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18 juillet 2019

Interviews

Référence complète : interview à propos du rapport reçu par le Gouvernement le 15 juillet 2019  : Frison-Roche, M.-A., "Gouvernance d'Internet : nous sommes face à un enjeu de civilisation", Petites affiches, 18 juillet 2019, entretien mené avec Olivia Dufour. 

 

Résumé de l'interview : 

"Dans le rapport qu’elle a remis au secrétaire d’État au numérique en juillet, Marie-Anne Frison-Roche émet 55 propositions visant à élaborer une gouvernance d’internet fondée sur la compliance. Il s’agit en pratique pour le politique de définir des buts monumentaux : par exemple la lutte contre le réchauffement climatique et de les internaliser dans les acteurs cruciaux, par exemple Facebook ou Google sous le contrôle d’un superviseur. Ainsi Facebook serait-il appelé à surveiller les échanges numériques de la même façon qu’aujourd’hui Euronext surveille les échanges financiers. Au-delà de la question cruciale de la régulation du numérique, l’ambition consiste pour l’Europe à être fidèle à sa tradition humaniste en imposant par le droit la protection de la personne.".

 

Lire l'interview.

Se reporter au Rapport de Marie-Anne Frison-Roche, L'apport du Droit de la Compliance dans la Gouvernance d'Internet, à propos duquel l'interview a été donné. 

15 juillet 2019

Publications

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15 juillet 2019

Publications

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11 juillet 2019

None

Il s'agit d'un nouveau Cours, destiné aux étudiants en fin de cursus dans l'Ecole d'Affaires publiques de Sciences po, ayant donc un certain acquis en matière de politiques publiques et d'économie, voire de droit.

Certains ont pu suivre précédemment le Cours de Droit commun de la Régulation, voire le Cours de  Droits sectoriels de la Régulation, mais cela ne constitue en rien un pré-requis, mais il s'agit plutôt de suivre l'actualité juridique sous un angle économique. Le Droit est donc donné par l'actualité elle-même et par le professeur, l'étudiant devant plutôt avoir quelques connaissances en économie et en politiques publiques pour en profiter.  

 

Le Cours est entièrement fait par la Professeure Marie-Anne Frison-Roche les étudiants étant invités à intervenir quant ils le souhaitent lors de la présentation faite de l'actualité juridique, appréhendée sous l'angle économique et de politique publique. 

Voir ci-dessous plus de détails,  la présentation du Cours.

6 juillet 2019

droit illustré

Jean de La Fontaine écrivit une fable, dont le titre : Le Berger et le Roi

En voilà le texte. 

Deux démons à leur gré partagent notre vie,
Et de son patrimoine ont chassé la raison.
Je ne vois point de cœur qui ne leur sacrifie.
Si vous me demandez leur état et leur nom,
J'appelle l'un Amour, et l'autre Ambition.
Cette dernière étend le plus loin son empire ;
Car même elle entre dans l'amour.

Je le ferais bien voir ; mais mon but est de dire
Comme un Roi fit venir un Berger à sa Cour.
Le conte est du bon temps , non du siècle où nous sommes.
Ce Roi vit un troupeau qui couvrait tous les champs,
Bien broutant, en bon corps, rapportant tous les ans,
Grâce aux soins du Berger, de très notables sommes.

Le Berger plut au Roi par ces soins diligents.
Tu mérites, dit-il, d'être pasteur de gens ;
Laisse là tes moutons, viens conduire des hommes.
Je te fais Juge souverain.
Voilà notre berger la balance à la main.
Quoiqu'il n'eût guère vu d'autres gens qu'un ermite,
Son troupeau, ses mâtins, le loup, et puis c'est tout
,
Il avait du bon sens ; le reste vient ensuite.
Bref, il en vint fort bien à bout.

L'Ermite son voisin accourut pour lui dire :
Veillé-je ? et n'est-ce point un songe que je vois ?
Vous favori ! vous grand ! Défiez-vous des Rois :
Leur faveur est glissante, on s'y trompe ; et le pire
C'est qu'il en coûte cher ; de pareilles erreurs
Ne produisent jamais que d'illustres malheurs.
Vous ne connaissez pas l'attrait qui vous engage.
Je vous parle en ami. Craignez tout. L'autre rit,
Et notre ermite poursuivit :
Voyez combien déjà la Cour vous rend peu sage.
Je crois voir cet aveugle à qui dans un voyage
Un serpent engourdi de froid
Vint s'offrir sous la main : il le prit pour un fouet.
Le sien s'était perdu, tombant de sa ceinture.
Il rendait grâce au ciel de l'heureuse aventure,
Quand un passant cria : Que tenez-vous, ô Dieux !
Jetez cet animal traître et pernicieux,
Ce serpent. C'est un fouet . C'est un serpent, vous dis-je.
A me tant tourmenter quel intérêt m'oblige ?
Prétendez-vous garder ce trésor ? Pourquoi non ?
Mon fouet était usé ; j'en retrouve un fort bon ;
Vous n'en parlez que par envie.
L'aveugle enfin ne le crut pas ;
Il en perdit bientôt la vie.
L'animal dégourdi piqua son homme au bras.
Quant à vous, j'ose vous prédire
Qu'il vous arrivera quelque chose de pire.
Eh ! que me saurait-il arriver que la mort ?
Mille dégoûts viendront, dit le Prophète Ermite.
Il en vint en effet ; l'Ermite n'eut pas tort.
Mainte peste de Cour fit tant, par maint ressort,
Que la candeur du juge, ainsi que son mérite,
Furent suspects au prince. On cabale, on suscite
Accusateurs et gens grevés par ses arrêts.

De nos biens, dirent-ils, il s'est fait un palais.
Le prince voulut voir ces richesses immenses ;
Il ne trouva partout que médiocrité,
Louanges du désert et de la pauvreté ;
C'étaient là ses magnificences.
Son fait, dit-on, consiste en des pierres de prix.
Un grand coffre en est plein, fermé de dix serrures.
Lui-même ouvrit ce coffre, et rendit bien surpris
Tous les machineurs d'impostures.
Le coffre étant ouvert, on y vit des lambeaux,
L'habit d'un gardeur de troupeaux,
Petit chapeau, jupon, panetière, houlette,
Et je pense aussi sa musette.
Doux trésors, ce dit-il, chers gages qui jamais
N'attirâtes sur vous l'envie et le mensonge,

Je vous reprends ; sortons de ces riches palais
Comme l'on sortirait d'un songe.

Sire, pardonnez-moi cette exclamation.
J'avais prévu ma chute en montant sur le faîte.
Je m'y suis trop complu
; mais qui n'a dans la tête
Un petit grain d'ambition ?

 

Lire ci-après l'exégèse et l'analyse de la fable

Mise à jour : 4 juillet 2019 (Rédaction initiale : 30 avril 2019 )

Publications

  Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Se tenir bien dans l'espace numérique, document de travail, avril 2019.

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📝 Ce document de travail sert de base à un article paru ultérieurement dans les Mélanges en hommage à Michel Vivant.

 

Résumé : Le juriste voit le monde à travers la façon dont il apprit à parler!footnote-1536, vocabulaire juridique lui-même agencé, que l'on soit en common law ou en civil law, en branche du droit. Ainsi, nous pensons avoir affaire à l'être humain qui ne bouge pas, pris par la notion juridique exprimée par le terme de "personne", son état, son corps et son développement biologique dans le temps, du bébé au mourant, tenant entièrement dans ce creux de ce mot-là "personne", tandis que les comportements de l'être humain à l'égard du monde, des autres et des choses, sont regroupés dans d'autres branches du Droit : le Droit des obligations et le Droit des biens, lequel n'est que ce que les personnes font des choses. 

Le Droit de l'environnement est déjà venu brouiller cette distinction, si habituelle mais à la réflexion si étrange d'une personne prise tout d'abord dans son isolement immobile (droit des personnes), puis ensuite dans ses seules actions (droit des obligation et des biens). En effet, la notion même d' "environnement" pose que la personne n'est pas isolée, qu'elle est "environnée", qu'elle est ce qu'elle est et deviendra en raison de ce qui l'entoure, et qu'en retour le monde est durablement affecté par son action personnelle. A la réflexion, lorsque jadis le "Droit des personnes" ne se distinguait pas du Droit de la famille, l'être humain y était plus pleinement restitué par un découpage du Droit qui non seulement le suivait de la naissance à la mort mais encore dans ses interactions les plus précieuses : les parents, les fratries, le couple, les enfants. Ainsi le Droit de la famille était plus fin et plus fidèle à ce qu'est la vie d'un être humain.

Avoir institué le Droit des personnes, c'est donc avoir promu de l'être humain une vision certes plus concrète, car c'est avant tout de son identité et de son corps que l'on nous parle, s'étonnant que l'on n'a précédemment remarqué que les femmes ne sont pas des hommes comme les autres!footnote-1537 sans pourtant retenir que l'abstraction est parfois la meilleure des protections!footnote-1538 . Mais c'est aussi avoir isolé les êtres humains, scindés de ce qu'il font, de ce qu'ils touchent, de ce qu'ils disent aux autres. C'est en avoir pris juridiquement une perception statique d'un "homme sans relation".  Nous sommes passés de l'individualisme juridique du Droit de l'être seul. 

De cette vision concrète, nous en avons tous les bénéfices mais le Droit, beaucoup plus qu'au XVIIIème siècle, perçoit l'être humain comme un sujet isolé, dont la corporéité cesse d'être voilée par le Droit!footnote-1570, mais pour lequel la relation à autrui ou aux choses ne le définit pas. Ce qui le rapproche beaucoup des choses. Un sujet qui fait ce qu'il veut, comme il peut, limité par la force des choses. Les choses sont si puissantes et l'être humain, de fait, si faible. Par exemple les marques qu'il laisse sont effacées du fait du temps. L'emprise qu'il a sur le monde s'arrête à l'ampleur de son savoir, du temps et de l'argent dont il dispose, des machines qu'il a construites pour mieux utiliser son propre temps et atteindre des projets qu'il a conçus. Dans cette conception, la Personne et la Liberté ne font qu'un, renvoyant le sujet à sa solitude.

Cette liberté va buter sur le besoin d'ordre, exprimé par la société, le contrat social, l'Etat, le Droit, qui impose des limites à la liberté de l'un pour préserver celle de l'autrui, comme le rappelle la Déclaration des droits de 1789. Ainsi, tout désir n'est pas transformable en action, alors même que de fait les moyens seraient à la portée de la personne en cause, parce que certains comportements sont interdits en ce qu'ils causeraient trop de désordre et, s'ils sont néanmoins commis, ils sont sanctionnés pour que l'ordre revienne. Ainsi, ce que l'on pourrait appeler le "droit des comportements", obligations de faire et de ne pas faire logées dans le droit pénal, civil et administratif, droits nationaux et internationaux, droits substantiels et droits procéduraux, vont contraindre l'être humain en mouvement dans l'espace ouvert par le principe de liberté inhérent à son statut de Personne. 

L'être humain est donc limité dans ce qu'il désire faire. En premier lieu par le fait : ses forces qui s'épuisent, sa mort qui viendra, le temps compté, l'argent qui manque, les connaissances qu'il ne sait pas même ne pas détenir, c'est-à-dire par son humanité même; En second lieu par le Droit qui lui interdit tant d'actions.... : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas prendre le conjoint d'autrui, ne pas faire passer pour vrai ce qui est faux, etc. Pour l'être humain en mouvement, plein de vie et de projets, le Droit a toujours eu un côté "rabat-joie". Il est pour cela souvent moqué et critiqué en raison de toutes ses réglementations entravantes, voire détesté ou craint en ce qu'il empêcherait de vivre selon son désir, qui est toujours mon "bon plaisir", bon puisque c'est le mien. Isolé et tout-puissant, l'être humain seul ne voulant pas considérer autre que son désir seul. 

La psychanalyse a pourtant montré que le Droit, en ce qu'il pose des limites, assigne à l'être humain une place et une façon de se tenir à l'égard des choses et des autres personnes.  Si l'on ne se tient plus, en s'interdisant la satisfaction de tout désir (le premier de ceux-ci étant la mort de l'autre), la vie social n'est plus possible!footnote-1571. Chacun suit la même loi à table, à l'abri de laquelle une discussion peut s'engager entre convives et sans laquelle elle ne le peut pas!footnote-1539. On se tient droit sur sa chaise, on ne mange pas avec les doigts, on ne parle pas la bouche pleine, on n’interrompt pas celui qui parle. Certes, on apprend souvent en début d'apprentissage du Droit qu'il ne faut pas confondre la "politesse" et le Droit. Que ces règles précitées relèvent de la politesse et que cela n'est pas du Droit...

Mais cette présentation vise à faire admettre que le critère du Droit serait dans l'effectivité d'une sanction par la puissance publique : l'amende, la prison, la saisie d'un bien, ce que l'impolitesse ne déclenche pas alors que le Droit l'impliquerait : nous voilà ainsi  persuadés de l'intimité entre la puissance publique (l’État)  et le Droit. Mais plus tard, après cette première leçon apprise, le doute vient de la consubstantialité entre le Droit et l’État. Ne convient-il pas plutôt estimer que le Droit est ce qui doit conduire chacun à "bien se tenir" à l'égard des choses et des personnes qui l'environnent ? La question de la sanction est importante, mais elle est seconde, elle n'est pas la définition même du Droit. Carbonnier soulignait que le képi du gendarme est le "signe du Droit", c'est-à-dire ce à quoi on le reconnait sans hésiter, ce n'est pas sa définition.

La question première sur laquelle porte le Droit n'est alors pas tant la liberté de la personne que la présence d'autrui. Comment utiliser sa liberté et le déploiement associé de force en présence d'autrui ? Comment ne pas l'utiliser alors qu'on désire lui nuire, ou que la nuisance née pour lui de l'usage de ma force libre m'est indifférente!footnote-1540 ? Comment le Droit peut-il conduire à ce que j'utilise mes moyens à son bénéfice alors que nos intérêts ne convergent pas ? 

Nous n'utilisons pas notre force contre autrui parce qu'on y a intérêt ou le désir, on ne lui apporte pas le soutien de notre force alors qu'il nous indiffère, parce que le Droit nous tient. Si le surmoi n'a pas suffi. Si le Droit et la "fonction parentale des États" n'ont pas fait alliance. On le faisons parce que nous nous "tenons". 

Ou plutôt nous nous tenions.

Car aujourd'hui un monde nouveau est apparu : le monde numérique qui permet à chacun de ne pas "se tenir", c'est-à-dire de maltraiter en permanence autrui, de ne jamais le prendre en considération, de l'agresser massivement. C'est une expérience nouvelle. Il ne s'agit pas d'un phénomène pathologique, comme l'est la délinquance (ce qui amène simplement sanction), ni d'une défaillance structurelle dans un principe par ailleurs admis (ce qui amène régulation) mais plutôt un usage nouveau, qui vaudrait règle nouvelle : dans l'espace digital, on peut faire tout et n'importe quoi, l'on n'est pas tenu par rien ni personne, l'on peut "se lâcher" (I). Cette absence de "tenue" est incompatible avec l'idée de Droit, en ce que celui est fait pour les êtres humains et protéger ceux qui n'ont pas les moyens de se protéger par eux-mêmes ; c'est pourquoi il faut y remédier (II).

1 juillet 2019

Blog

Parfois les règles techniques du Droit heurte le bon sens et la Justice, lesquels vont davantage de paire que ne le font parfois les diverses branches du système du juridique. 

En voilà un exemple.

Le cas du copropriétaire qui dût à la fin de l'histoire payer lui-même les dommages et intérêt qu'il avait obtenus ressemble davantage à une fable de La Fontaine. La solution juridique qui lui est appliquée découle pourtant d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation. Qui ne veut vraiment pas en changer. Et cela n'est pas le plus grave

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Dans le récit qui nous en est fait par un conseiller référendaire, un copropriétaire est victime du manque de travaux dans l'immeuble, à tel point qu'il doit assigner le syndicat de copropriété en exécution de réfection des parties communes. Les relations sont très mauvaises puisque la cour d'appel dût prononcer une astreinte pour que le syndicat s'exécute et outre cette exécution forcée il alloua des dommages et intérêts à la victime pour les dommages que lui causa l'absence de travaux qui auraient dû être faits.

Mais vient ensuite le Droit de la copropriété. Et là, en tant non plus qu'il est victime mais en tant qu'il est copropriétaire, le syndicat lui présente sa quote-part de ce qu'il doit payer sur les dommages et intérêts que la copropriété doit payer à la victime, c'est-à-dire à lui-même.

Il s'y refuse. La cour d'appel est de son côté. Le syndicat forme un pourvoi en cassation. Et le gagne, par l'arrêt rendu par la Troisième chambre civile de la Cour de cassation du 20 juin 2019

La Fontaine n'aurait-il pas été content d'une telle histoire.

 

I. L'AUTONOMIE MÉCANIQUE DES BRANCHES DU DROIT : ADMETTONS....

Mais cela n'est pas "inadmissible", parce que le Droit de la responsabilité et le Droit de la copropriété sont deux branches du Droit distinctes et autonomes et la même personnes, apparaissant sur la scène sous un premier personnage (victime) puis sous un autre (copropriétaire) une fois reçoit de l'or et une fois reçoit du goudron (si l'on se souvient de la fable de Marie-du-goudron et Marie tout-en-or).

On peut l'admettre. D'ailleurs, la jurisprudence l'a déjà admis.... La même troisième chambre, par deux arrêts du 28 janvier 1990 et du 14 novembre 2001 (rappelés dans le commentaire), l'avait déjà dit.

Il faut croire que le justiciable fait la sourde oreille, et les juges du fond aussi.

Mais le principal sujet de préoccupation n'est pas là. 

 

II. L'AFFIRMATION PRÉCÉDENTE COMME QUOI LA QUESTION N'EST PAS SÉRIEUSE, BLOQUANT AINSI LA TRANSMISSION DE LA QPC, EST CRITIQUABLE

Certes l'organisation d'un "filtre" pour empêcher que tout un chacun ne saissise le Conseil constitutionnel est une bonne méthode, plutôt que de laisser celui-ci trier lui-même les cas qu'il connaît, soit selon des critères posés par les textes soit discrétionnairement.

Ainsi les Hautes juridictions transmettent la QPC si la question posée est "nouvelle et sérieuse". 

Si elle n'est ni nouvelle ni sérieuse, elle ne transmet pas.

Or, deux droits fondamentaux sont ici concernés : le droit de propriété privé d'une part et le droit à obtenir réparation par le mécanisme de la responsabilité d'autre part. C'est pourquoi dans ce litige une demande de transmission de QPC avait été précédemment faite. 

Mais la Troisième chambre civile, par un arrêt du 15 novembre 2018 a estimé que le principe constitutionnel de responsabilité, dont on a pourtant pu affirmer qu'il fallait le "prendre au sérieux", n'était pas contrarié par une telle solution, pas davantage que le droit à l'exécution des jugements (celui qui avait cristallisé le droit à réparation pleine de la victime, puisque cette solution "découle de la qualité de copropriétaire".

L'on comprend bien, cette formation l'a déjà dit, elle se contente de répéter sa vision des choses : la dualité des qualités sur une même personne, permettant de lui appliquer sans ciller deux régimes qui se détruisent l'un l'autre à son détriment, y compris en niveau constitutionnel.

Mais la Cour de cassation, si Haute juridiction soit-elle, n'est pas une Cour constitutionnelle. Sa seule appréciation doit porter non pas sur l'interprétation de la Constitution mais sur le caractère sérieux et nouveau de la question. Qu'elle trouve qu'elle a quant à elle raison, qu'elle le trouve une première fois, une deuxième fois, une troisième fois, on le comprend.

Mais ce que l'on doit en dire au regard de la Constitution, tant que nous ne sommes pas encore dans un système de contrôle diffus de la constituionnalité, c'est au Conseil constitutionnel de le dire. Et au regard des interprétations possibles, et possiblement contraires à la façon de raisonner de la Haute juridiction, comment ne pas admettre que la question est "sérieuse" et "nouvelle" (car le fait qu'une jurisprudence judiciaire ait été tranchée ne la range pas dans la catégorie des questions réglées).

Sauf à considérer, ce que l'on se plaît souvent à dire, et que les Hautes juridictions, Cour de cassation et Conseil d'État, sont elles aussi des "cours suprêmes", qui, grâce à un maniement substantiel du mécanisme du filtre de prendre pas au sérieux le pouvoir exclusif du Conseil constitutionnel d'apprécier la constitutionnalité des lois, telles qu'interprétée par leur jurisprudence. 

 

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30 juin 2019

Blog

J'entends cela chaque jour : "l'important, c'est de débattre".

Cela me rappelle la thèse que j'avais consacrée à ce sujet-là : le débat, la contradiction, le droit de chacun à faire valoir ses arguments et à contredire ceux des autres, au bénéfice premier de ceux qui observent et qui jugent;

Comme l'a rappelé les Cours suprêmes et la Cour européennes des droits de l'homme, c'est par le respect du principe du contradictoire, du droit au débat, des droits de la défense qu'une société marque sa constitution en Etat de Droit et révèle sa structure démocratique. Cela est acquis et il faut d'autant plus le répéter que ce qui fait une démocratie, cela n'est pas seulement l'élection, mais encore ce débat, ce qui amène à la distinction entre la "démocratie libérale" et la "démocratie illibérale", qui juridiquement est aussi construit sur le Droit constitutionnel du principe du contradictoire.

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Le cas que l'on observe en ce moment sur la participation de Marion Maréchal Le Pen aux premières Universités du MEDEF, puis les protestations et les décisions d'autres participants pressentis et ayant accepté de se rétracter plutôt que de participer à une manifestation dont les organisateurs avaient invité cette personne. Parmi elles, d'anciens responsabls de cette organisation, certes de droit privé, et non une institution publique, pas même un parti politique, mais le MEDEF est un partenaire social central et ses "universités d'été" est un rendez-vous politique attendu, de nature également politique. 

Si l'on se regarde par analogie cet évènement à travers le Droit mais aussi la philosophie politique qui sous-tend les démocratie libérales, qu'en penser ? 

 

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Le fait que devant le tollé et l'information selon laquelle des participants politiques se sont décommandés en raison de cette perspective de participation, aggrave la situation car cela conduit à une organisation réduite à un affrontement violent.

En premier lieu, il n'est pas exact que, contrairement à ce que l'on entend désormais si souvent, "l'important soit de débattre".

Cela n'est vrai ni en Droit ni en Politique.

Comme l'on toujours posé ceux qui ont çoncu le "débat", les vénérables anciens(Aristote) comme les vivants (Habermas), le plus important, c'est de poser "les termes du débat" et cela doit être fait AVANT le débat. Tous les travaux de Perelman sur le débat, faisant la jonction entre le Droit et le Politique, débutés après la seconde guerre mondiale, dont il entendait tirer les leçons, visait à distinguer la rhétorique, bienvenue, de la sophistique, à exclure. Son oeuvre peut se retrouve dans son ouvrage : Logique juridique. nouvelle rhétorique.  

Par exemple il faut que ceux qui organise un débat, cela vaut pour un procès, cela vaut pour une manifestation politique, ou quasi-politique, pose préalablement ce qui est objet de débat (ainsi la question "la terre est-elle plate ?"  ne peut pas être un objet de débat", seuls les sophistes la posent et tuent la démocratie) et avec qui doit-on débattre (Desproges l'a bien expliqué aussi, notamment lorsqu'il fut procureur dans le Tribunal des Flagrands Délires face à Jean-Marie Le Pen ("l'on peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui").

En balayant la question préalable des "termes du débat" pour un nouveau et délètère principe "on débat de tout et avec tout le monde car l'essentiel est de débattre", la démocratie libérale et la science ont perdu deux niveaux (les deux sont d'ailleurs liés.


Si vous protestez, on vous dit que vous n'aimez pas débattre et que vous n'y connaissez rien au contradictoire et à ce qu'est un "débat". Voire que vous êtes anti-démocrate, puisque vous n'acceptez pas la contradiction ("comment ça, la terre pourrait être ronde ? au moins, discutons-en !") Mais peut-être que vos assaillants n'ont-ils pas lu les auteurs pertinents ? Peut-être ont-ils préféré le Sophiste à Socrate ? Car celui qui parle ainsi n'est pas un rhétoricien (l'artiste du débat), c'est un sophiste (le tueur de la démocratie). 

 

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En second lieu, En quelque sorte, ce retrait de la participation  parce que l'oratrice invitée est adepte d'un systéme démocratique illibéral (dans lequel le débat ne sert à rien, l'élection justifiant tout) ne régle rien. L'on pourrait même dire qu'il aggrave le message.

En effet, c'est donc sous la pression d'autres que ce recul a été fait par les organisateurs. Cela signifie que ce sont les débattants qui, en quittant la table avant de s'y asseoir ont décidé, prenant ainsi la responsabilité de ceux qui devraient "organiser" le débat, avant que celui-ci n'ait lieu.

Les travaux de Perelman et d'Habermas insistent sur le fait que ce sont les Autorités qui doivent poser les règles de recevabilité et eux seuls, pas ceux qui discutent qui ne peuvent pas en disposer. Tout le procès est construit sur ce postulat : c'est l'Etat de Droit qui fixe les règles du débat, subjectivement (qui y participe) et objectivement (de quoi on débat) et non pas ceux qui discutent. 

Ici, ce sont les futurs débattants qui l'ont fait.  L'on va ainsi aller vers des comportements de plus en plus violents. Notamment dans les réactions. Puisque tout le monde serait "recevable" à venir, alors il faudrait menacer de ne plus venir (ce qui est une "violence", si légitime soit-elle), pour que tout revienne dans un ordre qui aurait dû être initial... 

Car l'on pourra tout aussi bien ne plus venir débattre face à quelqu'un que l'on veut asphyxier, faute de débattants. C'est comme cela que fonctionne une "démocratie illibérale".

Triste nouvelle pour ceux qui avaient pensé la place du dialogue en démocratie, Habermas avant tout.

Mais si l'on récuse l'idée qu'il y a des conditions de recevabilité, qu'il faut (impératif démocratif) débattre avec tout le monde, alors vous débattrez avec tout le monde, et les sophistes gagneront.


De la même façon que les avocats adeptes de la "défense de rupture" mènent à mal le "principe du contradictoire" en ne respectant pas les conditions préalables du débat. Car si l'on ne distingue pas la rhétorique (avec principe de recevabilité au débat, quant aux personnes et au débat lui-même) de la sophistique (cf. Platon, Le sophiste), alors les démocraties libérales sont en grand danger.


D'ailleurs, elles le sont, dès l'instant que l'on peut dire et "l'important, c'est de débattre", et "celui-là,je l'aime pas, je viens pas", la "démocratie des émotions et des émois" ayant elle-aussi à faire avec la démocratie illibérale qui nous menace.

 

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