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De la Loi du sang à la Loi du désir

par Marie-Anne Frison-Roche

Vient de sortir la traduction française de La loi du sang. Cet ouvrage décrit la "normativité nazie", sa puissance, sa cohérence et sa simplicité. Il s'agit de "la loi du sang". Face à cette référence unique, rien ne peut tenir. Rien pas même le droit, dissous par l'intrusion de cette référence qui l'avait absorbé tout entier jusqu'à ne plus lui laisser que sa forme, la loi, le règlement et la décision administrative, le droit offrant son imperium au sang, le droit n'ayant plus de juris-dictio, un droit réduit au silence.

En effet, le droit s'anéantit lorsqu'au lieu de recevoir des informations extérieures, dont la biologie fait certainement partie, il se couche pour laisser une idée l'imprégner tout entier et devenir sa Loi unique, placée au centre. Le fonctionnement exogène des choses, l'engendrement, l'affection, les races, etc., devient sans métamorphose ni filtre la Loi du droit. S'il n'y a plus de transformation, alors ce qui apparait comme la normativité juridique n'est qu'un masque pour cacher l'absence totale de droit. Les Lois de Nuremberg n'étaient-elles pas parfaites ? Les procès de Moscou n'étaient-ils pas dans les formes ?

Aujourd'hui, c'est une idée qui prétend se mettre au centre du droit et devenir la normativité juridique elle-même. C'est la "Loi du désir". Si quelqu'un désire quelque chose et que quelqu'un d'autre consent à satisfaire ce désir, le système juridique doit être "réaliste" et prendre acte de cette "réalité". Son pragmatisme l'obligerait à mettre cette "Loi du désir" au coeur du système juridique, puisque tout un chacun est d'accord. Puisque c'est le désir de chacun, puisque c'est la volonté de chacun, puisque c'est le consentement de chacun, la Loi du désir s'exprime non plus par des actes unilatéraux pris par un chef, mais par des myriades de contrats par lesquels chacun dispose de soi.

La Loi du désir est celle du marché, dans une conception extrême de celui-ci. Tout ce qui est objet de désir devrait être déclarée accessible par le droit, puisqu'il y a désir de la chose et désir d'offrir celle-ci. Ainsi, le désir d'enfant se transforme en droit à l'enfant. Le fait que l'enfant ne soit pas une chose n'arrête plus le désir transformé en droit, puisque le bébé sera bien traité. La loi devrait prendre acte. Si l'enfant ne vient pas, alors les services d'une femmes sont utilisés, la mère-porteuse donnant sa grossesse. Peu importe qu'elle soit la mère, peu importe qu'elle donne son propre enfant. Selon la "Loi du désir", c'est désormais le "désir" qui est le fondement de toutes choses : la mère sera l'être qui a "désiré" l'enfant, peu importe si l'être est un homme, peu importe si la mère est effacée, puisqu'elle s'est engagée contractuellement à ne désirere.

Si la Loi du désir devient notre unique normativité, alors le désir de chacun va porter sur un enfant "biologique", qui nous ressemble, prolongement de l'amour désirant, éternité puisque reflet de nous, revanche sur la venue de l'enfant qui fût toujours pour l'homme le rapport de sa mortalité. Si la Loi du désir devient notre unique normativité, alors le désir va porter sur un enfant beau, endurant, agile et apprenant vite. Ne le désirerait-il pas lui-même ? Les entreprises vont alors offrir "l'enfant augmenté". Les expériences en cours de transhumanisme ne butteront pas contre un droit qui aura pris comme normativité centrale la Loi du Désir.

Mais le droit est l'oeuvre du Politique. C'est son essence. Le Politique fait des choix. Ses choix  prennent en considération les réalités, notamment les désirs des uns et des autres. Mais le Politique a la puissance et la légitimité intrinsèque de se mettre en distance. Sinon, il n'y a plus de Politique, il y a de la gestion publique des problèmes concrets du temps présents.

La "Loi du Désir", si elle devait gouverner, mettra le corps des personnes sur le marché et les personnes qui en ont les moyens financiers pourront satisfaire leur désir d'enfants, dont elles commanderont aux entreprises de biotech l'accroissement génétique des aptitudes. On peut admettre par un droit anéanti par sa reconstruction entière autour d'un principe exogène, ici le principe de l'ajustement de l'offre et de la demande permettant la satisfaction optimale des désirs. On peut ne pas l'admettre si on y voit la fin de l'idée d'humanité que l'Occident développa.

C'est au Politique d'en donner le signal, soit en se taisant et la Loi du Désir anéantissant le droit tout en adoptant des formes juridiques en toutes places, contrats et jugements, soit le Politique parlera pour poser que le droit n'est la forme exclusive d'aucune puissance, pas même celle du désir d'argent, car c'est la perspective d'un fabuleux marché des corps et de l''enfantement d'une race humaine améliorée qui se présente ouvertement, vantée par ses concepteurs, attendus par les consommateurs d'humains.

 

I. LA NORMATIVITE JURIDIQUE EN DISTANCE PAR RAPPORT AU REEL

II. L'ANEANTISSEMENT DU DROIT PAR SA RECEPTION CENTRALE D'UNE "LOI' EXOGENE

III. LE POLITIQUE FACE A LA "LOI DU DESIR"

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