► Référence complète : Com., 1er février 2023, n° 20-21.844 (publié au Bulletin).
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Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er février 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 94 FS-B
Pourvoi n° H 20-21.844
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER FÉVRIER 2023
L'ordre des architectes, dont le siège est [Adresse 4], domicilié en cette qualité au Conseil national de l'ordre des architectes, a formé le pourvoi n° H 20-21.844 contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 7), dans le litige l'opposant :
1°/ à l'Autorité de la concurrence, dont le siège est [Adresse 1], représentée par sa présidente, en exercice, domiciliée audit siège,
2°/ à M. [Z] [B], domicilié [Adresse 3],
3°/ au ministre de l'économie, des finances et de la relance, domicilié [Adresse 2], représentant la direction générale de la concurrence, de la consommation et la répression des fraudes,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de l'ordre des architectes, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de l'Autorité de la concurrence, représentée par sa présidente, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Champalaune, conseillers, Mmes Comte, Bessaud, Bellino, M. Regis, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 octobre 2020), par une décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019, l'Autorité de la concurrence, qui s'était saisie d'office de pratiques mises en oeuvre dans le secteur d'activité des architectes, a sanctionné, sur le fondement des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), l'ordre des architectes, six sociétés d'architectes et quatre architectes pour avoir mis en oeuvre des décisions d'association d'entreprises constitutives d'ententes anticoncurrentielles. Ces décisions consistaient, pour la première, à diffuser et à imposer une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes de plusieurs régions, la seconde, à diffuser un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d'allégation de concurrence déloyale contre les architectes pratiquant des prix bas, ces saisines ayant vocation à être déposées et défendues par les conseils régionaux de l'ordre (CROA).
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. L'ordre des architectes fait grief à l'arrêt de n'annuler la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des prestations d'architecte qu'en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros, de prononcer une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros contre lui au titre des pratiques visées aux articles 1 à 5 de la décision et de rejeter pour le surplus ses autres moyens en annulation et réformation, alors :
« 1°/ qu'en vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, le juge administratif est seul compétent pour se prononcer sur la conformité au droit de la concurrence d'actes ou de pratiques résultant de l'exercice de prérogatives de puissance publique, y compris lorsqu'un tel exercice apparaît manifestement inapproprié ; qu'en retenant, au contraire, pour justifier la compétence de l'Autorité de la concurrence, que celle-ci pouvait connaître, notamment, des pratiques relevant de l'exercice de prérogatives de puissance publique lorsqu'elles ont été mises en oeuvre de manière manifestement inappropriée et, par conséquent, détachable de la mission de service public, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce ;
2°/ qu'à supposer que l'usage manifestement inapproprié de prérogatives de puissance publique puisse conférer à l'Autorité de la concurrence une compétence résiduelle pour apprécier si cet usage est constitutif de pratiques anticoncurrentielles, aucun des faits reprochés en l'espèce à l'ordre des architectes ne relève d'un usage de ses prérogatives de puissance publique qui, avec l'évidence requise, peut être qualifié de manifestement inapproprié, de sorte que l'appréciation des pratiques en cause pourrait échapper à la compétence de principe du juge administratif ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce ;
3°/ que le caractère manifestement inapproprié de l'usage de prérogatives de puissance publique ne saurait se déduire de la seule constatation du caractère anticoncurrentiel des pratiques reprochées ; qu'en l'espèce, pour estimer que l'Autorité de la concurrence avait, à juste titre, retenu sa compétence, la cour d'appel s'est bornée à relever, d'une part, que la procédure avait pour objet de déterminer si l'ordre des architectes avait mis en oeuvre des pratiques qui, sous couvert d'usage de son pouvoir disciplinaire, tendaient à unifier et à contrôler les prix pratiqués par ses membres, d'autre part, que de telles pratiques constituaient un usage manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique confiées à l'ordre des architectes ; qu'en se prononçant de la sorte, par un motif général impropre à établir le caractère manifestement inapproprié de l'exercice de ses prérogatives de puissance publique par l'ordre des architectes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
4. L'article 106, § 2, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) dispose :
« Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général (...) sont soumises aux règles (...) de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ».
5. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, si une activité, qui, par sa nature, les règles auxquelles elle est soumise et son objet, est étrangère à la sphère des échanges économiques ou se rattache à l'exercice de prérogatives de puissance publique, échappe à l'application des règles de concurrence du Traité, lorsqu'une organisation comme un ordre professionnel n'exerce pas de prérogatives typiques de puissance publique, elle apparaît comme l'organe de régulation d'une profession dont l'exercice constitue, par ailleurs, une activité économique entrant dans le champ d'application du TFUE (CJUE, 19 février 2002, Wouters e.a., C-309/99, §§ 57 et 58).
6. L'article L. 410-1 du code de commerce dispose :
« Les règles définies au présent livre s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public. »
7. Par une décision du 18 octobre 1999 (Tribunal des conflits, 18 octobre 1999, Bull. 1999, T. conflits, n° 29), le Tribunal des conflits a retenu que, « si dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services les personnes publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la Concurrence agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire, les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique, relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le cas échéant, pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes publiques. »
8. Il s'ensuit que les personnes publiques qui effectuent des activités de production, de distribution ou de services peuvent être sanctionnées par l'Autorité de la concurrence, sous le contrôle de la cour d'appel de Paris, sauf lorsque les pratiques s'inscrivent dans l'accomplissement de la mission de service public et/ou mettent en oeuvre des prérogatives de puissance publique pour effectuer les activités en cause.
9. Par une décision du 4 mai 2009 (Tribunal des conflits, 4 mai 2009, Bull. 2009, T. conflits, n° 12), ce même Tribunal a jugé que si les règles définies au livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et à la concurrence s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public, l'Autorité de la concurrence n'est pas, pour autant, compétente pour sanctionner la méconnaissance des règles prohibant les pratiques anticoncurrentielles en ce qui concerne les décisions ou actes portant sur l'organisation du service public ou mettant en oeuvre des prérogatives de puissance publique. Il a ensuite retenu que la pratique imputée au Centre des monuments nationaux, établissement public administratif qui exerce une activité de production, de distribution et de services, et consistant, au profit de son propre centre éditorial, à réduire, voire supprimer, les commandes et, partant, les ventes des ouvrages édités et diffusés par la société Jean-Paul Gisserot, objet d'un marché public liant les parties, et susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle, étrangère à l'organisation du service public géré par l'établissement public, ne constitue pas la mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique.
10. Il en résulte que si les décisions par lesquelles les personnes publiques ou les personnes privées chargées d'un service public exercent la mission qui leur est confiée et mettent en oeuvre des prérogatives de puissance publique et qui peuvent constituer des actes de production, de distribution ou de services au sens de l'article L. 410-1 du code de commerce, entrant dans son champ d'application, ne relèvent pas de la compétence de l'Autorité de la concurrence, il en est autrement lorsque ces organismes interviennent par leur décision hors de cette mission ou ne mettent en oeuvre aucune prérogative de puissance publique.
11. Après avoir relevé que les pratiques reprochées à l'ordre des architectes d'avoir, d'une part, diffusé et imposé une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes de plusieurs régions via ses CROA, d'autre part, diffusé, au plan national, un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d'allégation de concurrence déloyale fondée sur le niveau, jugé trop faible, des honoraires pratiqués par un architecte, interviennent dans un secteur, celui des prestations d'architecte, régi par le principe de liberté des prix et dans un cadre, celui des marchés publics, soumis aux règles de la libre concurrence, l'arrêt retient que la procédure a eu pour objet de déterminer si et dans quelle mesure l'ordre des architectes avait concouru à la diffusion de tarifs et de méthodes de calcul des prix et mis en place un système de contrôle des prix généralisé, par des mesures de contrainte et menaces de procédures disciplinaires ayant pour finalité d'encadrer tant l'offre que la demande en matière de maîtrise d'ouvrage pour la construction d'ouvrages publics dans le sens de consignes tarifaires.
12. De ces énonciations, constatations et appréciations, faisant ressortir que les pratiques en cause ne relevaient pas de la mission de service public confiée à l'ordre des architectes ni des prérogatives de puissance publique qui lui étaient conférées pour cette mission, la cour d'appel, abstraction faite du motif erroné, critiqué par la première branche du moyen, a exactement déduit que l'Autorité de la concurrence était compétente pour les poursuivre et les sanctionner.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
14. L'ordre des architectes fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que le CNOA et les CROA, qui disposent de tous les attributs de la personnalité juridique, sont dotés chacun, individuellement et indépendamment de l'ordre des architectes, de la personnalité juridique ; qu'en retenant que seul l'ordre des architectes disposait de la personnalité morale pour en déduire que l'Autorité de la concurrence avait pu légalement imputer les pratiques litigieuses à l'ordre des architectes lui-même, la cour d'appel a violé les articles 26 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977, 36 et 37 du décret n° 77-1481 du 28 décembre 1977, ensemble les articles L. 420-1 et L. 464-2 du code de commerce et 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ;
2°/ que les infractions au droit de la concurrence doivent être imputées à l'entité juridique responsable au sens du droit de la concurrence et susceptible de se voir infliger une sanction ; que la cour d'appel s'est bornée, en l'espèce, à relever que l'ordre des architectes avait la personnalité morale et que le CNOA et les CROA n'en étaient que des démembrements pour imputer à l'ordre des architectes lui-même les pratiques litigeuses, dont il n'est pourtant pas contesté qu'elles auraient été matériellement mises en oeuvre respectivement par le CNOA et par chacun des quatre CROA en cause ; qu'en se prononçant de la sorte, par des motifs impropres à justifier en quoi le CNOA et les CROA en cause ne pouvaient être tenus pour responsables des pratiques litigieuses au sens du droit de la concurrence ni comme étant aptes à se voir infliger une sanction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 et L. 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
3°/ que si l'Autorité de la concurrence peut choisir de ne poursuivre que certaines des différentes personnes responsables d'une même infraction, il résulte du principe de responsabilité personnelle, qu'elle ne peut imputer de griefs qu'à une entité qui en est responsable, au sens du droit de la concurrence, sans marge d'appréciation ; qu'en retenant, au contraire, que l'Autorité de la concurrence disposait d'une marge d'appréciation qui lui permettait en l'espèce de choisir, en opportunité, qui de l'ordre des architectes ou du CNOA et des CROA mis en cause elle souhaitait poursuivre pour les pratiques prétendument mises en oeuvre par ces derniers, la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 et L. 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
4°/ qu'en relevant que l'Autorité de la concurrence pouvait choisir la personne morale qu'elle entendait poursuivre et qu'elle avait pu, en l'espèce, choisir d'imputer les faits au seul ordre des architectes, la cour d'appel a, implicitement mais nécessairement, admis que le CNOA et les CROA pouvaient, au même titre que l'ordre des architectes, être des personnes juridiques responsables ; qu'en se prononçant ainsi tout en énonçant par ailleurs que seul l'ordre des architectes disposait de la personnalité morale de sorte que les infractions devaient lui être imputées, la cour d'appel s'est contredite et a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
15. Selon l'article 21 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture, l'ordre des architectes, constitué par les architectes remplissant les conditions fixées par cette loi, a la personnalité morale et l'autonomie financière.
16. Il résulte des articles 22, 23, 25 et 26 de cette même loi qu'il est institué, dans chaque région, un conseil régional de l'ordre des architectes (CROA), qui assure la tenue du tableau régional des architectes, et un conseil national de l'ordre des architectes (CNOA), qui coordonne l'action des CROA.
17. Selon l'article 26, le CNOA et les CROA concourent à la représentation de la profession auprès des pouvoirs publics. Ils ont qualité pour agir en justice en vue notamment de la protection du titre d'architecte et du respect des droits conférés et des obligations imposées aux architectes par la présente loi. Ils peuvent concourir à l'organisation de la formation permanente et de la promotion sociale et au financement d'organismes intéressant la profession.
18. En premier lieu, c'est à bon droit que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a déduit de la combinaison de ces textes que l'ordre des architectes était la seule entité dotée en l'espèce de la personnalité morale, tandis que le CNOA et les CROA ne sont ni totalement indépendants de cet ordre ni totalement autonomes entre eux, mais sont des organes décisionnels et opérationnels de celui-ci.
19. En second lieu, ayant énoncé à bon droit que l'Autorité de la concurrence dispose d'une marge d'appréciation quant à l'entité qu'elle entend poursuivre, c'est sans se contredire que la cour d'appel a exactement retenu, par motifs propres et adoptés, que l'Autorité pouvait décider de ne retenir que la seule responsabilité de l'ordre, unique entité dotée en l'espèce de la personnalité morale, en raison de la dimension nationale des pratiques et du fait que ces dernières avaient été mises en oeuvre par ses composantes que sont le CNOA et les CROA, de sorte qu'il devait être tenu pour responsable de I'infraction en cause en sa qualité d'auteur.
20. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'ordre des architectes aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'ordre des architectes et le condamne à payer à la présidente de l'Autorité de la concurrence la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour l'ordre des architectes.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
(Sur l'incompétence de l'Autorité de la concurrence)
L'Ordre des architectes fait grief à l'arrêt attaqué de n'avoir annulé la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des prestations d'architecte qu'en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros, d'avoir prononcé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros à l'encontre de l'Ordre des architectes au titre des pratiques visées aux articles 1er à 5 de la décision précitée et d'avoir rejeté pour le surplus les autres moyens en annulation et réformation présentés par l'Ordre des architectes ;
1° Alors qu'en vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, le juge administratif est seul compétent pour se prononcer sur la conformité au droit de la concurrence d'actes ou de pratiques résultant de l'exercice de prérogatives de puissance publique, y compris lorsqu'un tel exercice apparaît manifestement inapproprié ; qu'en retenant, au contraire, pour justifier la compétence de l'Autorité de la concurrence, que celle-ci pouvait connaître, notamment, des pratiques relevant de l'exercice de prérogatives de puissance publique lorsqu'elles ont été mises en oeuvre de manière manifestement inappropriée et, par conséquent, détachable de la mission de service public (arrêt, p. 10 § 29), la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce ;
2° Alors, subsidiairement, qu'à supposer que l'usage manifestement inapproprié de prérogatives de puissance publique puisse conférer à l'Autorité de la concurrence une compétence résiduelle pour apprécier si cet usage est constitutif de pratiques anticoncurrentielles, aucun des faits reprochés en l'espèce à l'Ordre des architectes ne relève d'un usage de ses prérogatives de puissance publique qui, avec l'évidence requise, peut être qualifié de manifestement inapproprié, de sorte que l'appréciation des pratiques en cause pourrait échapper à la compétence de principe du juge administratif ; qu'en retenant le contraire (arrêt, p. 10 §§ 32-35), la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce ;
3° Alors, en tout état de cause, que le caractère manifestement inapproprié de l'usage de prérogatives de puissance publique ne saurait se déduire de la seule constatation du caractère anticoncurrentiel des pratiques reprochées ; qu'en l'espèce, pour estimer que l'Autorité de la concurrence avait, à juste titre, retenu sa compétence, la cour d'appel s'est bornée à relever, d'une part, que la procédure avait pour objet de déterminer si l'Ordre des architectes avait mis en oeuvre des pratiques qui, sous couvert d'usage de son pouvoir disciplinaire, tendaient à unifier et à contrôler les prix pratiqués par ses membres, d'autre part, que de telles pratiques constituaient un usage manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique confiées à l'Ordre des architectes ; qu'en se prononçant de la sorte, par un motif général impropre à établir le caractère manifestement inapproprié de l'exercice de ses prérogatives de puissance publique par l'Ordre des architectes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
(sur l'imputation des pratiques à l'Ordre des architectes)
L'Ordre des architectes fait grief à l'arrêt attaqué de n'avoir annulé la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des prestations d'architecte qu'en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros, d'avoir prononcé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros à l'encontre de l'Ordre des architectes au titre des pratiques visées aux articles 1er à 5 de la décision précitée et d'avoir rejeté pour le surplus les autres moyens en annulation et réformation présentés par l'Ordre des architectes ;
1° Alors que le CNOA et les CROA, qui disposent des tous les attributs de la personnalité juridique, sont dotés chacun, individuellement et indépendamment de l'Ordre des architectes, de la personnalité juridique ; qu'en retenant que seul l'Ordre des architectes disposait de la personnalité morale pour en déduire que l'Autorité de la concurrence avait pu légalement imputer les pratiques litigieuses à l'Ordre des architectes lui-même, la cour d'appel a violé les articles 26 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 et 36 et 37 du décret n° 77-1481 du 28 décembre 1977, ensemble les articles L. 420-1 et L 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
2° Alors, en tout état de cause, que les infractions au droit de la concurrence doivent être imputées à l'entité juridique responsable au sens du droit de la concurrence et susceptible de se voir infliger une sanction ; que la cour d'appel s'est bornée, en l'espèce, à relever que l'Ordre des architectes avait la personnalité morale et que le CNOA et les CROA n'en étaient que des démembrements pour imputer à l'Ordre des architectes lui-même les pratiques litigeuses, dont il n'est pourtant pas contesté qu'elles auraient été matériellement mises en oeuvre respectivement par le CNOA et par chacun des quatre CROA en cause (arrêt, pp. 12-13) ; qu'en se prononçant de la sorte, par des motifs impropres à justifier en quoi le CNOA et les CROA en cause ne pouvaient être tenus pour responsables des pratiques litigieuses au sens du droit de la concurrence ni comme étant aptes à se voir infliger une sanction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 et L 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
3° Alors encore que si l'Autorité de la concurrence peut choisir de ne poursuivre que certaines des différentes personnes responsables d'une même infraction, il résulte du principe de responsabilité personnelle, qu'elle ne peut imputer de griefs qu'à une entité qui en est responsable, au sens du droit de la concurrence, sans marge d'appréciation ; qu'en retenant, au contraire, que l'Autorité de la concurrence disposait d'une marge d'appréciation qui lui permettait en l'espèce de choisir, en opportunité, qui de l'Ordre des architectes ou du CNOA et des CROA mis en cause elle souhaitait poursuivre pour les pratiques prétendument mises en oeuvre par ces derniers (arrêt, p. 13), la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 et L 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
4° Alors, enfin, qu'en relevant que l'Autorité de la concurrence pouvait choisir la personne morale qu'elle entendait poursuivre et qu'elle avait pu, en l'espèce, choisir d'imputer les faits au seul Ordre des architectes (arrêt, p. 13, § 57), la cour d'appel a, implicitement mais nécessairement, admis que le CNOA et les CROA pouvaient, au même titre que l'Ordre des architectes, être des personnes juridiques responsables ; qu'en se prononçant ainsi tout en énonçant par ailleurs que seul l'Ordre des architectes disposait de la personnalité morale de sorte que les infractions devaient lui être imputées (ibid., p. 12 § 50), la cour d'appel s'est contredite et a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
(Sur les pratiques reprochées à l'Ordre des architectes)
L'Ordre des architectes fait grief à l'arrêt attaqué de n'avoir annulé la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des prestations d'architecte qu'en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros, d'avoir prononcé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros à l'encontre de l'Ordre des architectes au titre des pratiques visées aux articles 1er à 5 de la décision précitée et d'avoir rejeté pour le surplus les autres moyens en annulation et réformation présentés par l'Ordre des architectes ;
1° Alors d'abord qu'il ressort du compte rendu de la réunion du groupe de travail Juriet du 27 novembre 2015, adressé le 18 avril 2016 aux différents CROA, que les travaux du « Cotech concurrence déloyale » se poursuivront « une fois tirées les conclusions par la DIRECCTE des actions menées par les CROA en matière de concurrence déloyale » (p. 29) ; que la cour d'appel a retenu que la suspension des travaux mentionnée dans ce document était sans portée s'agissant de la plainte type, dès lors qu'il n'était pas fait spécifiquement référence à cette plainte (arrêt, pp. 34-35, § 221) ; qu'en se prononçant ainsi cependant que, précisément, la mention litigieuse visait de manière générale et sans exclusion aucune, l'ensemble des travaux du « Cotech concurrence déloyale », dont relève le modèle de plainte type présenté lors de la réunion du 27 novembre 2015, la cour d'appel a dénaturé le document susvisé et violé le principe interdisant au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2° Alors ensuite qu'en l'absence de diffusion du modèle de saisine disciplinaire litigieux en dehors des instances ordinales et de toute utilisation par ces dernières du modèle, la seule présentation du document aux CROA ne pouvait avoir aucun effet anticoncurrentiel ; qu'en retenant, au contraire, pour estimer qu'un tel effet s'attachait à la présentation aux CROA du modèle de plainte type, que ce document avait par nature vocation à être utilisé par les CROA de sorte qu'il importait peu qu'il n'ait été ni diffusé auprès des membres de la profession ou de tiers, ni utilisé (arrêt, p. 35, § 228), la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 et L du code de commerce et 101 du TFUE ;
3° Alors, enfin, que pour juger que la diffusion du modèle de saisine disciplinaire constituait une restriction de concurrence par objet, la cour d'appel s'est bornée à relever que la plainte type, en ce qu'elle comprenait deux propositions alternatives de calcul des honoraires, était destinée à faciliter les actions disciplinaires lorsqu'un architecte ne respecte pas un barème prédéterminé (arrêt, p. 35, §§ 223-225) ; qu'en se prononçant de la sorte, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée (exposé des moyens récapitulatif, p. 68, § 155), s'il ne résultait pas des autres mentions de la plainte type que celle-ci, loin de se référer à une détermination mécanique de la sous-estimation des honoraires, invitait au contraire les CROA, avant tout dépôt de plainte, à instruire de manière complète le dossier en appréciant les honoraires pratiqués par un architecte, ainsi que son comportement, en fonction d'un faisceau d'indices, et à recueillir auprès de l'architecte concerné toute justification utile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 et L 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE. ECLI:FR:CCASS:2023:CO00094
Analyse
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Titrages et résumés
Cassation civil - CONCURRENCE - Dispositions diverses - Autorité de la concurrence - Compétence d'attribution - Construction d'ouvrages publics - Ordre professionnel - Diffusion de méthodes de calcul des prix et mise en place d'un système de contrôle des prix
Si les décisions par lesquelles les personnes publiques ou les personnes privées chargées d'un service public exercent la mission qui leur est confiée et mettent en oeuvre des prérogatives de puissance publique, et qui peuvent constituer des actes de production, de distribution ou de services au sens de l'article L. 410-1 du code de commerce, entrant dans son champ d'application, ne relèvent pas de la compétence de l'Autorité de la concurrence, il en est autrement lorsque ces organismes interviennent par leur décision hors de cette mission ou ne mettent en oeuvre aucune prérogative de puissance publique. Tel est le cas des pratiques par lesquelles un ordre professionnel diffuse une méthode de calcul des prix et met en place un système de contrôle des prix par des mesures de contrainte et menaces de procédures disciplinaires ayant pour finalité d'encadrer tant l'offre que la demande en matière de maîtrise d'ouvrage pour la construction d'ouvrages publics, lesquelles ne relèvent pas de la mission de service public qui lui est confiée ni des prérogatives de puissance publique qui lui étaient conférées pour cette mission. Il s'ensuit que c'est à bon droit que la cour d'appel de Paris retient que l'Autorité de la concurrence était compétente pour examiner de telles pratiques, de nature à entrer dans le champ d'application de l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et L. 420-1 du code de commerce, abstraction faite du motif erroné mais surabondant par lequel elle a énoncé que ces pratiques avaient constitué un usage manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique dont l'ordre en cause était doté, qu'elle aurait été compétente pour examiner
Cassation civil - CONCURRENCE - Dispositions diverses - Domaine d'application - Personne privée chargée d'un service public - Décision hors de sa mission ou sans prérogative de puissance publique
CONCURRENCE - Dispositions diverses - Domaine d'application - Personne publique - Décision hors de sa mission ou sans prérogative de puissance publique
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Précédents jurisprudentiels
Sur la compétence du Conseil de la concurrence, à rapprocher :
Com., 16 mai 2000, pourvoi n° 98-11.800, Bull. Civ. 2000, IV, n° 99 (rejet).
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Textes appliqués
- Articles L. 410-1 et L. 420-1 du code de commerce ; article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
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