2 février 2023
Publications
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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Le juge, l'obligation de compliance et l'entreprise. Le système probatoire de la Compliance", in M.-A. Frison-Roche (dir.), La juridictionnalisation de la Compliance, coll. "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, 2023, p. 409-442.
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🚧lire le document de travail bilingue sur la base duquel cet article a été élaboré, doté de développements supplémentaires, de références techniques et de liens hypertextes
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📕consulter la présentation générale de l'ouvrage, La juridictionnalisation de la Compliance, dans lequel cet article est publié
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► Résumé de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) : l'article vise à dégager le lien qui doit s'opérer entre l'entreprise dans son rapport avec les obligations de compliance qu'elle assume et les juges devant lesquels elle rend compte à ce titre : ce lien est opéré par le jeu des preuves. Or le système probatoire de la preuve est encore à construire, c'est l'objet de cette longue étude que d'en poser les prolégomènes.
A cette fin l'article débute par une description de ce qui est désigné comme le "carré probatoire" dans un "système probatoire" qui se superpose au système des règles de droit substantiel. Cela est d'autant plus important que la Compliance semble être en choc frontal dans ses principes mêmes avec les principes généraux du système probatoire, notamment parce qu'il semble que l'entreprise devrait prouver l'existence du Droit ou qu'elle devrait supporter d'une façon définitive la charge de prouver l'absence de violation, ce qui paraît contraire non seulement à la présomption d'innocence mais au principe de la liberté d'action et d'entreprendre. Pour réarticuler le Droit de la Compliance, les obligations de compliance qui légitimement pèsent sur l'entreprise, il faut revenir sur le système probatoire spécifique à la Compliance, pour que celle-ci demeure dans l'Etat de Droit. Cela suppose que l'on adopte une définition substantielle de la Compliance, qui ne soit pas seulement le respect des règles, ce qui n'est qu'une dimension minimale, mais que l'on définisse le Droit de la Compliance par les Buts Monumentaux sur lesquels d'une façon substantielle les Autorités publiques et les entreprises font alliance.
Le système probatoire de principe fait jouer entre eux ses quatre sommets que sont la charge des preuves, les objets de preuve ce carré probatoire de principe, entre la charge de preuve, les moyens de preuve et leur recevabilité. Le Droit de la Compliance ne sort pas de ce carré probatoire, marquant en cela sa pleine appartenance à l'Etat de Droit
Pour pose les bases du système probatoire spécifique au Droit de la Compliance la première partie de l'article cerne les objets de preuve qui lui sont spécifiques, en distinguant les dispositifs structurels, d'une part et les comportements attendus d'autre part. Les premiers impliquent que soit prouvée la mise en place effective des structures requis au regard des Buts Monumentaux de la Compliance. L'objet de preuve est alors l'effectivité de cette mise en place, ce qui présente l'efficacité du dispositif. En ce qui concerne les obligations comportementales, l'objet de preuve est dans les efforts déployés par l'entreprise pour obtenir ceux-ci, le principe de proportionnalité gouvernant l'établissement de cette preuve, tandis que l'efficience systémique de l'ensemble conforte le dispositif probatoire. Mais la sagesse probatoire consiste pour l'entreprise, alors même que le principe demeure celui de la liberté de la preuve, à préconstituer l'effectivité, l'efficacité et l'efficience de l'ensemble, indépendamment des charges de preuve.
La deuxième partie de l'article vise ceux qui supportent la charge de preuve en Droit de la Compliance. Celui-ci fait porter par principe ce poids sur l'entreprise, au regard de ses obligations légales. Cette charge vient de l'origine légale des obligations, laquelle bloque la "ronde des charges de preuve". Mais dans l'interférence des différents sommets du carré probatoire, la question devient plus délicate lorsqu'il s'agit de déterminer les contours des obligations de compliance que l'entreprise doit exécuter. En outre, la charge de preuve peut elle-même faire l'objet de preuve, comme l'exécution par l'entreprise de ses obligations légales peut elle-aussi faire l'objet de contrats, ce qui fait revenir dans le système probatoire ordinairement applicable aux obligations contractuelles. La situation est d'ailleurs différente lorsqu'il s'agit d'un "contrat de compliance" ou lorsqu'il s'agit d'une ou de plusieurs stipulations de compliance, notions encore peu élaborées en Droit des contrats.
En outre, toutes les branches du Droit appartenant à un système juridique gouvernant par le principe de l'Etat de Droit, d'autres branches du Droit interfèrent et modifient les méthodes et solutions probatoires. Il en est ainsi lorsque le fait, qui est objet de preuve, peut donner lieu à sanction, le Droit de la répression imposant ses solutions propres en matière de charge de preuve.
Dans une troisième partie de l'article, sont examinés les moyens de preuve pertinents en Droit de la Compliance, utilisés en ce que le Droit de la Compliance est avant tout une branche du Droit dont l'objet est d'une part l'information et d'autre part l'Avenir. Des questions ouvertes demeurent, comme celle de savoir si les entreprises pourraient être contraintes par le Juge à construire des technologies pour inventer de nouveaux moyens de preuve pour donner à voir qu'elles concrétisent effectivement les Buts Monumentaux dont elles sont chargées.
Dans une quatrième partie, est montrée le caractère vital de la préconstitution des preuves, qui est le reflet de la nature Ex Ante du Droit de la Compliance : il faut préconstituer des preuves pour écarter la perspective même d'avoir à les utiliser, en trouvant tous les moyens d'établir l'effectivité, l'efficacité, voire l'efficience des différents Outils de la Compliance.
Si les entreprises font tout cela avec méthode, le système probatoire de la Compliance sera établi, en harmonie à la fois avec le système probatoire général, le Droit de la Compliance et l'Etat de Droit.
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► Lire la présentation de l'ensemble des articles de Marie-Anne Frison-Roche dans cet ouvrage :
📝Résumé de l'ouvrage (en accès libre ICI)
📝Le "jugeant-jugé" : Articuler les mots et les choses face à l'éprouvant conflit d'intérêts
📝Ajuster par la nature des chose le Droit processuel au Droit de la Compliance
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16 avril 2018
Blog
C'est à propos d'un cas particulier que l'on peut reformuler les questions générales. Si le cas est brûlant, il est d'autant plus important de revenir aux questions générales, qui sont toujours plus froides (plus ennuyeuses, aussi).
Ainsi, Cambridge Analytica, voilà bien un cas dont on parle beaucoup ... Il est à la fois particulier et très brûlant.
On en parle donc beaucoup, et avec véhémence, et d'une façon souvent définitive, aussi bien en attaque qu'en défense.
Pour l'accusation, l'on trouve beaucoup d'avocats, rassemblés par exemple dans les dossiers du Guardian :
Pour la défense, l'on en trouve moins. Mais l'on peut lire par exemple l'article paru début avril 2018 : Why (almost) everything reported about the Cambridge Analytica Facebook ‘hacking’ controversy is wrong
Le nombre et le caractère plus ou moins enflammés, en tout cas toujours définitifs, des propos ne veulent rien dire en soi.
Les régulateurs ont pris la parole un peu plus tard, à la fois d'une façon plus concrète, le "groupe des 29" (réunissant tous les Régulateurs européens des données personnelles) établissant le 11 avril 2018 un groupe de travail à ce sujet et publiant le 10 avril 2018 des nouvelles lignes de conduite sur la place qui doit être faite au "consentement" (voir la présentation qu'en a faite par exemple CNIL, le 12 avril 2018.
Mais ce n'est pas ce que l'on trouve dans les médias. Ce qu'on y lit, ce qu'on y voit bien ressemble plutôt à un procès, car chacun affirme avoir entièrement raison et pose que l'autre a entièrement tort. Procès pour faire éclater la vérité et la vertu, disent les accusateurs. Procès en sorcellerie, dit Facebook mis en cause. Et c'est toujours à nous que cela s'adresse.
Car tout cela tient sans doute au fait que nous ne sommes plus spectateurs : nous sommes placés dans la position du juge. Le marché financier a été le premier juge. Il a déjà condamné. Sans chercher à vraiment savoir. Cela tient au fait que le bien public des marchés financiers est la confiance, il suffit que l'on puisse même soupçonner l'épouse de César, et ce n'est donc pas vraiment de vérité des faits et de bonne application de règle qu'il s'agit.
Pour l'opinion publique que nous sommes, il s'agit d'autre chose, car nous pourrions attendre d'en savoir plus, puisque nous cherchons à rester encore un peu attachés à la "vérité" des faits et au respect du Droit. Or, le cas est complexe et relève avant tout d'une analyse juridictionnelle qui viendra et que nous ne pouvons mener, aussi bien en ce qui concerne les faits - qui sont complexes - que des règles de droit à appliquer qui le sont tout autant.
Ce qui nous transforme en tribunal, phénomène sociologique ordinaire, c'est un mécanisme juridique nouveau : le "lanceur d'alerte. Par nature, il donne la prime à l'attaque.
Cette logique du mécanisme juridique du "lanceur d'alerte", mouvement de fait de lancer des faits comme on lance une bouée à l'extérieur mais on pourrait dire aussi des pierres sur celui-ci que l'insider dénonce, logique aujourd'hui encouragée et protégée par le Droit, permet à une personne qui connait quelque chose, le plus souvent parce qu'il y a participé, de le faire savoir à tous, sans filtre. De le dénoncer. Pour le bien public.
Les textes successifs sur le lanceur d'alerte sont des textes d'un Droit de la Compliance
Le cas est exemplaire de cela, puisque Facebook n'est "dénoncé" qu'en second rang, derrière Cambridge Analytica, mais la notoriété et la puissance du premier fait qu'il est frappé en premier. Le Droit français dans la loi dite "Sapin 2" de 2016 a veillé à protéger l'entreprise dénoncée, mais les droits britanniques et américains sont plus violents, sans doute parce qu'ils manient plus rapidement le private enforcement.
La temporalité est donc favorable à l'attaque. Le temps de la défense est toujours plus lent. Ce sont d'habitude les personnes en situation de faiblesse qui le subissent : lenteur de la justice, justice hors des palais de justice, etc. Avec les mécanismes de Compliance, ce sont sans doute les très puissants qui vont vivre cela. Il ne s'agit en rien de s'en réjouir : le malheur des uns (ici la difficulté qu'a une entreprise hâtivement "jugée") ne console en rien du malheur des autres (la difficulté des êtres ordinaires accusés ou n'ayant que le droit pour se protéger à atteindre concrètement un juge et à obtenir vraiment un jugement exécuté, alors même qu'ils sont dans leur droit).
Mais si l'on passait aux questions générales, puisque sur les faits de ce cas, nous n'avons pas les moyens de les apprécier, pas plus que sur les règles qui leurs sont applicables nous ne pouvons les appliquer d'une façon adéquate tant qu'une juridiction n'aura pas exercé son office ?
Or, les perspectives générales mises en lumière par ce cas singulier sont de deux ordres : d'ordre probatoire (I) et d'ordre de la responsabilité (II).
Lire ci-dessous.
Frison-Roche, M.-A., Le Droit de la Compliance, 2016.
Sur cette notion, Frison-Roche, M.-A., Du Droit de la Régulation au Droit de la Compliance, 2017.
14 janvier 2015
Blog
Oublions un instant l'objet même de l'arrêt AZF et limitons la lecture à la question procédurale tranchée par l'arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 13 janvier 2015.
Celui-ci est très remarquable et mérite pleine approbation en ce qu'il affirme l'obligation des juges de respecter l'impartialité de l'institution juridictionnelle, mise à mal si les personnes qui ont à faire à elle peuvent établir un "doute objectif" concernant l'impartialité d'un juge.
A travers cette affirmation, c'est un jeu de présomptions, la principale étant la présomption de l'impartialité du juge, que la Cour de cassation établit, mettant en juste mesure les charges et les objets de preuve en la matière.
Lire ci-dessous un commentaire développé de l'arrêt.
Mise à jour : 31 juillet 2013 (Rédaction initiale : 20 septembre 2011 )
Enseignements : Les Grandes Questions du Droit, semestre d'automne 2011