18 mai 2006

Publications

Publication : monographie dans une publication juridique

📝Proposition pour une notion : l'opérateur crucial

par Marie-Anne Frison-Roche

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â–ş RĂ©fĂ©rence complète : Frison-Roche, M.-A., "Proposition pour une notion : l’opĂ©rateur crucial", D. 2006, pp.1895-p.1900.

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â–ş RĂ©sumĂ© de l'article : Le marchĂ© est conçu comme ayant deux sortes d’acteurs : les opĂ©rateurs et les rĂ©gulateurs. Mais on peut suggĂ©rer un troisième terme : l’opĂ©rateur crucial. Cette notion, ici proposĂ©e, suppose que le secteur ne peut fonctionner sans lui. Il pourra s’agir d’un gestionnaire de rĂ©seau ou d’une entreprise systĂ©mique, dont la dĂ©faillance produit un effet domino, ou d’une structure qui tient un système comme le sont les entreprises de marchĂ©s financiers. Ces sortes de "rĂ©gulateurs de second rang" ont alors plus de droit et plus d’obligation. Ils sont soit titulaires d’infrastructures essentielles, soit porteur d’innovation capitale, soit centralisent des risques du systèmes. Les systèmes de rĂ©gulation devraient ĂŞtre repensĂ©s en intĂ©grant ces "opĂ©rateurs cruciaux".

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â–ş RĂ©sumĂ© plus dĂ©veloppĂ© de l'article : Le droit de la concurrence neutralise les agents Ă©conomiques qui agissent sur les marchĂ©s, notamment par la règle de la neutralitĂ© du capital. Ainsi, l’entreprise est une notion juridique transparente, qui gomme les spĂ©cificitĂ©s des organismes. Ainsi les entreprises publiques ne sont considĂ©rĂ©es qu’en tant qu’entreprise et la notion de "champion national" est rĂ©cusĂ©e.

Pour échapper à cette neutralité, sans pour autant tomber dans l’arbitraire des États contre lequel le droit de la concurrence lutte à juste titre, il y a grand intérêt et pertinence à développer la notion d’opérateur crucial.

L’idĂ©e d’opĂ©rateur crucial consiste Ă  ne plus l’envisager d’une façon neutre, non par rapport Ă  son capital ou Ă  ceux qui la gouverne, mais par rapport Ă  son comportement de marchĂ©. En effet, la crucialitĂ© peut se dĂ©finir comme la qualitĂ© d’une organisation qui met en sa dĂ©pendance l’efficacitĂ© et le bon fonctionnement des autres organisations. En cela, la crucialitĂ© est le contraire de la concurrence, laquelle postule que l’entreprise non seulement ne dĂ©pend pas des autres mais encore va chercher par nature Ă  lui porter dommage en s’appropriant la demande au dĂ©triment de ses concurrents. Mais il peut arriver que le marchĂ© ne puisse se contenter de cette mobilitĂ© agressive qu’est la concurrence et suppose la stabilitĂ© et le soutien des autres qu’opère l’opĂ©rateur crucial.

Il en est ainsi lorsque l’opérateur est le gestionnaire d’une infrastructure essentielle puisque les autres opérateurs dépendent de celle-ci. C’est également le cas lorsque l’opérateur est porteur de l’innovation du marché, ce qui justifie notamment des droits d’accès au titre des facilités essentielles ou des ententes pour produire de la recherche. Le troisième cas est lorsque l’opérateur est porteur des risques du système, ce qui explique que les banques et les établissements financiers sont le plus souvent des opérateurs cruciaux en ce qu’elles portent les risques systémiques du système bancaire et financier. On mesure ainsi que le caractère public ou privé n’interfère pas dans la qualification d’opérateur crucial pas plus que le caractère monopolistique ou non de l’opérateur considéré.

Les conséquences d’une telle qualification d’opérateur crucial est que celui-ci doit avoir plus d’obligations qu’un opérateur ordinaire. Ainsi, le gestionnaire de l’infrastructure a l’obligation de l’ouvrir aux tiers, alors même que la maîtrise engendre habituellement un pouvoir d’exclusion. De la même façon, les établissements financiers ou d’assurances, parce qu’ils doivent prévenir les risques, vont être obligés par des normes prudentielles spécifiques. Mais le caractère crucial de l’opérateur lui confère des droits mais aussi des pouvoirs. C’est ainsi que les entreprises de marché, opérateurs de droit privé qui tiennent les places, ont un pouvoir disciplinaire d’exclusion que certains ont comparé au pouvoir de l’État.

Plus encore, l’opérateur crucial apparait alors comme un régulateur de "second rang". En effet, selon une figure de pyramide, les opérateurs ordinaires sont soumis au pouvoir disciplinaire des opérateurs cruciaux qui eux-mêmes sont gouvernés par les régulateurs publics, lesquels sont les régulateurs de premier rang. Cette qualité de régulateur de second rang oblige l’opérateur à se comporter à l’égard de ses compétiteurs avec la même vertu que celle qui caractérise le régulateur et en premier l’impartialité. Il en est ainsi de la non-discrimination d’accès au réseau à ses propres concurrents. En outre, un régulateur doit rendre des comptes et se comporter d’une façon transparente, alors que l’opérateur ordinaire n’est pas soumis à ce principe, car le droit de la concurrence n’exige pas la transparence des structures et du comportement. Ce lien entre régulation et gouvernance s’applique clairement aux opérateurs financiers mais on l’observe également à propos des gestionnaires de réseau.

On mesure ainsi que si le droit positif, donnant forme par un dernier effort de vocabulaire à des règles établies, reconnaissait l’existence de la notion d’opérateur crucial, il identifierait mieux cette catégorie intermédiaire entre l’opérateur ordinaire et le régulateur, car l’opérateur crucial est une entreprise, s’insérant dans le jeu des offres et des demandes mais elle soutient également la structure stable du marché et la stabilité de celui-ci, ce qui n’est pas le but usuel des entreprises.

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