8 avril 2024

Auditions Publiques

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 Référence complète : M.-A. Frison-Roche, audition par la Commission des Lois, Assemblée Nationale, sur la proposition de loi relative à la confidentialité des avis juridiques, 8 avril 2024.

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J'ai eu l'occasion d'exprimer mon avis sur la nécessité pour le Droit français de mieux assurer la confidentialité des avis juridiques que les entreprises élaborent par un article publié en 2023 au Recueil Dalloz : "La compliance, socle de la confidentialité nécessaire des avis juridiques élaborés en entreprise". 

C'est dans le prolongement de cet article et tant que spécialiste du Droit de la Régulation et de la Compliance que j'ai été conviée par la Commission des Lois de l'Assemblée Nationale à exposer mon opinion sur la Proposition de loi n°2022 relative à la confidentialité des consultations des juristes d'entreprises.

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► Résumé de la présentation : J'ai montré qu'il faut partir non pas des personnes et pas même d'une façon centrale de l'information dont il s'agit mais des buts poursuivis, c'est-à-dire du Droit de la Compliance.

Or à ce propos il faut ne pas se fourvoyer. L'on pourrait le faire en commettant une confusion, souvent faite par réduction, entre la "conformité" mécanique et ce qu'est cette nouvelle branche du Droit : le Droit de la Compliance. La conformité n'est qu'un outil du Droit de la Compliance. Par souci du bon usage de la langue française, la Compliance apparaissant à beaucoup comme un terme américain, la proposition de loi utilise le terme "conformité" mais renvoie au Droit de la Compliance. La "conformité" n''est que l'obligation mécanique d'obéir aux règles applicables, ce qui est le sort de tout sujet de droit assujetti au Droit, position passive commune à tous dans un État de Droit.

Le Droit de la Compliance est tout autre chose, la conformité n'étant que l'un de ses outils. D'une part le Droit de la Compliance pose une obligation active et d'autre part il ne vise que certains sujets de Droit : les entreprises.  Il s'agit pour elles de faire en sorte que certains buts visés par le Législateur soient effectivement atteints, ce qui devient effectivement et efficacement possible grâce à la puissance des entreprises ( puissance financière, d'organisation, de management, d'information, d'implantation, d'information). Ces "buts monumentaux" sont soit négatifs (éviter que les systèmes ne s'effondrent) soit positifs (faire en sorte que les systèmes s'améliorent).  

Pour que les entreprises jouent ce rôle là, rôle qui n'est pas demandé aux autres assujettis  "ordinaires" car ils ne sont pas "en position" de prendre une telle charge, notamment financière et d'organisation, ceux qui ont en charge de s'organiser et d'agir, les entreprises donc, doivent "détecter et prévenir" les défaillances des systèmes (ce que demandent des lois comme FCPA, Sapin 2, Vigilance, CSRD, CS3D, etc.). Pour "détecter et prévenir", ce qui est un ordre du Législateur, les entreprises doivent connaître les faiblesses de leur organisation et des personnes dont elles répondent afin d'y remédier : la "remédiation" est un "remède" pour assurer la "durabilité" des "systèmes".

Cet ensemble de notions-clés est au centre du Droit de la Compliance, branche du Droit ayant l'avenir pour objet.

Ce sont les avis juridiques, par exemple et notamment le rapport résultant des enquêtes internes, qui permettent à ceux qui décident et contrôlent de cette organisation (les managers) de remplir ce rôle que l'Etat leur a confié. Si ces avis ne sont pas confidentiels, le résultat n'est pas la remédiation et la préservation des systèmes globaux (systèmes concurrentiel, climatique, numérique, énergétique, bancaire, financier, etc.) : la solution managériale efficace consiste alors en Ex-Ante non plus à chercher l'information mais à l'inverse à ne pas chercher cette information, puisque son obtention entraînera l'affaiblissement de l'entreprise par la sanction que l'information produit, faute de confidentialité.

L'intérêt du système, de l'Etat et de l'entreprise sont disjoints, car que le Droit de la Compliance implique leur alliance, ce que produit la confidentialité des avis juridique.

C'est en cela que le Droit de la Compliance doit engendrer, par sa nature même, la confidentialité des avis juridiques.

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Par ailleurs, interrogée sur le texte même de la proposition, j'ai estimé que l'exposé des motifs me paraissait particulièrement pertinent, puisque le lien entre le Droit de la Compliance (appelé certes "conformité" par un respect un peu trop mécanique de la langue juridique française dont pour l'instant le législateur français n'arrive pas à se départir....) apparaît clairement, que cette confidentialité est attachée au document, que l'entreprise peut y renoncer, qu'elle se distingue nettement du secret professionnel, ces trois éléments devant être approuvés.

J'ai pour ma part suggéré une modification en ce qui concerne la procédure, qui doit être effectivement ouverte sur le processus de confidentialité.

En effet, les Autorités publiques, par exemple les Autorités de Régulation, sont plutôt hostiles à cette confidentialité.

Ayant pour ma part beaucoup contribué à l'élaboration du Droit de la Régulation et continuant à le faire, j'estime que les Autorités de Régulation ont une logique qu'il faut comprendre. Elle est la suivante : les Autorités de Régulation sont en Ex-Ante (ce fut moins vrai pour l'Autorité de la concurrence, mais elle-aussi l'est de plus en plus) et sont en situation d'asymétrie d'information. Leur premier souci est de lutter contre cette asymétrie. Si l'on traduit cela en termes juridiques, cela signifie que pour réaliser leur mission d'intérêt général, elles recherchent tous les éléments d'information. Or, les avis juridiques, notamment le rapport de l'enquête d'interne, est ce que j'ai pu qualifier de "trésor probatoire". Dans leur logique, les Autorités de Régulation veulent s'en saisir.

L'on a donc un conflit entre deux logiques d'intérêt général : l'intérêt général des Buts Monumentaux du Droit de la Compliance activement servi par les entreprises, sur ordre de la Loi, qui requiert la confidentialité des avis juridiques, et l'intérêt général de l'action des Régulateurs qui luttent contre l'asymétrie d'information et recherchent à se saisir des trésors probatoires des avis juridiques.

Pour ma part, j'estime pour les raisons développées ci-dessus que les Buts Monumentaux de la Compliance doivent prévaloir. Et ce d'autant plus que les droits de la défense convergent pour cela.

Mais in fine c'est au juge, en cas de conflit ouvert, de mettre en équilibre ces deux prétentions qui se fondement sur le service de l'intérêt général. 

Or, à lire le titre, il me paraît que la procédure, assez compliquée, confie cela à une multiplicité de juges... Mais puisque c'est bien le Droit de Compliance qui fonde le mieux de legal privilege "à la française", Droit de la Complique qui est le prolongement du Droit de la Régulation, et dont la pointe avancée est le Droit de la Vigilance, il serait plus adéquat et logique de confier ce contentieux à la compétence exclusive du Tribunal judiciaire de Paris.

Cela aurait un autre un effet heureux : sur recours, la dispute sera apportée devant la Cour d'appel de Paris, qui connaît en compétence exclusive (sauf exceptions) des contentieux sur les décisions sur les Autorités de Régulations. Les magistrats du pôle 5 (12 chambres spécialisées en Droit économique) sont aguerris et seraient adéquats pour faire cet équilibre nécessaire entre les deux intérêts généraux impliqués.

Je pense qu'une modification procédurale du texte dans ce sens serait bienvenue.

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► Voir dans mes travaux ceux qui peuvent présenter un intérêt au regard de cette audition ⤵️

🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Le rôle du juge dans le déploiement du Droit de la Régulation par le Droit de la Compliance, in 📗Conseil d'État et Cour de cassation, De la Régulation à la Compliance : quel rôle pour le Juge ?2024.  

🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Compliance et conformité : les distinguer pour mieux les articuler, 2024.

🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.),📕L'obligation de compliance, 2024.

🕴️M.-A. Frison-Roche et M. Boissavy (dir.), 📕Compliance et droits de la défense, 2024.

🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕 Compliance et droits de la défenseLes Buts Monumentaux de la compliance,  2022.

🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Contrat de compliance, clauses de compliance, 2022.

🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Le Droit de la compliance, 2016.

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7 mars 2024

Conférences

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 Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "L’enjeu de la confidentialité des avis juridiques internes au regard des « Buts Monumentaux » de la Compliance", in L’instauration d’un Legal Privilege à la française. Le temps de l’action au service de la souveraineté et de la compétitivité de nos entreprises, Association française des juristes d'entreprise (AFJE), Association nationale des juristes de banque (ANJB) et Cercle Montesquieu, 7 mars 2024, Maison de la Chimie, 28 rue Saint Dominique Paris

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📝Sur le même sujet, lire l'article de Marie-Anne Frison-Roche "La compliance, socle de la confidentialité nécessaire des avis juridiques élaborés en entreprise"

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16 novembre 2023

Base Documentaire : 01. Conseil constitutionnel

► Référence complète : Cons. const., 16 novembre 2023, n° 2023-855 DC, Loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023‑2027.

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🏛️lire la décision

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9 novembre 2023

Publications

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 Référence complèteM.-A. Frison-Roche, "La compliance, socle de la confidentialité nécessaire des avis juridiques élaborés en entreprise", D. 2023, édito du 9 novembre 2023.

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📝lire l'article

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► Résumé de l'article : La loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 avait introduit en droit français la confidentialité des avis des juristes d'entreprise (avant que le Conseil constitutionnel, pour une question de procédure parlementaire, n'annule la disposition, laissant donc la question toujours ouverte). Cette évolution est nécessaire pour répondre à l'injonction faite aux entreprises d'être de plus en plus en conformité avec les lois, celle-ci n'étant elle-même que l'un des outils d'un mouvement plus large : le Droit de la Compliance.

Cette branche du Droit, à travers notamment la loi "Sapin 2" de 2016, la loi "Vigilance" de 2017 ou encore le Digital Services Act (DSA), impose aux entreprises de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour satisfaire des Buts Monumentaux contenus dans les lois ou réglementations. Cela suppose dans un premier temps que les entreprises disposent d'information (via l'alerte, la cartographie des risques, la vigilance, la rapport de durabilité, etc.), leur permettant de connaître leurs conformités et non-conformités, afin qu'elles puissent, dans un second temps, agir effectivement pour mettre fin aux manquements actuels, prévenir des manquements futurs et atteindre les buts fixés.

Ce système de compliance nécessite que l'information portée à la connaissance des managers soit fiable et sincère. Or, si la non-conformité n’est pas analysée et transmise en étant protégée par la confidentialité, l’entreprise préférera n’en rien connaître et ne pourra donc pas agir de manière adéquate, ce qui privera la collectivité de sa puissance d’action dans le futur. C’est pourquoi la confidentialité des avis des juristes d'entreprise s’appuie sur la définition même du Droit de la Compliance.

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9 décembre 2014

Conférences

Lire l'article qui rendit compte de la manifestation.

Voir des extraits de la manifestation.

Il fût un temps où les "codes d'éthique" n'existaient pas et l'on s'en portait aussi bien. Quand ils sont apparus, moqueries et critiques les accueillirent. Moqueries car ils n'étaient que redondance. En effet et par exemple, affirmer l'engagement de respecter le droit n'aurait aucun sens car respecter le droit est une obligation préexistante à toute déclaration de soumission. Critiques car ils apparurent comme un mode d'internalisation du pouvoir normatif, c'est-à-dire un mode de capture du pouvoir législatif. L'entreprise devenue Portalis ...

Peut-être. Mais aussi les temps ont-ils changé, qui font pâlir ces remarques acerbes. En effet, la soumission à la loi n'est pas un acquis. La normativité peut se partager si l'exercice qu'en fait l'entreprise aboutit à ne pas contredire l'autonomie du Politique, voire la complète, peut-être la renforce.

Ici, le corps de prescription de comportements sanctionnés, c'est-à-dire la régulation, n'est pas interne à une entreprise, ou à un secteur, mais à une "profession" commune à toutes les entreprises. Il est probable que la notion d'"entreprise" soit amenée à se développer, sorte renouvelée de corps intermédiaire, dans le grand désert de la mondialisation.

L'enjeu dès lors est pour les "juristes d'entreprise" d'être véritablement une "profession". Cela n'est pas si clair lorsque la profession est "réglementée", mais enfin lorsque le Politique la nomme ainsi, cela la constitue. Lorsqu'elle se désigne ainsi, alors l'autorégulation résulterait en outre de l'autodésignation ...

Pour être une profession, il faut avoir une unicité commune à l'intérieur du groupe, et une hétéronomie par rapport à l'extérieur. La difficulté tient surtout dans cette seconde exigence, dans la mesure où cet extérieur peut être pour le "juriste d'entreprise" l'entreprise elle-même. C'est alors que l'ordre se renverse car c'est le Code d'éthique qui peut permettre aux juristes d'entreprise de prendre distance par rapport à la hiérarchie de l'entreprise et d'exister ainsi comme profession. Cela renvoie aussi à une nouvelle conception de l'entreprise, moins hiérarchisée. En cela, l'éthique de la profession du juriste d'entreprise renvoie aux fondements de la Corporate Social Responsability, laquelle suppose une entreprise conçue comme un groupe non-hiérarchisé.

Lire le programme de la manifestation

Lire le Code de déontologie AFJE