Mise à jour : 3 décembre 2020 (Rédaction initiale : 15 juillet 2020 )

Publications

Les droits subjectifs, outils premiers et naturels du Droit de la Compliance

par Marie-Anne Frison-Roche

ComplianceTech® ↗️ to read this Working paper in English, click on the British flag

► Référence générale : Frison-Roche, M.-A., Les droits subjectifs, outils premiers et naturels du Droit de la Compliance, document de travail, juillet 2020.

Ce document de travail sert de base à un article paru ultérieurement dans l'ouvrage Les outils de la Compliance

____

 

Il fut un temps où les techniques de Régulation n'étaient avant tout que des calculs de la meilleure tarification, repris par des entreprises en monopole, tandis que les techniques de Compliance n'étaient qu'obéissance aux prescriptions qui nous régissent. Tout cela pouvait donc n'être affaires de règles à calcul et de badines, maîtrisées par des ingénieurs et n'être constitué que de réflexes mécaniques de "conformité" à toutes sortes de règles grâce au corset qui assure que chacun soit plié devant celles-ci!footnote-1946. Dans la perspective d'une Régulation et Compliance ainsi conçue, c'est-à-dire dans leur seule efficacité, il ne serait pas requis d'insérer des prérogatives pour les personnes. De telles prérogatives ne pourraient d'ailleurs qu'être sources d'inefficacité, de coût et de contestation, tandis que l'ordre viendrait des chiffres posés à l'avance et de process maîtrisés.

Les systèmes ont depuis évolué pour intégrer ces prérogatives de chaque personne : les droits subjectifs. Cette évolution est-elle vraiment acquise ? Sans doute plus effectivement dans le Droit de la Régulation que dans son prolongement qu'est le Droit de la Compliance. Cela peut étonner puisque le Droit de la Compliance, en ce qu'il prolonge le Droit de la Régulation dans les entreprises devrait au contraire favoriser les droits subjectifs en rencontrant l'entreprise, laquelle est un groupement de personnes....!footnote-1986 . Mais la réticence moderne à définir l'entreprise comme un groupe de personnes et la préférence donnée à une définition de l'entreprise comme un "actif", un "bien" dont des investisseurs seraient les propriétaires, explique sans doute la mise à l'écart des droits subjectifs non seulement en Régulation mais encore dans le Droit de la Compliance, alors même que celui-ci se déploie dans l'espace de l'entreprise!footnote-1987.

En outre, si la Régulation fait depuis longtemps l'objet d'une branche du Droit dans laquelle les droits ont pleine place!footnote-2029, la présentation de la Compliance par le terme de "conformité", désignant ainsi l'assurance avérée de l'obéissance à toutes les règles applicables ne laisse pas d'espace aux prérogatives des personnes, les droits apparaissant à l'inverse comme des résistances à l'obéissance qui serait attendue d'elles. Là encore, l'attente de ce qui serait un bon rapport de conformité entre des comportements et des prescriptions s'obtiendrait par un "design", l'informatique étant la nouvelle forme du calcul, amélioré par des outils de précision où l'être humain n'est pas requis!footnote-1989. La faillibilité de celui-ci et le peu de confiance que l'on devrait lui faire conduisent même à exclure les personnes des outils de Compliance et à concevoir la Compliance entre machines, non seulement pour alerter des défaillances, mais encore pour fabriquer les "règlementations" et connecter celles-ci, dans un "tissu réglementaires" sans maille sautée, enveloppant entièrement les êtres humains!footnote-1990. Le règne des machines, qualifiées d' "intelligentes", serait venu.

Cela serait donc comme à regret, et sans doute parce que quelques juridictions constitutionnelles attachent encore quelque prix à des droits fondamentaux que les systèmes de conformité des comportements aux règles font quelques places aux prérogatives des personnes, à leurs droits subjectifs premiers. L'on dit parfois que cette concession fait partie des coûts. Cela serait donc comme par un "forçage" que les droits subjectifs existeraient dans les systèmes de compliance, une sorte de prix que l'efficacité de la Compliance doit verser en tribut à l'Etat de Droit!footnote-1991. Une dépense somptuaire...

Si, dans une définition pauvre, l'on admettait que la Compliance ne soit que cette "conformité", débouchant sur un paysage dans lequel les comportements des personnages s'ajustent aux règles gouvernant les situations, la Compliance n'étant que la façon la plus "efficace" d'assurer l'application des règles, dans une perspective mécanique du Droit, alors il faudrait effectivement réduire les prérogatives des personnes à une part congrue, car tout "surcoût" a vocation à disparaître, même s'il est ici produit par les exigences constitutionnelles. Dans la bataille qui s'annonce entre l'efficacité d'application des règles et le souci des prérogatives juridiques des personnes, lesquelles devraient avant tout obéir et non pas revendiquer leurs droits, - surtout lorsqu'il s'agit de leur droit à ne pas obéir ou de leur droit à garder des secret dans des techniques de Compliance qui reposent sur la centralisation des informations -, l'efficacité de l'efficacité ne pourrait que, par la puissance même de cette tautologie, l'emporter!footnote-1988... 

La défaite pourrait n'être pourtant pas totale; la collaboration serait encore possible et active entre des personnes se prévalant de leurs droits subjectifs et le Droit de la Compliance. En effet, par de nombreux aspects, si les droits subjectifs ont été reconnus dans les systèmes de Compliance, c'est non seulement parce que le Droit de la Compliance, comme toute branche du Droit, ne peut se déployer que dans le respect des droits fondamentaux gardés par les textes juridiques fondamentaux, mais aussi en raison de l'efficacité des droits subjectifs comme "outils de Compliance".

C'est parce qu'ils constituent un "outil" d'une grande efficacité pour assurer le fonctionnement entier d'un système dont les buts sont si difficiles à atteindre, parce qu'il faut faire feu de tout bois pour concrétiser ces buts, que les Autorités publiques non seulement s'appuient sur la puissance des opérateurs cruciaux, mais encore distribuent des prérogatives aux personnes qui, ainsi incitées, activent le système de Compliance et participent à la réalisation des "But Monumentaux". Les droits subjectifs peuvent s'avérer être les outils les plus efficaces pour atteindre effectivement les buts fixés, à tel point qu'on peut les considérer comme des "outils premiers" (I).

Mais il convient d'avoir plus de prétention, voire de renverser la perspective. En effet, parce que tous les Buts Monumentaux par lesquels le Droit de la Compliance se définit peuvent se ramener à la protection des personnes, c'est-à-dire à l'effectivité de leurs prérogatives! S'opère alors un effet de miroir entre les droits subjectifs donnés par le Droit aux personnes et les droits subjectifs qui constituent le but même de tout le Droit de la Compliance, notamment la protection de tous les êtres humains, même s'ils sont en situation de grande faiblesse. Dans cette perspective plus ambitieuse, les droits subjectifs deviennent un "outil naturel" du Droit de la Compliance (II).

1

Contre cela, la critique radicale, savante et fondée d'Alain Supiot, dans l'ensemble de son oeuvre et plus particulièrement dans La gouvernance par les nombres, 2015. 

2

Sur la définition de l'entreprise comme un groupe de personnes qui se réunissent pour entreprendre, v. le travail de référence d'Alain Supiot, par exemple son article d'introduction "L'entreprise face au marché total", dans l'ouvrage qu'il a dirigé L'entreprise dans un monde sans frontières. Perspectives économiques et juridiques, 2015

3

Si l'entreprise pouvait renaître comme idée de cristallisation d'une idée commune entre des personnes, naturellement titulaires de droits subjectifs, exerçant ensemble leur liberté d'entreprendre pour réaliser un projet commun, ce qui correspond à la définition classique du contrat d'entreprise donnée à l'article 1832 du Code civil, cela renforcerait considérablement la présence des droits subjectifs dans le Droit de la Compliance et conforterait la nature humaniste de celui-ci.

En outre, dans une telle définition la loi de la majorité, qui n'est qu'une loi de fonctionnement d'une catégorie de sociétés que sont les sociétés de capitaux, deviendrait moins puissante, au profit des "droits propres" de tout associé (au-delà du cercle des sociétés de personnes), sans qu'il soit besoin d'aller chercher au-delà du cercle des associés ou titulaires de titres émis par la société ou l'entreprise (dit shareholders) et d'aller donner le "droit à la parole" à des personnes qui, parce qu'elles sont "concernées" (les "parties prenantes", les skateholders) ont désormais de plus en plus le "droit à la parole". 

4

Voir le Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance, notamment dans les Entrées : "droits" (comme "droit à l'oubli", "droit subjectif", "Droit public, Droit privé", etc.). 

5

La Compliance by Design reflète ces tensions. V. par exemple Granier, C., L'originalité normative de la Compliance by design, 2020

6

Contre cette conception de la légalité, qui prévoit tout et à laquelle il faudrait prouver par avance et que l'on se "conforme" entièrement, ce qui est contraire aux principes mêmes du libéralisme dont le principe est la liberté d'agir et non pas l'obéissance, Carbonnier affirme que les règles sont faites ne pas s'appliquer et qu'elles ne sont que le "mince vernis" des choses, qu'il convenait de se méfier de la "passion du Droit". V. not. son dernier ouvrage Droit et passion du droit sous la Vième République, 1996. Carbonnier est considéré comme le plus grand juriste français du XXième siècle. Il rédigea les lois qui réformèrent en profondeur le Code civil et publia des ouvrages sur "l'art législatif". 

7

Au contraire, l'Etat de Droit n'est pas un coût extérieur au système de Compliance efficace, que celui-ci doit internaliser. Il est le fondement même du Droit de la Compliance. Voir dans ce sens la démonstration faite par le président de la Cour de Justice de l'Union européenne, Koen Lenaerts, Le juge de l'Union européenne dans une Europe de la Compliance, in Frison-Roche, M.-A., Pour une Europe de la Compliance, 2019. 

8

Sur la démonstration comme quoi la Constitution, en ce qu'elle contient de l'incalculable, est broyée dans cette façon de faire, v. Alain Supiot, Intervention 31 mars 2020

I. LES DROITS SUBJECTIFS, OUTILS LES PLUS EFFICACES POUR UNE COMPLIANCE EFFECTIVE

Prérogatives juridiques dont sont titulaires tous les sujets de droit!footnote-1992, les droits subjectifs sont aujourd'hui résolument bienvenus dans les systèmes économiques régulés. Il le sont non pas parce que ceux-ci auraient été capturés par les intérêts particuliers, selon la critique générale formulée par Carbonnier!footnote-1993 regrettant le temps d'une société régie par la Loi commune à tous et égale pour tous, aujourd'hui "pulvérisée" en une multitude de droits subjectifs, ce mouvement traduisant l'inégalité de puissance qui se déploient dans les rapports entre les personnes!footnote-1947. Non, les droits subjectifs sont bienvenus parce qu'ils font mieux fonctionner le système de régulation.

En effet, la multiplication des droits subjectifs n'est pas signe d'un affaiblissement de l'Etat et de ses Autorités publiques: elle est au contraire la nouvelle forme que prennent la puissance et la souveraineté, renforcées par la distribution de ces puissances particulières que sont les droits subjectifs à des sujets de droit afin qu'ils contribuent à la mise en oeuvre effective des systèmes de Régulation (A). Cela est encore plus net dans le Droit de la Compliance, qui a inventé des nouveaux droits subjectifs, dont le si célèbre "droit à l'oubli" (B). 

 

A. LA MULTIPLICATION DES PREROGATIVES INDIVIDUELLES DANS LES SYSTEMES ECONOMIQUES REGULES PAR LE DROIT DE LA REGULATION ET DE LA COMPLIANCE

Il fût un temps où la puissance de l'Etat suffisait pour réguler, par la réglementation, les secteurs régulés, à tel point que l'on confondait "réglementation" et "Régulation", tandis que les droits subjectifs demeuraient dans ce qui était la boîte noire aussi bien des marchés que des secteurs régulés : les entreprises (1).  Les droits subjectifs étaient d'autant plus absents comme "outils efficaces" que le Droit de la concurrence interdisant à l'Etat d'utiliser pleinement le "plus absolu" des droits subjectifs qu'est le droit de propriété!footnote-1997 pour poursuivre l'intérêt général à travers les entreprises publiques!footnote-1994, tandis que la jurisprudence admettait pour d'autres l'usage du droit d'action contre l'Etat, obligeant celui-ci à rendre des comptes pour les décisions prises par des Régulateurs devenus pourtant indépendant de lui!footnote-1995. Reconnaissons qu'il y a de quoi, pour les pouvoirs législatif et exécutif, douter du bénéfice apporté par les droits subjectifs dans les systèmes de régulation publique.... Cela a changé lorsque le Droit de la Régulation a été touché par le Droit processuel (2). 

 

1. La puissance unilatérale de l'Etat, suffisante pour régir les espaces économiques

L'arrivée des droits subjectifs dans le Droit de la Régulation s'est opérée avec fracas, contrariété et grande difficulté. Cela ne peut se comprendre que par un retour en arrière, dans ce qui fût la construction du Droit de la Régulation, dans lequel le Droit de la Compliance est ancré!footnote-1944.

Précédemment, la Régulation de l'économie par l'Etat, affaire plutôt du Droit public, ne faisait guère de place aux droits subjectifs qui étaient appréhendés comme les prérogatives particulières dont les personnes ordinaires sont titulaires pour exprimer et défendre leurs intérêts. D'une façon générale, le Droit économique fait relativement peu de place aux prérogative des personnes au cœur même du fonctionnement du système, considérant notamment que le bon fonctionnement de la libre concurrence est un principe objectif d'ordre public!footnote-2001, qui n'a ainsi ni pour source ni pour conséquence un "droit subjectif à la concurrence"!footnote-1945.

Y compris au niveau constitutionnel, le système de concurrence est ainsi construit sur un espace, dans lequel les personnes se meuvent grâce à un principe de liberté, liberté dont elles sont titulaires et qui se décline notamment dans la liberté contractuelle, l'autonomie de leur volonté y suffisant dans les limites des lois particulières.  Ainsi la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne est généralement présentée comme ce qui concrétise et renforce les trois libertés de circulation (des personnes, des capitaux et des marchandises) et non pas ce qui protège des droits subjectifs!footnote-1998. D'une façon plus générale, pour le fonctionnement d'une économie libérale, les seuls droits subjectifs requis portent sur les biens, le "droit de propriété" étant d'ailleurs dans les esprits britannique et américain intime de la liberté d'entreprendre: la liberté d'entreprise suppose au bénéfice de personnes juridiques autonomes une maîtrise de choses accédant par leur disponibilités au statut juridique de "biens". Cette alliance de disponibilité et de maîtrise suffit à définir classiquement le système économique de propriété. Convergeant avec la liberté d'entreprendre, elle fonde l'économie libérale, qui n'aurait pas besoin de plus.

L'admission des droits subjectifs paraissait encore moins utile ou même pertinente dans le Droit de la Régulation, dans lequel propriété et contrat ne sont pas des instruments de premier plan, dès l'instant que le Droit de la Régulation était plutôt défini comme la façon pour l'Etat d'insérer son souci de l'intérêt général et du temps long au-delà des intérêts singuliers que les personnes transforment en prérogatives particulières que sont leurs droits subjectifs et qu'elles exercent entre elles (droits subjectifs personnels) ou sur des choses (droits subjectifs réels) mais dont on suppose qu'ils n'expriment pas davantage que leurs intérêts. C'est ainsi que les économistes identifient purement et simplement  un "droit" (notamment le droit de propriété) à la maîtrise exercée par une personne dans son intérêt sur une situation. Il est ainsi affirmé que les actionnaires seraient « propriétaires » de l’entreprise, puisqu’ils en ont la maîtrise par le droit de vote lié à la détention du capital. Cela est juridiquement faux et ce contresens sur la nature du droit subjectif des titulaires de titres de capital, par exemple les actionnaires, a engendré de très grandes difficultés. Cela s’explique en partie par l’absence en Droit économique de droits subjectifs.

En effet, le Droit économique des espaces, qu'ils soient de marchés concurrentiels ou des marchés régulés, relève plutôt de la puissance des Etats (la "puissance publique" au service du "service public"). Par son pouvoir sanctionnateur l'Etat réajuste en ex post s'il y a un comportement perturbateur (Droit de la Concurrence) tandis que, par son pouvoir normatif réglementaire, il les organise en ex ante (Droit de la Régulation). Dans ces conditions, les droits subjectifs peuvent sans dommage être absents du Droit de la Régulation qui construit les secteurs et les maintient en équilibre. Par exemple, le Droit de la Régulation énergétique qui fixe les tarifs ou organise les enchères, ou le Droit de la Régulation des marchés financiers qui assure la bonne information et réprime les abus de marché. Ce sont toujours des principes objectifs, mis en oeuvre par des réglementations et sanctionnés par des Autorités publiques. Même lorsque, dans une définition où la Régulation ne serait que l'accessoire de la Concurrence!footnote-1999, le Droit de la Régulation ne se définissant que comme la voie par laquelle un marché concurrentiel est établi, la Régulation n'étant ce qui accompagne la libéralisation, les droits subjectifs ne sont pas davantage requis puisque le Droit de la concurrence ne fait pas beaucoup plus place aux droits subjectifs.

En effet, le droit de propriété étant lui-même réduit à la puissance de disposer des biens, il est associé à la liberté contractuelle: la puissance qui résulte de l'association du droit de propriété et de la liberté contractuelle est mise au service de la circulation des marchandises. Plus encore, alors que l'entreprise publique - par le contrôle donné par la détention d'une partie du capital - aurait pu permettre à l'Etat de réguler via un opérateur crucial un secteur, les Autorités de concurrence, en neutralisant la spécificité de l'Etat-actionnaire!footnote-2000, lui enjoignent de se comporter comme un investisseur ordinaire, lui interdisent ainsi d'utiliser la puissance politique du droit de propriété, offerte par le droit de vote et les sièges dans les différents organes sociétaires de la personne morale. 

 

2. L'admission de jure des droits subjectifs classiques, conséquence de l'intégration de la Régulation et de la Compliance comme éléments de l'Etat de droit

Les évolutions viennent le plus souvent de la procédure. Sans doute parce que c'est par cette façon douce de faire!footnote-2002 que les mouvements les plus profonds se font. Cela montre aussi que l'opposition souvent mis en exergue entre Civil Law et Common Law n'est pas si pertinente puisque le juge, tiers à la situation à laquelle il faut apporter solution, est donc dans l'un et l'autre des deux systèmes au centre de ceux-ci et qu'il faut toujours emprunter ce parcours qu'est la procédure pour parvenir au maître des systèmes qu'est le juge, maître caché dans le premier système de Civil Law, agissant à découvert dans le second de Common Law, mais maître toujours. Le Conseil d'Etat, juridiction administrative, ne se cache d'ailleurs guère pour s'affirmer dans le Droit de la Régulation ouvertement comme étant le "Régulateur des régulateurs"!footnote-2003

Lorsque la Cour de cassation par l'arrêt Oury du 5 février 1999 qualifia les autorités de régulation de "tribunal", elle injecta dans la totalité des secteurs régulés, dans lesquels le Régulateur est lui-même le maître, l'ensemble des droits subjectifs processuels : le droit de saisir l'autorité de régulation, le droit de débattre devant elle et de se défendre, le droit de bénéficier de son impartialité objective, le droit de contester sa décision y compris devant une juridiction judiciaire. Cette première révélation du Roi nu, dont le manteau somptueux qu'est la distinction du Droit privé et du Droit public, s'évapore dans le Droit processuel, beaux habits dont le Droit de la Compliance achève de dissoudre la vision; c'est pour mieux restaurer les ambitions que l'Etat peut prétendre exprimer puisque celui-ci fixe les buts que les entreprises doivent avoir le soucis effectif d'atteindre.

Mais ce droit subjectif processuel de contester en ex post ce que dit l'Etat dans son travail d'architecte des secteurs conduit à un corpus jurisprudentiel du Droit de la Régulation et a produit, dans tous les secteurs régulés, par un "Ex Ante cognitif"!footnote-1948, un phénomène de construction commune des règles entre les Autorités et les entreprises, qui n'est plus contesté, et même approuvé.

Le phénomène est accru dans le Droit de la Compliance, celui-ci étant le prolongement du Droit de la Régulation. Les droits subjectifs processuels des sujets de droit que sont les entreprises, droits très développés en raison de l'ampleur des "outils répressifs" dans cette branche du Droit!footnote-1949, accompagnent la "juridictionnalisation de la Compliance"!footnote-1950, laquelle conduit notamment l'entreprise à devenir juge d'elle-même!footnote-2004

Ces droits subjectifs sont donc entrés d'une façon relativement violente dans les mécanismes de Régulation et de Compliance, mais s'ancrent dans le principe simple selon lequel ces mécanismes sont construits dans l'Etat de Droit. Comme le rappelle régulièrement la Cour de Justice de l'Union européenne, l'ensemble de ces instruments étant de nature juridique, et devant s'articuler entre eux!footnote-1951, ils ne peuvent être conçus sans un ancrage commun qu'être l'Etat de Droit. Sauf à soutenir que la Régulation et la Compliance ne seraient pas du Droit mais juste des sortes de normes techniques plates à la substance interchangeable, ce que sous-entendent voire affirment des études et des propositions notamment sur les prouesses attendues des machines que l'on présente comme "intelligentes", Droit de la Régulation et Droit de la Compliance sont des branches du Droit, qui ont pour racines communes l'Etat de Droit, lequel repose sur des principes substantiels et des droits fondamentaux indisponibles.

L'Etat de Droit a en son cœur les droits subjectifs processuels. Les juridictions les ont donc fait apparaître dans le droit positif de l'une et l'autre branche, d'une façon consolidée en Droit de la Régulation, d'une façon débutante encore pour le Droit de la Compliance, branche en cours d'élaboration. Si l'on exclut de réduire la Régulation et Compliance à des process vides et qu'on les arrime au principe de l'Etat de Droit, principe qui est commun à l'Europe et aux Etats-Unis mais qui n'est pas forcément partagé avec tous les autres zones du monde, lesquelles apprécient au contraire le design ex ante des secteurs économiques et l'obéissance avérée de tous à la règle, alors il faut développer les droits subjectifs processuels.

Pour cela, il faut développer et mettre au centre la jurisprudence des juridictions constitutionnelles, puisque celles-ci sont avant tout gardiennes des droits subjectifs. De cela, nous n'en sommes qu'au début. Tandis qu’en outre des droits subjectifs substantiels et nouveaux se développent, dans et par le Droit de la Compliance.

 

3. L'éclosion des droits subjectifs renouvelés ou propres au Droit de la Compliance : du "droit d'accès" au "droit à l'oubli" 

Par un autre mouvement, le Droit de la Régulation puis le Droit de la Compliance ont créé de toutes façons de nouveaux droits subjectifs, prérogatives offertes par la Loi aux personnes en prises avec des situations régulées.

Par exemple le "droit à l'électricité"!footnote-1952 qui, dans la loi du 10 février 2000, a été conçu par le législateur, donnant à chacun la prérogative de recevoir ce bien essentiel, non pas par l'effet d'un engagement d'un cocontractant, mais par une prérogative définitivement acquise. Cela produit ainsi pour chacun un droit à un contrat, dont certaines clauses sont impliquées par ce droit subjectif d'origine légale. Une telle insertion d'un droit subjectif comme source des obligations du fournisseur change alors considérablement le régime juridique!footnote-2005.

Tout d'abord, le titulaire du droit peut s'en prévaloir alors même qu'il n'est pas en situation de tirer profit de sa seule liberté d'entrer dans une relation contractuelle, puis de demander l'exécution des engagements de l'autre même s'il n'honore pas les siens, alors que la relation contractuelle est par nature commutative : concrètement, et par exemple, entrer dans un contrat de fourniture d'électricité et ne pas subir de coupure alors même s'il ne paie pas les factures.

Ce qui est offert en matière électrique, parce qu'il existe de la par la Loi un "droit à l'électricité" qui structure le secteur, peut-il être transposé pour tout bien essentiel ? A priori non, car le "droit d'accès" n'existe que concernant les infrastructures essentielles monopolistiques au bénéfice de tiers et il n'existe pas un tel droit subjectif d'accès aux biens essentiels, la décision d'organiser un accès à des biens publics, par exemple le savoir à travers l'accès de tous l'enseignement, renvoyant à des politiques publiques et non à des droits subjectifs!footnote-2006.  

La question d'un droit d'accès qui équivaudrait à un droit à une fourniture gratuite se pose pourtant dans ces termes, et avec acuité, dans la Régulation du digital, puisque c'est bien au nom d'un droit d'accès de l'internaute que l'on a pu fonder l'obligation d'ouvrir les réseaux et les contenus à tous, éventuellement sans contrepartie financière, donnant alors un sens particulier au principe de neutralité. Dans une conception extrême, si le principe de neutralité allait au-delà du principe objectif d'un "Internet ouvert", garanti par les textes!footnote-2007, mais renvoyait à un droit subjectif qu'aurait tout internaute d'accéder à tout à tout moment à la même vitesse, c'est tout le système qui en est changé. En effet, les contrats qui sont conclus entre les fournisseurs d'accès et les internautes ne pourraient stipuler des prix différents suivant la qualité de cet accès, puisque ce droit d'accès ainsi enrichi par la Loi lui serait déjà pleinement acquis, une stipulation contractuelle ne pouvant venir l'amoindrir. Pour l'instant un tel droit subjectif n'existe pas. Notamment parce que dans un système libéral ce sont les parties qui par la puissance contractuelle font naître des droits et obligations, le Droit étant certes le tiers nécessaire à la relation contractuelle mais non celui qui tient la plume; les droits subjectifs demeurent donc d'une part peu nombreux dans les systèmes régulés et conservent d'autre part la marque de leur origine légale lorsqu'ils y sont imposés. En effet, l'on y retrouve l'unilatéralisme caractérisant traditionnellement le Droit de la Régulation!footnote-1953, puisque le contrat ne sera alors plus que la mise en oeuvre juridique de ce droit subjectif conféré par la loi à tous. Il en résulte dès lors des obligations de fourniture liée à la notion persistante de service public.

Plus encore et d'une façon plus générale, le "droit d'accès", qui est un droit subjectif essentiel dans les systèmes de régulation, est lui-même d'origine légale, parce que c'est sur le "droit d'accès aux infrastructures essentielles" que toute la Régulation des secteurs dit "de réseaux" va se mettre en place, le monopole naturel des infrastructures étant ainsi supporté. Cela explique qu'à la fois la concrétisation du "droit subjectif d'accès" prenne la forme d'un "contrat d'accès" et que son contentieux soit pourtant attribué à la connaissance de l'Autorité de Régulation.

Ainsi et plus généralement dans les secteurs dits "de réseaux", notamment l'Energie et les Télécommunications, c'est sans contradiction que l'Autorité de Régulation est dotée d'un pouvoir de règlement des différents pour trancher les difficultés liées à la mise en oeuvre des contrats d'accès!footnote-2008, car l'accès est un mécanisme central de la Régulation du secteur, tandis que le contrôle de ce travail de Régulation opéré par ces Autorités administratives relève pourtant de la connaissance de la Cour d'appel de Paris, juridiction judiciaire.

Cette organisation juridictionnelle, qui paraît incompréhensible, quasiment une "malfaçon"!footnote-2009, souvent présentée ainsi, à tel point que certains demandent que, dans une sorte de retour en arrière bienvenu vers ce qui serait une cohérence, ce type de contentieux soit connu par le seul Conseil d'Etat, montre au contraire que le Droit de la Régulation fait place au dynamisme des acteurs, ceux qui veulent entrer dans les réseaux, par exemple.

Quant au Droit de la Compliance, parce que celui-ci prolonge la Régulation dans les entreprises elles-mêmes, les "droits d'accès" prennent de plus en plus d'autonomie.  Nous allons voir dans les années qui viennent s'il existe par exemple un "droit d'accès" aux fonctions décisionnaires des entreprises, pour les catégories de personnes qui n'y accèdent statistiquement pas. L’enjeu est considérable ; il est encore à peine ouvert. Dans un tel cas, les politiques publiques d'incitation, ou de contrainte à travers les quotas, feraient place à des droits subjectifs. Pour qui connait la puissance des droits subjectifs dans les systèmes, l’avenir est déjà écrit. 

Plus encore, le Droit de la Compliance a quasiment fait son apparition par les droits subjectifs !

En effet, c'est par l'arrêt du 13 juin 2014, Google Spain, que la Cour de justice de l'Union européenne!footnote-1954 a établi le Droit de la Compliance en obligeant une entreprise numérique cruciale à détruire techniquement l'accès à une information. De la même façon que le Droit de la Régulation avait construit par la Loi le droit subjectif d'accès, le Droit de la Compliance construisit par la Jurisprudence le droit subjectif au non-accès. Ce droit subjectif appelé depuis "le droit à l'oubli" est un droit subjectif extraordinaire puisqu'il permet à une personne de disparaître dans ce monde digital où pourtant tout se conserve éternellement. 

La digitalisation du monde, non seulement par la mise en chiffre qu'il en opéra, l'a désincarné aussi efficacement que la finance et la concurrence l'avaient fait par la réduction des choses à leur seul prix, mais a fait ce qui n'avait jamais été fait jusqu'ici : le digital a fait disparaître le temps. Cette violation de l'ordre naturel des choses a conduit à injecter la seule arme que l'être humain puisse avoir contre cette disparition du temps : les droits subjectifs. 

Ainsi, la mort est certes ce que nous craignons tous, mais c'est aussi ce qui nous protège: ce que nous avons fait est oublié, nos proches étant épargnés du souvenir sans fin qui serait conservé de leurs aïeuls. Mais parce que le digital conserve tout, il a fallu créer ce qui a été présenté par le Législateur dans la Loi pour une République numérique comme un "droit subjectif à la mort numérique" pour faire coïncider notre droit à l'oubli avec la disparition naturelle qu'est la mort, obligeant les opérateurs digitaux à effacer les comptes des personnes décédées sur les réseaux sociaux!footnote-2010

Il apparaît ainsi à travers ce dernier exemple que nous sommes aujourd'hui si démunis face à cette nouvelle puissance technologique que seuls les droits subjectifs peuvent être efficaces. Ils sont donc aujourd'hui les premiers "outils" du Droit de la Compliance. 

 

 

B. LA JUSTIFICATION DE L'ECLOSION DES DROITS SUBJECTIFS  PAR LE SOUCI DE CONCRETISATION EFFECTIVE DES BUTS MONUMENTAUX : LE DROIT SUBJECTIF COMME PUR OUTIL

Même si l'on n'apprécie pas les plaideurs qui se multiplient dans les "sociétés contentieuses"!footnote-1956 ou que l'on craint le gouvernement des juges à l'emprise croissante, dont la présence est d'autant plus désapprouvée que ces juges sont "étrangers"!footnote-2011, le thème de l'extraterritorialité du Droit de la Compliance croisant souvent celui-ci de l'illégitimité des juges!footnote-1957, la multiplication des droits subjectifs menant par nature à un juge puissant puisqu'il concrétise ces droits subjectifs!footnote-1958, les droits subjectifs sont justifiés comme "outils" de compliance en ce qu'ils permettent d'atteindre les buts monumentaux, que les Etats sont bien en peine d'atteindre.

En effet il faut bien distribuer de telles prérogatives pour obtenir l'effectivité non seulement des moyens mais encore des buts, puisque les moyens ne sont eux-mêmes que des outils. L'utilisation des personnes comme des moyens n'est qu'un retour vers le Droit romain, qui créa la notion de personnalité comme un outil (persona étant un masque, un porte-voix de théâtre) sans considération directe pour l'être humain (l'indissociabilité des deux venant plus tard!footnote-2012), afin de rendre efficace le commerce et le fonctionnement des institutions!footnote-1996. En cela, l'anglais ayant remplacé le latin, les droits subjectifs attachés à tout sujet de droit constituent le parfait exemple du private enforcement (1). Cela est impératif pour l'information, le Droit de la Compliance étant un système de centralisation et de transmission d'information, ce qui conduit à donner des droits à celui qui va chercher de l'information et la transmet, comme le fait le lanceur d'alerte, personnage-clé de cette branche du Droit (2). Dans un système qui peine à atteindre ses buts, une prise en charge par autrui des droits subjectifs sera bienvenue, voire recherchée, puisqu'efficace, comme le montre le mécanisme de class action, l'évolution étant, comme pour le lanceur d'alerte, lente (3). 

1. Les droits subjectifs, technique de "private enforcement"

Le Droit de la Compliance ne trouve sa cohérence et son unité que par les buts monumentaux qui le définissent!footnote-1959.  L'efficacité de ses différents outils est donc déterminante. Pour reprendre le vocabulaire anglais, la mise en application du Droit si elle n'est pas spontanée, sauf à ce que les sujets de droit soient habités par l'amour des Lois postulé par Rousseau, ou parce que la prescription juridique issue du texte ou du contrat correspondrait exactement à leur intérêt notamment parce que les auteurs de celle-ci l'ont conçue à travers un mécanisme d'incitation!footnote-1960, requiert la force, à travers des techniques d'enforcement. Le lien entre le Droit et la force est si prégnant qu'il est courant de définir le Droit par la force qui est attachée à la règle, mais il s'agit d'une force potentielle, la "force obligatoire", et non pas la mise en oeuvre effective. La "force publique", public enforcement, est donc requise. 

Sans développer ce point, le Droit de la Compliance parce qu'il est concentré dans des "buts monumentaux" globaux pose que leur atteinte effective est non pas une question qui est seconde par rapport à l'édiction de la règle mais est première, puisque les différentes techniques de Compliance élaborées ne sont elles-mêmes que des outils. Or, ces buts sont non seulement gigantesques, par exemple faire cesser la corruption, ou établir une égalité entre les hommes et les femmes, mais ils ne sont pas limités au territoire dans lequel l'Etat déploie sa puissance (ce pour quoi l'extraterritorialité trouve sa légitimité).

En raison de la faiblesse du public enforcement en matière de Compliance, faiblesse consubstantielle à sa définition, le private enforcement va être beaucoup plus efficace. En effet, si face à de puissantes entreprises américaines qui accumulent les informations et construisent une industrie sur ces données, l'on crée en premier lieu un droit subjectif de contrôle de ces données par la personne qui est "concernée", ce qui est la définition de la donnée à caractère personnel, par la création d'un droit subjectif substantiel à l'oubli, lequel est activé par son association à un droit subjectif d'accès au juge, l'Autorité de Régulation étant elle-même juridictionnalisée pour remplir cet office : c'est ainsi que la Régulation de l'espace digital, qui semblait inatteignable autrement que par la spontanéité éthique des entreprises qui l'ont conçu et le maîtrisent, devient possible!footnote-1961

Ainsi tout le Droit de la Compliance est en train d'être transformé par l'insertion dans chaque personne de droit subjectif substantiel, auquel est associé un droit subjectif processuel, afin de rendre effectif un Droit de la Régulation épuisé par la puissance permise par l'immatérialité des technologies. C'est d'ailleurs dans ce sens qu'est allé le Législateur américain par la loi Dodd-Frank de 2010, dont le titre exact est Wall Street Reform and Consumer Protection Act, qui dans la réforme globale opérée de la Régulation des marchés financiers distribue des droits à chaque investisseur et créé à cette fin une institution spécifique pour veiller à la protection de leurs droits, le Consumer Financial Protection Bureau (CFPB)Cette agence fournit aux consommateurs de produits financiers des informations pour les protéger en ex ante et leur permettre d'agir en ex post si leurs droits ont été lésés.

D'une façon plus générale, l'économie comportementale consiste à miser sur les personnes en leur apportant de l'information, en leur fournissant un intérêt à agir, le Droit processuel concrétisant ainsi les propos généraux de la théorie des incitations. La théorie du nudge!footnote-1962 a tant de points de contact avec le droit processuel...., et suppose bien souvent un droit subjectif processuel d'action, car pour qu'une incitation à demander une information soit pleinement active, sa transformation en droit subjectif permet de produire une obligation à la satisfaire, tandis que son doublement par un droit subjectif processuel d'agir en justice permet de saisir le juge ou l'autorité de régulation ou de supervision pour l'obtenir par contrainte.

Parce que le Droit de la Compliance repose sur l'information!footnote-1963, le Droit de la Compliance a accru ce mécanisme de private enforcement en inventant un personnage nouveau qui lui est propre : le lanceur d'alerte. Mais pour cela, il a fallu aussi inventer au bénéfice de celui-ci un droit nouveau : un droit à la protection. 

 

2. La querelle particulière autour des droits subjectifs de l'apporteur d'information : l'activation du lanceur d'alerte

Le lanceur d'alerte est un personnage vedette, et contesté. Son utilité est reconnue, puisqu'il transmet une information qui serait restée inaccessible sans lui. Ce personnage d'une grande utilité potentielle ne sera pourtant actif que s'il est doté de deux droits subjectifs : un droit à la protection en premier lieu, un droit à la rémunération en second lieu. Les deux ont été contestés. Ils n'ont d'ailleurs pas été conférés d'une façon égale et l'efficacité du Droit de la Compliance comme système d'information pour rendre effectifs les buts monumentaux, par exemple la protection des femmes dans les entreprises, s'en ressent d'autant.

Sans reprendre sa description de pied en cap!footnote-1964, deux éléments sont ici à mettre en valeur. En premier lieu, la loi dite "Sapin 2" qui établit le statut du lanceur d'alerte, anticipant le mouvement européen qui n'apporte en cela rien de plus par rapport au Droit français!footnote-2013, définit le lanceur d'alerte par la protection qui lui est due: la protection de celui qui transmet d'information, notamment contre celui dont il dépend, par exemple son employeur, dont il a peut-être révélé le comportement reprochable, n'est pas insérée dans le régime du lanceur d'alerte mais dans la définition même de celui-ci. Loin d'être une faute de rédaction, cette définition légale du lanceur d'alerte par son "droit à la protection" est fondée, car s'il n'est pas protégé, il ne transmettra pas l'information. Ce droit subjectif à la protection est d'autant plus requis que certaines législations, dont le Droit français, ont choisi d'obliger la personne informée à transmettre l'information à l'intérieur de l'entreprise avant d'être autorisée à la communiquer à l'extérieur!footnote-2015

Le second droit subjectif, plus contesté encore, est le "droit à la rémunération". Aux Etats-Unis, les lois, parce que raisonnant à partir de l'utilité, ont conféré un droit à la rémunération!footnote-2016. Au niveau fédéral, c'est la même loi Dodd-Frank qui organise un programme de protection des whistleblowers, confié à un bureau spécial de la Securities & Exchanges Commission (SEC)!footnote-1965lequel attribue aux lanceurs d'alerte les rétributions pécuniaires et envoie chaque année un rapport public au Congrès américain, évaluant le succès du mécanisme de lancement d'alerte par référence au montant global des récompenses!footnote-2014

Le Droit européen, notamment dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme mais également dans la Directive d'octobre 2019 ayant renforcé la protection des lanceurs d'alerte, se refuse à reconnaitre ce "droit à rémunérer" du lanceur d'alerte, en estimant que la seule "alerte éthique" est celle qui n'est pas rétribuée. Pour en rester à la question de l'efficacité des droits subjectifs, il est acquis que tant que l'Europe ne reconnaitra pas au titulaire d'une information, dont la transmission peut le mettre en danger, le bénéfice de non seulement un droit subjectif à la protection mais encore un droit à rémunération, le système manquera d'informations.

La question est encore plus nette à propos d'un droit subjectif d'action, si l'efficacité du système suppose son effectivité, car il faudrait alors qu'il puisse être porté par autrui. 

 

3. La faveur particulière à apporteur aux mécanismes collectifs servant les droits subjectifs individuels : la class action

Par définition, un mécanisme juridique appréhendé comme un outil n'a de sens qu'à travers son usage effectif (c'est-à-dire utilisé) et efficace (c'est-à-dire produisant les effets concrets attendus, par rapport aux buts visé par celui qui a construit le mécanisme!footnote-1966). 

Les droits subjectifs substantiels dépendent dans leur concrétisation de l'intervention potentielle crédible du juge, le régulateur et le superviseur étant assimilé par le Droit à un "tribunal" puisqu'il sanctionne, règle les différents et construit des jurisprudences. Les droits subjectifs processuels ayant les premiers fait leur entrée dans les systèmes de Régulation et de Compliance!footnote-1967, l'ensemble de l'édifice dépend donc de l'effectivité des droits d'action en justice.

Or, les personnes qui sont en droit d'agir en Droit de la Compliance ne sont guère en position de le faire, parce qu'elles ne sont pas informées des droits substantiels dont ce Droit les a dotés ou que, les connaissant, qu'elles n'en ont pas les moyens financiers de les revendiquer!footnote-2017, ou que la situation juridique ne s'y prête pas.

Ce dernier cas est particulièrement développé en Droit de la Compliance parce que, les obligations de Compliance pesant sur les entreprises cruciales, lesquelles sont juridiquement bien armées, elles façonnent des clauses dans les contrats d'adhésion qui les lient aux personnes aptes à agir contre elles, par exemple pour défendre leur droit subjectif substantiel sur leurs données à caractère personnel: les clauses ont pour effet qu'aucune action n'ait lieu, notamment pas une action en responsabilité. Ce faisant, c'est tout le Droit des données qui en est affaibli.

Par exemple, les clauses qui donnent compétence exclusive à des juridictions éloignées, comme une juridiction californienne ou irlandaise, opposées à des cocontractants français ou allemands, protègent de fait de toute action les entreprises qui gèrent des plateformes d'une action en justice, et privent de fait le Droit de la Compliance de l'effet disciplinaire produit par des actions en responsabilité. Pour lutte contre cela, la Cour de Justice de l'Union européenne vise à donner plus d'effet à des mécanismes pourtant propres au Droit communautaire de la Consommation, notamment le fait que ce type de clause soit réputée "non-écrite", en les rendant inopposable à des petites entreprises, pour qu'elles puissent demander des comptes aux entreprises gérant des plateformes dans l'espace digital mais ayant placé leur siège social à Dublin en les assignant efficacement devant un tribunal du ressort de leur propre siège social!footnote-1968

Plus encore, si l'on veut que le droit subjectif d'action puisse activer l'ensemble du Droit de la Compliance, il faut l'élever lui-même au niveau collectif. C'est pourquoi le mécanisme de class action doit cesser d'être exclu ou admis par exception pour devenir la règle. En effet il y a longtemps, l'on rappelait que Nul ne peut plaider par procureur , c'est-à-dire que là où l'intérêt particulier est concerné, c'est-à-dire un droit subjectif substantiel d'un personnel, cette personne peut activer le droit subjectif processuel d'action qui lui correspond, tandis que si un autre intérêt est concerné, nul ne peut aller prétendre déclencher un droit d'action pour le défendre. 

C'est pourquoi la défense des systèmes et du Droit est confié à des institutions, comme le Ministère public, qui défend la Loi,  aux Autorités de Régulation ou à la Commission européenne, qui sont titulaires d'un droit d'action puisqu'ils défend l'intérêt général, pour lequel ils sont "procureurs". 

Cette conception traditionnelle peut se justifier. Elle exclut qu'une personne saisisse une juridiction pour porter la prétention d'un autre, et que notamment se crée un business des actions en justice, ce à quoi aboutit de fait le mécanisme des class actions. Mais dès l'instant que l'on admet l'efficacité du private enforcement, que la victime est autorisée à entrer dans le fonctionnement général du système parce qu'elle active celui-ci, l'on ne voit plus pourquoi ce rôle, attribué par la seule considération de son efficacité systémique et non par le souci direct de la personne!footnote-1969, ne pourrait pas être endossé par un autre et ne devrait pas l'être si cela produit plus d'efficacité à l'ensemble. Que l'intermédiaire prélève son bénéfice au passage est un coût parmi d'autres.

Il est ainsi remarquable que les class actions se développent en Europe à propos du Droit des données à caractère personnel, ce qui permet de demander des comptes par exemple aux plateformes qui opèrent les réservations de nuitées dans les hôtels, la responsabilité du groupe hôtelier étant engagée pour la perte massive des données à caractère personnel!footnote-1971. Par des chaînes d'actions en justice, ou des actions en justice regroupées par autrui (class actions), comme le montre la sanction prononcée par le Régulateur britannique Information Commissioner's Officer saisi par une class action contre le groupe Marriott en 2020,  les groupes hôteliers répondent des plateformes qu'ils constituent en leur sein pour concentrer toutes les réservation dans l'ensemble des hôtels de leur chaine unifiée, de la même façon que les petites entreprises hôtelières isolées peuvent efficacement demander des comptes à une plateforme d'intermédiation, comme e-booking. 

Ainsi, dans le casse-tête que semble constituer l'ambition de la "Régulation des plateformes", plutôt que d'opposer celles-ci et les droits des personnes!footnote-1973, voire de proposer l'affaiblissement de ces entreprises, plutôt que de prendre acte de la faiblesse des personnes et des entreprises ordinaires pour en conclure à la seule solution que constituerait l'affaiblissement de ces nouvelles organisations que sont les plateformes, il convient plutôt de mesurer la puissance que constituent les droits subjectifs, et substantiels et processuels et de les distribuer largement.  Face la puissance, il faut répondre par la puissance. Par une puissance accrue grâce aux droits subjectifs nouveaux, l'espace digital pourrait trouver un nouvel équilibre.

Pour cela, les textes européens qui facilitent l' "action collective" sur le modèle de la class action doivent aller beaucoup plus loin!footnote-2019.  C'est encore une nouvelle raison de ne pas opposer le Droit américain et le Droit européen de la Compliance!footnote-2018. Cela est d'autant plus opportun que le Droit de la Responsabilité, qui est la branche du Droit par laquelle les jurisdictions accueillent d'une façon générale les prétentions des personnes - l'analyse économique du Droit ne s'y étant pas trompée, qui se concentre avant tout sur la jurisprudence en Droit de la Responsabilité et son pendant ex ante qu'est le Droit des Assurances -, évolue lui-même pour être un outil d'efficacité pour obtenir des entreprises un comportement adéquat. A ce titre, le revirement de jurisprudence opérée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation par son arrêt du 25 novembre 2020 qui impute la responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante est radicalement dans le sens décrit ci-dessus!footnote-1974

L'on voit donc que les droits subjectifs, qui n'étaient rien, sont en train de devenir si ce n'est tout, à tout le moins premiers, parce que moteurs, dans le Droit de la Compliance. Cela va être d'autant plus exact dans les années qui vont venir et durant lesquelles le Droit de la Compliance va se construire: les droits subjectifs vont apparaître comme les outils "naturels" de cette branche du Droit. 

 

II. LES DROITS SUBJECTIFS, LES OUTILS LES PLUS NATURES DU DROIT DE LA COMPLIANCE DEFINI PAR LE SOUCI DES PERSONNES

Les droits subjectifs des personnes sont très efficaces pour le déploiement du Droit de la Compliance mais ils agissent aussi en miroir de celui-ci. En effet parce que le Droit de la Compliance se définit par le souci que l'on a des êtres humains, alors les droits subjectifs, prérogatives des personnes, notamment ceux que l'on appelle parfois "droits humains", doivent être appréhendés comme des outils "naturels" de cette branche du Droit (A). Cela signifie techniquement qu'ils doivent être interprétés largement et non pas marginalement et qu'à l'avenir de nouveaux droits subjectifs seront inventés (B).  

 

A. LA LEGITIMITE DES DROITS SUBJECTIFS - OUTILS, MIROIRS DU DROIT DE LA COMPLIANCE DEFINI PAR LE SOUCI DES PERSONNES

Si l'on définit le Droit de la Compliance comme un simple mécanisme d'effectivité des règles, alors les droits subjectifs n'ont pas de place de choix, d'autant plus que les machines, les ordinateurs et les algorithmes seront toujours plus performants pour implémenter les règles, comme le faisait la machine écrivant sur le dos du personnage dans La colonie pénitentiaire de Kafka!footnote-2020. Mais si l'on définit le Droit de la Compliance par rapport au souci de protection les êtres humains (1) alors tous les droits subjectifs des personnes deviennent actifs pour concrétiser cette protection des êtres humains dans un rapport tautologique avec le Droit de la Compliance lui-même (2). 

 

1. La définition du Droit de la Compliance par son "But Monumental" de la protection des êtres humains

Le Droit de Compliance a été défini en 2016 comme étant ce par quoi les Autorités publiques internalisent dans des entités en position de les concrétiser des "buts monumentaux", qui peuvent se ramener à la protection des êtres humains!footnote-1975. Cette définition a pu être contestée au profit d'une définition plus procédurale, la Compliance n'étant qu'un "process", une façon de faire pour rendre plus efficaces des règles.

C'est une question de préférence : l'on peut préférer l'une ou l'autre des conceptions!footnote-1976. Pour ma part, je maintiens ma préférence définitive pour une définition humaniste de la Compliance!footnote-2021, qui place l'être humain au cœur de la définition d'une branche du Droit, non seulement parce que l'être humain doit être la mesure de toute chose, mais parce que l'observation de l'adoption d'une définition procédurale du Droit de la Compliance, instrument d'efficacité des règles, notamment en Chine, conduit par des process de rating des êtres humains et à leur observation permanente, c'est-à-dire à détruire l'humanité. Si le Droit de la Compliance recevait cette définition-là, alors non seulement je n'y adhérerai pas mais je serais l'adversaire résolue du Droit de la Compliance!footnote-1977

Prenant donc cette définition humaniste du Droit de la Compliance, telle que l'Europe la porte, notamment à travers le Droit de la Compliance en matière de données, socle de l'Economie du savoir qui sera notre avenir, l'Europe la partageant avec le Droit américain qui rattache également le Droit de la Compliance à la protection des personnes, y compris en matière de Compliance financière, la personne est ainsi mis au cœur du Droit de la Compliance. 

Les droits subjectifs cessent alors d'être simplement un "outil", un private enforcement : ils deviennent ce pour quoi toute la branche du Droit fonctionnent. Ils en sont le miroir. 

 

2. La légitimité de tous les droits subjectifs - outils de concrétisation de protection des personnes et l'interprétation technique corrélative

Tous les droits subjectifs trouvent alors une légitimité "naturelle", puisqu'ils permettent aux personnes d'exister. Par exemple, le "droit au secret" trouve sa place dans un système d'information, non pas par "exception" mais par "nature", dès l'instant que la personne est mieux protégée par la non-transmission que par sa transmission.

Il n'y a pas un principe qui serait la transmission de l'information et une exception qui serait la non-transmission de l'information. Il y a un principe qui est la protection des êtres humains et qui va impliquer l'interprétation à donner aux différentes règles techniques. Par exemple, suivant que c'est la transmission de l'information ou plutôt la non-transmission de l'information qui protège la personne, c'est le premier ou plutôt le second principe qui doit s'appliquer. 

L'invention du "droit à l'oubli" concrétise cette primauté de la personne. Va ainsi resurgir l'ambiguïté juridique de la notion de "donnée" dès l'instant qu'elle concerne les personnes. Comme l'avait souligné François Rigaux, les droits de la personnalité constituent des biens et ce qui est décrit comme "l'attention"!footnote-1978 que les personnes prêtent à telle ou telle produit ou prestation, attention qui est captée, manipulée et vendue, détachée donc de la personne et traitée comme un bien, butent sur la distinction élémentaire entre les droits subjectifs personnels et les droits subjectifs réels.

Il est acquis que la personne, titulaire de droits subjectifs, ne peut exercer de droits subjectifs réels que sur des choses. Si le Droit pose qu'elle ne peut être ainsi propriétaire d'une personne, ne peut avoir des esclaves, c'est aussi pour exclure qu'elle soit propriétaire d'elle-même, être esclave d'elle-même, et qu'elle ne puisse se céder, car il y a toujours quelqu'un pour nous offrir un prix "acceptable" et nous serions toujours tenté de "consentir" à une telle cession de nous-mêmes.

Les Autorités qui supervisent le digital s'emploient à ne pas laisser la notion de "consentement" remplacer la notion de "volonté", car si le consentement demeure le moyen d'expression et la preuve d'une volonté libre, si l'on permettait à un système de fonctionner sur les seuls consentements mécaniques, détachés de la notion de volonté, alors par un ou deux clics les êtres humains se céderaient!footnote-1979

Or, les opérateurs sont en train de construire l'espace digital sur le Droit des biens, présentant les données comme des choses, à propos desquelles la distinction entre les données personnelles et les données non-personnelles serait une distinction secondaire. Dans l'immense marché des données, le principe doit être la circulation. Le marché secondaire est en train de s'installer, des opérateurs proposant à des êtres humains d'acquérir leurs souvenirs, leur vie quotidienne, leur goût, leur anticipation des jours qui viennent, pour un revenu fixe. Cette proposition faite par Google ,suivie par des entreprises françaises ne semble pas avoir heurter la CNIL qui, dans sa décision prise en octobre 2020 non publiée de ne pas poursuivre l'entreprise TaData, laissa se développer ce marché en France!footnote-2022

L'incertitude du statut juridique de la donnée!footnote-2023 favorise cette situation juridique intenable, parfois traitée comme un bien, vendue par les "propriétaires" que nous serions et alors tout devient possible, ce que l'Europe exclut, car ses juridictions maintient leur conception selon laquelle la donnée est une projection de la personne, qualification qui fonda l'arrêt Google Spain, qui bloqua cette entreprise, par ailleurs très utile et technologiquement performante, par l'invention d'un "droit à l'oubli".

Ces prouesses technologiques méritent d'être bloquées, y compris au sein même des techniques de Compliance qui centralisent l'information et dictent leurs comportement aux personnes, si l'on veut protéger les êtres humains, en internalisant dans les entreprises cruciales, par exemple celle du numérique, ce but monumental de protection des personnes qui justifie le soin que l'on doit apporter au Droit de la Compliance.

Le consentement ne suffira pas à protéger les êtres humains parce qu'ils consentiront à tout donner d'eux-mêmes, le plus intime d'eux-mêmes, le plus lointain de leur futur. Il faut les conférer de droits subjectifs nouveaux, permettre à d'autres de les porter pour eux (autorités publiques et parties prenantes), droits subjectifs qui  les arment pour faire équilibre face à des entreprises qui sont par ailleurs légitimement puissantes puisque qu'elles ont été novatrices, qu'elles ont pris des risques, qu'elles sont mieux organisées que bien des Etats. Pourquoi leur en faire reproche ? Pourquoi les affaiblir et par quoi les remplacer une fois qu'on les aurait amoindries ?

Mais pour que les êtres humains n'aient pas comme perspective de se réifier pour servir mécaniquement les règles, dans une conception formelle et vide de la Compliance, éventuellement élaborée par ces mêmes entreprises!footnote-1980, il faut multiplier dans les systèmes de Compliance des droits subjectifs substantiels, servis par des droits subjectifs processuels (éventuellement activés par autrui par des actions publiques ou collectives). 

Pour cela, les autorités de régulation et de supervision doivent accroitre leur fonction pédagogique, notamment en matière numérique, pour informer les personnes de l'ensemble des droits dont ils disposent!footnote-2024. En effet, puisque les personnes ont des prérogatives, elles ont des débiteurs qui sont les opérateurs cruciaux!footnote-2025 et elles peuvent agir contre ceux-ci pour en obtenir la concrétisation. Les sanctions très lourdes qui commencent à être prononcées contre les entreprises européennes qui n'ont pas correctement mis en place le RGPD!footnote-1981 illustrent la nécessité de cette concrétisation.

Il est à cet égard regrettable que la Cour de justice dans son arrêt Google du 29 septembre 2019!footnote-1982 ait refusé d'appliquer d'une façon extraterritoriale les obligations découlant de ce texte, invalidant en cela la position adoptée par la CNIL. Comme celle-ci l'avait estimé, si l'on pense le Droit de la Compliance à partir des droits subjectifs pourra être plus efficace, ceux-ci doivent être considérés comme étant actifs où que soit leur titulaire. Cela va être favorisé par le nouveau principe qui se développe en Droit de la Régulation et de la Compliance : la portabilité. 

La "portabilité"  y est un principe essentiel et l'on suggère désormais un nouveau droit subjectif qui serait le "droit à la portabilité"!footnote-2026. Il faudrait même aller plus loin et considérer que les droits subjectifs seraient transportables avec les personnes dans l'indifférences des lieux. Il est vrai que la branche du Droit qu'est le Droit international privé, qui garde les frontières des territoires aussi fermement que le fait le Droit international public en serait contrarié, et c'est bien dans le respect de ces branches traditionnelles que la CJUE dans son arrêt précité du 29 septembre 2019, Google, a limité l'effet extra-territorial de la protection de l'internaute, mais il faut bien plutôt prendre exemple sur le Droit américain qui part de ses buts qui, dès l'instant qu'ils ne sont pas locaux, justifie l'application des règles partout. 

Reconnaître une "portabilité des droits", selon ce que fut la méthode germanique de personnalité des lois, permettrait de mettre au cœur du Droit de la Compliance les êtres humains, dont les droits subjectifs seront les outils les plus naturels puisqu'ils en sont aussi les buts. 

 

B. LA MULTIPLICATION DES DROITS SUBJECTIFS-OUTILS ET DES DROITS SUBJECTIFS FINAUX 

Si l'on pose que les droits subjectifs ne sont pas seulement un moyen efficace d'aider au bon développement d'un système qui par principe demeurerait fondé sur des mécanismes objectifs créés par des Etats et maniés par ceux-ci mais correspondant à la définition du Droit de la Compliance comme ce qui protège les personnes c'est-à-dire leurs droits effectifs, il faut alors toujours interpréter largement les droits subjectifs qui existent déjà (1). Plus encore, il faut ne pas hésiter, comme l'a fait la jurisprudence, à en inventer d'autre, puisqu'ils font exister la personne, ce qui est la définition même du Droit de la Compliance (2). 

 

1. L'interprétation toujours large des droits subjectifs - médias, miroir du but servi

Plutôt que de prendre la victime comme l'intrus venant dans un système avant tout confié à des Autorités publiques, celle-ci doit recevoir pleine place. Plus encore, comme l'a conçu la loi Dodd-Frank , les droits des investisseurs et autres "personnes concernées", celles qui ont le "droit de dire quelque chose", les personnes qui ont la place procédurale de "tierce-partie" doivent voir leurs droits pleinement reconnus. 

Cela implique en premier lieu qu'il n'est pas besoin d'un texte pour qu'une prérogative soit reconnue à une personne qui n'a pourtant pas été visée comme bénéficiaire de celle-ci, pas davantage qu'il n'ait besoin d'un texte pour concevoir un nouveau droit subjectif. 

Cela implique en deuxième lieu qu'un droit subjectif ne vient pas en exception face à un principe objectif, devant donc se justifier dans son existence et devant être interprété restrictivement, tandis que le principe s'applique en soi et s'interprète largement. Par exemple, parce que, comme cela fit explicité plus haut, le droit au secret est tout aussi puissant que le droit à l'information: le secret n'est pas une exception par rapport à l'information, le Droit de la Compliance doit leur faire part égale. C'est ainsi que le droit des données personnelles a justifié que le Tribunal de l'Union européenne, par une ordonnance du 29 octobre 2020 bloque une demande de transmission d'information ordonnée par la Commission européenne à l'encontre de Facebook!footnote-2027

Cela implique en troisième lieu de prendre tous les "outils de compliance" et de les appréhender à travers la notion de droit subjectif. Par exemple, et pour prendre l'outil central de la cartographie des risques!footnote-1983, l'on peut considérer qu'il ne s'agit pas seulement d'un outil de prévention imposé par les lois particulières, mais qu'il s'agit d'une obligation qui concrétise un droit des personnes concernées en ce qu'elles sont exposées aux risques particuliers ainsi mis en exergue. Ces personnes sont donc titulaires d'un droit subjectif à être informées en temps et d'une façon utile de ce risque pour le mesurer et d'être mises elles-mêmes en position de choisir de le courir ou non. Ce qui constituerait un "droit subjectif à être inquiété", forme particulière du droit subjectif à l'information et du droit subjectif à l'intelligibilité est en train d'apparaître.

De la même façon, ce que les textes commencent à désigner comme le principe d'explicabilité des algorithmes!footnote-1985 pourrait donc donner lieu à un "droit à l'explicabilité". L'utilisation d'un tel terme, préféré à celui d'intelligibilité, qui impose aux entreprise d'utiliser des algorithmes "explicables"  a parfois été présentée comme un "droit fondamental"!footnote-1984, car à une explication il faut bien un destinataire. 

Si l'on considéré qu'il existe non seulement un principe posé par des textes mais un droit subjectif, cela métamorphose les régimes juridiques applicables, notamment dans le règles probatoires requises: elles deviennent beaucoup plus légères. En effet, un droit subjectif substantiel  (par exemple le "droit à l'explicabilité") venant appuyer le droit subjectif processuel, toute personne qui a intérêt à saisir un juge, un régulateur ou un superviseur (droit subjectif processuel) ne supporte que la charge de prouver la titularité qu'elle a de ce droit. N'étant pas dans une situation de fait, elle n'a pas à prouver pour obtenir gain de cause qu'il y a eu de la part de l'opérateur attaquée un manquement. Il faut mais il suffit qu'elle prouve qu'elle a un droit et qu'elle demande à ce que celui-ci soit satisfait. L’on sort enfin du système probatoire corrélatif au Droit de la responsabilité.

Ainsi la reconnaissance d'un droit subjectif métamorphose les systèmes de régulation et de compliance parce qu'elle supprime l'obligation de prouver un manquement, celui qui saisit le juge ou le régulateur n'ayant à prouver que l'existence de son droit, l'entreprise obligée ex ante devant prouver qu'elle a effectivement rempli son obligation. En pratique, cela change tout. 

C'est pourquoi, et pour en rester à cet exemple déterminant pour les années qui viennent, l'explicabilité des algorithmes est la nouvelle forme que prend le principe de transparence des algorithmes. Parce que le principe de transparence est juridiquement trop peu efficace, l'explicabilité, en ce qu'elle suppose un bénéficiaire, impose aux opérateurs une aptitude de l'objet à être compris, aptitude dont la démonstration  - éventuellement par présomption - va reposer sur l'opérateur, malgré sa place processuelle de défendeur à l'instance, puisque la personne, bien que demanderesse à l'instance, en tant qu'elle peut se prévaloir d'un droit subjectif peut en demander directement l'exécution sans avoir à apporter une autre preuve que sa qualité à agir.

C'est pourquoi les droits subjectifs sont  en pratique l'avenir du Droit de la Compliance. 

 

2. L'invention des droits subjectifs finaux

Le Droit étant l'école de l'imagination, il convient dès lors d'inventer des droits subjectifs finaux, qui seront servis par des droits subjectifs-outils, ces outils étant constitués à la fois de droits subjectifs substantiels et de droits subjectifs processuels, qui seront portés par les personnes directement affectées par les situations juridiques ou par autrui.

 

C'est ainsi que la branche du droit qu'est Droit de la Compliance pourra répondre aux espoirs qui sont mis dans sa constitution. 

_____________

1

L'on peut même considérer qu'il existe une tautologie entre la notion juridique de "personne" et la notion de "droit subjectif". En effet la personnalité juridique vise l'aptitude à être titulaire de droits subjectifs, au sens actif que sont les prérogatives et au sens passif que sont les obligations. C'est pour être actif dans le commerce juridique que les entreprises sont des "personnes" et c'est pour répondre de leurs actes, en être "responsables" que la jurisprudence a attaché la personnalité morale aux groupements, même dans le silence de la loi, et cela dès le XIXième siècle. V. le volume des Archives de philosophie du Droit consacré au thème Le sujet de droit.  La personne est donc une invention juridique, indissociable de la notion de "droit subjectif", laquelle est également indissociable de l'obligation de répondre de ses actes. Ce n'est pas parce qu'elle est une invention juridique qu'elle doit être la disposition de toute source de réglementation, à la fois positivement (donner la personnalité juridique à un arbre, créer des milliers de personnes morales sans sous-jacents) ou négativement (retirer la personnalité juridique à une catégorie de personnes que l'on apprécie pas - la mort civile étant une sanction qui a disparu, comme a disparu l'esclavage, car le pouvoir juridique ne doit pas transformer les êtres humains vivants en cadavres ni les êtres humains en choses disponibles. Ces règles qui tiennent à ce qui serait le principe de dignité de l'être humain ne semblent plus aussi solides qu'elles l'étaient dans les siècles précédents, notamment parce que la dignité serait elle-même une "chose" dont chacun pourrait disposer, et donc se défaire.

L'on en arriverait à dire que l'être humain serait propriétaire de sa personnalité, qu'il pourrait s'en défaire, la céder à titre gratuit ou onéreux. Le marché des données prépare à cela. Pour protéger les êtres humains, que le Droit rend insécables de leur personnalité, le Droit de la Compliance européen a inventé le Droit des données à caractère personnel, construit sur des droits subjectifs, notamment le "droit à l'oubli", lui-même héritage des Droit français et allemand (v. d'une façon générale Frison-Roche, M.-A., Repenser le monde à partir de la notion de donnée, 2016). 

2

Sur la "pulvérisation" des principes généraux et abstraits, posés par la Loi, en une multitude de "droits subjectifs", v. Carbonnier, J., Droit et passion du droit sous la Vième République, 1996. 

4

L'article 544 du Code civil n'exprimant par sa lettre que ce sur quoi l'on s'accorde, dans une définition de ce droit par la plénitude de la puissance qu'il confère à la personne sur les choses : La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les réglementés. .

Cette définition du droit de la propriété privée est gardé par la jurisprudence constitutionnelle. Pour une description technique de cette garantie, v. par ex. Montgolfier, J.-Fr., Conseil constitutionnel et la propriété privée des personnes privées, 2011.

5

Sur la question immense de la propriété publique et des entreprises publiques, dans leur rapport avec l'intérêt général et la régulation des secteurs, question qui ne sera pas abordée ici car excédant le champ de cette étude centrée sur le Droit de la Compliance, v. not. Sauvé, J.-M., Les entreprises publiques, 2016. 

6

Sur la responsabilité de l'Etat du fait des Autorités de Régulation et de Supervision, pourtant Autorités qui, d'une façon consubstantielle et en application d'une règle constitutionnelle, ne peuvent être qu'indépendantes du Gouvernement qui conduit l'action publique économique des secteurs, sujet très important puisque l'obligation de répondre est l'autre face des droits (v. infra) mais qui ne sera pas non plus abordé en tant que tel dans cette présente étude centrée sur le Droit de la Compliance, v. par exemple, Frison-Roche, M.-A., ....

7

Frison-Roche, M.-A., Du Droit de la Régulation au Droit de la Compliance, 2017.

Même s'il est vrai que le Droit de la Compliance s'est développé depuis d'une façon autonome (Frison-Roche, M.-A., Le Droit de la Compliance, au-delà du Droit de la Régulation, 2018), cet ancrage explique beaucoup de ses mécanismes. 

8

Sur cette question, l'ouvrage de référence est l'ouvrage dirigée par Aurore Laget-Annamayer, L'ordre public économique, 2018. 

9

Sur l'idée récusée d'un "droit à la concurrence", v. ...

10

Ce qui explique l'éloignement pendant des décennies entre l'Europe de l'Union européenne à base de libertés et l'Europe de la Convention européennes des droits de l'Homme à base de droits subjectifs. Aujourd'hui, notamment parce que la Cour de justice change (v. infra), les deux Europes se rapprochent pour mettre les êtres humains au centre. C'est notamment par sa définition humaniste que le Droit de la Compliance peut y contribuer (par exemple par la technique du lanceur d'alerte (v. infra)). 

11

Voir les trois définition du Droit de la Régulation, soit comme voie de construction d'un marché concurrentiel (en cas de libéralisation d'un secteur) ou comme insertion de gestion des "défaillances de marché", les deux premières conceptions prenant toujours comme idéal le principe de Concurrence, ou bien sa définition comme la mise en équilibre entre un principe de concurrence et d'autres soucis pour des activités dont on pose que cet équilibre est requis, dans son établissement et son maintien dans le temps. L'on peut penser que cette troisième définition est la plus adéquate, notamment en raison de la violence des relations économique. Il est très importante de faire un choix sur ce qu'est le Droit de la Régulation, dans la mesure où le Droit de la Compliance est lui-même l'internalisation dans les "opérateurs cruciaux" du Droit de la Régulation. La troisième définition de la Régulation étant celle qui prend en considération l'être humain de la façon la plus centrale, c'est celle-là qui doit être considérée, et insérée de gré ou de force dans les entreprises, dans une conception elle-aussi humaniste du Droit de la Compliance (v. infra). 

12

Sur l'Etat-actionnaire, empêché d'être un instrument de Régulation, v. Cartier-Bresson, A., L'Etat-actionnaire, 2010 Larget, A.... ; ... 2019, ....

Voir aussi le rapport de la Cour des comptes, Entités et politiques publiques. L'Etat actionnaire2016

13

Sur la justice définie par les "façons de faire", v. Baranès, W. et Frison-Roche, M.-A., La justice, l'obligation impossible1994

15

Sur la notion d' "Ex Ante cognitif", v. Frison-Roche, M.-A., Le couple Ex Ante – Ex Post, justificatif d’un droit spécifique et propre de la régulation, 2006

17

V. le cycle de colloques organisé par le JoRC et ses partenaires "La juridictionnalisation de la Compliance", 2021. 

18

Sur l'entreprise juge d'elle-même par l'effet du Droit de la Compliance, v. le colloque organisé à Lyon par le Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et l'Université Jean-Moulin Lyon 3 le 8 avril 2021dans le cadre du cycle de colloques 2021 sur la Juridictionnalisation de la Compliance: L'entreprise instituée tribunal par le Droit de la Compliance

19

Sur l'articulation des "outils de compliance" entre eux, car ils ne peuvent pas s'additionner les uns sur les autres, sans corrélation, v. Frison-Roche, M.-A., Construire juridiquement l'unité des outils de la Compliance à partir de la définition du Droit de la Compliance par ses "buts monumentaux", 2020

20

Sur "le droit à l'électricité", v. par ex. Frison-Roche M.-A., "Droit de l'électricité, droit à l'électricité", ....

21

Il est résulte une mixité des clauses contractuelles, certaines étant liées à ce droit, dont la volonté des parties ne peuvent pas entièrement disposer, et d'autres par lesquelles les parties au contrat peuvent ajouter et aménager. La façon dont le juge ou l'Autorité de régulation tranche un différent entre les parties ou sanctionne une inexécution change suivant la nature de diverses stipulations. 

22

V. d'une façon générale, Ndour, M. et Boidin B., "L'accès aux biens et services essentiels" : une notion centrale et ambigüe du développement, 2013. 

23

Par exemple le Règlement européen de 2016 sur "l'internet ouvert" qui offre à l'utilisateur de pouvoir « d’accéder aux informations et aux contenus et de les diffuser, d’utiliser et de fournir des applications et des services et d’utiliser les équipements terminaux de leur choix, quel que soit le lieu où se trouve l’utilisateur final ou le fournisseur, et quels que soient le lieu, l’origine ou la destination de l’information, du contenu, de l’application ou du service, par l’intermédiaire de leur service d’accès à l’internet ».  

Voir les recommandations émises en juin 2020 du BEREC sur la mise en oeuvre du Règlement.

24

v. plus haut, I.A.1.

26

V. l'analyse cohérente de Pierre Delvolvé, La cour d'appel de Paris, juridiction administrative, 1992

27

Sur l'arrêt Google Spain, point de départ du Droit européen de la Compliance, lire Koen Lenaerts, Le juge de l'Union européenne dans une Europe de la Compliance, 2019

28

Sur le droit à la mort numérique, voir le document informatif de la CNIL publié le 28 octobre 2020: Mort numérique: peut-on demander l'effacement des informations d'une personne décédée?

29

Cette loi de 2016 a modifié la loi de 1978 Informatique et Libertés en insérant un nouvel article 40-1, qui dispose : "Toute personne peut définir des directives relatives à la conservation, à l'effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès. Ces directives sont générales ou particulières.". 

Il est remarquable que la CNIL dans la présentation détaillée qu'elle fait du mécanisme de "mort numérique" n'utilise jamais l'expression de "droit à la mort numérique" : v. "mort numérique", 2020.

Mais il est vrai que l'article 40-1 s'insère dans la section 2 de la loi (articles 38 à 43) dont l'intitulé est Droits des personnes à l'égard des traitements de données à caractère personnel; L'on peut donc en conclure que ces "directives" concrétisent bien un droit subjectif et qu'elles ont donc pour sujet actif le titulaire du compte (voire ses proches) et pour sujet passif les opérateurs techniques.

30

Sur la critique par ailleurs fondée de la "société contentieuse", visant les Etats-Unis, Cadiet, L., Le spectre de la société contentieuse, 1994

31

Grief implicite ou explicite qui frappe d'ailleurs l'ensemble du Droit de la Compliance (Frison-Roche, M.-A., Le Droit de de la Compliance, 2016).

V. le développement d'un tel grief par le parlementaire R. Gauvain dans son rapport Rétablir la souveraineté de la France et de l'Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale, 2019

32

Sur le croisement entre la critique du pouvoir juridictionnel dans le Droit de la compliance et la critique de l'application extraterritorial du Droit américain de la Compliance (appliquée par les juridictions américaines), v. Gauvain, R., Rétablir la souveraineté de la France et de l'Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriales, 2019

33

Sur le jugement comme mode de génération des droits subjectifs, la démonstration a été faite par le thèse de Motulsky : Principes de réalisation méthode du droit. Elements général des droits subjectifs, 1948. 

34

Foucault, M., Le sujet et le pouvoir, 1982

35

Ellul, J. Sur l'artificialité du droit et le droit d'exception, Archives de Philosophie du Droit (APD), 1963, p.24 et s. ; v. aussi, Archives de Philosophie du Droit (APD), Le sujet de droit1989.

38

V. d'une façon générale, Frison-Roche, M.-A., L'apport du Droit de la Compliance à la gouvernance d'Internet, 2019. Depuis la rédaction de ce rapport qui décrit ce mouvement disciplinant, les lois multipliant les droits subjectifs et les jurisprudences leur donnant effet se sont multipliés. 

39

Sur la prise en considération de cette conception et d'une façon plus générale des apports de l'économie comportementale en Droit de la Compliance, précisément lorsque le Droit de la Régulation trouve ses limites en raison des territoires et que le Droit de la Compliance, qui le prolonge et le dépasse, peut constituer une solution pour construire en Ex Ante des Régulations, v. Rapp, L. Théorie des incitations et gouvernance des activités spatiales, 2020

40

Sur le lien entre Compliance et Information, son rapport paradoxal puisque le Droit de la Compliance implique soit le droit de transmettre, soit le droit de bloquer toute transmission, le Droit de la Compliance donnant effectivité à chacun de ces deux droits subjectifs parfois pour une bonne information. Voir par exemple à propos d'une information à caractère personnel, dont la connaissance serait pourtant pertinente pour la sanction de comportements anticoncurrentiels, l'ordonnance rendue par le président du Tribunal de l'Union européenne le 29 octobre 2020, dans la contestation par Facebook de l'ordre de transmission d'informations émis par la Commission européenne à son encontre.

41

Pour une description en droit comparé du lanceur d'alerte, v. Chacornac, J. (dir.), Lanceurs d'alerte, regards comparatistes, 2020 et notamment Frison-Roche, M.-A., L'impossible unicité de la catégorie des lanceurs d'alerte, 2020

43

Il est d'ailleurs remarquable que l'étude menée par le Conseil d'Etat sur le lanceur d'alerte à l'occasion de la loi dite "Sapin 2", est plutôt réservée sur le mécanisme et que si dans sa version française cet examen qualifie l'ensemble par "Le droit d'alerte : signaler, traiter, protéger", cette référence à un droit subjectif disparait dans la traduction anglaise de l'étude, également disponible sur le site du Conseil d'Etat dont l'intitulé est : "Whistleblowing: reporting, handling and protecting". 

44

Le droit britannique exclut le mécanisme de récompense mais admet la compensation des pertes subies par le whistleblower (Public Interest Disclosure Act, 1998).

45

La SEC rend compte chaque année de l'effectivité et de l'efficacité du travail de l'office of the Whistleblower. Sur le rapport rendu pour 2020, v. Frison-Roche, M.-A., New SEC Report to Congress about Whistleblower Program: what is common between American and European conception, 2020 ; le succès du programme est mesuré à la hauteur des récompenses attribuées. 

46

Lire l'article intéressant de Johanna Schwartz Miralles: Les récompenses financières des lanceurs d'alerte portent-elles atteinte aux droits fondamentaux ? Le cas américain, in Les lanceurs d'alerte et les droits de l'homme. Apport du droit comparé et international, Revue des droits de l'homme, 2016. 

48

V. supra sur l'entrée des droits subjectifs processuels dans le Droit de la Régulation. 

49

En cela, la définition très classique, plutôt issue du Droit public, du droit d'action comme étant le droit substantiel "en l'état de guerre" avait de la pertinence, avant qu'elle ne soit plutôt oubliée au profit de la conception, mise en lumière par Motulsky, insérée dans le Droit positif d'un droit subjectif processuel autonome du droit subjectif substantiel qui sera l'objet d'un jugement (v. Motulsky, H., Le droit subjectif et l'action en justice, 1964). La jurisprudence, notamment celle de la Cour européenne des droits de l'Homme fait tout de même un lien entre les deux en validant l'absence de droit d'action lorsque la personne qui prétend saisir le juge n'a manifestement aucun droit substantiel dont elle pourrait se prévaloir. 

50

Jurisprudence de la CJUE, E-Booking, novembre 2020. 

51

Sur cette dimension-là, v. infra, car les droits subjectifs sont non seulement premiers (parce qu'ils sont les plus "efficaces" dans les systèmes de Régulation et de Compliance), mais "naturels" car le Droit de la Compliance a pour but la protection des personnes, et qu'il est donc naturel que les droits subjectifs de celles-ci y aient la première place. 

53

Enquête annuelle du Conseil d'Etat, Le numérique et les droits fondamentaux, 2014

55

Droits que l'on oppose si souvent à propos de l'extraterritorialité du Droit américain, qu'il faudrait "bloquer", pour lutter contre "l'impérialisme" américain (v. dans ce sens, Gauvin, R., Rétablir la souveraineté de la France et de l'Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale, 2019) alors que l'Europe et les Etats-Unis partagent, à travers leurs systèmes juridiques, la considération profonde pour les individus, leurs libertés et leurs droits, conception qui n'est pas partagée partout dans le monde et qu'il convient de conforter et de défendre (v. en ce sens, Frison-Roche, M.-A., Compliance et extraterritorialité: un couple naturel et efficace pour l'avenir de l'Europe, 2020). 

57

Sur le Droit dans La colonie pénitentiaire, v. Frison-Roche, La faute professionnelle de l'avocat et la loi écrite par le système pénitentiaire dans la peau du coupable, 2019 ; sur la façon dont Kafka a représenté le Droit et la façon dont le Droit est ainsi éclairé, sinistrement, par cet auteur, objet de multiples études, v. notamment l'étude d'Alain Supiot, Kafka, artiste de la Loi, 2019. 

58

Frison-Roche, M.-A., Le Droit de la Compliance, 2016. 

59

V. le colloque du 22 janvier 2021, "Les "buts monumentaux" de la Compliance: radioscopie d'une notion" organisé par le JoRC et l'Université Versailles-Saint-Quentin dans le cadre du cycle de colloque 2021 du JoRC et de ses partenaires autour des "Buts monumentaux de la Compliance"

61

C'est parce que l'on présente souvent le Droit de la Compliance comme un instrument d'efficacité Ex Ante de toutes règles auxquelles l'Etat accorde de l'importance que des auteurs aussi important qu'Alain Supiot se déclare totalement opposé au Droit de la Compliance. S'i l'on définit le Droit de la Compliance d'une façon humaniste, ce qui limite le Droit de la Compliance puisque l'être humain devient sa mesure, et qu'il doit se limiter puisqu'il doit cesser de concentrer les informations puisqu'il doit aussi garder les secrets lorsque cela est requis pour protéger les personnes, alors cette branche du Droit se met à confluer avec l'objet notamment du Droit social. 

63

Sur cette bataille juridique en cours entre la "volonté" et le "consentement", v. Frison-Roche, M.-A., Remarques sur la distinction entre la volonté et le consentement en Droit des contrats, 1995 ; puis ... La volonté, le consentement, la Régulation, 2002, puis Frison-Roche, M.-A., Oui au principe de la volonté, non aux consentements mécaniques, 2018. 

64

Cette petite entreprise a publié sur Internet la proposition suivante : "« ET SI ON CHANGEAIT LA DONNE ENSEMBLE ? Tous les jours, les acteurs d’internet utilisent tes données personnelles à ton insu et se font de l’argent sur ton dos ! Avec Tadata, dis STOP : reprends le contrôle de tes données perso et gagne de l’argent avec ».

Le message est clair, la liberté de la personne étant présentée comme le droit de se vendre, en réaction à ce qui serait l'atteinte à son autonomie, à savoir sa captation en échange de rien. La CNIL semble partager cette présentation, ne pas s'opposer au principe même. Il semble qu'une procédure de sanction ait été ouverte, à la demande d'une association mais clôturée sans que trace en soit laissée sur le site de la CNIL. 

La Cour de Justice de l'Union européenne, sur le fondement de la protection des droits fondamentaux et du RGPD, prend une position de principe comme quoi l'on ne peut pas se dessaisir de soi-même, bloquant ainsi la vampirisation de toutes les vies des personnes par les entreprises qui n'ont pas d'autres business plan que la revente d'information, c'est-à-dire un commerce d'informations personnelles.  

66

Pour une critique de la "responsabilité sociétale" par laquelle les entreprises édictent des règles, ce qui leur permet d'être les législateurs, obligeant ensuite les êtres humains à s'y "conformer" mécaniquement si l'on adopte une conception formelle de la "compliance", v. Supiot, A., Du nouveau au self-normatif: la responsabilité sociale des entreprises, 2004 ; Fabre-Magnan, M., La responsabilité du fait du cocontractant. Une figure juridique pour la RSE, 2019; Teubner, G., L'auto-constitutionnalisation des entreprises transnationales ? Sur les rapports entres les codes de conduite "privés" et "publics" des entreprises, 2015 ; Farjat, G., Réflexions sur les codes de conduites privées, 1982. 

68

Sur la notion-clé d' "opérateur crucial" dans le Droit de la Régulation et le Droit de la Compliance, Frison-Roche, M.-A., Proposition pour une notion : l'opérateur crucial, 2006. 

69

V. la décision de sanction CNIL, Carrefour France, 18 novembre 2020.  L'Autorité constate : " la formation restreinte relève, tout d’abord, que la société reconnaît un retard dans la mise en œuvre de son programme d’effacement des données mais souligne les efforts importants fournis depuis l’engagement de la procédure pour se mettre en conformité. La formation restreinte note que la délégation de contrôle a constaté la présence de données concernant des clients inactifs depuis plus de quatre ans, et notamment plus de vingt-huit millions de clients membres du programme fidélité inactifs depuis cinq à dix ans. S’agissant des utilisateurs du site carrefour.fr, la formation restreinte souligne qu’étaient conservées les données de plus de 750 000 utilisateurs dont l’acte d’achat remontait de cinq à dix ans, et près de 20 000 utilisateurs dont le dernier achat remontait à plus de dix ans. La formation restreinte considère donc, au vu de ces éléments, qu’un manquement à l’article 5-1-e) du RGPD est constitué. La formation restreinte souligne cependant les moyens très importants, tant organisationnels que financiers, déployés par la société et constate, au jour de la séance, la conformité au Règlement des pratiques de la société. Cette dernière démontre en effet avoir mis en place un système automatisé de suppression des données de ses clients (tant du programme fidélité que du site carrefour.fr) inactifs depuis plus de trois ans".

70

CJUE, 24 septembre 2019, Google LLC refusant l'application extraterritoriale du RGDP

71

V. par exemple le colloque de la CNIL, Portabilité: développer les droits et les usages du 23 novembre 2020. 

73

Sur la cartographie des risques, v. d'une façon générale Guillaume, N., Cartographie des risques de compliance : premiers aperçus des enjeux, des limites et des bonnes pratiques, 2020.

Sur la cartographie des risques comme base d'un droit subjectif dont sont titulaires les tiers, le droit subjectif à être inquiétés, v. Frison-Roche, M.-A., Dresser des cartographies des risques comme obligation et le paradoxe des "risques de conformité", 2020

74

Sur les textes qui imposent le principe de l'explicabilité des algorithmes, v. Bounie, D. et Maxwell, W., L'explicabilité des algorithmes est-elle un droit fondamental?, 2019

75

Dans ce sens, Bounie, D. et Maxwell, W. , L'explicabilité des algorithmes est-elle un droit fondamental?, 2019

les commentaires sont désactivés pour cette fiche