2 février 2023

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📝Lignes de force de l'ouvrage La juridictionnalisation de la Compliance, in 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕La juridictionnalisation de la Compliance

par Marie-Anne Frison-Roche

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â–ş RĂ©fĂ©rence complète : M.-A. Frison-Roche, "Lignes de force de l'ouvrage La juridictionnalisation de la Compliance", in M.A. Frison-Roche (dir.), La juridictionnalisation de la Compliance, Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, coll. "RĂ©gulations & Compliance", 2023, p. 1-28. 

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â–ş Cet article constitue l'introduction de l'ouvrage ; il est en accès libre.

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đź“•consulter une prĂ©sentation gĂ©nĂ©rale de l'ouvrage, La juridictionnalisation de la Compliance, dans lequel cet article est publiĂ©

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â–ş RĂ©sumĂ© de l'article (fait par le Journal of Regulation & Compliance) : Cet article en accès libre ⤵️explique en premier lieu le propos gĂ©nĂ©ral de l'ouvrage et en deuxième lieu sa structuration en 4 parties.

Puis, en troisième lieu, en suivant la table des matières, cet article reprend en quelques lignes chacune des contributions.

C'est ainsi qu'apparaissent plus nettement encore les "lignes de force" de l'ouvrage "La juridictionnalisation de la compliance

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L’ouvrage đź“•La juridictionnalisation de la compliance relève un dĂ©fi : comment comprendre, mettre en cohĂ©rence et anticiper l’évolution d’un droit qui tout Ă  la fois se caractĂ©rise comme un ensemble de mĂ©canismes qui se dĂ©veloppent au sein des entreprises, en ex ante, ayant pour effet, voire pour objet, d’éviter le juge, alors qu’on ne cesse, jour après jour, de lire de nouvelles dĂ©cisions de justice en la matière ? Sanctions, contrĂ´les, recours, deals : les juges et les avocats sont partout dans les mĂ©canismes de compliance, crĂ©ant des situations inĂ©dites, parfois sans solution encore disponible. Alors mĂŞme que la compliance avait Ă©tĂ© conçue pour Ă©viter le juge et produire de la sĂ©curitĂ© en Ă©vitant le conflit.

Cette juridictionnalisation est donc nouvelle ; est-elle signe d’un Ă©chec ou bien d’une maturitĂ© de cette nouvelle branche du Droit ? L’ouvrage montre que dès l’instant que l’on ne conçoit pas la compliance comme une mĂ©canique sans âme d’application automatique de rĂ©glementations, mais comme un système dont l’esprit et la normativitĂ© s’ancrent dans les buts monumentaux vers lesquels tous convergent, la juridictionnalisation de la compliance est au contraire le signe de sa maturitĂ©. Montrer cela malgrĂ© les multiples difficultĂ©s techniques et anticiper l’avenir du droit de la compliance, dans lequel le juge et les auxiliaires de justice seront au contraire au centre, est le dĂ©fi relevĂ© par cet ouvrage. En cela, il s’articule profondĂ©ment avec l’ouvrage prĂ©cĂ©dent sur Les buts monumentaux de la compliance, car c’est pour concrĂ©tiser ceux-ci qu’autoritĂ©s publiques, entreprises et juges font alliance, de la mĂŞme façon qu’il s’articule profondĂ©ment avec les deux ouvrages qui suivront, en premier lieu L’obligation de compliance, ouvrage qui vise principalement le contrat car celui-ci est une façon de se contraindre pour atteindre ces buts, le juge Ă©tant celui qui contrĂ´le cet instrument. En second lieu, Le système probatoire de la Compliance, car la preuve est concrètement le premier enjeu non seulement juridique mais encore financier, managĂ©rial et sociĂ©tal de la compliance.

C’est pourquoi l’ouvrage s’ouvre sur un article de conception gĂ©nĂ©rale de 🕴️Marie-Anne Frison-Roche : đź“ťConforter le rĂ´le du juge et de l’avocat pour imposer la compliance comme caractĂ©ristique de l’État de droit. En effet, l’on peut comprendre que les mĂ©canismes de compliance sont perçus par beaucoup avec hostilitĂ© parce qu’ils paraissent conçus pour Ă©loigner le juge, alors qu’il n’y a pas d’État de droit sans juge. Il est exact que des arguments solides prĂ©sentent les techniques de compliance comme convergeant vers l’inutilitĂ© du juge, la première partie de cet article exposant la soliditĂ© de ces arguments. Certes, on croise des magistrats, et de toutes sortes, et de très puissants, mais cela peut ĂŞtre signe d’imperfection : lorsque sa logique ex ante se sera dĂ©ployĂ©e dans toute son efficacitĂ©, le juge ne sera plus requis… et l’avocat disparaĂ®tra donc avec lui. Cette perspective d’un monde sans juge, sans avocat et finalement sans Droit, oĂą des algorithmes pourraient organiser par de multiples process en ex ante la « conformitĂ© Â» de tous nos comportements Ă  toute la masse rĂ©glementaire qui nous est applicable, suppose que l’on dĂ©finisse cette nouvelle branche du Droit comme la concentration des process qui donne pleine efficacitĂ© Ă  toutes les règles, sans considĂ©ration de leur teneur. Ă€ supposer que ce rĂŞve d’ingĂ©nieur soit mĂŞme rĂ©alisable, l’on ne peut faire ainsi l’économie des juges et des avocats.

C’est pourquoi la seconde partie de l’article montre qu’il est impĂ©rieux de reconnaĂ®tre leurs apports au droit de la compliance, apports liĂ©s et inestimables. Tout d’abord parce qu’un pur ex ante n’a jamais existĂ© et que mĂŞme au temps des lĂ©gistes, il fallait encore des personnes pour interprĂ©ter les règlements, car un ordre juridique doit toujours ĂŞtre interprĂ©tĂ© en ex post par celui qui doit de toutes les façons rĂ©pondre aux questions que lui posent les sujets de droit, dès l’instant que le système politique admet d’attribuer Ă  ceux-ci le droit de former des prĂ©tentions devant un juge. Ensuite l’avocat, dont l’office bien qu’articulĂ© Ă  celui du juge, est distinct de celui-ci, Ă  la fois plus restreint et plus large, puisqu’il doit apparaĂ®tre dans tous les cas oĂą la figure juridictionnelle se met en place. Or, le droit de la compliance a multipliĂ© celle-ci puisque non seulement, prolongeant en cela le droit de la rĂ©gulation, il confie de nombreux pouvoirs aux autoritĂ©s administratives, mais encore il transforme les entreprises en juge, ce Ă  quoi l’avocat doit faire face. Plus encore, le droit de la compliance ne prend son sens qu’à partir des buts monumentaux qu’il sert. C’est en cela que cette branche du Droit prĂ©serve la libertĂ© des ĂŞtres humains, notamment dans l’espace numĂ©rique oĂą les techniques de compliance les protègent de la puissance des entreprises par l’usage que le Droit contraint ces entreprises de faire de cette puissance mĂŞme. Or, en premier lieu, ce sont les juges qui, dans leur diversitĂ©, imposent comme rĂ©fĂ©rence la protection des ĂŞtres humains, soit comme limite Ă  la puissance des outils de compliance soit comme finalitĂ© mĂŞme de ceux-ci. En second lieu, l’avocat, lĂ  encore se distinguant du juge, au besoin vient rappeler que toutes les parties dont les intĂ©rĂŞts sont impliquĂ©s doivent ĂŞtre prises en considĂ©ration. Dans un Droit toujours plus souple et dialogal, chacun se prĂ©sente comme « l’avocat Â» de tel ou tel but monumental : l’avocat est lĂ©gitime Ă  ĂŞtre le premier Ă  occuper cette place.

Ă€ partir de lĂ , l’ouvrage se dĂ©ploie en 4 parties. La première partie cst consacrĂ© Ă  ce qui est spĂ©cifique au droit de la compliance : la transformation des entreprises en procureur et juge d’elles-mĂŞmes, voire des autres, le titre mĂŞme de ce chapitre montrant Ă  tous l’oxymore : L’entreprise instituĂ©e procureur et juge d’elle-mĂŞme par le droit de la compliance. Puisque la figure du juge est donc prĂ©sente, la procĂ©dure ne peut que faire son apparition, de grĂ© ou de force.

C’est pourquoi la deuxième partie a pour objet d’étudier les interfĂ©rences qui se dĂ©veloppent entre le droit processuel et les techniques de compliance, sous le titre : Le droit processuel Ă  l’œuvre dans le droit de la compliance.

S’appuyant sur les chapitres prĂ©cĂ©dents, la troisième partie peut Ă©largir le spectre de l’analyse sur un thème non seulement d’actualitĂ© mais surtout d’avenir : L’articulation de la compliance et de l’arbitrage international. Ce chapitre y mesure l’emprise des raisonnements et des exigences du droit de la compliance dans des modes de rĂ©solution des litiges oĂą il n’était pas, sauf exception, prĂ©sent, mais oĂą il a un grand avenir.

Cela permet Ă  la quatrième partie de revenir en boucle sur ce par quoi a dĂ©butĂ© l’ouvrage : Le juge dans le droit de la compliance. Parce que procès et jugement sont indissociables, parce que techniques juridiques et État de droit ne doivent pas l’être et que les techniques de compliance pourraient paradoxalement ĂŞtre l’arme de leur dissociation, parce que le pouvoir de juger et les procĂ©dures qui l’entourent ne doivent pas ĂŞtre dissociĂ©s, parce que compliance et État de droit doivent ĂŞtre pensĂ©s et pratiquĂ©s ensuite, la montĂ©e en puissance de l’un devant ĂŞtre le signe de la montĂ©e en puissance de l’autre, et non le prix de l’affaiblissement de l’État de droit, ce qui implique de non seulement penser la place des diffĂ©rents juges mais encore d’ajuster leur office Ă  ce que requiert par ailleurs le droit de la compliance des entreprises et des autoritĂ©s publiques.

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Partie I.

L’entreprise instituée procureur et juge d’elle-même et d’autrui par le droit de la compliance

🕴️Marie-Anne Frison-Roche traite directement l’oxymore imposĂ© Ă  l’entreprise par le droit de la compliance : đź“ťLe « jugeant-jugĂ© Â», l’enjeu Ă©tant d’Articuler les mots et les choses face Ă  l’éprouvant conflit d’intĂ©rĂŞts. Avant mĂŞme d’aborder la situation de l’entreprise, ainsi placĂ©e comme « jugeant-jugĂ©e Â» par le droit de la compliance, parce que l’enjeu est avant tout celui de la qualification adĂ©quate, l’article pose en prĂ©alable qu’il faut garder Ă  l’esprit trois principes : ce qu’est le Droit dans sa corrĂ©lation avec la rĂ©alitĂ©, lui confiant le soin de garder, mĂŞme par rapport Ă  son propre pouvoir, de conserver un lien minimal avec la rĂ©alitĂ© ou de restaurer le lien entre les mots et les choses, grâce Ă  la qualification ; ce qu’est l’activitĂ© de « juger Â» et son corollaire, la procĂ©dure, obligeant le Droit Ă  travers ce qu’en disent les tribunaux, Ă  qualifier de « juge Â» celui qui juge pour mieux le contraindre par le droit processuel ; ce qu’est la personnalitĂ© morale, notion qui permet Ă  l’entreprise de se dĂ©doubler et paraĂ®t ainsi très commode pour sanctionner un collaborateur, voire un mandataire social, mais qui va Ă  l’encontre de l’hostilitĂ© systĂ©mique du droit de la compliance Ă  l’égard de cette notion. Ayant cela en perspective, l’article montre en premier lieu comment le Droit « dĂ©masque Â» les entreprises qui jugent et sanctionnent en prĂ©tendant ne pas le faire, qualification imposĂ©e pour contraindre les entreprises Ă  respecter les principes processuels au bĂ©nĂ©fice de ceux qui sont poursuivis ou jugĂ©s par elles. Cela devient acrobatique lorsque la personne morale se poursuit elle-mĂŞme, non seulement en application de la loi, mais aussi par exemple au nom du contrat ou au nom de l’éthique ou de la raison d’être. Les juges le font nĂ©anmoins, le droit de la compliance reprenant toutes les solutions que la jurisprudence a dĂ©gagĂ©es dans le droit de la rĂ©gulation concernant les autoritĂ©s administratives de rĂ©gulation, selon un raisonnement fonctionnel, Ă  reprendre ici, le droit de la compliance prolongeant encore une fois ici le droit de la rĂ©gulation. Cette transposition permet de justifier le cumul des pouvoirs par les entreprises qui, devant admettre l’ampleur de ces pouvoirs exercĂ©s, doivent donc s’organiser pour que les conflits d’intĂ©rĂŞts structurels qu’ils engendrent soient pourtant rĂ©solus. Pour cela, la notion Ă  la fois centrale et suffisante est l’impartialitĂ©.

La seconde partie de l’article expose la façon dont les entreprises peuvent se poursuivre et se juger elles-mĂŞmes, d’une façon pourtant impartiale. Si l’on considère que l’hĂ©roĂŻsme Ă©thique, consistant Ă  se punir soi-mĂŞme avec impartialitĂ© pour que prĂ©valent des intĂ©rĂŞts autres que le sien, ne peut suffire Ă  bâtir un système et Ă  le soutenir dans la durĂ©e, tout est donc dans l’art de la distance, qu’il faut reconstituer au sein mĂŞme de l’entreprise « jugeante-jugĂ©e Â». Pour ne pas sacrifier la cohĂ©rence du droit de la compliance, qui ne peut plus donner de force Ă  la personnalitĂ©, il faut que l’entreprise organise des distances entre qui juge et qui est jugĂ© sans pour autant recourir Ă  la personnalitĂ© morale. Si l’on ne pense pas que les « machines impartiales Â», telles que les adeptes de l’intelligence artificielle les promettent, puissent ĂŞtre une perspective consistante, il faut davantage approfondir des perspectives comme celles des structures internes de mĂ©diation, voire des structures externes dont l’Oversight Board de Meta est la première expĂ©rience. La perspective la plus riche demeure celle du recours Ă  des tiers humains, en distinguant les diffĂ©rents intĂ©rĂŞts, voire divergents, en cause dans la mise en Ĺ“uvre des outils de la compliance, par exemple les enquĂŞtes internes, chacun de ces intĂ©rĂŞts Ă©tant dĂ©fendu par un conseil qui lui est propre, notamment un avocat.

Prenant la situation davantage en amont, 🕴️Cécile Granier étudie 📝La jurisprudence des entreprises instituées juges et procureurs d’elles-mêmes par le droit de la compliance.

Parce qu’elle bouscule les cadres Ă©tablis, la compliance oblige Ă  envisager sous un jour nouveau certaines notions qui paraissaient pourtant jusqu’alors bien apprivoisĂ©es. C’est notamment le cas de la jurisprudence. Les dĂ©veloppements rĂ©cents de la compliance conduisent en effet Ă  se demander s’il n’existerait pas une « jurisprudence Â» qui serait produite par les entreprises Ă  l’occasion de la mise en Ĺ“uvre de procĂ©dĂ©s de compliance. De prime abord, le concept de « jurisprudence des entreprises Â» peut apparaĂ®tre contre nature tant la jurisprudence est traditionnellement apprĂ©hendĂ©e comme le fruit de l’office du juge et, plus particulièrement, du juge Ă©tatique. Pourtant, le constat selon lequel l’entreprise peut se positionner comme un juge Ă  l’égard d’elle-mĂŞme et des autres dans le cadre de la mise en Ĺ“uvre de la compliance conduit lĂ©gitimement Ă  s’interroger sur la possibilitĂ© pour cette dernière de produire de la jurisprudence. L’exemple du conseil de surveillance de Facebook et des premières dĂ©cisions rendues par cette instance accroĂ®t la lĂ©gitimitĂ© de cette interrogation.

Penser le concept de « jurisprudence des entreprises Â» induit de comparer le processus d’émergence de la norme jurisprudentielle Ă©manant du juge avec le processus d’émergence d’une « norme jurisprudentielle Â» qui serait produite par les entreprises Ă  l’occasion de leurs fonctions « juridictionnelles Â». Sur le plan matĂ©riel, une analogie entre la jurisprudence Ă©tatique et une jurisprudence des entreprises semble concevable. Reste alors Ă  surmonter un obstacle de nature organique : une institution autre que le juge peut-elle ĂŞtre apprĂ©hendĂ©e comme produisant de la jurisprudence ? Au regard des Ă©volutions contemporaines du droit et de l’intĂ©rĂŞt pratique qu’il existe Ă  concevoir une jurisprudence des entreprises, il semble opportun d’adopter une vision Ă©largie de la jurisprudence, qui soit dĂ©tachĂ©e du traditionnel critère organique. Il semble donc qu’il soit possible mais surtout qu’il faille penser le concept de « jurisprudence des entreprises Â», afin de mettre en lumière une nouvelle facette du pouvoir normatif des entreprises dans le cadre de la compliance en vue notamment de son encadrement.

Cette puissance des opĂ©rateurs, venue notamment de l’espace numĂ©rique qu’elles ont elles-mĂŞmes conçu et construit, est aussi le point de dĂ©part de 🕴️Luc-Marie Augagneur, examinant đź“ťLe traitement rĂ©putationnel par et sur les plateformes. Il expose que les grandes plateformes se trouvent placĂ©es en arbitre de l’économie de la rĂ©putation (rĂ©fĂ©rencement, notoriĂ©tĂ©) dans laquelle elles agissent elles-mĂŞmes. MalgrĂ©, le plus souvent, de faibles enjeux unitaires, la juridictionnalitĂ© de la rĂ©putation reprĂ©sente des enjeux agrĂ©gĂ©s importants. Les plateformes sont ainsi conduites Ă  dĂ©tecter et apprĂ©cier les manipulations de rĂ©putation (par les utilisateurs : SEO, faux avis, faux followers ; ou par les plateformes elles-mĂŞmes, comme l’a mis en lumière la dĂ©cision Google Shopping rendue par la Commission europĂ©enne en 2017) qui sont mises en Ĺ“uvre Ă  grande Ă©chelle avec des outils algorithmiques. L’identification et le traitement des manipulations ne sont eux-mĂŞmes possibles qu’au moyen d’outils d’intelligence artificielle, dont l’article donne de nombreux exemples. Or, cette juridictionnalitĂ© de la rĂ©putation prĂ©sente peu de caractères communs avec la procĂ©dure telle que le Droit la dĂ©finit, se caractĂ©risant plutĂ´t par l’absence de transparence des règles et par un modèle inductif probabiliste par l’identification de comportements anormaux par rapport Ă  des centroĂŻdes, la Rule of Law faisant place Ă  Data is Law, c’est-Ă -dire Ă  une gouvernance des nombres. Se met en outre en place une juridictionnalitĂ© collective, la sanction provenant d’une apprĂ©hension computationnelle des phĂ©nomènes de la multitude et non d’une apprĂ©ciation individuelle, dans une coopĂ©ration homme-machine. Jusqu’à prĂ©sent, l’encadrement de ces processus repose essentiellement sur les mĂ©canismes exigĂ©s par des lois successives de transparence, d’une exigence contradictoire limitĂ©e et de l’accessibilitĂ© de voies de recours, mais cela demeure assez limitĂ©. L’auteur estime que les formes les plus efficientes de cette juridictionnalitĂ© ressortent en dĂ©finitive du rĂ´le jouĂ© par les tiers dans une forme de rĂ©solution de litiges participative, par exemple les signaleurs de confiance (trusted flaggers), qui identifient des contenus illĂ©gaux sur les plateformes.

Dans ce mouvement, l’auteur estime que cette configuration juridictionnelle singulière (plateforme juge et partie, situations massives, systèmes algorithmiques de traitement des manipulations) amène ainsi à reconsidérer la grammaire du processus juridictionnel et de ses caractères. Si le droit est un langage, il en offre une nouvelle forme grammaticale qui serait celle de la voix moyenne (mésotès) décrite par Benveniste. Entre la voix active et la voix passive se trouve une voix dans laquelle le sujet effectue une action où il s’inclut lui-même. Or, c’est bien le propre de cette juridictionnalité de la compliance que de poser des lois en s’y incluant soi-même (nomos tithestai). À cet égard, l’irruption de l’intelligence artificielle dans ce traitement juridictionnel témoigne incontestablement du renouvellement du langage du droit.

Pour illustrer cela dans une activitĂ© beaucoup plus ancienne, 🕴️Alain Bruneau montre đź“ťLa façon dont les entreprises du secteur bancaire s’organisent et se comportent pour assurer leur rĂ´le de « procureurs et juges d’elles-mĂŞmes Â». Il rappelle tout d’abord que la fonction compliance est nĂ©e au sein de la finance, et qu’en se structurant, elle a Ă©voluĂ© pour accompagner le passage du droit de la rĂ©gulation au droit de la compliance. Par le biais de ces mutations, la compliance est passĂ©e d’une fonction contrĂ´lante ex post Ă  une fonction contraignante ex ante. La crise du Libor illustre imparfaitement la primautĂ© de cette transition. L’évolution de ce rĂ´le est illustrĂ©e par des exemples concrets.

Dans un premier temps est Ă©tudiĂ©e la gestion du risque de rĂ©putation, Ă©lĂ©ment fondamental de l’entreprise procureur et juge d’elle-mĂŞme. Le risque de rĂ©putation est un Ă©lĂ©ment non nĂ©gligeable pour un Ă©tablissement financier, car il peut engendrer des consĂ©quences nĂ©gatives sur sa capitalisation, voire culminer en crise systĂ©mique. L’évitement de la crise financière de grande ampleur s’inscrit Ă©galement dans les buts monumentaux de la compliance. Afin d’éviter des scĂ©narios complexes et inopportuns, le droit de la compliance intervient le plus en amont possible et identifie les sujets susceptibles d’impacter la rĂ©putation. La rĂ©glementation impose la mise en place de certains dispositifs ex ante. La loi Sapin 2 exige la mise en place d’outils qui concernent l’ensemble des entreprises (et non pas seulement les banques). En effet, au-delĂ  du risque de rĂ©putation, il est essentiel de considĂ©rer le risque de corruption. La considĂ©ration du risque de rĂ©putation peut justifier le refus d’exĂ©cuter certaines opĂ©rations. Dans cette optique, la compliance doit Ă©valuer les potentielles consĂ©quences de l’entrĂ©e en relation avec un nouveau client en amont, pour parfois dĂ©cliner la prestation de services. Ainsi, la fonction compliance juge de façon unilatĂ©rale la relation en vue de gĂ©rer son risque de rĂ©putation.

En second lieu, le mĂ©canisme de sanction interne instituĂ© par le droit de la compliance est Ă©galement abordĂ©, notamment les sanctions internes adoptĂ©es par la compliance dans un Ă©tablissement financier. La compliance peut agir en tant que procureur via des comitĂ©s conduits mis en place au sein des mĂ©tiers. En outre, la compliance peut dĂ©terminer et appliquer des sanctions Ă  l’encontre des collaborateurs. De la sorte, on constate un double rĂ´le de procureur et juge pour la fonction compliance dans le cadre d’un dispositif extraordinaire du droit commun. Enfin, l’analyse traite du cas du jugeant-jugĂ© : Ă  la suite d’une dĂ©cision de la banque, le rĂ©gulateur peut prendre une position d’autant plus stricte qu’il estime que la banque applique mal ses lignes directrices. Ainsi, le droit de la compliance, qui s’installe au sein de l’entreprise bancaire, se retrouve lui-mĂŞme sous le jugement de son propre rĂ©gulateur. L’entreprise se retrouve jugĂ©e et est amenĂ©e Ă  ĂŞtre procureur et juge d’elle-mĂŞme, mais aussi de ses clients.

Cette mĂŞme vision, Ă  la fois très large et très concrète, est adoptĂ©e par 🕴️Jean-Marc Coulon Ă  propos d’un autre secteur, en abordant đź“ťLa façon dont une entreprise fonctionne pour concrĂ©tiser le droit de la compliance, prenant plus particulièrement l’exemple du secteur de la construction. Il rappelle que le secteur d’activitĂ© de la construction n’est pas un secteur rĂ©gulĂ©. Son marchĂ© est constituĂ© d’une superposition de strates territoriales qui sont autant de marchĂ©s pertinents, auxquels correspond Ă  chaque fois un microcosme d’entreprises spĂ©cifique. Enfin, l’association temporaire entre entreprises pour les besoins de la rĂ©alisation d’un projet ou d’un ouvrage est consubstantielle Ă  ce secteur. L’auteur souligne que la pĂ©nĂ©tration de la compliance dans ce secteur est inĂ©vitablement très hĂ©tĂ©rogène et rĂ©sulte de facteurs tant exogènes (autres partenaires au sein des associations temporaires, influence d’opĂ©rateurs Ă©conomiques d’autres secteurs d’activitĂ©, investisseurs et bailleurs de fonds, incitation des organisations professionnelles) qu’endogènes (soumission Ă  un rĂ©gulateur en raison du recours Ă  l’appel public Ă  l’épargne, Ă  la loi sur le devoir de vigilance, Ă  la loi dite « Sapin 2 Â»). Par exemple, sujets Ă  tous ces facteurs rĂ©unis le groupe Bouygues est particulièrement permĂ©able Ă  la compliance.

Non seulement « lĂ©gislateur Â» interne, le groupe Bouygues se retrouve tout Ă  tour « procureur et juge Â» tant de lui-mĂŞme que des autres. En effet, conduisant une investigation, dĂ©posant plainte, dĂ©clenchant une alerte Ă©thique, faisant usage du programme de clĂ©mence, il n’est pourtant autre qu’un auxiliaire du procureur. Par ailleurs, scrutant ses parties prenantes, sanctionnant ses salariĂ©s, ayant recours Ă  la convention judiciaire d’intĂ©rĂŞt public ou nĂ©gociant sa sanction dans le cadre d’une procĂ©dure instituĂ©e par une banque multilatĂ©rale, il remplit la fonction d’un juge. LĂ©gislateur, procureur, juge, le groupe Bouygues est confrontĂ© Ă  un paradoxe, en quelque sorte encouragĂ© Ă  exercer une « souverainetĂ© Â», il ne bĂ©nĂ©ficie pourtant ni des attributs qui y sont attachĂ©s ni du soutien indĂ©fectible des autoritĂ©s publiques compĂ©tentes.

🕴️Christophe Lapp s’appuie sur l’article prĂ©cĂ©dent pour analyser đź“ťLes statuts du process. Il conclut en effet de l’article prĂ©cĂ©dent que l’entreprise est prise en tenaille par le droit de la compliance, dont les mâchoires sont celles de l’incitation et de la sanction qu’elle doit appliquer pour assurer l’effectivitĂ© de ses process, dont elle est elle-mĂŞme justiciable. Il en rĂ©sulte en premier lieu, que l’entreprise a reçu dĂ©lĂ©gation de fabriquer les règles rĂ©prĂ©hensibles qu’elle doit appliquer Ă  elle-mĂŞme ainsi qu’aux tiers avec lesquels elle est en relation. Ă€ cet effet, l’entreprise met en place des « process Â», c’est-Ă -dire des procĂ©dĂ©s de vĂ©rifications, de prĂ©vention, afin de donner Ă  voir que les infractions qu’elle est susceptible de commettre ne seront pas constituĂ©es. Les process constituent ainsi un standard de comportement pour prĂ©venir et Ă©viter que les faits constitutifs des infractions ne soient pas eux-mĂŞmes rĂ©alisĂ©s. Ils sont ainsi l’un des Ă©lĂ©ments de la règle de droit de la responsabilitĂ© civile dans ses finalitĂ©s prĂ©ventive ou rĂ©paratrice.

L’auteur relève en second lieu que la rĂ©pression de l’inobservation des process met l’entreprise face Ă  deux Ă©cueils. En effet, le premier Ă©cueil place l’entreprise, Ă  l’égard de ses collaborateurs et de ses partenaires, dans l’obligation de dĂ©finir des process qui constituent Ă©galement le règlement quasi juridictionnel de leur inobservation, l’entreprise devant concilier la sanction qu’elle prononce avec les principes fondamentaux du droit pĂ©nal classique, les principes constitutionnels et l’ensemble des droits substantiels. Les process deviennent alors la règle processuelle. Le second Ă©cueil est que l’entreprise est justiciable de l’effectivitĂ© de l’évitement par ses process des faits constitutifs d’infractions Par une inversion de la charge de la preuve, l’entreprise est alors astreinte Ă  prouver que ses process ont une efficience au moins Ă©quivalente aux mesures dĂ©finies par les lois et règlements, l’Agence française anticorruption (AFA), les directives europĂ©ennes et les diverses communications sur les outils de lutte contre les infractions Ă  la probitĂ©, les atteintes environnementales et aux prĂ©occupations sociĂ©tales actuelles. Les process deviennent alors l’élĂ©ment constitutif, per se, de l’infraction. Ainsi, dans sa recherche de l’équilibre entre la prĂ©vention et la sanction Ă  laquelle elle est elle-mĂŞme assujettie, l’entreprise ne sera-t-elle pas alors tentĂ©e de prĂ©fĂ©rer l’orthodoxie de ses process aux attentes de l’AFA, des rĂ©gulateurs et des juges, au dĂ©triment de leur efficacitĂ© ? Ce faisant, ne va-t-on pas vers une compliance instrumentale et conformiste, paradoxalement dĂ©responsabilisante par rapport aux buts monumentaux de la compliance ? L’auteur finit ainsi sa rĂ©flexion sur un ensemble d’interrogations sur le futur.

Ce mode interrogatif est partagĂ© par 🕴️JĂ©rĂ©my Heymann, qui se demande quelle est đź“ťLa nature juridique de la « Cour suprĂŞme Â» de Facebook. Cherchant Ă  faire coĂŻncider les mots et les choses, sa rĂ©flexion porte sur la nature de la prĂ©tendue « Cour suprĂŞme Â» instituĂ©e par le groupe Facebook, en vue de connaĂ®tre des appels des dĂ©cisions relatives au contenu sur les rĂ©seaux sociaux numĂ©riques Facebook et Instagram. S’agit-il vĂ©ritablement d’une Cour suprĂŞme, en charge de « juger Â» le groupe Facebook ? Un examen attentif de l’Oversight Board, soit le Conseil de surveillance crĂ©Ă© par l’entreprise Facebook, rĂ©vèle que ce dernier, au-delĂ  de son titre, peut prĂ©tendre, en complĂ©ment de son activitĂ© de « conseil Â» (laquelle consiste Ă  Ă©mettre des « avis consultatifs sur les politiques en matière de contenu de Facebook Â»), exercer une forme d’activitĂ© juridictionnelle. Celle-ci se conçoit essentiellement en termes de vĂ©rification de conformitĂ©, d’une part des contenus publiĂ©s sur les rĂ©seaux sociaux Facebook ou Instagram aux standards Ă©mis par ces deux sociĂ©tĂ©s, d’autre part des dĂ©cisions – de modĂ©ration ou d’apprĂ©ciation de cette modĂ©ration â€“ au droit. Le cadre juridique de rĂ©fĂ©rence est cependant flou, et semble en outre prĂ©senter la particularitĂ© d’évoluer en fonction du cadre gĂ©ographique dans lequel le cas examinĂ© sera situĂ©. Une mission juridictionnelle semble donc bien pouvoir ĂŞtre caractĂ©risĂ©e, mĂŞme si l’office du Conseil de surveillance est limitĂ© et n’a vocation Ă  s’exercer que dans un cadre restreint.

L’auteur propose donc de retenir, en vue de qualifier l’Oversight Board, la nature d’organe prĂ©ventif de règlement des diffĂ©rends – l’objectif poursuivi paraissant ĂŞtre d’éviter la saisine de tribunaux Ă©tatiques en statuant en amont d’une dĂ©cision judiciaire. DiffĂ©rentes questions doivent subsĂ©quemment ĂŞtre soulevĂ©es, tant sur le plan de la lĂ©gitimitĂ© que sur celui de l’autoritĂ© de pareil Oversight Board. Mais quelles que soient les rĂ©ponses Ă  ces questions, il reste que cette crĂ©ation d’un Conseil de surveillance par une entreprise de droit privĂ© rĂ©vèle d’ores et dĂ©jĂ  toute la vivacitĂ© du pluralisme juridique contemporain.

Cette vivacitĂ© de la pratique sur laquelle le Droit a du mal Ă  mettre les mots adĂ©quats est particulièrement remarquable dans đź“ťLes enquĂŞtes internes au sein des entreprises, dĂ©crites par 🕴️DaphnĂ© Latour. Elle montre que l’enquĂŞte interne, notamment en matière de droit social, n’est pas nouvelle, mais qu’en matière de compliance son accroissement exponentiel est relativement rĂ©cent, ayant Ă©tĂ© accĂ©lĂ©rĂ© par la loi dite « Sapin 2 Â» de 2016 et l’introduction induite en droit français de l’outil transactionnel que reprĂ©sente la Convention judiciaire d’intĂ©rĂŞt public (CJIP). En effet, mĂŞme si l’enquĂŞte interne n’est pas, Ă  proprement parler, une condition lĂ©gale d’ouverture au bĂ©nĂ©fice d’une CJIP, il n’en demeure pas moins que la nĂ©gociation de celle-ci exige une forme d’enquĂŞte ou d’audit approfondi, dès lors que le parquet, pour ouvrir les discussions, attend de l’entreprise bĂ©nĂ©ficiaire sa coopĂ©ration active Ă  la manifestation de la vĂ©ritĂ© Ă  l’égard des dĂ©lits objets de la nĂ©gociation. Cependant, malgrĂ© l’engouement, certes parfois forcĂ©, des entreprises pour ce nouvel outil qu’est l’enquĂŞte interne et les enjeux et risques qu’elle induit, l’auteur estime que le lĂ©gislateur français ne s’est pas encore suffisamment penchĂ© sur son encadrement, puisqu’actuellement en droit français aucune disposition lĂ©gale spĂ©cifique et uniforme n’en rĂ©git l’usage. Cela conduit les entreprises et leurs conseils Ă  s’inspirer dans leurs procĂ©dures d’enquĂŞte tout Ă  la fois du droit anglo-saxon y affĂ©rent, des droits fondamentaux consacrĂ©s notamment par la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, du droit pĂ©nal et de la procĂ©dure pĂ©nale française, mais Ă©galement du droit social et des jurisprudences parfois contradictoires qu’il fait Ă©merger en matière de dĂ©fense des droits des salariĂ©s.

Cette insĂ©curitĂ© juridique, rĂ©sultant de l’incertitude et de l’imprĂ©visibilitĂ© au regard de la règle applicable, est d’autant plus prĂ©judiciable que, parallèlement, on demande aujourd’hui Ă  l’entreprise d’être toujours plus responsable de son comportement et de celui de ses collaborateurs et de s’« autorĂ©guler Â», assumant alors certaines fonctions rĂ©galiennes. L’on semble concevoir l’entreprise privĂ©e comme omnisciente et capable de prĂ©venir la rĂ©alisation de dĂ©lits en son sein, alors mĂŞme que leur rĂ©alisation est facilitĂ©e par la modernisation des outils technologiques. Ă€ dĂ©faut et a posteriori, on lui enjoint de dĂ©tecter ces infractions et/ou manquements et d’en Ă©viter la rĂ©itĂ©ration, notamment par les enquĂŞtes internes.

Cette place de plus en plus importante que ces outils de compliance prennent dans l’entreprise est aussi illustrĂ©e par la Convention judiciaire d’intĂ©rĂŞt public (CJIP), comme le montre đź•´ď¸ŹAlexis Bavitot, qui dĂ©crit đź“ťLe façonnage de l’entreprise par les accords de justice pĂ©nale nĂ©gociĂ©s. L’auteur rappelle que la justice nĂ©gociĂ©e est « la situation dans laquelle le conflit pĂ©nal fait l’objet d’un commerce au sens Ă©tymologique du terme negotio, c’est-Ă -dire d’un dĂ©bat entre les parties pour aboutir Ă  un accord Â». Il se demande si le lĂ©gislateur français n’a pas succombĂ© au mimĂ©tisme mondialisĂ© en crĂ©ant la Convention judiciaire d’intĂ©rĂŞt public (CJIP), en matière de probitĂ© puis d’environnement, et s’interroge plus largement sur la nature de cette « convention Â». ValidĂ©e par ordonnance d’un juge, elle n’emporte pour autant aucune dĂ©claration de culpabilitĂ©, n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation et n’est pas inscrite au casier judiciaire. Possible au stade de l’enquĂŞte comme de l’instruction, la CJIP est originale en ce qu’elle permet d’éviter soit les poursuites du procureur, soit les foudres du juge.

L’étude détaillée des accords signés permet de constater que pour négocier au mieux, l’entreprise peut et doit se façonner. L’entreprise va façonner les faits de son accord, façonner son accusation et, enfin, façonner sa peine. L’article propose une analyse concrète de ces trois dimensions du façonnage de l’entreprise pour mieux approcher la compréhension de la nature juridique des accords de justice pénale négociée.

Mais s’il est vrai que l’entreprise change dans sa physionomie mĂŞme par ces activitĂ©s nouvelles, 🕴️Samir Merabet examine plus particulièrement le devoir de vigilance pour y voir une situation particulière oĂą l’entreprise pourrait : 📝Être juge et ne pas juger. Il estime que la vigilance prĂ©sente deux dangers, diamĂ©tralement opposĂ©s. L’entreprise est prise entre deux feux. D’un cĂ´tĂ©, il y a le risque qu’elle exerce son rĂ´le a minima, de sorte que les obligations qui lui sont imposĂ©es soient dĂ©pourvues d’effectivitĂ©, risquant par lĂ  mĂŞme d’engager sa propre responsabilitĂ©. De l’autre, le danger consiste Ă  ce que l’entreprise excède le rĂ´le qui est le sien et se substitue au juge. La vigilance prĂ©sente-t-elle toujours les mĂŞmes dangers ? Implique-t-elle systĂ©matiquement le mĂŞme rĂ´le de l’entreprise ? ĂŠtre vigilant, est-ce porter un jugement ? La rĂ©ponse Ă  ces questions dĂ©pend de la teneur des obligations que suppose la vigilance. Or, celles-ci semblent aujourd’hui très diversifiĂ©es.

Comment distinguer les divers devoirs de vigilance ? Une première approche pourrait consister Ă  envisager une identification formelle qui conduit Ă  distinguer la vigilance stricto sensu, celle qui est envisagĂ©e par la loi Sapin 2 et identifiĂ©e comme telle, et les obligations qui s’y apparentent, par exemple le devoir de modĂ©ration des entreprises sur les rĂ©seaux sociaux, qui, sans ĂŞtre baptisĂ© devoir de vigilance, s’en rapproche nĂ©anmoins. L’extension des obligations de compliance conduit Ă  brouiller la frontière entre ce qui relève exactement de la vigilance ou non. Il convient de retenir une approche plus substantielle, pour envisager le degrĂ© de contrĂ´le exercĂ© par l’entreprise. Ainsi entendu, on peut alors envisager de distinguer deux catĂ©gories : la vigilance nĂ©gative, qui implique l’identification d’un risque, et la vigilance positive, qui suppose plus encore la neutralisation du risque. La première suppose un rĂ´le limitĂ© de l’entreprise, tandis que la seconde l’incite Ă  agir positivement, avant mĂŞme qu’une autoritĂ© ne se soit prononcĂ©e. Cette fois, le rĂ´le de l’entreprise se rapproche de celui du juge. On comprend que toutes les obligations de vigilance ne sauraient donc ĂŞtre apprĂ©hendĂ©es de manière unitaire.

Dès lors que l’entreprise est amenĂ©e – si ce n’est Ă  se substituer au juge â€“ Ă  agir avant mĂŞme qu’il n’ait l’occasion de se prononcer, alors il semble lĂ©gitime d’encadrer la mise en Ĺ“uvre du devoir de vigilance de l’entreprise par une forme de procĂ©duralisation de la compliance. L’entreprise comme ses salariĂ©s ou partenaires gagneraient Ă  ce que la vigilance soit davantage encadrĂ©e. Dans la mesure oĂą toutes les obligations de vigilance n’appellent pas le mĂŞme rĂ´le de l’entreprise, il convient d’envisager des principes directeurs de la vigilance, plus ou moins intenses selon qu’il s’agira de vigilance positive ou nĂ©gative.

Ce premier chapitre a permis de voir ce qui se passe dans les entreprises ainsi sommées de poursuivre, d’enquêter, d’instruire, d’écouter et de juger. Il est alors souhaitable, et heureusement inévitable que le droit processuel pénètre dans le droit de la compliance, qui est l’objet du chapitre qui suit.

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Partie II.

Le droit processuel Ă  l’œuvre dans le droit de la compliance

🕴️Nicolas Cayrol ouvre ce chapitre en observant ce qu’il en est đź“ťDes principes processuels en droit de la compliance. L’on pourrait certes se contenter d’examiner la rĂ©ception des principes de droit processuel dans les cas contentieux de compliance et la distorsion que les techniques de compliance justifient dans les mĂ©canismes processuels. Mais l’innovation que constitue cette branche du droit en Ă©mergence qu’est le droit de la compliance justifie d’aller Ă  plus fondamental. Dans cette perspective, l’on doit se demander quelle est la lĂ©gitimitĂ© mĂŞme des principes processuels dans cette branche du droit, en ce que le droit processuel est construit sur la notion de « litige Â», tandis que le droit de la compliance se saisit de situations si Ă©normes, concernant par exemple le sort de la planète, que cette notion paraĂ®t inadĂ©quate, et que dès lors le droit processuel en serait dĂ©passĂ©.

Si l’on maintient pourtant cette perspective d’un droit de la compliance qui affronte, dans une optique presque guerrière, les plus grands dĂ©fis actuels, la pertinence d’un droit processuel oblige Ă  repenser le procès dans sa dĂ©finition mĂŞme En effet, les procès de compliance mettent en cause l’avenir des systèmes et c’est Ă  ce titre qu’ils demandent des comptes aux entitĂ©s qui sont au cĹ“ur de ces systèmes. C’est en cela que les procès en responsabilitĂ© sont davantage des procès en « responsabilisation Â», permettant au juge d’exiger des actions pour l’avenir, des procès par lesquels des engagements sont pris et les « intentions Â» des personnes en cause sont Ă©prouvĂ©es.

Dans une mĂŞme perspective très innovante, 🕴️François Ancel soulève une question, qui est comme une proposition : đź“ťLe principe processuel de compliance, un nouveau principe directeur du procès ? Il s’agit de hisser le principe de compliance au rang de principe directeur du procès. Pour soutenir cela dans une première partie, l’auteur souligne la convergence des buts de la compliance et de la finalitĂ© du procès. En effet, rappelant que le droit de la compliance n’évince ni l’État ni le juge, dès l’instant que la compliance signifie que la personne doit tenir ses engagements et que le procès repose aussi sur ce principe comme quoi les parties doivent se conformer aux principes et Ă  leur propre « discours Â», la compliance devient ainsi un principe directeur du procès. Dans une seconde partie de l’article, l’auteur illustre son propos de façon très concrète. En premier lieu, les protocoles de procĂ©dure qui sont Ă©laborĂ©s par les juridictions et les barreaux sont des engagements qui devraient justifier une forme de contrainte qui, si elle ne doit pas ĂŞtre de mĂŞme forme et de mĂŞme nature que celle de la loi, doit tout de mĂŞme avoir des consĂ©quences lorsqu’une partie s’y dĂ©robe, par exemple au regard de l’article 700 du Code de procĂ©dure civile. En second lieu, en s’appuyant sur une jurisprudence qui sanctionne une partie qui avait acceptĂ© le principe de l’arbitrage puis a entravĂ© systĂ©matiquement sa mise en Ĺ“uvre, l’auteur suggère que sous le principe de compliance puissent ĂŞtre regroupĂ©es les notions pour l’instant Ă©parses des principes de loyautĂ©, de cohĂ©rence (estoppel) et d’efficacitĂ©. Ainsi, la pratique validerait dĂ©jĂ  cette proposition thĂ©orique.

Ces procès d’un type nouveau seront en tout cas certainement influencĂ©s par une conception amĂ©ricaine du procès et du rĂ´le des juges et des procureurs. Ă€ tout le moins, autant prendre en considĂ©ration leur fonctionnement pour bien comprendre le fonctionnement du droit de la compliance dont les objets sont souvent globaux (finance, numĂ©rique, climat). Ainsi, 🕴️Bryan Sillaman souligne đź“ťLes leçons de procĂ©dure tirĂ©es de l’expĂ©rience amĂ©ricaine pour une application universelle concernant une question pratique essentielle : Secret professionnel et coopĂ©ration. Il souligne que le système juridique français Ă©volue, organisant des interactions entre les avocats, les rĂ©gulateurs et les procureurs, plus particulièrement dans les enquĂŞtes en matière de corruption ou de faute dans la conduite des entreprises, adoptant en cela les mĂ©thodes amĂ©ricaines de rĂ©solution, comme le montre la Convention judiciaire d’intĂ©rĂŞt public qui encourage la « collaboration Â» entre eux. L’auteur dĂ©crit l’évolution de la doctrine institutionnelle amĂ©ricaine et demande que le droit français soit inspirĂ© de l’expĂ©rience procĂ©durale amĂ©ricaine d’oĂą vient ce mĂ©canisme. En effet, le DOJ a publiĂ© plusieurs mĂ©morandums Ă  propos de ce qu’est la « collaboration Â». Il en ressort en dernier lieu (2006) que, selon le DOJ lui-mĂŞme, le secret professionnel doit demeurer intact lorsque l’information n’est pas seulement « factuelle Â», afin de maintenir la confiance entre les procureurs, les rĂ©gulateurs et les avocats.

Les autorités françaises ne suivent pas cette voie. L’auteur le regrette et pense qu’elles devraient adopter le même raisonnement que les autorités américaines sur le secret professionnel de l’avocat, plus particulièrement lorsqu’il intervient dans les enquêtes internes au sein des entreprises.

Mais il faut tenir compte aussi de la perspective des autoritĂ©s qui prononcent des injonctions ou des sanctions et qui Ă©voluent dans leur cadre normatif, qui a davantage Ă©voluĂ© dans la phase ultĂ©rieure de la procĂ©dure. Ainsi 🕴️Alexandre Linden Ă©tudie les règles gouvernant les đź“ťMotivation et publicitĂ© des dĂ©cisions de la formation restreinte de la CNIL. Il rappelle qu’en cas de manquement aux règles en matière de protection des donnĂ©es Ă  caractère personnel, la formation restreinte de la CNIL prononce des amendes, des injonctions de « mise en conformitĂ© Â» ou des rappels Ă  l’ordre. Elle peut ordonner la publication de ces mesures, qui peuvent ĂŞtre contestĂ©es devant le Conseil d’État. Il est essentiel que ces dĂ©cisions soient motivĂ©es, non seulement pour respecter ce principe de droit mais encore concrètement pour que le public concernĂ©, Ă©tant très hĂ©tĂ©rogène, les comprenne, le rĂ´le pĂ©dagogique de la CNIL s'appliquant aussi

Le principe de publicité est manié avec nuance, les responsables de traitement demandant souvent le huis clos et très peu de public assistant à l’audience. À l’inverse, la publicité des décisions est en elle-même une sanction. La publication peut d’ailleurs n’être pas totale ou peut n’avoir qu’un temps, l’anonymisation permettant souvent un équilibre entre pédagogie nécessaire et préservation des intérêts, la CNIL prêtant grande attention aux modalités mêmes de la publication, même si elle ne peut pas maîtriser la circulation et l’usage médiatique qui en sont ensuite faits.

L’avocat a par position une conception plus radicale de la place qui doit ĂŞtre faite aux droits des personnes, notamment les droits de la dĂ©fense, quel que soit le moment du process. Ainsi 🕴️Sophie Scemla et 🕴️Diane Paillot exposent ce qu’elles qualifient de đź“ťLa difficile apprĂ©hension des droits de la dĂ©fense par les autoritĂ©s de contrĂ´le en matière de compliance. Elles rappellent que depuis dĂ©cembre 2016, la loi « Sapin 2 Â» impose aux entreprises françaises entrant dans son champ d’application de mettre en place huit mesures très contraignantes de lutte contre la corruption, telles qu’une cartographie des risques, un système de lancement d’alertes, ou encore une procĂ©dure d’évaluation des tiers. Afin de s’assurer de la mise en Ĺ“uvre de ces obligations, la loi Sapin 2 a crĂ©Ă© l’Agence française anticorruption (AFA), Ă  laquelle elle a confiĂ© trois missions : d’abord celle d’aider toute personne Ă  prĂ©venir et Ă  dĂ©tecter les faits de corruption ; ensuite, de contrĂ´ler la qualitĂ© et l’efficacitĂ© des programmes anticorruptions dĂ©ployĂ©s ; enfin, de sanctionner, par sa Commission des sanctions, les Ă©ventuels manquements constatĂ©s.

Or, comme le Conseil d’État l’a relevé, les pouvoirs donnés aux administrations se sont stratifiés et multipliés. Si le Conseil d’État propose d’améliorer le déroulement et l’efficacité des contrôles des administrations en harmonisant les usages et en simplifiant leurs attributions et compétences, il nous semble également urgent de remédier aux nombreuses lacunes procédurales fortement attentatoires aux droits de la défense. Dans le cadre de ses contrôles, l’AFA s’arroge en effet divers pouvoirs qui, pour certains, ne sont pas prévus par la loi, et qui, pour la plupart, portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux au premier rang desquels se trouvent le principe du contradictoire et le droit de ne pas s’auto-incriminer. À titre d’exemple, l’AFA ne juge pas utile de rédiger un procès-verbal des auditions des personnes physiques qu’elle entend, privant celles-ci de la possibilité de se défendre contre des propos qui seraient rapportés par l’autorité de contrôle devant la Commission des sanctions.

Plus structurellement, le champ de la mission de l’AFA est extrĂŞmement large, la loi lui permettant d’exiger que lui soient communiquĂ©s « tout document professionnel ou toute information utile Â», sans plus de prĂ©cisions sur la notion d’utilitĂ©. L’AFA considère de plus que le secret professionnel ne lui est pas opposable et que la remise volontaire sans rĂ©serve de documents entraĂ®ne la renonciation de l’entitĂ© Ă  se prĂ©valoir du secret professionnel. Outre de potentielles consĂ©quences graves si une procĂ©dure Ă©tait aussi diligentĂ©e par une autoritĂ© Ă©trangère, le concept de « remise volontaire Â» ne reflète aucunement la rĂ©alitĂ© de ces contrĂ´les. En effet, les entitĂ©s contrĂ´lĂ©es coopèrent sous la menace d’une poursuite du chef de dĂ©lit d’entrave, qui les contraint Ă  communiquer des documents au risque de contribuer Ă  leur propre incrimination.

C’est sans doute une raison de plus pour ne pas monter l’un contre l’autre droit processuel et droit de la compliance. Pour tenter une meilleure articulation, 🕴️Marie-Anne Frison-Roche propose d’📝Ajuster par la nature des choses le droit processuel au droit de la compliance. L’article commence par rappeler que le droit processuel est une invention, essentiellement due Ă  Motulsky, allant bien au-delĂ  du gain que l’on a toujours Ă  comparer des types de procĂ©dures entre elles. Comme il l’affirma, il y a du droit naturel dans le droit processuel, en ce que dès l’instant qu’il y a un État de droit il ne peut pas y avoir, quelle que soit la « procĂ©dure Â», voire le « procĂ©dĂ© Â», telle et telle façon de faire : par exemple de dĂ©cider, de saisir celui qui dĂ©cide, d’écouter avant de dĂ©cider, de contester celui qui dĂ©cide.

La première partie de l’article tire les consĂ©quences du fait que le droit processuel tient donc Ă  la nature des choses, mais quant Ă  lui, le droit de la compliance organise les choses d’une façon nouvelle. C’est pourquoi les principes simples et d’airain du droit processuel se glissent lĂ  oĂą l’on ne les attend pas de prime abord, notamment parce qu’il n’y a pas de juge, ce personnage autour duquel d’ordinaire les procĂ©dures s’agencent. Ils s’imposent notamment dans les entreprises. MĂŞme si les rĂ©glementations n’en soufflent mot, c’est aux juges, notamment aux Cours suprĂŞmes, de reconnaĂ®tre cette nature des choses car c’est sur cet effet de nature que le droit processuel est construit : lorsque les mĂ©canismes de compliance obligent les entreprises Ă  frapper, le droit processuel doit obliger, mĂŞme dans le silence des textes, Ă  armer ceux qui peuvent ĂŞtre frappĂ©s, voire se dresse contre des dispositifs qui Ă©carteraient trop ces dĂ©fenses que l’on estime facilement contraires Ă  l’efficacitĂ©.

Dans sa seconde partie, l’article montre que, parce qu’il s’agit de faire place Ă  cette nature des choses dont l’État de droit confie la garde au juge et Ă  l’avocat, le droit processuel doit s’ajuster lui aussi Ă  ce qu’est l’extraordinaire droit de la compliance. En effet, le droit de la compliance est extraordinaire en ce qu’il exprime la prĂ©tention politique d’agir dès maintenant pour que l’avenir ne soit pas catastrophique, notamment en dĂ©tectant et en prĂ©venant la rĂ©alisation de risques systĂ©miques, voire qu’il soit meilleur, en construisant notamment une Ă©galitĂ© effective ou un souci rĂ©el d’autrui. Parce que c’est l’enjeu qui dĂ©finit cette nouvelle branche du Droit, enjeu systĂ©mique disputĂ©, Ă©ventuellement disputĂ© par plusieurs parties devant un juge, les principes processuels doivent s’élargir considĂ©rablement : ils doivent alors inclure la sociĂ©tĂ© civile et l’avenir. Le droit processuel acquiert ainsi naturellement une place plus encore que dans les branches classiques du Droit, puisque d’une part il s’impose hors des procès, notamment dans les entreprises, et que d’autre part devant les juridictions il implique des personnes qui n’avaient guère leur mot Ă  dire et qui entrent dans les « causes Â» de compliance dĂ©sormais dĂ©battues devant le juge.

Ces « causes de compliance Â» vont ĂŞtre de plus en plus portĂ©es devant toutes sortes de juges, des juges que tous vont regarder parce que les cas concerneront de plus en plus de personnes, des juges de plus en plus globaux parce que les questions seront elles-mĂŞmes de plus en plus globales. C’est pourquoi l’arbitrage international, par nature juridiction globale, a vocation Ă  jouer un très grand rĂ´le dans le droit de la compliance Ă  l’avenir. C’est pourquoi le chapitre suivant lui est consacrĂ©.

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Partie III.

L’articulation de la compliance et de l’arbitrage international

🕴️Jean-Baptiste Racine pose la đź“ťProblĂ©matisation des rapports entre Compliance et arbitrage. Il rappelle que l’arbitre est un juge, c’est mĂŞme le juge naturel du commerce international. L’arbitrage est donc naturellement destinĂ© Ă  rencontrer la compliance qui transforme l’action des entreprises dans un contexte international. Pour autant, les liens entre compliance et arbitrage ne sont pas Ă©vidents. Il n’est pas ici question d’apporter des rĂ©ponses fermes et dĂ©finitives, mais plutĂ´t, et avant tout, de poser des questions. Nous sommes au dĂ©but de la rĂ©flexion sur ce thème, ce qui explique qu’il y ait, pour l’heure, peu de littĂ©rature juridique sur le sujet des rapports entre compliance et arbitrage. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de connexions. Tout simplement, ces rapports n’ont peut-ĂŞtre pas Ă©tĂ© mis au jour, ou ils sont en devenir. Il convient de s’interroger sur les ponts existants ou potentiels entre deux mondes qui ont longtemps gravitĂ© de manière sĂ©parĂ©e : la compliance d’une part, l’arbitrage d’autre part. L’auteur formule ainsi ce qui lui apparaĂ®t ĂŞtre la question centrale : l’arbitre est-il ou peut-il ĂŞtre un juge de la compliance et, si oui, comment ?

En toute hypothèse, l’arbitre se trouve ainsi au contact de matières sollicitant les mĂ©thodes, les outils et les logiques de la compliance. Outre la prĂ©vention et la rĂ©pression de la corruption, trois exemples peuvent en ĂŞtre donnĂ©s. En premier lieu, l’arbitrage est confrontĂ© depuis plusieurs annĂ©es aux sanctions Ă©conomiques (embargos notamment). Le lien avec la compliance est Ă©vident, dans la mesure oĂą les textes prĂ©voyant des sanctions Ă©conomiques sont souvent accompagnĂ©s de dispositifs de compliance, comme aux États-Unis. L’arbitre est concernĂ© quant au sort qu’il rĂ©serve dans le traitement du litige aux mesures de sanctions Ă©conomiques. En deuxième lieu, le droit de la concurrence est une matière qui est entrĂ©e au contact de l’arbitrage Ă  partir de la fin des annĂ©es 1980. L’arbitrabilitĂ© de ce type de litige est dĂ©sormais acquise et les arbitres en font rĂ©gulièrement application. Parallèlement, la compliance a aussi fait son entrĂ©e en droit de la concurrence, certes de manière plus vivace aux États-Unis qu’en France. L’existence, l’absence ou l’insuffisance d’un programme de conformitĂ© portant sur la prĂ©vention des violations des règles de la concurrence sont ainsi des circonstances susceptibles d’aider l’arbitre dans l’apprĂ©ciation d’un comportement anticoncurrentiel. En troisième lieu, le droit de l’environnement est Ă©galement concernĂ©. Il existe une compliance environnementale, au regard par exemple de la loi du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance. Les entreprises sont ainsi chargĂ©es de participer Ă  la protection de l’environnement, par une internalisation de ces prĂ©occupations dans leur fonctionnement interne et externe (dans leur sphère d’influence). Dès lors qu’un arbitre est chargĂ© de trancher un litige en lien avec le droit de l’environnement, la question du rapport Ă  la compliance, sous cet angle, se pose naturellement. L’auteur en conclut que ce sont donc les multiples interactions entre compliance et arbitrage, avĂ©rĂ©es ou potentielles, qui sont ainsi ouvertes.

🕴️Eduardo Silva-Romero et 🕴️Raphaëlle Legru illustrent cette proposition générale en cernant les 📝places pour la compliance dans l’arbitrage d’investissement. Les auteurs soulignent la place nouvelle et grandissante de la compliance dans l’arbitrage international, notamment dans l’exigence de respect des valeurs éthiques, puisque les arbitres peuvent y implanter une morale qui manque parfois dans le commerce international, voire ne doivent mettre leur pouvoir qu’au service d’investisseurs qui respectent la loi.

Ainsi, la compliance se déploie à travers le contrôle classique par les arbitres de la légalité de l’investissement, ce qui vaut à la fois pour l’établissement du traité lui-même et pour l’investisseur. Plus récemment l’arbitre peut exercer un contrôle sur un projet d’investissement d’une social licence to operate de l’investisseur, notion liée à la responsabilité sociale des entreprises et apparue notamment pour la protection des peuples autochtones. Plus encore, la compliance peut justifier une appréciation substantielle par l’arbitre du respect effectif des droits des personnes et de l’environnement via un traité d’investissement, l’État partie pouvant agir pour l’effectivité de ces droits.

🕴️Catherine Kessedjian exprime une ambition de mĂŞme ampleur en dĂ©signant đź“ťL’arbitrage au service de la lutte contre la violation des droits humains. En choisissant d’inclure dans le titre de l’article l’expression « violation des droits humains par les entreprises Â», l’auteur prend le parti d’une orientation qui pose difficultĂ©, dans la mesure oĂą de très nombreux intitulĂ©s militent pour le privilège de « reprĂ©senter Â» la matière souvent rĂ©duite Ă  des acronymes : RBC (responsible business conduct), RSE (responsabilitĂ© sociĂ©tale des entreprises), ESG (environnement, social et gouvernance), pour ne citer que les trois principaux. La prĂ©fĂ©rence de l’auteur irait, de très loin, Ă  RBC, la RSE ayant Ă©tĂ© discrĂ©ditĂ©e aux dires de nombreuses ONG et l’ESG Ă©tant trop connotĂ© « finance Â». En tout Ă©tat de cause, il s’agit de traiter de l’attitude des entreprises qui, dans la conduite de leurs activitĂ©s, vont engendrer des dommages envers les parties prenantes, qu’elles soient « internes Â» (salariĂ©s, clients, partenaires, sous-traitants…) ou externes (sociĂ©tĂ© civile locale, communautĂ©s dans lesquelles l’activitĂ© prendra place, environnement, etc.).

Juridiquement, chaque cas peut être qualifié différemment et engendrer l’application de règles de procédure et substantielles différentes. Quand ces contentieux sont soumis à des arbitres, de multiples questions se posent, dont la plus délicate a trait à la délimitation du pouvoir du tribunal arbitral, notamment si l’on part de l’idée que la compliance vise une attitude proactive de l’entreprise dans un but clair de prévention. L’objectif de prévention va entraîner des modifications dans la conduite de l’arbitrage qui, par exemple, ne pourra pas demeurer confidentiel, la confidentialité étant un frein à l’effet préventif de la décision rendue.

Le chapitre continue en dĂ©composant plus techniquement l’arbitrage international, en commençant par son acteur principal. Ainsi, đź•´ Mathias Audit examine đź“ťLa position de l’arbitre en matière de compliance. En effet, pour que l’arbitre intervienne en matière de compliance, encore faut-il qu’il existe une « obligation de compliance Â». L’identification de celle-ci est dĂ©licate car elle ne peut gĂ©nĂ©ralement pas ĂŞtre cernĂ©e per se, si l’on ne la saisit qu’à travers le droit pĂ©nal, qui n’entre pas directement dans le champ de l’arbitrage, qui a dĂ©veloppĂ© une conception autonome des faits, notamment de corruption, par ailleurs reprochables pĂ©nalement. Mais parce que l’obligation de compliance est elle-mĂŞme autonome, puisqu’il s’agit de dĂ©tecter et de prĂ©venir divers dĂ©lits et manquements, les arbitres s’appuient sur les mĂ©canismes de dĂ©tection et de prĂ©vention en tant que tels, distincts de la commission Ă©ventuelle des faits dont on ne voulait pas qu’ils adviennent.

Mais la question de la source de cette obligation de compliance est centrale, car celle-ci doit prendre naissance dans une norme qui puisse mener Ă  un arbitrage. C’est le cas du contrat, par exemple un contrat d’intermĂ©diaire qui non seulement interdit toute pratique corruptive mais encore prĂ©voit audit ou contrĂ´le, ou encore la loi nationale, notamment le U.K. Bribery Act ou la loi dite « Sapin 2 Â», ou encore des dĂ©cisions imposant des programmes de compliance ou l’adoption non contrainte de ceux-ci par l’entreprise. Selon sa source, l’arbitre la prendra en compte. Si une obligation de compliance, ayant une source qui lui donne de la portĂ©e dans une procĂ©dure arbitrale, est considĂ©rĂ©e par l’arbitre comme mĂ©connue, les consĂ©quences dĂ©pendent souvent de la source. La solution est classique s’il s’agit de la lex contractus, plus difficile si c’est une loi qui a insĂ©rĂ© l’obligation dans la lex societatis, les exigences de compliance Ă©tant gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ©es comme des lois de police. Si les arbitres ne peuvent appliquer les sanctions attachĂ©es par la loi rĂ©pressive, ils peuvent Ă©tayer leur dĂ©cision en considĂ©ration du manquement constatĂ© pour apprĂ©cier la licĂ©itĂ© d’un comportement ou la validitĂ© d’un contrat, les Règles ICC pour combattre la corruption pouvant leur servir de guide d’analyse.

🕴️JĂ©rĂ©my Jourdan-Marques se joint Ă  ces rĂ©flexions en se demandant si l’on peut qualifier đź“ťL’arbitre comme juge ex ante de la compliance. S’appuyant sur l’analyse de Jean-Baptiste Racine, l’article dĂ©bute par une longue introduction relative aux rapports gĂ©nĂ©raux entre la compliance et l’arbitrage. Puis l’auteur traite dans une première partie l’arbitrage en amont de la survenance du litige, visant les rapports de l’entreprise dans son organisation avec d’autres entreprises pour ses activitĂ©s Ă©conomiques, par exemple des agents commerciaux. L’auteur examine la façon dont l’arbitrage peut rĂ©gler des difficultĂ©s qui surviennent entre eux, y compris lorsque celles-ci sont par ailleurs apprĂ©hendĂ©es par le droit de la compliance et les institutions en charge de celui-ci, notamment parce que des faits de corruption sont allĂ©guĂ©s et que le fait est allĂ©guĂ© par le dĂ©biteur lui-mĂŞme alors que le paiement n’est pas encore demandĂ©. La question juridique est alors de savoir s’il existe un « litige Â» ou non. Se situant plus encore en amont, l’auteur envisage l’adoption d’un programme de compliance dans lequel le recours Ă  l’arbitrage serait insĂ©rĂ©, pouvant alors ĂŞtre Ă  l’origine d’une irresponsabilitĂ© pĂ©nale, telle que l’article L. 122-4 du Code pĂ©nal la prĂ©voit, une sentence arbitrale pouvant produire un tel effet si elle est reconnue dans l’ordre juridique.

La seconde partie de l’article envisage l’arbitrage en l’absence de pluralitĂ© de parties, ce Ă  quoi pourraient correspondre les actes Ă©mis par l’Oversight Board de Facebook, cette sorte de juge n’étant pas saisi par des parties Ă  un litige. Il pourrait ĂŞtre judicieux de qualifier ce mĂ©canisme d’arbitrage, mĂŞme si cette qualification est difficile Ă  retenir. En tout cas, si on le faisait en admettant qu’une volontĂ© unilatĂ©rale fasse naĂ®tre une mission juridictionnelle, il conviendrait que des garanties entourent une telle institutionnalisation. Elles peuvent passer par des organismes spĂ©cifiques en matière de compliance, en dehors ou au sein des institutions d’arbitrage existantes, lesquelles doivent alors devenir moteur en la matière. En outre, le choix des arbitres devrait sans doute passer par l’institution mĂŞme pour que l’impartialitĂ© demeure incontestable et que le profit soit variĂ©. La procĂ©dure aurait Ă©galement vocation Ă  ĂŞtre inflĂ©chie du fait de l’absence de vĂ©ritable litige, justifiant l’amĂ©nagement du contradictoire (au sens Ă©troit de celui-ci, liĂ© au dĂ©bat) notamment par l’intervention d’amicus curiae et pour Ă©viter les fraudes par l’arbitrage et dans la procĂ©dure. En l’absence d’adversaire, l’office procĂ©dural de l’arbitre pourrait ĂŞtre reconsidĂ©rĂ© : sans modifier les termes de la question, il serait adĂ©quat qu’il ait davantage de facultĂ©s pour dĂ©cider des mesures adĂ©quates Ă  prendre pour pallier le non-respect des exigences de compliance. Enfin, la publicitĂ© paraĂ®t Ă  l’auteur indispensable pour que l’arbitrage ne soit pas instrumentalisĂ© par des parties, publicitĂ© qui pourrait concerner les dĂ©bats et les pièces produits. Ces exigences certes très Ă©levĂ©es donneraient en contrepartie une grande crĂ©dibilitĂ© Ă  la sentence qui en rĂ©sulte, justifiant la portĂ©e de celle-ci, et l’on pourrait songer Ă  labelliser un tel rĂ©sultat, label dont l’entreprise pourrait se prĂ©valoir. L’auteur en conclut que ces transformations s’eloignent tellement de l’arbitrage qu’on jouxte la dĂ©naturation, du fait notamment de l’absence de litige, mais cela permet aux entreprises d’externaliser la gestion de plus en plus lourde de la responsabilitĂ© engendrĂ©e par la compliance en lui offrant l’assistance d’une autoritĂ© juridictionnelle, dès l’instant que les garanties procĂ©durales en sont renforcĂ©es.

Suivant le tempo de l’arbitrage et les stratĂ©gies des lĂ©gislateurs, des contractants et des parties, 🕴️Elie Kleiman analyse đź“ťLes objectifs de la compliance confrontĂ©s aux acteurs de l’arbitrage. Il rappelle que l’arbitrage international, qui demeure le mode de règlement privilĂ©giĂ© des diffĂ©rends nĂ©s des relations commerciales internationales, est rattrapĂ© par la compliance dont les manifestations sont partout : centres d’arbitrage, arbitres et juridictions de contrĂ´le de la rĂ©gularitĂ© internationale des sentences sont rĂ©gulièrement appelĂ©s Ă  prendre en considĂ©ration les règles de la compliance.

L’auteur constate que la compliance a indĂ©niablement saisi les acteurs de l’arbitrage. En tant qu’acteurs d’une activitĂ© non rĂ©gulĂ©e, les institutions d’arbitrage et les arbitres doivent gĂ©nĂ©rer de la confiance ; leur aptitude Ă  une autorĂ©gulation efficace conditionne le succès de l’arbitrage et passe par la transparence et l’exemplaritĂ©. Cette compliance auto-imposĂ©e est aujourd’hui consubstantielle de l’arbitrage et s’illustre notamment dans les domaines classiques de la prĂ©vention des conflits d’intĂ©rĂŞts et du contrĂ´le de la disponibilitĂ© des arbitres, mais aussi dans ceux, plus nouveaux, de la paritĂ© et de la diversitĂ© ainsi que de la rĂ©duction de l’empreinte carbone. De plus, l’activitĂ© arbitrale et notamment le contrĂ´le de la rĂ©gularitĂ© internationale des sentences n’échappent pas Ă  une application ex post des critères issus de la compliance, particulièrement en matière de lutte contre la corruption et le blanchiment : il y a alors place pour le dĂ©bat, notamment en France, en raison de la porositĂ© des frontières entre les mĂ©thodes propres aux règles de compliance impĂ©ratives censĂ©es prĂ©venir les infractions les plus graves, et celles qui sont propres Ă  la constatation des Ă©lĂ©ments constitutifs de celles-ci en matière pĂ©nale. La question est d’importance, d’autant que l’impĂ©rativitĂ© croissante des prescriptions en matière de changement climatique et de droits humains viendra Ă©tendre le champ de ces tĂ©lescopages entre mĂ©thodes de la compliance et contrĂ´le des sentences arbitrales.

Mais l’arbitrage s’empare Ă  son tour de la compliance. Ainsi, les arbitres sont amenĂ©s Ă  statuer Ă  l’occasion de controverses issues d’activitĂ©s Ă©conomiques qui sont nĂ©es de la compliance : contrats relatifs Ă  la mise en place des dispositifs anticorruption et antiblanchiment comme des obligations de vigilance, opĂ©rations relatives Ă  la rĂ©duction de l’empreinte carbone et au changement climatique, etc. En outre, la compliance est Ă©galement une matière arbitrable, les arbitres Ă©tant conduits Ă  appliquer ou prendre en considĂ©ration les règles de compliance dans le règlement de litiges commerciaux ou d’investissement, notamment au titre des consĂ©quences que l’on peut tirer de leur mĂ©connaissance ou de leur observation.

Cette prise en considération peut prendre bien des formes. À ce titre, 🕴️François-Xavier Train analyse les rapports entre 📝Arbitrage et procédures parallèles exercées au titre de la compliance. L’article insiste tout d’abord sur le principe de l’autonomie de la procédure d’arbitrage internationale par rapport à laquelle les procédures parallèles demeurent étanches, qu’elles soient pénales ou déclenchées au titre du droit de la compliance. Dans la procédure arbitrale qui se déroule d’une façon autonome, les arbitres devant lesquels des faits par ailleurs évoqués dans ces procédures parallèles, notamment les faits de corruption, apparaissent devant eux comme des faits dont le caractère illicite est allégué, et c’est à ce titre qu’ils peuvent et doivent les appréhender, en utilisant le standard de preuve qu’est le faisceau d’indices.

Dans un second temps, l’article met en lumière les limites de l’autonomie de l’arbitrage international. Il peut s’agir de limites de fait, car dans sa recherche des preuves les red flags sont souvent des preuves trop peu consistantes pour asseoir une sentence, d’autant plus que celle-ci peut subir le contrôle par le juge de sa conformité à l’ordre public international, l’annulation par le juge pouvant s’appuyer sur des éléments extérieurs, voire ultérieurs à la procédure d’arbitrage. Il peut alors être sage pour les arbitres, qui n’y sont pas contraints, de suspendre leur procédure pour attendre les résultats des procédures parallèles entamées au titre de la compliance, pour que les cours en soient harmonieux.

Enfin, 🕴️Claire Debourg examine đź“ťLa compliance au stade du contrĂ´le des sentences arbitrales. L’article analyse le rĂ´le de la compliance une fois la sentence arbitrale rendue, Ă  l’occasion du contrĂ´le de celle-ci par le juge Ă©tatique. L’auteur souligne d’une façon gĂ©nĂ©rale que le juge peut Ă  cette occasion contrĂ´ler l’application par l’arbitre des règles de compliance, le conduisant Ă  dĂ©finir celles-ci comme un ensemble de techniques de dĂ©tection et de prĂ©vention de pratiques rĂ©prĂ©hensibles, notamment par de la Soft Law mise en place par les entreprises et s’articulant avec des règles impĂ©ratives, comme la loi dite « Sapin 2 Â» de 2016 ou la loi dite « Vigilance Â» de 2017, qui fait s’interpĂ©nĂ©trer compliance et arbitrage. Dans un litige soumis Ă  un arbitrage, la violation d’une règle de compliance peut ĂŞtre allĂ©guĂ©e par l’une des parties, parce qu’une obligation de compliance aura Ă©tĂ© contractualisĂ©e, par exemple mettant Ă  la charge d’une partie la prĂ©vention de la corruption ou le devoir contractualisĂ© de vigilance, dont le manquement justifiera une rĂ©siliation, le dĂ©clenchement de pĂ©nalitĂ©s ou une responsabilitĂ© contractuelle, voire une annulation en cas d’obligation prĂ©contractuelle de transfert d’information.

Le juge étatique intervient alors à ce titre, avec le pouvoir d’annuler la sentence ou d’en refuser l’exequatur en France en cas de violation de l’ordre public international, la compliance pouvant aussi être considérée dans le contrôle fait par le juge du respect par l’arbitre de sa mission et des principes d’indépendance et d’impartialité. L’article développe plus particulièrement le contrôle désormais renforcé au titre de l’ordre public international. L’auteur doute que l’on puisse élever les règles de compliance au rang d’ordre public international pouvant fonder une annulation de sentence. Mais sa considération joue un rôle indirect en ce que ses outils permettent d’établir des violations de règles d’ordre public international, conduisant à faire jouer à la compliance un rôle probatoire décisif pour l’effectivité de l’ordre public international dont le juge est le gardien.

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Partie IV.

Le juge dans le droit de la compliance

Pas plus que pour le reste du Droit, le juge n’est l’élĂ©ment pathologique du droit de la compliance : il est au contraire celui qui fait le lien entre l’entreprise et les obligations de compliance que celle-ci prend Ă  sa charge, sur ordre des lĂ©gislateurs ou parce qu’elle partage leur volontĂ© de servir des intĂ©rĂŞts communs, ce lien Ă©tant Ă©prouvĂ© et confortĂ© Ă  travers les procès. C’est pourquoi, plus le droit de la compliance va gagner en maturitĂ© et plus il va laisser une part de plus en plus restreinte au juge pĂ©nal, pour avoir une conception plus gĂ©nĂ©rale de l’office du juge, celui-ci Ă©tant lui-mĂŞme renouvelĂ© par le droit de la compliance en ce qu’il va se situer en ex ante, notamment en matière numĂ©rique et climatique.

C’est dans cette perspective que 🕴️Marie-Anne Frison-Roche ouvre ce chapitre IV en examinant đź“ťLe juge, l’obligation de compliance et l’entreprise : le système probatoire. Devant le juge, l’entreprise doit prouver qu’elle a mis en Ĺ“uvre son obligation de compliance, la preuve opĂ©rant ainsi le lien qui doit effectuer entre l’entreprise dans son rapport avec les obligations de compliance qu’elle assume et les juges devant lesquels elle rend compte Ă  ce titre : ce lien est opĂ©rĂ© par le jeu des preuves. Or le système probatoire de la preuve est encore Ă  construire, ce dont la contribution pose les prolĂ©gomènes. Ă€ cette fin, l’article dĂ©bute par une description de ce qui est dĂ©signĂ© comme le « carrĂ© probatoire Â» dans un « système probatoire Â» qui se superpose au système des règles de droit substantiel. Cela est d’autant plus important que la compliance semble ĂŞtre en choc frontal dans ses principes mĂŞmes avec les principes gĂ©nĂ©raux du système probatoire, notamment parce qu’il semble que l’entreprise doive prouver l’existence du Droit ou qu’elle doive supporter d’une façon dĂ©finitive la charge de prouver l’absence de violation, ce qui paraĂ®t contraire non seulement Ă  la prĂ©somption d’innocence mais aussi au principe de la libertĂ© d’action et d’entreprendre. Pour rĂ©articuler le droit de la compliance, les obligations de compliance qui lĂ©gitimement pèsent sur l’entreprise, il faut revenir sur le système probatoire spĂ©cifique Ă  la compliance, pour que celle-ci demeure dans l’État de droit. Cela suppose que l’on adopte une dĂ©finition substantielle de la compliance, qui ne soit pas seulement le respect des règles, ce qui n’est qu’une dimension minimale, mais que l’on dĂ©finisse le droit de la compliance par les buts monumentaux pour lesquels, d’une façon substantielle, les autoritĂ©s publiques et les entreprises font alliance. Le système probatoire gĂ©nĂ©ral fait jouer ses quatre sommets entre eux :  la charge des preuves, les objets de preuve, les moyens de preuve et leur recevabilitĂ©. Le droit de la compliance ne sort pas de ce carrĂ© probatoire, marquant en cela sa pleine appartenance Ă  l’État de droit pour poser les bases du système probatoire spĂ©cifique au droit de la compliance. La première partie de l’article cerne les objets de preuve qui lui sont spĂ©cifiques, en distinguant les dispositifs structurels, d’une part, et les comportements attendus, d’autre part. Les premiers impliquent que soit prouvĂ©e la mise en place effective des structures requises au regard des buts monumentaux de la compliance. L’objet de preuve est alors l’effectivitĂ© de cette mise en place, ce qui prĂ©sente l’efficacitĂ© du dispositif. En ce qui concerne les obligations comportementales, l’objet de preuve est dans les efforts dĂ©ployĂ©s par l’entreprise pour obtenir ces comportements le principe de proportionnalitĂ© gouvernant l’établissement de cette preuve, tandis que l’efficience systĂ©mique de l’ensemble conforte le dispositif probatoire. Mais la sagesse probatoire consiste pour l’entreprise, alors mĂŞme que le principe demeure celui de la libertĂ© de la preuve, Ă  prĂ©constituer l’effectivitĂ©, l’efficacitĂ© et l’efficience de l’ensemble, indĂ©pendamment des charges de preuve.

La deuxième partie de l’article vise ceux qui supportent la charge de preuve en droit de la compliance. Celui-ci fait porter par principe ce poids sur l’entreprise, au regard de ses obligations lĂ©gales. Cette charge vient de l’origine lĂ©gale des obligations, laquelle bloque la « ronde des charges de preuve Â». Mais dans l’interfĂ©rence des diffĂ©rents sommets du carrĂ© probatoire, la question devient plus dĂ©licate lorsqu’il s’agit de dĂ©terminer les contours des obligations de compliance que l’entreprise doit exĂ©cuter. En outre, la charge de preuve peut elle-mĂŞme faire l’objet de preuve, comme l’exĂ©cution par l’entreprise de ses obligations lĂ©gales peut elle aussi faire l’objet de contrats, ce qui fait revenir dans le système probatoire ordinairement applicable aux obligations contractuelles. La situation est d’ailleurs diffĂ©rente lorsqu’il s’agit d’un « contrat de compliance Â» ou lorsqu’il s’agit d’une ou de plusieurs stipulations de compliance, notions encore peu Ă©laborĂ©es en droit des contrats. En outre, toutes les branches du Droit appartenant Ă  un système juridique qui gouvernent par le principe de l’État de droit, d’autres branches du Droit interfèrent et modifient les mĂ©thodes et solutions probatoires. Il en est ainsi lorsque le fait, qui est objet de preuve, peut donner lieu Ă  sanction, le droit de la rĂ©pression imposant ses solutions propres en matière de charge de preuve. Dans une troisième partie de l’article, sont examinĂ©s les moyens de preuve pertinents en droit de la compliance, utilisĂ©s parce que le droit de la compliance est avant tout une branche du Droit dont l’objet est d’une part l’information et d’autre part l’avenir. Des questions ouvertes demeurent, comme celle de savoir si les entreprises pourraient ĂŞtre contraintes par le juge Ă  construire des technologies pour inventer de nouveaux moyens de preuve afin de donner Ă  voir qu’elles concrĂ©tisent effectivement les buts monumentaux dont elles sont chargĂ©es. Dans une quatrième partie est montrĂ© le caractère vital de la prĂ©constitution des preuves, qui est le reflet de la nature ex ante du droit de la compliance : il faut prĂ©constituer des preuves pour Ă©carter la perspective mĂŞme d’avoir Ă  les utiliser, en trouvant tous les moyens d’établir l’effectivitĂ©, l’efficacitĂ©, voire l’efficience des diffĂ©rents outils de la compliance. Si les entreprises font tout cela avec mĂ©thode, le système probatoire de la compliance sera Ă©tabli, en harmonie Ă  la fois avec le système probatoire gĂ©nĂ©ral, le droit de la compliance et l’État de droit.

🕴️Juliette Morel-Maroger montre la part que les juges prennent dans cette insertion de la compliance dans l’État de droit, notamment en Europe, en Ă©tudiant đź“ťLa rĂ©ception des normes de la compliance par les juges de l’Union europĂ©enne. Elle montre que, destinĂ©es Ă  poursuivre la rĂ©alisation d’objectifs d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral – ou de buts monumentaux â€“ les normes de compliance ont en principe pour objet de modifier et d’orienter les comportements des opĂ©rateurs Ă©conomiques. Pour parvenir Ă  la rĂ©alisation de ces objectifs, la compliance utilise toute la variĂ©tĂ© de la gamme de la normativitĂ©. Quel est et doit ĂŞtre le rĂ´le des juges de l’Union europĂ©enne face au dĂ©veloppement des normes de compliance ? Comme en droit interne, la juridicitĂ© mĂŞme des normes de compliance Ă©laborĂ©es par les autoritĂ©s de rĂ©gulation est contestĂ©e.

Il conviendra d’analyser dans un premier temps quel contrĂ´le opèrent les juges de l’Union europĂ©enne Ă  leur Ă©gard, la question se posant ici essentiellement pour les règles de droit souple dont la contestation peut ĂŞtre envisagĂ©e par deux voies : par le biais d’un recours en annulation et par voie d’exception par le biais d’un recours prĂ©judiciel. Mais au-delĂ  du contrĂ´le de la lĂ©galitĂ© des normes de compliance exercĂ© par les juges europĂ©ens, ceux-ci contribuent aussi Ă  leur application. L’efficacitĂ© de la compliance repose avant tout sur l’adhĂ©sion de ses destinataires, les opĂ©rateurs Ă©conomiques Ă©tant sans aucun doute les premiers acteurs de son succès. Mais les juges de l’Union europĂ©enne, compĂ©tents pour trancher les litiges relatifs Ă  l’application du droit de l’Union europĂ©enne entre les États membres, les institutions europĂ©ennes et les requĂ©rants individuels, peuvent ĂŞtre amenĂ©s dans le cadre des recours dont ils sont saisis Ă  assurer l’effectivitĂ© des normes europĂ©ennes de compliance et Ă  les interprĂ©ter.

L’efficacitĂ© juridictionnelle tient aussi dans la simplicitĂ©. Dans cette perspective, 🕴️Sophie Schiller Ă©voque đź“ťUn juge unique en cas de manquement international Ă  des obligations de compliance. Elle souligne que, vu le caractère très international des sujets apprĂ©hendĂ©s, des acteurs en cause et donc des contentieux en matière de compliance, il est essentiel de savoir si une personne peut ĂŞtre mise en cause devant plusieurs juges, rattachĂ©s Ă  des Ă©tats diffĂ©rents, ou mĂŞme si elle peut ĂŞtre condamnĂ©e par plusieurs juridictions. La rĂ©ponse est donnĂ©e par le principe non bis in idem qui fait l’objet d’une riche jurisprudence sur le fondement de l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH, clairement inapplicable pour des juridictions Ă©manant d’États diffĂ©rents. Pour apprĂ©cier si des manquements Ă  des obligations de compliance pourront faire l’objet de sanctions multiples dans des Ă©tats diffĂ©rents, il conviendra de rechercher d’abord si des fondements textuels sont invocables. Ă€ l’échelle europĂ©enne, l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux permet aujourd’hui d’invoquer le principe non bis in idem. Applicable Ă  tous les domaines de la compliance, il assure une protection très forte qui couvre non seulement les condamnations, mais Ă©galement les poursuites. Tout comme ses effets, le champ d’application de l’article 50 est très large. Les procĂ©dures concernĂ©es sont celles qui ont une nature rĂ©pressive, au-delĂ  de celles prononcĂ©es par des juridictions pĂ©nales au sens strict, ce qui permet de couvrir les condamnations prononcĂ©es par une des nombreuses autoritĂ©s de rĂ©gulation compĂ©tentes en matière de compliance. Ă€ l’échelle internationale, la situation est moins claire. Pourra ĂŞtre invoquĂ© l’article 14-7 du Pacte international sur les droits civils et politiques, Ă  condition de surmonter plusieurs obstacles dont la dĂ©cision du 2 novembre 1987 du ComitĂ© des droits de l’homme qui l’a restreint au cadre interne, c’est-Ă -dire Ă  l’hypothèse d’une double condamnation par un mĂŞme État.

MĂŞme si des fondements sont applicables, deux spĂ©cificitĂ©s des situations de compliance risquent d’entraver leur application, les premières liĂ©es aux règles processuelles applicables, en particulier les règles de compĂ©tence, et les secondes liĂ©es aux spĂ©cificitĂ©s des situations. L’application de la règle non bis in idem n’est formellement admise qu’en ce qui concerne la compĂ©tence universelle et les compĂ©tences personnelles, c’est-Ă -dire les compĂ©tences extraterritoriales, ce qui ne constitue qu’une partie des compĂ©tences. La Cour de cassation l’a confirmĂ© dans le cĂ©lèbre arrĂŞt dit « PĂ©trole contre nourriture Â» du 14 mars 2018. Le refus de reconnaĂ®tre Ă  ce principe un caractère universel, quelle que soit la règle de compĂ©tence en cause, prive les entreprises françaises d’un moyen de dĂ©fense. En outre, la rĂ©pression des atteintes aux règles de compliance se règle de plus en plus souvent par des mĂ©canismes transactionnels. Ces derniers n’entreront pas toujours dans le champ d’application des règles europĂ©ennes et internationales posant le principe non bis in idem, faute d’être parfois qualifiĂ©s de « jugement dĂ©finitif Â» selon les termes de l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux et de l’article 14-7 du Pacte international sur les droits civils et politiques.

Les manquements commis en matière de compliance reposent souvent sur des actes multiples. En dĂ©coulent des prescriptions dont le point de dĂ©part est retardĂ© au dernier Ă©vĂ©nement et une compĂ©tence juridictionnelle facilitĂ©e pour les juridictions françaises dès lors qu’un seul des faits constitutifs est constatĂ© en France. En matière de compliance, le principe non bis in idem ne permet gĂ©nĂ©ralement donc pas de protĂ©ger les entreprises et n’empĂŞche pas qu’elles soient attraites devant des juridictions de deux pays diffĂ©rents pour la mĂŞme affaire. Il leur accorde nĂ©anmoins une autre protection, en obligeant Ă  tenir compte des dĂ©cisions Ă©trangères pour dĂ©terminer le montant de la peine. La sanction retenue contre Airbus SE dans la Convention judiciaire d’intĂ©rĂŞt public (CJIP) du 29 janvier 2020 en est une parfaite illustration.

Pour intĂ©grer tant de perspectives diffĂ©rentes, le juge doit utiliser des mĂ©thodes nouvelles, dont le droit souple est un Ă©lĂ©ment central. 🕴️Fabien Raynaud Ă©tudie đź“ťLe juge administratif et la compliance. Il y souligne les rapports Ă©troits entre la compliance et le droit souple, tel que le juge administratif l’a introduit dans sa jurisprudence. Ce fut notamment le cas par les arrĂŞts du Conseil d’État de 2016, portant sur des sujets de droit de la rĂ©gulation, ce que prolonge le droit de la compliance. Ce souci d’internaliser dans les entreprises ce que veulent les autoritĂ©s publiques avait d’ailleurs Ă©tĂ© pris en considĂ©ration par le Conseil d’État par petites touches Ă  partir de 2010 et s’est continuellement Ă©toffĂ©. C’est notamment le cas lorsque les documents Ă©mis sont « de nature Ă  produire des effets notables, notamment de nature Ă©conomique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent Â», ce qui rejoint directement les enjeux de compliance. La nouvelle conception adoptĂ©e par le Conseil d’État a conduit celui-ci Ă  contrĂ´ler de nombreuses « positions Â», « recommandations Â», « lignes directrices Â», etc., adoptĂ©es par de multiples autoritĂ©s, notamment pour protĂ©ger les personnes sur lesquelles ces actes ont un « effet notable Â», n’hĂ©sitant pas parfois Ă  censurer l’organisme Ă©metteur. Le droit souple en matière de compliance bancaire, plus spĂ©cifiquement Ă©mis par l’EBA, a donnĂ© au juge administratif l’occasion d’ajuster son contrĂ´le Ă  celui exercĂ© par la Cour de justice saisie par une question prĂ©judicielle.

Ainsi, par sa jurisprudence sur la justiciabilitĂ© des actes de droit souple, le Conseil d’État s’affirme donc comme un acteur de la compliance en permettant aux entitĂ©s visĂ©es par ces actes et soumises Ă  leur Ă©gard Ă  une obligation de compliance de saisir le juge administratif d’un recours en annulation contre ces actes, afin qu’ils puissent ĂŞtre soumis Ă  un contrĂ´le de lĂ©galitĂ© et, le cas Ă©chĂ©ant, annulĂ©s. Mais encore faut-il que le juge administratif soit saisi. Il peut l’être dans de nouveaux domaines, par exemple en matière climatique, comme cela fut le cas dans l’affaire Grande Synthe. Par sa dĂ©cision, Le Conseil d’État va ainsi au bout de la logique du dispositif mis en place par le lĂ©gislateur et par le pouvoir rĂ©glementaire pour mettre en Ĺ“uvre les accords de Paris, lesquels reposent sur une forme de compliance Ă  l’échelle mondiale, chaque État signataire s’engageant, en quelque sorte, Ă  faire le nĂ©cessaire pour atteindre un objectif commun Ă  une date donnĂ©e, Ă  charge pour chacun de s’organiser pour l’atteindre. En l’absence d’un juge international capable de vĂ©rifier le respect de ces engagements, le juge national apparaĂ®t le plus naturel pour accepter de vĂ©rifier, lorsqu’il est saisi d’un litige en ce sens, que ces engagements ne restent pas lettre morte. Par ce mouvement gĂ©nĂ©ral, « La compliance est devenue un nouveau mode de rĂ©gulation d’un nombre croissant d’activitĂ©s Â».

De ce mouvement gĂ©nĂ©ral, le juge du Droit ne saurait ĂŞtre absent. C’est lui qu’🕴️Olivier Douvreleur examine dans ce nouveau rapprochement : đź“ťCompliance et juge du Droit. L’auteur admet que la compliance entretient avec le juge, et plus encore avec le juge du Droit, celui qui, par principe, ne connaĂ®t pas des faits qu’il laisse Ă  l’apprĂ©ciation souveraine des juges du fond – la Cour de cassation dans l’ordre judiciaire â€“, des rapports complexes. Ă€ première vue, la compliance est une technique internalisĂ©e dans les entreprises et la place qu’occupent les techniques de justice nĂ©gociĂ©e appelle peu l’intervention du juge du droit.

Son rôle a pourtant vocation à se développer, notamment à propos du devoir de vigilance ou dans l’articulation entre les branches du droit lorsque la compliance rencontre le droit du travail, ou encore dans l’ajustement entre le droit américain et notre système juridique. La façon dont le principe de proportionnalité va prendre place dans le droit de la compliance est également un enjeu majeur pour le juge du droit.

Enfin, ce qui est logique puisque le droit de la compliance se dĂ©finit par ses buts monumentaux, lesquels peuvent eux-mĂŞmes se retrouver dans l’ambition de protĂ©ger la personne, 🕴️Erik Wennerström termine ce livre par đź“ťQuelques rĂ©flexions sur la compliance et la Cour europĂ©enne des droits de l’homme. L’auteur rappelle que le dĂ©veloppement de la jurisprudence de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme, contribuant Ă  l’intĂ©gration europĂ©enne, a intĂ©grĂ© l’idĂ©e substantielle de « compliance Â» qui dĂ©passe l’idĂ©e de lĂ©galitĂ©, par rapport Ă  laquelle les entreprises demeurent passives, et promeut les systèmes juridiques comme des ensembles en interaction les uns avec les autres. L’auteur dĂ©veloppe l’esprit et la portĂ©e du Protocole 15 par lequel sont organisĂ©s Ă  la fois le principe de subsidiaritĂ© et les marges de manĹ“uvre des États signataires de la Convention, mĂ©canismes Ă©clairĂ©s par le principe de proportionnalitĂ©. La subsidiaritĂ© pose que les États sont les mieux placĂ©s pour concevoir l’application la plus adĂ©quate de la Convention, les liens Ă©troits entre les États permettant une application efficace de celle-ci. En outre, la procĂ©dure d’avis qui permet Ă  une juridiction nationale d’avoir, sur un cas pendant, l’opinion non obligatoire de la CEDH assure une meilleure efficace de la compliance au regard des objectifs de la Convention.

La jurisprudence de la Cour reprend cette exigence substantielle Ă  travers sa doctrine, notamment dĂ©gagĂ©e dans le cas Bosphorus, en soulignant que l’adhĂ©sion d’un État Ă  l’Union europĂ©enne prĂ©sume son respect des obligations dĂ©coulant de la CEDH, en exĂ©cutant le droit de l’Union europĂ©enne, mĂŞme si cette prĂ©somption peut ĂŞtre rĂ©futĂ©e si la protection est manifestement dĂ©faillante, ce qui fut admis dans plusieurs affaires, notamment Ă  propos du droit Ă  un tribunal impartial en matière de rĂ©gulation Ă©conomique. S’articulent ainsi les diffĂ©rents ordres juridiques. L’auteur conclut que la Cour europĂ©enne des droits de l’homme, comme la Cour de justice de l’Union, contribue Ă  la construction du droit de la compliance en Europe, dans une perspective ex ante favorisant les avis plutĂ´t que les sanctions ex post et crĂ©ant, notamment par la doctrine Bosphorus, des Ă©lĂ©ments de sĂ©curitĂ© et de confiance pour l’intĂ©gration europĂ©enne autour des valeurs communes aux diffĂ©rents systèmes juridiques articulĂ©s et laissant aux États les marges adĂ©quates pour favoriser cette intĂ©gration.

Ainsi s’achève cet ouvrage qui montre non seulement l’ampleur de📕La juridictionnalisation de la compliance, mais encore les bienfaits que les États de droit auront à l’avenir à en tirer profit pour que la compliance ne soit pas le fait d’obéir aveuglément à la réglementation, ce qui est la marque des systèmes totalitaires, mais au contraire soit le fait de tendre, dans une alliance entre les autorités publiques et les opérateurs économiques cruciaux, vers la concrétisation de buts monumentaux, dont la protection de la personne est le cœur, marque des démocraties.

C’est cela aussi l’enjeu mondial du droit de la compliance.

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