Enseignement
Semestre d’automne 2012, Sciences Po, Paris
Le deuxième cours concerne aussi bien l’hypothèse de l’"anti-droit", ennemi majeur du droit puisqu’il utilise la force du droit pour se développer, que le deuxième couple de contraires, entre le droit positif et le droit naturel. Au premier titre, est étudié le rapport entre le droit et l’histoire, particulièrement la légitimité du droit à propos du négationisme. Au second titre, est étudié le rapport entre le droit et les moeurs, en prenant notamment comme exemple la question du mariage homosexuel.
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Le deuxième cours continue les prolégomènes des Grandes Questions du Droit en prenant tout d’abord l’hypothèse de l’anti-droit, c’est-à-dire lorsque le droit prête sa puissance normative au service d’une puissance qui lui est étrangère, dont il redouble ainsi la force. Cela peut concerner aussi bien le droit nazi que l’écriture de l’Histoire par la législation ou la question du voile de la Burqa. La force contraignante du droit, admise en raison de la légitimité de la source du droit justifiant que la violence du droit vienne arrêter la violence brute des rapports sociaux (Max Weber) peut se retourner si les forces démocratiques sont détournées. Si l’on s’en tient au pur formalisme du droit, par une conception positiviste du droit, la teneur des règles n’a pas à être mis en cause : la notion de « droit injuste » ne paraît pas pertinente, la notion de « droit violent », paraissant tautologique, semble ne pas poser problème.
En réalité, les relations entre le droit d’une part, le juste et la force d’autre part, sont difficiles et complexe.
En effet, la puissance du droit tient non seulement dans son pouvoir de contrainte sur les comportements mais encore dans sa force à créer de la réalité : ce que dit le droit est « vrai », puisque l’ordre juridique est normatif. Plus encore, le droit est incontestable, aussi bien la loi que les décisions juridictionnelles. Cette puissance, dont ne sont pas dotés les autres ordres normatifs, est certes nécessaire à l’ordre social, mais elle est redoutable.
On a pu le mesurer par l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 27 février 1951, Branly, par lequel les juges engagent la responsabilité de l’historien qui passe sciemment sous silence le nom de Branly en racontant l’histoire de l’invention de la T.S.F . Contrairement au reste de la doctrine universitaire, le Doyen Carbonnier réagit par une critique violente contre l’arrêt par un article devenu célèbre, Le silence et la gloire.
La question de l’histoire était encore plutôt celle du non-droit (voir cours précédent), mais elle se met à toucher la question de "l’anti-droit" jusqu’à ce que des personnes affirment que les chambres à gaz afin d’éliminer les juifs n’avaient jamais existé et que des associations viennent demander protection au juge contre de tels propos. Dans un jugement du 8 juillet 1981, Faurisson, le Tribunal de grande instance de Paris a tout à la fois rappelé la liberté d’expression de l’historien et sa faute au regard de la recherche scientifique.
D’une façon moins habile, parce que plus générale, la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite Loi Gayssot, prohibe pénalement le négationnisme.
Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions et la loi n’est sans doute pas le bon outil pour une telle intervention. Ainsi, certains avaient douté de la constitutionnalité de la loi Gayssot, au regard de la liberté d’expression. Pourtant, le législateur continue et, par la loi du 29 janvier 2001, il est désormais interdit de méconnaître « l’existence du génocide arménien ». Cela appela à la fois les mêmes justifications et les mêmes critiques.
Il n’est donc pas étonnant que le Conseil constitutionnel, par sa décision du 28 février 2012 relative à la loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, ait estimé que ce faisant, le législateur a utilisé son pouvoir normatif pour interdire la contestation de l’existence d’un fait, ce qui est contraire aux principes constitutionnels de libertés d’expression et de communication et justifie qu’une telle loi ne puisse être promulguée. Dès lors, on peut se demander si la loi "mémorielle" sur le génocide arménien est constitutionnellement bien solide.
Cette évolution n’est pas étonnante et l’on aurait pu s’en douter précédemment. En effet, lorsque le législateur décida par la loi du 23 février 2005 qu’il fallait inculquer la contribution des français rapatriés à la Nation. Le Conseil constitutionnel fût saisi et l’histoire officielle se dessinait à travers les manuels d’histoire ; la décision du Conseil constitutionnel du 31 janvier 2006 n’aborda pas de front cette opposition entre la liberté d’expression et la liberté scientifique d’une part, le devoir de protection par le droit d’autre part. Il affirma qu’une telle mesure, portant sur les programmes scolaires, relevait du pouvoir réglementaire, ôtant ainsi le « venin » de ce que devînt la loi du 23 février 2005, cette nature réglementaire permettant ainsi l’abrogation de la disposition par un décret du 15 février 2006.
D’une tout autre façon, la question des rapports très difficiles entre le droit et la force est revenue sur le devant de la scène à propos de la Burqa. Dans quelle mesure le droit peut-il lutter contre des attitudes religieuses et sociales ? Au nom de valeurs dont il aura le monopole d’expression ?
Là encore, le juge avait eu une visions plus casuistique, donc moins radicale et sans doute plus équilibrée de la question. Ainsi, à propos d’une question précédente, celle du port du voile (non-intégral) par des petites filles à l’école, le Conseil d’Etat, par un avis du 27 novembre 1989, avait affirmé que leur renvoi était justifié par le critère de la perturbation à l’ordre public dans l’établissement. Lorsque le port du voile intégral a été une pratique observée en France, le Premier ministre a demandé un rapport au Conseil d’Etat, qui le 30 mars 2010 a déconseillé d’adopter des mesures trop générales. Le législateur a pourtant adopté une prohibition très générale dans la loi du 11 octobre 2010 (cliquez ici pour lire la disposition législative), sans que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 7 octobre 2010, y voit une marque de contrariété à la Constitution.
Le deuxième couple de contraires qu’il convient ensuite d’examiner est celui qui oppose le droit positif et le droit naturel. Le droit a la puissance de créer sa propre réalité : il est un « artefact ». Dès lors, la question est de savoir s’il convient de poser que la nature serait une limite à l’artificialité du droit.
Le « droit naturel », conception qui donne cette fonction à la nature des choses, est une théorie qui n’est guère à la mode. Nous sommes plutôt sous l’emprise du « positivisme », qui se limite à dire que le droit est ce qui est posé par le législateur, pas plus et tout ce que dit celui-ci. Ce positisme a participé au nazisme. Nous retrouvons aujourd’hui le positivisme sous des formes nouvelles. Ainsi, le droit devrait suivre de nouvelles "lois naturelles", qui seraient les lois économiques engendrées par la loi du marché. La question de la globalisation et de sa "régulation" tient dans la question de savoir tout d’abord si cela est exact ou non.
C’est pourquoi il est important que ce deuxième cours aborde le deuxième couple de contraires, à savoir le droit positif et le droit naturel avec la définition même de ce qu’est le "droit posé", la question de savoir si une norme juridique a besoin ou non d’être véritablement appliquée dans les faits pour exister. On l’affirme dans les livres puisque la désuétude n’est pas une cause de disparition du droit, mais un droit qui n’est pas appliqué, parce qu’il n’est pas adéquat ou parce que la société n’en veut plus, reste lettre morte. Apparait également la question du rapport entre le droit et la nature, puisque le droit est artificiel, artefact, et que la nature pourrait limiter les pouvoirs normatifs de cette artificialité de nos droits.
En effet, le droit n’est qu’en apparence résumable au droit positif, au "droit posé". En premier lieu, de nombreuses dispositions législatives tombent de fait en désuétude et même s’il est vrai juridiquement que la désuétude est un phénomène social qui n’ôte pas à la disposition sa puissance formellement contraignante, de fait les moeurs écrasent le droit. Le fait est plus puissant que la norme. Ainsi, la loi du 4 août 1982 a supprimé l’article 331, al.2 du Code pénal qui prévoyait le délit de relations homosexuelles avec un mineur. La difficulté demeure du fait que le droit mêle dans la catégorie abstraite "mineur" des personnes d’âges correspondant à des maturités et des indépendances très différences. Le droit pénal évolue en renvoyant par exemple à l’âge de 15 ans.
La même tension s’observe entre le droit et les moeurs à propos du mariage homosexuel. En effet, le Code civil ne pose pas comme condition au mariage que l’un des conjoint soit une femme et l’autre un homme. Mais les codificateurs avaient considéré que cela relevait de la nature, parce que la fin du mariage est l’engendrement d’enfant. Aujourd’hui, d’une part il y a d’autres moyens d’avoir des enfants (adoption, engendrement par tiers) et d’autre part, le mariage peut avoir d’autre fin que la procréation. Le droit positif "implicite", reposant sur un "droit naturel présumé", a donc été remis en cause.
Les mouvements intellectuels et sociaux ont trouvé une concrétisation juridique à travers des mariages prononcés par le maire de Bègle entre deux hommes. Le Procureur a attaqué l’acte de mariage pour en obtenir l’annulation. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 13 mars 2007 a approuvé l’annulation qui a été faite par le juge d’un tel mariage (cliquez ici pour lire la présentation de l’arrêt reproduit en documentation). Cette juridiction n’exerça pourtant pas négativement son pouvoir de filtre en matière de QPC et permit au Conseil constitutionnel, par une décision du 28 janvier 2011, de se prononcer (cliquez ici pour lire la présentation de la décision reproduite dans la documentation).
Enfin, le cours traite le troisième couple de contraires, qui oppose le droit objectif et le droit subjectif en distinguant la règle (loi) et la prérogative de l’individu (mon droit). Par les Droits de l’Homme, le système juridique s’est subjectivisé. La Loi Constitutionnelle en cours de discussion sur le Défenseur des droits en est un exemple.
Les plus puissants des droits subjectifs sont les droits de l’homme, les droits subjectifs naturels. On peut les décliner en trois générations. Aujourd’hui, le système juridique a mis en son coeur les droits fondamentaux.
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