14 janvier 2015

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Par l'arrêt AZF du 13 janvier 2015, la Chambre criminelle conforte le principe d'impartialité en accroissant sa dimension objective et la référence au doute des tiers

par Marie-Anne Frison-Roche

Oublions un instant l'objet même de l'arrêt AZF et limitons la lecture à la question procédurale tranchée par l'arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 13 janvier 2015.

Celui-ci est très remarquable et mérite pleine approbation en ce qu'il affirme l'obligation des juges de respecter l'impartialité de l'institution juridictionnelle, mise à mal si les personnes qui ont à faire à elle peuvent établir un "doute objectif" concernant l'impartialité d'un juge.

A travers cette affirmation, c'est un jeu de présomptions, la principale étant la présomption de l'impartialité du juge, que la Cour de cassation établit, mettant en juste mesure les charges et les objets de preuve en la matière.

Lire ci-dessous un commentaire développé de l'arrêt.

 

 

 

Le principe d'impartialité est un principe majeur du droit, cela est acquis!footnote-142.

L'arrêt pose tout d'abord le "principe d'impartialité" dont bénéfice le juge. C'est un point essentiel et sur lequel il faut tenir. En effet, ce n'est pas au juge à prouver son impartialité. C'est à celui qui conteste de supporter la charge de preuve.

Mais l'arrêt est intéressant en ce qu'il précise quel est l'objet de preuve.

En effet, l'on pourrait considérer que, puisque ce sont ceux qui évoquent la violation du principe d'impartialité qui supportent la charge de preuve, ceux-ci devraient prouver la partialité des juges.

Or, cet objet de preuve est très lourd, dès l'instant que la personne n'a pas "partie liée" (partialité personnelle subjective) ou n'a pas déjà connu de l'affaire dans une fonction antérieure (partialité personnelle objective).

Mais la Cour de cassation prend la définition anglaise de l'impartialité, telle qu'elle est aujourd'hui reprise par la Cour européenne des droits de l'homme, dans son application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme dont la Chambre criminelle fait ici application.

L'institution de la justice tient sa légitimité de la confiance que lui accordent les membres de la société démocratique. Si ceux-ci peuvent avoir objectivement un doute, alors ce doute objectif brise la confiance qui était accordée à l'institution de justice et tout le système s'écroule.

C'est pourquoi l'impartialité a pour base technique la "confiance objective" que chacun fait à la justice. Si l'on tourne le principe dans l'autre sens, cela signifie que l'objet de preuve est le doute objectif que chacun peut avoir en raison de la situation ou du comportement du juge.

En l'espèce, l'un des magistrats désigné spécialement par le premier président de la Cour d'appel pour composer la juridiction d'appel pour connaître de l'affaire était vice-président d'une association de défense des victimes. Il a été établi que le magistrat avait informé le premier président de ces liens. Le président de la chambre ayant à statuer avait demandé au premier président de désigner en conséquence un autre magistrat. Le premier président avait estimé que l'appartenance du magistrat à une fédération d'association d'aide aux victimes ne le justifiait pas. Le Conseil supérieur de la Magistrature saisi, sa commission d'admission des requêtes avait estimé que la situation ne constituait pas un "manquement constituant une faute disciplinaire" mais engendrait une "interrogation de la part des prévenus quant à l'impartialité" du magistrat.

La Chambre criminelle relève que l'association dont le magistrat était vice-président a conclu des conventions d'entraide avec d'autres structures de défense des victimes pendant le procès et la Cour souligne "qu'il ne ressort pas des éléments soumis à la Cour de cassation que les demandeurs aient eu connaissance" pendant le procès des fonctions du magistrat dans l'association, ni des relations de coopération entre les associations, ce qui n'a pas permis aux parties de former une demande en récusation en temps utile.

La Chambre criminelle pose en premier lieu que l'adhésion d'un juge à une association, et spécialement à une association ayant pour mission de veiller à l'information et à une garantie des droits des victimes, laquelle, aux termes de l'article préliminaire II du code de procédure pénale, entre dans les attributs de l'autorité judiciaire, n'est pas, en soi, de nature à porter atteinte à la présomption d'impartialité dont il bénéficie.

Cet attendu donne la méthode d'appréciation :

  • En premier lieu, est la présomption générale d'impartialité dont bénéficie le juge ;
  • En deuxième lieu, est son droit d'adhérer à une association, mais ici vient l'ambiguïté car on ne sait si le type de l'association est un renforcement de son droit ou une sorte de condition. En effet, comme cela tombe bien, ici l'objet de l'association correspond exactement à l'office du juge : informer et garantir les droits des victimes. Sans doute pas de problème si l'objet de l'association est neutre. Mais quid si l'objet de l'association est "agressif" (et l'on sait que non seulement il y a abstraitement une ample jurisprudence sur le droit des juges à se syndiquer ou à entrer dans des associations, mais on connait les affaires en cours dans lesquelles des juges appartenant à des groupements plus orientés et dont l'objet ne converge pas avec leur office voient leur impartialité objective ou subjective mise en doute) ;
  • En troisième lieu, notamment comme en matière d'arbitrage, le fait déterminant est de n'avoir pas informé les parties de liens qui auraient pu nourrir une demande de récusation en temps utile ;
  • Faut-il a contrario en conclure que la révélation suffit pour que le grief d'impartialité ne puisse plus être invoqué par la suite si la demande de récusation n'a pas été formée ?

 

L'attendu formule également l'objet de preuve : l'existence que ces éléments, s'ils avaient été connus des parties, aurait fait naître un doute car "ces éléments étaient de nature à créer, dans leur esprit, un doute raisonnable, objectivement justifié, sur l'impartialité de la juridiction".

C'est pourquoi l'arrêt est cassé dans toutes ses dispositions et l'affaire renvoyée devant la Cour d'appel de Paris.

 

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Il s'agit là d'un arrêt tout à fait remarquable.

En premier lieu, la Cour de cassation conformément à ce qu'avait annoncé son premier président, se comporte en "Cour suprême", puisqu'elle apprécie au fond, l'arrêt faisant état des débats qui se sont déroulés devant elle et allant directement chercher les faits de l'espèce pour fonder son appréciation en droit, ce qui est le comportement d'un juge au sens plein, tel que le formule l'article 12 du Code de procédure civile.

En second lieu, l'objet de la preuve se déplace, de la démonstration d'une partialité (telle que précédemment décrite) à la démonstration d'un "doute objectif", déplacement qui allège de fait la charge de preuve.

Ainsi, l'enjeu d'un procès étant avant tout la répartition des charges de preuve et le jeu des présomptions, si le juge est protégé par la présomption d'impartialité, la partie voit sa charge de preuve immédiatement allégée par un déplacement d'objet de preuve : il lui faut mais il lui suffit de démontrer l'existence d'un "doute objectif".

Faisant désormais comme le fait le Conseil d'État, dans une sorte de service d'après-vente, la Cour de cassation associe à ce qui y est appelé une "décision" (marque d'une "Cour suprême" ...), un Communiqué. On n'est jamais mieux commenté que par soi-même. Ainsi, il est affirmé que : "Cette décision s’inscrit dans la ligne d’arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme et des recommandations déontologiques du Conseil supérieur de la magistrature".

Il est vrai qu'en affirmant cela, les auteurs de ces lignes cherchent à fonder davantage l'autorégulation du corps judiciaire, puisque ce sont les mêmes qui élaborent ces recommandations et qui siègent dans les juridictions. Mais cette déontologie est fondée sur la confiance accordée par les tiers, seule façon de justifier l'autorégulation. Il demeure l'essentiel, à savoir que ceux qui croient que l'impartialité est le principe clé du système juridique!footnote-144 ne peuvent être que très satisfaits par une telle décision.

 

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1

V. par exemple, Frison-Roche, M.-A., Le droit à un tribunal impartial, 2012, et les références citées.

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