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24 juillet 2018

droit illustré

Le Droit de l'Ancien Régime était notamment caractérisé par un système de preuve légale conduisant à additionner des faits dont la valeur probatoire était par avance répertoriée pour produire à la fin de l'incontestable : demie-preuves, quarts de preuve, calcul mécanique produisant des "preuves entières". Cette assurance arithmétique conduisit Calas à la mort.
 
Voltaire contribua à la bataille contre un tel système juridique, dans ses deux faiblesse : d'une part dans le fait de voir dans l'addition une forme de raison car la vérité des faits ne tient pas dans l'addition de chiffres et d'autre part dans les moyens de preuves recevables.
En effet dans ce système de preuve légale, construit sur cette grande "mécanique", la mécanique étant censée parce que la mécanique éloigne la subjectivité nous éloigne de ce seul fait de l'erreur humaine, un des moyens de preuve était la "commune renommée". Lorsqu'il était rapporté de "commune renommée" qu'une personne était comme ceci ou comme cela, avait fait ceci ou cela, cela devenait un fait acquis, la preuve en était faite. 
 
Dans le "Siècle des Lumières" l'on montra l'archaïsme de telles façons de construire les preuves. 
Ces méthodes probatoires furent abolies. On les considère aujourd'hui d'un autre temps. Et dans ces deux aspects : la "commune renommée" , c'est-à-dire la preuve par "ouï-dire" et le fait que l'addition de 4 quarts de preuve, des "oui-dires" qui s'additionnent par exemple, par exemple contre Calas, ne constitue pas une preuve entière incontestable par exemple.
 
Si Voltaire batailla tant contre le système des preuves légales, c'est qu'il est par nature attentatoire aux droits de la défense et au principe du contradictoire.
 
Il est aujourd'hui banni. Cela est acquis.  On n'y fait référence qu'au titre de l'histoire du Droit, un petit détour d'érudition. 
Nous sommes en effet aujourd'hui dans un système probatoire de "preuve libre", aucune preuve ne pouvant lier le juge quant à la réalité d'un fait, tandis que l'addition de ce que l'on pourrait appeler des petites preuves ne saurait suffire à produire ce que l'on pourrait appeler une preuve massive. 
 
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Mais regardons l'organisation de notre société.
 
Les procès se passent en dehors des tribunaux.
Cela peut prendre la forme de l'arroseur-arrosé lorsqu'il s'agit de l'affaire Cambridge Analytica. Mais cela peut frapper n'importe lequel d'entre nous. L'arroseur, ici Facebook, n'a pas moins de droits que nous n'en avons nous-mêmes.
 
Le procès peut être fait dans les médias traditionnels.
C'est pourquoi les organisations professionnels, notamment britanniques, ont adopté depuis de nombreuses années des chartes qui contraignent les journalistes à ne pas écrire et dire des affirmations non vérifiées d'une part (ouï-dire/commune renommée) et sans avoir demandé aux personnes intéressées leur réaction préalablement à la diffusion (principe du contradictoire). 
 
Mais nous savons bien que les nouveaux médias sont les réseaux sociaux. 
Et en tant que nous ne cessons de parler, de commenter, de commenter les commentaires, de relayer, sans rien vérifier, nous faisons des procès à partir de faits que nous ne connaissons pas directement mais nous avons tellement lu de commentateurs de commentaires qu'en additionnant toutes ces gouttelettes de preuves que nous en sommes bien sûr : cela est vrai. 
 
Nous avons reconstitué sur les réseaux sociaux un système de preuve légale
 
 Il ne faut pas s'en étonner puisque le mécanisme de "réseau" a "reféodalisé" le monde, comme l'a montré Alain Supiot. 
En quelque sorte, le système de preuve légale est ce qui achève le tableau.
 
Mais c'est nous qui sommes en train de le construire, tandis que les médias traditionnel s'efforcent de rappeler que la vérité des faits existe. La preuve par oui-dire, instrument d'Ancien Régime, est comme les "vérités alternatives" : elle suppose qu'il doit y avoir quelque chose de vrai puisque cela a été dit par quelqu'un quelque part à un moment, et que celui qui est visé prouve que cela n'est pas vrai.  
 
 
Pour ne pas relire un autre auteur de l'Ancien Régime : Jean de La Fontaine ? 
 
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Jean de La Fontaine : Les femmes et le secret
 
Rien ne pèse tant qu'un secret ;
Le porter loin est difficile aux dames :
Et je sais même sur ce fait
Bon nombre d'hommes qui sont femmes.
Pour éprouver la sienne un mari s'écria
La nuit étant près d'elle : Ô Dieux ! qu'est-ce cela ?
Je n'en puis plus ; on me déchire ;
Quoi ! j'accouche d'un œuf ! D'un œuf ? Oui, le voilà
Frais et nouveau pondu. Gardez bien de le dire :
On m'appellerait Poule. Enfin n'en parlez pas.
La femme neuve sur ce cas,
Ainsi que sur mainte autre affaire,
Crut la chose, et promit ses grands dieux de se taire.
Mais ce serment s'évanouit
;Avec les ombres de la nuit.
L'épouse indiscrète et peu fine,
Sort du lit quand le jour fut à peine levé :
Et de courir chez sa voisine.
Ma commère, dit-elle, un cas est arrivé :
N'en dites rien surtout, car vous me feriez battre.
Mon mari vient de pondre un œuf gros comme quatre.
Au nom de Dieu gardez-vous bien
D'aller publier ce mystère.
Vous moquez-vous ? dit l'autre : Ah ! vous ne savez guère
Quelle je suis. Allez, ne craignez rien.
La femme du pondeur s'en retourne chez elle.
L'autre grille déjà de conter la nouvelle :
Elle va la répandre en plus de dix endroits.
Au lieu d'un œuf elle en dit trois.
Ce n'est pas encore tout, car une autre commère
En dit quatre, et raconte à l'oreille le fait,
Précaution peu nécessaire,
Car ce n'était plus un secret.
Comme le nombre d’œufs, grâce à la renommée,
De bouche en bouche allait croissant,
Avant la fin de la journée
Ils se montaient à plus d'un cent.

22 juillet 2018

droit illustré

Les enfants sont sensibles à la Justice. 

Et donc au Droit.

Pourquoi ? 

Parce qu'ils sont sensibles à l'injustice. 

Lorsque Serge Lebovici, l'un des plus grands pédopsychiatres praticiens, participa à l'ouvrage consacré à La Justice, L'obligation Impossible, il intitula son article "C'est pas juste", c'est-à-dire le cri de l'enfant. L'enfant réagit non pas à la justice, il ne recherche pas la justice, il rejette l'injustice, il la récuse, parce qu'il la repère. Et cela, si précocement.

Ainsi le fait Dumbo. Non pas tant sensible à l'injustice dont il l'est l'objet, mais à celle dont sa mère est victime. Et la scène la plus grande de ce film merveilleux est le miroir de la scène où la mère est punie injustement, enfermée, enchaînée : en contrepoint, plus tard par les forces de l'enfant, apparaît la scène de la mère installée dans le wagon pullman avec plein d'oreillers tandis que son fils qui a restauré la justice vole au-dessus d'elle.

La Justice n'est pas un but en soi, posé à partir de rien, la Justice n'est que la lutte contre l'Injustice, qui est elle est première. La Justice est la négation positive de l'Injustice.

C'est pourquoi dans le dessins animé Vice-versa le "sentiment de justice" qui active le cerveau de l'enfant de 12 ans a pour traits furieux la colère.

Car le sentiment de justice n'est pas froid : il est au contraire dans l'instant la réaction chaude contre la violence de l'injustice. C'est en retour le Droit qui refroidit la réaction de justice, Droit qui par la procédure et la lenteur voulue de celle-ci calme les esprits, le meilleur des juges étant impavide, selon le modèle du juge anglais, juge "indifférent" par excellence.

Et voilà qu'arrivent Les indestructibles ! Adaptation française du titre anglais The Incredibles. Le sens des deux appellations n'est pas le même et l'on peut préférer le terme français qui renvoie non pas au fait qu'ils sont "incroyables" (par leurs pouvoirs mirobolants - surtout le bébé, si mignon, si terrible) mais au fait qu'on ne peut les "détruire" (et cela, par la seule solidité des liens affectifs qui les unissent). 

 

Du point de vue du Droit, le film commence comme dans X-Men, puisqu'en tant qu'appartenant à la catégorie des Super-héros ils ont été déclarés comme eux "hors la loi".

 

Mais cela n'est pas pour le même motif.

En effet, dans X-Men, l'idée est celle d'une guerre des civilisations. Les Autorités publiques affirment que la planète Terre appartient à l'espèce humaine, que les X-Men sont des mutants, des sortes d'ennemis de l'intérieur, qu'il est difficile de repérer lorsque les pouvoirs ne sont pas déployés et qu'ils convient de les marquer, de les exiler ou de les éliminer. A cela répond deux attitudes, cela de Charles, britannique qui propose l'alliance et celle de Magneto, juif allemand dont la mère fut tuée par les nazis, qui rendra au sens propre la monnaie de sa pièce à l'assassin de celle-ci et qui veut la guerre ouverte. C'est donc un schéma politique et de droits humains qui est sous-jacent, où l'enfant Magneto rend lui-même l'injustice faite à sa mère. 

Ce qui le mettra aussi de ce fait "hors la loi" car c'est devant les juges que le bourreau doit rendre des comptes, la Loi du Talion appliquée par Magneto qui rend la monnaie de la pièce n'a pas cours. Le procès de Nuremberg a été conçu pour cela, alors même que la question de la culpabilité n'était pas en doute : c'est à des juges froids de sanctionner, pas aux enfants définitivement meurtris et brûlants de colère. 

 

La famille heureuse des Indestructibles est exclue pour une toute autre raison et elle l'admet tout à fait.

Tout d'abord dans le tout début du film la famille est à table dans son motel, les enfants voulait manger des popcorns en regardant des dessins animés tandis que les parents voudraient qu'ils mangent des légumes et restent à table en se tenant bien. Scène de la vie ordinaire, donc. 

   

  Les parents se mettent du côté de la légalité. Ils expliquent qu'ils leur est difficile d'exercer leurs pouvoirs car cela n'est plus autorisé par la Loi et qu'il faut obéir à la Loi. Ils sont positivistes et peuvent que les enfants respectent comme eux la réglementation, laquelle ne les pourchasse pas. Il ne semble pas y avoir une guerre entre espèces ou intergalactique ...., juste une réglementation municipale de bonne organisation de la ville. 

Mais les enfants se mettent du côté de la Justice, c'est-à-dire de la lutte contre l'injustice. Et estiment qu'il est du devoir de celui qui le peut d'utiliser ses capacités pour lutter contre l'injustice. Ils estiment donc que "la loi est injuste". C'est exactement en ces termes-là qu'ils formulent leur argument. Ils estiment donc qu'à une "loi injuste" il est de leur devoir de ne pas obéir.

Il n'est pas besoin de lire Jean-Jacques Rousseau, il suffit d'aller voir les Indestructibles et de s'asseoir à leur table pour se demander qui a raison, des parents ou des enfants. Car nous aussi nous avons des capacités, nous sommes soumis à des réglementations qui en réduisent l'usage et nous sommes entourés de cas d'injustice susceptibles de nous mettre en colère, si nous n'avons pas tout à fait oublier notre perspective d'enfant et notre sentiment de justice. 

C'est d'ailleurs sur un tout autre terrain qu'un autre débat va se dérouler un peu plus tard dans le film. Car contrairement aux X-Men il n'y a pas de nazis et de camps de concentration, mais il y a ... une analyse coûts/bénéfices.

En effet,  un incident arrive, la famille se déploie, le drame est évité. Et l'on dit merci à qui ? 

Et bien justement à personne. 

En effet, l'Autorité municipale estime que le coût d'une telle intervention des super-héros, en raison de la tendance du père à tout casser et de leur manie de tout casser, dans des comportements imprévisibles, est trop élevé, alors même que des services et des règles sont disponibles pour prendre en charge les criminalités qu'il s'agit de prévenir et d'enrayer.

C'est pourquoi le service qui permettait à la famille de vivre petitement dans ce motel sera supprimé, en raison de son inefficacité par rapport à une application ordinaire de la réglementation par les services municipaux.

C'est donc l'analyse économique du Droit qui a eu raison des Indestructibles !

La suite du film montrera que cela n'était pas une bonne idée et une façon d'appréhender l'action publique un peu étroite. La suite du film montrera bien d'autres choses, notamment ce que Disney peut penser de la Silicon Valley, mais laissons donc les enfants découvrir cela, ainsi que les juristes.

 

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21 juillet 2018

Publications

► Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Le Droit de la Compliance au-delà du Droit de la Régulation, Recueil Dalloz, juillet 2018, chronique, pp. 1561-1563.

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► Résumé de la chroniqueUn mouvement est parti d'exigences juridiques précises attachées à des secteurs identifiés, comme le secteur financier ou le secteur bancaire, pour se transformer en normes juridiques de compliance. Le droit de la compliance est ainsi le prolongement du droit de la régulation. Mais le droit de la compliance est en train de prendre son autonomie complète par rapport au droit de la régulation, tout en conservant la violence, la radicalité, voire l’archaïsme de celui-ci, alors même qu'il porte sur des entreprises qui n'agissent pas sur des secteurs régulés, mettant à bas, par exemple, les notions liées à la territorialité (I). Comment les entreprises doivent-elles réagir face à cette nouveauté sans égale (II)?

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📝Lire l'article.

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🚧 lie le document de travail bilingue doté de notes de bas de page, de références techniques et de liens hypertexte. sur lequel l'article est basé

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16 juillet 2018

Blog

La Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu le 4 juillet 2018 une décision à propos de l'entreprise SNCF Mobilités.

Le système de gouvernance de cette grande entreprise comprend notamment une "direction éthique".

C'est sans doute celle-ci qui alerte l'entreprise du comportement d'un employé, monsieur P.A., car c'est sur son rapport que l'entreprise a tout d'abord suspendu celui-ci, puis l'a convoqué devant un "conseil de discipline" interne pour finir par procéder à son licenciement.

Celui-ci conteste son licenciement mais tant le Conseil des prud'hommes que la Cour d'appel de Rennes estime que celui-ci a une cause réelle et sérieuse.

La cassation sera pourtant prononcée.

Tout d'abord, en raison de la procédure elle-même car le rapport sur lequel a été basé le licenciement, élaboré par la "direction éthique" n'était constitué que de témoignages anonymes". C'est en application de l'article 6 CEDH que la Cour de cassation pose que l'on ne peut sanctionner sur la base exclusive de témoignages anonymes. 

Pour sauver une telle façon de faire, l'entreprise avait souligné que l'employé avait ultérieurement eu l'occasion de contester ces éléments, le contradictoire compensant l'anonymat de ces sources. Mais l'argument qui avait porté devant les juges du fond n'a pas suffi devant la Cour de cassation, parce que les juges s'étaient fondé "d'une façon déterminante" sur le rapport de la "direction éthique".

Ensuite parce que la procédure devant le Conseil de discipline, qui juridictionnalise plus encore le processus interne de licenciement, notamment par des "référentiels", ici le " référentiel RH00144i" (il n'est plus temps de se plaindre de la disparition de l'art législatif....). Il en résultait qu'au regard de "l'avis" de ce "conseil de discipline" l'entreprise était également privée par sa propre procédure du pouvoir de prononcer le licenciement.

Ainsi, par le bas (un référentiel sur le caractère liant de l'avis du "conseil" de discipline en fonction du nombre de voix exprimées dans un sens ou dans un autre) et par le haut (la Convention européenne des droits de l'homme), l'entreprise ne pouvait pas licencier son employé.

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Que les sanctions prononcées par les entreprises se soient juridictionnées, c'est un mouvement juridictionnel ancien.

Que les pouvoirs discrétionnaires ne le soient plus, c'est le mouvement même de la "gouvernance".

L'aspect le plus intéressant de cet arrêt, arrêt de cassation qui prend le contrepied de la Cour d'appel, est celui de l'éthique du "bon comportement" et l'éthique des "droits de la défense".

 Pour la Cour de cassation, la question n'est pas de savoir si la personne a fait ou non le comportement justifiant un licenciement, la décision ayant soin de n'en donner aucun indication. C'est plutôt d'essayer de garder une certaine mesure, surtout lorsque c'est la "direction éthique" de l'entreprise qui est déterminante dans la décision finale.

Il convient alors de reprendre le récit à rebours.

  • Les juges ont fondé leur approbation du licenciement en se fondant d'une "façon déterminante" sur le rapport de la "direction éthique" ;
  • La direction éthique n'a tiré ses conclusions "que" de témoignages anonymes ;
  • Cela neutralise la jurisprudence classique (et appliquée par la Cour d'appel) selon laquelle s'il y a des témoignages anonymes, cela ne porte pas atteinte aux droits de la défense, dès l'instant qu'il y a d'autres éléments et que l'ensemble a été débattu par la suite.

 

Mais s'il n'y a que des témoignages anonymes et que cela est "déterminant" et pour l'entreprise et pour le juge du contrôle, alors cela n'est pas admissible.

 

Et qui devrait le savoir, mieux que la direction en charge de l'éthique ? 

8 juillet 2018

Blog

Dans son édition du 4 juillet 2018, le Wall Street Journal reproche à Google et à Facebook de "monopoliser le marché des idées.!footnote-1273 

L'article la façon dont ces entreprises utilisent leur puissance pour y parvenir. 

Dans cet article, Greg Ip raconte How Google and Facebook Are Monopolizing Ideas. 

L'on peut argumenter pour savoir si cela est vrai ou ne l'est pas, s'il y a des compensations, si d'autres entreprises pouvaient venir "contester" un tel marché sur lequel se déploient de telles puissances.

L'article part en réalité sur le marché de la publicité et la façon dont les entreprises en question dans l'article, Google et Facebook peut utiliser leur puissance de marché pour bloquer l'accès les entreprises qui demandent à acquérir les prestations. On sait qu'en France l'Autorité de la concurrence a condamné Google en l'astreignant à des obligations comportementales.

Ensuite il vient au fait que ces entreprises concentrent de nombreuses informations numériques, dites "data". 

Désormais les économistes et les juristes se soucient de cette économie des informations numériques, se demandant notamment s'il faut changer le Droit de la concurrence en conséquence ou bien s'il faut inventer un Droit ad hoc.

Il est certain que les industries numériques ont pour outils les informations numériques, voire pour objet celles-ci. 

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Mais rappelons un principe simple, élémentaire et essentielle.

Les "informations" ne sont pas les "idées".

Ce n'est pas parce que les "informations" sont le socle de "l'économie de l'information" que nous sommes dans "l'économie des idées". Non.

Ce n'est pas parce que des entreprises obtiendraient des puissances de marché sur les canaux par lesquels les informations s'écoulent, qu'elles ont les moyens technologiques de construire des méta-données, etc., qu'elles pourraient éventuellement obtenir un "monopole sur les informations" qu'elles auraient un "monopole sur les idées".

 

Ne pas confondre une "information" et une "idée" 

 

Une idée est une information particulière, que la propriété littéraire et artistique avait bien saisi.

C'est ce qui sort d'un être humain, ce que celui-ci concrétisera par un travail, ce par quoi l'être humain se distingue notamment du robot. Cela est expliqué par Alain Supiot dans ses réflexions sur ce qu'est un "travail réellement humain" et par Pierre-Michel Menger sur la notion de "travail créateur".

Or, ces idées qui sont le propre de l'eau, ce "monde des idées", ne constituent pas un marché. Si le Droit protège une personne dont les idées sont exploitées par d'autres d'une façon déloyale c'est parce que le Droit à travers la responsabilité se charge d'éthique et non pas d'un marché.

Les idées que nous avons, nous pourrons toujours les exprimer : cela renvoie à la liberté d'expression et non pas à la liberté d'entreprendre (on sait l'art casuistique et la difficulté avec lesquelles la Cour suprême des Etats-Unis manie les deux, notamment dans le domaine de la publicité, domaine par lequel l'article sur Google et Facebook débute). 

 

Le marché des idées n'existe pas

Le marché des idées n'existe pas. Parce que nous avons la chance de vivre dans des systèmes de liberté politique, les idées que nous avons, ce ne sont ni Google ni Facebook ne peuvent nous les prendre. Il n'est pas pertinent de nous demander s'ils le veulent. 

Parce que tant que nous ne pensons pas le monde réduit à être un marché, que nous ne pensons que nous pensons pas que nos idées n'ont d' "intérêt" à être produites qu'en raison d'une "demande" à les recevoir, qui est la définition du marché" (production d'une offre parce qu'il y a une demande), alors nous aurons des idées libres.

La liberté a une définition tautologique : pourquoi sommes-nous libres ? : pour être libre.

Pourquoi avons-nous des idées ? : pour avoir des idées.

Nous n'avons pas des idées pour avoir des likes et des coeurs.  Nous n'avons pas besoin de réseaux sociaux et de moteurs de recherche pour avoir des idées. 

Il n'est pas besoin d'avoir de "demandes d'idées" pour qu'il y a des "offres d'idées". Il n'y a pas de "marché des idées".

Pourtant on le prend comme principe de base désormais dans tous les articles.

 

3 juillet 2018

Publications

 Référence complète :  Frison-Roche, M.-A., Dessiner les cercles du Droit de la Compliance, in Études en l'honneur de Philippe Neau-Leduc, Le juriste dans la cité, coll. « Les mélanges », LGDJ- Lextenso,  2018, pp. 483-496.

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🚧Cet article  s'appuie sur un document de travail. Celui est doté de notes de bas de pages, de références techniques et de liens hypertextes.

Ce document de travail est accessible en langue française par le lien suivant  Tracer les cercles du Droit de la Compliance.

Il est accessible en langue anglaise par le lien suivant : Drawing the circles of Compliance Law. 

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 Résumé de l'article : Le Droit de la compliance participe du même fonctionnement téléologique que le Droit économique auquel il appartient, consistant à placer la normativité des règles, décisions et raisonnements, dans les buts poursuivis. Une fois que l'on sait quels sont les buts poursuivis par les techniques de compliance, alors on sait qui doit en avoir la charge, qui doit y être soumis, qui doit activer les règles : les règles de compliance doivent être activées par ceux qui sont les mieux placés pour aboutir au résultat concrétisant le but recherché par celui qui a conçu le mécanisme de compliance. Les "cercles" sont ainsi tracés d'une façon rationnelle et pragmatique. Cela, tout cela ("effet utile"), mais pas au-delà de cela. La notion d'efficacité n'implique pas toujours une mise en balance : elle peut au contraire impliquer  de dessiner des cercles qui désignent ceux qui sont "placés" pour porter la charge des règles car ils sont aptes à leur faire produire les effets recherchés. A l'intérieur de ces cercles, les règles doivent s'appliquer sans restriction et sans compromis, mais elles ne doivent pas s'appliquer au-delà de ces cercles.

Dessiner de tels cercles nécessite de définir le Droit de la compliance lui-même, puisque d'une part le choix de ceux qui doivent concrétiser la Compliance dépend des buts de celle-ci et que d'autre part la définition du Droit de la Compliance est elle-même de nature téléologique . C'est pourquoi, à l'inverse de l'affirmation comme quoi l'exercice de définition serait inutile dans ces matières, qui seraient avant tout du cas par cas, cet effort de définition et cette détermination des finalités sont au contraire déterminants pour savoir en pratique qui doit porter les obligations de compliance et qui ne le doit pas.

Or il suffit d'avoir posé cela pour qu’apparaisse la difficulté majeure de la matière, difficulté qui explique les résistances, voire donne l'impression que l'on se heurte à une aporie. En effet, si par principe ce que l'on attend de la part des "usagers" des mécanismes doit s'articuler au but qui est affecté par les auteurs des mécanismes de compliance à ceux-ci, encore faut-il qu'il y ait une correspondance minimale entre les buts visés par ces auteurs (Législateurs et Régulateurs) et les buts poursuivis par ceux qui en sont chargés de les mettre en œuvre : les entreprises. Or, cette correspondance n'existe pas à première vue, parce que les mécanismes de compliance ne trouvent leur unicité qu'au regard de "buts monumentaux" dont les autorités publiques ont le souci légitime, alors que les entreprise ont pour but leur intérêt propre. Les deux cercles ne correspondent pas. L'internationalisation du souci de ces buts dans les entreprises ne serait donc qu'un mécanisme de violence dont les entreprises sont l'objet, violence ressentie comme telle. (I).

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📝Lire l'article.

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2 juillet 2018

Blog

Dans un excellent article publié le 28 juin 2018 dans le New York Times, intitulé The Coming Tech Battle, l'auteur qui est banquier observe les stratégies de guerre entre la Chine et les Etats-Unis.

Il souligne que la guerre n'est pas tant celle des tarifs et des importations, mais celle de la technologie. 

Il observe que la Chine a depuis longtemps entamé une stratégie non seulement de capacité mais encore d'indépendance technologique, notamment numérique, dont l'Occident ne semble pas avoir idée et dont il faut se soucier. Car ce ne sont pas les tarifs ou les interdictions sur les flux marchands qui vont l'entraver.

Il conclut : Globalization's champions predicted that borders would continue to fall in at least on area - digital techn and the internet - but China has shown that a determined government can build walls in the virtual sphere, too. 

Et cela renvoie au début de son article où il  décrit une arrivée d'un étranger en Chine où chacun est à la fois parfaitement connecté, ce qui le rend indifférent à l'absence par exemple de Google  et parfaitement surveillé par le pouvoir politique central, ce à quoi il est également indifférent.

A la lecture de cet article, je me suis demandée : Dans cet affrontement technologique où la Chine a les moyens de s'isoler, le Droit peut-il et doit-il faire quelque chose ?

 

Lire ci-dessous

 

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1 juillet 2018

Publications

The Economist a publié un article le 28 juin 2018 pour montrer que Netflix va révolutionner la télévision, dans ses usages, ses techniques et son économie.

Prenons le phénomène du côté du Droit.

Netflix n'est pas une entreprise de média. C'est une entreprise technologique qui capte des données.

Du point de vue du Droit, nous ne savons pas comment le qualifier.

Cela est perceptible en Droit de la concurrence et en Droit de contrôle des concentrations (qui appartient plutôt au Droit de la Régulation). 

Pour l'instant nous ne sommes que dans la "réaction" : les autorités américaines "réagissent". Leur "réponse" consiste à ne plus mettre  de freins aux concentrations dans les médias...

C'est tout d'abord une réponse faible et non-autonome, l'idée étant que si l'on laisse grandir Disney, alors Disney et Netflix pourront mieux s'entredévorer et le consommateur sera bien servi. C'est d'ailleurs ce qu'explique Netflix en affirmant que le consommateur a tant d'argent à affecter à ses loisirs et de temps à passer devant ses écrans qu'ils peuvent bien se le partager. Propos qui devraient glacer des autorités en charge de contrer les ententes....

C'est d'ailleurs une réponse qui peut avoir des conséquences graves car sans doute motivée par cette impuissance elle a donné le signal à d'autres, par exemple dans l'industrie pharmaceutique comme quoi avec un tel précédent il n'y avait donc plus de barrière pour de méga-fusions....

C'est ensuite une absence totale d'action.

Certes l'on peut adopter un point de vue américain : c'est aux entreprises d'agir et non pas aux Autorités publiques ou au Droit. C'est ainsi que l'innovation se développe, en laissant les entreprises libres, et c'est ainsi que la Silicon Valley a inventé le monde nouveau des données. Mais les données ont toujours existé puisque ce ne sont que des informations sur nous-mêmes, nous-mêmes et ce que nous donnons à voir de nous-mêmes ayant toujours existé. C'est l'idée même de les monétiser après les avoir pulvériser et reconstruite dans d'autres blocs (méta-données) qui les a transformées en or. C'est ce que démontre West Word, série magnifique produite par ... une industrie de média, HBO, pour répondre à Netflix. 

Mais si l'on croit que le Droit sert encore à quelque chose, par exemple à "réguler les plateformes" car il s'agit de cela, il faudra mieux que nous "agissons", c'est-à-dire que nous pensions ce "cas Netflix", ou/et à travers lui  l'industrie prodigieuses des données.

Elle a créé de l'or approprié à partir d'un commun disponible depuis toujours. Le génie a consisté à créer une industrie de la donnée indifférente à ce qui nous est donné en échange, ici un film, une série, une jeu. Contre lesquels l'industrie des films, des séries et des jeux ne peuvent pas grand chose car celle-ci vend les films, les séries et les jeux et ne peuvent pas les vendre à prix négatif, alors que Netflix ne les cèdent qu'en supplément de ce qui est acquis : l'information que nous donnons sur nous-mêmes. Ils peuvent donc nous offrir le film qui n'est qu'un "cadeau-bonux". C'est pourquoi la "personnalisation" extrême que Netflix fait de ses produits, aux différents pays devrait nous alerter. C'est pourquoi la haute-couture de séries faites que pour moi me donne l'information que je suis moi-même le plat principal du repas de roi ainsi servic. 

En cela Netflix est économiquement beaucoup plus proche de Facebook qui nous donne tout gracieusement puisque nous nous donnons à lui que de Disney ou de HBO ou de Warner qui doivent encore prétendre nous demander un peu d'argent puisqu'ils prétendent encore avoir pour objets la production de films, de séries, de personnages, de scénarios, de jeux, etc.

La puissance du modèle tient dans la reconstruction par la technologie des données pour de très multiples usages. Par exemple la prévision de l'avenir. En échange, les sous-jacents que sont les personnes reçoivent pour l'instant une série sur la reine d'Angleterre. Mais pourquoi pas un bouquet de fleurs ? Ou un repas ? Ou un habit ? Ou une voiture ? 

En effet, l'industrie des données a neutralisé le sous-jacent. Par exemple le média. Mais Uber apporte les repas. Netflix peut apporter un costume. Qui a quelque chose à "redire" ?

Face à cela, le Droit ne dit rien. 

Sans doute parce qu'il est dépassé dans ses catégories et lorsque le Droit ne conçoit pas, ne qualifie pas, il ne peut rien "dire". Il a fallu que les juges voient dans les personnes qui roulent dans les voitures des "salariés" d'UBER pour qu'un peu d'ordre revienne. C'est donc dans les marques de la qualification que le Droit doit se retrouver. 

Le Droit doit d'abord remettre en cause la notion de "gratuité" et de "don". 

Le Droit ne pense toujours pas le gratuit, réduit à être l'absence d'échange d'argent, alors que je me donne moi-même. Et quand je me donne moi-même, le Droit appelle cela de "l'altruisme"..., alors que le Droit commercial ancien dans sa sagesse interdisait l'acte gratuit dans les affaires car l'on sait bien que l'on ne se donne pas contre rien. Le gratuit n'existe pas et le discours altruiste n'est pas inconcevable si c'est l'entreprise qui devient altruiste et peut le prouver (RSE) il devient très étonnant si ce sont les personnes qui se donnent elles-mêmes aux entreprises : le "discours du don" et l'appel au "consentement altruiste" n'ont jamais autant prospéré dans un système où l'unité de compte est celle du milliard de dollars. 

Le Droit doit ensuite remettre en cause la notion d'espace, pour qualifier les "plateformes".

Pour l'instant l'on connaît peut-être la plateforme comme un fait, mais en Droit l'on ne sait pas ce que c'est. Un marché ? Une place ? Un point d'intersection ? Il est possible que l'on puisse réduire la plateforme à être un marché, au sens le plus traditionnel du terme, la place du marché où chacun peut se rencontrer et se dire avant tout bonjour, se regrouper en communautés. Une place de village plutôt qu'une place financière. Peut-être qu'il existe plusieurs sortes de plateformes, non pas selon les objets concrets qu'on vient y chercher ou y proposer car la plateforme se repère plutôt par celui qui la tient mais plutôt : par la technologie utilisée ? par le degré de connaissance de la personne qui y entre ? par le degré de civilisation qui y règne ? 

Ces espaces que sont les places, les moteurs de recherches ou les réseaux sociaux sont-ils en Droit réductibles à une seule notion, de sorte qu'on puisse leur appliquer le même régime ? Lorsque les entreprises croisent leurs données, par exemple entre un média et un réseau, étant propriétaires des deux, le Droit appréhende la situation différemment suivant qu'il y voit deux espaces qui communiquent ou qu'un seul espace déjà en fusion. 

Admettre en Droit que nous avons beaucoup à concevoir pour  "réguler les plateformes". 

 

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