March 5, 2021

Public Auditions

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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Appliquer la notion de "Raison d'être" à la profession du Notariat", audition par le Conseil supérieur du notariat (CSN), 5 mars 2021.

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🔴trois ans plus tard, cette démonstration fût reprise et approfondie dans une audition devant le Conseil Supérieur du Notariat à propos de la Compliance, sur laquelle un rapport était élaboré, les notions de raison d'être et de compliance étant intimement corrélées comme cela est montré ci-dessous : consulter la présentation de l'audition de 2024..

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Résumé de l'intervention débutant l'audition : L'on peut prendre "raison d'être" dans son sens courant et dans son sens plus juridique. Dans son sens courant, il est bien difficile de déterminer ce qu'est une "raison d'être". Le plus souvent on ne le traduit pas, en anglais on dira purpose , c'est-à-dire ce qui caractérise l'être humain par rapport à la machine, comme le souligna Alain Supiot, tandis que la langue japonaise le traduit comme Ikigaï, ce qui va animer la personne. L'on sent bien que le souffle de l'esprit passe dans cette notion, qui anime la personne, la porte dans une action qui ne sera pas mécanique, qui va la dépasser elle-même, la fait tout à la fois se distinguer des autres et se rapprocher de ses alter ego.... 

Mais le Droit a transformé cette notion, si proche de l'éthique, voire de l'art, par laquelle l'individu est "transporté dans le temps par une action partagée avec quelque uns, en un "conception juridique". Cette expression de "raison d'être" est aujourd'hui estampillée par le Droit. A travers une vision renouvelée de l'Entreprise, désormais portée par la législation.  En tant qu'une entreprise, selon une définition fortement développée par Alain Supiot est un "projet commun" qui vise une action commune concrétisant un projet conçu ensemble pour être réalisé dans le futur, l'organisation et les moyens n'étant que le reflet de cela. Dans cette définition de l'entreprise, centrée sur la "raison d'être", l'organisation, les moyens, les pouvoirs et les droits de chacun, les rouages internes et les intérêts extérieurs ne sont pas premiers, ils sont totalement imprégnés par cette "raison d'être". Dire la raison d'être, l'affirmer et savoir précisément ce qu'elle est dessine la régime applicable. C'est pourquoi la "raison d'être" a changé en 2019 le Droit des sociétés et le Droit financier. 

 Elle fût d'abord adoptée par le rapport que Nicole Notat et Dominique Senard remirent le 9 mars 2018 au Ministre de l'Economie et des Finances en réponse à la question posée par celui-ci : l'entreprise peut-elle contribuer à l'intérêt général ? Et la réponse tînt dans cette expression-là : pourquoi pas, si c'est la "raison d'être" de l'entreprise que de s'arracher à la seule préoccupation de se développer afin de devenir toujours plus riche, d'avoir aussi un projet qui inclut le souci d'autrui, d'un autrui qui n'ait pas pour seul souci l'appât du gain, d'avoir le souci d'un intérêt autre (les autres visant pour les auteurs de ce rapport "l'intérêt collectif" et non plus l'intérêt général), par exemple l'intérêt de la Terre, dont la temporalité excède celle de la vie humaine, si fortunée soit cette vie de l'actionnaire et si somptueuse soit la tombe de celui-ci. 

La "raison d'être" est donc une notion juridique. A ce titre le Droit des sociétés a changé et l'on en rend les mandataires sociaux responsables : ils doivent montrer qu'ils ont pris en charge d'autres intérêts. L'article 1833 du Code civil a été modifié dans ce sens. Pour pouvoir remplir les nouvelles obligations qu'engendre l'évolution de leur mandat fiduciaire, cela justifie un élargissement de leur "pouvoir" car il est plus difficile encore de faire le bien d'autrui en plus de que rendre riche les associés. Si en plus il faut se soucier de l'environnement et de l'égalité entre les femmes et les hommes ... Les études pleuvent non seulement sur la pertinence managériale et financière de l'approche (plutôt favorable) mais encore juridique (par exemple lorsqu'il y a une offre publique, l'offreur devrait-il démontrer qu'il ferait plus que le bonheur des investisseurs en se saisissant du contrôle de la société-cible ?). 

Parle de "raison d'être", c'est donc appliquer un régime juridique à une organisation. Il est fructueux de prendre l'expression au sérieux, c'est-à-dire au pied de sa lettre juridique, car si le Droit est toujours ancré dans le langage courant, les mots gagnent souvent en rigueur et précision par leur entrée dans l'espace juridique. Dans le Droit des sociétés, on a pu critiquer la notion en tant qu'elle diluait la notion d'intérêt social dans de l'insécurité juridique, mais cela permet aussi à l'organisation en cause d'avoir plus de liberté pour poser par sa volonté propre ce pour quoi elle consacre ses prérogatives. Puisque c'est l'entreprise elle-même qui va pose publiquement quelle est sa "raison d'être" (comme elle a posé son objet social) 

La "raison d'être" a été conçue pour une "entreprise", pour laquelle la "personnalité morale" a été définie comme n'étant qu'un instrument juridique qui lui permet d'accéder au commerce juridique, selon l'acception retenue par le rapport Notat-Senard. Le Droit va donc vers de plus en plus de "réalisme". 

Le notariat se prête particulièrement bien à la notion juridique de "raison d'être". Pour trois raisons. En premier lieu, parce que le Notariat est une profession et que les professions sont des organisations qui sont souvent animées par des projets communs, un esprit commun. C'est même précisément cela que le Droit de la concurrence leur reproche, cette "entente" autour d'une communauté de valeurs, cristallisée par des règles d'organisation (même si l'évolution de ce Droit dans le bon accueil de l'organisation des "groupes de sociétés", notamment face à un appel d'offre montre que cette branche du Droit évolue).

En deuxième lieu, une étude notariale est une entreprise. Pourquoi ne pas l'admettre, et même prendre appui sur cela ? Parce que le Droit des sociétés a si fortement évolué avec la loi Pacte, l'on pourrait considérer que structurellement une étude notariale est une "entreprise à mission". Ce qui doit conduire la profession à étudier de très près ce statut emprunté au Droit britannique, droit incontestablement libéral qui conçoit qu'une entreprise se développe et fasse un chiffre d'affaires, mais pas que. 

En troisième lieu, les entreprises à mission se développent dans une architecture institutionnelle par laquelle elles doivent donner à voir l'effectivité de la concrétisation de leur mission. Il a donc deux impératifs : dire exactement quelle est cette mission en amont et donner à voir à tous (et pas seulement à l'Etat) que cette mission, qui justifie de s'écarter du Droit commun de la rencontrer de l'offre et de la demande) est remplie : cela est confiée à la "profession", cadre institutionnel indispensable qui exerce un contrôle permanent (et non pas des contrôles ponctuels comme le font les Autorités de concurrence). 

 

Dès lors, si l'on observe que l'étude notariale a une activité économique de service, ce qui est le cas, elle est légitime comme toute entreprise à avoir une "raison d'être", voire à être une "entreprise à mission". Si en outre, elle appartient à une "profession", elle est alors imprégnée de la "raison d'être" de celle-ci, ce qui n'entame pas sa nature d'entreprise (I). Les professions ne se ressemblant pas et la "raison d'être" donnant à chacun son identité, il convient de prendre au sérieux celle du Notariat pour en tirer à l'avenir les conséquences techniques (II). 

 

Lire le plan de l'intervention ci-dessous.

 

Jan. 17, 2019

Blog

Je vois passer des annonces sur des colloques et discussions universitaires sur la liberté de la presse dans une société qui serait "post vérité".

Tout étant discutable, tout devant être discutable, rien ne devait être acquis, les "autorités" (Dieu pour commencer) n'existant plus, nous serions dans une "post-truth society".

Mais les scientifiques dans le même temps qu'ils affirment que tout est discutable, en premier lieu posent qu'il y a en sciences des "points acquis" et sur lesquels l'on ne revient pas (la terre tourne, par exemple) affirment qu'il existe des choses vraies. Qu'on ne les connait pas toutes et pleinement et que dans le processus scientifique, dans le débat contradictoire, on prend pour vrai ce qui n'a pas été ni pleinement acquis (la terre tourne) ce qui répond à des critères de véracité, dont un autre n'a pas démontré la fausseté et qui a pu dépasser le stade de l'hypothèse avec notamment des matériaux probatoires.

Si pour de multiples raisons, dont l'exposé n'est pas ici l'objet, l'on pense que nous serions dans une société "post-vérité", que tout deviendrait "discutable", et qu'ailleurs cette "discutabilité" serait une vertu démocratique avec des limites qui justifient la lutte contre les "manipulations de l'information" (fake news), le point de départ n'est donc pas l'existence de la vérité, mais l'existence de discours. Société dans laquelle tout discours en voudrait un autre. Au départ, puisque la notion de "vérité" n'est plus le centre.

Si l'on opère un déplacement de ce type dans l'ordre du Droit (et on est en train de le faire), dans les discours qui sont émis dans un procès, il y a le "discours" de la partie poursuivante (l'Etat sous la forme du Ministère public) et le "discours" de la partie poursuivie (celui à propos duquel Ministère public allègue qu'il a commis un acte reprochable au regard de la Loi).

En Droit, la présomption d'innocence, prévue dans toutes les Constitutions des Etats de Droit pose l'idée « d’innocence ». C'est une idée première. La personne poursuivie est innocente. Jusqu'au moment où son adversaire impartial - le Parquet - aura démontré le contraire, c'est-à-dire sa culpabilité.

Mais l'on voit aujourd'hui aussi bien dans l'évolution des textes que des pratiques que le procès est devenu un débat où chacun dit ce qu'il veut pour convaincre, la personne poursuivie n'ayant plus cette sorte de "longueur d'avance" (de valeur constitutionnelle) qui est l'idée d'innocence. Les deux discours sur la façon dont les faits se sont passés se déroulent et ensuite on voit comment les juges sont convaincus pour l'un ou par l'autre. Mais c'est l'idée même d'Innocence qui disparaît avec l'effectivité de plus en plus faible de la présomption d'innocence.

"A chacun sa vérité", que chacun tienne son discours et que son discours prospère si nous sommes dans une "post-truth society" .... "à chacun sa version des faits", que chacun plaide et l'on verra qui aura été le plus convaincant, dans une société où le due process s'efface devant l'efficacité que la présomption d'innocence, c'est-à-dire l'idée même que nous sommes innocents, que c'est vrai, et que celui qui dit le contraire doit le prouver.

Est-ce dans cette société-là dans laquelle nous acceptons d'entrer ?

Car il est vrai que nous sommes tous d'une façon égale innocents. Nous n'avons pas à le prouver. C'est aussi vrai que la terre est ronde.

Si nous quittons cette idée d'Innocence, alors nous quittons l’État de Droit. Pour un Droit sans doute plus efficace, plus transparent, où chacun sera surveillé et fiché, car ainsi notre innocence sera pré-constituée, la technologie va bientôt le permettre. Nous reviendrons alors à des principes juridiques de l'Ancien Régime, souvent efficace et techniquement bien conçus mais qui ne connaissait pas la présomption d'innocence, période où l'on discutait de savoir si la terre est plate, si les femmes ont une âme, etc. Vaste programme.

 

Feb. 22, 2017

Thesaurus : Doctrine

Référence complète : Girard, Ch., Vérité et égalité : le paradoxe démocratique, in Thiercelin, Cl., Connaissance, vérité et démocratie, 22 février 2017. 
 
 
Lire l'ouvrage de Charles Girard, Délibérer entre égaux. Enquête sur l'idéal démocratique (Vrin),  qui a été publié en 2019, développant ses idées.
 
 
 
 
Résumé de la conférence.
 
La démocratie doit-elle renoncer à la vérité, et si elle le fait ne se perd-t-elle pas elle-même ?
Les décisions sont légitimes si elles résultent de "procédures" qui produisent de "bonnes" décisions (procéduralisme épistémique et égalitaire).
Cela renvoie aux compétences épistiques des individus, alors qu'ils sont à ce titre inégaux ("critique réaliste", qui transforme la démocratie en régime "paradoxal", puisque la démocratie ne peut concilier le souci de la vérité et le souci de l'égalité, alors qu'elle ne peut renoncer ni à l'un ni l'autre.
Il faut selon l'orateur partir du "souci de la vérité" et part pour cela de Kelsen. Si l'on pose qu'il existe des vérités dont le Politique doit se soucier, et que la population n'a pas toujours l'aptitude de discerner. Pour Hans Kelsen, la démocratie implique donc un relativisme, renonçant à rechercher la vérité (qui n'a aucune autorité particulière), faisant prévaloir la loi du nombre. Et pour sacrifier la démocratie, il faudrait savoir absolument où est la vérité : ainsi pour renoncer au scepticisme, il faudrait adhérer au fanatisme du dogmatique.
L'orateur critique cette position kelsénienne.
 
Il veut défendre la démocratie et récuser le gouvernement des experts, sans pour autant tomber dans le relativisme. 
 
Pourtant il est difficile de trouver les critères permettant un compromis entre vérité et égalité (puisque l'opinion de l'un doit être égale à l'opinion de l'autre). Ainsi Mill propose le vote plural, dans la démocratie représentative, en ce qu'elle favorise la compétence de certains, dont l'influence est ainsi accrue, sans que personne ne soit exclue dans la représentation. Mais la difficulté est de trouver qui sont les plus compétents.... Cet auteur ne vise pas le critère de la propriété, mais davantage le niveau d'éducation. Mais cela est arbitraire, puisque l'universalité du vote est niée par l'inégalité de l'influence. 
 
La question à se poser est donc de savoir si le Politique doit ou non prendre en compte des "vérités", alors qu'il s'exprime par une volonté qui décide. Mais comme il y a des options, entre lesquelles il faut choisir, des assertions sont susceptibles de vérité et de fausseté. Ainsi toute interprétation de l'idée démocratique suppose que les assertions entre lesquelles un choix va être fait se réfèrent à de vérités (par exemple les avantages et les inconvénients de la sortie du nucléaire), même s'il ne s'agit pas de vérités factuelles, pouvant être établies d'une façon définitive, la "vérité politique" ne relevant pas de la preuve mais la délibération pratique aboutit à ce que toutes les assertions ne se valent pas. 
Cela est plus délicat lorsqu'il s'agit de réalités normatives, où le jugement de valeur s'accroît, pour apprécier non pas ce qui est mais ce qui est meilleur. La vérité normative est supérieure à d'autres si elle produit un effet conforme au but de la démocratie, soit le but commun soit, plus modestement, l'absence de guerre. 
Il s'avère que toutes les démocraties visent dans leur système délibératif non pas l'équité mais bien des vérités, car la délibération ne fait pas sortir la justice mais permet par l'échange d'arguments d'approcher des vérités politiques. Il y a un lien maintenu entre la vérité et le processus démocratique. La vérité y survit donc.
 
La deuxième question est celle de la compétence du peuple. La thèse de l'infériorité épistémique du peuple par rapport au sous-groupe des experts n'est pas convaincante car Aristote montre bien que dans la juste répartition du pouvoir (qui devrait être aux compétents) et la stabilité de la cité (qui conduit à le donner à tous), la masse peut être plus compétente que les experts et en tout cas "pour certaines formes de masses".
La compétence supérieure du peuple vient de l'émergence d'une compétence collective, par agrégation et par délibération. L'agrégation des jugements individuels du plus grand nombre peut produire un jugement plus exact que l'agrégation d'un nombre plus restreint de personnes moins nombreuses (théorème de Condorcet). Mais l'orateur récuse cette loi des grands nombres qui repose sur l'hypothèse de la compétence individuelle moyenne, dont on ne voit pas elle existerait. Il faut donc un contexte décisionnel propice : ce sont les vertus épistémiques de la délibération du grand nombre. C'est, selon l'orateur, le sens du texte d'Aristote ("éloge de la dilution", le peuple -élément impur- faisant produire par sa présence dans la délibération à la compétence du sous-groupe -élément pur- un effet que l'élément pur ne peut produire seul). Aristote évoque également une division du travail. 
De fait, les échanges informationnels accroît la rationalité collective, en dégageant des éléments qui n'auraient pas été identifiés par les agents isolés. Il s'agit d'une conception "héroïque" de la délibération (cf. jury des 12 hommes en colère, cité par l'orateur...). Mais l'orateur relève que l'on peut trouver autant de vices, par exemple la circulation d'informations fausses, des raisons hors de propos ou invalides, la sélection des raisons pouvant se faire au détriment des bonnes. La dilution peut donc être aussi nocive que bénéfique. 
Certes, la "diversité cognitive" peut renforcer ce qui serait la force de la délibération du peuple. Mais en accroissant le groupe, l'on n'accroit pas forcément la diversité, l'on peut par exemple aboutir à une majorité qui va écraser les opinions minoritaires. Ainsi de fait la composition idéologique de départ du groupe (cf pilorisation du groupe) influe sur le résultat et peut aboutir à des "radicalisation" des opinions. La délibération collective est donc facteur de radicalisation.
 
Faut-il en conclure qu'il faut condamner la démocratie ?
 
Faut-il confier le pouvoir de gouverner aux plus compétents, en érigeant le plus compétent en chef ? 
 
On peut le refuser pour une raison morale, car nul n'a d'autorité sur l'autre sans une justification acceptable par tous les points de vue (moralement acceptables - conception contractualiste de la démocratie). Or, tout le peuple ne peut pas accepter le gouvernement des experts. Mais comme on ne sait pas qui intervient dans le test d'acceptabilté de l'épistocratie, on ne sait pas.... 
Car par exemple qu'en est-il du fanatique et du dogmatique, qui ne sont ni fous, ni vicieux (et ne sont donc pas immoraux) ? Ils récusent le gouvernement par les experts.
Mais c'est faire prévaloir l'égalité sur la vérité. Sur la base d'un test qui n'est pas clair. 
 
Mais l'on ne peut pas le faire tout simplement parce qu'on ne sait pas qui sont les experts. En effet les savoirs requis sont très divers et donc on ne maîtrise pas les critères pour désigner les techniques et le groupe des experts correspondant aux vérités politiques : le groupe des experts serait trop variable au regard de la variété des vérités politiques à établir. 
Or, il est impossible pour un groupe d'acquérir les compétences, et encore plus d'en avoir le monopole.
En outre, parce qu'ils sont tous semblables, ils sont tous ignorants de certaines choses (de certaines choses de la vie, les hommes pour ce qui concerne les femmes, etc.). 
 
Pour l'orateur, il faut refuser de confier le pouvoir politique aux experts, parce qu'ils sont faillibles.
Reconnaître la faillibilité du jugement politique, qui n'est pas atteint d'un relativisme total, qui a un degré de certitude variable mais ne peut pas atteindre une certitude absolue (ce que requiert Kelsen et ce que le jugement politique ne peut pas satisfaire).  Ainsi les experts n'ont pas l'autorité suffisante pour gouverner autrui parce que leur opinion n'est pas assez certaine. 
Mill raisonne ainsi pour la liberté d'expression. 
L'orateur généralise le raisonnement pour toute opinion dans la délibération collective. Délibération dans laquelle nul ne peut se présenter comme infaillible. 
Certes le vote ne peut garantir qu'il corrigerait une opinion qui s'avère inadéquate. 
 
L'orateur souligne que la démocratie suppose toujours un choix : choix de changer l'opinion, choix de proposer une opinion contraire sur un nouvel argument. Le fanatique prend la position contraire et fera le choix de ne pas changer d'opinion. Mais ce ne sont pas des choix égaux car le pari démocratique s'enracine dans la confiance dans la raison individuelle et l'ouverture des autres à juger, ce qui est différent de l'égalité des compétences.
 
Certes ce pari démocratique perd tout sens si l'on peut tout espoir de progresser vers plus de vérité.
 
La démocratie n'est donc pas un idéal paradoxal puisqu'elle n'exclut pas la vérité et ne renonce pas à considérer des opinions minoritaires. Mais c'est un idéal particulièrement exigeant puisqu'elle requiert que chacun doit considérer l'opinion contraire d'autrui et que nul ne peut se prévaloir de son opinion pour trancher pour les autres.  
 
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Jan. 15, 2015

Conferences

Le droit prétend être un système autonome, produisant sa propre réalité, incontestable. Acte de langage, il est performatif, en cela souverain. La mondialisation le permet-elle encore ? Pourtant, le droit étant aussi une pratique sociale, soit il prend son objet comme limite (il ne peut dire qu’il fait jour la nuit), soit il prend son objet comme maître : le droit nazi établit la « loi du sang ». Aujourd’hui, l’économie est-elle la loi du droit ?

En outre, le droit n’est-il pas positif qu’une fois appliqué ? Dès lors, le droit recherche l’adhésion, par un discours qui séduit et balance les intérêts. Mais dans le même temps, le droit veut de plus en plus refléter la réalité. Sa première évolution l’éloigne de la vérité pour aller vers le consensus, la seconde prétend la rapprocher. Par exemple, qui décide de la filiation ? On en vient à douter que le Politique ou la morale aient encore une place dans le système juridique.

Avoir une première vue du programme.

Lire le programme général du colloque, Sous-détermination, incomplétude, incommensurabilité : la pensée des limites

Lire le Working Paper établissant les grandes lignes servant de base à la discussion

Oct. 27, 2014

Blog

La doctrine a applaudi lorsque la Cour de cassation, par un arrêt d'assemblée plénière du 27 février 2009, a accueilli en France le principe de l'estoppel.

Ce principe, jusqu'alors propre au droit de Common Law, interdit à une personne de se contredire non seulement dans une procédure, mais encore entre plusieurs procédures. Cela constitue une forme plus rationnelle et plus avancée du principe de loyauté processuelle.

Pourtant, n'appelle-t-on pas l'avocat "le menteur" ? La personne poursuivie dans un procès pénal n'a-t-elle pas le droit fondamental de mentir ? Dans cette joute qu'est le procès, tous les moyens ne sont-ils pas bons ? Quelle feuille de papier sépare la contradiction, le mensonge, la manoeuvre, le silence, l'éloquence, la rhétorique, la présentation ingénieuse, le débat, le contradictoire, le procès lui-même ?

L'arrêt que vient de rendre la Première chambre civile, le 24 septembre 2014, est de grande qualité, car il vient, certes d'une façon un peu elliptique, rappelé que l'estoppel joue entre les parties, et non pas entre la partie et le juge.

Il éclaire aussi sur l'office de la Cour de cassation, lui-même : le juge de cassation entre de plus en plus dans l'appréciation des faits. Ici, la Cour, "juge du droit", pose que les juges du fond ne pouvaient pas s'être trompés sur ce que voulait réellement le plaideur. Nous sommes dans une appréciation directe du cas. Pourquoi pas. Mais alors, il faudrait une motivation plus étayée. N'est-ce pas ce que vient d'expliquer le Premier Président ?

Updated: July 31, 2013 (Initial publication: Sept. 13, 2011)

Teachings : Les Grandes Questions du Droit, semestre d'automne 2011

Updated: July 31, 2013 (Initial publication: Oct. 25, 2011)

Teachings : Les Grandes Questions du Droit, semestre d'automne 2011

Oct. 29, 2012

Publications

► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Experts et procédure : l'amicus curiae" ("Experts and procedure: the amicus curiae"), Revue de droit d'Assas, october 2012, pp. 91-94

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📝read the article (in French)

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► English Summary of the article: A recent thesis has argued that amicus curiae is becoming a common principle of Procedural Law. This shows its importance. The fact that the mechanism, the character, is designated by a Latin formula leads us to suspect that something is being concealed that legal technique ordinarily forbids: it is the legal expert and the party's expert, which is what the amicus curiae most often is, either one or the other, or both at the same time.

Therefore, removing the prudish cloak of Latin, it is these two difficulties that must be addressed. If we exclude the legal expert, it is because "jura novit curia" ("the court knows Law". But this rule, which recalls the principle that "no one is supposed to be ignorant of the law", merely indicates a sharing of the burden of evoking facts and Law between the parties and the judge (Motulsky) and not a presumption of knowledge. Consequently, the modest, and therefore self-confident, judge has no reason, either psychological or legal, to shy away from a legal expertise.

As for the party's expert, or the judge's expert who is highly influenced by a party, a profession, a social group, in short, a judge's expert who is in fact an expert held by a party, this can only be a problem if the judge cannot keep his distance from this expert whose opinion is biased by the weight of the party.

But first of all, any opinion is biased. Whether it is given in bad faith or good faith, it is biased, and in rhetoric we know that an opinion biased in good faith is more dangerous than a bought opinion, because the latter is known to be twisted by self-interest. In this respect, the person who listens to it, the judge, knows the difference.

Indeed, the legal system that recognises the party's expert and the amicus curiae, i.e. North American Law or European Union Law, draws the necessary procedural consequence: they include the party's expert opinion in the adversarial debate.

It is the principle of adversarial debate, the principle of principles in the conduct of proceedings, that makes amicus curiae acceptable and welcome, since it provides the judge with a scientific input that the latter does not have.

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Oct. 1, 2001

Publications

 Référence complète : Frison-Roche, M.-A., L’erreur du juge, RTD civ., 2001, pp.819-832.

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Résumé de l'article : Le principe est que le juge ne commet pas d'erreur, ou plutôt qu'on ne peut, en droit, se prévaloir des erreurs commises par les magistrats, hors voies de recours légalement organisés. Cela préserve à la fois la paix sociale et l'indépendance de la magistrature. Mais ces raisons ne sont pas de marbre car les erreurs judiciaires peuvent ébranler les sociétés, il suffit d'évoquer l'affaire Dreyfus, et le lien entre le procès et la vérité se satisfait mal de la règle. Il faut donc pouvoir rouvrir pour mieux refermer la blessure, admettre le désordre pour garantir la sécurité juridique et la confiance dans le système juridictionnel.

Le principe de référence demeure pourtant celui de l'incontestabilité de l'erreur du juge. En effet, l'appréciation substantielle d'une appréhension inexacte des faits par le juge est exclue par le mécanisme de la "vérité judiciaire", qui, par le pouvoir d'artificialité du droit, prend ses distances par la vérité scientifique des faits. L'indivisibilité de l'acte de juger permet que la puissance normative du dispositif couvre l'erreur d'appréciation logée dans les motifs qui soutiennent celui-ci.  En outre, le procès est un mécanisme violent conçu pour arrêter la violence en ce qu'il tranche et qu'il met fin à la dispute pr le juge. Dès lors, si l'impartialité du juge est par ailleurs garantie, la survenance du jugement lui-même exclut tout regard sur ce qui serait une erreur, car le jugement arrête la recherche de la vérité pour produire son inverse, qu'est la "vérité légale".

Certes, le droit positif a toujours prévu des aménagements à la règle, mais cela ne fait que confirmer la règle. Ainsi, l'erreur de plume peut être corrigée a posteriori , mais c'est précisément parce que la plume a glissé et qu'elle n'a pas traduit la pensée du juge qui rédigeait. De la même façon, l'erreur qui ouvre droit à la révision tient dans la découverte de faits nouveaux postérieurement au jugement. En cela, il ne s'agit pas au sens strict d'une erreur du juge, mais seulement d'une inexacte représentation de la réalité qui n''est pas de son fait.

Mais il convient d'aller plus loin et le droit positif va dans ce sens, en ouvrant davantage les cas de révision. En effet, les erreurs judiciaires ne sont plus supportées car l'institution juridictionnelle ne peut faire ainsi fi de sa consubstantionalité avec la vertu de justice.

En effet, le législateur a aujourd'hui tendance à changer ses lois alors qu''il admet avoir fait une erreur d'analyse des réalités, alors qu'il n'est pas contraint par celles-ci, étant doté d'un pouvoir normatif pur. Le juge devrait a fortiori  y être contraint. En outre, il y a une obligation morale à y procéder car l'erreur judiciaire, surtout en matière pénale, produit de terribles dommages, qu'il faut réparer.

Dans ce mouvement, le droit civil admet des jugements civils toujours révisables, notamment en droit de la famille. Plus encore, même si l'on accueille avec moins de restriction le recours en révision, il faudrait ne pas le cantonner à la survenance de découverte de faits nouveaux mais admettre l'hypothèse d'erreur manifeste, même s'il faudrait assortir une telle action, si largement ouverte quant au fond, d'un filtre procédural.

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📝Accéder à l'article

 

July 8, 1981

Thesaurus : 08. Juridictions du fond

Référence complète : TGI Paris, Licra c/ R. Faurisson, 8 juillet 1981

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Lire le jugement.

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► Présentation du jugement :  Dans cette affaire, Robert Faurisson, se prévalant de travaux d’histoire critique, soutint la thèse comme quoi les chambres à gaz n’avaient jamais existé dans le prétendu génocide des juifs. La LICRA l’attaqua en responsabilité civile devant le juge.

Celui-ci posa que l’historien a une liberté pleine et entière d’exposer selon ses vues personnelles les faits historiques, mais que toute liberté est liée à l’acceptation d’une responsabilité. Or, le fait de récuser systématiquement tout argument contraire à sa thèse fait que cet auteur a manqué aux obligations de neutralité intellectuelle qui s’imposent au chercheur et justifient sa responsabilité scientifique.

Ce jugement arrive à retenir une responsabilité pour faute, sans pour autant affirmer une "vérité historique".

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