êtres humains, c'est-à-dire les droits subjectifs des personnes n'étant pas même conçus. 

Sans doute les américains furent-ils étonnés de voir l'Europe prendre le mors aux dents pour rappeler que des personnes ne peuvent disposer de la vie privée des autres pour mieux la vendre à autrui, tant le commerce des données paraît chose naturelle outre-Atlantique. Il est vrai que la connaissance des goûts d'une personne a une valeur économique mais tout ce qui a de la valeur, puisque susceptible d'offre et de demande, n'est pas pour autant disponible : la personne n'est pas à la disposition des autres, elle a le droit fondamental de ne pas l'être. C'est la définition du sujet de droit, sous-jacent à tout le Droit des données à caractère personnel. Le Droit de la compliance inventé par le Droit commun a internalisé dans les entreprises l'obligation de concrétiser ce droit subjectif de demeurer maître de soi, contre les forces naturelles du monde numérique!footnote-1566

Si l'on considère que le Droit des données à caractère personnel n'est qu'un exemple de l'obligation plus générale que doivent avoir les opérateurs numériques cruciaux, il faut que ceux-ci soient obligés de participer activement à la lutte contre la méconnaissance systématique des droits non seulement dans Internet mais grâce à Internet. Cela est particulièrement vrai pour les droits de propriété intellectuelle.

L'Europe a adopté une directive relative au droit d'auteur!footnote-1567 . Au-delà de cela, les opérateurs doivent faire plus que retirer quand on leur demande des contenus illicites, œuvres piratées immédiatement dupliquées, ce qui détruit l'effectivité les droits des créateurs et anéantit l'industrie culturelle. La technologie permettrait aux opérateurs numériques de faire une police plus efficace, le Droit doit leur en donner le pouvoir légitime parce qu'il doit leur en intimer le devoir, en y associant des recours pour ceux dont le contenu aura été ainsi déréférencement en Ex Ante!footnote-1568

 

C. LE PROJET D'UN MONDE NUMÉRIQUE COMME MONDE CIVILISÉ PAR LE DROIT DE LA COMPLIANCE

Si l'on parvient à faire ceci, alors ce monde numérique qui est déjà là, qui a transformé l'ensemble du monde dans lequel nous vivons car le monde digital a digitalisé le monde!footnote-1569, qui se déploie au bénéfice de la liberté mais qui, faute de mettre celle-ci en équilibre avec un autre principe, entraîne une dégradation de la situation des êtres humains, pourrait conduire les personnes qui y agissent à "s'y tenir bien".

S'y tenir bien en ne diffusant pas tout ce qu'elles pensent, en n'agressant pas autrui, en demeurant constant dans le temps dans son comportement, ses paroles et sa propre personne.

Le Droit doit obliger les personnes à cela parce que la coexistence des personnes et le respect qu'elles doivent avoir les unes des autres, dans les droits des unes et des autres , constitue une des raisons pour lesquelles le Droit lui-même existe.

C'est au Droit de poser cet impératif, lequel est un impératif politique, puisque cette civilité fera seule que le monde numérique deviendra un monde civilisé, ce que pour l'instant il n'est pas.

Cet impératif doit être internalisé comme but à atteindre dans les opérateurs économique qui ont créé le monde digital et qui le tiennent : c'est l'objet du Droit de la Compliance!footnote-1578. La personne et le respect de ses droits qui lui est dû, en sont le coeur!footnote-1579

 

_______________________

1

Vivant, M. et Bruguière, J.-M., Droit d'auteur et droits voisins, 2019, n°1, p.1. 

2

Sur le devoir politique de l'amitié, v. Derrida, Politique de l'amitié, Galilée, 1994 ; cf. avant Aristote sur l'homme comme "animal social.  En effet, l'amitié suppose que je puisse m'adresser à l'autre, lui parler tandis qu'il est apte à me répondre. Cette politique de l'amitié est donc celle qui prend comme appui le dialogue. Une société dans laquelle l'on ne parle à l'autre mais l'on parle de l'autre, y compris pour en dire du bien ("je like", par exemple) est une société de l'adoration (revers de la haine, mais née du même ressort) qui a pour base le spectacle.  Dans celle-ci, il faut avoir beaucoup d'amis, c'est-à-dire être aimé de tous, d'être une "star". Dans la conception politique classique, l'on affirmait que "celui qui a beaucoup d'amis n'en a aucun" (Aristote).

3

Civ., 2ième, 5 janvier 2017, sur le fait que nos contacts sur Facebook ne sont pas nos amis.

5

La question devient plus difficile lorsque "l'entre-soi" s'accroît, par exemple entre étudiants d'une même promotion. Est-on encore dans une situation privée où l'on peut bien rire entre soi ? Par exemple en s'amusant à distribuer les rôles où les uns seraient les juifs et les autres les allemands ? C'est la question du jeu d'intégration d'un week-end d'intégration à l'Université Paris XIII, jeu organisé par les étudiants, jeu qu'ils avaient titré "Rafle 2019".  L'organisation en était faite par un groupe privé via Facebook. Que doit décider le président d'université au titre de son pouvoir disciplinaire, voire le parquet ? 

6

Pour une parfaite description du monde digital : Spielberg, S., Ready, Player One.

8

Là encore, à travers cette jurisprudence de référence Saint-Chamoux sur la personnalité juridique du comité d'établissement, alors que la loi ne l'avait conféré qu'au seul comité d'entreprise, cela fait pense au raisonnement actuel qui vise le "bénéficaire effectif".   

9

Ce qui renvoie singulièrement au cas qui déclencha la loi dite "Vigilance" de 2017. 

10

Sur le rapport entre le monde digital et le monde réel digitalisé, v. Frison-Roche, L'apport du Droit de la Compliance dans la gouvernance d'Internet, 2019. 

11

Sur la distinction faite par Spinoza entre les "passions tristes" et les "passions joyeuses" faite par Spinoza, si utile aujourd'hui, v. Spinoza, L'éthique. 

12

Trigaud, F., L'accusation. Recherche  sur les figures de l'agression éthique, 1997, reprint 2001, Dalloz. 

13

Bronner, G., Déchéance de rationalité, 2019. 

15

V. supra à ce propos dans l'introduction. 

16

Sur l'exemplarité éthique qui pourrait s'appliquer, v. Canto-Sperber, M., La Compliance et les définitions traditionnelles de la vertu, in Frison-Roche, M.A. (dir.), Pour une Europe de la Compliance, 2019. 

17

Sur la question plus générale de l'éthique, du droit et de la personne, v. Frison-Roche, M.-A., "Pour protéger les êtres humains, l'exigence éthique de la notion juridique de personne", in Droit et Ethique, 2018. 

18

Sur l'idée même de "Droit de la Compliance", v. Frison-Roche, M.-A., Le Droit de la Compliance, 2016. 

20

Sur les rapports entre le Droit et la force, v. not. De l'injuste au juste, 1997. 

21

Rochfeld, J., Contre l'hypothèse de la qualité des données à caractère personnel comme bien, in Les biens numériques, 2015. 

22

Sur la notion d'entreprise cruciale, v. Frison-Roche, M.-A., Proposition pour une nouvelle notion : l'opérateur crucial, 2006. 

23

Dans ce sens et d'une façon plus générale, v. Supiot, A., Introduction, in  Prendre la responsabilité au sérieux, 2015. 

24

Contra, v. Teubner, G., sur la "supra-constitutionnalité" qui considère que les entreprises globales possèdent aujourd'hui (et elles-seules) un pouvoir mondial constitutionnel. V. par ex. "L'auto-constitutionnalisation des entreprises transnationales ? Sur les rapports entre les codes de conduite "privés" et "publics" des entreprises", 2015. 

 

25

Girard, R., La violence et le sacré, 1978.

26

Carbonnier, La personne comme sacré, ...

28

Sur ce point, v. Frison-Roche, M.-A., Compliance et Personnalité, 2019. 

29

Sur ce point, v. les développements de l'introduction. 

30

Par exemple par Facebook.

31

Oury, G., La folie des grandeurs : "Sa majesté a-t-elle bien reçu ma lettre anonyme ?"

32

V. introduction. 

33

Sur ce mouvement, v. not. Lenaerts, K., "Le juge de l'Union européenne dans une Europe de la Compliance, in Frison-Roche, M.-A. (dir.), Pour une Europe de la Compliance, 2019. 

34

Directive sur le droit d'auteur dans le marché unique numérique, votée par le Parlement le 26 mars 2019, puis adoptée par le Conseil en avril 2019. 

35

Pour une description détaillée d'un tel système, v. Frison-Roche, M.-A., L'apport du Droit de la compliance dans la gouvernance d'internet, 2019. 

36

Pour une description détaillée de la digitalisation du monde par le monde digital, v. Frison-Roche, M.-A., L'apport du Droit de la compliance dans la gouvernance d''Internet, 2019. 

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