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Vient de sortir la traduction française de La loi du sang. Cet ouvrage décrit la "normativité nazie", sa puissance, sa cohérence et sa simplicité. Il s'agit de "la loi du sang". Face à cette référence unique, rien ne peut tenir. Rien pas même le droit, dissous par l'intrusion de cette référence qui l'avait absorbé tout entier jusqu'à ne plus lui laisser que sa forme, la loi, le règlement et la décision administrative, le droit offrant son imperium au sang, le droit n'ayant plus de juris-dictio, un droit réduit au silence.
En effet, le droit s'anéantit lorsqu'au lieu de recevoir des informations extérieures, dont la biologie fait certainement partie, il se couche pour laisser une idée l'imprégner tout entier et devenir sa Loi unique, placée au centre. Le fonctionnement exogène des choses, l'engendrement, l'affection, les races, etc., devient sans métamorphose ni filtre la Loi du droit. S'il n'y a plus de transformation, alors ce qui apparait comme la normativité juridique n'est qu'un masque pour cacher l'absence totale de droit. Les Lois de Nuremberg n'étaient-elles pas parfaites ? Les procès de Moscou n'étaient-ils pas dans les formes ?
Aujourd'hui, c'est une idée qui prétend se mettre au centre du droit et devenir la normativité juridique elle-même. C'est la "Loi du désir". Si quelqu'un désire quelque chose et que quelqu'un d'autre consent à satisfaire ce désir, le système juridique doit être "réaliste" et prendre acte de cette "réalité". Son pragmatisme l'obligerait à mettre cette "Loi du désir" au coeur du système juridique, puisque tout un chacun est d'accord. Puisque c'est le désir de chacun, puisque c'est la volonté de chacun, puisque c'est le consentement de chacun, la Loi du désir s'exprime non plus par des actes unilatéraux pris par un chef, mais par des myriades de contrats par lesquels chacun dispose de soi.
La Loi du désir est celle du marché, dans une conception extrême de celui-ci. Tout ce qui est objet de désir devrait être déclarée accessible par le droit, puisqu'il y a désir de la chose et désir d'offrir celle-ci. Ainsi, le désir d'enfant se transforme en droit à l'enfant. Le fait que l'enfant ne soit pas une chose n'arrête plus le désir transformé en droit, puisque le bébé sera bien traité. La loi devrait prendre acte. Si l'enfant ne vient pas, alors les services d'une femmes sont utilisés, la mère-porteuse donnant sa grossesse. Peu importe qu'elle soit la mère, peu importe qu'elle donne son propre enfant. Selon la "Loi du désir", c'est désormais le "désir" qui est le fondement de toutes choses : la mère sera l'être qui a "désiré" l'enfant, peu importe si l'être est un homme, peu importe si la mère est effacée, puisqu'elle s'est engagée contractuellement à ne désirere.
Si la Loi du désir devient notre unique normativité, alors le désir de chacun va porter sur un enfant "biologique", qui nous ressemble, prolongement de l'amour désirant, éternité puisque reflet de nous, revanche sur la venue de l'enfant qui fût toujours pour l'homme le rapport de sa mortalité. Si la Loi du désir devient notre unique normativité, alors le désir va porter sur un enfant beau, endurant, agile et apprenant vite. Ne le désirerait-il pas lui-même ? Les entreprises vont alors offrir "l'enfant augmenté". Les expériences en cours de transhumanisme ne butteront pas contre un droit qui aura pris comme normativité centrale la Loi du Désir.
Mais le droit est l'oeuvre du Politique. C'est son essence. Le Politique fait des choix. Ses choix prennent en considération les réalités, notamment les désirs des uns et des autres. Mais le Politique a la puissance et la légitimité intrinsèque de se mettre en distance. Sinon, il n'y a plus de Politique, il y a de la gestion publique des problèmes concrets du temps présents.
La "Loi du Désir", si elle devait gouverner, mettra le corps des personnes sur le marché et les personnes qui en ont les moyens financiers pourront satisfaire leur désir d'enfants, dont elles commanderont aux entreprises de biotech l'accroissement génétique des aptitudes. On peut admettre par un droit anéanti par sa reconstruction entière autour d'un principe exogène, ici le principe de l'ajustement de l'offre et de la demande permettant la satisfaction optimale des désirs. On peut ne pas l'admettre si on y voit la fin de l'idée d'humanité que l'Occident développa.
C'est au Politique d'en donner le signal, soit en se taisant et la Loi du Désir anéantissant le droit tout en adoptant des formes juridiques en toutes places, contrats et jugements, soit le Politique parlera pour poser que le droit n'est la forme exclusive d'aucune puissance, pas même celle du désir d'argent, car c'est la perspective d'un fabuleux marché des corps et de l''enfantement d'une race humaine améliorée qui se présente ouvertement, vantée par ses concepteurs, attendus par les consommateurs d'humains.
I. LA NORMATIVITE JURIDIQUE EN DISTANCE PAR RAPPORT AU REEL
II. L'ANEANTISSEMENT DU DROIT PAR SA RECEPTION CENTRALE D'UNE "LOI' EXOGENE
III. LE POLITIQUE FACE A LA "LOI DU DESIR"
17 février 2017
Blog
Johann Chapoutot prend le système nazi au sérieux. Non seulement comme machine de destruction des êtres humains, comme machine administrative, comme machine de fascination des êtres humains, amenés à servir ladite machine, mais comme machine intellectuelle à prendre au sérieux.
Prendre au sérieux un système, c'est le comprendre. Ce n’est pas admettre. C’est en souligner l’ossature pour mieux l’identifier, y attacher des marqueurs, pour en reconnaître des traces ici et maintenant.
Oui, il faut s'intéresser au système de pensée nazi (I), continuer de chercher à comprendre le droit nazi (II), admettre la part que les intellectuels ont pris dans la construction d’un système qui a révolutionné la vision intellectuelle du monde en faisant prédominer une nature imaginaire, construction intellectuelle dans laquelle le Droit et les professeurs de droit ont une grande place (III). Ce qui nous permet de se demander, non sans effroi, si nous ne sommes pas aujourd’hui confrontés à une semblable « révolution culturelle », dont nous ne mesurons pas l’ampleur, dont nous ne voulons pas voir l’ossature, et à laquelle éventuellement nous collaborer (IV).
Lire ci-dessous les développements.
26 novembre 2015
Conférences
Référence : Frison-Roche, M.-A., Boucherie du 13 novembre 2015 / Droit, 26 novembre 2015, Sciences po, campus franco-allemand, Nancy.
Consulter les slides ayant servi de support à la conférence.
Regarder et écouter la conférence.
Lire un article qui fait suite : Le faisable et l'inconcevable.
Le 13 novembre 2015 des faits se sont déroulés qui ont pris le Droit à partie. Le Droit est un système construit dans des procédures lentes et fixées par avance. Il ne bouge que de cette façon, sauf à se dénaturer. Il est mécanique. Mais il n'est pas qu'une machine, machine à faire de l'ordre ou de l'argent ou de la performance. Le Droit est aussi un art pratique dont la fonction est de protéger les êtres humains. Les êtres humains puissants et forts ont la puissances et la force et les autres ont le Droit. Les puissants et les forts ont aussi le Droit mais les autres n'ont que le Droit. C'est en cela que tous sont égaux, égaux en Droit. Pour parvenir à cet exploit, le Droit a inventé, par artefact, la "Personne" : tout être humain est une Personne. C'est ainsi, le Droit l'a dit. Le Droit est Verbe.
Ce qui est arrivé de terrible le 13 novembre, c'est que des êtres humains en ont exterminé d'autres, le plus possible, sans aucun souci d'eux, sans les considérer en rien comme des êtres humains, comme de la vermine. C'était une "boucherie. Les victimes ont été déniées dans leur humanité. Le Droit se saisit des assassinats, même de masse, même terribles, même génocidaires, mais lorsque les assassins n'ont pas même le sentiment de tuer des êtres humains, et se considérent eux-mêmes comme au-dessus des êtres humains, le Droit, qui est invention humaine faite de mots, est saisi dans son existence même.
Ainsi sommé, comment répondre ?
9 septembre 2015
Blog
Dans son réquisitoire devant le Tribunal de Nuremberg, le procureur 'Auguste Champetier de Ribes, procureur près le Tribunal de Nuremberg s'exprime ainsi :
....La mystique à laquelle pensait Bergson, nous savons ce qu'elle est. C'est celle qu'à l'apogée de la civilisation gréco-latine, alors que Caton, l'Ancien, le sage des sages, écrivait dans son Traité d'économie politique : "il faut savoir vendre à temps ses vieux bœufs et ses vieux esclaves", a introduit dans le monde ces deux notions, qui ont suffit à le bouleverser, la notion de la personne et celle de la fraternité humaine.
La personne, c'est-à-dire l'individu spiritualisé, non plus l'homme isolé, le numéro dans l'ordre politique, le rouage dans l'ordre économique, mais l'homme tout entier corps et esprit, esprit incarné sans doute, mais avant esprit, pour l'épanouissement duquel est faite la société, l'homme social, qui ne trouve son plein développement que dans la communauté fraternelle de son prochain, l'homme, auquel sa vocation confère une dignité qui le fait échapper de droit à toute entreprise d'asservissement et d'accaparement.
Ces paroles sont essentielles, en ce qu'elles ont été prononcées à cet instant si particulier de l'Histoire qu'est le procès de Nuremberg. Elles sont prononcées par un procureur, c'est-à-dire celui qui a en charge de faire au nom du Droit reproche à ceux qui sont accusés. Il va leur reprocher non pas seulement les atrocités concrètes et le nombre inouïs de victimes. En cela, d'autres génocides pourront s'y comparer sans doute. Il va leur reprocher autre chose, différent et incommensurable. Il va reprocher à la pensée nazie, car il y a une pensée nazie
Par une démonstration fulgurante, Champetier de Ribes montre que la pensée gréco-romaine à inventer la notion de "personne. Il s'agit d'une notion "mystique", en ce qu'un être humain cesse d'être un être isolé et dépendant
Shapiro, La loi du sang, trad. franç., Gallimard, 2014.
Anders, G., Nous, fils d'Eichmann, trad. franç. ....
15 janvier 2015
Conférences
Le droit prétend être un système autonome, produisant sa propre réalité, incontestable. Acte de langage, il est performatif, en cela souverain. La mondialisation le permet-elle encore ? Pourtant, le droit étant aussi une pratique sociale, soit il prend son objet comme limite (il ne peut dire qu’il fait jour la nuit), soit il prend son objet comme maître : le droit nazi établit la « loi du sang ». Aujourd’hui, l’économie est-elle la loi du droit ?
En outre, le droit n’est-il pas positif qu’une fois appliqué ? Dès lors, le droit recherche l’adhésion, par un discours qui séduit et balance les intérêts. Mais dans le même temps, le droit veut de plus en plus refléter la réalité. Sa première évolution l’éloigne de la vérité pour aller vers le consensus, la seconde prétend la rapprocher. Par exemple, qui décide de la filiation ? On en vient à douter que le Politique ou la morale aient encore une place dans le système juridique.
Avoir une première vue du programme.
Lire le programme général du colloque, Sous-détermination, incomplétude, incommensurabilité : la pensée des limites
Lire le Working Paper établissant les grandes lignes servant de base à la discussion
Mise à jour : 31 juillet 2013 (Rédaction initiale : 13 septembre 2011 )
Enseignements : Les Grandes Questions du Droit, semestre d'automne 2011
Mise à jour : 31 juillet 2013 (Rédaction initiale : 17 octobre 2011 )
Enseignements : Les Grandes Questions du Droit, semestre d'automne 2011
Mise à jour : 31 juillet 2013 (Rédaction initiale : 20 septembre 2011 )
Enseignements : Les Grandes Questions du Droit, semestre d'automne 2011
28 février 2012
Base Documentaire : 01. Conseil constitutionnel