Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance

Philosophie

Les idées mènent le monde, y compris dans l’époque désenchantée où nous vivons, car le désenchantement est une idée wébérienne. Ainsi, la Régulation se présente trop souvent, comme le fait le marché, comme un état de nature, les deux étant corrélés puisque la régulation serait simplement la réponse à une défaillance du marché. En réalité la régulation obéit à une certaine conception de l’État, des biens communs, des bienfaits attribués à la concurrence, de l’équilibre à maintenir ou non entre la concurrence et d’autres principes, de l’équilibre entre les pouvoirs politiques etc. : autant d’idées philosophiques.

Si l’on doit rattacher la Régulation à une philosophie plus particulière, il s’agirait d’une philosophie d’économie libérale, qui pose que dans l’ordinaire, sur des biens ordinaires, l’offre et la demande produisent un résultat satisfaisant l’offreur et le demandeur, la vie économique ne résumant d’ailleurs pas la vie de la personne. Mais la Régulation est une philosophie car, indépendamment des défaillances techniques de marché, qualifier ou non un bien « d’ordinaire » est une position philosophique. Ainsi, la formation des personnes ou le niveau de protection de la santé des individus et la prise en charge du groupe social et de la prise en charge de ce service, est une position politique que reflète la Régulation. C’est pourquoi la régulation ne peut pas être seulement enfermée dans la science économique, dont le droit ne serait que la traduction.

De la même façon, la régulation, parce qu’elle est la réponse scientifique aux défaillances de marché ne peut pas être le pur et simple bras séculier d’une volonté politique, car la théorie économique doit faire valoir sa voix. Philosophiquement, la Régulation est donc une figure complexe, un triangle dont les pointes sont le droit, l’économie et le politique, dont aucune ne peut prétendre avoir entièrement prise sur les autres.

 

Poste

La poste désigne l’activité économique d’acheminement des lettres et colis. Le droit communautaire a libéralisé l’activité postale en ce qui concerne les colis d’une certaines dimension, les courriers rapides ayant depuis très longtemps fait l’objet d’une activité concurrentielle, tandis que les échanges qui se faisaient par missives s'opèrent aujourd'hui par le numérique ou les communications téléphoniques.

L’activité postale ne se dirige pas pour autant vers le modèle concurrentiel, notamment parce que le port du courrier par le facteur participe au lien social tandis que  l’implantation des bureaux de postes est un élément de l’aménagement du territoire.

Mais l’obligation qu’ont les postes publiques nationales, quelque soit le pays, d’avoir une quantité très importante de bureaux de postes, d’acheminer quotidiennement des lettres, d’avoir un tarif du timbre que seul l’État fixe (puisque nous sommes dans un système de tarification et non pas de prix concurrentiel), met ces entreprises en danger. Des rapports successifs sur diverses postes ont montré que celles-ci, à force d’être contraintes de satisfaire à des obligations de services publics, auxquelles participe largement le poids des retraites de leurs employés, sont menacées de faillite.

En France les activités postales sont régulées par l’ARCEP.

Présomption

La présomption est une dispense de preuve lorsqu'elle est établie par la loi. Elle est un raisonnement probatoire lorsqu'elle est présentée devant un juge, raisonnement qui permet d'établir un fait pertinent à partir d'une preuve indirecte. Il constitue en cela un déplacement d'objet de preuve.

On distingue les présomptions légales, lorsque c'est le législateur qui a posé comme établi un fait, ce qui engendre alors non plus un déplacement d'objet de preuve, mais une dispense de preuve pour celui qui doit supporter normalement la charge de preuve.

Lorsque l'adversaire à l'allégation n'est pas autorisé à rapporter la preuve contraire à l'allégation, la présomption est irréfragable. Parce que la présomption irréfragable est une dispense définitive de preuve, elle soustrait la réalité d'un fait à l'obligation d'être prouvé. La présomption équivaut alors à une fiction. Parce qu'il s'agit d'un artefact, on affirme généralement que seul le législateur a le droit de poser des présomptions irréfragables. Ainsi, la présomption de vérité qui s'attache à la chose définitivement jugée est une présomption légale irréfragable. Celle-ci est alors une pure règle de fond, ici l'incontestabilité des décisions de justice contre lesquelles il n'existe plus de voies de recours d'annulation disponible.

A côté des présomptions légales, existent les "présomptions du fait de l'homme", expression traditionnelle pour désigner les raisonnements probatoires précités que les parties présentent au juge. Comme il s'agit de preuves véritables, ayant donc pour objet de reconstituer la vérité, elles ne peuvent pas être irréfragables, et ne peuvent entraîner qu'une alternance des charges de preuve, au détriment du défendeur à l'allégation. La présomption du fait de l'homme est toujours simple.

Si la jurisprudence établit pourtant des présomptions qu'elle pose comme incontestables, cela signifie simplement qu'elle a établie comme une règle de fond, comme la responsabilité des parents du fait des enfants, antérieurement une responsabilité pour faute présumée aujourd'hui une responsabilité aujourd'hui. Cela n'est que l'expression de la jurisprudence source de droit, c'est-à-dire de la jurisprudence au même niveau que le législateur.

____

  

Exemple concret

Une personne, A,  est retrouvée blessée sur la chaussée. Elle prétend que l'auteur du dommage est le propriétaire d'un vélo qui a freiné brutalement et l'a renversée avant de prendre la fuite. Il n'y a pas de témoin. Elle soutient qu'il s'agit de son voisin, B, dont le vélo, est endommagé. Elle démontre qu'il existe sur le bitume des traces de peinture et de pneus, qui correspondent aux entailles du vélo de B., observation faite qu'il a changé ses pneus le lendemain même de l'accident.

A soutient le raisonnement suivant au juge : je dois démontrer que B m'a renversée (objet direct de preuve), ce que je ne peux faire directement. Mais je peux prouver que son vélo est endommagé, qu'il a changé les pneus, que les entailles du vélo correspondent aux traces relevées sur le sol où a eu lieu l'accident, que B a changé ses pneus le lendemain même de l'accident : on peut, par ces preuves indirectes, présume un lien de causalité. Ainsi, la preuve est apportée non directement, mais par raisonnement.

Si le juge admet le raisonnement, comme la présomption n'est pas irréfragable, la question probatoire ne sera pas réglée, il opérera simplement un renversement de charge de preuve. B, défendeur à l'allégation, sera recevable à démontrer que ces éléments, le changement des pneus, l'endommagement de l'ossature du vélo, ont d'autre chose. S'il apporte ces preuves, alors il aura brisé la présomption simple, et le demandeur, qui supporte le risque de preuve, aura perdu le procès. S'il ne les apporte pas, alors le demandeur, grâce à la présomption, aura gagné son procès.

_______

 

Prix

Les prix résultent sur les marchés du jeu de la concurrence. Ils sont "exacts" en ce qu'ils expriment la rencontre des offres et des demandes, et sont parfois même appelés "justes prix". Les prix sont libres et constituent en cela l'indices de la libre concurrence. Un comportement anticoncurrentiel le plus simple et le plus grave est ainsi constitué par des prix anormaux. De la même façon, le marché financier a pu être qualifié par Walras de "marché le plus pur" notamment par la cotation qui cristallise mécaniquement l’instantanéité de la rencontre des offres et des demandes par la mobilité des prix.

La liberté de la concurrence et la liberté contractuelle ont comme point de conjoint paradoxal le prix, puisque tout à la fois les parties utilisent l'autonomie de leur volonté pour déterminer librement le prix, élément essentiel du contrat, et c'est pourtant le marché qui leur est extérieur qui, par sa "loi", fait éclore un "prix de marché que chaque contrat reflète.

Mais cette justesse du prix n’exclut pas qu’un prix puisse être « injuste » par exemple lorsqu’il est élevé pour le consommateur alors qu’il s’agit d’un bien nécessaire, voire d'un "bien commun" pour lequel chacun devrait avoir un "droit d'accès" et que de fait la rareté de celui-ci en a fait monter le prix. Le "prix équitable" peut alors être égal à 0, lorsqu'il concrétise un tel droit fondamental d'accès et que, plutôt que de solvabiliser la demande, le choix politique est fait de déclarer la gratuité : gratuité des musées un jour par semaine, gratuité de l'enseignement, etc.

Le montant auquel le bien va être proposé au demandeur peut résulter alors non plus tant d’un prix mais d’un tarif. L'on a quitté la logique de marché simplement concurrentiel pour entrer dans la logique de Droit de la Régulation.

Cela correspond à deux hypothèses. En premier lieu, lorsqu’il y a un monopole, par définition l’absence de concurrence excluant l’élaboration d’un prix qui suppose une pression concurrentielle, il faut élaborer un montant par calcul, éventuellement par reconstitution d’un marché hypothétique, la France s’étant particulièrement illustrée dans ses capacités à élaborer des modèles de tarification en matière électrique (par exemple la tarification Ramsey-Boiteux) ou en matière de télécommunications (par exemple les calculs de Laffont-Tirole). La tarification est un art car il faut que l’entreprise soit incitée  à ne pas se constituer de rentes excessives, tout en faisant les investissements nécessaires. Ainsi, les britanniques ont préféré les tarifications par price cap, tandis que les Français privilégient la tarification par les coûts, les institutions européens admettant les deux.

En second lieu, la tarification peut être non plus tant économique que politique lorsqu’il s’agit d’imposer un montant qui n’est pas un prix de marché au bénéfice de personnes qui n’auraient pas les moyens financiers d’entrer sur un marché. Les tarifs sociaux ne visent alors les biens régulés que si ceux-ci contiennent des biens communs par exemple le téléphone ou l’électricité, dont chacun doit disposer, même à revenus très modestes. Il s'agit alors pour le Législateur de concrétiser des droits subjectifs qu'il crée, comme le "droit à l'électricité".

Profession libérale

Les professions libérales telles que les avocats, les médecins ou les comptables sont organisées en ordres professionnels et estiment ne pouvoir être réduites à de simples entreprises opérant sur des marchés, car le service qu’elles offrent comprend une dimension humaine et morale, que traduit leur déontologie, sous la surveillance de leur organisation professionnelle interne, à travers notamment en ex ante leur pouvoir d’adopter leurs normes propres de comportement, et en ex post, le pouvoir disciplinaire de leur ordre.

Le droit de la concurrence réfute cette organisation issue de l’Ancien Régime et estime purement et simplement les marchés du droit et de la médecine, les cabinets étant des entreprises qui s’y font concurrence, et ne devant pas s’entendre ni fixer des numerus clausus etc.

Dans la perspective de la Régulation, les professions libérales sont au contraire les plus propices à organiser une autorégulation dans une économie globalisée dès l’instant qu’elles donnent à voir un système de surveillance crédible, et méritent ainsi la confiance des clients, des États et des régulateurs publics.

Profession libérale

Les professions libérales telles que les avocats, les médecins ou les comptables sont organisées en ordres professionnels et estiment ne pouvoir être réduites à de simples entreprises opérant sur des marchés, car le service qu’elles offrent comprend une dimension humaine et morale, que traduit leur déontologie, sous la surveillance de leur organisation professionnelle interne, à travers notamment en ex ante leur pouvoir d’adopter leurs normes propres de comportement, et en ex post, le pouvoir disciplinaire de leur ordre.

Le droit de la concurrence réfute cette organisation issue de l’Ancien Régime et estime purement et simplement les marchés du droit et de la médecine, les cabinets étant des entreprises qui s’y font concurrence, et ne devant pas s’entendre ni fixer des numerus clausus etc.

Dans la perspective de la Régulation, les professions libérales sont au contraire les plus propices à organiser une autorégulation dans une économie globalisée dès l’instant qu’elles donnent à voir un système de surveillance crédible, et méritent ainsi la confiance des clients, des États et des régulateurs publics.

Propriété intellectuelle (PI)

La propriété intellectuelle est un droit exclusif conféré par le droit à l’auteur d’une œuvre (propriété littéraire ou artistique) ou d’une invention technique (propriété industrielle), qui permet à celui-ci d’interdire aux autres de dupliquer ce qu’il a produit sans son consentement.

Ce droit exclusif contrarie le système concurrentiel, dans lequel la copie est un comportement ordinaire, forme de circulation, d'accroissement des richesses, situation propice à l'innovation. Les tensions sont donc fortes entre droit de la concurrence et propriété intellectuelle et les autorités de concurrence ont tendance à voir des abus de position dominante là où par exemple les laboratoires pharmaceutiques estiment qu’ils revendiquent l’usage de leur droit de propriété intellectuelle. Le numérique donne lieu à des affrontements théoriques et pratiques de même ampleur.

Mais si l’on insère intellectuellement la propriété intellectuelle dans la Régulation, l’État ne confère plus ex post ce droit exclusif pour récompenser l’auteur d’avoir créé ou inventé. D’une façon plus dynamique et plus globale, la propriété intellectuelle est pour l’État un outil de politique publique incitative pour conduire les agents économiques à innover par la perspective d’en recevoir les fruits financiers accrus par l’absence de concurrence pendant plusieurs années.

Par exemple actuellement en matière de brevets, les économistes n’envisagent ceux-ci qu’intégrés dans une politique conduite par l’État.

Il en est sans doute encore différemment en matière de propriété littéraire et artistique qui en reste à une vision plus romantique d’un artiste dont le ressort n’est pas l’appât du gain mais le désir du beau et qu’il ne convient pas d’inciter à créer. Cela a sans doute nuit dans la perspective de création d’industries dans le secteur culturel. Le numérique est en train de faire converger les deux schémas, peut-être vers la même obsolescence.