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Mise à jour : 8 octobre 2019 (Rédaction initiale : 22 novembre 2018 )

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Ce document de travail a servi de base à une conférence faite pour le Centre de droit comparé, le 23 novembre 2018.

Actualisé, il sert de base à l'article de présentation générale de l'ouvrage Les lanceurs d'alerte : regards comparatifs , paru en mai 2020 sous la direction de Jérôme Chacornac, dans la collection du Centre  de Législation comparée

 

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"Les lanceurs d'alerte". Voilà bien une expression nouvelle. Qui remporte un plein succès. A peine entendue une fois, on l'entend partout...

Un thème non pas de cours ou de contrôle de connaissances, mais plutôt un sujet de conversation quotidienne. Car c'est chaque jour qu'on nous en parle, en termes plus ou moins gracieux. Par exemple le Président Donald Trump le 1ier octobre 2019 a déclaré à la presse "vouloir interroger" le lanceur d'alerte qui l'aurait illégitimement dénoncé et n'aurait pas, selon lui, le droit de dissimuler son identité, preuve en cela selon lui du caractère mensonger de ses affirmations à son encontre, tandis que l'avocat de celui-ci indique le 6 octobre 2019 qu'il ne parle pas au nom d'un seul lanceur d'alerte ainsi pris à partie mais d'une pluralité de personnes ayant donné des informations à l'encontre du Président des Etats-Unis. Même les scénaristes les plus imaginatifs n'auraient pas écrit des rebondissements aussi brutaux ni  aussi rapides. Spectateurs, on attend le prochain épisode, espérant secrètement l'escalade. 

Et justement si l'on va au cinéma,  c'est encore d'un lanceur d'alerte dont on nous raconte le dévouement et le succès, voire le drame, au bénéfice de la société globale, et notamment de la démocratie, puisque les secrets sont combattus au bénéfice de la vérité. Ainsi, The Secret Man désigne Mark Felt comme le premier lanceur d'alerte. Revenant  vers ce que l'on présente souvent comme étant un média plus "sérieux"!footnote-1391, l'on écoute France-Culture et voilà encore conté le récit  d'une historienne ayant travaillé comme archiviste sur des événements que le pouvoir politique aurait voulu tenir cachés en détruisant éventuellement leurs traces mais que son métier conduisit à conserver : la voilà expressément présentée aux auditeurs studieux comme un "lanceur d'alerte" .... Tandis que la même radio tente de retrouver celui qui pourrait bien être, comme dans une sorte de concours le "premier des lanceurs d'alerte" !footnote-1727?.... Cette réécriture de l’Histoire peut se défendre car finalement que firent d'autre Voltaire pour Calas, ou Zola pour Dreyfus ? 

C'est aussi un sujet de discussion législative puisqu'aux Etats-Unis la loi Dodd-Frank  de 2010 a inséré dans la loi de 1934 qui instaura la Securities & Exchanges Commission un dispositif complet de rétribution et de rémunération des lanceurs d'alerte, tandis qu'après avoir élaboré en 2012 des lignes souples mais directrices à ce propos!footnote-1698, la Commission européenne a le 20 novembre 2018 publié le texte de ce qui deviendra une Directive ayant pour objet de donner un statut européen  unifié au personnage, dans le dispositif progressivement élaboré pour protéger celui qui a été présenté en 2018 comme celui "ne peut pas être puni pour avoir fait ce qui est juste".

En Europe, la Directive  tout d'abord approuvée par une Résolution du Parlement  européen le 16 avril 2019 sur la protection des personnes dénonçant des infractions au Droit de l'Union  puis adoptée le 7 octobre 2019 (Directive 2019/78 (UE) du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, intitulé différent on le notera, devra être transposée dans les deux prochaines années dans les législations des Etats-Membres. L'objet n'en est pas général, puisque seules les "violations du Droit de l'Union" sont visées mais le personnage du "lanceur d'alerte" quant à lui est plus globalement visé : il est "entier"!footnote-1699.

Bref, le lanceur d'alerte est une vedette!footnote-1390.  Une sorte de personnage historique, couvert de coups et de gloire, allant de Voltaire à Snowden, l'un comme l'autre trouvant à s'incarner sur les écrans!footnote-1681 ....,

Consacré par la loi, qui lui associe un régime juridique de protection à tel point que, tel une tunique de Nessus, c'est ce régime juridique qui va définir le personnage et non l'inverse.  Lorsqu'on lit la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite "Sapin 2", l'on remarque que le Législateur fait grand cas de ce personnage, puisqu'il lui consacre son chapitre II : "De la protection des!footnote-1682 lanceurs d'alerte", et que c'est par sa protection même qu'il lui ouvre formellement et à grands battants la porte du Droit. 

Mais pourquoi un pluriel ? Certes quand on lit les considérants de la Directive communautaire du 7 octobre 2019 sur la protection des lanceurs d'alerte!footnote-1702, il ne s'agit que d'une énumération de tous les sujets à propos desquels il est une bonne idée de les protéger, ce qui incite donc à ne voir dans ce pluriel que l'indice de cette liste non limitative des sujets dont il est de bon aloi qu'on nous alerte, signe de l'absence de définition de qui doit nous alerte. La lecture de la loi française dite "Sapin 2" rend moins sévère mais plus perplexe. En effet, de cette pluralité visée par le titre du chapitre consacré aux "lanceurs d'alerte", il n'est plus question dans la suite de la loi, dans la définition même qui suit, l'article 6 qui ouvre ce chapitre consacré aux "lanceurs d'alerte" offrant au lecteur immédiatement un singulier puisqu'il débute ainsi : "Un!footnote-1684 lanceur d'alerte est une personne ...". Nulle mention de diversité. L'art de l'écriture législatif aurait pourtant même requis que l'article qualificatif ne soit pas seulement singulier mais qu'il ne soit pas encore indéfini. Stendhal s'il avait encore daigné avoir la Loi pour livre de chevet aurait voulu trouver comme début de chapitre une phrase comme : "Le!footnote-1683 lanceur d'alerte est une personne ...".

Ainsi semblent se contredire au sein de la loi "Sapin 2 le titre même qui présente le personnage, en ce qu'il utilise un pluriel défini (les) tandis que l'article de définition qui le présente est au singulier indéfini (un)....

Voilà une première raison pour ne plus avancer que d'une façon très prudente, dans ce "pas à pas" que constitue une lecture au mot à mot : une glose. Celle-ci consiste à prendre au pied de la lettre l'expression-même. La seconde raison de ce choix technique est que la glose convient bien à une introduction d'ouvrage collectif, permettant ainsi à des développements plus ciblés de prendre place dans d'autres contributions, sur les techniques, les difficultés et les limites de cette protection, ou sur l'historique de celle-ci, ou les raisons de la venue dans le Droit français de ces lanceurs d'alerte et la façon dont ils se développent, ou non, ailleurs. 

Je vais donc me contenter de reprendre à la lettre cette expression déjà juridique : Les (I) lanceurs (II) d'alerte (III).

Voir ci-dessous les développements.

 

5 octobre 2019

Blog

Reprenons les faits des 3 et 4 octobre 2019 sous l'angle juridique.


L'industrie de l'Humain, qui s'alimente avant tout de la pauvreté des femmes dans le monde repose d'une part sur des usines à bébé dans les pays pauvres : Inde, Kenya, Nigéria, Ukraine. Les informations commencent à sortir à leur propos. Les violences faites aux femmes sont extrêmes. Des contrats rédigés en anglais par des avocats d'affaires sont signés. Tout tourne à pleine régime. Les nouveaux-nés, dont les caractérisques sont choisis par catalogue, sont expédiés principalement en Occident. Les acheteurs, c'est nous. 


Mais ce qui est vendu par les agences, et très cher, dans une GPA que l'on n'hésite pas à vous dire "éthique" (car les femmes sont médicalement suivies et "consentent"), c'est le lien de filiation entre le nouveau-né, soustrait immédiatement à sa mère, et ceux qui ont payé l'agence : les "parents d'intention". Or, la filiation seul le Droit peut en disposer. Et non le Marché. C'est donc là où la prospérité par milliards du marché mondial des femmes-esclaves qui engendrent des nouveaux-nés à la chaîne pour que notre "désir d'enfan" soit satisfait est entravé.


L'industrie de l'Humain fait donc le siège des tribunaux et des parlements nationaux pour obtenir à tout prix la "transcription automatique" de l'état-civil établi à l'étranger. Les pays pauvres qui avaient accepté de les établir ont pris des lois pour prohiber, devant ce qui arrivait aux femmes : la GPA est désormais interdite au Cambode, en Thaïlande et en Inde aux étrangers. Les agences, dont le siège social est le plus souvent à Londres et qui viennent souvent à Paris pour présenter leur "catalogue" s'approvisionnent dans des pays encore plus pauvre : Kenya, Nigéria, Ukraine. Pour survivre, les femmes "consentent", et signent des contrats rédigés en anglais. Les femmes ukrainiennes, peau blanche, yeux clair, sont particulièrement appréciées par les "parents d'intention". Lorsqu'on demande aux avocats qui mettent en oeuvre la transaction s'ils ne voient pas un obstacle déontologique à participer à une traite d'êtres humains, ils répondent que l'on ne peut rien contre la mondialisation. 

Pourtant l'Europe utilise son Droit pour bloquer l'usage du Droit. Et la CEDH en premier. Même s'il est vrai que, pour l'intérêt de l'enfant, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a interdit en 2014 l'usage que faisait en France la Cour de cassation de la théorie de la fraude pour éliminer tout effet d'une GPA réalisée à l'étranger, entraînant une modification du Droit français sur ce point, la CEDH est stricte sur l'établissement de la filiation. Or, c'est cela qui est vendu par les agences : non seulement le nouveau-né aux adultes qui en ont le désir, mais un "enfant bien à eux", un enfant rattaché par un "lien de filiation". 

En effet, la CEDH a toujours refusé la "transcription automatique" sur l'état civil français de la transcription à l'étranger d'un lien de filiation entre le nouveau-né et les "parents d'intention". La CEDH est hostile à la vente d'enfant. La CEDH reconnait le légitime pouvoir de chaque Etat signataire de la Convention européenne des droits de l'homme de prohiber la GPA, en ce que cela correspond à "ses valeurs fondamentales. De la même façon, l'ONU assimile la GPA à une violence faite aux femmes et à une vente d'enfant.

Dans le même temps, parce que c'est le Droit commun de la filiation, et dès l'instant que l'on ne fait plus jouer la théorie de la fraude, la CEDH pose que si l'homme est génétiquement le père de l'enfant (usage du sperme), alors le lien de filiation doit être reconnu par l'officier d'état civil français. Ce que la Cour de cassation a donc admis, la fraude ne pouvant plus bloquer cette application du Droit commun de la filiation. Puis, toujours en application du Droit commun, le conjoint ou la conjointe du père peut adopter l'enfant. Cela fût dit par la Cour de cassation, appliquant le Droit commun. Mais cela ne satisfait pas du tout l'industrie de la GPA, qui veut mettre dans le "package" vendu sur Internet une filiation immédiate, non appuyée sur le lien biologique, sans nécessité d'un "père", supposant donc qu'il pourrait y avoir aussi une "mère". Elle a donc diffusé l'idée que ce qui ferait la filiation ce serait seul "l'amour" et le "projet" que l'on a de l'enfant, ce qui permettrait d'effacer complètement la femme, à laquelle il ne faut surtout pas penser (en raison des violences qu'elle subit dans les usines à bébé). L'industrie de l'Humain, et ses multiples conseils, avocats et relais dans la presse, veut une "transcription automatique". Tout viendra du contrat, c'est-à-dire du Marché. L'argent pourrait encore s'accroître, les femmes encore plus disparaître, n'être plus que machine à engendrer l'objet de tous les désirs : le bébé. Pour lequel nous versons sans remord, scrupule ni conscience de l'argent aux agences (britanniques, russes, américaines, principalement).
Le Droit ayant pour définition la protection des personnes et n'étant pas la simple technique de rédaction de contrat, est hostile à cela.
Et il résiste. L'offensise a été lancée le 3 octobre. Par un amendement voté la nuit par 18 députés à la loi bioéthique, la transcription deviendrait "automatique" : aucune condition, aucun contrôle. La filiation viendrait par le seul fait d'un état-civil étranger.
La date du 3 octobre avait été choisie parce que la Cour de cassation rendait le 4 octobre un arrêt d'Assemblée plénière très important, que les avocats de l'industrie de l'Humain craignaient de perdre. Il fallait donc sécuriser la question. En effet, sur retour d'un avis demandé par la Cour de cassation à la CEDH, celle a indiqué en avril 2019 que la France a le droit de prohiber la GPA, de protéger la femme et l'enfant, l'enfant étant protégé par le lien de filiation à l'égard du père et notamment le mécanisme de l'adoption à l'égard du conjoint. Revenant devant la Cour de cassation, les pro-GPA affirmaient que puisque la CEDH avait écrit "notamment", il fallait que la Cour de cassation impose aussi dans le Droit français un autre mode de filiation : la possession d'état immédiatement constatée devant notaire sur déclaration des "parents d'intention" (ce qui équivaut à une transcription automatique). Mais ils craignaient de perdre. C'est pourquoi pour sécuriser l'ensemble l'amendement a été passé.
Et le 4 octobre 2019, à 14 heures, la Cour de cassation a rendu l'arrêt : la filiation n'est pas établie par possession d'état. La Cour de cassation, appliquant l''avis de la CEDH, refuse de donner au terme "notamment" ce sens souhaité par l'industrie de la GPA, s'en tient à l'état du Droit français.
L'industrie tactiquement avait raison de tenter de forcer le Droit français en passant l'amendement dans la nuit.
Nicole Belloubet avait dit qu'elle attendait l'arrêt de la Cour de cassation pour prendre une circulaire qui, si l'état du Droit français ne changeait pas, affirmerait que la GPA devait demeurer prohiber, pour protéger les femmes et les enfants, la voie de l'adoption, parce qu'elle est de droit commun, parce qu'il s'agit d'un jugement, sera visée.
Quand à la manoeuvre de l'industrie de l'Humain, elle a été immédiatement condamnée par l'ensemble du Parlement. Et par le Gouvernement.
Non, l'on ne peut pas désespérer du Droit.

5 octobre 2019

Blog

Reprenons les faits des 3 et 4 octobre 2019 sous l'angle juridique. Tout est affaire de chronologie, l'industrie de la GPA ayant un plan de mise sur le marché du Droit de la filiation et déroulant année après année la privatisation du Droit de la filiation, afin que celui-ci tombe dans le Droit des contrats (le plus fort pouvant alors acheter une filiation, des agences devenant des intermédiaires vendeuses de filiation, les faibles étant pulvérisés). Comme la filiation est la base première des groupes sociaux, le Droit résiste pour d'une part protéger la société toute entière et son ancrage par la filiation et d'autre part pour protéger les faibles. 

L'industrie de l'Humain a donc du mal à faire progresser sa stratégie arrêtée de longue date. Notamment en Europe, où le Droit est de tradition humaniste et protège l'être humain faible, notamment les femmes. Elle a davantage de succès aux Etats-Unis où s'achète et se vend, et dans les pays pauvres qui n'ont pas les moyens d'offrir une telle protection à leur population d'êtres humains femmes, qui sont donc vendues aux acheteurs que nous sommes.


En effet, l'industrie de l'Humain, qui s'alimente avant tout de la pauvreté des femmes dans le monde repose d'une part sur des usines à bébé dans les pays pauvres : Inde, Kenya, Nigéria, Ukraine. Les informations commencent à sortir à leur propos. Les violences faites aux femmes sont extrêmes. Des contrats rédigés en anglais par des avocats d'affaires sont signés. Tout tourne à pleine régime. Les nouveaux-nés, dont les caractérisques sont choisis par catalogue, sont expédiés principalement en Occident. Les acheteurs, c'est nous. 


Mais ce qui est vendu par les agences, et très cher, dans une GPA que l'on n'hésite pas à vous dire "éthique" (car les femmes sont médicalement suivies et "consentent"), c'est le lien de filiation entre le nouveau-né, soustrait immédiatement à sa mère, et ceux qui ont payé l'agence : les "parents d'intention". Or, la filiation seul le Droit peut en disposer. Et non le Marché. C'est donc là où la prospérité par milliards du marché mondial des femmes-esclaves qui engendrent des nouveaux-nés à la chaîne pour que notre "désir d'enfan" soit satisfait est entravé.


L'industrie de l'Humain fait donc le siège des tribunaux et des parlements nationaux pour obtenir à tout prix la "transcription automatique" de l'état-civil établi à l'étranger. Les pays pauvres qui avaient accepté un temps de les établir ont pris depuis des lois pour prohiber, devant ce qui arrivait aux femmes : la GPA est désormais interdite au Cambode, en Thaïlande et en Inde aux étrangers. Les agences, dont le siège social est le plus souvent à Londres ou aux Etats-Unis et qui viennent souvent à Paris pour présenter leur "catalogue" s'approvisionnent dans des pays encore plus pauvre : Kenya, Nigéria, Ukraine. Pour survivre, les femmes "consentent", et signent des contrats rédigés en anglais. Le marché domestique alimentent ainsi un marché planétaire à travers ce qui est désormais appelé des "usines à bébés". Les femmes ukrainiennes, peau blanche, yeux clair, sont particulièrement appréciées par les "parents d'intention". Lorsqu'on demande aux avocats qui mettent en oeuvre la transaction s'ils ne voient pas un obstacle déontologique à participer à une traite d'êtres humains, ils répondent que l'on ne peut rien contre la mondialisation. 

Pourtant l'Europe utilise son Droit pour bloquer l'usage du Droit. Aussi bien les juridictions de niveau européen que les juridictions françaises. Et elles demeurent sur cette position. L'on peut choisir de dire "Oui", le désir devenant alors la seule loi du monde, servi par le seul instrument juridique du contrat, éventuellement en Ex Post par un juge, instruments naturel du Marché, ici construit par les Agences qui ont inventé le "marché de la procréation". On peut choisir de dire "Non", parce que l'être humain est une personne indissociable de son corps et que les femmes ne sont pas à vendre, l'esclavage demeurant prohibé. L'Europe continue de dire "Non", à la fois les Législateurs et les Juridictions. C'est un choix. Les femmes, qui ont des êtres humains, espèrent que jamais - comme dans les pays désormais tenus par les agences - elles ne cesseront d'être des personnes et ne seront réduites à être des machines à engendrer pour le désir d'autrui. 

En Europe, les juridictions et les parlements tiennent, parce que le Droit n'est pas une technique de réalisation des désirs, mais un ensemble de principes qui protégent les personnes. 

 

La CEDH en premier. Même s'il est vrai que, pour l'intérêt de l'enfant, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a interdit par deux arrêts de section du 26 juin 2014 l'usage que faisait en France la Cour de cassation de la théorie de la fraude pour éliminer tout effet d'une GPA réalisée à l'étranger, entraînant une modification du Droit français sur ce point, la CEDH est stricte sur l'établissement de la filiation. Or, c'est cela qui est vendu par les agences : non seulement le nouveau-né aux adultes qui en ont le désir, mais un "enfant bien à eux", un enfant rattaché par un "lien de filiation". 

En effet, la CEDH a toujours refusé la "transcription automatique" sur l'état civil français de la transcription à l'étranger d'un lien de filiation entre le nouveau-né et les "parents d'intention". C'est uniquement sur la base d'un lien de filiation constaté, donc vis-à-vis du "père biologique" que la filiation entre l'enfant et l'adulte ayant recouru à une GPA réalisée à l'étranger que la transcription doit être faite sur l'état-civil d'un Etat dont le Droit prohibe la GPA. Le Droit européen s'oppose en cela au Droit de certains Etats américains, principalement la Californie. La CEDH est hostile à la vente d'enfant et considère par exemple comme contraire aux droits de l'enfant l'adoption d'un enfant par contrat. La CEDH reconnait le légitime pouvoir de chaque Etat signataire de la Convention européenne des droits de l'homme de prohiber la GPA, en ce que cela correspond à "ses valeurs fondamentales". De la même façon, l'ONU assimile la GPA à une violence faite aux femmes et à une vente d'enfant.

Dans le même temps, parce que c'est le Droit commun de la filiation, et dès l'instant que l'on ne fait plus jouer la théorie de la fraude, la CEDH pose que si l'homme est génétiquement le père de l'enfant (usage du sperme), alors le lien de filiation doit être reconnu par l'officier d'état civil français. Ce que la Cour de cassation a donc admis par deux arrêts d'Assemblée plénière du 3 juillet 2015, la fraude ne pouvant plus bloquer cette application du Droit commun de la filiation.

Puis, toujours en application du Droit commun, le conjoint ou la conjointe du père peut adopter l'enfant. Cela fût confirmé par la Cour de cassation, dans un arrêt de sa Première chambre civile du 5 juillet 2017, appliquant le Droit commun. La même Première chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 12 septembre 2019  souligne qu'en application de la CEDH la procédure d'adoption doit être préférée parce que le juge qui seul peut prononcer une adoption contrôle le respect de l'intérêt de l'enfant. 

Mais cela ne satisfait pas du tout l'industrie de la GPA, qui veut mettre dès le départ dans le "package" vendu sur Internet une filiation immédiate, non appuyée sur le lien biologique, sans nécessité d'un "père", supposant donc qu'il pourrait y avoir aussi une "mère" et sans qu'il soit besoin après et dans le pays d'aller se soumettre à un juge pour solliciter une adoption. Le fait de ne pouvoir offrir dans le contrat avec l'enfant la filiation qui va avec abaisse l'attractivité de la prestation proposée par les agences, les cliniques et les conseils juridiques qui constituent cette industrie de la GPA.

Elle a donc diffusé depuis des années l'idée que ce qui ferait la filiation ce serait seul "l'amour" et le "projet" que l'on a de l'enfant, ce qui permettrait d'effacer complètement la femme, à laquelle il ne faut surtout pas penser (en raison des violences qu'elle subit dans les usines à bébé). L'industrie de l'Humain, et ses multiples conseils, avocats et relais dans la presse, veut une "transcription automatique". Tout viendra du contrat, c'est-à-dire du Marché. L'argent pourrait encore s'accroître, les femmes encore plus disparaître, n'être plus que machine à engendrer l'objet de tous les désirs : le bébé. Pour lequel nous versons sans remord, scrupule ni conscience de l'argent aux agences (britanniques, russes, américaines, principalement).


Le Droit ayant pour définition la protection des personnes et n'étant pas la simple technique de rédaction de contrat, est hostile à cela.
Et il résiste. L'offensise a été lancée le 3 octobre 2019. Par un amendement voté la nuit par 18 députés à la loi bioéthique, la transcription deviendrait "automatique" : aucune condition, aucun contrôle. La filiation viendrait par le seul fait d'un état-civil étranger.


La date du 3 octobre 2019 avait été choisie parce que la Cour de cassation rendait le 4 octobre 2019 un arrêt d'Assemblée plénière très important, répondant à une requête formulée par l'industrie de la GPA à travers le cas Mennesson, eux-mêmes dirigeant de l'Association pour la légalisation de la GPA en France, requête que les avocats de l'industrie de l'Humain craignaient de ne pas voir satisfaite. Il leur fallait donc sécuriser. En effet, sur retour de l'avis demandé par la Cour de cassation à la CEDH, celle-ci a indiqué par un avis rendu le  10 avril 2019 que la France a le droit de prohiber la GPA, de protéger la femme et l'enfant, l'enfant étant protégé par le lien de filiation à l'égard du père et notamment le mécanisme de l'adoption à l'égard du conjoint. Revenant devant la Cour de cassation, les pro-GPA affirmaient que puisque la CEDH avait écrit "notamment", il fallait que la Cour de cassation impose aussi dans le Droit français un autre mode de filiation : la possession d'état immédiatement constatée devant notaire sur déclaration des "parents d'intention" (ce qui équivaut à une transcription automatique). Mais ils craignaient de perdre. C'est pourquoi pour sécuriser l'ensemble l'amendement a été passé.

Or, les promoteurs du marché de la GPA avaient de quoi être inquiets. En effet, le 31 juillet 2019, le Conseil d'Etat avait rendu une décision posant que le Ministre de l'Intérieur est légitime à refuser une naturalisation à un étranger si celui-ci a fait une GPA à l'étranger, car celle-ci est contraire aux "valeurs" de la France (ce qui sont les termes mêmes de l'avis rendu le 10 avril 2019 par la CEDH). 


Effectivement, le 4 octobre 2019, à 14 heures, la Cour de cassation a rendu l'arrêt : elle a affirmé qu'en l'espèce, dans le cas Mennesson la filiation n'est pas établie par possession d'état. Et en opérant une substitution de motifs, la Cour considère que le cas est donc réglé, pouvant ainsi statuer sans renvoi. Elle rend donc un "arrêt d'espèce", là où il lui était demandé par les requérants à travers "l'espèce" de rendre un "arrêt de principe", c'est-à-dire d'affirmer qu'il serait possible d'établir un lien de filiation entre le "parent d'intention", alors même que celui-ci n'est pas le "parent biologique" en se prévalant de la possession d'état. Si la Cour de cassation, ouvrant cela, l'avait admis, notamment par l'argument que l'adoption est une procédure "lourde et longue", alors parce que la possession d'état peut désormais s'établir simplement devant notaire, effectivement les agences auraient pu adjoindre à leurs experts techniques quelques notaires qui auraient délivré des actes de notoriété de possession d'état, créant ainsi des filiations. Par cet acte notarial, un mécanisme équivalent à une "transcription automatique", puisqu'il aurait suffit de présenter cet acte notarial pour que l'officier d'état civil recopie le lien de filiation entre l'enfant et le parent d'intention. Mais la Cour de cassation ne l'a pas voulu, refusant de rendre un tel arrêt de principe. 

 La Cour de cassation, appliquant l''avis de la CEDH, refuse de donner au terme "notamment" utilisé par la CEDH ce sens souhaité par l'industrie de la GPA, s'en tient à l'état du Droit français, refusant de modifier celui-ci et d'ouvrir une voie d'obtention d'une filiation automatique au bénéfice des "parents d'intention" par déclaration d'une possession d'état devant notaire. 


L'industrie ayant tactiquement anticipé cet échec avait donc par avance organisé l'obtention de cette modification du Droit français  en passant l'amendement dans la nuit du 3 au 4 octobre 2019.


La garde des Sceaux Nicole Belloubet avait antérieurement à tout cela indiqué quant à elle qu'elle attendait l'arrêt de la Cour de cassation pour prendre une circulaire qui, si l'état du Droit français ne changeait pas, affirmerait que la GPA devait demeurer prohibée, pour protéger les femmes et les enfants, la voie de l'adoption, parce qu'elle est de droit commun, parce qu'il s'agit d'un jugement, étant seule visée. 

Sauf à ce que la Cour de cassation ouvre une nouvelle voie, ce que celle-ci n'a pas fait.

La circulaire doit donc pouvoir être prise en l'état du Droit positif français, validé par la Cour européeenne des droits de l'homme. Et posait que la seule voie pour établir la filiation entre un nouveau-né obtenu par une GPA réalisée à l'étranger est d'en être le père puis pour le conjoint ou la conjointe de celui-ci d'en demander au juge l'adoption. 


Quand à la manoeuvre de l'industrie de l'Humain passant par le Parlement en anticipation de son échec devant la Cour de cassation et donc son échec devant le ministère de la Justice en train de rédiger la circulaire dans les termes que la Ministre avait déjà clairement indiqué, elle a été immédiatement condamnée par l'ensemble des Groupes politiques du Parlement. Et par le Gouvernement. 

Il y a été indiqué qu'il y aurait un nouveau vote. 


Non, l'on ne peut pas désespérer du Droit.

2 octobre 2019

droit illustré

La Fontaine, l'on y revient toujours.

Si facile à lire ;

vite parcouru ;

toujours à approfondir. 

Par exemple lorsqu'on réfléchit en Droit de la Régulation et de la Compliance sur la prohibition des "conflit d'intérêts", sa détection et sa punition, l'on peut parcourir la fable La Belette entrée dans un grenier, ensuite la relire une ou deux fois encore, et puis l'approfondire. 

 

I. LA FABLE DE  LA BELETTE ENTREE DANS UN GRENIER

Damoiselle Belette, au corps long et fluet,

Entra dans un grenier par un trou fort étroit :

Elle sortait de maladie.

Là, vivant à discrétion,

La galande fit chère lie,

Mangea, ronge : Dieu sait la vie,

Et le lard qui périt en cette occasion. 

La voilà pour conclusion

Grasse, maflue, et rebondie.

Au bout de la semaine, ayant diné son soû,

Elle entend quelque bruit, veut sortir par le trou,

Ne peut plus repasser, et croit s'être méprise.

Après avoir fait quelques tours,

C'est, dit-elle, l'endroit, me voilà bien suprises ;

J'ai passé par ici depuis cinq ou six jours.

Un Rat, qui la voyait en peine

lui dit : vous aviez lors la panse un peu moins pleine.

Vous êtes maigre entrée, il faut maigre sortir.

Ce que je vous dis là, l'on le dit à bien d'autres.

Mais ne confondons point, par trop appronfondi,

Leurs affaires avec les vôtres. 

 

II. L'ENRICHISSEMENT NATUREL ET POTENTIELLEMENT EXCESSIF PENDANT LE TEMPS DES FONCTIONS ET LE CONTROLE AU TERME DE CELLES

L'on peut formuler deux observations

1. Celui qui entre dans une fonction a tendance à s'enrichir parce que cela est à portée de mains, sans qu'il y ait nécessairement intention dolosiv

Il y a un grenier avec des avantages : une société commerciale, ou un Etat. La porte en est ouverte : un concours est passé, l'administrateur est élu. L'entrée ne pose pas de problème : la Belette est de la "bonne taille". 

Mais le temps passe et la Fable ne mentionne pas ce pour quoi la valeur consommable est ainsi à portée de main de celui qui est légitimement entrée. Si l'administrateur a le "sens du service public" ou si le manager ne vise que "l'intérêt social", alors il ne prélèvera dans les intérêts à sa portée que ce qui est nécessaire pour servir la mission qui est la sienne.

Mais cela n'est pas naturel. La nature des choses et de l'âme humaine fait que la personne "en position", c'est-à-dire installé dans le grenier va puiser sans mesure, prenant à la fois pour remplir sa fonction et remplir ses propres intérêts (l'on sait que La Fontaine en écrivant La Fable pensait quant à lui à Fouquet et non à la théorie de l'agence).

Comment ne pas être sensible pour l'usage par La Fontaine du terme "discrétion" ? Dans son texte, la Belette mange "à discrétion", tandis que des savants dans des livres longs et moins bien tournés approfondissent les "marges de discrétion" à laisser à ceux qui décident et disposent des moyens sur les autres. 

Cela pourrait durer toujours puisque dans la Fable la Belette est seule dans l'espace où son action dévorante se déroule et il n'y a pas de pénurie.

Mais à un moment elle veut sortir.

 

2. Les comptes sont rendus au moment où celui qui usa des pouvoirs quitte de gré ou de force la fonction à laquelle ils étaient liés, sa situation personnelle pouvant révéler la mauvaise gestion du cumul d'intérêts 

Ici, le rapprochement entre la Fable et le Droit de la Régulation et de la Compliance est particulièrement pertinent. C'est en effet en fin de mandat, lorsque l'intéressé, qui a exercé un pouvoir en ayant les moyens d'utiliser la puissance à portée de sa main pour son intérêt, quitte sa fonction, qu'il s'aperçoit qu'il n'est "par un effet de nature" contrôlé.

En effet, son enrichissemement le rend incapable de sortir par ses propres forces de sortir sans dommage : la Belette n'est pas "de taille". Et la punition est elle-aussi naturelle et immédiate : celui qui, en conflit d'intérêts, a utilisé sa position pour servir également ses intérêts personnels, perd sa liberté et ce qui était le lieu de son enrichissement devient le lieu de son emprisonnement.

C'est pourquoi la transparence des patrimoines lorsque les responsables entrent en fonction et lorsqu'ils en sortent sont aussi des obligations structurelles du Droit de la Compliance.

 

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27 septembre 2019

Conférences

Référence générale : Frison-Roche, M.-A., Les solutions offertes par le Droit de la Compliance pour lutter effectivement contre les contrefaçons de masse, in Colloque de l'Association des Praticiens du Droit Droit des Marques et des Modèles (APRAM), La contrefaçon de masse : va-t-on un jour réussi à y mettre un frein ? Quelques nouvelles pistes de réflexion, 27 septembre 2019. 

 

Lire le programme général du colloque.

L'intervention dans ce colloque est construite notamment à partir du rapport remis au Gouvernement et publié en juillet 2019L'apport du Droit de la Compliance dans la Gouvernance d'Internet.

Elle est également contruite sur la participation à la prochaine édition, à paraître en octobre 2019 des Grands Arrêts de la propriété intellectuelle par une nouvelle rubrique : "Le maniement de la propriété intellectuelle comme outil de régulation et de compliance".  Cette publication est basée sur un Working Paper : The use of Intellectuel Property as a tool for Regulatory and Compliance Perspectives

Pour des travaux plus anciens, liant Propriété Intellectuelle, Régulation et Compliance, v. par exemple : Droit et Economie de la propriété intellectuelle

 

RésuméDans un colloque consacré aux moyens nouveaux pour réagir à la "contrefaçon de masse", l'idée ici est de partir du constat d'un accroissement de l'ineffectivité et de l'inefficacité des droits de propriété intellectuelle - et donc du Droit de la propriété intellectuelle. Le Droit étant un art pratique, ce n'est pas un simple inconvénient, c'est une question centrale.  L'on peut y pallier en améliorant les procédés juridiques Ex Post, mais l'on peut songer à trouver des mécanismes Ex Ante. Le Droit de la Régulation est Ex Ante, mais le numérique n'est pas un secteur. Une direction prometteur est donc le Droit de la Compliance, en ce qu'il est à la fois Ex Ante et non-sectoriel. L'intervention montre le fonctionnement déjà en linéament du Droit de la Compliance et la façon dont celui-ci pourrait s'appliquer pour que ces droits subjectifs-là soient efficacement protégés dans un monde numérique, qui est désormais le nôtre, et qui de fait a les moyens de les ignorer. 

 

Consulter les slides ayant servi de base à la conférence

 

 

 

Mise à jour : 25 septembre 2019 (Rédaction initiale : 17 juin 2019 )

Publications

Ce document de travail sert de base à un article paru dans les Archives de Philosophie du Droit (APD)

Résumé : Peindre si bien que la toile est un objet vivant est un exploit technique qui fût atteint par peu!footnote-1680. Francis Bacon obtînt de la toile qu'elle fasse son affaire de préserver en elle la vie, tandis que Carbonnier, avec une semblable modestie devant la toile et le métier, obtînt que la Loi ne soit qu'un cadre, mais qu'elle ne laisse pourtant cette place-là à personne et surtout pas à l'opinion publique, afin que chacun puisse à sa façon et dans ce cadre-là faire son propre droit, sur lequel le législateur dans sa délicatesse et pour reprendre les termes du Doyen n'appose qu'un "mince vernis". Ces deux maîtres de l’art construisaient des cadres avec des principes rudimentaires pour que sur cette toile le mouvement advienne par lui-même. Ainsi la Législateur créée par Carbonnier offrit à chaque famille la liberté de tisser chaque jour son droit. Mais c’est pourtant bien au Législateur seul que revint et doit revenir l’enfance de l’art consistant à tendre la toile sur le métier. Il est alors possible, comme le fit Bacon, d’obtenir un objet immobile permet que surgisse sans cesse les figures mobiles. Les gribouillis réglementaires sont à mille lieux de cet Art législatif-là. 

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Dans de nombreux écrits et entretiens, Le peintre Francis Bacon explique  son acte de peintre : c'est "préserver la vitalité de la toile".  Dans le livre qu'il consacra à celui-ci, Gilles Deleuze souligna qu'il s'agit pour Bacon que "les procédés utilisés ne contraignent pas la Figure à l'immobilité"!footnote-1611.

Avec la même amabilité pédagogique, dans de nombreux écrits et entretiens, le juriste Carbonnier explique son acte de législateur, notamment dans son recueil de textes Essais sur les lois : bien légiférer, c'et laisser la vie se déployer à travers des textes, bien après leur adoption, parce que posés sur des pages qui ne sont jamais blanches, compositions écrites qui ne sont que le "vernis" de la vie qui doit pouvoir palpiter dans ces Lois que l'on présente pourtant si souvent mais si étrangement comme "gravées dans du marbre". Alors qu'il ne s'agit pour lui tout au contraire que de "préserver" la vitalité de ce qui est sous la lettre de la Loi,  la vie de chacun, vie qui ne ressemble pas à celle du voisin, d'obtenir que la toile que constitue le système législatif soit si souple que ce système vive par lui-même après la promulgation des textes.

Mais il peut paraître forcer le trait pour trouver des éléments communs à deux personnages qui sans doute ignoraient leur existence réciproque ou à tout à le moins, bien que vivant à la même époque, ne se sont pas figurés semblables. Il faut donc avant de montrer combien leur action est semblable les mettre préalablement face à face. 

 

PREALABLE REQUIS : METTRE FACE A FACE FRANCIS BACON ET JEAN CARBONNIER

Ainsi, la famille peinte en grands traits généraux par quelques nouveaux articles du Code civil rédigés par Carbonnier pût pourtant s'épanouir après, dans chaque famille, sans qu'il soit nécessaire de réécrire le texte. L'on pourrait s'étonner que Carbonnier expressément n'aime que la Loi et non pas le pouvoir judiciaire, cette association du Droit à la Loi valant souvent rigidité ; pourtant -  et la formule le rendit célèbre -  il ne conçut le Droit que "flexible", sans pour autant reconnaître le juge comme source générale du Droit, sans lui reconnaître le pouvoir d'adoucir avec le temps le tranchant de la loi adaptée naguère, puis jadis. En effet, le volume Flexible Droit ne rassemble quasiment que des textes relatifs à des lois, tandis que dans son dernier ouvrage, Droit et passion du Droit sous la Vième République, il conteste l'emprise des juridictions sur le Droit. 

Carbonnier s'en tient à la Loi. Ces lois dont on ne cesse aujourd'hui de nous afirmer que leur qualité devrait être de ne jamais bouger.... Et d'évoquer pour mieux nous convaincre l'impératif de sécurité juridique, de prévisibilité, etc, chaque nouveau rapport sur le sujet disant la même chose que le précédent, celui-ci servant de référence au suivant. 

Ainsi, tous ces nombreux travaux nous expliquent que, dans l'idéal vers lequel il faudrait tendre, la Loi ne bouge pas dans les grandes lignes tandis que le juge, par la "jurisprudence" vient pour l'adapter et que grâce au "dialogue", voire à la "dialectique" entre législation et jurisprudence", cahin-caha on arrive à quelque chose de convenable. En pratique. Et voilà la sécurité juridique bien servie, puisqu'elle serait le seul souci. Un modèle universel à appliquer partout, à tout.

Mais cette présentation, désormais très courante et constituant par ailleurs la vulgate de l'analyse économique du droit, ne correspond pas  à la conception de Carbonnier, qui n'admettait pas le pouvoir créateur du Juge, étant,  comme Motulsky, avant tout un légiste. Car s'il posa comme question "Toute loi en soi est un mal ?", ce n'est que pour y répondre fermement  : Non, allant jusqu'à comparer dans cet article l'annonce d'une loi nouvelle à l'annonce faite par l'ange Gabriel. 

Peut-être est-ce son attachement à la Loi, son refus de considérer la jurisprudence comme source du droit, son respect pour la matière juridique elle-même qui font  que son oeuvre est aujourd'hui moins citée que les travaux de sociologues ne connaissant pas davantage la technique juridique que les économistes qui décrivent la "réglementation juridique" à adopter pour être efficace ? L'on souligne d'ailleurs que son art législatif est aujourd'hui peu repris!footnote-1606. Lorsque les lois sont écrites par des experts qui ne jugent pas utiles de connaître le droit (par exemple pour réformer les procédures collectives sur la seule base de la connaissance économique), qui pensent même utile de ne pas le connaître afin de n'être pas capturé par sa technicité, il n'est pas besoin de regarder du côté de Carbonnier.

 Il est vrai que pour faire un tableau, pour avoir la force de s'effacer devant sa toile, il faut maîtriser la technicité pour revenir à l'enfance de l'art, ambition de tous les artistes, de tous les professeurs, de tous les maîtres. Francis Bacon, par ailleurs sage lecteur des écrivains, rejetant l'opposition moderne entre traits peints et textes écrits, répéta à chaque entretien qu'il attend "l'accident" qui vient seul sortir la chair de la peau qui l'emprisonne!footnote-1659. Cette technicité de l'accident, cet inattendu préparé qui permet que la vie trouve son lieu dans la toile tendue. Carbonnier ne fît pas autre chose : tendre la toile de la Loi pour que la vie familiale puisse, dans chacune des familles que nous composons, se déployer débordant du texte qui n'est que "vernis". Mais c'est pourtant bien du Droit, comme Bacon ne contestait jamais faire des tableaux.

L'ouvrage de Carbonnier Sociologie juridique a pour thème cette présence nécessaire du Droit dans une analyse sociologique qui ne le trahirait pas le droit présenté tout en parvenant à garder ses distances : c'est-à-dire le laisser respirer, nous permettant de le regarder vivre. C'est pourquoi, comme Truffaut, il s'intéressa à l'argent de poche des enfants.

Par un jeu de miroir, Carbonnier a expliqué, par exemple à propos de la réforme qu'il conçut du Droit des régimes matrimoniaux et dont il expliqua la genèse dans un article à L'Année sociologique!footnote-1619 , que la sociologie du droit doit permettre aux lecteurs distants que nous sommes face à la seule feuille écrite de l'ouvrage de voir le droit vivant sortir des pages. Comme les historiens l'ambitionnent, l'Histoire étant matière vivante, comme l'auteur de littérature le conçoit. Carbonnier écrivit un roman sur lui-même. Un roman sur un Législateur donc. Une "auto-fiction". On connaît des juges d'une modernité absolue qui ont porté cet art à son excellence, soucieux pareillement d'écrire la vie.  

Certes, l'on pourrait souligner que si Francis Bacon signa ses tableaux, ce qui attache à lui l'oeuvre et tient la Figure qui s'y meut, ce ne fût pas le cas pour Carbonnier. Il faut déjà être érudit pour savoir que l'auteur du train de réformes du XXième siècle qui transforma le Code civil a pour patronyme "Jean Carbonnier" : le Législateur est un personnage abstrait, qui, comme l'Etat, porte toujours ce même titre, comme le Roi, et passe indifféremment de tête en tête, à l'instant mort à l'instant couronné. Celui qui regarde le tableau va l'attribuer à Francis Bacon parce que c'est écrit dessus, tandis qu' au contraire il désignera par exemple la loi du 15 juillet 1975 comme la loi réformant le droit du divorce, sans se référer à l'être humain qui l'a conçue. Oui, c'est le Parlement, qui, au nom du Peuple via la Représentation, est l'auteur des Lois. Et pas un tel ou un tel.

Ainsi la comparaison ne vaudrait pas. Mais faisons un détour par Romain Gary. L'action de celui-ci montra ce que l'on a pu appeler "le droit de la littérature", c'est-à-dire ce jusqu'où peut aller le pouvoir de celle-ci.  Son pouvoir est si grand que l'auteur peut n'y apparaître jamais!footnote-1614.  Romain Gary non seulement écrivit sous pseudonyme, ce qui lui permit de passer sous le radar de la norme juridique du Gongourt qui ne peut être donné deux fois - et qui le fût, mais écrivit lui-même un livre soi-disant écrit par son ghostwriter après la supercherie découverte - et donc soi-disant finie, disant du mal de Romain Gary, ce contre quoi il protesta mais s'engagea pourtant juridiquement de ne pas se plaindre en justice. Alors qu'il avait lui-même écrit l'ouvrage.  L'auteur peut être un fantôme, qui se démultiplie, fantôme du fantôme, ne se découvre que pour se masquer sous son visage que l'on croit découvert, etc. Mais à force de recouvrir de fumée la fumée, l'auteur lui-même disparaît : et reste alors l'oeuvre pure, la Figure qui se meut seule, parfaitement libre. Ainsi sous le masque du Législateur, c'est bien Carbonnier qui conçut et rédigea, sans jamais signer, car c'est la Loi qui parle, et jamais Carbonnier. Pas de plus grand hommage qu'un légiste puisse faire à la Loi que de disparaître sous sa lettre. Ainsi, un auteur ne se reconnait pas à sa signature, celle-ci n'est qu'un indice, pas une condition.

Il n'est pas besoin d'aller vers Law & Literrature, courant qui assèche plutôt le Droit pour le recouvrir d'une conception du Droit comme tissu de mensonges stratégiques et récits rétrospectives de justification de décisions. Non, Carbonnier, bien trop érudit et bien trop bon juriste pour aller vers une pensée avant tout critique d'un objet, fît de la sociologie pour nous donner à voir un Droit vivant et eut en même temps une conception sociologique de l'Art législatif, écrivant des lois qui capturent dans leurs lignes austères les vies quotidiennes et diverses qui viendront après l'écriture d'une loi qui n'écrit qu'en lettres capitales, générales, ne visant rien de spécial afin que le particulier demeure dans les mains de chaque individu!footnote-1607.

 Mais comment, si l'on sort le juge du jeu normatif, la Loi peut-elle être "flexible" ? Si ce n'est en dessinant des lois qui "préservent" en elles-même, dans leur "toile" même leur vitalité, qui leur permet de bouger, dans une encre qui ne doit jamais être sèche ni atteindre le marbre ? 

Pourquoi alors ne pas faire le rapprochement entre les deux créateurs, Francis Bacon et Jean Carbonnier ?

Comment même ne pas le faire, le dessein et la méthode leur sont si semblables.

Lorsque Bacon peint des scènes de la vie quotidienne comme un champ de ruine, tandis que Carbonnier ne vise "l'intérêt de l'enfant", sur lequel l'on glose tant, que comme "un clé qui ouvre sur un terrain vague"!footnote-1608, comment ne pas les rapprocher ? 

Pour les deux auteurs, la peinture pour l'un et la loi pour l'autre , l'une et l'autre doivent les arracher à leur support statique pour que s'y exprime et s'y "préserve" la vie dans sa mobilité même. Plus encore, c'est grâce à ce support, que l'on croyait immobile, que la fluidité de la vie nous apparaît. Ainsi la vie est, pour eux, l'objet commun de la peinture et de la loi. Cette définition est portée par peu de personnes, car l'on trouve si souvent dans les présentations qui sont faites du Droit l'impératif d'un choix à opérer , se mettre du côté de l'immobile ou du côté du mobile, mais pas cette conception-là d'une mobilité exprimée par  un support immobile (I). Il faut reconnaître que peu ont le niveau de maîtrise technique et de réflexion de Bacon et de Carbonnier.

Mais si l'on reprend la conception que Carbonnier avait de la loi, tout en distance, comme le ferait , selon ses propres mots,dans son propre pays un législateur "étranger"!footnote-1603 par rapport à celle-ci, lois qu'il fabriquait pourtant de main de maître, n'est-ce pas en termes de peintre qu'il la décrivait, évoquant le "cadre" qu'elle constitue et le "mince vernis" par lequel elle doit simplement toujours recouvrir la vie qui toujours prédomine, puisqu'elle en est la toile ? (II).

 

 

 

 

Les deux auteurs ont ainsi mis la vie au centre, l'un des tableaux, l'autre des lois. Pourtant deux objets immobiles, les uns faits de "toile", les autres faites de "marbre".

Mais l'un et l'autre ont voulu - en soulignant la difficulté de la tâche - réinséré de force dans l'immobilité matériellement intrinsèque de l'objet - la toile du tableau que l'écaillage de la peinture par le passage du temps abîmera, la lettre de la Loi que les réformes ultérieures récuseront - la vie. C'est-à-dire leur donner enfin leur objet véritable. Et pourtant impossible à restituer. Et ils y sont arrivés. Sans doute par leurs qualités propres : la technicité maîtrisé, la modestie, la persévérance, l'effacement devant la vie elle-même qui se déploie et occupe toute la place et "fait son oeuvre" sur le support, qui devient mobile. Ainsi les tableaux de Francis Bacon bougent comme les lois écrites par Carbonnier vivent, ce qui est naturel puisqu'elle a été directement insérée. Quelle modestie valait-il avoir pour s'effacer à ce point. 

Obtenir par prouesse technique que la vie palpite encore dans la toile, dans le texte publié au Journal Officiel. Que dans ce qui par nature est figé : la toile, la Loi, non seulement la vie palpite encore, comme par "inadvertance", comme le dit Francis Bacon, parce que la vie a la vie dure, mais parce que les maîtres qu'ils étaient étaient si délicats et si maîtres de leur Art qu'ils ont tout fait qu'elle soit l'objet même de leur travail : la toile du tableau a été pour Francis Bacon ce par quoi la vie a été rendue, le marbre de la loi a été pour Carbonnier ce par la loi la vie a été rendue.

Ainsi comme lorsque le Maître en couture retire le fil de bâti, la toile n'existe plus, le journal officile est depuis longtemps perdu, mais la vie est toujours là. Cela n'est pas un hasard, comme semblent le présenter des sociologues qui semblent se vanter de surtout ne rien connaître au Droit, parlent de "vide législateur" et demandent toujours plus de "lois nouvelles", soulignant parfois que Carbonnier était aussi quelconque en droit que mauvais en sociologie - car il y en a pour le dire.

C'est au contraire le Droit portant à sa perfection : art pratique, le Droit porte sur la vie et si par avance, dans sa conception même, il sait s'effacer devant la vie, il rejoint alors en pratique l'art de peindre car il faut bien un peintre pour mettre de force la vie sur la toile (I). Il faut pour cela un peintre, car l'on parle souvent de l'art législatif mais il convient aussi de parler des artistes qui tiennent la plume. Ceux-là ne "réglementent" pas, ils tracent un tableau qui, par l'effet des correspondance, peut laisser la vie continuer continuer à se déployer parce que l'encre n'en est jamais sèche.  De ce tableau, c'est la loi qui en forme le cadre, un cadre léger qui permet de garder des contours à ce qui est le Droit et ce qui n'en est pas. Carbonnier sût toujours que par rapport à la vie, le Droit n'était qu'un "mince vernis". Comme tout grand maître, il était modeste, dressant de grands tableaux, que furent les réformes complètes du Code civil qu'il écrivit, sans jamais oublier de ne les concevoir que comme un vernis pour que la vie trouve toujours à s'échapper, à respirer, dans le même mouvement d'une femme qui descend les escaliers ou d'un Pape qui statue sur son trône (II). 

 

24 septembre 2019

Enseignements : Droit de la Compliance

Consulter les slides servant de support à la Leçon

 

Se reporter à la Présentation générale du Cours de Droit de la Compliance.

 

Consulter le Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance.

 

Consulter la Bibliographie générale du Cours de Droit de la Compliance

 

Consulter la bibliographie ci-dessous, spécifique à cette Leçon relative aux relations entre le Droit de la concurrence et le Droit de la compliance

 

Résumé de la leçon.

A première vue, le Droit de la concurrence et le Droit de la compliance sont étrangers l'un à l'autre. En effet tandis que, dans son acception classique le premier est Ex Post le second est Ex Ante (se rapprochant ainsi du Droit de la Régulation). Plus encore le Droit de la concurrence est attaché à un organisme spécifique, "l'Autorité de concurrence", ce qui va le rapprocher du Droit de la Régulation, lequel se "repère" par l'institution d'une "Autorité de régulation", alors que le Droit de la compliance est à ce point peu institutionnalisé que l'on continue à douter même de son existence. En troisième lieu, par nature le Droit de la concurrence s'applique à toutes les "entreprises", notion très large en ce qu'elle est directement construite sur la notion d'activité, alors que le Droit de la compliance prend comme sujets de droit les "opérateurs cruciaux". 

Mais l'efficacité des techniques de Compliance a été repérée par les Autorités de concurrence qui, notamment à travers les techniques d'engagement et de "programmes" ont eu à partir des années 1990, sur le modèle du contrôle des concentrations, partie Ex Ante du Droit de la concurrence, développé d'une façno prétorienne des outils de compliance, par du "droit souple", puis les ont sécurisé en les insérant au sein même des procédures juridiquement organisées de sanction, les Autorités pouvant utiliser leur double qualité d'autorité de sanction et d'autorité de poursuite. Sans doute ce cumul d'un fonctionnement contractuel au sein de procédure juridictionnelle, par l'utilisation de programmes qui constituent à la fois des engagements spontanés mais sont aussi des contreparties d'autorisation de concentration, voire de contrepartie de clémence, voire des parties insécables de prononcés de sanction, posent à la fin des difficultés juridiques. 

Il demeure que par l'insertion du Droit de la compliance c'est un mixte de contrat et de contrainte qui est ainsi inséré. 

Par le contrat, qui libère l'Autorité de toute référence à son pouvoir par mécanisme de délégation dans la hiérarchie des normes, l'Autorité peut se transformer en Autorité de Régulation. C'est ce que les Autorités de concurrence sont en train de faire vis-à-vis des opérateurs numériques. 

Mais les Autorités de concurrence sont-elles légitimes à emprunter tout d'abord à une contrainte par le biais procédural neutre de l'accroissement d'efficacité, pour ensuite passer à une véritable contractualisation, ce qui permet de disposer des finalités pour la satisfaction desquelle elles ont été instituées ? N'est-ce pas à l'Etat, à travers un Gouvernement responsable politiquement qui doit fixer des finalités qui cessent d'être économiques? 

En effet les Autorités de concurrence rendent compte de l'exercice de leurs pouvoirs devant les juridictions du recours. Mais s'agit-il d'un contrôle de légalité externe ou d'un contrôle substantiel ? Cette question qui s'est posée à propos du contrôle des concentrations ne pose de nouveau d'une façon plus générale si la finalité du Droit de la concurrence, telle qu'elle est posée à travers ce que la Commission se permet d'appeler la "politique de la concurrence" devient à ce point politique, sans pour autant engager de responsabilité. 

Les Autorités de concurrence qui deviennent ainsi en matière numérique des "superviseurs" alors qu'elles ne sont pas des régulateurs, peuvent prétendre que le Droit de la concurrence serait une des voies pour remettre de l'ordre dans l'espace numérique.

 

Mise à jour : 24 septembre 2019 (Rédaction initiale : 31 août 2019 )

Publications

 

Résumé : En août 2019, à propos de l’incendie ravageant l’Amazonie, la ministre française de l’écologie affirme que ce fait « « n’est pas que l’affaire d’un État ». Cette affirmation dénie les postulats du droit international public (I). Cela suppose un nouveau système, reposant sur l’idée que le pouvoir de l’État sur son territoire s’efface lorsque l’objet qui s’y trouve n’est plus rattachable à cette « partie » mais au Tout qu’est l’Univers (II). Acceptons l’augure. Première question : si cela n'est pas que l'affaire d'un État, de qui est-ce donc l'affaire (III) ? Seconde question : pour anticiper les autres cas qui relève d’un tel régime, quels doivent être les critères au nom desquels le Tout devra prévaloir sur la partie et qui devra alors se charger du cas dont l’État « local » est dessaisi ? (IV). Car la perspective va au-delà de l’environnement, au-delà du Brésil, au-delà des États. Elle mène vers un  Droit de la Compliance animé par un « but monumental » qu’est le souci de l’Univers et l’humanisme. Allons-y.

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Le 27 août 2019, sur  la radio France Inter, la Ministre de la Transition Écologique Elisabeth Borne l'exprime nettement  : "Quand on est sur un enjeu tel que l'Amazonie, ça n'est pas que l'affaire d'un État".

A partir d'un cas, "l'Amazonie", le Ministre, reprenant ainsi la position du chef de l'État français,  y associe une conséquence générale : "ce n'est pas que l'affaire d'un État".

Ce n'est pas un propos banal.

Il dénie, et pourquoi pas, tout le système du Droit international public (I). Par un nouveau raisonnement qui repose sur l'idée que le Tout prévaut, comme par un effet de nature, sur la Partie (II).

En admettant cela, cela conduit à ouvrire deux séries de question. La première se rattache à l'interrogation principale suivant : si cela n'est pas que l'affaire d'un État, de qui est-ce donc l'affaire (III) ?. La seconde série de questions s'articule autour de l'interrogation portant sur les critères au nom desquels d'autres cas doivent être saisis au nom du "Tout" et comment le faire (IV).

 

I. LA REMISE EN CAUSE DU SYSTÈME CLASSIQUE DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC

Depuis toujours, mais cela ne vaut pas raison, le monde est juridiquement organisé autour de la notion de territoire, laquelle a pour corollaire la notion - déjà plus juridique - de frontière. Sur cette base repose le postulat du Droit international : des parties, prenant la forme juridique d’États, qui, s'ils ont des intérêts communs, entrent en contact (A). Certes, la notion de "droit d'ingérence" a remis en cause cela (B), mais au nom d'un altruisme qui ne détruit pas le territoire.  L'idée nouvelle qui apparaît ici est que le territoire ne serait plus qu'une partie d'un Tout, au nom duquel l'on serait légitime à parler, voire à décider à la place de l'État sur le territoire duquel un événement se déroule (C). 

 

A. Le postulat du Droit international public (et privé) : des parties (États) qui en raison d'intérêts communs sont en contact

La notion d'État comprend dans sa définition même la notion de territoire (un territoire, une population, des institutions). 

Ainsi l'État régit à travers ses institutions ce qui se passe sur son territoire. Par exemple s'il y a un incendie, ou un risque d'incendie, l'État prend des dispositions à travers tous les instruments juridiques, financiers, techniques et humains dont il dispose. Il rend des comptes de ce qu'il fait à travers sa responsabilité politique et juridique. 

Lorsque ce qui se passe sur son territoire excède celui-ci, de fait (épidémie, catastrophe aux conséquences dépassant les frontières, migrations, etc.) soit selon sa propre opinion soit selon celle des autres États, les États, étant  des sujets de droit souverains dans le système international, agissent ensemble sur une base juridique préalablement construite : traités, bilatéraux, multilatéraux!footnote-1675, ayant éventuellement créé des zones intégrées (comme l'Union européenne ou les États-Unis) ou des institutions internationales (comme le FMI). 

Une technique particulière s'est élaborée depuis plusieurs millénaires - mais là encore l'ancienneté ne vaut pas raison : la diplomatie, ancrée dans chaque État dans un ministère particulier : le Ministère des Affaires étrangères, dont chaque gouvernement national dispose. Si un État exclut totalement un phénomène sur le territoire d'un autre, s'enclenche la procédure progressive de cessation des liens diplomatiques. 

Il peut en résulter des guerres. 

Dans le "cas de l'Amazonie" aussi bien le Président du Brésil que le Président des États-Unis s'en tiennent à la construction classique du Droit.

En effet le premier a affirmé que l'Amazonie est sur le territoire du Brésil, relève à ce titre de la juridiction (au sens anglais du terme) du pouvoir de l'État et du Droit brésiliens, d'où il résulte qu'un autre État n'a pas à venir s'en mêler. Or, le chef de l’État français prend la parole non pas en tant que cette forêt s'étend aussi sur un territoire français mais en tant qu'elle est l'affaire du Monde. Au contraire, le chef de l’État brésilien revendique l'effet de clôture qui exclut qu'un État tiers vienne prendre en charge directement quelque chose - même une difficulté - qui se déroule sur le territoire d'un autre. 

Le chef de l’État fédéral américain a affirmé que ce sont des décisions conjointes entre le président du Brésil et d'autres chefs d'État, deux sujets de droit souverain, qui doivent s'accorder pour organiser une solution pour résoudre un problème local. Car de la même façon que des États peuvent se déclarer la guerre, ils peuvent s’entraider!footnote-1676

Tout le Droit international public (et privé) repose donc sur ce postulat : des "parties" du monde, sur lesquelles ont prise des parties souveraines (États) entrent en relation car des circonstances font que quelque chose qui relève de l'un concerne un ou plusieurs autres.

C'est justement cela qui est remis en cause. La notion de "droit d'ingérence", dont on n'entend étrangement plus guère l'évocation, l'avait déjà fait. Mais sur un autre fondement.

 

B. Le "droit d'ingérence" : idée qu'un État peut se mêler directement de ce qui se passe dans un autre État, idée qui ne remet pas en cause le postulat du DIP, idée qui repose sur autre chose : un "droit pour autrui"

Le "droit d'ingérence", c'est l'idée que sur certains territoires, il se passe des choses inadmissibles.

Dans un souvenir du jus cogens, sorte de "droit naturel" du Droit international public, Autrui, c'est-à-dire un autre État, peut venir se mêler de ce qui se passe sur un territoire pourtant fermé, sans déclarer la guerre à l’État qui garde celui-ci. 

C'est le besoin d'autrui, par exemple ceux meurent en masse sur ce territoire, ou bien la nature qui est dévastée dans l'indifférence de l'État sur le sol duquel la catastrophe se passe, qui fonde ce "droit" d'un autre État de venir prendre les choses en main.

Le fondement de ce "droit" est donc un "devoir". 

 

C. L'idée nouvelle : un territoire n'est qu'une partie d'un Globe, dont le destin est l'affaire de tous

L'idée est nouvelle car elle n'est pas fondée sur l'altruisme. Et pas plus sur l'intérêt propre. Pourtant, de fait et de Droit, l'Amazonie n'est pas sur le seul territoire du Brésil.

La France est particulièrement bien placée pour dire quelque chose à son propos puisqu'une partie de l'Amazonie est sur un territoire français.

Ainsi l'inaction du principal concerné qu'est le Brésil affecte directement l'intérêt de la France, une "forêt" étant un bloc qui ne peut être divisé. Si nous étions en Droit des biens, nous dirions que nous sommes en indivision avec le Brésil et qu'à ce titre, avec les autres États sur les territoires desquels cette forêt s'étend, une solution doit être trouvée. 

En raison de l'indivisibilité de cet objet particulier qu'est la forêt!footnote-1644, il faut que les États dont le territoire est concerné aient voix au chapitre.

Mais ce n'est pas cet argument qui est avancé par la France, notamment par le Président de la République.

Il est affirmé que le monde entier est concerné par le sort de l'Amazonie. L'on pourrait dire qu'à ce titre, lorsque ce que l'on pourrait désigner comme une "forêt globale" est bien traitée, sa gestion relève effectivement du pouvoir du Brésil, des entreprises brésiliennes et de l'État brésilien, mais lorsqu'elle est maltraitée au point de voir son avenir compromis, lorsque des feux risquent de la faire disparaître, alors elle apparaît comme n'étant pas localisée au Brésil mais étant localisée dans le Monde, dont le Brésil n'est qu'une partie!footnote-1648.

Ce raisonnement, qui donne alors voix au chapitre à tous, car dans le Monde chaque État y figure, est un raisonnement nouveau. 

La théorie économico-politique des "biens communs" n'en rend pas compte, car celle-ci est peu juridique!footnote-1656

 

II. LE NOUVEAU RAISONNEMENT QUI AFFRONTE LE RAISONNEMENT CLASSIQUE DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC

Le nouveau raisonnement repris aujourd'hui par la Ministre consiste à dire que l'Amazonie ne concerne pas que le Brésil. Cette forêt-là devrait donc être directement rattachée au Monde (A). Il s'agit d'un changement bienvenu du système, mais qui repose sur un paradoxe (B). 

 

A. Lorsque l'Amazonie est en danger de mort, alors elle ne devrait plus être rattachée à la partie du Monde qu'est le Brésil, mais directement au Monde

C'est le "poumon" de la planète, c'est "l'avenir" de l'Humanité. En cela, cela ne peut concerner qu'un seul État, pas même celui sur le territoire duquel est situé ce "bien d'humanité"!footnote-1643

A ce titre, sans qu'il soit besoin de déclarer la guerre au Brésil, un autre État peut prendre la parole, par exemple l'État français à travers celui qui le représente dans l'ordre international, c'est-à-dire son Président, pour dire ce qu'il faut faire, puisque selon lui le Président du Brésil ne dit ni ne fait ce qu'il est absolument besoin de faire pour l'ensemble de la planète et pour l'avenir de l'Humanité. 

C'ela induit un renouvellement complet des institutions internationales. 

En effet un rattachement direct au Monde et non plus au Brésil donne à l'objet forestier un statut particulier en raison d'un objectif qui dépasse le Brésil : sauver l'Amazone s'imposerait car il s'agirait de sauver le Monde. Dès lors, cela ne peut plus être l'affaire du Brésil, qui en serait comme "dépossédé" par un objectif qui s'impose à lui : sauver la forêt amazonienne, alors même qu'elle est principalement sur son territoire, tandis que d'autres États deviennent légitimes à disposer de cet objet, quand bien même la forêt ne serait en rien en partie sur leur territoire, quand bien même ils n'en seraient pas affectés dans leurs intérêts propres.

Cela contredit tout le Droit international public!footnote-1645 ; car l'accord des représentants politiques du Brésil n'est plus requis et personne n'évoque pourtant la nécessité de faire la guerre au Brésil,et heureusement !

Un tel bouleversement justifie qu'une telle affirmation ne soit acceptée qu'avec difficulté. L'on comprend mieux qu'en première conséquence, qui n'est pas si anodine,  l'une des premières règles de la diplomatie qui est la politesse, entre les chefs d'Etat, à l'égard des conjoints de ceux-ci, ait volé en éclat!footnote-1657, que les propos aient dérapé sur des questions personnelles, etc. 

 

B. Un changement bienvenu mais paradoxal de système 

Pourquoi pas changer de système ? 

Cela est difficile à admettre, non seulement parce que cela est brutal, mais parce que cela est paradoxal. 

Le paradoxe est le suivant. L'on reconnait que le thème de la disparition des frontières par la "globalisation"!footnote-1647 ne restituait plus aujourd'hui les faits!footnote-1646, notamment pas la réalité chinoise, la digitalisation ayant tout au contraire permis la construction de frontières plus solides encore. Ce que l'on appella la "globalisation" appartient désormais au passé!footnote-1660. Il s'agirait donc aujourd'hui de reconnaître d'un côté la réalité des frontières - qui n'avaient pas disparu ou qui renaissent - mais ce n'est que pour mieux les enjamber, puisque du Monde les Etats, pourtant chacun dans leurs frontières, seraient légitimes à se soucier en aller se mêler directement des affaires des autres.  

Le paradoxe est donc constitué par d'un côté la récusation de l'allégation d'une disparition de fait des frontières par une interdépendance économique, la technologique ayant dénié la "globalisation" comme fait !footnote-1649 et  la résurgence des frontières permettant aux États d'affirmer plus que jamais qu'ils seraient "maîtres souverains chez eux", ce qui devrait logiquement aboutir à laisser le Brésil décider pour l'Amazonie, tandis que pourtant de l'autre côté on assiste à la remise en cause du postulat du Droit international public comme reconnaissance des souverainetés et construction à partir des accords entre États, requérant l'accord de l'État dont le territoire est concerné (sauf  guerre), remise en cause qui conduit à permettre à tous de se mêler du sort de l'Amazonie, comme s'il n'y avait pas de frontière.

Ce paradoxe conduit à se poser deux questions.

La première question est : si "ce n'est pas que l'affaire d'un État", de qui est-ce l'affaire ?

La seconde question est : après le "cas de l'Amazonie", quels sont les autres cas ? Et comment va-t-on leur apporter des solutions, si l'on ne dispose plus des solutions du Droit international public, c'est-à-dire l'accord du pays dont le territoire est concerné et auquel l'on ne veut pas faire la guerre ? 

Si l'on a les idées claires sur les réponses à apporter à ces deux séries de questions, alors parce qu'effectivement lorsque l'avenir de tous est en cours cela ne peut être l'affaire d'un seul État, il est nécessaire de remettre en cause le Droit international public. Mais a-t-on les idées claires sur ces deux questions ? Et a-t-on des pistes quant aux solutions envisageables ? 

 

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