23 mars 2023

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Document de travail

🚧Penser et manier la Vigilance par ses Buts Monumentaux de Compliance

par Marie-Anne Frison-Roche

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 Référence complèteM.-A. Frison-RochePenser et manier la Vigilance par ses Buts Monumentaux de Compliance, document de travail, mars 2023.

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🎤Ce document de travail a été élaboré pour servir de base à l'introduction du colloque La société vigilante organisé par l'Université d'Aix-Marseille le 24 mars 2023

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📝Il est aussi la base à l'article qui introduit le dossier spécial sur La société vigilante

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 Résumé du document de travail : La notion de "vigilance" est difficile à cerner. Sans doute parce qu'alors même qu'elle est en train de devenir un standard, elle vient de faire son entrée dans les systèmes juridiques. Et avec quel éclat ! Pour la cerner, il faut ne pas l'isoler. Ni dans la seule loi qui attire tous les regards, toutes les peurs, tous les espoirs, la Loi Vigilance, ni dans les seuls mécanismes techniques qui concrétisent la Vigilance.

La Vigilance n'est elle-même qu'une pièce d'un mouvement plus profond, dont elle est la pointe avancée, nous permettant d'anticiper l'évolution de l'ensemble : le Droit de la Compliance.

C'est à cette aune que l'on peut ne pas s'y perdre, car l'on perd vite la mesure des choses tant les enjeux de la Vigilance sont grands, chacun se cabrant contre les autres alors la Vigilance, pièce maîtresse de la Compliance, requiert comme celle-ci avant tout esprit de mesure, de partage et d'alliances.

Dans cet esprit, l'on peut examiner tout d'abord l'entrée de la Vigilance dans le Droit (I) pour ensuite la comprendre par les Buts Monumentaux de la Compliance (II). Ceux-ci en donnent la mesure dans le maniement des techniques de vigilances (III), c'est-à-dire à la fois leur ampleur et leur limite, chacun devant agir dans les marges qui sont les siennes, États, entreprises, parties prenantes et juges.

Peut alors se dégager aujourd'hui une Volonté pour demain, portée par l'Europe.

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🔓lire le document de travail ci-dessous⤵️

I. L'ENTRÉE DE LA VIGILANCE DANS LE SYSTEME JURIDIQUE 

La Vigilance est une notion étonnante puisqu'on en parlait si peu avant qu'en 2017 un député écologiste ne prenne ce mot-là, ne bâtisse sur lui une proposition de loi qui peut-être, même votée, n'aurait pas retenu l'attention de tous si elle n'avait pas tant mobilisé contre elle, si le Conseil constitutionnel, saisi pour y mettre le haut-là ,n'avait dit dans sa décision du 13 mars 2017📎!footnote-2833 que le "devoir de vigilance" certes ne pouvait fonder des amendes civiles mais engendre une "responsabilité personnelle" pour la société-mère ou l'entreprise donneuse d'ordre.  Du titre si long de cette loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordres, le bavard étant toujours puni, l'on ne retînt que ce mot-là, claquant : Vigilance. Un nom d'Épervier📎.!footnote-2834.

Certes la directive européenne, dont chaque virgule se dispute, n'intègre pas ce vocabulaire si frappant, utilisant une expression : corporate sustainability due diligence, qui affirme prendre son origine dans des considérations d'égalité concurrentielle et renvoie en premier lieu à l'idée de "durabilité", s'articule en deuxième lieu à d'autres textes européens ou en préparation sur la durabilité et se déploie plus nettement en troisième lieu dans le Droit des sociétés, notamment l'information extra-financière et les rapports de durabilité. Mais le lien est sans cesse fait par la doctrine entre cette loi française de 2017, cette directive bientôt adoptée et ce qui en sera plus tard la transposition dans l'ordre juridique français📎!footnote-2838.

Or tandis que la loi de 2016, dont la loi de 2017 reprend bien des techniques, notamment l'élaboration d'un plan de détection et de prévention des comportements qu'il s'agit de combattre, voire d'éradiquer à l'avenir, garde définitivement le nom de son auteur - la loi dite Sapin 2 - cette loi française de 2017 perdit vite le nom du député pour être appelée Loi Vigilance. 

Sans doute parce qu'une loi n'est pas dissertation et qu'on en déduit trop rapidement que sa normativité requise supposerait l'absence de définition, le Législateur passant directement aux dispositions opérationnelles, ce dont le juge du Tribunal judiciaire de Paris se plaignit par la suite à voix presque haute dans le jugement rendu en la forme des référés du 28 février 2023, Les amis de la terre et autres c/ Total Energie📎!footnote-2835, la "Loi Vigilance" ne dit pas ce qu'est la Vigilance.

Pourtant la maîtrise du Droit passe par les définitions. Ce qui serait comme une intuition face à des cas permettant de "reconnaître" l'impératif de vigilance" ne suffit pas. Plus encore, elle peut exacerber les conflits car chacun "ressent" la vigilance selon sa culture, sa position et son intérêt, par exemple qui les entreprises, qui les ONG. À l'inverse, les définitions abstraites, formulées par un tiers, législateur ou juge, diminuent en l'amont ces dangers. Mais la loi de 2017 est passée directement aux modalités. Pour maîtriser cette notion, l'on aura donc tendance à aller chercher au-delà de cette loi, qui rendit la notion célèbre avant que d'être maîtrisée, voire connue.

Le bienfait de la doctrine étant sans doute d'accroître l'ordre dans le fonctionnement du système juridique📎!footnote-2836, il faudrait à tout le moins qu'il n'y ait pas une notion de vigilance pour chacune des lois qui utilise le terme, l'une et l'autre dessinant la sienne sous prétexte qu'elle élabore un régime juridique spécifique. D'ores et déjà et par exemple, le Droit de la Compliance bancaire utilise la notion de vigilance mais il ne s'agit pas d'un devoir : il s'agit d'une obligation, celui du banquier, notion ayant un autre contenu, celui de connaître son client, de détecter des comportements de blanchiment ou de corruption, puis de les dénoncer📎!footnote-2839. L'intensité change-t-il la notion ?

D'autres ont souligné à juste titre que si le législateur de 2017 avait renvoyé à la responsabilité civile de droit commun, c'est parce que celle-ci s'appliquait donc et que de ce truisme, l'on pouvait en déduire que même hors de la situation particulière visée par la loi dite Vigilance, à savoir une chaîne de valeur, une entreprise maîtresse et une préoccupation pour les droits humains et l'environnement, le Droit commun de la responsabilité avait encore assez de force, voire plus que jamais, pour engendrer une obligation, et non plus seulement un "devoir" à des sujets de droit📎!footnote-2829. L'on a d'ailleurs pu s'inquiéter que la loi Vigilance, en ce qu'elle additionne les conditions et dessine la situation concernée, créant donc un cas d'ouverture à la responsabilité, ne vienne pas réduire la puissance du Droit commun, basée sur sa généralité📎!footnote-2830.

Il est vrai qu'en Droit commun le terme de vigilance est plutôt rencontré dans le Droit civil que dans le Droit des affaires, le Droit économique ayant bien du mal à entrer encore dans cette distinction traditionnelle "civil / commercial"📎!footnote-2840. Sans doute parce que dans une conception libérale du monde, portée par le Droit de la concurrence, chacun s'occupe de lui-même et ne s'occupe ni des autres ni d'autres intérêts que le sien, tandis que dans la conception de l'être humain "civil", les parents ont l'obligation d'être vigilants à l'égard de leurs enfants.

Cela éclaire la saga qui conduisit le Droit français, qui aborda la question technique du juge pour connaître de la "loi vigilance, réponse apportée tout d'abord par la jurisprudence📎!footnote-2831 puis par la loi📎!footnote-2837, ôtant au juge du commerce la possible connaissance du contentieux de la loi vigilance pour la donner au seul juge civil. Mais cela n'est qu'un répit car les mécanismes de vigilance se contractualisant le juge du commerce demeure le juge du contrat, notamment de sa résiliation : il en connaîtra donc par ce biais car la technique juridique de vigilance n'est pas close dans la loi de 2017, encore moins le Droit des contrats📎!footnote-2869.

Cela éclaire aussi le rapport de protection qui se nouerait entre l'entreprise "mère" ou "donneuse d'ordre" et ceux qui travaillent à son bénéfice, ce qui engendre sur la première un "devoir". En lisant ce vocabulaire-là, comment ne pas penser aux travaux de Pierre Legendre sur La fonction parentale des États📎!footnote-2832 ? Cette fonction paternelle serait désormais confiée aux entreprises dans l'économie globalisée, certains critiquant le paternalisme, voire le néo-colonialisme de cette vigilance bienveillante occidentale vers les pays qui lui sont lointains.

Sans développer davantage, cela montre à quel point la vigilance, qui consiste à regarder un autre, à observer en permanence comme en surplomb📎!footnote-2870 une situation à fin de détecter pour rendre l'intervention la plus efficace possible, à toujours obtenir des informations sur les personnes et les comportements (la détection étant donc le premier pilier du système) dont l'entreprise répondra des comportements, par exemple par sa responsabilité personnelle (la prévention étant donc le second pilier du système, afin de ne pas en arriver là). C'est pourquoi Nicolas Cayrol rappelle qu'en matière de Compliance les procès sont des procès en "responsabilisation"📎!footnote-2871.

Pourquoi avoir voulu un tel système ? Imposer une telle ambition ?

Pour atteindre des buts monumentaux. 

 

II.COMPRENDRE LA NOTION JURIDIQUE DE VIGILANCE PAR LES BUTS MONUMENTAUX DE LA COMPLIANCE

Puisque le législateur a si peu dit, il convient de sortir la vigilance de cet isolement la rendant incompréhensible pour l'appréhender comme un outil de compliance, qui, comme tous les autres et articulé avec ceux-ci, visant à concrétiser des buts monumentaux📎!footnote-2841. Les buts monumentaux de la vigilance fonctionnent en cercle avec ceux, plus larges encore, du Droit de la compliance.

En effet, dans ce cercle, les buts monumentaux de la vigilance ne sont qu'une pièce des buts monumentaux de compliance. Le Droit de la compliance est une nouvelle branche du Droit qui se définit d'une façon téléologique, à partir de ces buts. Ceux-ci peuvent être qualifiés de "monumentaux" en ce qu'ils expriment une grande ambition pour le futur📎!footnote-2842.

Le plus souvent, il s'agit d'affirmer l'ambition selon laquelle l'avenir ne sera pas ce qu'il deviendrait si l'on ne fait rien ici et maintenant : des "buts monumentaux négatifs" donc📎!footnote-2843.  La gestion des risques systémiques en est le meilleur exemple. Le système bancaire et financier en est familier.

Les "buts monumentaux positifs" expriment une ambition plus grande encore : opérer un progrès pour que l'avenir soit systémiquement amélioré par des actions immédiates et continues. L'égalité effective entre les êtres humains en est un exemple. Ils sont sous-jacents à une nouvelle conception de l'entreprise.

Les buts monumentaux de la Vigilance s'emboitent parfaitement dans ceux du Droit de la Compliance, dont ils ne constituent qu'une pièce. En effet, le souci de l'environnement et des droits humains constituent un cas d'application de ces buts monumentaux négatifs, en détectant les atteintes et les risques, en s'organisant pour construire un système où, de force, des équilibres climatiques seront construits et les êtres humains respectés📎!footnote-2844.

L'ensemble technique pouvant se ramener au souci systémique d'autrui parce que le Droit prend acte de la mondialisation des structures économiques📎!footnote-2845, la rupture s'opère alors avec la conception traditionnelle de la responsabilité et si même un Droit commun plus récent a développé la fonction préventive de celle-ci, c'est davantage vers une responsabilité de l'entreprise, parfois acceptée par celle-ci, à travers notamment les notions juridiques de "raison d'être" et de "mission" que Vigilance et Compliance mènent.

Dans cette conception systémique de la vigilance, pièce d'un Droit de la Compliance dont l'objet n'est plus le passé, et ne prend même le présent qu'en tant que l'action présente a prise sur l'avenir, les critères d'évaluation des notions juridiques sont : effectivité, efficacité, efficience. 

A ce titre, ceux qui sont chargés d'assurer le respect du Droit veillent tout d'abord à l'effectivité des instruments (plans, remédiations, engagements, formations, etc.), c'est-à-dire qu'ils aient lieu, mais encore à leur efficacité : qu'ils aient un effet en lien avec le but monumental recherché, ce lien entre la mise en oeuvre et le but étant exprimé par le principe juridique de la proportionnalité📎!footnote-2846. Plus encore une efficience est obtenue lorsque l'effet systémique bénéfique est atteint, soit par un effet négatif heureux (éviter la perte systémique, par exemple l'effondrement du secteur bancaire), soit un effet positif heureux obtenir le surcroit systémique, par exemple l'égalité effective des personnes).

C'est pourquoi ne sont des sujets de droit contraints à des obligations de compliance, et par exemple de vigilance, que les entités "en position" de faire quelque chose au regard de ces buts monumentaux, négatifs ou positifs.

Ces "opérateurs cruciaux"📎!footnote-2847 , qui sont les opérateurs "systémiques" en matière bancaire, les "entreprises donneuses d'ordre" dans la loi de 2017 sont ceux qui peuvent concrètement faire quelque chose, parce qu'ils en ont les moyens informationnels, d'implantation, technologiques, humains et financiers.

 

 

III. ARTICULER LES TECHNIQUES DE VIGILANCE POUR ATTEINDRE LES BUTS MONUMENTAUX

Cette conception téléologique de la vigilance implique qu'à partir de la normativité des buts pour lesquels le Législateur, doté du pouvoir de veiller à l'intérêt général, a posé les instruments, les capacités de ceux qui en ont des moyens soient mobilisés. L'entreprise est ainsi au cœur de la vigilance, qu'elle déploie dans les chaînes de valeur si l'on songe à la Loi dite Vigilance, mais aussi en son sein, par exemple, pour protéger et promouvoir les personnes.

Dans la mobilisation des capacités que requiert la Compliance, Droit d'actions concrètes pour demain l'entreprise est choisie non pas tant parce qu'elle serait déjà fautive, selon une sorte de "portrait de criminel-né" que l'on dresserait d'elle et de ses collaborateurs à rebours du principe de liberté pour aller vers une société de la toute-surveillance, mais parce qu'elle a les moyens de fait et de droit d'assurer une telle mission d'intérêt général.

Comme le souligne la loi Pacte de 2019, l'entreprise peut exprimer une raison d'être et, parce qu'elle est en position de le faire, exploiter sa position géographique, sa technologie, ses ressources humaines et les êtres humains pour contribuer à protéger les êtres humains. Pour faire cela, de force voire de gré (RSE, raison d'être, entreprise à mission), l'entreprise doit avant tout agir et faire agir, pour contribuer à une action commune.

Plus techniquement, elle doit montrer qu'elle manie ses leviers, notamment juridiques, pour obtenir des effets, en croisant les outils des autres, notamment par le Droit des contrats. En cela, le devoir de vigilance prend la forme de recours à des tiers, par des "contrats de compliance", donc, et se concrétise dans des stipulations spécifiques, des "clauses de compliance"📎!footnote-2848.

Dès lors, plus l'entreprise est puissante et plus elle peut porter son devoir pour l'avenir des systèmes et des êtres humains qui y vivront📎!footnote-2849. La vigilance suppose la puissance des entreprises, non seulement parce ce que, sans référence à un quelconque manquement, la "position de dominance" engendre une "responsabilité particulière" en soi, comme l'a affirmé la Cour de justice de l'Union européenne📎!footnote-2850, mais encore parce la puissance de l'entreprise est ce grâce à quoi elle exécute son devoir📎!footnote-2851.

En cela, le Droit de la compliance se distingue du Droit de la concurrence📎!footnote-2852, justifie notamment le rassemblement des informations, les alliances entre les entreprises et, par exemple, les audits menés chez un opérateur tiers au titre de la vigilance📎!footnote-2853.

L'essentiel est alors de mesurer les marges des uns et des autres.

L'on présente en effet souvent la compliance comme le fait d'obéir. L'entreprise devrait plier en tous points, aux réglementations, à toutes les normes, et à tous les régulateurs qui ainsi même hors secteurs régulés📎!footnote-2854, pourraient pénétrer dans toutes les entreprises, pour les régir par la compliance.

Il est essentiel de distinguer le "consentement", ce par quoi le sujet plie, et la "volonté", ce par quoi il exprime son autonomie📎!footnote-2855. Dans un système libéral, le consentement n'est que la trace probante de la volonté, n'est pas un objet autonome. Les entreprises, sujets de droit dans un État de Droit, ne peuvent être que des courroies de transmission qui plient pour l'effectivité de la volonté d'autres qui décident de tout et empruntent totalement leur puissance.

Or, le Droit de la Compliance est avant tout un espace des Volontés qui s'expriment ici et maintenant pour que demain soit demain📎!footnote-2858.

Cela engendre des marges de manœuvre pour chacun. Commençons par les entreprises.

Ainsi la marge de manœuvre des entreprises est tout d'abord à l'égard des buts monumentaux, qu'il serait contraire à l'ordre public international qu'elles les restreignent mais qu'elles peuvent d'une part conforter en y adhérant en les reprenant dans leurs propres engagements unilatéraux, et d'autre part accroître en les intensifiant, par exemple, dans le calendrier ou dans le territoire.

Cette expression de Volonté, et non pas de consentement, se déploie dans les "outils de la vigilance"📎!footnote-2857. Les entreprises sont libres de la façon dont elles concrétisent leur "Obligation de compliance", dont le devoir de vigilance est une déclinaison. Elles doivent donner à voir ce qu'elles font et le résultat de ce qu'elles font; Régulateurs, juges et parties concernées regardent ces résultats. La charge probatoire est sur les entreprises📎!footnote-2859. Mais cela ne signifie pas qu'elles perdraient la liberté de choisir les instruments.

Les parties prenantes ont elles-aussi des marges pour exprimer leur volonté. Le législateur les invite à participer à l'élaboration des outils techniques de vigilance, tandis que le Droit des sociétés, dans lequel la vigilance pénètre via la due diligence implique un dialogue et qu'on réponde aux questions.

Par défaut, celui devant lequel de grandes marges s'ouvrent pour l'expression de sa volonté, c'est le juge. "Par défaut", car contraint par la faiblesse de l'art législatif, contraint par l'obligation dans laquelle il est depuis toujours par l'article 4 du Code civil de répondre aux demandes que les sujets de droit lui font. Il répondra donc. 

La spécificité de la Compliance, droit d'action qui se saisit de l'avenir, le conduira à adapter sa façon de mener les procédures📎!footnote-2860. Chacun étant isolé et faible devant l'avenir, le juge recherche des appuis, le recours à des amici curiae étant le signe de cela, juge modeste qui pose publiquement et par méthode qu'obligé de juger, il ne sait pas tout. Parce que l'alliance est le moyen de faire face à cette faiblesse, point commun des États, des juges, des personnes concernées et des entreprises, le juge peut inciter à la médiation. Et plus l'enjeu est monumental, plus il est légitime qu'il le fasse📎!footnote-2861.

 

Abordons enfin les marges de manœuvre de l'Europe. L'Europe est un projet politique dont l'économie a constitué le matériau le plus immédiatement disponible. Le Droit de la Régulation et de la Compliance est en train d'y retrouver sa place, notamment dans une volonté politique de réguler l'espace numérique📎!footnote-2862pour la concrétisation de laquelle on demande aux opérateurs en position de le faire d'être "vigilants" sur ce qui est publié dans l'espace qu'ils contrôlent📎!footnote-2864. Demande avec ce qu'il est convenu d'appeler un "effet extraterritorial", que l'on retrouve naturellement dans la directive européenne sur le devoir de vigilance, mais qui vise plutôt la puissance de la Compliance à ne pas se soucier du territoire, ce qui lui permet d'être efficace dans les espaces immatériels et d'être indifférent aux frontières par la primauté du souci systémique📎!footnote-2865.

L'Europe est construite sur l'État de Droit et la protection des êtres humains. Les cendres de la Seconde Guerre ont rendu ce projet d'une urgence permanente. Pour réaliser ce projet humain, le Droit de la Compliance est actif, en ce qu'il met l'être humain au centre📎!footnote-2872. Dans cette perspective, requérant l'alliance comme méthode, obligation, devoir et engagement spontané de vigilance ne sont pas seulement une pièce de la Compliance : ils sont la pointe avancée de ce Droit qui sera révolutionnaire📎!footnote-2874, s'il est pensé et pratiqué non par ce qui oblige à obéir, mais comme ce qui produit des alliances. 

 

Cette juste mesure de la vigilance suppose donc un devoir partagé, entre les États, les entreprises cruciales, les parties prenantes.

La "juste mesure" permet de limiter les pouvoirs, en premier lieu parce que s'allier implique que l'on prenne en considération l'autre et le système probatoire de la Compliance obligera chacun à garder trace de cette prise en considération. Cette obligation probatoire a vocation à s'appliquer sur chacun, dans un système où chacun se justifie, dans le modèle démocratique dont Habermas vient de rappeler l'urgence, notamment dans une société de médias numériques📎!footnote-2866.

Cette "juste mesure" tient en second lieu dans l'entreprise elle-même. De la même façon que l'entreprise ne doit jamais prétendre sauver le monde ni émettre des normes universelles qui formeraient nos normes fondamentales de comportements📎!footnote-2867, ce qui serait de l'hubris, de la même façon les États ne doivent pas estimer que les "sociétés", êtres juridiques par lesquelles les entreprises entrent dans le commerce juridique, ne seraient que le reflet neutre de la Société, groupe social dont ils seraient eux seuls gardiens et pour le bien duquel , l'entreprise deviendrait toute entière "vigilante".

Non, c'est la conception chinoise qui, prenant les entreprises comme le bras armé d'une politique, charge les entreprises et tout un chacun, pliant par un consentement dont le lien avec la libre volonté a été brisé, ne fait plus la différence entre la Société, dont l'avenir est tracé par le pouvoir central et les sociétés qui deviennent tout entières "vigilantes", nouvelle nature dans une société où le secret n'a plus de place.

Garder la mesure est l'enjeu le plus grand dans le droit de la vigilance qui se construit.

Comptons sur le juge, qui toujours écoute l'un et l'autre, la contradiction étant insécable de lui📎!footnote-2868, pour tenir cette mesure grâce à laquelle Compliance et Vigilance construiront un avenir qui seront pour les êtres humains, mesure de toute chose, pas moins pire, voire meilleur, qu'aujourd'hui.

 

1

🏛️Décision du Conseil constitutionnel du 23 mars 2017, Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre : "13. Compte tenu de la généralité des termes qu'il a employés, du caractère large et indéterminé de la mention des « droits humains » et des « libertés fondamentales » et du périmètre des sociétés, entreprises et activités entrant dans le champ du plan de vigilance qu'il instituait, le législateur ne pouvait, sans méconnaître les exigences découlant de l'article 8 de la Déclaration de 1789 et en dépit de l'objectif d'intérêt général poursuivi par la loi déférée, retenir que peut être soumise au paiement d'une amende d'un montant pouvant atteindre dix millions d'euros la société qui aurait commis un manquement défini en des termes aussi insuffisamment clairs et précis." ; "27. En renvoyant aux articles 1240 et 1241 du code civil dans le nouvel article L. 225-102-5 du code de commerce, le législateur a seulement entendu rappeler que la responsabilité de la société à raison des manquements aux obligations fixées par le plan de vigilance est engagée dans les conditions du droit commun français, c'est-à-dire si un lien de causalité direct est établi entre ces manquements et le dommage. Les dispositions contestées n'instaurent donc pas un régime de responsabilité du fait d'autrui, ainsi que cela ressort, au demeurant, des travaux parlementaires. Par suite, et en tout état de cause, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de responsabilité."

2

Lire et regarder les Aventures de l'Epervier Vigilance, notamment 📕L'Epervier Vigilance et le Pays au nom oublié2023, paru dans la collection de legal design 👹Les Aventures de l'Ogre Compliance.

4

🏛️Tribunal judiciaire de Paris, Ordonnance de référé, 28 février 2023, Les amis de la terre et autres c/ Total Energie, n° RG 22/53942 : "La loi pose un principe de devoir de vigilance à certaines entreprises qui sont rattachées territorialement à la France, ce principe se concrétisant par l’obligation faite à ces sociétés d’adopter un plan de vigilance comportant 5 catégories de mesures.

Le contenu de ces mesures de vigilance demeure général, étant observé que le décret prévu par les dispositions susvisées pouvant apporter des précisions sur le contenu de ces mesures de vigilance n’est pas paru à ce jour.

La loi ne vise directement aucun principe directeur, ni aucune autre norme internationale préétablie, ni ne comporte de nomenclature ou de classification des devoirs de vigilance s’imposant aux entreprises concernées.

Le droit positif ne prévoit aucun référentiel, aucune typologie précise des droits concernés ou des mesures au sens des dispositions susvisées.

Il n’est pas davantage prévu de modus operandi, de schéma directeur, d’indicateurs de suivi, d’instruments de mesure devant présider à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation par l’entreprise des mesures générales de vigilance pesant sur elle du chef des dispositions susvisées.

Aucun organisme de contrôle indépendant, ou moniteur, ou d’indicateurs de performance ne sont davantage prévus par la loi pour évaluer ex ante le plan de vigilance adopté par l’entreprise ou pour vérifier la réalité de l’exécution de ce plan ex post, le seul contrôle prévu étant dévolu au juge qui pour opérer ce contrôle devra s’appuyer sur une notion standard « le caractère raisonnable » des mesures de vigilances contenues dans le plan de vigilance de l’entreprise, notion imprécise, floue et souple.

Cette législation assigne ainsi des buts monumentaux de protection des droits humains et de l’environnement à certaines catégories d’entreprise précisant à minima les moyens qui doivent être mis en œuvre pour les atteindre."

5

La doctrine a grand délice à réfléchir sur le rôle de la doctrine. On se réfèrera ici simplement à 🕴️Luhmann, par exemple 📝L'unité du système juridiquein 📗Le système juridique, Archives de philosophie du droit, 1986. 

7

Sur la puissance du Droit commun de la responsabilité, v. dans ce sens 🕴️A. Danis-Fatôme et 🕴️G. Viney, 📝La responsabilité civile dans la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, 2017 ; notamment au regard de la Directive européenne, 🕴️A. Danis-Fatôme, 📝La responsabilité civile dans la proposition de directive européenne sur le devoir de vigilance, 2022.

8

V. dans ce sens 🕴️M. Fabre-Magnan, ... in 🕴️Thomas Clay (dir.), 📗Mélanges en l'honneur du Professeur Loïc Cadiet, 2023.

Cet article s'inscrit dans des réflexions inquiètes, voire critiques, de l'auteur : .....

9

🕴️J.-B. Racine (dir.), 📕Le droit économique au XXIe siècle. Notions et enjeux, 2020.

11

Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, article 56 : "La sous-section 2 de la section 1 du chapitre Ier du titre Ier du livre II du code de l'organisation judiciaire est complétée par un article L. 211-21 ainsi rédigé : « Art. L. 211-21.-Le tribunal judiciaire de Paris connaît des actions relatives au devoir de vigilance fondées sur les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce. »".

14

Cette extériorité de méthode engendre des enjeux de méthode considérable quant à une technique essentielle : les enquêtes internes.

V. 🕴️S. Scemla et 🕴️D. Paillot, 📝La difficile appréhension des droits de la défense par les autorités de contrôle en matière de compliancein 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕La juridictionnalisation de la Compliance, 2023 🕴️M.-A. Frison-Roche et 🕴️M. Boissavy (dir.), 📕Compliance et droits de la défense, 2023.

20

🕴️Association Capitant, 📗La Mondialisation2017.

25

🏛️CJCE, 9 novembre 1983, aff. 322/81, Michelin c/ Commission, pt. 57 : "la constatation de l'existence d'une position dominante n'implique en soi aucun reproche à l'égard de l'entreprise concernée, mais signifie seulement qu'il incombe à celle-ci, indépendamment des causes d'une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun".

26

🕴️M.-A. Frison-Roche, 🎤L'usage des puissances privées par le droit de la compliance pour servir les droits de l’homme, in J. Andriansimbazonina (dir.), 🧮Puissances privées et droits de l'homme, 2023.

31

🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝L'obligation de compliance, entre volonté et consentement : obligation sur obligation vaut, in 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕L'obligation de Compliance, 2024.

32

Les outils de la vigilance sont une pièce des Outils de la Compliance. 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les outils de la Compliance, 2021.

33

Sur le système probatoire, presque en devenir, 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Le juge, l'obligation de compliance et l'entreprise. Le système probatoire de la Compliancein 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕La juridictionnalisation de la Compliance, 2023

35

🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Compliance et Médiation, 2023.

40

🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 🧮La Vigilance, pointe avancée des obligations de Compliance, 2023, in 🏗️Cycle de colloques 2023 autour de L'Obligation de Compliance.

41

🕴️J. Habermas, 📗Espace public et démocratie délibérative : un tournant, 2023 ; cela est à corréler avec le rapport du Conseil d'État, 📓Les réseaux sociaux. Enjeu et opportunités pour la puissance publique2022.

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