5 septembre 2021
Publications
► Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Conforter le rôle du Juge et de l'Avocat pour affirmer la Compliance comme bien commun, document de travail, septembre 2021.
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📝Ce document de travail a été élaboré pour servir de base à l'article introductif de l'ouvrage qui sera publié⤵
📕dans sa version française La Juridictionnalisation de la Compliance,
dans la collection 📚 Régulations & Compliance
📘dans sa version anglaise Compliance Jurisdictionalisation,
dans la collection 📚 Compliance & Regulation
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► Résumé du document de travail : La Juridictionnalisation de la Compliance est avant un fait : quiconque fait connaissance de ce nouveau phénomène de compliance, présenté souvent comme envahissant et dominateur, l'aborde par des décisions de justice (même s'il n'existe pas de juridictions propres à la matière) et rencontre des avocats spécialisés, une grande partie des enjeux occupant les spécialistes étant de nature procédurale. De plus en plus. Ce mouvement de Juridictionnalisation est donc très puissant. Dont on se plaint souvent, d'autant plus qu'il est présenté comme s'opérant au profit d'un modèle juridictionnel qui ne serait pas le nôtre, un sentiment de défaite se formant alors face au système juridictionnel américain. L'idée vient d'une évolution souhaitable, assumée ou dissimulée, vers le rejet qu'il faudrait faire de la Compliance, si souvent présenté comme "cheval de Troie", de la puissance étrangère, et plus particulièrement des mécanismes juridictionnels ou processuels que l'Europe continentale subirait ou que nous imitons, deux modalités de la vassalisation. Le descriptif et le prescriptif se mêlent, pouvant se résume ainsi : les juges et les avocats seraient partout, dessinés sur un modèle étranger à la tradition européenne et les forces doivent se réunir pour contrer à l'avenir cette double vassalisation.
Avant de conclure à la nécessité d'un tel remède, revenons sur l'état des lieux. Si l'on regarde plus attentivement : Il n'est facile ni de savoir où sont les Juges et les Avocats, comme il n'est pas aisé de déterminer où ils doivent être.
Il n'est pas facile de savoir où ils sont dans le système de Compliance. Car dans le même temps que les algorithmes sont présentés comme ce qui confirme la nature Ex Ante d'une Compliance qui a pour fonction de détecter et de prévenir Ex Ante, rendant enfin inutiles ces personnages de l'Ex Post que sont le Juge et l'Avocat, un Droit de la Compliance réussit ne connait ni Juge ni Avocat. Ils ne seraient signes que de son échec. Le Juge ne devrait être présent que sous la forme d'une menace. La multitude des décisions de justice montrerait donc l'immaturité de la matière ; leur accroissement montrerait son échec. La présence de l'Avocat, qui toujours conteste et contredit, montrerait que l'aptitude des mécanismes de compliance, qui toujours trouve la vérité, restaure l'information ou calcule les risques, n'est pas si grande. Il faudrait donc compter sur les ingénieurs pour que s'en aillent ces sortes de scories de l'Ex Post et du débat contradictoire que sont Juges et Avocats grâce à ces outils de la détection et de la prévention, produisant les comportements adéquats à l'avenir. D'ailleurs dans le système chinois de Compliance, il y a beaucoup de technologie, beaucoup d'informations rassemblées et peu de juges et d'avocats...
À travers l'interrogation de la place du Juge et de l'Avocat, comme un bien ou comme un mal, c'est l'ensemble du système de Compliance qui doit se définir. Car c'est à travers la conception générale qu'on en a qu'on appréciera cette place, se réjouissant ou non de cette place, toujours trop grande pour les uns, toujours à préserver, voire à accroître pour les autres.
L'on se demande en effet à l'avenir quel modèle dominant va avoir tendance à se développer et lequel il faut favoriser, car ils ne convergent pas. Le premier modèle est celui de l'accumulation des datas réglementaires et leur mise en corrélation produisant automatiquement la bonne conformité, permettant de se passer des Avocats pour ne garder que des experts du réglementaire et de se passer des Juges pour ne développer que des algorithmes donnant par avance les solutions de demain. Le second modèle est celui-ci de l'insertion plus profonde de l'ensemble des mécanismes de Compliance dans le système juridiques, dans sa logique et ses exigences, lesquels sont avant gardés par le Juge et l'Avocat.
En regardant l'évolution du droit positif et des pratiques et des solutions proposées, l'on est aisé d'imaginer un système économique empli de Compliance sans Avocat ni Juge, tels que l'ensemble du Droit occidental associe ceux-ci à l'idée même d'Etat de Droit, grâce à des process permettant d'obtenir des assurances d'obéissance à des réglementations.
L'on peut imaginer une telle diminution de la place et du Juge et de l'Avocats du fait de la Compliance et de la conception que l'on en aurait en associant les deux, mais l'on peut aussi les dissocier : par exemple penser un Droit de la Compliance impliquant des avocats très actifs alors que les Juges seraient devenus inutiles puisqu'ils seraient désignés comme le signe pathologique d'un Ex Post dont l'ambition de la Compliance est la disparition tandis que les entreprises auraient mis en place de multiples mécanismes où les Avocats auraient au contraire, par une sorte de compensation, place nouvelle. On constate les signes d'une telle évolution, dont il faut se garder car on ne conçoit pas l'Etat de Droit sans Juge. Mais pour lier la Compliance et l'Etat de Droit, encore faut-il n'avoir pas une conception purement mécanique du Droit de la Compliance.
La dissociation peut d'ailleurs s'opérer différemment. N'est-elle pas en train de se faire ? Non plus entre les Avocats et les Juges, mais parmi les magistrats eux-mêmes, entre ceux qui tranchent et ceux qui poursuivent, entre les magistrats du siège et ceux du parquet, alors même que l'Europe les qualifie tous d' "autorités judiciaires". Toute la Compliance semble dans ce mouvement de donner tout pouvoir aux magistrats qui poursuivent afin qu'aucun fait ne soit plus soumis aux juges.
Le Droit doit-il continuer dans cette voie ? Il serait paradoxal que chacun évoque la Juridictionnalisation pour décrire un pouvoir qui a donné au procureur le pouvoir non seulement de clore le cas mais encore d'en dessiner les conditions de cette clore, y compris le montant les amendes, c'est-à-dire finalement de juger. Transformer le procureur en juge, en laissant de côté le Juge assis, celui devant lequel l'Avocat participait à un débat contradictoire auquel ce Juge était tiers, c'est une figure juridique dont le qualificatif, simplement sociologique, de "justice négociée" ne rend que pauvrement compte.
Car le Droit est à la fois ce qui se pratique et ce qui doit guider les pratiques, voire ce qui doit arrêter les pratiques. Or, la Compliance est beaucoup affaire de pratiques, même si l'on insiste sur les "meilleures pratiques" et qu'on les présente même à l'envi comme devant être ce que l'on pourrait constituer des normes globales au-dessus de tout le reste. C'est pourquoi avant de dire ce qui doit être et d'en appeler au pouvoir normatif du Droit il faut mesurer ce qui se passe. Or le constat est surprenant.
En effet, l'idée de la Compliance, parce qu'il s'agit d'une branche du Droit Ex Ante, visant à détecter et à prévenir, parce que le But Monumental de cette nouvelle branche est d'obtenir qu'à l'avenir les événements réprouvés ne se produisent pas (Buts Monumentaux négatifs visant les crise systémique, les délits et manquements) et que les événements souhaités et non spontanés se produisent (Buts Monumentaux positifs visant notamment l'équilibre climatique et le respect d'autrui) requièrent des actions rapides et globales. Si le Juge veut à l'avenir demeurer le personnage central du Droit de la Compliance, il doit lui-même agir en Ex Ante.
C'est pourquoi face à une évolution technologique proposant concrètement de mettre la Compliance en machine, engendrant une obéissance mécanique à toute réglementation à laquelle l'entreprise est soumise, c'est bien le Juge qui va, dans son office traditionnel, veille à l'esprit du Droit de la compliance, faire en sorte que ce corpus aboutisse à protéger l'être humain. C'est pourquoi le Juge doit être au centre. Plus encore, parce que le Droit de la Compliance est le "Droit de l'Avenir", le Juge est en train de développer à son contact et à travers lui un office Ex Ante, en se saisissante de l'Avenir. C'est pourquoi, grâce à la présence en son cœur du Juge (I), il faut considérer que la juridictionnalisation de la Compliance est notre bien le plus précieux.
De la même façon, l'Avocat qu'il doit dans l'entreprise, laquelle du fait du Droit de la Compliance endosse aujourd'hui des fonctions de juge et de procureur, ou dans les procès en titre, doit demeurer au cœur. Parce que la Compliance développe des puissances que le Droit classique ne développe pas, puissances justifiés par les "buts monumentaux" qui constituent la normativité juridique de cette nouvelle branche du Droit (par exemple lutte contre les effondrements des systèmes bancaires et financiers, contre la corruption, le blanchiment, le changement climatique, la vente des êtres humains, etc.). L'avocat doit apporter sa compétence mais aussi sa mesure et la contradiction dans un système toujours menacé par la démesure ; personnage du conflit, y compris vis-à-vis du Juge, il est cela qui est le plus à même de prévenir les conflits d'intérêts, cette plaie des systèmes de compliance (II). Sa présence est elle-aussi la démonstration comme quoi la Juridictionnalisation de la Compliance est, pour l'Etat de Droit, le bien le plus précieux.
14 octobre 2015
Enseignements : La personne entre le droit et l’économie
Les systèmes de Civil Law sont construits sur des distinctions de base, selon la technique de la summa divisio. Chaque terme en est défini d'une façon abstraite et la technique de l'opposition est à la base de tout le système. Cette méthodologie des systèmes de Civil Law les oppose aux systèmes de Common Law qui accumule des solutions concrètes à des difficultés et questions concrètes, les juges à l'occasion ou la doctrine (qui n'est pas nécessairement universitaire) dégageant de cet humus des principes explicatifs ou corseteurs.
Parmi les oppositions majeures qui forment l'ossature du système juridique romano-germanique, figure la distinction de base entre les personnes et les choses, les personnes étant "sujets de droits" et les choses étant "objets de droit". Mais cette distinction est aujourd'hui très incertaine. En effet, la notion de "personne" paraît artificielle, créée par le droit et donc disponible. En effet, est une "personne" ce qui est désigné par le droit comme un "titulaire de droits et d'obligations" (sujet de droits), comme peut l'être tout groupe accédant à la personnalité morale. Il est vrai que le droit va essayer de dépasser cette abstraction pour rapprocher cette notion de personne des êtres humains concrets qui sont jeunes ou vieux, hommes ou femmes, malades, etc. Mais on en reste à la distinction. Or, il est si efficace d'être une "personne", ne serait-ce que pour disposer des phénomènes qui sont mis par le droit dans la catégorie "chose" qu'il y a aujourd'hui de multiples prétendants pour accéder au statut juridique de personne. C'est le cas des animaux, ayant déjà gravi l'échelon de "l'être sensible", mais aussi la nature, les organisations étant depuis très longtemps des personnes morales (États, entreprises, etc.). Paradoxalement, c'est l'être humain qui fait les frais de cette évolution qui brouille pour l'instant la distinction entre les personnes et les choses, sans arriver à la remplacer par une nouvelle. En effet, l'être humain n'apparaît que très difficilement comme une catégorie autonome et suffisante du droit. Le masque de la personnalité étant tombé, le corps humain apparaît et sont remis en cause l'identité puisque l'apparence devient un critère, pour être aussitôt contestée au titre de l'identité sexuelle. En outre, la personne cessant d'être son corps, le droit se la représente comme ayant un corps, lequel devient une chose, dont elle dispose à volonté. Il s'agit tout d'abord de sa volonté, la personne disposant de son corps comme elle le veut. Puis, son corps, distancié d'elle-même, devient disponible, dès l'instant que la personne y consent (le consentement n'étant pas une notion assimilable à la volonté). Le corps se "décompose". Non seulement son fonctionnement devient une "prestation", la maternité devenant cessible, mais l'identité même se pulvérise devient un amas de "données" que le Droit tente de protéger. Dès l'instant que la Personne se pulvérise, autrui peut alors en disposer par le consentement qu'en fait le "titulaire du corps". Le marché des corps, des prestations corporelles et des données s'organise ainsi. Les enjeux de l'avenir de ce qui fût la distinction entre les personnes et les choses sont donc cruciaux.
Consulter les slides sur le thème.
21 novembre 2014
Conférences
Sans doute faut-il partir du fait que le secteur du médicament est régulé, dans le but de préserver le consommateur final, le malade qui accède à un bien commun : la santé.
Le fait que le médicament doivent circuler d'opérateur en opérateur, de segment de marché en segment de marché, ne change pas cette réalité sociale et politique, constituée par le souci particulier, traduit par le "caractère fixe du prix" du médicament pour celui qui le consomme, ce qui est un oxymore, et par le fait que celui-ci n'est le plus souvent pas le payeur, ce qui est un contresens dans un système de prix.
C'est donc à partir de ces "contrariétés techniques", qui ne s'expliquent que par la profondeur politique du système de santé, qu'il convient d'analyser l'un des segments les plus chahutés par l'énergie compétitive, à savoir la distribution en gros, segment de circulation du médicament entre celui qui le fabrique et celui qui le vend au détail au consommateur final.
Certes, la concurrence, servie par son outil juridique naturel qu'est le contrat, doit se déployer dans les interstices de la régulation qui est le principe d'organisation. Mais c'est la régulation qui continue de fixer les soucis qui guident l'application des règles, par exemple le souci de disponibilité des médicaments, toujours et en masse critique. Le mécanisme concurrentiel, de l'instant et de la tension, fonctionne sur d'autres impératifs. Ainsi, lorsque les Autorités de concurrence lisent les textes, elles donnent à la compétition un espace de jeu qui lui donne place de principe, sans avoir souci de la pérennité du système ou de la gestion d'une crise sanitaire. Elles ne se soucient pas de régulation. On peut le comprendre, puisqu'il s'agit d'autorité de concurrence.
Mais le droit d'un segment du système de santé est coloré par les principes fondamentaux du système dans son entier. Or, pour la France et l'Europe, la santé et le médicament sont gouvernés par le souci de la protection de l'usager, la concurrence qui sert le client solvable a une autre finalité. Elle doit se plier et ne jouer qu'entre des distributeurs qui respectent également et avant tout les obligations que le système de régulation a mis à la charge des distributeurs en gros.
Les travaux seront publiés dans la Revue Lamy Concurrence - Régulation au premier semestre 2015.
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Mise à jour : 31 juillet 2013 (Rédaction initiale : 6 décembre 2011 )
Enseignements : Les Grandes Questions du Droit, semestre d'automne 2011
12 mai 2004
Publications
Référence complète : FRISON-ROCHE, Marie-Anne, Les biens d’humanité, débouché de la querelle entre marché et patrimoine, in Propriété intellectuelle et mondialisation, coll. « Thèmes et commentaires », Dalloz, 2004, pp.165-175.