4 mai 2023

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document de travail

🚧L'usage des puissances privées par le droit de la compliance pour servir les droits de l’homme

par Marie-Anne Frison-Roche

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► Référence complèteM.-A. Frison-Roche, Usage des puissances privées par le droit de la compliance pour servir les droits de l’homme, document de travail, mai 2023.

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Ce document de travail sert de base à :

🎤une conférence qui se déroule à Toulouse les 15 et 16 juin 2023 à Toulouse

📝un article préalablement rédigé à cette conférence et publié ultérieurement à celle-ci dans l'ouvrage Puissances privées et droits de l'homme

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Résumé du document de travail : Si l'on suit la tradition du Droit l'on associera la puissance à une source légitime qu'est l'Etat, la puissance publique étant son apanage, les entreprises n'exerçant leur puissance que dans l'ombre portée de cette puissance Ex Ante. La trivialité du Droit économique, dont le Droit de la concurrence serait le cœur, consistant à partir de l'activité des entreprises qui utilisent leurs puissances sur des marchés, relèguent l'action de l'Etat au rang d'exception, admissible si celui-ci qui prétend exercer cette puissance contraire le justifie. La distribution des rôles est donc inverse, en ce que les places sont échangées, mais le modèle de l'opposition est partagé. Ce modèle de l'opposition épuise les forces des organisations qui sont reléguées à n'être que l'exception. Or, si l'on veut porter de grandes ambitions, par exemple concrétiser des droits humains au-delà du système juridique à l'intérieur duquel les Autorités publiques exercent leurs pouvoirs normatifs, il faut s'appuyer sur une nouvelle branche du Droit, remarquable par son pragmatisme et par l'ampleur des ambitions, y compris humanistes, qu'elle porte : le Droit de la Compliance.

Il apparaît que le Droit de la Compliance est ainsi la branche du Droit qui fait porter le souci d'autrui, concrétisé par des droits humains, par les entités en position de le satisfaire, que sont les entités systémiques, dont les grandes entreprises sont les sujets de droit directs (I). Il en résulte une nouvelle répartition entre les autorités publiques, légitimes à formuler le But Monumental de protéger les êtres humains, et les organisations privées, qui s'ajustent à cela selon le type de droits humains et au regard des moyens mis en place pour les préserver. Les entreprises sont recherchées parce qu'elles sont puissantes, en ce qu'elles sont en position de concrétiser les droits humains, dans leur indifférence au territoire, dans la centralisation des informations, des technologies et des moyens économiques, humains et financiers. Cette alliance est essentielle pour que le système ne conduise pas à un transfert de choix politique et que cela aboutisse à une efficience systémique. Il en résulte une nouvelle définition de la souveraineté telle qu'on la voit se dessiner dans l'espace numérique, lequel n'est pas un secteur particulier puisque c'est le monde qui s'est digitalisé, la question climatique justifiant la même nouvelle répartition des rôles (II). 

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🔓Lire ci-dessous les développements⤵️

1. Puissances🔋La puissance est la capacité de produire un effet. Elle constitue donc un élément, pouvant n'être que ce qui, de fait, permet à l'objet qui la contient ou à la personne qui la détient d'agir, y compris par sa seule existence📎!footnote-2907, sur une situation, notamment sur ceux qui y sont impliqués. Cela justifie que la psychologie, la sociologie ou la science politique ont directement étudié cette notion comme force d'action sur les choses et sur les personnes.

S'arrêtant souvent à cette potentialité, l'on s'arrête souvent à cela pour décrire ou désigner la "chose puissante" ou la "personne puissante" en ne la rattachant plus guère aux situations sur lesquelles cette puissance s'exerce. Cette puissance est le plus souvent donnée à la chose ou la personne uniquement en considération de la situation pour laquelle elle doit être exercée. Le plus souvent, la puissance est une charge. 

Elle est conçue ainsi en Droit romain, dans l'association faite par le Droit romain entre l'imperium et la potestas dans la bonne organisation de la Res Publica, pour remplir telle ou telle fonction. Le Droit a tendance aujourd'hui à privilégier non plus l'aval de la situation sur laquelle s'exerce la puissance mais l'amont en associant implicitement une puissance à une source légitime d'obtention d'une telle emprise sur les choses et sur les êtres, jadis le père de famille titulaire de la puissance paternelle, encore aujourd'hui l'État et la puissance publique. Sans cette source légitime, la puissance que l'on pourrait dire à l'état brut devient plutôt ce que la force du Droit vient contraindre, par l'interdiction, la limite ou l'encadrement, notamment procédural. L'État de Droit serait même ce qui caractérise une organisation sociale où la force du Droit vient dominer l'ajustement spontané des puissances, même entre puissances étrangères📎!footnote-2912.

 

2. Problématique🔋Si l'on suit la tradition du Droit, l'on associera la puissance à une source légitime qu'est l'État, la puissance publique étant son apanage, les entreprises n'exerçant leur puissance que dans l'ombre portée de cette puissance Ex Ante. Mais à l'inverse la trivialité du Droit économique, dont le Droit de la concurrence serait le cœur, consiste à partir des situations sur lesquelles s'exercent des emprises. C'est pourquoi le Droit économique, notamment le Droit de la concurrence part l'activité des entreprises qui utilisent leurs puissances sur des marchés, définissant même l'entreprise par cette position qu'elles y développent. Le Droit de la concurrence relègue corrélativement l'action de l'État au rang d'exception, certes admissible mais seulement si celui-ci, lorsqu'il prétend exercer cette puissance contraire, le justifie. La distribution des rôles sont donc inverses, en ce que les places sont échangées.

Les places entre la puissance des entreprises et la puissance de l'État sont certes inversées mais le principe de leur opposition est partagé : cela demeure "puissance publique" contre "puissances privées". Cela est très regrettable car ce modèle de l'opposition épuise les forces des organisations qui sont reléguées à n'être que l'exception, parfois les unes, parfois les autres. Or, si l'on veut porter de grandes ambitions, par exemple concrétiser des droits humains au-delà du système juridique à l'intérieur duquel les Autorités publiques exercent leurs pouvoirs normatifs, il faut s'appuyer sur une nouvelle branche du Droit, remarquable par son pragmatique et par l'ampleur des ambitions, y compris humanistes, qu'elle porte : le Droit de la Compliance. Pour cela, il faut additionner les puissances et non pas utiliser l'une pour limiter l'autre, pas davantage la puissance privée pour limiter la puissance publique (ce que semble l'idéal concurrentiel) que la puissance publique pour limiter la puissance privée (ce que semble l'idéal d'une conception trop traditionnel du droit public dans son rapport avec les entreprises).  Cette opposition épuisante est récusée par le Droit de la Compliance.

 

3. Plan🔋Effectivement et après des prolégomènes plus développés, il apparaît que le Droit de la Compliance est ainsi la branche du Droit qui fait porter le souci d'autrui, concrétisé par des droits humains, par les entités en position de le satisfaire, que sont les entités systémiques, dont les grandes entreprises sont les sujets de droit directs (I). Il en résulte une nouvelle répartition entre les autorités publiques, légitimes à formuler le But Monumental de protéger les êtres humains, et les organisations privées, qui s'ajustent à cela selon le type de droits humains et au regard des moyens mis en place pour les préserver. Les entreprises sont recherchées par les Autorités politiques et publiques précisément parce qu'elles sont puissantes, en ce qu'elles sont en position de concrétiser les droits humains, position acquise par l'indifférence de ces entreprises au territoire, par la centralisation qu'elles opèrent des informations, par les technologies qu'elles inventent et utilisent, par les moyens économiques, humains et financiers dont elles disposent.

Cette alliance entre puissances publiques et puissances privées est essentielle et l'enjeu n'est en rien de l'entraver mais de faire en sorte que les outils de compliance mis en place, souvent sur l'ordre de la loi, par les entreprises puissantes, puissantes souvent sur ordre de la loi, ne conduisent pas à un transfert de choix politique, la mise en oeuvre par les entreprises d'ambitions formulées par les Autorités publiques devant aboutir à une efficience systémique. L'Europe de l'industrie numérique en est un bon exemple. Il en résulte une nouvelle définition de la souveraineté telle qu'on la voit se dessiner dans l'espace numérique, lequel n'est pas un secteur particulier puisque c'est le monde qui s'est digitalisé, l'autre exemple de la résolution de la question climatique justifiant la même nouvelle répartition des rôle (II). 

 

 

PROLÉGOMÈNES ; PENSER LE MONDE EN OPPOSANT PUISSANCE PUBLIQUE ET PUISSANCES PRIVÉES

 

4. Méthodologie négative ?🔋Puisque le thème général dans lequel s'insère cet article vise les "puissances privées", celles-ci étant peut-être appréhendées à partir d'une définition négative consistant à cerner une notion à partir de son contraire, sans doute les "puissances privées" devraient se concevoir par rapport à ce qui serait la catégorie princeps📎!footnote-2909 : la puissance publique. Les puissances privées seraient ainsi la multitude des puissances face à l'unicité à laquelle est parvenue la puissance publique, dans une abstraction qui caractérise les pouvoirs publics, puissance légitime qui s'associe aux services publics, qui justifie la compétence du juge administratif📎!footnote-2910. Tout semble alors s'agencer "en réaction" : ainsi en 1957, Eisenmann  rapprochait les puissances privées et les puissances publiques pour opérer une lecture critique de l'ouvrage de Savatier,  Du droit civil au droit public : à travers les personnes, les biens, et la responsabilité civile📎!footnote-2911 , Savatier décrivant la "publicisation du droit privé" puisque les entreprises depuis 1804 avaient progressivement bénéficié de l'octroi de la puissance naguère réservée à l'Etat📎!footnote-2905

 

5. Une vision du monde à première vue partagée : la construction par l'opposition🔋Cette conception par opposition entre la puissance publique d'une part et les puissances privées d'autre part, peut d'autant plus perdurer que les auteurs dont la maîtrise technique porte principalement sur le Droit privé semblent penser à l'inverse mais s'alignent sur ce même schéma d'opposition. En effet, ce qui est parfois désigné comme "l'Ordre concurrentiel"📎!footnote-2906 postule le principe premier et suffisant des puissances privées que sont les entreprises, lesquelles sont définies à travers leurs activités sur le marché, c'est-à-dire leur capacité à avoir un effet sur cet espace et les personnes qui y sont, puissances qui s'affrontent dans la compétition concurrentiel pour attraire les acheteurs, affrontement qui engendre un juste résultat : prix adéquats, innovation, accès de tous, etc.  C'est même le principe cardinal du Droit de la concurrence : la puissance y est de droit, même en ce qu'elle a pour effet de lutter contre son concurrent jusqu'à la disparition de celui-ci, dès l'instant qu'il n'y a pas l'abus que constitue un comportement anticoncurrentiel. La contrariété qui est apportée Ex Ante à ce jeu de la libre concurrence, par exemple par la réglementation ou l'action administrative, doit se justifier pour y être admise. Si ce schéma est donc inverse puisqu'ici le jeu des puissances privées va de soi et l'interférence de la puissance publique se discute, le mécanisme est le même : l'opposition entre puissances privées et puissance publique.

Les places restent les mêmes, celles engendrées par l'affrontement, mais la différence tient simplement dans le fait que chacun revendique la première place, celle du principe : chacun prétend au statut de principe, dans le premier schéma, cette place est obtenue par la puissance publique, dans le second schéma elle est obtenue par les puissances privées. Dans un tel jeu de rôles, l'épuisement de l'énergie guette les structures, reléguées à n'être que l'exception, qu'il s'agisse des puissances privées dans la première conception, qu'il s'agisse de la puissance publique dans la seconde. Mais le schéma même de l'affrontement entre puissance publique et puissances privées, personne ne semble le remettre en cause.

Or, l'affrontement absorbe beaucoup d'énergie, c'est-à-dire de capacité à produire des effets, c'est-à-dire de puissance. Actuellement de l'énergie nous en manquons tant, si nous voulons prétendre faire quelque chose face à deux sujets nouveaux que sont d'une part le numérique et d'autre part le climat, situations où les droits humains sont en cœur. C'est donc le schéma de l'opposition des puissances qu'il faut considérer d'une façon critique, avant de s'épuiser dans la course de savoir qui, du public ou du privé est le principe premier. Pour échapper à cela, ce qui constitue une nécessité, le Droit de la Compliance est une voie.

 

6. La première nécessité : penser la puissance comme la source d'énergie dans laquelle le Droit puise pour produire un effet recherché : le pragmatisme du Droit de la Compliance🔋Si l'on pense le Droit comme un art pratique conçu pour atteindre des buts, conception classique que le Droit économique fait particulièrement sienne en se constituant d'une façon téléologique, il ancre sa normativité dans les buts qu'il ambitionne d'atteindre, la première nécessité est de revendiquer la légitimité "dogmatique" des buts que l'on prétend atteindre, par exemple la protection des êtres humains parce qu'on estime qu'ils sont la mesure de toute chose, et de rechercher là où se trouve la "puissance" la plus forte pour atteindre ces buts. Le Droit de la Compliance ne vise pas particulièrement les entreprises privées en tant qu'elles sont privées, mais plutôt en tant qu'elles sont puissantes. C'est en cela qu'elles sont les sujets de droit de cette branche du Droit nouvelle, parce qu'elles sont en position de produire l'effet recherché, ici la protection effective des droits humains. Ce sont les "grandes" entreprises qui sont visées. La loi française de 2017, dite Vigilance, l'exprime et plus encore la directive en préparation Corporate Sustainability Due Diligence.

 

7.   La seconde nécessité : passer de l'opposition à l'alliance : les Buts Monumentaux du Droit de la Compliance 🔋Plus encore, lorsque les enjeux sont systémiques, sont devant nous et que l'ambition d'y répondre doit rechercher l'énergie disponible, il faut passer de l'opposition à l'alliance. Le Droit de la Compliance pensée à partir de ses Buts Monumentaux peut prendre la forme de contraintes, d'internalisation par la force dans des entreprises soupçonnées, dénoncées, déjà repentantes. Mais dans une logique d'action, c'est bien plutôt en logique d'alliance et non de soumission, de "volonté" et non de "consentement" (le consentement consistant à plier) qu'il faut raisonner. Le Droit de la Compliance est dans cette logique-là et développe désormais toutes les techniques juridiques qui concrétises les alliances, c'est-à-dire non plus les sanctions ex post des violations des droits humains, mais les engagements, les contrats, les monitorings, les supervisions, les médiations. C'est donc le juge civil qui va venir au centre. Le Droit de la Compliance va s'appuyer sur des dispositifs qui engagent pour le futur, les plans et les programmes n'étant qu'un exemple de cela.

 

I. LE PRISE EN CHARGE DE DROITS HUMAINS PAR LES ENTITÉS EN POSITION DE LES CONCRÉTISER

 

9. Par le Droit de la Compliance, l'aptitude des entités à devenir sujets de droit directs en raison de leur puissance🔋Le Droit de la Compliance est une nouvelle branche de Droit de nature téléologique, c'est-à-dire guidé par les finalités. L'ensemble du Droit économique est de nature téléologique. C'est ainsi que la concurrence est le but du Droit de la concurrence, qui est donc une branche tautologique, la prévention de l'effondrement du système bancaire est le but du Droit de la Régulation bancaire, la protection de l'épargne et la liquidité des marchés sont les buts du Droit des marchés financiers, etc. La normativité juridique est dans ces buts. Cela implique que les juridictions interprètent les textes à travers les buts. Les personnes juridiques qui y sont assujetties sont également tenues non seulement par la lettre mais encore par l'esprit, c'est-à-dire par ces buts. Ainsi  le Droit de la Compliance, comme il va être développé ci-après, a pour but de concrétiser des buts posés par les Autorités politiques et publiques que sont la prévention et la détention de maux qui peuvent faire s'écrouler les systèmes, comme la corruption, le blanchiment d'argent, la pollution, l'atteinte à la dignité des personnes, la désinformation, etc. 

Découle de cela le cercle des personnes juridiques📎!footnote-3017 assujetties aux "Obligations de Compliance"📎!footnote-3018. Il ne s'agit pas d'y assujettir des entreprises parce qu'on présumerait que les grandes entreprises commettraient de la désinformation, de la discrimination, pollueraient ou corrompraient et pas les petites, le Droit de la Compliance consistant à dresser une sorte d'immense portrait de criminel-né.  Il s'agit d'assujettir à la charge d'une telle prévention systémique les entités en charge d'agir effectivement et efficacement : ce sont les entreprises de grande taille qui peuvent le faire. C'est pourquoi en tant qu'elles constituent des "puissances" qu'elles sont assujetties. Parce qu'elles peuvent agir. La meilleure démonstration en est apportée par la loi du 27 mars 2017, dite "Vigilance"📎!footnote-3019, dont l'esprit est repris par la directive européenne Corporate Sustainability Due Diligence📎!footnote-3020. 

Le  Droit de la Compliance ne vise donc que les entreprises puissantes, se réjouit de cette puissance, désire l'accroissement de celle-ci, par exemple par l'augmentation de l'aptitude technologique, car il faut que l'assujetti soit puissant pour mettre en oeuvre, éventuellement au-delà des frontières les ambitions d'un législateur national ou européen qui peut ainsi concrétiser attacher un effet dit "extraterritorial" à sa volonté puisque son ordre s'adresse à des entreprises qui ont la maîtrise de chaines de valeur globale.

 

8. Un Droit plus restreint et plus puissant que la "conformité"🔋Cela n'est possible que parce que le Droit de la Compliance ne se réduit pas à la "conformité". Bien que l'on confonde encore parfois les deux, le passage entre les langues anglaise et française, la conformité est un outil du Droit de la Compliance. "Se conformer" consiste à respecter la réglementation applicable. Cela est requis de tous les sujets de droit, de la même façon que le principe premier de la hiérarchie des normes implique la "conformité de la norme inférieure à la norme supérieure". Le Droit de la Compliance ne peut pas se réduire à cela, car cela serait le Droit lui-même (donc trop large) et cela serait très imprécis car dans tout ce que nous contraint, l'on retrouve des prescriptions multiples. 

Le Droit de la Compliance ne se comprend que par rapport à ses finalités, lesquelles le caractérisent et qui concernent l'avenir commun des groupes sociaux. C'est d'ailleurs en cela que le Droit de la Compliance emprunte à la fois au Droit public et au Droit privé. Ces finalités constituent des Buts Monumentaux, expression qui fut proposée en 2016📎!footnote-3021 et qui est aujourd'hui admise à la fois en doctrine📎!footnote-3022 et en jurisprudence📎!footnote-3023 ou dans des textes professionnels📎!footnote-3024.

En cela, le Droit de la Compliance est donc plus restreint que la conformité, car il ne vise pas "toute la réglementation applicable", mais uniquement les normes qui sont les instruments mis en place pour atteindre certains buts systémiques de grande ampleur, soit pour que des catastrophes n'arrivent pas ("buts monumentaux négatifs"), soit pour que des systèmes meilleurs se mettent effectivement en place ("buts monumentaux positifs"). 

A ce caractère plus restreint, s'associe une puissance beaucoup plus grande, car atteindre de tels "buts monumentaux", par exemple éviter une catastrophe climatique future, décrite avec précision par des travaux scientifiques, implique une action présente et très forte, le suivi d'une trajectoire, une supervision permanente. Cette puissance est requise du côté à la fois des Autorités publiques et des entreprises à qui il est en quelque sorte fait ordre d'être puissantes, par exemple dans le contrôle Ex Ante des contenus dans l'espace numérique, responsabilité Ex Ante📎!footnote-3025 dont l'entreprise rend en permanence compte devant l'Autorité de supervision📎!footnote-3026 et/ou devant le juge📎!footnote-3027.

 

9. Les droits humains visés par le Droit de la Compliance et pris à ce titre en charge par les entreprises🔋Les droits humains sont au cœur du Droit de la Compliance. En effet si des systèmes juridiques ont développé des mécanismes de compliance, ce que l'on peut situer aux Etats-Unis dans les années 1930📎!footnote-3028 c'est pour prévenir un effondrement (en l'espère l'effondrement de la crise de 1929) et les drames humains qui s'en suivent : c'est toujours le souci des êtres humains dont il s'agit. De la même façon la volonté de prévenir l'effondrement climatique est animée par le souci des êtres humains que constituent les générations futures📎!footnote-3029. Cela justifie la reconnaissance du droit d'accès au juge de celles-ci, notamment expressément reconnu par le Tribunal constitutionnel allemand📎!footnote-3031, car le Droit de la Compliance voyage dans le temps : ayant pour objet l'avenir, il est logique que des êtres futurs puissent par anticipation venir aujourd'hui exercer leur droit processuel d'accès au juge. Comme cela a été plus longuement développé dans l'ouvrage sur Les outils de la compliance, les droits subjectifs sont les "outils premiers et naturels du Droit de la compliance"📎!footnote-3032. Les entreprises sont mobilisées pour rendre effectifs ces droits subjectifs, notamment lorsqu'il s'agit de leur premier cercle que constituent les droits humains, qu'ils soient processuels et substantiels.

 

10. La question à venir de l'articulation entre le Droit de la Compliance, démultiplicateur de puissance, et les droits communs, plus amples mais plus faibles🔋Dans l'évolution très rapide que l'on peut observer, le Droit de la Compliance oblige les entreprises non seulement à user leur puissance pour servir ces buts monumentaux mais encore à démultiplier cette puissance pour mieux les services, comme cela sera montré ci-après📎!footnote-3033, mais la difficulté pratique et conceptuelle vient plutôt de l'usage fait par les uns et les autres des autres branches du Droit. En effet et bien sûr, parce que la Compliance n'est pas une simple méthode d'efficacité qui s'appliquerait à tous mais constitue une branche du Droit spécifique, les autres branches du Droit demeurent disponibles aux sujets de Droit, y compris à l'Etat, qui peuvent être tentés de les utiliser pour résister à tant d'ambitions exprimées normativement par les Buts Monumentaux de la Compliance.

Il en est ainsi du Droit des contrats, qui sont aussi des instruments Ex Ante et qui peuvent aussi bien être un moyen très efficient pour mettre en oeuvre les obligations légales de compliance pour l'effectivité des droits humains📎!footnote-3034, qu'un moyen pour s'y soustraire. Des entreprises peuvent le tenter aussi bien dans la structuration d'une chaîne de valeur!footnote-3035 que dans l'espace numérique📎!footnote-3036.

L'Obligation de Compliance dans sa spécificité va petit à petit s'arrimer avec les autres branches du Droit, notamment le Droit administratif, le Droit constitutionnel📎!footnote-3040 ou le Droit international, sans endommager les droits humains car sa puissance sert ceux-ci, notamment en raison de l'indifférence de ses techniques aux territoires.

 

11. Un Droit naturellement indifférent aux frontières, dit approximativement "extraterritorial"🔋En effet, le Droit de la Compliance intègre les ambitions Ex Ante de régulation en les intégrant dans les opérateurs cruciaux qui tiennent un espace📎!footnote-3042 afin d'apporter une réponse à la mesure de défis que l'on doit qualifier de "monumentaux". Cela conduit à des instruments juridiques qui sont indifférents aux frontières, alors même que le Droit auquel nous sommes familiers est composé de systèmes juridiques développés les uns les autres dans leurs frontières géographiques respectives (à l'exception de l'arbitrage, en raison de sa source contractuelle, ce qui engendre un lien profond, bien que contre-intuitif parce que la Compliance est imprégnée d'ordre public, entre le Droit de la Compliance et l'Arbitrage international📎!footnote-3043, par exemple en matière climatique📎!footnote-3044). 

Le Droit de la Compliance est très souvent qualifié d' "extraterritorial, y compris dans les travaux les plus officiels, notamment menés au sein des Parlements. Mais l'exterritorialité suppose une réglementation ou une décision adoptée par une Autorité locale ayant pour objet ou pour effet de saisir une situation qui ne relève pas son emprise et relève d'une autre emprise juridique ; les embargos unilatéralement décidés sont l'exemple le plus net de législations à objet et effet extraterritorial, et c'est bien à leur propos que les travaux, mêlangeant détestation du Droit de Common Law📎!footnote-3067 , FCPA, embargo et Compliance, ont formulé une critique pêchant par sa généralité.

Cette indifférence aux frontières peut venir de l'objet sur lequel l'obligation de compliance porte, comme l'enjeu climatique en ce que celui-ci met en jeu des objets eux-mêmes globaux, comme les océans ou certaines forêts. Elles peuvent venir des organisations économiques, les chaines de valeur visées par l'obligation de vigilance, pointe avancée de la Compliance, passant les frontières, notamment grâce aux contrats et au droit souple. Elles peuvent venir de l'espace lui-même, dématérialisé par la technologie, Internet en étant l'épigone et le Droit de la Compliance étant alors le moyen même de le réguler en se saisissant non plus d'un territoire mais des puissances qui le structurent et le conduisent. En cela, le Droit de la Compliance est au cœur de la gouvernance d'Internet📎!footnote-3045.

 

12. Un Droit d'action et de Supervision, prolongement d'un Droit de la Régulation dégagé de la condition d'un "secteur"🔋C'est ainsi que le Droit de la Compliance permet aux Autorités publiques de réguler l'espace numérique, qui recouvre la totalité des activités économiques et sociales. Devient possible une régulation dégagée de toute condition de secteur préalablement délimité, régulation fondée sur la seule ambition politique de ne pas laisser la seule offre et la demande se rencontrer. Le Digital Service Act y procède en obligeant les opérateurs numériques cruciaux à prendre en charge le contrôle Ex Ante des contenus, à agir et à rendre compte de leur action devant les Autorités de supervision (l'Arcom, pour la France📎!footnote-3049). C'est ainsi que les droits humains que sont par exemple non seulement le droit à la portabilité, mais encore le droit à l'intelligibilité, le droit à la vie privée, sont protégées par les entreprises elles-mêmes. Ces droits subjectifs sont doublés des droits subjectifs processuels. 

Parce qu'il s'agit d'un mécanisme de régulation que les entreprises sont contraintes d'exercer elles-mêmes sur ordre de la Loi, les Autorités publiques exercent leur office sur les entreprises elles-mêmes, devenant ainsi des Autorités de supervision, par emprunt là-aussi au système bancaire.

Le juge y sera de plus en plus puissant📎!footnote-3047 dans un équilibre complexe entre les Autorités politiques, les Régulateurs et les Superviseurs, les parties prenantes, et une opinion publique devenant globale. Cette présence centrale du Juge va accroître la place des droits humains car, par nature, un juge concrétise une loi générale en accordant des prérogatives aux personnes impliquées dans la situation qui lui est soumise📎!footnote-3050.

 

 

II. LA NOUVELLE RÉPARTITION ENTRE LES AUTORITÉS PUBLIQUES ET LES ORGANISATIONS PRIVÉES

 

13. L'apanage de l'Autorité publique de fixer les Buts Monumentaux, lesquels l'être humain est au centre : le "consentement" de l'entreprise à la "volonté publique🔋Dans le prolongement du Droit de la Régulation , le Droit de la Compliance continue de concentrer entre les mains de l'Etat et de ses Autorités le pouvoir de choisir pour le futur du groupe social. L'apanage leur demande de choisir le système de santé, de choisir les systèmes de transport, de poser les équilibres énergétiques à long terme, à poser l'équilibre entre la liberté d'expression et le respect de la dignité. Ce sont les lois et les juges qui gardent qui gardent l'esprit de celles-ci qui fixent les Buts Monumentaux. 

C'est ainsi qu'il faut concevoir les "pouvoirs" de l'entreprise, au sens où Emmanuel Gaillard les avait conçus dans sa thèse, La notion de pouvoir en droit privé📎!footnote-3069. Si l'on conçoit le pouvoir comme étant la possibilité de réduire les personnes et les choses à rien, comme le fait par exemple Alain Supiot, accusant pour mieux le noyer ce malheureux concept d'une rage dont il n'est pas affecté, puisque le pouvoir selon Alain Supiot serait caractérisé par son absence de limite!footnote-3084, alors qu'en droit privé, du mandat, c'est précisément par le lien à autrui et sa dépendance à celui-ci que le pouvoir se définit. En effet, les sociétés privées ont, à travers leurs mandataires, des "pouvoirs" pour accomplir des missions que leur confient les associés, dans une relation fiduciaire. Il est remarquable que le devoir de vigilance soit en Common Law rattaché d'une façon semblable et expressément à une relation fiduciaire📎!footnote-3070. Pareillement les entreprises ont des pouvoirs légitimes parce que les Autorités publiques les chargent d'atteindre ces buts d'intérêt général, dont la protection effective des droits humains est le centre. Plus encore, il faut appliquer le principe de proportionnalité, au-delà de l'application restrictive qui en est faite dans le seul cercle des sanctions, comme impliquant dans la perspective de la notion de l'effet utile que l'entreprise ait autant de puissance qu'il lui est nécessaire pour accomplir cette fonction qu'elle n'a pas nécessairement choisi d'accomplir. Le principe majeur de proportionnalité donne en effet la juste mesure de la puissance privée : certes pas plus qu'il n'est nécessaire, mais autant qu'il est nécessaire📎!footnote-3071.

L'entreprise est assujettie au système de compliance, elle y obéit en lui prêtant sa puissance. L'expression comply with se traduit d'ailleurs par obéir, et l'on observera que le Droit chinois s'en tient à cette seule conception-là, où la mise en oeuvre de la réglementation emplit la totalité de la matière où la "conformité" suffit à emplir tout ce que l'on attend de l'entreprise📎!footnote-3051. Dans cette conception pauvre et peu démocratique, l'entreprise ne peut que "consentir"📎!footnote-3052. Dans la conception occidentale, l'entreprise peut aussi exprimer sa volonté. 

 

14. La vigilance, pointe avancée du système de compliance🔋Cela est particulièrement marquée dans les dispositifs de vigilance. Les obligations de vigilance peuvent avoir pour objet de prévenir les risques systémiques, comme la vigilance bancaire dont les banques ont la charge contre le blanchiment qui détériore tout le système financier. Elles se développent aujourd'hui pour rendre effectifs des droits humains au bénéfice de personnes que l'on pourrait qualifier d' "inconnues" tant elles paraissent loin de nous : travailleur si lointain géographiquement, ou si lointain à l'intérieur de l'entreprise de la personne apte à la protéger. Pour la protéger effectivement et en Ex Ante, puisque le Droit de la Compliance vise toujours à prévenir les atteintes, ou à les détecter pour mettre en place des "remèdes", le "plan de vigilance" va prévoir des mécanismes d'alerte, d'enquête internet, de médiation, de formation, etc. La loi dite "Vigilance" de 2017 a emprunté les outils techniques de la loi dite "Sapin 2" de 2016. Elle constitue la pointe avancée de tout le système , en obligeant les entreprises à développer leur puissance pour prévenir les atteintes aux droits humains (but négatif) et pour concrétiser ces droits (but positif), par exemple par la promotion de l'égalité effective dans l'accès aux responsabilités dans l'entreprise📎!footnote-3053.

 

15. La puissance inédite de l'entreprise en tant qu'elle fixe librement les moyens pour détecter et prévenir les atteintes aux droits humains🔋Pour cela, ce n'est pas seulement le consentement de l'entreprise, au sens de son obéissance📎!footnote-3054, qui est requis, dans le respect des réglementations applicables, c'est-à-dire dans sa "conformité" au Droit📎!footnote-3055 : c'est son invention. C'est par son imagination que l'entreprise va concevoir des formations, des modes de promotions des personnes discriminations, des actions climatiques nouvelles. Les Autorités de supervision, puis les juges mesureront les effets heureux sur les êtres humains. Cette mesure est une part intégrante du Droit de la Compliance, puisque celui-ci est un droit d'action📎!footnote-3056. Cela est encore vrai en matière technologique où la protection des droits implique au besoin que l'entreprise invente les nouveaux modes de concrétisation des droits. Le cas dit Youporn porte sur les marges des entreprises proposant des prestations pornographiques de choisir la façon dont elles vont respecter leur obligation de compliance de bloquer les internautes mineurs📎!footnote-3057.

 

16. La puissance de l'entreprise de dupliquer la volonté politique de fixer des buts monumentaux de protection des droits humains🔋La puissance de l'entreprise s'exprimant par sa volonté propre prend place non seulement dans le choix des moyens et leurs allocations mais encore dans la possibilité de dupliquer la volonté des Autorités politiques et publiques. La loi du 16 mai 2019 dite Loi Pacte a modifié l'article 1833 du Code civil pour préciser qu'une société peut avoir une "raison d'être", tandis que le Droit français connait désormais l'entreprise à mission. Protéger et promouvoir les droits humains apparaît parmi de nombreuses raisons d'être. L'usage volontaire que l'entreprise fait de ses ressources pour protéger les droits humains relative alors la distinction pourtant si ancienne entre l'argent public et l'argent privé📎!footnote-3068. Plus encore, si la société choisit d'être une entreprise à mission, ses statuts sont modifiés et les mandataires sociaux sont contraints par le Droit des sociétés de consacrer les forces de l'entreprise à cela📎!footnote-3058. Indépendamment du Droit des sociétés et parce que le Droit de la Compliance est intime du droit souple, notamment des chartes et des programmes, l'entreprise peut exprimer une telle politique par ces instruments juridiques-là. S'ils ont une portée générale, les personnes concernées peuvent s'en prévaloir. L''entreprise ne prend pas pour autant la place de l'Autorité publique dans la fixation du but, ne dépossède pas l'Autorité publique📎!footnote-3059,  mais cette duplication renforce l'Autorité publique et exprime l'alliance entre puissance publique et puissances privées. Le sujet climatique requiert tout particulièrement cette alliance📎!footnote-3060.

 

17. L'aptitude juridique de l'entreprise à aller au-delà de la volonté publique : le concours de volontés🔋Cette duplication, très fréquente, n'est pas contestée. La question, en pratique très importante, est de savoir si une entreprise peut puiser dans sa volonté autonome pour aller plus loin que la puissance publique. Si personne ne conteste que l'entreprise ne puisse faire moins que l'Autorité publique, comme le montre la jurisprudence qui anéantit les mécanismes arbitraux attachant une effectivité aux contrats d'intermédiation dans le commerce internationaux au nom du Droit de la Compliance spécifique à la corruption📎 !footnote-3061, le principe de liberté justifie qu'elle puisse aller au-delà.

Plus encore, la nature téléologique du Droit de la compliance📎!footnote-3062 justifie qu'une action de l'entreprise, même non prévue par la loi, dès l'instant qu'elle sert les buts monumentaux de celle-ci, soit licite et légitime, et doive être rattachée au système de compliance, lorsque le juge devra la qualifier et l'interpréter, par exemple si cette action prend la forme d'un contrat📎!footnote-3063

Par exemple la loi fixe un calendrier pour laisser aux entreprises le temps de supporter la charge : l'entreprise pourra si elle le veut aller plus vite . Ou si cela correspond à sa politique, elle pourra faire un effort financier supplémentaire sur une zone géographique pour favoriser des droits humains auxquels l'entreprise est sensible, puisque la conception humaniste que l'Europe développe depuis des décennies du Droit de la compliance📎!footnote-3064 suppose que les entreprises ont, si ce n'est une âme, à tout le moins une politique en la matière. La notion de "soutenabilité" comprend cette dimension-là, désormais partagée entre les puissances publiques et privées. Les nouveaux textes européens adoptés en matière d'information extra-financière et en matière de vigilance sont construits sur cette notion, elle-aussi empruntée aux secteurs régulés, notamment bancaire📎!footnote-3066.

 

18. Conclusion - Le Droit de la Compliance alliance entre les puissances réalisée par l'Europe🔋Ainsi progressivement dans ce Droit où le très politique, le très technologique et le très humain se mêlent intimement, une alliance s'opère entre la puissance publique et les puissances privées, sans que celles-ci ne prennent la place de la première. Il en résulte un accroissement des droits humains dans des territoires jusqu'ici inconnus que sont notamment les chaînes de valeur ou l'espace numérique. Les Etats-Unis ne le font pas, l'individualisme et la concurrence étant l'alpha et l'omega, la Chine pas davantage. l'obéissance de tous et de chacun à un plan arrêté au centre étant l'alpha et l'omega. L'Europe, les Etats qui la portent, les entreprises qui l'animent et la population qui y vivent, porte seule cette conception de la compliance comme alliance. Les droits humains, y compris de ceux qui ne sont pas européens ou ne vivent pas en Europe, en sont les directs bénéficiaires.

 

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1

La puissance prenant alors la forme de la dunamis, de la potentialité, qui sera activée, parfois par le seul écoulement du temps. Sur le statut de la "virtualité", 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Le droit à double sens : la virtualité, in 📗Mélanges Élie Alfandari, Drôle de droit, 1999.

3

Même si la puissance publique n'est plus ce qui suffit à donner compétence au juge administratif en cas de contentieux, la question de la compétence de celui-ci ou du juge judiciaire étant ce qui amena le plus souvent la doctrine à cerner la "puissance publique", notamment dans son rapport avec le service public.

4

C'est principalement sous cet angle de la compétence juridictionnelle que la confrontation est examinée par 🕴️Jean-Claude Vénézia, 📝Puissance publique, puissance privéin 📗Recueil d'études en hommage à Charles Eisenmann, 1975.

Pour une remise en cause de ce critère juridictionnel, 🕴️R. Drago et 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Mystères et mirages des dualités des ordres de juridictions et de la justice administrativein Archives de philosophie du droit (APD), 📗Le privé et le public, 1997.

6

🕴️Jean-Claude Venezia s'appuyant sur l'article d'🕴️Eisenmann de 1952 sur 📝Droit public, Droit privé (En marge d’un livre sur l’évolution du droit civil français du XIXe au XXe siècle) pour réaliser une étude sur 📝Puissance publique, puissance privée dans les Mélanges en hommage à Eisenmann en 1975 (📗Recueil d'études en hommage à Charles Eisenmann, 1975).  L'article d'🕴️Eisenmann était lui-même écrit à propos du livre de 🕴️Savatier, lequel affirmait la "publicisation du droit privé".

9

🕴️M.-A. Frison-Roche, (dir.), 📕L'obligation de compliance2024.

13

🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les Buts Monumentaux de la Compliance, 2022 ; 🕴️M.-A. Frison-Roche (ed.) 📘Compliance Monumental Goals, 2023 ; par la suite, voir par exemple, in 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕La juridictionnalisation de la Compliance, 2023, les articles de 🕴️A. Bruneau, 📝L’entreprise juge d’elle-même : la fonction compliance dans la banque, 🕴️S. Merabet, 📝La vigilance, être juge et ne pas juger et🕴️E. Kleimann, 📝Les objectifs de la compliance confrontés aux acteurs de l’arbitrage ; 🕴️N. Ida, 📝Contrat et devoir de vigilance des sociétés, 2023, qui s'appuie sur les travaux en cours, notamment 📝Contrat de compliance, clauses de compliance, 2023 et 📕Compliance & Contrat, ouvrage collectif en cours de réalisation, 2024.

14

🏛️TJ Paris, ord. référé, 28 février 2023, Amis de la terre c/ TotalEnergie, qui pose que "Cette législation assigne ainsi des buts monumentaux de protection des droits humains et de l’environnement à certaines catégories d’entreprise précisant à minima les moyens qui doivent être mis en œuvre pour les atteindre.".

15

A propos de la nécessaire confidentialité des avis des juristes d'entreprise, Association des Avocats Conseils d’Entreprises (ACE), Communiqué : Sérieusement ?, juillet 2023 : "Les entreprises françaises et celles installées en France ont besoin de la confidentialité des avis de leurs juristes pour renforcer leur compétitivité et pour atteindre les buts monumentaux visés par le droit de la compliance, dont la lutte pour la probité et celle pour le respect des droits humains et de l’environnement. Cette question touche aussi à la souveraineté économique de la France dans la mesure où les pays étrangers qui respectent la confidentialité des avis des juristes de leurs entreprises ne respectent pas encore celle des avis des juristes français, puisque la loi française ne la leur accorde pas.".

17

Le Digital Services Act est en cela une législation de compliance. V. par ex. 🕴️R.-O. Maistre, 📝Quels buts fondamentaux pour le régulateur dans un paysage audiovisuel et numérique en pleine mutation ?,  in 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les Buts Monumentaux de la Compliance, 2022.

18

Les trois décisions Grande Synthe rendues par le Conseil d'État sont exemplaires de cette logique.

Sur le rôle du juge, 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕La juridictionnalisation de la Compliance, 2023 ; sur le colloque fondateur du Conseil d'État et de la Cour de cassation, 🕴️M.-A. Frison-Roche et 🕴️A. Seban, 💬Compliance : les cours suprêmes s’emparent de la question de ses enjeux juridictionnels, 2023. 

19

🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Compliance : avant, maintenant, aprèsin 🕴️N. Borga, 🕴️J.-Cl. Marin et 🕴️J.-Ch. Roda (dir.), 📕Compliance : l'entreprise, le régulateur et le juge, 2018.

21

Sur le voyage dans le temps, du présent vers le futur, que constitue le Droit de la Compliance, ce qui engendre en reflet un "retour vers le futur" d'êtres futurs pouvant exercer aujourd'hui des droits subjectifs processuels, v.🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Place et rôle des entreprises dans la création et l'effectivité du Droit de la Compliance en cas de crise, in 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les Buts Monumentaux de la Compliance, 2022.

23

V. n°13 et s.

25

Hypothèse contre laquelle le législateur européen a expressément dit, dans les considérants de la Directive sur le devoir de vigilance, que de telles clauses devaient être inefficaces, puisqu'elles visent à détruire la responsabilité personnelle de l'entreprise donneuse d'ordre de se charger de l'effectivité des droits humains.

26

La CNIL a, par une décision du 15 juin 2023, lourdement sanctionné le groupe Criteo qui soutenait n'être plus responsable de la protection des internautes en ce qu'il avait contractuellement confié cette charge à ses partenaires ; v. 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📧Compliance & Contrat / lien entre Consentement et Volonté ; enjeu de responsabilité personnelle : CNIL, 15 juin 2023, Criteo, 2023.

27

🕴️S. Mouton, 📝Dimensions constitutionnelles de l'Obligation de compliance, in 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕L'obligation de Compliance, 2024.

28

Sur la notion d'opérateur crucial, dont les opérateurs systémiques - comme le sont les banques - sont un exemple, v. 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Proposition pour une notion : l'opérateur crucial, 2006.

C'est ainsi que le Digital Services Act implique que soit dressée une liste des opérateurs cruciaux dans l'espace digital, afin de leur imputer des obligations de compliance en Ex Ante, méthode directement inspirée du Droit de la régulation bancaire. Insérée dans cette liste, Amazon conteste en justice cette insertion.

30

🕴️M.-A. Frison-Roche, 🎤Participation à la table ronde "Vigilance (due diligence)", in 🧮Symposium des 150 ans de l'Association de Droit International (ADI/ILA), 2023.

36

🕴️M.-A. Frison-Roche, 🚧Concevoir le pouvoir, 2021, in Mélanges en hommage à Emmanuel Gaillard (à paraître en 2024).

37

V. par ex. A. Supiot, 📝L’erreur de Foucault. Réflexions sur le biopouvoir, 2022. V. dans le même sens, 📝Aux origines des Etats : la souveraineté de la limite (la geste gaullienne à la lumière de l'histoire des institutions, 2022. 

Il n'y a d'ailleurs pas d'opposition conceptuelle entre ce présent article et la pensée d'Alain Supiot puisqu'il est fortement souligné que le Droit de la Compliance ne peut pas se définir comme une masse d'informations accumulées et corrélées (les datas) dont le maniement est confié à des algorithmes, que le Droit de la Compliance est normativement défini par les Buts Monumentaux, que ceux-ci sont définis par les Autorités politiques et publiques, que celles-ci supervisent les puissances privées qui ne peuvent que mettre en oeuvre, ou adhérer ou aller plus loin, mais ni contrer ni se substituer dans la définition de ces buts, Buts Monumentaux qui convergent tous vers l'être humain, ce qui correspond à la conception générale du Droit développé par Alain Supiot.

40

En Droit occidental, parce que le principe est la liberté des personnes, l'entreprise étant une personne juridique, l'on ne peut - et heureusement - pas définir la Compliance de cette façon : voir supra n°8 et infra n°15.

41

Sur la conception pervertie du consentement, v. supra n°7.

44

Sur la distinction entre conformité et Compliance, v. supra n°8.

45

V. supra n°12.

47

Sur cette distinction, 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Argent privé, argent publicin Archives de philosophie du droit (APD), 📗Le droit et l'argent, 1998. 

48

🕴️A.-V. Le Fur, 📝Intérêt et raison d’être de l’entreprise : quelle articulation avec les buts monumentaux de la compliance ?, in 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les Buts Monumentaux de la Compliance, 2022 ; 🕴️A.-V. Le Fur, 📝Le droit des sociétés et des marchés financier face à l'Obligation de compliance, in 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕L'obligation de Compliance, 2024.

50

V. Prolégomènes n°4 et s.

51

Sur l'arbitrage international, la corruption et le Droit de la Compliance, v. 🕴️J.-B. Racine, 📝Compliance et Arbitrage. Essai de problématisation, in 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕La juridictionnalisation de la Compliance, 2023.

52

V. supra n°9.

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