1 décembre 2024
droit illustré
► Référence complète : M.-A. Frison-Roche., "Mise à l'épreuve d'une affirmation "La Justice, c'est la Vérité en Action" : 🎬𝑱𝒖𝒓𝒐𝒓 #𝟐", billet décembre 2024.
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Dans la leçon sur le Droit et la Justice que propose Clint Eastwood dans son dernier film, 𝑱𝒖𝒓𝒐𝒓 #𝟐, une des premières scènes nous montre la procureure qui attaque et l'avocat qui défend. Ils se connaissent depuis longtemps et ce n'est pas tant le cas qu'ils évoquent, l'une pour obtenir la condamnation du suspect l'autre pour obtenir la déclaration de son innocence : ils étaient étudiants ensemble. Ils racontent le professeur qui apprit aux deux ce qu'est le Droit et la justice. L'avocat de la défense rappelle que celle qui aujourd'hui est procureure était l'étudiante préférée du Maître. Ce temps est lointain, puisque lui a sans doute moins bien réussi tandis qu'elle construit une carrière brillante et c'est en gagnant des procès qu'elle espère débuter une carrière politique sur le thème de l'ordre, la sécurité et la lutte contre la criminalité.
Lors de cette discussion entre deux juristes professionnels de la justice qui, même s'ils sont de chaque côté de la barrière chacun dans son rôle, ils se souviennent du même enseignement qu'ils ont reçu du même professeur dans le même cursus de Droit, construit sur la définition même de ce qu'est la Justice.
Le professeur avait dit :
La justice, c'est la vérité en action
C'est pourquoi l'élève préférée choisit de devenir procureure, c'est-à-dire celui qui agit pour que la Vérité se transforme en Justice : que le coupable soit appelé Coupable, que l'innocent soit appelé Innocent.
Dans cette définition toute aristotélicienne de ce qu'est le rapport entre la Vérité et la procédure judiciaire qu'y joue chacun, et notamment le procureur qui actionne l'action publique, se joue tout le film.
Et son dénouement, par lequel celle qui avait tous les moyens de transformer son office de procureure en carrière politique et qui garda en tête ce que lui enseigna son professeur à la fois ce qu'est l'appareillage juridictionnel et ce pour quoi il est fait et la façon dont chacun doit y tenir son rôle : le procureur, l'accusé, l'avocat et le juré :
Nous pouvons aussi bien regarder cette leçon de Droit et en tirer profit.
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5 mars 2021
Auditions Publiques
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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Appliquer la notion de "Raison d'être" à la profession du Notariat", audition par le Conseil supérieur du notariat (CSN), 5 mars 2021.
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🔴trois ans plus tard, cette démonstration fût reprise et approfondie dans une audition devant le Conseil Supérieur du Notariat à propos de la Compliance, sur laquelle un rapport était élaboré, les notions de raison d'être et de compliance étant intimement corrélées comme cela est montré ci-dessous : consulter la présentation de l'audition de 2024..
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Résumé de l'intervention débutant l'audition : L'on peut prendre "raison d'être" dans son sens courant et dans son sens plus juridique. Dans son sens courant, il est bien difficile de déterminer ce qu'est une "raison d'être". Le plus souvent on ne le traduit pas, en anglais on dira purpose , c'est-à-dire ce qui caractérise l'être humain par rapport à la machine, comme le souligna Alain Supiot, tandis que la langue japonaise le traduit comme Ikigaï, ce qui va animer la personne. L'on sent bien que le souffle de l'esprit passe dans cette notion, qui anime la personne, la porte dans une action qui ne sera pas mécanique, qui va la dépasser elle-même, la fait tout à la fois se distinguer des autres et se rapprocher de ses alter ego....
Mais le Droit a transformé cette notion, si proche de l'éthique, voire de l'art, par laquelle l'individu est "transporté dans le temps par une action partagée avec quelque uns, en un "conception juridique". Cette expression de "raison d'être" est aujourd'hui estampillée par le Droit. A travers une vision renouvelée de l'Entreprise, désormais portée par la législation. En tant qu'une entreprise, selon une définition fortement développée par Alain Supiot est un "projet commun" qui vise une action commune concrétisant un projet conçu ensemble pour être réalisé dans le futur, l'organisation et les moyens n'étant que le reflet de cela. Dans cette définition de l'entreprise, centrée sur la "raison d'être", l'organisation, les moyens, les pouvoirs et les droits de chacun, les rouages internes et les intérêts extérieurs ne sont pas premiers, ils sont totalement imprégnés par cette "raison d'être". Dire la raison d'être, l'affirmer et savoir précisément ce qu'elle est dessine la régime applicable. C'est pourquoi la "raison d'être" a changé en 2019 le Droit des sociétés et le Droit financier.
Elle fût d'abord adoptée par le rapport que Nicole Notat et Dominique Senard remirent le 9 mars 2018 au Ministre de l'Economie et des Finances en réponse à la question posée par celui-ci : l'entreprise peut-elle contribuer à l'intérêt général ? Et la réponse tînt dans cette expression-là : pourquoi pas, si c'est la "raison d'être" de l'entreprise que de s'arracher à la seule préoccupation de se développer afin de devenir toujours plus riche, d'avoir aussi un projet qui inclut le souci d'autrui, d'un autrui qui n'ait pas pour seul souci l'appât du gain, d'avoir le souci d'un intérêt autre (les autres visant pour les auteurs de ce rapport "l'intérêt collectif" et non plus l'intérêt général), par exemple l'intérêt de la Terre, dont la temporalité excède celle de la vie humaine, si fortunée soit cette vie de l'actionnaire et si somptueuse soit la tombe de celui-ci.
La "raison d'être" est donc une notion juridique. A ce titre le Droit des sociétés a changé et l'on en rend les mandataires sociaux responsables : ils doivent montrer qu'ils ont pris en charge d'autres intérêts. L'article 1833 du Code civil a été modifié dans ce sens. Pour pouvoir remplir les nouvelles obligations qu'engendre l'évolution de leur mandat fiduciaire, cela justifie un élargissement de leur "pouvoir" car il est plus difficile encore de faire le bien d'autrui en plus de que rendre riche les associés. Si en plus il faut se soucier de l'environnement et de l'égalité entre les femmes et les hommes ... Les études pleuvent non seulement sur la pertinence managériale et financière de l'approche (plutôt favorable) mais encore juridique (par exemple lorsqu'il y a une offre publique, l'offreur devrait-il démontrer qu'il ferait plus que le bonheur des investisseurs en se saisissant du contrôle de la société-cible ?).
Parle de "raison d'être", c'est donc appliquer un régime juridique à une organisation. Il est fructueux de prendre l'expression au sérieux, c'est-à-dire au pied de sa lettre juridique, car si le Droit est toujours ancré dans le langage courant, les mots gagnent souvent en rigueur et précision par leur entrée dans l'espace juridique. Dans le Droit des sociétés, on a pu critiquer la notion en tant qu'elle diluait la notion d'intérêt social dans de l'insécurité juridique, mais cela permet aussi à l'organisation en cause d'avoir plus de liberté pour poser par sa volonté propre ce pour quoi elle consacre ses prérogatives. Puisque c'est l'entreprise elle-même qui va pose publiquement quelle est sa "raison d'être" (comme elle a posé son objet social)
La "raison d'être" a été conçue pour une "entreprise", pour laquelle la "personnalité morale" a été définie comme n'étant qu'un instrument juridique qui lui permet d'accéder au commerce juridique, selon l'acception retenue par le rapport Notat-Senard. Le Droit va donc vers de plus en plus de "réalisme".
Le notariat se prête particulièrement bien à la notion juridique de "raison d'être". Pour trois raisons. En premier lieu, parce que le Notariat est une profession et que les professions sont des organisations qui sont souvent animées par des projets communs, un esprit commun. C'est même précisément cela que le Droit de la concurrence leur reproche, cette "entente" autour d'une communauté de valeurs, cristallisée par des règles d'organisation (même si l'évolution de ce Droit dans le bon accueil de l'organisation des "groupes de sociétés", notamment face à un appel d'offre montre que cette branche du Droit évolue).
En deuxième lieu, une étude notariale est une entreprise. Pourquoi ne pas l'admettre, et même prendre appui sur cela ? Parce que le Droit des sociétés a si fortement évolué avec la loi Pacte, l'on pourrait considérer que structurellement une étude notariale est une "entreprise à mission". Ce qui doit conduire la profession à étudier de très près ce statut emprunté au Droit britannique, droit incontestablement libéral qui conçoit qu'une entreprise se développe et fasse un chiffre d'affaires, mais pas que.
En troisième lieu, les entreprises à mission se développent dans une architecture institutionnelle par laquelle elles doivent donner à voir l'effectivité de la concrétisation de leur mission. Il a donc deux impératifs : dire exactement quelle est cette mission en amont et donner à voir à tous (et pas seulement à l'Etat) que cette mission, qui justifie de s'écarter du Droit commun de la rencontrer de l'offre et de la demande) est remplie : cela est confiée à la "profession", cadre institutionnel indispensable qui exerce un contrôle permanent (et non pas des contrôles ponctuels comme le font les Autorités de concurrence).
Dès lors, si l'on observe que l'étude notariale a une activité économique de service, ce qui est le cas, elle est légitime comme toute entreprise à avoir une "raison d'être", voire à être une "entreprise à mission". Si en outre, elle appartient à une "profession", elle est alors imprégnée de la "raison d'être" de celle-ci, ce qui n'entame pas sa nature d'entreprise (I). Les professions ne se ressemblant pas et la "raison d'être" donnant à chacun son identité, il convient de prendre au sérieux celle du Notariat pour en tirer à l'avenir les conséquences techniques (II).
Lire le plan de l'intervention ci-dessous.
Mise à jour : 28 mai 2014 (Rédaction initiale : 28 mai 2014 )
Enseignements : Les Grandes Questions du Droit Semestre d'automne 2012
Mise à jour : 31 juillet 2013 (Rédaction initiale : 13 septembre 2011 )
Enseignements : Les Grandes Questions du Droit, semestre d'automne 2011
Mise à jour : 31 juillet 2013 (Rédaction initiale : 25 octobre 2011 )
Enseignements : Les Grandes Questions du Droit, semestre d'automne 2011
1 octobre 2001
Publications
► Référence complète : Frison-Roche, M.-A., L’erreur du juge, RTD civ., 2001, pp.819-832.
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►Résumé de l'article : Le principe est que le juge ne commet pas d'erreur, ou plutôt qu'on ne peut, en droit, se prévaloir des erreurs commises par les magistrats, hors voies de recours légalement organisés. Cela préserve à la fois la paix sociale et l'indépendance de la magistrature. Mais ces raisons ne sont pas de marbre car les erreurs judiciaires peuvent ébranler les sociétés, il suffit d'évoquer l'affaire Dreyfus, et le lien entre le procès et la vérité se satisfait mal de la règle. Il faut donc pouvoir rouvrir pour mieux refermer la blessure, admettre le désordre pour garantir la sécurité juridique et la confiance dans le système juridictionnel.
Le principe de référence demeure pourtant celui de l'incontestabilité de l'erreur du juge. En effet, l'appréciation substantielle d'une appréhension inexacte des faits par le juge est exclue par le mécanisme de la "vérité judiciaire", qui, par le pouvoir d'artificialité du droit, prend ses distances par la vérité scientifique des faits. L'indivisibilité de l'acte de juger permet que la puissance normative du dispositif couvre l'erreur d'appréciation logée dans les motifs qui soutiennent celui-ci. En outre, le procès est un mécanisme violent conçu pour arrêter la violence en ce qu'il tranche et qu'il met fin à la dispute pr le juge. Dès lors, si l'impartialité du juge est par ailleurs garantie, la survenance du jugement lui-même exclut tout regard sur ce qui serait une erreur, car le jugement arrête la recherche de la vérité pour produire son inverse, qu'est la "vérité légale".
Certes, le droit positif a toujours prévu des aménagements à la règle, mais cela ne fait que confirmer la règle. Ainsi, l'erreur de plume peut être corrigée a posteriori , mais c'est précisément parce que la plume a glissé et qu'elle n'a pas traduit la pensée du juge qui rédigeait. De la même façon, l'erreur qui ouvre droit à la révision tient dans la découverte de faits nouveaux postérieurement au jugement. En cela, il ne s'agit pas au sens strict d'une erreur du juge, mais seulement d'une inexacte représentation de la réalité qui n''est pas de son fait.
Mais il convient d'aller plus loin et le droit positif va dans ce sens, en ouvrant davantage les cas de révision. En effet, les erreurs judiciaires ne sont plus supportées car l'institution juridictionnelle ne peut faire ainsi fi de sa consubstantionalité avec la vertu de justice.
En effet, le législateur a aujourd'hui tendance à changer ses lois alors qu''il admet avoir fait une erreur d'analyse des réalités, alors qu'il n'est pas contraint par celles-ci, étant doté d'un pouvoir normatif pur. Le juge devrait a fortiori y être contraint. En outre, il y a une obligation morale à y procéder car l'erreur judiciaire, surtout en matière pénale, produit de terribles dommages, qu'il faut réparer.
Dans ce mouvement, le droit civil admet des jugements civils toujours révisables, notamment en droit de la famille. Plus encore, même si l'on accueille avec moins de restriction le recours en révision, il faudrait ne pas le cantonner à la survenance de découverte de faits nouveaux mais admettre l'hypothèse d'erreur manifeste, même s'il faudrait assortir une telle action, si largement ouverte quant au fond, d'un filtre procédural.
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