2 août 2022

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🚧Le juge, l'obligation de compliance et l'entreprise. ProlĂ©gomĂšnes pour le systĂšme probatoire de la compliance

par Marie-Anne Frison-Roche

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â–ș RĂ©fĂ©rence complĂšteM.-A. Frison-Roche, Le juge, l'obligation de compliance et l'entreprise. ProlĂ©gomĂšnes pour le systĂšme probatoire de la compliance, document de travail, aoĂ»t 2022

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📝ce document de travail a Ă©tĂ© Ă©laborĂ© pour servir de base Ă  un article : "Le juge, l'obligation de compliance et l'entreprise. Le systĂšme probatoire de la compliance".

📕publiĂ© dans sa version française dans l'ouvrage La juridictionnalisation de la Compliancedans la collection đŸ“šRĂ©gulations & Compliance

📘dans sa version anglaise dans l'ouvrage Compliance Jurisdictionalisation, dans la collection đŸ“šCompliance & Regulation

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â–ș RĂ©sumĂ© du document de travail : Pour articuler le systĂšme probatoire de la compliance, il convient d'admettre en prĂ©alable que le Droit de la preuve est un systĂšme Ă  part entiĂšre, construit sur un « carrĂ© probatoire Â» fonctionnant quelle que soit la situation, et qu’à premiĂšre vue le Droit de la Compliance le rejette, Ă©tant incompatible avec des principes probatoires majeurs, dĂšs l'instant que l'on dĂ©finit la Compliance comme l’obligation qu’auraient les entreprises de donner Ă  voir (ce qui relĂšve de la preuve) leur respect de toute la rĂ©glementation qui leur est applicable.

Mais heureusement, la Compliance ne doit pas recevoir cette dĂ©finition. Le Droit de la Compliance consiste dans l’ensemble des principes, institutions, rĂšgles et dĂ©cisions qui, dans une alliance entre AutoritĂ©s publiques et entreprises cruciales, tend d’une façon substantielle Ă  la concrĂ©tisation de Buts Monumentaux. Branche du Droit Ex Ante protectrice des systĂšmes et des ĂȘtres humains qui y sont impliquĂ©s, le Droit de la Compliance a pour objet de dĂ©tecter et de prĂ©venir pour qu’à l’avenir les systĂšmes soient moins dĂ©lĂ©tĂšres qu’ils ne seraient si l’on ne fait rien, voire soient meilleurs.

De cette action exigĂ©e, qui requiert mises en place de structures et sĂ©ries de comportements, un systĂšme probatoire spĂ©cifique se dĂ©gage. Il est composĂ© en premier lieu d’objets de preuve spĂ©cifique, constituĂ©s d’une part par les structures et d’autre part par les comportements. En deuxiĂšme lieu, la spĂ©cificitĂ© de la compliance, souvent dĂ©noncĂ©e, tient dans la charge de la preuve, dont le fardeau repose sur l’entreprise, mais il faut analyser les interfĂ©rences avec les autres branches du Droit, que la compliance ne peut avoir dĂ©truites. En troisiĂšme lieu, l’ampleur des enjeux probatoires est telle que les moyens de preuve se sont multipliĂ©s, selon le tryptique de l’effectivitĂ©, efficacitĂ© et efficience attendues du systĂšme de compliance lui-mĂȘme au regard des buts monumentaux (et non de la rĂ©glementation). En quatriĂšme lieu, parce que le Droit de la Compliance est une branche du Droit Ex Ante et que le Juge y est pourtant au centre, il est logique que tous les efforts portent sur la prĂ©constitution des preuves. 

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🔓Lire les dĂ©veloppements ci-dessous —

1. Introduction et plan. Le « SystĂšme Probatoire Â» âš– Pour articuler le systĂšme probatoire de la Compliance, il convient d’admettre en prĂ©alable que le Droit de la preuve est un systĂšme Ă  part entiĂšre. Cela est difficilement admis, la preuve Ă©tant le plus souvent soit considĂ©rĂ©e comme un prolongement des branches substantielles du Droit soit comme un prolongement du droit processuel📎!footnote-3247. C’est sans doute pour cela que la preuve est assez peu Ă©tudiĂ©e et prĂ©sentĂ©e abstraitement, alors qu’en pratique tout repose sur elle et qu’il est essentiel de dĂ©gager des principes qui valent quelles que soient les situations. C’est donc Ă  l’occasion des branches substantielles du Droit, notamment du Droit de la concurrence📎!footnote-3248 et du Droit financier📎!footnote-3249, que la question d’un systĂšme probatoire affleure, sans doute parce que ces branches du Droit sont plus sensibles aux situations factuelles, tandis que le Droit civil recueille le plus souvent le Droit de la preuve en ce que le Droit civil est implicitement prĂ©sentĂ© comme le Droit commun📎!footnote-3250. Mais le systĂšme probatoire ne semble guĂšre Ă©tudiĂ© et prĂ©sentĂ© en tant que tel


Le systĂšme probatoire est pourtant construit sur ce que l’on pourrait appeler un « carrĂ© probatoire Â» fonctionnant quelle que soit la situation, systĂšme dont le Droit de la Compliance semble pourtant rejeter les principes mĂȘmes. Cela accroĂźt ce qui est d’une façon plus gĂ©nĂ©rale la difficultĂ© Ă  articuler les techniques de compliance et le Droit📎!footnote-3251.

Cette difficultĂ© devient une opposition avĂ©rĂ©e dĂšs l’instant que l’on dĂ©finit la compliance comme l’obligation qu’auraient les entreprises de donner Ă  voir (ce qui relĂšve de la preuve, puisque donner Ă  voir consiste Ă  prouver) leur respect de toute la rĂ©glementation qui leur est applicable, alors que d’une part le systĂšme probatoire dispense les sujets de Droit d’apporter la preuve des rĂšgles auxquelles ils doivent obĂ©ir, et que, d’autre part, dans un État de Droit les sujets de Droit jouissent de leur libertĂ© d’action, ne rĂ©pondant des violations des textes et des atteintes aux droits des autres qu’en ex post.

Mais heureusement, la Compliance ne doit pas recevoir cette dĂ©finition, pourtant assez courante. Le Droit de la Compliance est constituĂ© par l’ensemble des principes, institutions, rĂšgles et dĂ©cisions qui, dans une alliance entre autoritĂ©s publiques et entreprises cruciales, tendent d’une façon substantielle Ă  la concrĂ©tisation de Buts Monumentaux systĂ©miques📎!footnote-3252 : branche du droit ex ante protectrice des systĂšmes et des ĂȘtres humains qui y sont impliquĂ©s, le Droit de la Compliance a pour objet de dĂ©tecter, de prĂ©venir et de construire pour qu’à l’avenir les systĂšmes soient moins exposĂ©s Ă  la catastrophe qu’ils le seraient si l’on ne faisait rien, voire pour que ces systĂšmes soient meilleurs.

À cette action exigĂ©e des entreprises au regard de buts systĂ©miques identifiĂ©s prĂ©cisĂ©ment, buts Ă  la fois plus restreints (ce n’est pas toute la rĂ©glementation) et plus gigantesques (Ă©radiquer la corruption, Ă©tablir une Ă©galitĂ© effective entre ĂȘtres humains, enrayer le changement climatique, etc.), qui requiĂšrent la mise en place de structures permanentes et une sĂ©rie de comportements, un systĂšme probatoire spĂ©cifique doit lui ĂȘtre attachĂ©, Ă  la fois respectueux des principes probatoires gĂ©nĂ©raux📎!footnote-3253 et spĂ©cifique Ă  cette nouvelle branche du Droit.

Le systĂšme probatoire de la Compliance est composĂ© en premier lieu d’objets de preuve spĂ©cifiques, attachĂ©s, d’une part, Ă  des structures de Compliance et, d’autre part, Ă  des comportements de Compliance. En deuxiĂšme lieu, la grande spĂ©cificitĂ© de la Compliance, d’ailleurs souvent dĂ©noncĂ©e, tient dans la charge de preuve, dont le fardeau repose sur les entreprises, mĂȘme lorsqu’elles sont procĂ©duralement en dĂ©fense. Ce poids se justifie par la position des entreprises mais aussi par le contour des objets de preuve, contour qui doit donc demeurer strictement dĂ©fini, tandis qu’il faut intĂ©grer les exigences issues des autres branches du Droit (comme le Droit de la rĂ©pression), car si le Droit de la Compliance est bien une branche du Droit spĂ©cifique justifiant des obligations probatoires nouvelles, elle ne peut pour autant dĂ©truire les autres branches du Droit et doit tenir compte de l’ordre juridique dans lequel elle se dĂ©ploie. En troisiĂšme lieu, l’ampleur des enjeux probatoires est telle que les moyens de preuve se sont multipliĂ©s, voire doivent ĂȘtre construits tout exprĂšs, selon le triptyque de l’effectivitĂ©, de l’efficacitĂ© et de l’efficience attendues du systĂšme de Compliance lui-mĂȘme au regard des Buts Monumentaux (et non de la rĂ©glementation). La science et les techniques, issues des systĂšmes qui sont impliquĂ©s dans les Buts Monumentaux de la Compliance, y ont une place majeure📎!footnote-3254. En quatriĂšme lieu, parce que le droit de la compliance est une branche du droit ex ante et que le juge y est pourtant au centre, il est logique que tous les efforts portent sur la prĂ©constitution des preuves, opĂ©rĂ©e par l’entreprise soit de force soit de grĂ©.

 

PRÉALABLE : SITUER LA PREUVE ET LA COMPLIANCE L'UNE PAR RAPPORT À L'AUTRE 

 

2. Le choc entre le SystĂšme Probatoire et ce qui serait l’obligation de l’entreprise de donner Ă  voir sa conformitĂ© Ă  la rĂ©glementation applicable âš– Il convient de rappeler les principes de base du systĂšme probatoire (A) afin de souligner qu’à premiĂšre vue le Droit de la Compliance, lorsqu’il est, Ă  tort, dĂ©fini par la « conformitĂ© Â», les dĂ©truirait (B).

 

A. Le CarrĂ© Probatoire de principe

3. La Preuve, cƓur stratĂ©gique du Droit et du procĂšs pour devenir maĂźtre du temps âš– Mal-aimĂ©e du cursus français de l’apprentissage du Droit, la preuve est pourtant au cƓur du fonctionnement de celui-ci📎!footnote-3255. En effet, nul ne peut allĂ©guer une situation, laquelle est une construction de faits, et prĂ©tendre bĂ©nĂ©ficier de l’effet juridique que le systĂšme juridique attache Ă  celle-ci sans prouver l’existence des faits impliquĂ©s. Parce que le systĂšme juridique fonctionne au bĂ©nĂ©fice de la personne, celle qui ne peut pas activer le systĂšme probatoire est donc dans la mĂȘme situation que celle qui n’a pas de droit : idem est non esse et non probari📎!footnote-3256.

Peut-ĂȘtre cette personne est-elle titulaire d’un droit, mais le systĂšme ne fonctionnera pas pour elle. Le systĂšme probatoire est donc « vital Â», au sens oĂč le systĂšme juridique ne « prendra vie Â» que par le jeu du systĂšme probatoire qui recouvre, comme le ferait un tissu, l’ensemble du Droit, pour permettre l’activation de celui-ci au profit des personnes. Cette vitalitĂ© fonctionne Ă  chaque instant en dehors des affrontements : parce que la vĂ©racitĂ© des faits de chaque situation est usuellement acquise ; parce qu’en pratique, cette vĂ©racitĂ© n’est pas contestĂ©e ; parce que, le plus souvent, ce profit, que nous tirons continuellement du Droit, profit cristallisĂ© dans nos droits subjectifs!footnote-3257, donne spontanĂ©ment lieu Ă  une reconnaissance par autrui, admission par tous et plus particuliĂšrement par le dĂ©biteur opĂ©rant paiement de lui-mĂȘme. C’est ainsi que, mĂȘme sans litige, le systĂšme juridique prend vie en pratique grĂące au systĂšme probatoire dont les mĂ©canismes multiples de prĂ©somption et de dispenses de preuve permettent l’exĂ©cution des droits et l’application du Droit.

Il peut arriver que ce fleuve tranquille de l’ordre juridique soit troublĂ© par une contestation, prenant par exemple la forme d’une revendication, d’une prĂ©tention contre autrui, etc. Le systĂšme probatoire, qui n’était que virtuel, va apparaĂźtre sous une forme plus active, puisque c’est devant un juge que les faits allĂ©guĂ©s vont devoir ĂȘtre prouvĂ©s pour que la demande qui s’y attache trouve satisfaction. Tout le procĂšs peut ĂȘtre dĂ©crit comme un mĂ©canisme probatoire, Ă  la fois thĂ©Ăątral et scientifique. Suivant les cultures et les cas, le procĂšs sera plus ou moins l’un ou l’autre.

Mais parce que le Droit est un ordre qui se dĂ©ploie dans la durĂ©e, unifiant toujours le passĂ©, le prĂ©sent et le futur, la nĂ©cessitĂ© de prouver que crĂ©e la dispute, l’efficacitĂ© de ce que l’on appelait traditionnellement les droits subjectifs rendus « Ă  l’état de guerre Â» par l’action en justice, justifie que les personnes avisĂ©es aient prĂ©parĂ© cette perspective, dĂšs avant la nĂ©cessitĂ© d’une preuve effective des bĂ©nĂ©fices retirĂ©s des textes et la titularitĂ© des droits, Ă  une Ă©poque oĂč nul ne les disputait ou ne les revendiquait : la prĂ©constitution des preuves, mĂȘme lorsque le systĂšme juridique ne le requiert pas, est une sage pratique.

Le systĂšme probatoire couvre donc tous les segments du temps, de la fureur de l’ex post du litige jusqu’à la sagesse de l’ex ante des preuves, au cas oĂč. La preuve consiste en effet Ă  maĂźtriser le temps, Ă  ne se placer dans un segment du temps que pour mieux se plonger dans un autre segment : pour celui qui est dans le temps du procĂšs, il s’agit le plus souvent de trouver des faits du passĂ©, mais aussi d’anticiper des faits du futur ; pour celui qui est dans le temps de la prĂ©constitution, par exemple le temps contractuel, il s’agit de construire par avance le rĂ©cit plus ou moins incontestable de faits au cas oĂč des allĂ©gations formulĂ©es dans le futur les concerneraient.

Le Droit de la Compliance, branche du Droit ex ante, dĂ©veloppera ce souci de l’avenir plus que toute autre branche du Droit. C’est pour cela qu’il va accroĂźtre les techniques de preuve, voire obliger les entreprises Ă  construire de nouveaux moyens probatoires, parfois contre elles-mĂȘmes, alourdir les charges de preuve, spĂ©cificitĂ©s de Compliance qui ne doivent pourtant pas mĂ©connaĂźtre le systĂšme probatoire gĂ©nĂ©ral dans ses principes directeurs. Le Droit doit veiller Ă  ce que la Compliance ne dĂ©vore pas ceux-ci, par exemple par la performance mĂ©canique des algorithmes.

Mais plus le Droit va se soucier du futur et vouloir le maĂźtriser, la Compliance exprimant cette « prĂ©tention Â», plus le systĂšme probatoire sera sollicitĂ©, sous une forme certainement de plus en plus scientifique, aussi probablement de plus en plus thĂ©Ăątrale.

Le systĂšme probatoire recouvre donc entiĂšrement le systĂšme juridique et permet aux personnes de maĂźtriser, autant que cela est possible, le temps : garder trace du passĂ© ou le reconstituer, anticiper les difficultĂ©s futures, en utilisant toutes les techniques disponibles pour le figer par avance. Celui qui nĂ©glige les preuves ou qui n’a pas accĂšs Ă  leurs ressources rĂ©duit le bĂ©nĂ©fice que le Droit lui offre, voire s’en exclut. Endurant le « risque de preuve Â», il succombera Ă  sa prĂ©tention, car celle-ci suppose que l’allĂ©gation soit prouvĂ©e dans les informations factuelles qu’elle articule, le « droit Ă  la preuve Â» n’existant que dans des cas particuliers visĂ©s par des textes et non d’une façon gĂ©nĂ©rale. À une Ă©poque oĂč tout est data, c’est un enjeu considĂ©rable. Mais cela ne rĂ©sulte pas soudainement du numĂ©rique ou de la sociĂ©tĂ© de l’information : depuis le Droit romain et dans tout systĂšme juridique, un carrĂ© probatoire a Ă©tĂ© Ă©tabli.

 

4. Le CarrĂ© Probatoire âš– Dans cette immense matiĂšre qu’est donc le Droit de la preuve📎!footnote-3258, rappelons en quelques lignes ce que l’on peut appeler le carrĂ© probatoire sur lequel tout systĂšme probatoire fonctionne, rĂ©pondant Ă  4 questions : « Qui doit prouver ? Que prouver ? Comment prouver ? À quelles conditions prouver ? Â». Cela renvoie aux corpus de la charge de preuve, de l’objet de preuve, des moyens de preuve et de la recevabilitĂ© des preuves. Les rĂ©ponses s’ancrent dans toutes les branches de Droit substantielles et relĂšvent aussi bien du Droit processuel📎!footnote-3259 que des droits substantiels sous-jacents, puisque nous tardons Ă  donner au Droit probatoire l’autonomie qu’il mĂ©rite pourtant.

Celui qui sait rĂ©pondre aux 4 questions, en manier les 4 rĂ©ponses et faire interfĂ©rer les rĂ©ponses Ă  une question pour modifier la façon dont une autre question est formulĂ©e, comme on le fait d’un kalĂ©idoscope, par exemple manier un moyen de preuve pour faire changer la charge de preuve, voire obtenir son partage📎!footnote-3260, devient le maĂźtre des procĂšs, notamment dans la prĂ©vention de ceux-ci et leur bonne rĂ©solution.

 

5. Le Premier sommet du CarrĂ© Probatoire – la Charge de preuve âš– La charge de preuve mĂ©rite bien son nom📎!footnote-3261 : c’est le poids de prouver, ou fardeau de la preuve. Ce fardeau pĂšse sur l’auteur d’une allĂ©gation. Le premier qui forme une allĂ©gation est celui qui saisit le juge, c’est pourquoi usuellement le Droit pose cette charge sur le demandeur Ă  l’instance, mais ce n’est que parce que celui-ci forme la premiĂšre allĂ©gation, affirmant par exemple que la somme dont il rĂ©clame paiement (ce qui constitue sa demande) lui est due par le dĂ©fendeur (ce qui constitue son allĂ©gation). DĂšs l’instant qu’il a satisfait Ă  sa charge de preuve, parce qu’il aura apportĂ© la preuve des Ă©lĂ©ments factuels qui constituent son allĂ©gation, soit que l’ensemble des objets de preuve en jeu dans le litige est prouvĂ©, le juge pouvant alors statuer, soit que la charge de preuve se met Ă  circuler et que c’est une autre partie, le plus souvent son adversaire, qui va devoir supporter Ă  son tour la charge de prouver, parce que celui-ci aura lui aussi formulĂ© une allĂ©gation.

Le procĂšs est ainsi souvent une alternance de charge de preuve, au fur et Ă  mesure que les parties la satisfont, en s’affrontant dans diverses allĂ©gations qui se contredisent dans un dĂ©bat. Se constitue ainsi comme une ronde de charges de preuve car face au demandeur Ă  l’instance, premier demandeur Ă  une allĂ©gation, les autres parties ne restent pas inactives, formulent des prĂ©tentions (ne serait-ce que le rejet des prĂ©tentions des autres) et alimentent celles-ci en fournissant des Ă©lĂ©ments de preuve, les instances pouvant mettre en cause de nombreuses parties. Mais Ă  un moment cette ronde s’arrĂȘte : c’est alors celui qui n’avait pas satisfait sa charge de preuve qui perd. La charge de preuve contient ainsi le « risque de preuve Â», risque mortel puisque le coĂ»t en est la dĂ©faite. Par exemple, celui qui demandait paiement mais n’a pas pu prouver que la somme Ă©tait due supporte le risque de preuve corrĂ©lĂ© Ă  la charge de preuve et succombe alors📎!footnote-3262.

Or, plus le cas est technique et plus les allĂ©gations qui le construisent sont difficiles Ă  prouver. C’est particuliĂšrement vrai en Droit Ă©conomique. Si le fait est passĂ©, il est frĂ©quent qu’on ne sache jamais ce qui s’est passĂ© ; si le fait est futur, il est frĂ©quent que nul ne puisse reconstituer d’une façon fiable ce qui se passera. Le contrĂŽle des concentrations se joue sur l’échafaudage des « tests Â». L’enjeu probatoire porte alors avant tout sur les charges de preuve, en ce qu’elles contiennent le risque de preuve, les stratĂ©gies des parties visant Ă  les faire basculer sur les Ă©paules d’une autre partie, voire sur celles du juge.

La prĂ©somption d’innocence a pourtant cet effet considĂ©rable de bloquer la charge de preuve sur celui qui accuse, ce qui explique qu’on accorde Ă  ce principe, de nature politique, une telle importance dans le contentieux Ă©conomique, car il permet aux entreprises de bloquer le risque de preuve sur les Ă©paules de l’autoritĂ© de poursuite, qu’il s’agisse de l’autoritĂ© de rĂ©gulation, de supervision, de l’administration ou du ministĂšre public, et d’interfĂ©rer avec la ronde des charges de preuve prĂ©cĂ©demment dĂ©crite📎!footnote-3263.

 

6. Le DeuxiĂšme sommet du CarrĂ© Probatoire – l’Objet de preuve âš– L’objet de preuve vise ce que celui qui en supporte la charge doit dĂ©montrer. D’entrĂ©e de jeu, le Droit accorde une dispense majeure : ce n’est pas au demandeur Ă  l’allĂ©gation de prouver l’existence du Droit applicable Ă  celle-ci📎!footnote-3264, jura novit curia📎!footnote-3265. Dans la prĂ©tention que la partie Ă©labore, seul l’élĂ©ment qui prĂ©sente une dimension factuelle est donc objet de preuve : dans l’exemple prĂ©cĂ©demment pris, l’existence de la somme due au demandeur par une autre personne. Une situation de fait Ă©tant comme un tableau aux multiples points, tous les faits qui composent la situation n’ont d’ailleurs pas Ă  ĂȘtre prouvĂ©s : l’on considĂšre que les faits constants sont dispensĂ©s de preuve et que seuls les points contestĂ©s doivent ĂȘtre Ă©tablis. Pour continuer sur l’exemple pris, la nationalitĂ© de la personne visĂ©e ne le sera pas mais sa qualitĂ© de dĂ©bitrice le sera, car le systĂšme probatoire anticipe que cette qualitĂ© sera niĂ©e par l’adversaire.

Il faut en outre que le fait soit « pertinent Â», c’est-Ă -dire que sa dĂ©monstration ou sa non-dĂ©monstration ait un effet sur l’issue du litige. Dans l’exemple retenu, le fait est pertinent car si le demandeur Ă  l’allĂ©gation (qui est ici le demandeur Ă  l’instance) ne peut pas dĂ©montrer que la personne assignĂ©e est effectivement dĂ©bitrice de la somme, il succombera puisque cette qualitĂ© Ă©tait requise pour fonder sa prĂ©tention.

Il faut enfin que le fait soit apprĂ©hensible, c’est-Ă -dire qu’on puisse le saisir. C’est pour cela que le systĂšme probatoire exclut la preuve des faits nĂ©gatifs📎!footnote-3266, car l’on ne peut prouver ce qui n’est pas, par exemple en principe ce qui n’est pas arrivĂ© parce qu’il s’agit d’un Ă©vĂ©nement futur. Question majeure et renouvelĂ©e par le Droit de la Compliance, puisque celui-ci est une branche du Droit ex ante📎!footnote-3267, dont l’objet est l’avenir
 À l’inverse, le fait qu’il soit difficile pour la partie d’atteindre la preuve ne suffit pas Ă  supprimer son obligation de prouver, mais justifie qu’on l’y aide. Une telle difficultĂ© apparaĂźt par exemple parce qu’il s’agit d’un fait trĂšs complexe, une expertise pouvant ĂȘtre diligentĂ©e par le juge, y compris in futurum, ou parce que l’élĂ©ment probatoire est entre les mains de l’adversaire, le juge pouvant requĂ©rir sa production. Mais il n’existe pas un « droit subjectif gĂ©nĂ©ral Ă  la preuve Â»đŸ“Ž!footnote-3268, des textes ne l’accordant que dans des cas spĂ©cifiques, notamment en Droit du travail📎!footnote-3269.

 

7. Le TroisiĂšme sommet du CarrĂ© Probatoire – les Moyens de preuve âš– Pour satisfaire la charge de dĂ©montrer les faits pertinents qu’il allĂšgue, le demandeur recourt Ă  des moyens de preuve. C’est lĂ  que le Droit et la Science se rejoignent, puisque les moyens de preuve visent Ă  Ă©tablir la vĂ©racitĂ© des faits allĂ©guĂ©s. En principe, comme en matiĂšre scientifique, la personne peut recourir Ă  tous les moyens de preuve qu’il arrive Ă  rassembler : la preuve est en principe libre📎!footnote-3270 et, comme en matiĂšre scientifique, il faut ensuite que le juge en soit convaincu. À la libertĂ© dans l’élaboration des preuves correspond la libre apprĂ©ciation des Ă©lĂ©ments de preuve par le juge. Mais d’une part les segments oĂč l’exception de la « preuve lĂ©gale Â» est adoptĂ©e, notamment au profit de l’écrit, sont si vastes, et d’autre part la montĂ©e en puissance d’exigence de « faisceaux d’indices Â», voire de typologie de preuves plus fiables que d’autres, selon des « standards de preuves Â»đŸ“Ž!footnote-3271, peuvent faire douter de cette libertĂ© dans le choix des moyens de preuve📎!footnote-3272.

Il demeure que si celui qui supporte la charge apporte les moyens de ce qu’il doit prouver, alors il satisfait Ă  sa charge, sauf Ă  ce que, la charge de preuve n’étant qu’une « ronde Â»đŸ“Ž!footnote-3273, le dĂ©fendeur Ă  son allĂ©gation forme Ă  son tour une allĂ©gation, laquelle devra Ă  son tour ĂȘtre dĂ©montrĂ©e par celui-ci (par exemple, extinction de l’obligation de payer du fait de l’inexĂ©cution par le demandeur Ă  l’instance de sa propre obligation).

Les moyens de preuve peuvent prendre la forme d’un tĂ©moignage (un tĂ©moignage contre soi-mĂȘme Ă©tant un aveu) sous toutes formes (orale, Ă©crite, image, etc.), d’un Ă©crit ou d’un raisonnement. Parmi ces raisonnements, figure la prĂ©somption. Plus l’objet est difficile Ă  prouver et plus les prĂ©somptions vont ĂȘtre activĂ©es, parce qu’elles consistent Ă  changer d’objet de preuve. En effet, la prĂ©somption consiste Ă  dĂ©placer l’objet de preuve : ne pouvant pas prouver l’objet direct de preuve, le demandeur Ă  l’allĂ©gation prouve un autre objet de preuve qui est rattachĂ© au premier par un lien logique, notamment un lien de causalitĂ©. Par exemple, si la partie ne peut prouver directement la prĂ©sence d’une personne sur les lieux, elle prouvera la prĂ©sence d’un objet lui appartenant, ce qui permet de prĂ©sumer cette prĂ©sence. La prĂ©somption renverse alors la charge de preuve, l’adversaire Ă  l’allĂ©gation pouvant Ă  son tour allĂ©guer par exemple qu’à ce moment-lĂ  celui dont il s’agit Ă©tait prĂ©sent dans un autre lieu, prĂ©sence qu’il devra Ă  son tour prouver. Les prĂ©somptions ont un rĂŽle central en Droit Ă©conomique, car il y est si difficile de prouver directement
, Droit dans lequel l’on reconstitue les comportements Ă  partir de modĂšles de rationalitĂ© Ă©conomiques et financiers📎!footnote-3274.

Selon les rĂšgles classiques, l’effet obtenu par les moyens de preuve est dĂ©pend de  la conviction du juge, plus ou moins convaincu, instruit par le dĂ©bat contradictoire, la matiĂšre pĂ©nale n’étant en cela que la forme la plus nette d’un principe qui rĂ©git en thĂ©orie l’ensemble du Droit. Il en serait diffĂ©remment si l’on s’éloignait du principe de la libertĂ© de la preuve pour adopter le systĂšme amĂ©ricain des standards, les Ă©lĂ©ments de preuve devant permettre, notamment par des faisceaux d’indices, d’aller au-delĂ  du doute raisonnable. Un Ă©lĂ©ment majeur du systĂšme probatoire aurait alors changĂ©.

L’une des difficultĂ©s que l’on rencontre Ă  construire les bases d’un systĂšme probatoire de la Compliance rĂ©side donc dans l’absence de soliditĂ© du systĂšme probatoire lui-mĂȘme, car pour concevoir le systĂšme probatoire spĂ©cial en bonne intelligence avec le systĂšme gĂ©nĂ©ral, encore faudrait-il que celui-ci soit solide. Or, cela n’est pas le cas pour bien des points essentiels, notamment pour savoir s’il s’agit de le rattacher au Droit processuel ou au Droit substantiel, pour savoir si la preuve est libre par principe ou non, pour savoir par quoi le juge est tenu
 Cette mĂȘme incertitude dans les bases du systĂšme gĂ©nĂ©ral se retrouve Ă  propos de la recevabilitĂ© des preuves📎!footnote-3275.

DĂšs lors, dans chaque branche du Droit se construit un petit systĂšme probatoire qui lui est propre, le Droit Ă©conomique semblant se dĂ©tacher pour migrer vers le systĂšme probatoire amĂ©ricain, sans grand rapport avec le Droit commun probatoire, faute pour celui-ci d’avoir des bases solides et claires, ce qui est trĂšs prĂ©judiciable puisque la preuve est ce qui donne vie au Droit et aux droits📎!footnote-3276, c’est-Ă -dire au systĂšme juridique lui-mĂȘme.

L’on peut penser que la Compliance, en ce qu’à la fois elle engendre une branche du Droit spĂ©cifique📎!footnote-3277 et donne une nouvelle vie aux autres branches du Droit📎!footnote-3278, pourrait rĂ©parer cela.

 

8. Le QuatriĂšme sommet du CarrĂ© Probatoire â€“ la RecevabilitĂ© de la preuve âš– Les moyens de preuve sont plus ou moins recevables. C’est en cela que la preuve juridique se distingue de la preuve scientifique, en deçà de celle-ci puisque la preuve juridique peut, mĂȘme convaincante, n’ĂȘtre pas admissible (par exemple, lorsqu’elle n’est pas loyalement obtenue), ou au-delĂ  si, mĂȘme peu convaincante, elle lie le juge (par exemple, dans les situations exceptionnellement rĂ©gies par le dispositif de la preuve lĂ©gale ou par l’acte authentique, acte incontestable📎!footnote-3279). Tout d’abord, ce systĂšme dit de la « preuve libre Â» ne s’applique pas toujours, certaines situations requĂ©rant Ă  titre exclusif des preuves Ă©crites prĂ©constituĂ©es (systĂšme dit de la « preuve lĂ©gale Â», applicable en prĂ©sence d’actes juridiques portant sur des opĂ©rations civiles pour un montant un peu Ă©levĂ©đŸ“Ž!footnote-3280). Une preuve constituĂ©e selon les rĂšgles de la preuve lĂ©gale (acte authentique, acte sous seing privĂ©) a une portĂ©e probatoire diffĂ©rente📎!footnote-3281, certains Ă©lĂ©ments Ă©tant mĂȘme incontestables📎!footnote-3282. De la mĂȘme façon, un serment est une technique probatoire qui lie parties et juge, cet effet si puissant faisant douter qu’il s’agisse mĂȘme d’une preuve, puisque le lien avec la vĂ©ritĂ© y est si relĂąchĂ©.

En outre, la façon de capter l’information doit ĂȘtre loyale, la loyautĂ© de la preuve Ă©tant considĂ©rĂ©e comme un principe gĂ©nĂ©ral du systĂšme probatoire, application du standard gĂ©nĂ©ral de loyautĂ© qui caractĂ©rise les États de Droit, auquel ce n’est que par exception, donc dĂ»ment justifiĂ©e et cantonnĂ©e, que l’on admet l’inverse. À cela s’ajoute que la preuve Ă©tant une façon d’agencer les choses et ayant de ce point de vue beaucoup de points de contact avec le Droit processuel, pour que le moyen de preuve puisse ĂȘtre examinĂ© par le juge, il faut par principe qu’il soit versĂ© au dĂ©bat contradictoire, le principe processuel Ă©tant alors plus large car cela permet parfois de rendre admissibles des preuves obtenues d’une façon dĂ©loyale. Textes et jurisprudences ont peaufinĂ© ces rĂšgles, cas aprĂšs cas.

 

9. Le jeu entre les 4 sommets du CarrĂ© Probatoire âš– Ă€ partir de ces 4 points, trĂšs sommairement rappelĂ©s ici📎!footnote-3283, les quatre interfĂ©rant, textes et jurisprudences ont dĂ©veloppĂ© de multiples rĂšgles pour alourdir ou allĂ©ger le systĂšme en faveur des uns ou des autres. C’est ainsi qu’en faveur d’une personne menacĂ©e d’une dĂ©cision lui faisant grief, une sanction par exemple, la Constitution a posĂ© le principe de la prĂ©somption d’innocence au bĂ©nĂ©fice de cette personne : cela bloque la charge de preuve sur les Ă©paules de celui qui l’accuse, notamment le ministĂšre public. Parce que cela entrave ce que l’on a ici dĂ©signĂ© comme la ronde naturelle des charges de preuve📎!footnote-3284, la prĂ©somption d’innocence, attachĂ©e Ă  la perspective de sanction, a Ă©tĂ© qualifiĂ©e non plus de rĂšgle de preuve mais de rĂšgle de fond, notamment parce qu’elle constitue un fondement politique de la communautĂ© sociale📎!footnote-3285. Or, on la prĂ©sente comme fort maltraitĂ©e par le Droit de la Compliance📎!footnote-3286


De la mĂȘme façon, la libertĂ© de preuve accueille les raisonnements, y compris les raisonnements Ă©conomiques, comme moyens de preuve. De cette marge ainsi offerte par le principe de libertĂ© de la preuve, le Droit Ă©conomique a fait grand usage, au point de substituer parfois ce que l’on a appelĂ© une « preuve Ă©conomique Â», se prĂ©valant d’une plus grande objectivitĂ© et sĂ©curitĂ©đŸ“Ž!footnote-3287, Ă  ce qu’il ne faudrait plus appeler que « preuve juridique Â», notamment en ce que celle-ci exige encore la preuve d’une intention de faire pour sanctionner une personne tandis que la « preuve Ă©conomique Â» pourrait reconstituer, sur des calculs, des comportements probables par leur rationalitĂ© pour infliger des remĂšdes📎!footnote-3288.

Mais cela est souvent considĂ©rĂ© comme une mĂ©connaissance par le Droit Ă©conomique, notamment dans sa dimension rĂ©pressive📎!footnote-3289, du systĂšme probatoire. Comme on a pu considĂ©rer que la multiplication des « droits Ă  la preuve Â» dans les contentieux devant les autoritĂ©s de rĂ©gulation n’était pas conforme aux principes classiques📎!footnote-3290. Mais cela n’est qu’un des chocs frontaux entre Compliance et preuve, dĂšs l’instant que l’on voudrait dĂ©finir la Compliance comme ce qui engendrerait pour les sujets de Droit une obligation de donner Ă  voir en ex ante qu’ils se « conforment Â» Ă  toute la rĂ©glementation qui leur est applicable.

 

B. Le choc frontal entre le SystĂšme Probatoire et la Compliance, dĂ©finie comme l’obligation de donner Ă  voir son respect de toute la rĂ©glementation applicable

10. Le premier choc entre Compliance et Preuve, engendrĂ© par la dĂ©finition de la Compliance comme obligation de l’entreprise de prouver sa « conformitĂ© Ă  la rĂ©glementation qui lui est applicable Â» : l’obligation de prouver le Droit ? âš– À premiĂšre vue, la confrontation commence mal, car la premiĂšre chose que le systĂšme probatoire produit est la dispense de connaĂźtre le Droit, personne n’ayant Ă  rassembler les rĂšgles de Droit applicables pour en avoir le bĂ©nĂ©fice📎!footnote-3291. En effet, l’autre rĂšgle, connue sous la formulation « Nul n’est censĂ© ignorer la loi Â», n’impose pas que l’on connaisse le Droit mais implique qu’on ne puisse se prĂ©valoir de la mĂ©connaissance qu’on en a pour se soustraire Ă  son application et Ă  une sanction pour l’avoir mĂ©connu.

Or, si la Compliance se dĂ©finit comme une obligation gĂ©nĂ©rale d’obĂ©ir spontanĂ©ment Ă  l’ensemble de la rĂ©glementation applicable et de donner Ă  voir cette obĂ©issance, alors il faut nĂ©cessairement, d’une façon prĂ©alable, connaĂźtre effectivement toute cette « rĂ©glementation Â». Tous les services de Compliance expliquent que leur premiĂšre tĂąche, et difficultĂ©, consiste dans le rassemblement de toutes les « rĂ©glementations Â»â€Š TĂąche gigantesque, pour laquelle seules les machines semblent ĂȘtre la solution, aboutissant Ă  ce qui serait la « compliance automatique Â».

IndĂ©pendamment mĂȘme de la nĂ©gation que cet automatisme reprĂ©sente au regard de ce qu’est le Droit📎!footnote-3292, cela ferait donc peser une obligation prĂ©alable sur l’entreprise, sujet de Droit : rapporter la preuve de toutes les rĂ©glementations qui lui sont applicables. Elle s’y applique, en recourant Ă  des algorithmes. Or, en premier lieu comme tous le soulignent en pratique, cela est extrĂȘmement difficile, puisque le Droit, qui est alors prĂ©sentĂ© comme un « tissu rĂ©glementaire Â», est mouvant et que l’entreprise n’arrive pas, malgrĂ© ses investissements technologiques, Ă  le connaĂźtre. Mais comme l’obligation lui en est faite, car il faut bien qu’elle le connaisse dans un premier temps pour s’y conformer dans un second temps, s’il s’avĂšre par la suite qu’il existait une rĂšgle qu’elle ne connaissait pas et dont elle n’a de ce fait pas donnĂ© Ă  voir qu’elle s’y conformait activement, elle devrait ĂȘtre sanctionnĂ©e
 L’entreprise investit donc dans la technologie, la mĂ©moire des machines et la capacitĂ© de traitement des algorithmes pour arriver Ă  connaĂźtre la rĂ©glementation, prĂ©alable requis pour s’y conformer📎!footnote-3293.

Pourtant en second lieu, cela est totalement contraire au principe mĂȘme du systĂšme probatoire, car ce n’est pas aux sujets de droit d’apporter au juge la dĂ©monstration de leur connaissance des rĂšgles du Droit, puisque le systĂšme probatoire les dispense de prouver les rĂšgles de Droit applicables, et mĂȘme d’en invoquer une.

Pour que le Droit de la Compliance ne dĂ©truise pas l’une des bases du systĂšme probatoire, il faut que la dĂ©finition du Croit de la Compliance ne soit pas celle d’une dĂ©monstration en ex ante de l’obĂ©issance Ă  toutes les rĂ©glementations applicables, mais bien la participation Ă  la concrĂ©tisation de Buts Monumentaux📎!footnote-3294.

 

11. Le deuxiĂšme choc entre Compliance et Preuve, engendrĂ© par la dĂ©finition de la Compliance comme obligation de l’entreprise de prouver des faits nĂ©gatifs par les non-violations de la rĂ©glementation applicable âš– Continuons sur cette dĂ©finition, proprement insensĂ©e, qui obligerait les entreprises Ă  prouver Ă  tous qu’activement elles se conforment Ă  toutes les rĂ©glementations applicables en permanence, en tous lieux et Ă  travers toutes les personnes dont elles doivent rĂ©pondre. Si le Droit de la Compliance devait ĂȘtre ce carcan-lĂ , alors non seulement l’objet de preuve serait colossal, supposant que l’entreprise dĂ©montre qu’elle connaĂźt effectivement, Ă  travers des machines, toute cette rĂ©glementation applicable📎!footnote-3295, mais encore satisfaire cette charge de preuve serait impossible car il s’agit d’un objet nĂ©gatif : la « non-violation Â».

En effet, la preuve d’une telle conformitĂ© n’est pas une preuve positive : il s’agit en rĂ©alitĂ© de prouver qu’il n’y a pas eu dans le passĂ©, qu’il n’y a davantage dans le moment oĂč l’entreprise est examinĂ©e et qu’il n’y aura pas dans le futur de manquement Ă  la rĂ©glementation applicable. « Se conformer Â», c’est ne pas violer la rĂ©glementation. C’est donc un fait nĂ©gatif. Or, par principe les faits nĂ©gatifs ne sont pas des objets de preuve📎!footnote-3296 et il est totalement Ă©puisant, et finalement impossible, de dĂ©montrer que jamais par le passĂ©, et qu’actuellement et Ă  l’avenir, nulle part, personne ne s’est Ă©cartĂ©, ne s’écarte et ne s’écartera des rĂšgles. Comment dĂ©montrer cela ? Autrement que par des dĂ©clarations, « je ne suis pas corrompu, et nul dont je dois rĂ©pondre ne l’est et ne le sera Â», affirmation que les autoritĂ©s publiques ont parfois qualifiĂ© comme n’étant que du marketing mais qu’il est difficile de remplacer concrĂštement
 En effet, la charge de preuve face Ă  un tel objet de preuve est telle que les entreprises en sont donc conduites Ă  des engagements gĂ©nĂ©raux, des conduites prĂ©sentĂ©es comme « exemplaires Â» et des prises de paroles, ce que les autoritĂ©s publiques analysent frĂ©quemment comme n’étant que des faux-semblants. Mais c’est l’objet mĂȘme qui n’est pas, au sens technique du terme, « supportable Â».

En effet, cette articulation Ă  premiĂšre vue impossible entre le systĂšme probatoire et le Droit de la Compliance, en ce que celui-ci mĂ©connaĂźtrait deux principes essentiels, Ă  savoir l’inutilitĂ© de prouver la rĂ©glementation et l’interdiction de requĂ©rir la preuve de faits nĂ©gatifs, vient de cette dĂ©finition de la Compliance comme une obligation pesant sur des entreprises de « se conformer Ă  toute la rĂ©glementation applicable Â».

Pour dĂ©passer cette aporie, il faut soit tenter d’atteindre cette performance extraordinaire de conformitĂ© en dĂ©shumanisant la Compliance par le recours Ă  des logiciels qui se chargeraient de tout📎!footnote-3297, soit ne pas adhĂ©rer Ă  cette dĂ©finition de la Compliance comme preuve apportĂ©e Ă  tous par l’entreprise de sa conformitĂ© Ă  toute la rĂ©glementation qui lui est applicable📎!footnote-3298.

 

12. La tentation de remplacer les ĂȘtres humains par des machines pour obtenir une compatibilitĂ© entre le SystĂšme Probatoire et la Compliance dĂ©finie comme l’obligation de l’entreprise de prouver ses non-violations de la rĂ©glementation applicable âš– Dans ce qui apparaĂźt alors comme une exigence inhumaine, la solution semble ĂȘtre effectivement de sortir des solutions humaines en confiant tout cela Ă  des algorithmes. Des ingĂ©nieurs construisent des ordinateurs qui vont stocker ces masses d’informations que sont les textes et dĂ©cisions de toutes natures et provenances, tandis que des algorithmes mettent en corrĂ©lation les cas traitĂ©s les uns par rapport aux autres, les corrĂ©lations couvrant petit Ă  petit toutes les hypothĂšses factuelles passĂ©es, prĂ©sentes et futures📎!footnote-3299. Cela aurait pour effet radical, Ă  supposer qu’une telle conformitĂ© soit ainsi obtenue, de prouver que l’entreprise a toujours obĂ©i, obĂ©it, et obĂ©ira toujours au Droit, ce qui exclurait le juge du SystĂšme de Compliance, puisque la violation serait exclue. Cela exclurait aussi l’État de Droit, lequel suppose toujours la prĂ©sence du juge📎!footnote-3300, ce qui peut ne pas paraĂźtre insurmontable, voire paraĂźtre plein d’attraits pour certains.

 

13. PrĂ©fĂ©rer dĂ©finir le Droit de la Compliance par les Buts Monumentaux pour le rendre compatible avec le SystĂšme Probatoire âš– Mais si l’on accorde de la valeur Ă  l’État de Droit, il convient de chercher une autre solution : celle-ci rĂ©side dans la dĂ©finition substantielle du Droit de la Compliance par les Buts Monumentaux de celui-ci📎!footnote-3301. L’on rappelle que le Droit de la Compliance se dĂ©finit d’une façon tĂ©lĂ©ologique par les buts que cette branche du Droit poursuit : il s’agit de faire en sorte que, par une alliance entre les autoritĂ©s publiques et des opĂ©rateurs Ă©conomiques cruciaux, l’avenir soit changĂ© par rapport Ă  la route que lui dessine le prĂ©sent. Dans cette perspective systĂ©mique, des Buts Monumentaux nĂ©gatifs visent Ă  Ă©carter ce qui, sans une action immĂ©diate et constante, adviendrait, par exemple une catastrophe endĂ©mique et/ou une disparition des systĂšmes. Il peut s’agir aussi de Buts Monumentaux positifs pour que ces systĂšmes Ă©conomiques et sociaux progressent, par exemple dans l’égalitĂ© entre les ĂȘtres humains, dans les principes de probitĂ© et de respect, dans des Ă©quilibres Ă©cologiques nouveaux.

Cette dĂ©finition Ă©carte des contradictions apparentes. Ainsi, si l’on dĂ©finit le Droit de la Compliance d’une façon substantielle par les Buts Monumentaux qui lui sont spĂ©cifiques et que les opĂ©rateurs cruciaux, de force ou de grĂ©, poursuivent📎!footnote-3302, alors la rĂ©glementation applicable Ă  l’entreprise n’a plus besoin d’ĂȘtre stockĂ©e par elle dans des mĂ©moires technologiques, puisqu’on ne lui demande pas de donner Ă  voir qu’elle s’y conforme, le Droit n’étant donc pas un objet de preuve.

C’est plus gĂ©nĂ©ralement Ă  partir des objets de preuve que le Droit de la Compliance sculpte sa spĂ©cificitĂ©, au regard de cette dĂ©finition, pour cerner un SystĂšme Probatoire propre Ă  la Compliance, qui ne soit pas inhumain et qui transcrive l’originalitĂ© du Droit de la Compliance : c’est alors non pas par la charge de la preuve qu’il faut dĂ©buter mais par les objets de preuve, car c’est d’abord Ă  travers ceux-ci que la spĂ©cificitĂ© de cette branche du Droit se marque. De lĂ , tout va dĂ©couler.

 

 

I. LES OBJETS DE PREUVE SPÉCIFIQUES AU DROIT DE LA COMPLIANCE : LES DISPOSITIFS STRUCTURELS ET LES MEILLEURS COMPORTEMENT ATTENDUS 

14. La distinction fondamentale entre les dispositifs structurels et les dispositifs comportementaux âš– Au regard des buts poursuivis, que ce soit la loi qui y oblige, loi dĂ©sormais appelĂ©e « rĂ©glementation Â», ou que ce soit l’entreprise, Ă  travers ce que l’on appelle alors l’éthique ou la responsabilitĂ© sociĂ©tale dans des documents reproduisant le plus souvent les termes de la loi, ce qui entraĂźne bien des difficultĂ©s par cette superposition et duplication de sources de nature diverses📎!footnote-3303, l’entreprise met en place des « outils Â»đŸ“Ž!footnote-3304.

Comme il s’agit de viser des buts, nĂ©gatifs (Ă©radiquer le blanchiment d’argent, Ă©liminer la corruption, supprimer les abus de marchĂ©, faire disparaĂźtre l’expression de la haine et de la discrimination, etc.) et positifs (protĂ©ger la nature, promouvoir les femmes, Ă©duquer, etc.), les entreprises doivent mettre en place des structures spĂ©cifiques, grĂące auxquelles des comportements performants sont obtenus ou accrus et les Buts Monumentaux dĂ©signĂ©s par les autoritĂ©s publiques mieux atteints.

Traduit dans le systĂšme probatoire, les entreprises cruciales, qui sont les sujets de Droit du SystĂšme de Compliance📎!footnote-3305, font face Ă  deux objets de preuve, dessinĂ©s par les Buts Monumentaux : la mise en place des dispositifs structurels expressĂ©ment requis, par la loi ou par l’entreprise elle-mĂȘme et effectivement organisĂ©s (A) ou l’adoption des comportements pertinents pour atteindre les Buts Monumentaux, comportements qui s’avĂšrent plus ou moins efficaces (B).

 

A. Prouver la mise en place effective des dispositifs structurels requis au regard des Buts Monumentaux

15. La mise en place des structures, une obligation de rĂ©sultat. Parmi les Outils de la Compliance, nombre d’entre eux sont structurels âš– Il s’agit notamment des plans, des cartographies, des formations. Que ceux-ci produisent ensuite les effets que l’on attend de ces outils, c’est-Ă -dire les comportements attendus, par exemple les comportements de prudence Ă  la suite des cartographies des risques, ou de responsabilitĂ© Ă  la suite des formations, est une autre chose.

Une personne dont c’est l’intĂ©rĂȘt peut donc demander Ă  l’entreprise, sujet du Droit de la Compliance, de montrer qu’elle a mis en place les structures de Compliance requises par une source lĂ©gitime de Compliance, par exemple une loi, un jugement (en peine complĂ©mentaire de conformitĂ© ou comme engagement), une convention judiciaire d’intĂ©rĂȘt public ou un contrat.

 

16. Le seul objet de preuve sur les structures de compliance : leur effectivitĂ© âš– Mais le seul objet de preuve est cette mise en place, pas l’effet produit par celle-ci. DĂšs l’instant que l’entreprise a mis en place un plan, une cartographie, un suivi, des formations, le contour de l’objet de preuve est correctement dessinĂ©, la charge de preuve en dĂ©coule et sera satisfaite si les documents sont communiquĂ©s. Ce que produisent les instruments de Compliance, leurs rĂ©sultats, lesquels se mesurent au regard des Buts Monumentaux, est un autre objet de preuve. Il est vrai que cela n’est pas toujours clairement perçu, en raison de ce jeu de langage qui consiste Ă  poser que les « rĂ©sultats Â» obtenus grĂące aux moyens de Compliance ne sont que des obligations de « moyens Â», tandis que l’exĂ©cution des obligations structurelles est une obligation de « rĂ©sultat Â». Comment ne pas s’y perdre
 Surtout si l’on confie tout cela Ă  des algorithmes, dont l’aptitude n’est que dans le rapprochement des mots.

 

17. Une analyse stricte de l’Objet de preuve, le dĂ©placement de l’Objet de preuve par prĂ©somption et le renversement de Charge de preuve produit âš– Une fois que l’entreprise a donnĂ© Ă  voir Ă  tous l’existence des structures de Compliance qu’elle doit mettre en place, parce que la loi, un jugement ou ses propres engagements l’y avaient conduite, elle a satisfait Ă  sa charge de preuve. L’entreprise n’a pas Ă  prouver l’efficience des structures qu’elle met en place. Selon le mĂ©canisme de la « ronde des charges de preuve Â»đŸ“Ž!footnote-3306, c’est Ă  celui qui conteste pourtant l’exĂ©cution par l’entreprise de son obligation de montrer que l’entreprise, en mettant en place sa structure, savait ou ne pouvait pas ne pas savoir que la structure de Compliance ne pourrait pas produire l’effet minimal attendu par la loi. C’est ainsi qu’une entreprise qui ne donne aucun moyen Ă  la personne en charge de la Compliance ne peut pas prĂ©tendre avoir exĂ©cutĂ© son Obligation de Compliance, mĂȘme si l’entreprise est libre des modalitĂ©s d’exĂ©cution. Mais c’est Ă  la personne qui allĂšgue cette insuffisance, en l’espĂšce l’autoritĂ© de rĂ©gulation, de dĂ©montrer cette insuffisance, elle aussi structurelle, en montrant par exemple qu’il n’y avait qu’une ou deux personnes pour contrĂŽler beaucoup d’individus et de structures dans beaucoup de lieux. En effet, dans un premier temps, la mise en place effective de structures prĂ©sume leur efficacitĂ©đŸ“Ž!footnote-3307. Ainsi, une meilleure aptitude des personnes Ă  rĂ©sister Ă  l’avenir Ă  la corruption, ou Ă  dĂ©tecter le blanchiment d’argent, ou Ă  lutter contre le harcĂšlement, est prĂ©sumĂ©e par la mise en place et la tenue des formations en ce sens. Ce sont deux objets de preuve distincts : la mise en place des formations d’une part et le rĂ©sultat de ces formations d’autre part. Or, ce qui est pertinent pour le Droit de la Compliance dĂ©fini par les Buts Monumentaux, conception non mĂ©canique, ce ne sont pas les formations mais le rĂ©sultat de celles-ci. Mais joue alors la prĂ©somption, qui permet Ă  l’entreprise qui supporte la charge de preuve de passer de l’objet direct de preuve (le rĂ©sultat des formations) Ă  l’objet indirect (la mise en place des formations), cette mise en place et la tenue des formations prĂ©sumant un effet. S’opĂšre alors un renversement de charge de preuve : une autre partie peut briser cette prĂ©somption. Il est possible que quelqu’un allĂšgue que, malgrĂ© ces formations Ă  propos de la corruption, du blanchiment, de la protection de l’environnement, de la lutte contre le dĂ©sĂ©quilibre climatique, etc., aucune modification de comportement n’a Ă©tĂ© observĂ©e dans l’entreprise, parmi ceux dont elle doit rĂ©pondre.

Mais ce nouvel objet de preuve qu’est l’improductivitĂ© de l’Outil de la Compliance engendre une charge de preuve qui repose sur l’auteur d’une telle allĂ©gation, et non pas sur l’entreprise qui a mis en place l’outil requis. Il sera pourtant prudent de la part de l’entreprise de prĂ©constituer des preuves de l’efficacitĂ© de ces formations, c’est-Ă -dire un sens accru chez les personnes dont elle rĂ©pond de la nĂ©cessitĂ© de prĂ©venir et de lutter contre la corruption, voire de prĂ©constituer📎!footnote-3308 des preuves de l’efficience de ces formations, Ă  savoir une diminution observĂ©e de la corruption dans la zone gĂ©ographique, le secteur industriel, etc., un meilleur respect d’autrui, voire les premiers signes d’un changement de culture. L’impĂ©ratif de prĂ©constitution de preuves📎!footnote-3309 apparaĂźt, anticipant cette ronde de charge de preuve📎!footnote-3310.

 

18. Une possible charge de vraisemblance de l’efficacitĂ© des structures mises en place âš– En outre, mĂȘme si de toutes les façons il est toujours plus prudent que l’entreprise ne s’en tienne pas Ă  l’objet de preuve qu’est l’effectivitĂ© de la mise en place des structures de compliance, il peut arriver qu’en raison de la lourdeur de la charge de preuve que le Droit de la Compliance fait peser sur les entreprises📎!footnote-3311, des textes exigent plus que cela et demandent que les entreprises fournissent en permanence la dĂ©monstration d’un lien d’efficacitĂ© entre les structures et les comportements. C’est ce que vise l’obligation spĂ©cifique qu’est le « suivi Â», tel que les lĂ©gislations la visent, les entreprises devant rĂ©guliĂšrement rendre compte soit en interne, soit en externe, d’une façon ciblĂ©e (devant un moniteur, des autoritĂ©s publiques de rĂ©gulation et/ou de supervision) ou gĂ©nĂ©rale, des effets produits par les structures mises en place au regard des Buts Monumentaux fixĂ©s.

Au regard d’un tel objet de preuve, pour que cela n’aboutisse pas Ă  inverser de plano la charge de la preuve, notamment pas lorsqu’une sanction y est attachĂ©e, ce qui contredirait la prĂ©somption d’innocence, cet objet de preuve ne peut ĂȘtre que celui d’une vraisemblance : l’entreprise doit, par un suivi qu’elle met elle-mĂȘme en place, non pas prouver l’efficacitĂ©, voire l’efficience, de son dispositif, mais prouver que vraisemblablement ce but est atteint. C’est l’objet des audits de compliance📎!footnote-3312, qui constituent Ă  la fois un outil de gestion et un outil de preuve.

 

B. Prouver les meilleurs efforts dĂ©ployĂ©s pour obtenir des comportements concrĂ©tisant les Buts Monumentaux

19. L’obtention des comportements de Compliance, une obligation de moyens âš– S’il est concevable d’exprimer une telle gradation, l’on pourrait dire qu’il est encore plus impossible d’atteindre effectivement les Buts Monumentaux que de se conformer totalement Ă  toutes les rĂ©glementations ! En effet, les entreprises ne peuvent pas extirper toute corruption, pas Ă©liminer tout blanchiment, pas restaurer l’équilibrer climatique, pas remplacer la guerre par la paix, pas insĂ©rer probitĂ© et Ă©galitĂ© comme principes pleins dans l’ensemble des sociĂ©tĂ©s humaines, non seulement celles oĂč elles ont leur siĂšge social mais encore toutes celles oĂč agissent les personnes dont elles rĂ©pondent. L’effet extraterritorial du Droit de la Compliance achĂšve de rendre tout cela impossible et insupportable, dans tous les sens du terme. C’est aussi pour cela que des entreprises ont tant protestĂ© contre l’adoption de la loi française dite « Vigilance Â», la prĂ©sentant parfois comme insupportable📎!footnote-3313.

Mais, indĂ©pendamment du fait que cela permet aux entreprises de se procurer, sur ordre du lĂ©gislateur, beaucoup d’informations sur d’autres entreprises📎!footnote-3314, la confusion est en grande partie venue de la preuve. Autant l’on demande aux entreprises de mettre effectivement en place les structures de compliance, par exemple les plans de vigilance, autant l’on ne demande pas aux entreprises d’obtenir absolument des personnes dont elles rĂ©pondent les comportements qui constituent le but mĂȘme du dispositif : par exemple, l’arrĂȘt de toute atteinte fautive Ă  l’environnement ou la restauration d’un respect effectif des droits dans les pays oĂč elles ont des intĂ©rĂȘts dans la chaĂźne de valeurs ; il s’agit d’une obligation de moyens.

Les deux objets de preuves se cumulent et ne doivent pas se confondre. Si on les confond, en transformant tout en obligations de rĂ©sultat portant sur les comportements et les rĂ©sultats, le Droit de la Compliance deviendra insupportable pour les entreprises. Mais le Conseil constitutionnel a confirmĂ© dans sa dĂ©cision du 23 mars 2017, Loi relative au devoir de vigilance des sociĂ©tĂ©s mĂšres et des entreprises donneuses d’ordre, que la loi dite « Vigilance Â», qui fait peser Ă  ce titre une responsabilitĂ© certes personnelle sur les entreprises, la met en Ɠuvre selon le droit commun de la responsabilitĂ© ; la loi, qui renvoie au droit commun de la responsabilitĂ©, n’ayant pas visĂ© une obligation de rĂ©sultat, l’obligation de moyens reste le principe de toute obligation. Si l’on confond obligations structurelles et obligations comportementales, si l’on n’a pas en tĂȘte ce qu’est le Droit de la Compliance, soit en transformant tout en obligations de moyens, ce qui rend la mise en place des structures de compliance presque facultatives (plans, suivis, formations), soit en transformant tout en obligations de rĂ©sultat, ce qui rendrait le Droit de la Compliance insupportable, plus rien ne pouvant fonctionner. Il est donc essentiel d’avoir Ă  l’esprit ces deux objets de preuve, les structures d’une part (objet d’obligations de rĂ©sultat) et les comportements d’autre part (objets d’obligation de moyens), leur distinction et leur cumul.

 

20. L’Objet de preuve : les efforts proportionnĂ©s de l’entreprise pour obtenir des comportements de compliance âš– L’obligation de moyens dĂ©clenche des obligations probatoires. Ainsi, l’entreprise, qui supporte la charge de preuve📎!footnote-3315, doit montrer qu’elle a agi pour que les personnes dont elle rĂ©pond se comportent activement afin que les Buts Monumentaux soient concrĂ©tisĂ©s. Par exemple, au regard de l’impĂ©ratif de la lutte contre le blanchiment d’argent, il faut que les contrĂŽles aient Ă©tĂ© faits par la banque sur les flux financiers du client dont le compte avait un fonctionnement anormal, voire que l’information soit transmise promptement Ă  Tracfin. Il ne faut pas que le juge, ayant un regard rĂ©trospectif, qui lui permet de savoir que tel ou tel client Ă©tait un trafiquant de drogue, information que le banquier n’avait pas, analyse la situation comme si l’obligation de connaĂźtre son client, obligation de Compliance bien connue, avait Ă©tĂ© une obligation de rĂ©sultat : elle doit demeurer une obligation de moyens, le comportement adĂ©quat relevant lui aussi d’une telle obligation.

Le principe adĂ©quat est celui de la proportionnalitĂ©đŸ“Ž!footnote-3316. En effet, la Compliance donne Ă  l’entreprise Ă  la fois des charges, des obligations et des pouvoirs, par exemple pour contrĂŽler les autres. En opĂ©rant ces contrĂŽles, elle diminue les droits des autres personnes, par exemple le droit au secret, Ă  la vie privĂ©e ou Ă  l’oubli sur les donnĂ©es Ă  caractĂšre personnel. Elle doit faire ses « meilleurs efforts Â», ce qui est un standard de comportement in abstracto, au regard des rĂšgles professionnelles, mais aussi in concreto, au regard des informations dont il s’agit. Les efforts que l’entreprise doit faire, pour collecter les informations, pour les analyser, pour les transmettre, pour les prĂ©server, pour les transformer, doivent ĂȘtre proportionnĂ©s au regard du But Monumental qui donne sens Ă  toutes les obligations, droits et pouvoirs qui jalonnent le Droit de la Compliance.

Par nature, dĂšs l’instant qu’il y a diligences par l’entreprise, il faut considĂ©rer que celles-ci prĂ©sument un caractĂšre proportionnĂ© au regard du but pour lequel l’entreprise agit. C’est celui qui conteste cette proportionnalitĂ©, par exemple le client qui allĂšgue qu’en agissant ainsi l’on a portĂ© atteinte Ă  son droit au secret de ses donnĂ©es Ă  caractĂšre personnel, ce qui rendrait l’action disproportionnĂ©e par le haut, ou l’autoritĂ© ou le ministĂšre public qui allĂšgue qu’en agissant ainsi l’information Ă©tait insuffisante ou tardive, ce qui rendrait l’action disproportionnĂ©e par le bas, d’en rapporter la preuve.

 

21. L’enjeu majeur de la distinction entre l’EffectivitĂ©, l’EfficacitĂ© et l’Efficience des Outils de Compliance âš– Ainsi, l’affirmation gĂ©nĂ©rale selon laquelle le Droit de la Compliance fonctionne bien avec des « outils effectifs, efficaces et efficients Â», c’est-Ă -dire d’abord mis en place, puis produisant les effets attendus et atteignant enfin les buts pour lesquels ils ont Ă©tĂ© pensĂ©s, se dĂ©compose en autant de rĂšgles probatoires. Concernant les obligations structurelles, celles-ci font l’objet d’obligations de rĂ©sultat, mais il ne s’agit que de prouver l’effectivitĂ© de leur exĂ©cution, sauf aux autres parties Ă  montrer que ces outils structurels n’ont jamais pu produire les comportements attendus. Concernant les obligations comportementales, celles-ci font l’objet d’une obligation de moyens, mais l’objet de preuve est celui d’une efficacitĂ© au regard des Buts Monumentaux qui donnent sens Ă  l’ensemble du Droit de la Compliance, les « meilleurs efforts Â» Ă©tant dĂ©montrĂ©s au regard du principe de proportionnalitĂ©. Quant Ă  l’efficience de l’ensemble, l’action des entreprises Ă©tant indissociable de celle des États, de la population et de ce qui arrive sur l’ensemble de la planĂšte, la preuve qui peut en ĂȘtre rapportĂ©e est davantage celle de la bonne volontĂ© de l’entreprise, venant renforcer la preuve de l’efficacitĂ©, que de l’exĂ©cution d’une obligation, car les entreprises n’ont pas davantage l’obligation de sauver le monde qu’elles ne sont lĂ©gitimes Ă  le rĂ©gir.

 

22. La Sagesse Probatoire : prĂ©constituer  la preuve de  l’efficacitĂ© du dispositif complet de Compliance, indĂ©pendamment des Charges de preuve âš– Parce que le Droit de la Compliance est un Droit ex ante, l’entreprise doit avoir la sagesse de tout prĂ©constituer, le « rĂ©flexe probatoire Â» Ă©tant sans doute le plus important dans l’ensemble de la « culture de compliance Â» qu’il convient de diffuser. Au fur et Ă  mesure, en empruntant Ă  l’esprit britannique et amĂ©ricain cette idĂ©e qu’un jour un juge s’en mĂȘlera, que plus ce jour sera lointain et plus la position de l’entreprise sera difficile, il faut que l’entreprise prĂ©constitue ses preuves. Le plus largement possible, le plus prĂ©cocement possible, par tous les moyens possibles.

Plus que d’user leurs forces Ă  faire passer le mistigri de la charge de preuve Ă  d’autres, les entreprises doivent concentrer leur force, mĂȘme dans un systĂšme probatoire demeurant rĂ©gi par le principe de la preuve libre, Ă  prĂ©constituer les preuves de leur diligence de Compliance, car c’est sur elles que repose le fardeau.

 

II. CEUX QUI SUPPORTENT LA CHARGE DE PREUVE EN DROIT DE LA COMPLIANCE : L'INTERFÉRENCE DU CARRÉ PROBATOIRE ET DES PRINCIPES DES AUTRES BRANCHES DU DROIT 

 

23. Le poids de la Charge de preuve, modĂ©rĂ© par les autres coins du « CarrĂ© Probatoire Â» âš– Qu’on s’en rĂ©jouisse ou qu’on s’en plaigne, la charge de preuve repose sur les entreprises, qui sont en position de se structurer et d’agir pour concrĂ©tiser les Buts Monumentaux systĂ©miques donnant sens et cohĂ©rence au Droit de la Compliance. L’Outil de Compliance peut constituer l’obligation, qui peut ĂȘtre expresse, de « se conformer Â» Ă  des obligations📎!footnote-3317, mais parce que le Droit de la preuve est un systĂšme📎!footnote-3318, cette charge des preuves trouve ses contours dans l’objet de la preuve et dans les moyens de preuve. Ainsi, l’objet de la preuve n’est pas de dĂ©montrer qu’on se conforme en tous points Ă  toute la rĂ©glementation applicable et qu’on parvient Ă  la faire rĂ©gner, mais de prouver que l’entreprise contribue effectivement Ă  la rĂ©alisation des Buts Monumentaux systĂ©miques pour lesquels le Droit de la Compliance existe. De la mĂȘme façon, les moyens de preuve sont librement organisĂ©s par l’entreprise et non pas par les autoritĂ©s publiques📎!footnote-3319.

 

24. Le poids de la Charge de preuve, modĂ©rĂ© par les principes des autres branches du Droit âš– Que le Droit de la Compliance, lui-mĂȘme branche autonome du Droit, dĂ©veloppe son propre systĂšme probatoire, oui, c’est l’objet mĂȘme de cet article que d’en poser les prolĂ©gomĂšnes. Que le systĂšme probatoire soit lui-mĂȘme une branche du Droit autonome, oui. Mais ni l’un ni l’autre ne sont autonomes de l’ordre juridique, qui exprime un État de Droit, ce qui conduit par nature le SystĂšme Probatoire de la Compliance Ă  respecter les principes directeurs communs Ă  toutes les branches de l’ordre juridique, comme le principe de loyautĂ© et le principe de protection des personnes en danger. Il faut donc poser que le Droit de la Compliance fait certes peser par principe la charge de preuve sur l’entreprise (A), mais il faut penser l’interfĂ©rence avec les autres principes de l’État de Droit, qui depuis toujours jouent dans le systĂšme juridique et que la nouveautĂ© et la vigueur de la Compliance ne sauraient anĂ©antir (B).

 

A. Le fardeau de preuve pesant sur l’entreprise sur la satisfaction de l’obligation lĂ©gale de Compliance

25. La position de l’entreprise « chargĂ©e Â» d’une Obligation de Compliance, indĂ©pendamment de sa place processuelle, en raison de ses « obligations de Compliance Â» âš– Il a Ă©tĂ© rappelĂ© que dans le systĂšme probatoire, le demandeur Ă  l’instance ne supporte en premier la charge de la preuve que par coĂŻncidence avec le fait qu’il forme la premiĂšre allĂ©gation en ouvrant le procĂšs📎!footnote-3320. En principe, c’est la partie qui forme une allĂ©gation qui supporte la charge de preuve. Mais le Droit de la Compliance interfĂšre avec ce principe gĂ©nĂ©ral, sauf Ă  ce qu’il en vienne Ă  devenir une rĂšgle de fond – ce qui est le cas dans la prĂ©somption d’innocence📎!footnote-3321 â€“ parce qu’il engendre des obligations de Compliance Ă  la charge des entreprises.

Or, les obligations de Compliance que la loi, ou le contrat, ou les engagements spontanĂ©s pris, ou les programmes de compliance ordonnĂ©s par des autoritĂ©s publiques, ordinales, administratives ou judiciaires, qu’elles soient structurelles ou comportementales, engendrent Ă  la charge des entreprises et fixent sur celles-ci la charge de prouver qu’elles satisfont ces diverses obligations de Compliance qui elles-mĂȘmes concrĂ©tisent l’obligation gĂ©nĂ©rale de Compliance qu’a l’entreprise📎!footnote-3322. En cela, par leur existence mĂȘme, les obligations de Compliance fixent sur les entreprises la charge de preuve, mĂȘme si elles sont dĂ©fenderesses Ă  l’instance et mĂȘme si elles n’allĂšguent rien.

Mais il ne faut pas en rester lĂ , car cela ne peut pour autant impliquer la charge pour l’entreprise de prouver qu’elle « se conforme Â» Ă  toute la rĂ©glementation applicable (ce qui est de fait impossible), qu’elle n’en viole aucune (ce qui est de Droit impossible📎!footnote-3323), voire qu’elle ait la charge de prouver son innocence (ce qui est contraire Ă  l’État de Droit📎!footnote-3324).

 

26. La Charge demeure sur l’autre de prouver l’existence d’une Obligation de Compliance qui bloque la Charge de preuve sur l’entreprise âš– Pour que s’opĂšre cette fixation de la charge de preuve sur l’entreprise indĂ©pendamment de sa place procĂ©durale, mĂȘme si par exemple elle est dĂ©fenderesse📎!footnote-3325, encore faut-il que soit prĂ©alablement Ă©tablie l’Obligation de Compliance que l’entreprise supporte, puisque c’est cela qui interfĂšre dans le principe probatoire ordinaire. Or, il faut la distinguer suivant la source des obligations de Compliance.

 

27. Le contour des obligations lĂ©gales et rĂ©glementaires de Compliance et la Charge de preuve sur l’entreprise âš– Si l’Obligation de Compliance a pour origine une obligation lĂ©gale ou rĂ©glementaire, celui qui en rĂ©clame l’exĂ©cution, le contractant par exemple, mĂȘme si cette obligation lĂ©gale est reprise dans une clause contractuelle, n’a pas Ă  prouver l’existence de cette Obligation de Compliance, puisque la Cour connaĂźt le Droit📎!footnote-3326. La Cour d’appel de Paris a eu l’occasion de le rappeler Ă  propos de l’obligation pour l’entreprise de dĂ©tecter la corruption dans les entreprises dont elle rĂ©pond, obligation reprise dans un acte de droit souple, dont la Cour a estimĂ© que la source demeurait lĂ©gale, empreinte d’ordre public et justifiant un arrĂȘt immĂ©diat et brutal des relations commerciales avec le fournisseur📎!footnote-3327.

En outre, l’entreprise peut, avant de passer sur cet autre objet de preuve qu’est l’exĂ©cution mĂȘme de son Obligation de Compliance, former une allĂ©gation qui est la contestation de cette obligation, dans son existence ou son exigibilitĂ©, dans la qualitĂ© ou la capacitĂ© de celui qui l’allĂšgue Ă  en demander l’exĂ©cution, etc. Certes, l’entreprise devra alors prouver ce qu’elle allĂšgue, mais le dĂ©bat probatoire demeurera alors sur le seul objet de l’Obligation de Compliance, dans son existence, et non pas dĂ©jĂ , sur son exĂ©cution, ce qui constitue le stade probatoire suivant.

 

28. Le contour des obligations contractuelles ou souples de Compliance bloquant la Charge de preuve sur l’entreprise âš– Plus on s’éloigne du Droit dur – traitĂ©s, Constitution, lois et rĂšglements â€“ plus la charge de prouver l’Obligation de Compliance devient consistante pour l’autre partie qui demande contre l’entreprise l’exĂ©cution de son Obligation de Compliance.

Si l’origine n’est pas la loi et le rĂšglement, il faudrait que celui qui requiert l’exĂ©cution de l’Obligation de Compliance apporte la preuve de l’existence de celle-ci, afin que l’entreprise ait Ă  supporter le fardeau de prouver l’exĂ©cution de cette obligation. Par exemple, qu’il produise le contrat, dĂ©montre que l’entreprise est effectivement concernĂ©e par celui-ci, soit au titre du Droit des contrats, soit au titre du Droit des sociĂ©tĂ©s, soit au titre de la responsabilitĂ©, puisque si l’on prend le cas du devoir de vigilance, la loi française de 2017 pose que c’est dans le Droit de la responsabilitĂ© extra-contractuelle que les Ă©lĂ©ments doivent ĂȘtre apprĂ©ciĂ©s (et donc prouvĂ©s), tandis qu’à lire ce qui va devenir la directive europĂ©enne c’est plutĂŽt dans le Droit des sociĂ©tĂ©s que l’Obligation de Vigilance doit ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e.

L’on en arrive d’ailleurs Ă  cet oxymore qu’est l’Obligation Souple de Compliance. En effet, c’est en termes de « devoir Â» que les textes, ou les documents internes, ou les simples prises de paroles s’expriment, et la preuve que cela entraĂźne pour l’entreprise, y compris si elle est elle-mĂȘme l’auteur de cet usage, une obligation, est Ă  la charge de celui qui en demande l’exĂ©cution. Sauf Ă  faire entrer dans le jeu probatoire l’obligation naturelle, cas technique bien particulier qui empĂȘchera l’entreprise de demander restitution d’actions bienfaitrices opĂ©rĂ©es, ce qui est juridiquement soutenable, c’est bien Ă  celui qui demande l’exĂ©cution de promesses de Compliance de dĂ©montrer que celles-ci engendrent des obligations. Pour le moment, le flou dans les mots, dont on se sort en les cumulant, en affirmant que la Compliance est Ă  la fois l’addition du pĂ©nal, de l’obligation et de l’éthique, n’est supportable que jusqu’au jour oĂč ne sera par exemple en cause que l’éthique et que quelqu’un en demandera pourtant l’exĂ©cution, l’Obligation de Compliance apparaissant alors comme objet de preuve autonome, la question de sa charge de preuve devenant premiĂšre et essentielle.

 

29. L’intensitĂ© de la Charge de preuve suivant l’Obligation structurelle ou comportementale de Compliance pesant sur l’entreprise âš– Enfin, les 4 sommets du carrĂ© probatoire jouant entre eux, la charge de preuve est affectĂ©e par les objets de preuve📎!footnote-3328. Ainsi, les Obligations structurelles de Compliance📎!footnote-3329 engendrent une lourde charge de preuve, puisqu’elles constituent une obligation de rĂ©sultat, alors que les Obligations comportementales de Compliance📎!footnote-3330 engendrent une charge plus lĂ©gĂšre, puisqu’elles ne constituent qu’une obligation de moyens.

 

30. La disponibilitĂ© de la Charge de preuve par le contrat âš– Par ailleurs, les charges de preuve ne sont pas d’ordre public, sauf Ă  faire interfĂ©rer des rĂšgles de fond venant d’autres branches du Droit📎!footnote-3331. Il peut donc y avoir une sorte de « gestion contractuelle de la charge de preuve Â»đŸ“Ž!footnote-3332, l’article 1356, alinĂ©a 1er du Code civil exprimant un principe gĂ©nĂ©ral selon lequel « les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition Â». Il est acquis que la charge de la preuve peut ĂȘtre contractuellement rĂ©organisĂ©e dĂšs l’instant que l’ordre public n’est pas affectĂ©. Ce dernier point ne signifie d’ailleurs pas qu’une rĂ©organisation contractuelle soit exclue mais exige que, si un contrat rĂ©organise une charge d’ordre public, il ne faut qu’aucune rĂšgle d’ordre public en soit affectĂ©e. Si l’on estime qu’en Droit de la Compliance, branche systĂ©mique de nature tĂ©lĂ©ologique du Droit dont la normativitĂ© est situĂ©e dans les Buts Monumentaux📎!footnote-3333, lesquels sont le plus souvent de nature politique, l’ordre public est trĂšs prĂ©sent, des contrats peuvent nĂ©anmoins rĂ©organiser les charges de preuve, dĂšs l’instant que les buts demeurent les objets visĂ©s et que les moyens pour les atteindre demeurent dĂ©ployĂ©s. C’est alors Ă  d’autres qu’à l’entreprise de prouver qu’ils se sont dĂ©tournĂ©s de ces buts par le mĂ©canisme contractuel : par le contrat, la charge de preuve en aura Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©e. Des contrats spĂ©cifiquement probatoires devront ĂȘtre rĂ©digĂ©s pour que la bascule de charge ne soit pas ambiguĂ« et que le juge puisse en prendre acte.

 

31. Le transfert contractuel de la Charge de preuve par l’élaboration d’un « contrat de compliance Â» âš– C’est ainsi que, par contrat, une entreprise peut transfĂ©rer Ă  une autre le soin de prouver l’exĂ©cution des obligations de Compliance, voire de l’« Obligation de Compliance Â», si l’on admet qu’il existe une telle obligation gĂ©nĂ©rale, dont les diverses obligations ponctuelles ne seraient que l’expression📎!footnote-3334. Cela peut s’opĂ©rer, par accessoire, lorsqu’il y a Ă©tablissement d’une sorte de « contrat spĂ©cial Â», avec un prestataire, l’objet du contrat Ă©tant de confier Ă  celui-ci le soin de faire en sorte que l’entreprise soit en conformitĂ© avec une rĂ©glementation spĂ©cifique, par exemple par rapport Ă  celle relative aux donnĂ©es Ă  caractĂšre personnel, l’obligation alors prise en charge par le cocontractant s’accompagnant pour celui-ci de l’obligation probatoire transfĂ©rĂ©e par accessoire de prouver l’exĂ©cution de cette obligation. Le recours prĂ©conisĂ© dans beaucoup de cas aux « tiers de confiance Â» va multiplier ce type de contrats. En effet, dans l’hypothĂšse oĂč un tiers, qu’il soit partie prenante, autoritĂ© ou juge, demande des comptes Ă  ce titre Ă  l’entreprise, celle-ci aura pu renvoyer cette charge Ă  son cocontractant en raison de ce double transfert, le transfert de la charge de preuve ayant dĂ» ĂȘtre explicitĂ© dans une clause nette et claire.

 

32. Le transfert contractuel de la Charge de preuve Ă  l’occasion d’un contrat ayant un objet Ă©conomique autre. La « clause de compliance Â» âš– Cela peut s’insĂ©rer aussi dans des relations contractuelles plus gĂ©nĂ©rales et non plus dans ce contrat spĂ©cial, que l’on qualifiera ici de « contrat de compliance Â»đŸ“Ž!footnote-3335, mais dans un contrat ayant un objet principal, par exemple de fourniture ou de vente ou de sous-traitant, comprenant par ses stipulations un transfert possible d’obligations de Compliance qui pĂšsent sur l’entreprise. Peut alors se poser la question de savoir si la « clause de compliance Â» constitue ou non un Ă©lĂ©ment dĂ©terminant du contrat et des obligations de l’autre partie.

 

33. Les difficultĂ©s nĂ©es de la superposition entre source lĂ©gale et source contractuelle de l’Obligation de Compliance sur la perspective de gestion contractuelle de la Charge de preuve des obligations de Compliance âš– Cette difficultĂ© peut notamment apparaĂźtre pour le « devoir de vigilance Â» dans la formulation qu’en a la loi de 2017, car le lĂ©gislateur y a attachĂ© une responsabilitĂ© personnelle, et mĂȘme si l’entreprise, afin d’exĂ©cuter ce devoir, a recours Ă  des prestataires qui Ă  leur tour devront, au titre de leurs obligations contractuelles, Ă©ventuellement prouver l’exĂ©cution de leurs prestations, cela devrait ĂȘtre Ă  l’égard de l’entreprise, qui Ă  son tour s’en prĂ©vaudra Ă  l’égard des parties prenantes, des autoritĂ©s et des juges, sans pouvoir prĂ©tendre mettre une charge de preuve sur les seules Ă©paules de leurs prestataires, laissĂ©s seuls face aux bĂ©nĂ©ficiaires du dispositif lĂ©gal.

 

34. Sagesse face au fardeau de la preuve par la prĂ©constitution des preuves, en supervision du principe de libertĂ© de la preuve ⚖ MĂȘme si l’on se rĂ©fĂšre Ă  la distinction entre le rĂ©gime de la preuve libre et le rĂ©gime de la preuve lĂ©gale, distinction dont l’importance est par ailleurs surestimĂ©e📎!footnote-3339, peu importe que la prĂ©constitution des preuves ne soit pas requise, en raison de la charge de preuve qui pĂšse sur l’entreprise Ă  cause de l’Obligation de Compliance qui la concerne, il est de fait requis qu’elle prĂ©constitue les preuves de la satisfaction de son obligation. C’est pourquoi les moyens de preuve, librement Ă©laborĂ©s📎!footnote-3340, doivent faire l’objet de tous les soins par l’entreprise.

 

35. Continuum probatoire, continuum des Outils de Compliance. Exemple du « suivi Â» âš– L’on oppose souvent l’ex ante de la prĂ©constitution des preuves, par exemple l’établissement d’un Ă©crit, et l’ex post de la preuve libre. Mais dans le Droit de la Compliance, les preuves par l’entreprise de la bonne exĂ©cution de son Obligation de Compliance, de rĂ©sultat pour ses obligations structurelles et de moyens pour ses obligations comportementales📎!footnote-3341, relĂšvent davantage d’un continuum. En effet, la notion de suivi est essentielle, et c’est de cette façon que l’entreprise peut prĂ©constituer la preuve que des mĂ©canismes ont Ă©tĂ© « effectivement Â» mis en place en ex ante, puis ont ultĂ©rieurement produit « efficacement Â» des effets, engendrant d’une façon « efficiente Â» les effets attendus sur le systĂšme📎!footnote-3342. Pour cela, l’entreprise doit d’une façon permanente faire du suivi probatoire. Le mĂ©canisme du « suivi Â», prĂ©vu notamment dans les programmes de compliance, adoptĂ©s spontanĂ©ment ou comme sanction, est un outil probatoire, qui constitue en tant que tel un Outil de Compliance📎!footnote-3343.

 

B. La dialectique probatoire lorsque le fait, Objet de preuve, peut donner lieu Ă  sanction

36. Le SystĂšme Probatoire de la Compliance s’articule avec les autres principes du Droit, dans un mĂȘme État de Droit âš– MĂȘme si le Droit de la Compliance est une branche ex ante du Droit, ce qui justifie que non seulement la « rĂ©glementation Â» mais encore le contrat, lui aussi instrument par nature ex ante, y soient essentiels, les sanctions font partie du systĂšme. En cela, lorsque la perspective de leur dĂ©clenchement apparaĂźt ou lorsque leur modĂšle de sanction est empruntĂ©, par exemple par l’entreprise elle-mĂȘme📎!footnote-3344, notamment Ă  travers les enquĂȘtes internes, voire Ă  travers les sanctions disciplinaires qui peuvent s’ensuivre, d’autres principes s’imposent aussi. L’articulation de l’ensemble n’est pas aisĂ©e.

 

37. L’exigence de Charge de preuve sur l’entreprise par la Compliance et l’exigence de preuve sur l’autoritĂ© par le droit rĂ©pressif : les deux blocages de Charge de preuve, Ă  front renversĂ© âš– Ă€ premiĂšre vue, l’opposition, dĂ©jĂ  observĂ©e entre SystĂšme Probatoire GĂ©nĂ©ral et SystĂšme de Compliance📎!footnote-3345, se retrouve ici d’une façon exacerbĂ©e. En effet, le Droit de la Compliance Ă©tant un systĂšme d’information, il implique pour l’entreprise une « obligation de collaboration Â», qui est une manifestation de son Obligation de Compliance consistant Ă  favoriser le rassemblement des informations nĂ©cessaires pour lutter efficacement contre le risque systĂ©mique dont les autoritĂ©s ou le supĂ©rieur hiĂ©rarchique sont eux-mĂȘmes en charge. Mais le Droit de la rĂ©pression, qui demeure gouvernĂ© par les principes directeurs du Droit pĂ©nal, lequel s’exprime Ă  travers le Droit de la procĂ©dure pĂ©nale, implique le droit subjectif fondamental pour la personne qui a vocation Ă  subir la violence lĂ©gitime de la sanction de ne pas collaborer, c’est-Ă -dire de ne pas subir cette charge de preuve.

Ainsi, ce sont deux rĂšgles de fond, l’une fondĂ©e sur l’information, l’autre sur l’innocence, qui s’affrontent, puisque le jeu de la « ronde Â» des charges de preuve📎!footnote-3346 doit ĂȘtre bloquĂ©.

 

38. L’équilibre heureux et fragile de la jurisprudence âš– Cependant, l’ordre juridique rĂ©ajuste toujours les antinomies. Ainsi, comme cela est plus longuement dĂ©crit par ailleurs📎!footnote-3347, la Cour de justice, dans son arrĂȘt du 2 fĂ©vrier 2021, DB c/ Consob📎!footnote-3348, dissociant la charge de preuve du vraisemblable de la charge de preuve📎!footnote-3349, pose que l’autoritĂ© interne ou externe (autoritĂ© de supervision ou manager, par exemple) peut demander des comptes Ă  l’entreprise ou Ă  son employĂ© ou au tiers dont elle rĂ©pond, car l’Obligation gĂ©nĂ©rale de Compliance engendre pour ceux-ci l’obligation de collaborer, ce qui inverse la charge de preuve, mais l’objet de preuve qui pĂšse alors sur l’entreprise, ou le collaborateur, ou la partie tiers est transformĂ© par le principe du droit rĂ©pressif : il n’a pas la charge de prouver son innocence, ce qui serait inadmissible, ni mĂȘme de collaborer pleinement. Il doit dĂ©montrer la perspective d’une sanction, vraisemblance qui dĂ©clenche Ă  son profit les droits de la dĂ©fense, notion distincte du principe du contradictoire, qui engendre Ă  son profit notamment le droit fondamental de se taire, produisant  en ex ante le droit subjectif de ne pas collaborer.

 

III. LES MOYENS DE PREUVE PERTINENTS EN DROIT DE LA COMPLIANCE

 

39. Les Ă©lĂ©ments de preuve correspondant aux obligations structurelles de Compliance âš– Parce que  la loi impose des structures prĂ©alablement Ă©tablies, comme les plans, les cartographies, les formations, etc., il est essentiel d’en garder trace, puisque l’entreprise doit donner Ă  voir en permanence que cela est non seulement Ă©tabli, mais encore que l’entreprise contrĂŽle que cela est Ă©tabli. Ainsi, les mĂ©canismes d’audit sur ces « structures de compliance Â» sont Ă  la fois un mode de gestion et un mode de preuve Ă  l’égard de tous. Il est remarquable Ă  ce titre que le droit amĂ©ricain exige, mais limite souvent la Compliance, notamment en matiĂšre environnementale et climatique, davantage Ă  de l’information sur ce que fait l’entreprise, qu’à une obligation d’action en matiĂšre environnementale et climatique. C’est notamment la position de la SEC. Or, concevoir le Droit de la Compliance autour de l’obligation d’information, c’est faire du Droit de la Compliance avant tout un mĂ©canisme probatoire📎!footnote-3350. Ce n’est pas pour autant un objet de preuve lĂ©ger, car « informer Â» est une obligation de plus en plus lourde, le continuum entre Droit de la RĂ©gulation et Droit de la Compliance montrant ainsi toute sa force, car le Droit peut avoir une conception plus ou moins contraignante de l’obligation d’« informer autrui Â».

 

40. Les moyens requis pour prouver une information effective, efficace, efficiente ⚖ En effet, le Droit est passĂ© du droit de l’information Ă  l’obligation d’informer, puis Ă  l’obligation de faire comprendre, au droit Ă  l’intelligibilitĂ©. En effet, les outils structurels de la Compliance doivent permettre Ă  toutes les personnes concernĂ©es de prendre la mesure des risques et des buts poursuivis par les Outils de Compliance mis en place, ne serait-ce que pour y participer. Cette intelligibilitĂ©, qui est au cƓur du Droit des donnĂ©es, est Ă  organiser structurellement en ex ante, notamment par l’intelligibilitĂ© des algorithmes, qui dĂ©passe leur transparence, et qui appartient pleinement au Droit de la Compliance. La charge de prouver l’intelligibilitĂ© des mĂ©canismes algorithmiques, qui permet notamment de s’assurer que les procĂ©dĂ©s de « consentement Â» mĂ©canique correspondent Ă  l’expression d’une « volontĂ© Â», est Ă  la charge des entreprises, supervisĂ©es en cela par les autoritĂ©s publiques, par exemple l’Arcom s’il s’agit d'une plateforme.

 

41. De l’information Ă  la formation. La formation comme preuve de l’exĂ©cution de l’Obligation de Compliance âš– Il en rĂ©sulte pour l’entreprise, mĂȘme s’il n’existe pas d’obligations spĂ©cifiques de formation, ce qui est rare dĂ©sormais📎!footnote-3351, que la formation donne Ă  voir l’information dans sa forme d’intelligibilitĂ© de la norme que l’entreprise prend elle-mĂȘme Ă  sa charge, en interne et en externe. Ce faisant, l’entreprise prouve qu’elle fait ses meilleurs efforts pour faire comprendre les impĂ©ratifs de Compliance, en diffusant la « Culture de Compliance Â» que recherchent les autoritĂ©s publiques.

 

42. L’obligation de prouver engendre-t-elle une obligation de construire des moyens de preuve ad hoc ? ⚖ Une question ouverte est de savoir si, pour prouver que l’entreprise fait ses « meilleurs efforts Â»đŸ“Ž!footnote-3352, celle-ci devrait inventer au besoin les technologies requises. La question se pose pour le contrĂŽle par les entreprises numĂ©riques lorsque le lĂ©gislateur les oblige Ă  contrĂŽler « effectivement Â» l’ñge des internautes qui accĂšdent aux prestations disponibles sur leurs sites, notamment lorsque ces prestations sont de nature pornographique, cette Obligation de Compliance devant donc ĂȘtre exĂ©cutĂ©e par leurs soins, sa bonne exĂ©cution Ă©tant contrĂŽlĂ©e par l’autoritĂ© de supervision, qui peut exiger la mise en place de technologies pour ce faire📎!footnote-3353, son inexĂ©cution Ă©tant sanctionnĂ©e par le juge judiciaire📎!footnote-3354.

 

43. Les Ă©lĂ©ments de preuve relatifs aux comportements obtenus dans la perspective des Buts Monumentaux de la Compliance âš– Mais, mĂȘme si les obligations structurelles sont l’objet d’obligations de rĂ©sultat, tandis que les obligations comportementales ne sont l’objet que d’obligations de moyens, c’est pourtant les obligations comportementales qui sont les plus importantes, puisque ce sont les comportements qu’il s’agit d’obtenir : c’est par une « culture de compliance Â» que des actions systĂ©miquement nĂ©fastes s’arrĂȘtent et des actions systĂ©miquement bĂ©nĂ©fiques se rĂ©pandent. DĂšs lors, ces Ă©lĂ©ments de preuve, Ă  savoir les rĂ©sultats obtenus grĂące aux outils mis en place, sont dĂ©terminants pour donner aux autres, notamment aux collaborateurs, aux superviseurs, aux rĂ©gulateurs, aux parties prenantes et aux juges, la preuve que la Culture de Compliance est portĂ©e par l’entreprise pour obtenir les comportements systĂ©miquement avĂ©rĂ©s.

Dans cet esprit, il faut que l’entreprise prĂ©constitue toutes les preuves qu’elle peut rassembler, indĂ©pendamment mĂȘme de toute perspective de contentieux.

 

IV. LA PRÉCONSTITUTION DES PREUVES, REFLET DE LA NATURE EX ANTE DU DROIT DE LA COMPLIANCE

 

44. La prĂ©constitution des preuves, afin que celles-ci ne servent jamais âš– Comme pour le Droit de la RĂ©gulation, le Droit de la Compliance idĂ©al est celui qui bĂątit un systĂšme qui ne trouve jamais Ă  s’appliquer : par exemple, une compliance bancaire si bien faite et assurant si bien la soliditĂ© des opĂ©rateurs bancaires systĂ©miques qu’aucun ne tombe en difficultĂ©, qu’aucune rĂ©solution ne devra ĂȘtre organisĂ©e et que le systĂšme bancaire ne sera jamais menacĂ©. Le triomphe du Droit de la Compliance est dans l’absence d’ex post. Il suppose que jamais il ne soit besoin pour l’entreprise de devoir rendre des comptes devant un juge des diligences accomplies, car personne n’aura eu l’occasion d’allĂ©guer sa responsabilitĂ© puisqu’aucun dommage ne sera intervenu. Ainsi, il faut prĂ©constituer des preuves, en ex ante, mĂȘme si dans l’idĂ©al l’ex post des sanctions ne doit jamais advenir.

En effet, les preuves d’exĂ©cution par l’entreprise de son Obligation de Compliance doivent ĂȘtre fiables et disponibles Ă  tous, Ă  tel point que le systĂšme lui-mĂȘme en est si renforcĂ© que les risques qui l’affectent ne se rĂ©alisent pas : la prĂ©constitution des preuves est donc le reflet de la nature ex ante du Droit de la Compliance et constitue, par la confiance qu’elle engendre et la reddition des comptes permanente qu’elle constitue, un Ă©lĂ©ment clĂ© du Droit de la Compliance lui-mĂȘme.

C’est pourquoi il faut que l’entreprise prĂ©constitue et l’effectivitĂ©, et l’efficacitĂ©, et l’efficience des Outils de Compliance.

 

45. La prĂ©constitution de l’EffectivitĂ© des Outils de Compliance âš– Toutes les preuves doivent donc ĂȘtre prĂ©constituĂ©es pour Ă©tablir l’effectivitĂ© des outils de la façon la plus crĂ©dible possible, le juge n’étant que l’un des destinataires de ces preuves, car l’opinion publique en est parfois le premier des destinataires lorsque l’effet, positif ou nĂ©gatif, de rĂ©putation est en jeu.

La prĂ©constitution de l’effectivitĂ© est la plus simple : il faut mais il suffit de conserver par archivage la preuve que les actes requis ont Ă©tĂ© faits, d’en conserver la teneur, la date, les personnes, etc. Au besoin, d’en faire tenir le registre par un tiers. Si un Contrat de Compliance intervient📎!footnote-3355, cette prĂ©constitution doit ĂȘtre requise : il doit ĂȘtre prĂ©cisĂ© que ces Ă©lĂ©ments de preuve doivent ĂȘtre fournis, Ă©tant soit portables soit quĂ©rables au bĂ©nĂ©fice de l’entreprise, Ă©ventuellement au bĂ©nĂ©fice de tiers, dĂ»ment listĂ©s par l’entreprise, dans une liste plutĂŽt fermĂ©e qu’ouverte. Si des informations sont contenues, des autorisations prĂ©alables peuvent ĂȘtre contractuellement requises. Ces clauses doivent ĂȘtre rĂ©digĂ©es avec grand soin.

 

46. La prĂ©constitution de l’EfficacitĂ© des Outils de Compliance âš– La prĂ©constitution de l’efficacitĂ© des Outils de Compliance est plus dĂ©licate. Il s’agit de montrer que l’usage des outils a atteint son but. Il peut s’agir de conserver la preuve que la cartographie avait Ă©tĂ© « utilement Â» Ă©laborĂ©e, que la formation avait Ă©tĂ© « assimilĂ©e Â» par ses destinataires, voire que ceux-ci avaient fait un usage adĂ©quat des connaissances assimilĂ©es. Cela peut ĂȘtre des preuves prĂ©constituĂ©es prĂ©cieuses pour montrer la bonne volontĂ© de l’entreprise, car si la bonne foi est prĂ©sumĂ©e, la bonne volontĂ© ne l’est pas, et c’est une façon d’établir cette derniĂšre.

 

47. La prĂ©constitution de la volontĂ© de l’entreprise d’accomplir son Obligation de Compliance par le souci de « progresser Â» dans le maniement des Outils de Compliance âš– Les preuves sont des Ă©lĂ©ments qui ne sont pas isolĂ©s les uns des autres. C’est d’ailleurs souvent en les rapprochant que la preuve contre l’entreprise se dĂ©gage, la notion de « faisceau d’indices Â» devenant de plus en plus un « standard de preuve Â» en Droit Ă©conomique📎!footnote-3356. Mais cela fonctionne Ă©galement au bĂ©nĂ©fice de l’entreprise. Les autoritĂ©s publiques soulignent que l’accumulation des dĂ©penses de Compliance ne suffit pas Ă  Ă©tablir l’exĂ©cution de Compliance, soupçonnant qu’il peut ne s’agir que d’acheter l’impunitĂ© d’une infraction que le Droit de la Compliance veut dĂ©tecter ou prĂ©venir, comme la corruption, le harcĂšlement ou la pollution ; Ă  l’inverse, l’entreprise qui peut prouver qu’elle a pris appui sur un Ă©chec ou un demi-succĂšs dans le maniement d’un Outil de Compliance pour le remplacer par un autre qui pallie les dĂ©fauts du premier, par exemple une nouvelle mĂ©thode d’évaluation des risques, une formation complĂ©mentaire ou une dĂ©termination plus adaptĂ©e des personnes destinataires des programmes, aura prouvĂ© qu’elle intĂšgre efficacement les « leçons Â» de la Compliance.

 

48. La preuve de l’Efficience des Outils structurels et comportementaux de Compliance âš– L’efficience porte sur l’effet produit sur le systĂšme mĂȘme. Par exemple, un plus grand respect des minoritĂ©s dans les sociĂ©tĂ©s Ă  travers les obligations de quotas dans les organes de directions ou Ă  travers les Outils de la Compliance qui pĂ©nĂštrent le Droit du travail. Les entreprises n’ont pas l’obligation juridique de l’efficience de la Compliance sur les systĂšmes Ă©conomiques et sociaux, surtout Ă  l’échelle mondiale. Mais si elles le mesurent, modifient leur action pour obtenir une meilleure efficience et peuvent apporter des Ă©lĂ©ments de preuve dans ce sens, elles accroissent la dĂ©monstration de leur « bonne volontĂ© Â».

 

49. La preuve de l’Efficience de l’action des entreprises cruciales engagĂ©es : un moyen et un Objet de preuve sans Charge de preuve sous-jacente âš– Bien que l’entreprise n’ait donc pas la charge de prouver qu’elle a amĂ©liorĂ© la sociĂ©tĂ© globale et l’humanitĂ©, car n’ayant pas cette charge, elle ne peut pas non plus prĂ©tendre gouverner la sociĂ©tĂ©đŸ“Ž!footnote-3357, elle gagne nĂ©anmoins Ă  apporter la preuve du bienfait qu’elle apporte en utilisant les techniques de compliance📎!footnote-3358.

 

50. Conclusion. Construire le CarrĂ© Probatoire propre au Droit de la Compliance âš– C’est pour construire un tel carrĂ© probatoire propre au Droit de la Compliance que cette Ă©tude, posant les prolĂ©gomĂšnes du SystĂšme Probatoire de la Compliance, a Ă©tĂ© Ă©crite, afin que la pratique juridictionnelle, contractuelle et de Droit souple trouve des points communs dans les dĂ©finitions, les principes et les raisonnements, sans jamais sacrifier l’État de Droit.

________

1

V. l’exposé complet des positions des uns et des autres à ce sujet dans E. Vergès, G. Vial, O. Leclerc, Droit de la preuve, 2e éd., PUF, coll. « Thémis », 2022, p. 31 s.

2

J.-Ch. Roda, « Le standard de preuve : réflexion à partir du droit de la concurrence », D. 2021. Chron., p. 1297

3

N. Ida, La preuve devant l’Autorité des marchés financiers, préf. H. Barbier, avant-propos D. Schmidt, Dalloz, 2022.

4

C’est sans doute pour cela que l’ouvrage de Frédérique Ferrand et Gaëlle Lardeux, dans sa première édition de 2017 eut pour titre Preuves. Droit civil, et dans sa seconde édition de 2020 simplement Preuve, sans que le contenu en soit substantiellement modifié (F. Ferrand et G. Lardeux, Preuve, Dalloz, coll. « Corpus », 2020).

5

Sur cet enjeu de base qui consiste à poser que la compliance ne peut pas et ne doit pas être extérieure au Droit, v. M.-A. Frison-Roche, « Le droit de la compliance », D. 2016. Chron., p. 1871-1874 ; Droit de la compliance, Dalloz, coll. « Précis Dalloz », à paraître ; « Conforter le rôle du juge et de l’avocat pour imposer la compliance comme caractéristique de l’État de droit », in cet ouvrage.

6

Sur cet enjeu de base qui consiste à poser que la compliance ne peut pas et ne doit pas être extérieure au Droit, v. M.-A. Frison-Roche, « Le droit de la compliance », D. 2016. Chron., p. 1871-1874 ; Droit de la compliance, Dalloz, coll. « Précis Dalloz », à paraître ; « Conforter le rôle du juge et de l’avocat pour imposer la compliance comme caractéristique de l’État de droit », in cet ouvrage. + les BM

7

Pour une démarche similaire, v. V. Magnier, « Enjeux de la blockchain en matière de propriété intellectuelle et articulation avec les principes généraux de la preuve », Dalloz IP/IT 2019. 76 s.

8

Cela relativise ce qui semble être une summa divisio dans le Dictionnaire de l’Académie française qui, pour définir ce qu’est « prouver », distingue ce qui est l’établissement de la vérité d’une part et ce qui serait la « preuve juridique » d’autre part : « Prouver : Établir la vérité d’une proposition ou la réalité d’un fait, au moyen d’un raisonnement, d’une démonstration, d’un témoignage, etc. (Droit) : Démontrer l’existence d’un fait ou d’un acte dans les formes admises par la loi, en fournir la preuve juridique. », 9e éd., 2020. V. d’une façon générale N. Le Douarin et C. Puigelier (dir.), Science, éthique et droit, éd. Odile Jacob, 2007, spéc. la contribution sur « Science et justice : des empreintes digitales aux empreintes génétiques : de la recherche de la preuve indiscutable », hypothèse dans laquelle c’est la science (et non plus le Droit) qui rend l’allégation incontestable (p. 135 s.).

9

V. par ex. F. Ferrand et G. Lardeux, Preuve, op. cit.

10

« C’est la même chose de n’avoir pas de droit ou de n’avoir pas de preuve de son droit. »

11

H. Motulsky, Principes de réalisation méthodique du système juridique. Éléments générateurs des droits subjectifs, Sirey, 1948, rééd. Dalloz, 2002.

12

Les travaux de référence restent ceux du Centre de logique de Bruxelles : Centre national de recherche logique, Ch. Perelman et P. Foriers (dir.), La preuve en droit, Bruylant, 1981. V. aussi C. Puigelier (dir.), La preuve, Economica, coll. « Études juridiques », 2004 ; la vision la plus complète du sujet étant sans doute E. Vergès, G. Vial, O. Leclerc, Droit de la preuve, op. cit.

13

M.-A. Frison-Roche, « Ajuster par la nature des choses le droit processuel au droit de la compliance », in cet ouvrage.

14

Ce qui peut arriver dans des dispositifs légaux spécifiques, par exemple pour lutter contre les discriminations dans les entreprises : A. Danis-Fatôme, « Le dispositif propre à la charge de la preuve, frein ou outil de lutte contre les discriminations ? », Revue des droits de l’homme 2016.

15

V. d’une façon générale N. Hoffschir, La charge de la preuve en droit civil, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », vol. 153, 2016.

16

Cela est par exemple exprimé par l’article 9 du Code de procédure civile : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »

17

Sur la question des enquêtes internes, v. M.-A. Frison-Roche, « Conforter le rôle du juge et de l’avocat pour imposer la compliance comme caractéristique de l’État de droit », préc. ; « Ajuster par la nature des choses le droit processuel au droit de la compliance », in cet ouvrage.

18

Nous verrons à quel point cette règle à la fois simple et fondamentale est remise en cause de plein fouet par le droit de la compliance. V. ci-avant.

19

« La cour connaît le Droit. »

20

Sur le problème engendré par la « conformité » défini par la non-violation de la réglementation, ce qui constitue un fait négatif, v. ci-après.

21

C’est un élément essentiel dans l’évolution du droit de la compliance, lequel en tant que droit ex ante a justement pour objet le futur.

22

Sur cette notion, v. G. Goubeaux, « Le droit à la preuve », in Ch. Perelman et P. Foriers (dir.), La preuve en droit, op. cit., p. 277-301. Il est possible que ce droit subjectif finisse par devenir général, pour rendre effectif le « droit au jugement », lui-même corrélé au « droit d’action en justice ». Plus l’on conçoit le système probatoire à travers le droit processuel, lui-même conçu comme un maillage de droits subjectifs, plus l’on ira vers cela. Mais pour l’instant il n’existe pas, et les critiques que son application exceptionnelle engendre sont donc souvent elles-mêmes excessives : v. P.-Y. Gautier, « Contre le droit illimité à la preuve devant les autorités administratives indépendantes », in Mélanges en l’honneur du Professeur Claude Lucas de Leyssac, LexisNexis, 2018, p. 181-193.

23

V. ci-après.

24

Ce que l’article 1358 du Code civil reprend en ces termes : « Hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen. »

25

J.-Ch. Roda, « Les standards de preuve : réflexion à partir du droit de la concurrence », art. préc.

26

J.-Ch. Roda, « Que reste-t-il de la liberté de la preuve en droit commercial ? », conférence Droit et Commerce, 17 sept. 2022.

27

V. ci-avant.

28

Par ex. la preuve du marché pertinent, élément essentiel dans tout contentieux de droit des marchés concurrentiels, est établie par un faisceau de présomption. V., M.-A. Frison-Roche et J.-Ch. Roda, Droit de la concurrence, Dalloz, coll. « Précis Dalloz », 2022, no 110, p. 87. Sur la perspective que l’adoption de « standard de preuve » pourrait impliquer, obligeant ceux qui jugent à abandonner cette liberté d’appréciation et donc, par effet réflexe, le principe même de la liberté de preuve au bénéfice de la partie, v. J.-Ch. Roda « Le standard de preuve : réflexion à partir du droit de la concurrence », D. 2021. Chron., p. 1297 s.

29

V. ci-après no 8.

30

V. ci-avant no 1

31

Sur cette perspective spécifique, M.-A. Frison-Roche, « Le droit de la compliance », art. préc.

32

Sur cette perspective plus générale, M.-A. Frison-Roche (dir.), Les buts monumentaux de la compliance, JoRC et Dalloz, coll. « Régulations & Compliance », 2022.

33

Cette incontestabilité n’est supportable seulement parce que les personnes qui établissent l’acte authentique vérifient l’exactitude des faits qu’ils mentionnent et parce que l’incontestabilité de l’acte quant aux faits est limitée à ceux-ci. V. M.-A. Frison-Roche, « Acte authentique, acte de marché », JCP N 2010. 1290 s.

34

Sur ce système complexe de la preuve légale, v. par ex. J. Wroblewski, « La preuve juridique : axiologie, logique et argumentation », in Ch. Perelman et P. Foriers (dir.), La preuve en droit, op. cit. ; sur l’importance excessive accordée à la distinction entre la preuve légale et la preuve libre, parfois présentée comme la summa divisio du système probatoire, alors qu’elle n’en constitue qu’une partie, E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, op. cit., no 39, p. 38 s.

35

On ne peut prouver contre un écrit que par un autre écrit.

36

Ce qui fait la grande valeur des actes authentiques. V., M.-A. Frison-Roche, « Acte authentique, acte de marché », art. préc. Ce à quoi peut s’associer la puissance technologique de la blockchain, dans sa sécurité de conservation. V. Th. Douville, « Blockchains et preuve », D. 2018. Chron., p. 2193 s.

37

L’on se reportera avec profit à l’ouvrage précité d’E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve.

38

V. ci-avant.

39

Sur la spécificité de la présomption, sa difficulté à s’insérer dans un système probatoire qui maintient son lien avec la vérité, L. Grozdanovski, « Le probable, le plausible et le vrai. Contribution à la théorie générale de la présomption en droit », Revue internationale d’études juridiques 2020/1, vol. 84, p. 39-72.

40

Ce qui n’est pas exact, v. ci-après

41

Sur ce point, M. Aglietta, « La preuve dans les sciences économiques », L’économie politique 2018/2, no 18, p. 94-112.

42

Sur l’usage qu’en fait le juge, A.-L. Sibony, Le juge et le raisonnement économique en droit de la concurrence, avant-propos de B. Vesterdorf, préf. G. Canivet, LGDJ, coll. « Droit & Économie », 2008.

43

M.-A. Frison-Roche, J.-Cl. Marin et Cl. Nocquet (dir.), La justice pénale face à la délinquance économique et financière, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2001.

44

Dans ce sens, P.-Y. Gautier, « Contre le droit illimité à la preuve devant les autorités administratives indépendantes », préc., l’auteur limitant certes son analysant et sa critique au droit de la concurrence. Le droit positif a définitivement acté l’ampleur du droit à la preuve, alors même qu’un droit subjectif, issu lui du droit de la compliance, à savoir le droit à la non-communication de ses données personnelles, était évoqué, par l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 25 novembre 2020 (pourvoi no 17-19.523).

45

V. ci-avant.

46

Pour une démonstration d’ensemble à ce propos, v. M.-A. Frison-Roche, « Conforter le rôle du juge et de l’avocat pour imposer la compliance comme caractéristique de l’État de droit », préc.

47

V. dans ce sens l’article écrit par deux juristes d’entreprises, B. Laroche et J. Boullu-Chataigner, « Brave New Planes ou la conformité juridique de grands groupes aéronautiques face aux défis de l’intelligence artificielle », Dalloz IP/IT 2022. 83 s.

48

M.-A. Frison-Roche (dir.), Les buts monumentaux de la compliance, op. cit.

49

V. ci-avant no 10.

50

V. ci-avant.

51

V. ci-après no 12.

52

V. ci-après no 13.

53

Pour une présentation plus détaillée du mécanisme, v. M.-A. Frison-Roche, « Conforter le rôle du juge et de l’avocat pour imposer la compliance comme caractéristique de l’État de droit », préc.

54

Pour la démonstration d’ensemble dans ce sens, v. M.-A. Frison-Roche, « Conforter le rôle du juge et de l’avocat pour imposer la compliance comme caractéristique de l’État de droit », préc.

55

M.-A. Frison-Roche (dir.), Les buts monumentaux de la compliance, op. cit.

56

M.-A. Frison-Roche (dir.), Les buts monumentaux de la compliance, op. cit.

57

Cela est un autre sujet, analysé notamment dans l’ouvrage Les buts monumentaux de la compliance, op. cit.

58

Sur la variation de ceux-ci, v. M.-A. Frison-Roche (dir.), Les outils de la compliance, JoRC et Dalloz, coll. « Régulations & Compliance », 2021.

59

Sur les entreprises cruciales, en tant qu’elles sont les sujets de droit de la compliance, v. not. N. Borga, J.-Cl. Marin et J.-Cl. Roda, Compliance : l’entreprise, le régulateur et le juge, JoRC et Dalloz, coll. « Régulations & Compliance », 2018.

60

V. ci-avant.

61

V. ci-avant.

62

Sur la préconstitution des preuves, v. ci-après.

63

V. ci-après.

64

V. ci-avant.

65

V. ci-avant.

66

Sur les « audits de compliance », v. A. Gutierrez-Crespin, « L’audit du dispositif de compliance, un outil clé pour en vérifier la robustesse », in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les outils de compliance, op. cit., p. 133-140.

67

Sur l’analyse plus mesurée, même prise dans une perspective économique, qu’il convient d’avoir de cette loi, et d’une façon plus générale d’un devoir de vigilance, v. M.-A. Frison-Roche, « Appréciation du lancement d’alerte et de l’obligation de vigilance au regard de la compétitivité internationale », in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les buts monumentaux de la compliance, op. cit., p. 413-436.

68

Sur l’analyse plus mesurée, même prise dans une perspective économique, qu’il convient d’avoir de cette loi, et d’une façon plus générale d’un devoir de vigilance, v. M.-A. Frison-Roche, « Appréciation du lancement d’alerte et de l’obligation de vigilance au regard de la compétitivité internationale », in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les buts monumentaux de la compliance, op. cit., p. 413-436.

69

V. ci-après.

70

V. à ce sujet la démonstration très éclairante de Lucien Rapp, faisant notamment du Compliance Officer le porteur du principe de proportionnalité dans la mise en place des mécanismes de compliance dans la stratégie des entreprises : L. Rapp, « Proportionnalité et normativité », in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les buts monumentaux de la compliance, op. cit., p. 177-198.

71

M.-A. Frison-Roche, « Compliance et conformité : rapport du tout et de la partie », à paraître.

72

V. ci-avant no 1.

73

Comme la Commission des sanctions de l’Agence française anticorruption a eu l’occasion de le rappeler dans sa décision du 12 juillet 2019.

74

[1] V. ci-avant no 5.

75

[1] V. ci-après (avant).

76

Sur l’idée même d’« obligation de compliance », v. M.-A. Frison-Roche (dir.),  L’obligation de compliance, à paraitre.

77

Sur l’interdiction d’obliger à prouver des faits négatifs, v. ci-avant.

78

V. ci-avant  et ci-après0.

79

Sur l’effet que peuvent par ailleurs produire des mécanismes issus d’autres branches du Droit, v. ci-après0.

80

V. l’explicitation technique de cet adage ci-avant.

81

Paris, 5 mai 2021, arrefour

82

Comme cela a été démontré plus longuement à propos de l’objet de preuve ci-avant.

83

Sur l’explication des obligations structurelles de compliance, v. les développements relatifs à l’objet de preuve.

84

Sur l’explication des obligations comportementales de compliance, v. les développements relatifs à l’objet de preuve ci-avant.

85

V. ci-après.

86

Dans ce sens, N. Hoffschir, La charge de la preuve en droit civil, op. cit., p. 433.

87

M.-A. Frison-Roche, « Les buts monumentaux, cœur du droit de la compliance », préc.

88

M.-A. Frison-Roche, « L’obligation de compliance », préc.

89

Sur l’existence d’une catégorie spécifique de « contrat de compliance », v. M.-A. Frison-Roche, « Contrat de compliance, clauses de compliance », D.2022, chron., p.2115-2117

90

V. ci-avant.

91

V. ci-après.

92

V. ci-avant.

93

Sur la trilogie probatoire « effectivité – efficacité – efficience », v. ci-avant.

94

V. dans ce sens, M. Galland, « Le contrôle par le régulateur de l’effectivité des instruments de compliance mis en place par l’entreprise », in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les outils de la compliance, op. cit., p. 195-208.

95

V. dans l’ouvrage toute la première partie sur « L’entreprise instituée procureur et juge d’elle-même par le droit de la compliance ».

96

V. ci-avant.

97

Sur cette notion, v. ci-avant.

98

M.-A. Frison-Roche, « Ajuster par la nature des choses le droit processuel au droit de la compliance », in cet ouvrage.

99

CJUE, gr. ch., 2 févr. 2021, DB c/ Consob, aff. C481/19.

100

Sur cette notion, chère par ailleurs à Perelman, v. d’une façon plus générale, L. Grozdanovski, « Le probable, le plausible et le vrai. Contribution à la théorie générale de la présomption en droit », art. préc.

101

Le droit européen est à ce titre beaucoup plus ambitieux. V., S. Pottier, « Pour une compliance européenne, vecteur d’affirmation économique et politique », in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les buts monumentaux de la compliance, op. cit., p. 475-482.

102

Sur l’obligation de formation, v. M.-A. Frison-Roche, « La formation : contenu et contenant du droit de la compliance », in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les outils de la compliance, op. cit., p. 227-244.

103

Ce qui correspond à la formulation d’une obligation de moyens, v. ci-avant.

104

Sur l’effectivité de cette obligation de compliance, M.-A. Frison-Roche, « L’effectivité de la compliance illustrée par l’affaire Youporn », Actu-juridique, 21 juin 2022.

105

M.-A. Frison-Roche, « Youporn. La question est : comment appliquer les textes ? Pour arriver à quelque chose plutôt qu’à rien », Actu-juridique, 30 sept. 2022.

106

Sur la notion de « contrat de compliance », v. ci-avant.

107

V. à ce sujet J.-Ch. Roda, « Le standard de preuve : réflexion à partir du droit de la concurrence », art. préc.

108

Sur le rapport entre l’entreprise et le politique à travers le droit de la compliance, v. M.-A. Frison-Roche, « Les buts monumentaux, cœur du droit de la compliance », préc. et « Conforter le rôle du juge et de l’avocat pour imposer la compliance comme caractéristique de l’État de droit », préc.

109

V. comme exemples concrets, C. Peicuti et J. Beyssade, « La féminisation des postes à responsabilité dans les entreprises comme but de la compliance. Exemple du secteur bancaire », in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les buts monumentaux de la compliance, op. cit., p. 109-124.

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