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âș RĂ©fĂ©rence complĂšte : Frison-Roche, M.-A., La Mondialisation vue par le Droit, document de travail, mai 2017.
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đ€ ce document de travail a dans un premier temps servi de base Ă un rapport de synthĂšse proposĂ© dans le colloque organisĂ© par l'Association Henri Capitant, dans les JournĂ©es internationale Allemandes sur La Mondialisation.
đ Il sert dans un second temps de base Ă l'article paru dans l'ouvrage La Mondialisation.
đ Dans sa version anglaise, il sert de base Ă l'article Ă©crit en anglais (avec un rĂ©sumĂ© en espagnol) Ă paraĂźtre au BrĂ©sil dans la Rarb - Revista de Arbitragem e Mediação (Revue d`Arbitrage et MĂ©diation).
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Dans ce Working Paper, sont insérées des notes, comprenant des développements, des références et des liens vers des travaux et réflexions menés sur le thÚme de la mondialisation.
Il utilise par insertion le Dictionnaire bilingue du Droit de la RĂ©gulation et de la Compliance.
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âș RĂ©sumĂ© du document de travail : La mondialisation est un phĂ©nomĂšne dĂ©routant pour le juriste. La premiĂšre chose Ă faire est d'en prendre la mesure. Une fois celle-ci prise, il est essentiel que l'on s'autorise Ă en penser quelque chose, voire que l'on s'impose d'en penser quelque chose. Par exemple sur le caractĂšre nouveau ou non du phĂ©nomĂšne, ce qui permet dans un second temps de porter une apprĂ©ciation sur ce qui est en train de se mettre en place. Si en tant que le Droit peut et doit "prĂ©tendre" dĂ©fendre chaque ĂȘtre humain, prĂ©tention universelle ayant vocation Ă faire face au champ mondial des forces, la question suivante - mais secondaire - se formule alors : quid facere ? Rien ? Moins que rien ? ou bien rĂ©guler ? Ou bien prĂ©tendre encore que le Droit remplisse son office premier qui est de protĂ©ger la personne faible, y compris dans le jeu de forces qu'est la mondialisation ?
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âș Lire le document de travail complet—ïž
La mondialisation est un phénomÚne déroutant pour tout un chacun. Il l'est sans doute davantage encore pour le juriste pour lequel les mots sont des actes normatifs et qui bute sur la définition de la mondialisation!footnote-927.
C'est peut-ĂȘtre pour cela que les juristes sont comme impressionnĂ©s par l'argument de la mondialisation, souvent Ă©voquĂ©e pour soutenir que le temps des lois impĂ©ratives est rĂ©volu ou que le droit romain peut bien se retourner dans sa tombe, le train de la mondialisation passerait sur le cadavre du Code civil. Plus la notion est mystĂ©rieuse, plus elle a de noms, plus elle fait reculer le juriste de bonne tradition, la mondialisation Ă©tant comme upgradĂ©e lorsqu'elle se dĂ©signe comme "globalisation", le zeste de l'anglais aboutissant Ă la globalization qui parsĂšme tant de rapports.
Si l'on reprend la vague, il est opportun tout d'abord de prendre la mesure de ce qu'est du point de vue du Droit la mondialisation (I). Cela n'est pertinent que l'on pose l'utilitĂ©, voire la nĂ©cessitĂ©, de penser quelque chose de ce mouvement de mondialisation (II). Il existe un impĂ©ratif juridique de formuler une apprĂ©ciation si l'on pose que le Droit a pour mission de protĂ©ger tout ĂȘtre humain, souci portĂ© par le Droit. Ensuite, parce que le Droit est aussi une technique, l'on peut se poser la question du Quid facere ? Mais en mĂ©thode, l'on ne saurait pas dire que sous prĂ©texte que le champ des forces mondiales est trĂšs puissant et que le Droit paraĂźt bien faible dans ses prĂ©tentions Ă protĂ©ger tout ĂȘtre humain dans sa dignitĂ©, il doit pour cette raison disparaĂźtre de la scĂšne mondiale (II).
C'est au pied du mur de la mondialisation que l'on peut aujourd'hui et maintenant mesurer la prétention du Droit à défendre encore l'humain.
I. PRENDRE LA MESURE DE LA MONDIALISATION DU POINT DE VUE DU DROIT
A travers l'ensemble des études thématiques nationales, des études thématiques générales et des débats, des mesures sont apparues. La premiÚre est de savoir si la mondialisation perçue du point de vue du Droit est un phénomÚne nouveau ou non (A).
A.PRENDRE LA MESURE DE LA MONDIALISATION DU POINT DE VUE DU DROIT COMME PHĂNOMĂNE NOUVEAU OU NON
On ne cesse de dire que la mondialisation est un phĂ©nomĂšne tout Ă fait nouveau. Mais n'est-ce pas le travers de penser que nous vivons seuls des choses que les autres n'ont pas connus (1) ? En observant les diffĂ©rents pays, il apparait que les pays qui par leur histoire sont "ouverts" sont passĂ©s du droit comparĂ© au droit mondial (2), tandis que les pays "clos" sur eux-mĂȘmes luttent contre un droit mondial perçu comme une sorte d'agression (3). Face Ă cette sorte de respiration, des systĂšmes juridiques sont "portĂ©s" par la vague (4).
1° Le goût de se sentir dans les habits neufs de la mondialisation
Peut-ĂȘtre subissons-nous Ă propos de la mondialisation comme pour beaucoup d'autres choses une "illusion d'optique", liĂ© au fait que l'on croit toujours appartenir Ă une gĂ©nĂ©ration vivant du "radicalement nouveau", ce qui rejette les gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes dans le tombeau du radicalement dĂ©passĂ© et nous permet de nous prĂ©valoir d'une rĂ©volution, phase exaltante qui transforme en hĂ©ros quiconque la vit.
Le "sentiment de nouveautĂ©" est partagĂ© par beaucoup de juristes, qui affirment aisĂ©ment que plus rien n'est comme avant, que tout doit ĂȘtre repensĂ© et que justement ce sont eux qui vont repensĂ© le Monde puisque le Monde est dĂ©sormais mondialisĂ© et qu'ils en sont le centre!footnote-776.
La modestie du Droit, qui n'est jamais qu'un renvoi à la modestie du juriste, ne serait alors plus de mise car dans la déferlante du monde qui fond sur les systÚmes nationaux. Le "juriste global" qui comprend la "loi du monde" en serait le nouveau maßtre. TrÚs concrÚtement, l'arbitre international serait la figure bien immodeste de la mondialisation vue du droit.
L'on mesure ce que ce "sentiment de nouveau" a d'enfantin, bercĂ© peut-ĂȘtre davantage par un vocabulaire nouveau que par des phĂ©nomĂšnes nouveau. Un vocabulaire forgĂ© dans la langue anglaise et c'est en termes de Soft Law que l'on nous en parle, la mondialisation prenant ainsi la forme d'un long fleuve de droit discursif, aimable, savant, interminable. Dans ce flot de jurisprudences qui se dĂ©versent de tout cĂŽtĂ©, l'on comprend que le philosophe qui soit aujourd'hui Ă©voquĂ© soit davantage HĂ©raclite que Platon, philosophe de l'unicitĂ© des idĂ©es.
Mais l'examen des droits nationaux montre que le soleil a déjà caressé bien des fois les mouvements décrit et que le phénomÚne ne parait pas si "nouveau". L'on ne pourrait donc pas scinder le Droit et l'Histoire, le Droit et la Géographie, et le vocabulaire nouveau que l'on retrouve d'étude en étude recouvrerait une réalité ancrée dans le temps et dans le sol.
Car il faut distinguer suivant que les pays sont par leur histoire et leur situation géographique ouverts ou clos.
2° Les pays « ouverts » : du droit comparé au droit mondial
Il y a des pays "habituĂ©s" Ă la mondialisation, parce que "le tiers" a franchi depuis longtemps les frontiĂšres et s'y est installĂ©. Ainsi les pays qui furent envahis comme le BrĂ©sil, les pays qui ont accueillis les Ă©trangers au moment oĂč ils naissaient eux-mĂȘmes comme le Canada, les pays en dĂ©pendance ou "adossĂ©s" Ă un gĂ©ant comme le Canada Ă l'Ă©gard des Ătats-Unis, le Liban sorte de hub des routes et des commerces, ont toujours mĂȘlĂ© les droits comme les peuples.
Ces pays historiquement "ouverts" parce que sans doute Ă©ventrĂ©s par le mĂ©canisme de la colonisation!footnote-777 ont accueillis les droits Ă©trangers. Lors quâest venu le phĂ©nomĂšne de la mondialisation sous la forme juridique des normes mondiales amĂ©ricaines de gouvernance des entreprises, de rĂ©ception et contrĂŽle des investissements, ce droit est entrĂ© dans ces pays comme chez lui. Le Droit brĂ©silien en est exemplaire puisque la technique du Droit comparĂ© dans ces matiĂšres financiĂšres y a Ă©tĂ© d'emblĂ©e inutile, le passage s'opĂ©rant directement vers un Droit mondial, incorporĂ© sans qu'il ne soit plus nĂ©cessaire de se rĂ©fĂ©rer aux Droits des uns et des autres.
Le Roi est mort, vive le Roi ! Dans ces pays ouverts, le Monde est chez lui. L'on comprend mieux l'agilité du Brésil et de ses juristes dans les contentieux devant l'OMC. Mais cela n'est exact que pour les normes mondiales du libre-échange, de la finance et des sociétés gouvernées par elles (sociétés cotées) ou pour l'environnement!footnote-778. Lorsqu'il s'agit des étrangers, ceux que l'on ne peut définir que comme des tiers, alors la Politique reprend en main les rÚgles et les façonne.
3° Les systÚmes juridiques « clos » : du droit comparé à la réaction face à "l'agression"
Les systĂšmes juridiques qui n'ont pas connu la perturbation longue de la domination, voire qui sont ceux qui l'ont pratiquĂ©e, sont "clos" et invoquent longuement leur "souverainetĂ©"!footnote-780, par exemple normatives ou juridictionnelle. La France en est le parangon. Les normes mondiales, par exemple comptables, sont ressenties comme un mouvement de conquĂȘte illĂ©gitime et subie, aboutissement d'un stratagĂšme dans lequel la perfide Albion n'est jamais loin.
Le Droit mondial qui s'exprime par le Droit financier!footnote-548, est une redondance de la dĂ©pendance : lâĂtat naguĂšre autonome, voire dominant et souvent conquĂ©rant, devient dĂ©pendant financiĂšrement et cela par des instruments juridiquement conçus par un Droit qui non seulement n'est pas connu, n'est pas familier, mais ressemble Ă un Droit britannique !
Dans cette image du conquérant-conquis, l'arroseur-arrosé se dit qu'il serait tenté de renommer le Code civil "Code Napoléon" et de démasquer ce qui est l'ennemi, non pas tant un concurrent sur le marché du droit, mais bien un ennemi en tant qu'il exprime des valeurs marchandes contraire à celles des pays de droit continental, qui exprimaient eux des "valeurs".
La technique du droit comparé est alors de nouveau vantée comme enrichissement d'un droit qui reste résolument national, et dont la force se déploie dans des relations diplomatiques classiques. Cela n'est possible que si une force politique porte le Droit.
4. Les systÚmes juridiques "portés" par la mondialisation
Dans la vague de la mondialisation, les gagnants sont bien connus, Ă savoir les Ătats-Unis et le Royaume-Uni. Certes, du point de vue du Droit, se pose la question de la poule et de lâĆuf. On se dispute pour savoir si le Droit de Common Law est transportĂ© dans les bagages de la domination Ă©conomique et financiĂšre ou s'ils forment un package, de la mĂȘme façon que l'on se dispute pour savoir si cette domination rĂ©sulte d'une adĂ©quation miraculeuse d'un droit construit sur des cas et que l'on prĂ©sente de ce fait comme "pragmatique", intervenant a posteriori et que l'on l'on prĂ©sente de ce fait comme laissant plus de place Ă l'initiative, Ă©tant ainsi source de prospĂ©ritĂ©, ou si l'on a construit la mĂ©thode de l'analyse Ă©conomique du droit et les critĂšres de classement de telle sorte que le droit amĂ©ricain et britannique dĂ©croche la queue de Mickey, personnage pour lequel la durĂ©e de la protection de la crĂ©ation artistique fĂ»t allongĂ©e. L'on ne saurait le dire, mais l'on peut argumenter dans un sens et dans un autre.
Ăvoquons plutĂŽt les problĂšmes juridiques engendrĂ©s par une telle propulsion. On peut en discerner deux.
Le premier problĂšme concerne l'Union europĂ©enne. En effet, mĂȘme si le Brexit a rĂ©vĂšlĂ© le peu d'attachement du Royaume-Uni Ă l'Union europĂ©enne, les liens vont demeurer forts. C'est en tout cas souhaitĂ© par les Ă©tablissements bancaires et financiers. En outre, le cĆur de la construction europĂ©enne est pourtant dĂ©sormais la zone euro, puisque l'Union bancaire, construite par des rĂšglements communautaire de 2010 puis par des textes communautaires de 2014, a en charge de prĂ©venir l'effondrement financier et Ă©conomique de l'Union. Or, le Royaume-Uni n'en fait pas partie et son peuple a dĂ©cidĂ© de ne plus faire partie de l'Union. Si l'on considĂšre que le droit britannique est la source mondiale du droit mondial avant tout exprimĂ© par un droit financier construit par les banques et les avocats britanniques!footnote-781, lequel pĂ©nĂštre le cĆur d'une zone europĂ©enne monĂ©taire intĂ©grĂ© dont il n'est pas juridiquement membre, cela constitue un problĂšme juridique et politique majeur.
Le second problĂšme vient du fait que la source du Droit mondial n'est pas le Royaume-Uni, n'est pas mĂȘme Londres, mais la City, ses banques, ses cabinets d'avocats et ses auditeurs, ceux qui sont Ă l'origine de l'IInternational Accounting Standards Board (IASB).
Or, la City n'est pas un pays, n'est pas un systÚme juridique, c'est un Small Word, à la fois un cercle fermé sur ses clubs et ses traditions et qui diffuse mondialement par un effet de réseaux. L'on trouve ainsi dans la mondialisation juridique le phénomÚne décrit pour le numérique : un pouvoir exercé par trÚs peu, des happy few , sur tous les autres!footnote-782. Ce "petit monde" vit à Londres ou s'y croise et parle anglais mais n'est pas nécessairement de nationalité britannique. Son point commun est davantage la compétence technique : la finance, le digital et l'arbitrage. L'argent y est la corrélation de la compétence technique et on y parle d'honoraires et d'attractivité fiscale, discussion mondiale dans un cercle à la fois étroit et ouvert.
Tout cela est-il nouveau ? Les clubs anglais sont si anciens. Pourtant, lorsqu'on évoque "l'innovation juridique" que l'on vend si bien aux étudiants, on leur présente des centres virtuels de droit financier ou des enseignements interactifs de droits de la protection intellectuelle, afin de protéger cette nouvelle richesse. Mais est-ce si nouveau?
En effet, chacun le voit, il n'est pas besoin d'une dĂ©monstration : le premier fait mondial nouveau est constituĂ© par la place premiĂšre de l'argentfootnote-783. L'argent pourrait tout ; sans argent, il n'y aurait rien. Ce fait prend notamment forme juridique. Celle-ci i est un droit financier mondial. accompagnant et Ă©pousant ce fait financier mondial, qui sculpte les sources du droit, qui permet aux personnes de circuler ou non, qui donne aux investissements premier rang dans un systĂšme dans lequel les personnes elles-mĂȘmes ne sont qu'objet d'investissement!footnote-784. Une personne qui n'a pas d'argent et ne sait ou ne peut se vendre peut-elle encore exister dans un droit mondial qui ne connait que l'argent ?
Le second fait mondial est technologique. L'espace digital est un nouveau monde!footnote-785. Le droit digital mondial accompagne le fait digital mondial. Il partage avec la finance la mĂȘme immatĂ©rialitĂ© et la mĂȘme absence de limite. Les personnes qui n'y sont pas existent-elles encore ? Le Droit peut-il empĂȘcher que la personne qui qui ne sait ou qui ne veut pas se vendre, dans ce monde qui ne connait que la valeur d'Ă©change, y survive ?
B. Prendre la mesure du point de vue du Droit de la mondialisation comme phénomÚne de "mobilité" ou de "liquidité"
La mondialisation est d'une façon tautologique un phĂ©nomĂšne gĂ©ographique puisqu'elle dĂ©signe prima facie une façon de parcourir le monde, ce que font les personnes physiques sous le mode juridique de la libertĂ© d'aller et de venir. Il y a de l'aventure et de la jeunesse dans la mondialisation. La sĂ©rie WestWord reprĂ©sente parfaitement ce grand large et cet emprisonnement virtuel oĂč l'on consomme des Ă©motions payantes sans Droit, oĂč l'on tue et l'on viole femmes et enfants!footnote-787. Mais ce dĂ©placement volontaire peut prendre la forme contrainte de la "migration"footnote-786, laquelle rencontre souvent l'autre contrainte lĂ©gitime construite par lâĂtat, par la frontiĂšre (1) Mais lorsque l'argent suit ou prĂ©cĂšde, voyageur ou migrant fortunĂ©, entreprise ou investisseur Ă©tranger, la stratĂ©gie des Ătats prend la forme de portes grande ouvertes pour la personne physique morale (2), ce qui tendrait Ă montrer que la "loi du monde" serait bien celle du seul l'argent. Loi de l'argent, loi du marchĂ©, loi de la liquiditĂ©, la mondialisation tend ainsi Ă liquĂ©fier l'espace (3). .
1° La mondialisation, liberté premiÚre ou droit fondamental d'aller et venir des personnes physiques
Ainsi le premier Droit mondial, Ă©tablissant des rĂšgles communes et de sources multilatĂ©rales, vise le transport des ĂȘtres humains et des choses. Qui ne rĂȘve encore de lâAĂ©ropostale, qui transporta ces biens si particuliers que sont les lettres, ces biens qui sont des liens entre les personnes!footnote-788 ? Les accords mondiaux de rĂ©gulation aĂ©rienne datent du dĂ©but de 20Ăšme siĂšcle, afin que les frontiĂšres nâentravent pas ce que l'on appela plus tard lâopen sky.
Le romantisme sied Ă Saint-Ex. Mais câest surtout le sens du commerce qui conduit le Droit Ă ouvrir les frontiĂšres et Ă la suite des marchands, que ceux-ci prennent lâavion, comme, avant les aviateurs, Magellan avait pris le bateau, le Droit assure le principe juridique de la libertĂ© dâaller et venir des personnes physiques.
2° La mondialisation, liberté ou droit d'aller et venir des personnes physiques ou morales
Le commerce fĂ»t et demeure la Loi du Monde. Câest celle que garde lâOrganisation Mondiale du Commerce, la bien-nommĂ©e, que la juridictionnalisation en 1995 a dĂ©pouillĂ© dâune nature diplomatique pour devenir juridique!footnote-789. MĂȘme si ce sont les Ătats, sujet de droit de lâespace international public qui sont parties aux instances contentieuses, lâon sait bien que ce sont leurs entreprises qui sont parties aux litiges. Les Ătats ne font que porter celles-ci.
Comme le commerce nâest rien sans Ă©choppe et sans production, la libertĂ© de circulation appelle la libertĂ© dâĂ©tablissement. Comme celle-ci suppose des investissements, sâest dĂ©veloppĂ© une sorte de « droit dâinvestir ».
Il ressort que ce droit subjectif, dont les entreprises seraient titulaires, non rĂ©ductible Ă la libre circulation des capitaux, impliquerait que les Ătats, en tant que sujets passifs dâun tel droit subjectif, ne pourraient ou ne devraient plus y « rĂ©sister ». Ce nouveau droit mondial Ă la non-rĂ©sistance des Ătats sâobserve Ă la fois en matiĂšre dâinvestissements Ă©trangers, neutralisĂ©s quant Ă leur nature Ă©trangĂšre puisqu'il faudrait les traiter juridiquement comme les investissements nationaux, et en matiĂšre numĂ©rique. En effet, par lâinvention du principe juridique de la « neutralitĂ© du net », il est possible dâinvestir sans contrainte. La "neutralitĂ©", cette invention du Droit!footnote-791 qui rĂ©invente la rĂ©alitĂ© plus fortement encore que ne le fĂźt le Droit de la concurrence!footnote-792.
Lâon retrouve ainsi dâune façon multipliĂ©e la croyance dans la « neutralitĂ© » de la propriĂ©tĂ©, comme si lâinvestissement nâĂ©tait que dĂ©sir dâargent, alors quâil est aussi, et parfois avant tout, volontĂ© de dominer et de dĂ©cider. Ce quâexprime lâentreprise publique. Lâargent a souvent lâodeur du pĂ©trole et les Droits nationaux en matiĂšre dâĂ©nergie ont tous redonnĂ© Ă la propriĂ©tĂ© ses contours politiques. Tout l'enjeu d'une Europe Ă©nergĂ©tique est dans la reconnaissance ou non de sa nature politique et de sa corrĂ©lation ou non avec le souci environnemental ou avec le souci militaire.
3° La mondialisation, comme « liquĂ©faction » de lâespace pour les ĂȘtres humains
Mais les histoires peuvent ĂȘtre moins heureuses que celle d'un renard et d'une rose Ă peine Ă©close. Finis les hĂ©ros de lâaĂ©ropostale et les galions qui reviennent chargĂ©s dâor. La mondialisation câest aussi la fuite des ĂȘtres humains qui tentent de ne pas mourir sous les balles et souvent ne parviennent quâĂ voir leurs enfants se noyer. Ne fermons pas les yeux, migrer ce nâest pas voyager, migrer câest fuir.
Lâon passe ainsi du Droit des affaires, Droit qui Ă juste titre revendique dâĂȘtre le Droit des aventureux, au Droit humanitaire, Droit des malheureux. Tous les personnages des MisĂ©rables sây retrouvent.
Que choisit alors de faire le Droit face Ă une « fuite » , que certains ont osĂ© comparĂ© Ă une fuite d'eau, qu'il s'agirait de colmater au plus vite ? Des lĂ©gislations sont prises, des murs sont dressĂ©s dont il s'agirait de faire porter le coĂ»t Ă leurs victimes, murs qui remplacent aujourdâhui les camps. Lâanalyse Ă©conomique du droit tendant Ă remplacer dâautres thĂ©ories, câest lâapplication de la thĂ©orie mĂ©diĂ©vale de lâaubaine qui semble aujourdâhui en vogue : si le capital humain en perdition sur la terre de lâĂtat est de bonne qualitĂ©, alors lâon semble considĂ©rer que le Droit doit mettre en place une « stratĂ©gie dâaccueil des talents ».
Comme en termes galants ces choses-lĂ sont dites. Mais si ce tri est Ă©conomique, il nâen demeure pas moins un tri. Et si la personne nâa que peu de talents, peu dâinstruction, peu de santĂ©, elle cesse dâĂȘtre digne dâĂȘtre accueillie ?!footnote-793 A lire les lois rĂ©centes qui ne rejettent pas ni nâaccueillent en bloc mais procĂšdent par tri, câest un tamis que le Droit pose donc sur les personnes. Petit poisson, dommage pour toi si tu nâes pas retenu.
Car les mĂ©taphores de lâeau, du courant, du tsunami, du filet de pĂȘche, de la pĂȘche miraculeuse des talents, sâimposent. En effet, la mondialisation en faisant exploser les frontiĂšres en neutralisant les Ătats, puis en les mettant en position de choisir lorsquâil y a fuite celles des gouttes quâil est habile de recueillir, a liquĂ©fiĂ© lâespace mondial, transformant les ĂȘtres humains Ă nâĂȘtre eux-mĂȘmes que des gouttes dâune immense marĂ©e!footnote-794.
En cela, la mondialisation, quâelle soit sous la forme des Ă©changes, sous la forme de lâinvestissement ou sous la forme paradoxale de lâaccueil des migrants, a pour forme le MarchĂ©, et plus particuliĂšrement le marchĂ© financier, dont la liquiditĂ© fait la qualitĂ©.
Mais le Droit peut ne pas se fondre dans le marchĂ©!footnote-795. Des « politiques migratoires » existent, qui continuent de prendre comme critĂšre premier lâĂȘtre humain, et non pas l'intĂ©rĂȘt qu'il reprĂ©sente, ne le dĂ©gradant donc pas en "actif". Il y a alors un affrontement entre le phĂ©nomĂšne de mondialisation et le Droit, dans le statut qui demeure ou qui est pulvĂ©risĂ© de la "Personne". Cet affrontement se dĂ©cline encore en ce que le premier entend ĂŽter toute pertinence Ă la construction mĂȘme des systĂšmes juridiques en branches du droit, Ă travers la constitution dâun « Droit mondial ».
C. Prendre la mesure du point de vue du Droit de la mondialisation Ă travers une arborescence juridique pertinente
Pour comprendre le monde, il faut le construire a priori, Ă travers des catĂ©gories dans lesquelles se classent les faits. Cela vaut pour les systĂšmes de Common Law comme pour les systĂšmes de Civil Law. Ainsi, la question de l'arborescence des branches du droit se pose car il est possible qu'on ne comprenne pas ce qui est train d'arriver parce que nous ne disposons pas des branches du droit adĂ©quates, habituĂ©s Ă penser branche du droit par branche du droit, classement auquel sont peut-ĂȘtre rĂ©tifs les faits mondiaux (1). En effet, la tendance se dĂ©gage de penser juridiquement la mondialisation secteur par secteur (2), mais sans doute faudrait-il dĂ©gager thĂ©matique par thĂ©matique, issues directement de la mondialisation elle-mĂȘme (3).
1° La mondialisation, appréhendée branche du droit par branche du droit
La mondialisation en tant quâelle est ouverture des frontiĂšres repose sur la finance et lâinvestissement, deux branches plĂ©onastiques de la mondialisation. Elles paraissent pourtant des branches trĂšs Ă©troites du Droit : sauf Ă dire que le Droit de la famille, le Droit public, le Droit pĂ©nal, etc. nâexistent plus, le Droit mondial soit aura rĂ©trĂ©ci les systĂšmes juridiques, soit les aura pulvĂ©risĂ©s!footnote-796.
Sauf Ă dire que cette conception mĂȘme du Droit, par systĂšme articulĂ© sur des branches du droit, elles-mĂȘmes supposant des summa divisio, perspective souvent dĂ©crite de jardin Ă la française, est obsolĂšte et que face Ă la complexitĂ©, mot par lequel on recouvre souvent la confusion, il convient plutĂŽt de laisser lĂ des discussions sans fin, sans issue et sans objet pour traiter les difficultĂ©s juridiques au cas par cas. Ainsi, lorsquâon aborde les difficultĂ©s mondiales, par exemple les contrats dâĂtats, les solutions sont dĂ©gagĂ©es sans que lâon sâĂ©vertue Ă se situer prĂ©alablement dans un bloc de rĂšgnes regroupĂ©es dans une branche, notamment en droit public ou en droit privĂ©.
Il en ressort que les systĂšmes juridiques qui se sont construits par lâhumus des solutions particuliĂšres, principalement le Common Law, apparaissent plus adĂ©quats que les systĂšmes juridiques qui ont dĂ©ployĂ© les principes comme autant dâallĂ©es prĂ©alablement dessinĂ©es avant que les faits ne viennent y circuler.
Cette domination mĂ©thodologique des droits de Common Law sâassocie avec le caractĂšre ouvert des droits britannique et amĂ©ricain. Elle nâest pas dĂ©finitive. En raison de son coĂ»t et de la difficultĂ© de son maniement!footnote-797, les Droits Ă portĂ©e mondiale redeviennent principle-based.
2° La mondialisation, appréhendée secteur par secteur
Mais les droits influencés par la mondialisation sont plutÎt économiques, ils sont non pas la projection des branches traditionnelles, du Droit simplement colorées par le phénomÚne mondial, mais plutÎt la traduction directe des secteurs économiques, traduction dont le « Droit financier »!footnote-798 est exemplaire.
Câest pourquoi dâune façon plus gĂ©nĂ©rale les « droits de marchĂ© » ont tendance Ă se globaliser, comme le Droit de la concurrence, dont les principes substantiels, institutionnels et processuels sâunifient mondialement, comme le font tous les Droits sectoriels de la RĂ©gulation.
Lâon pourrait penser que la ligne de partage sĂ©pare les Droits qui demeurent tenus par lâĂtat et ceux qui sont accessibles Ă la libre disposition des parties, distinction classique du Droit international privĂ©. Cette disponibilitĂ© est visible par l'usage des contrats, ceux-lĂ seuls se mondialisant par le biais de lâarbitrage international lequel secrĂ©tant depuis toujours la Lex Mercatoria!footnote-799, tandis que les premiers restent dans les enclos nationaux!footnote-800. Mais cela nâest pas exact. Quand on observe le droit pĂ©nal, dont on affirme si souvent il est et rĂ©galien et autonome, lâon constate au contraire que le droit pĂ©nal Ă©conomique et le droit de la rĂ©pression Ă©conomique sont aujourdâhui unifiĂ©s mondialement!footnote-802.
Câest donc bien les secteurs prĂ©cis, par exemple la lutte mondiale contre la corruption ou la volontĂ© mondiale de protĂ©ger la nature pour un droit global de lâenvironnement!footnote-803 qui constituent les nouvelles lignes des arborescentes juridiques.
Ce nâest pas pourtant dire que le droit de la famille ou le droit des personnes demeurent Ă©tanches Ă la mondialisation. Et cela pour deux raisons. En premier lieu, le droit financier a pĂ©nĂ©trĂ© toutes les branches du droit, via la financiarisation de lâĂ©conomie, et la vie des personnes est aujourdâhui plus que prĂ©cĂ©demment une affaire dâĂ©conomie globale, par exemple Ă travers le droit des marques, lui aussi unifiĂ©. En second lieu, le numĂ©rique a fait naĂźtre un nouvel espace dans lequel le Droit suit le dĂ©veloppement dâune nouvelle richesse constituĂ©e par les donnĂ©es personnelles!footnote-804. Parce quâInternet est synonyme de mondialisation et constitue un espace pour les familles, les personnes, leur vie intime, leur scĂšne Ă©rotique, le revenge porn Ă©tant un mal global dont le Droit doit protĂ©ger les victimes, toutes les branches du Droit sont poreuses Ă la terrible unitĂ©!footnote-805 produite par une mondialisation qui tient son unitĂ© non pas sur les routes croisĂ©es des grands voyageurs mais sur une finance qui s'unifie pour un fonctionnement optimum, auquel le droit contribue.
Et pourtant. Comme cela fĂ»t dit lors du colloque que l'Association Capitant consacra Ă la mondialisation, « la mondialisation, câest le thĂšme du genre humain en gĂ©nĂ©ral ». Comme vient de l'affirmer de nouveau la ChanceliĂšre allemande : "Ce qui m'importe, c'est de donner une forme humaine Ă la mondialisation"!footnote-971.
DĂšs lors, dâun cĂŽtĂ© nous devons constater que le fait mondial est celui des marchĂ©s, lesquels ne se dĂ©veloppent que par un Droit sur lequel ils sâappuient, un droit technique, instrumental et unifiĂ© par lâobjet sur lequel il le porte â quâil sâagisse de finance ou de numĂ©rique -, mais nous devons aussi prendre acte que par une sorte de mouvement naturel les parlements, les juridictions, les personnes et les entreprises, veulent que les personnes soient protĂ©gĂ©es.
Le thĂšme de la mondialisation du point de vue du droit est donc celui du marchĂ© et des forces alliĂ©s que sont lâargent et la technologie face au genre humain et Ă lâarmure que le Droit lui construisit, la personne.
3° La mondialisation, apprĂ©hension par thĂ©matiques propres Ă la mondialisation elle-mĂȘme
La premiĂšre thĂ©matique vise lâĂtat, la question de la persistance de son existence mĂȘme ou de sa disparition (a). La deuxiĂšme thĂ©matique vise la pertinence du couple « guerre /paix » (b). La troisiĂšme thĂ©matique porte sur la part du Droit dans la mondialisation (c).
a. LâĂtat a-t-il encore les moyens de prĂ©tendre ĂȘtre souverain face Ă la mondialisation ?
Si la mondialisation vue par le Droit, câest un affrontement entre le MarchĂ© et la Personne, entre la puissance du premier et la faiblesse du second, entre la convoitise du premier pour le second et le penchant du second de n'ĂȘtre qu'un sujet de marchĂ©footnote-806, il y a lâĂtat. Le contrat est l'instrument du marchĂ© mais, comme lâĂ©crivait Carbonnier, lâĂtat sâinvite Ă la table des contractants. Y est-il encore assis ? De maĂźtre de maison, la mondialisation semble lâavoir transformĂ© en simple serviteur. Lorsque lâĂtat est en crise, il prend âhui lâinstrument contractuel comme une norme qui lui est imposĂ©e. Plus encore, lâĂtat est mondialement en crise lorsquâil est tant besoin dâargent quâil est dĂ©pendant des marchĂ©s, comme lâatteste le pathĂ©tique droit des dettes souveraines.
Il faudrait donc en dĂ©duire que lâargent mĂšne le monde. Le constat nâest pas nouveau. Mais lâaffirmation devient troublante : nous pourrions lâinscrire sur les frontons de nos Ă©difices, car l'argent mĂšnerait seul, de droit, le monde. Sâil en est ainsi, rĂšgne dâun droit financier notant les dĂ©biteurs souverains de la mĂȘme façon que les autres, cela signifie la disparition du Politique qui nâa plus de « souverain » que le souvenir. L'on comprend mieux que techniquement la technique de la capitalisation soit prĂ©fĂ©rĂ©e Ă la technique de la solidaritĂ© pour organiser le droit des retraites et la protection sociale!footnote-807.
Cela constitue une nouvelle forme de dĂ©senchantement du Monde, que les populations ne sont sans doute pas prĂȘtes Ă accepter, car avec elle disparaĂźt le monopole lĂ©gitime de la violence qu'elles avaient attribuĂ©s Ă lâĂtat!footnote-809, ce qui cassait la spirale initiale de celle-ci!footnote-810. Le temps de la mondialisation, si celle-ci devait ĂȘtre un monde sans droit, devrait ĂȘtre un monde de violences sans fin et sans cesse grandissante.
Car le Droit fĂ»t longtemps prĂ©sentĂ© comme le bras sĂ©culier du Politique. La mondialisation tend Ă faire disparaitre ce lien, les Ătats nâĂ©taient plus que des mendiants des marchĂ©s financiers, acteurs jugĂ©s Ă lâaune de leur seule efficacitĂ©, notamment par l'analyse Ă©conomique du Droit. MĂȘme si cette vision du Droit dans son seul rapport Ă lâĂtat Ă©tait rĂ©ductrice, la vision du Droit donnĂ©e par la mondialisation est plus encore rĂ©ductrice, voire destructrice.
Le Droit serait en effet une technique dâefficacitĂ© des Ă©changes assurant la sĂ©curitĂ© des crĂ©dits et des engagements Ă long terme. Le Droit ne serait donc quâune voie dâexĂ©cution sans aucune autonomie par rapport Ă lâobjet sur lequel il porte.
b. La mondialisation a-t-elle mis en place un « Droit de la guerre » ou un « Droit de la paix » ?
Pour poser une telle question!footnote-773, encore faudrait-il que la mondialisation nâait pas annihilĂ© lâĂtat. Or, lâĂtat nâest plus quâun dĂ©biteur-dĂ©bitant des normes dâexĂ©cution. Plus encore, le caractĂšre Ă©conomique de la mondialisation, effaçant les frontiĂšres, a tendance Ă faire disparaĂźtre le droit international, tant privĂ© que public. Et pourtant⊠Tout dâabord, il ne le faut pas. Comme RenĂ© Cassin lâaffirmait!footnote-811, construisait le droit international aprĂšs les massacres inouĂŻs de la seconde guerre mondiale, comme Kelsen le conçut Ă la mĂȘme Ă©poque!footnote-812, le droit international est conçu pour trouver la force mĂȘme dans cet espace-lĂ de protĂ©ger les ĂȘtres humains contre la force brute, celle des guerres, celles des opĂ©rateurs globaux envahissants les espaces nationaux et privĂ©s.
En effet, aujourdâhui les entreprises nâagissent pas toujours sur le mode sĂ©duisant de la publicitĂ© mondiale, elles agissent aussi pour profiter des coĂ»ts avantageux du travail indĂ©cent quand la main protectrice du lĂ©gislateur du droit travail nâest pas assez longue. Faut-il le leur reprocher ? Demain, des formes plus violentes encore apparaĂźtront. Elles sont dĂ©jĂ extrĂȘmement vives et si nous avons encore un peu dâhumanitĂ©, cela ne peut ĂȘtre sous le seul prisme dâaubaine Ă©conomique ou de gestion de voirie que nos Droits apprĂ©hendent lâarrivĂ©e des victimes de ces guerres qui ne suivent plus aucune loi de la guerre.
On rĂ©pond que lâĂtat voudrait maintenir ce que l'on dĂ©signe Ă©trangement comme sa "bĂ©nĂ©volance" et qui n'est que son rapport tautologique Ă la population qu'il protĂšge en tant qu'il est lâĂtat. Mais lâĂtat est-il si faible ? lâĂtat est partout. LâĂtat nâa jamais Ă©tĂ© aussi vivant quâaujourdâhui. Les investissements ne sont concevables que parce que des mĂ©canismes de rĂ©solution des conflits sont installĂ©s, dĂ©pendant de plano ou in fine de lâĂtat et les alliances diplomatiques entre les Ătats supports sont intĂ©grĂ©es dans le systĂšme Ă©conomique mondial. Si la corruption est elle-aussi intĂ©grĂ©e dans le coĂ»t du systĂšme, le droit mondial financier s'est surtout dĂ©veloppĂ©, et avec un niveau de contrainte jusqu'ici jamais atteint, pour lutter contre la corruption internationale et le blanchiment d'argent!footnote-813. Les institutions internationales, formes de puissance publique incontestĂ©es, sont actives et aujourdâhui lâarbitrage international donne lieu Ă des contentieux quasiment systĂ©matique devant le juge Ă©tatique. Les RĂ©gulateurs et les juges pĂ©naux sont les organes les plus puissants en matiĂšre bancaire. Ils font taire notamment les banques, qui se contentent de payer.
La question de la guerre et de paix peut donc se poser.
Commençons par celle de la paix. Car nous sommes entre amis. Câest ce qui nous explique Ă chaque instant les entreprises qui tiennent les plateformes qui nous offrent certaines lâĂąme sĆur, dâautres et en masse des « amis ». VoilĂ la « planĂšte conversationnelle » qui nous sort de notre solitude.
Facebook se soucie tant de nous et rĂ©prouve tant le terrorisme international qui nous frappe quâen cas dâattentat câest dĂ©sormais par son rĂ©seau social que nous rassurons nos amis sur le fait que nous sommes encore en vie et câest encore lui, avec ses amis que sont Apple, IBM, Microsoft, et autres proches, qui vont fusionner les donnĂ©es pour lutter prĂ©ventivement contre les poseurs de bombes. La rĂ©partition du monde entre les gentils et les mĂ©chants est reconstruite.
Dans cette volontĂ© de nous offrir mondialement la paix par un espace de convivialitĂ© numĂ©rique, il nây aurait plus besoin de lâĂtat, dont lâĂąme rĂ©pressive dĂ©testable et dĂ©rangeante serait inexpugnable. Il suffirait du « consentement » de lâinternaute. Le consentement serait la nouvelle loi du monde. On conviendra que le consentement est aussi la loi du contrat. On notera le contrat est lâinstrument du marchĂ©. On observera que le marchĂ© prospĂšre sur la "loi du dĂ©sir". On constatera que le dĂ©sir de la personne solvable y est satisfait, que la personne insolvable a pour solution pratique de satisfaire, notamment en offrant son corps, le dĂ©sir de la premiĂšre. Le marchĂ© mondial de l'humain est le marchĂ© de l'avenir. Certains s'en rĂ©jouissent, d'autres en pleurent. Mais le Droit a pour fonction de donner des droits Ă celui qui n'a pas la force de concrĂ©tiser ses dĂ©sirs autrement que par le Droit!footnote-815.
Il sâagirait dâune « paix universelles » qui serait le double neutre et prĂ©alable rendue technologiquement possible et financiĂšrement si rentable, produisant un monopole de pouvoirs, reposant sur le consentement dâun ĂȘtre humain qui, en Ă©change de ce paradis conversationnel, se dĂ©pouille de ses donnĂ©es, lesquelles ne sont rien dâautre que sa vie-mĂȘme.
Lâon doute de lâeffectivitĂ© de la part des internautes dans la gouvernance dâInternet, mais Ă la supposer plus consistante, nâest-ce pas le principe mĂȘme dâune dĂ©possession de soi-mĂȘme en Ă©change dâun peu moins de solitude dans une fraternitĂ© si illusoire et sans aucun rapport avec le principe juridique de solidaritĂ©!footnote-816, qui est inquiĂ©tant, voire Ă rĂ©prouver ?
Dâailleurs, plutĂŽt que dâĂȘtre une figure de paix, la mondialisation nâest-elle pas une figure de guerre, lĂ encore sans Droit ? Il est souvent montrĂ© que la mondialisation permet le dĂ©ploiement dâun pur rapport de forces, notamment dans la circulation ou lâarrĂȘt des personnes comme dans lâaccueil ou le refus des investissements. Plus que jamais, il faut ĂȘtre riche et beau. Lâon peut alors circuler et investir partout. Bienvenu aux sportifs et aux diplĂŽmĂ©s. Malheurs aux vieillards, aux malades, aux femmes et aux enfants.
Mais sans nous attarder dans un sujet si dramatique quâil conduirait Ă ouvrir les chiffres si dramatiques de la traite des ĂȘtres humains, câest-Ă -dire des femmes et des enfants vendus par milliers du fait des guerres et achetĂ©s par nous, occidentaux, notamment grĂące au numĂ©rique qui achĂšve de neutraliser ce qui pourrait nous rester de pitiĂ© et de morale pour nos semblables, prenons plutĂŽt une autre guerre qui se fait aujourdâhui intense du fait de la mondialisation : celle du droit de Common Law et du droit de Civil Law.
Le Common Law est en train de gagner. Il devient le « droit commun » du monde. Certes, Ă premiĂšre vue dans le seul droit des affaires. Mais comme la mondialisation, câest le droit des affaires et que les affaires dĂ©vorent les affaires des ĂȘtres humains, ce systĂšme-lĂ dĂ©vore donc tout.
Si lâon estime que les systĂšmes de Common Law nâont pas que des qualitĂ©s et quâil convient de « rĂ©agir », lâon peut tout dâabord renforcer une fraternitĂ©. Non plus celle qui unit des amis des rĂ©seaux sociaux, mais une amitiĂ© politique, comme celle entre les pays dâAmĂ©rique du Sud ou celle entre lâAllemagne et la France. Lâon peut aussi « agir » en construisant lâEurope, en retrouvant le jus comune ou par la construction de normes communes nouvelles. En tout cas, une guerre, dont on parle souvent en la qualifiant de « concurrence des systĂšmes », nâest perdue que si on la considĂšre comme telle. Elle ne le sera que si lâidĂ©al europĂ©en Ă©tait abandonnĂ©. Or, lâEurope se construit par le Droit. Mais encore faut-il mesurer la part du Droit dans la mondialisation pour crĂ©diter celui-ci dâune capacitĂ© Ă agir sur celle-ci.
c. Quelle est la part du Droit dans la mondialisation ?
Vivons-nous la mondialisation du Droit ? Ne vivons-nous pas plutĂŽt la mondialisation des juristes ? Ou plus prĂ©cisĂ©ment encore, ne vivons-nous pas plutĂŽt la mondialisation des cabinets dâavocats ?
Ce nâest pas le Droit qui a tout envahi, ce sont les cabinets dâavocats, anglo-amĂ©ricains, qui sont omniprĂ©sents. Cela nâest pas pareil. Lâon doit insister sur le fait que si les avocats parlant anglais sont dĂ©sormais partout, les normes mondiales sont peu juridiques. Elles dominent pourtant les matiĂšres juridiques. Par exemple une norme ISO a un impact beaucoup plus important que les Ă©crits du Professeur von Bar.
Cette prĂ©sence des juristes conjuguĂ©e Ă cette absence des normes classiquement juridiques ont une consĂ©quence majeure : la disparition des qualifications juridiques au profit des qualifications Ă©conomiques, technologiques et financiĂšres chez ceux qui Ă©crivent le droit, le plaident ou l'appliquent, par exemple dans les arbitrages internationaux. Apparaissent comme des normes juridiques les « plateformes », les normes sont dites « rĂ©glementaires » sans plus de prĂ©cision parce que les Ă©conomistes ne distinguent pas les sources du droit et mĂȘlent cela dans le vaste ensemble de la rĂ©gulation tous les niveaux de ce qui fĂ»t la hiĂ©rarchie des normes, les mathĂ©matiques sont le matĂ©riau direct des normes prudentielles mondiales de BĂąle.
Ainsi, la force de la normativitĂ© mondiale rĂ©side dans son absence totale de juridicitĂ© : ayant pour plume le plus souvent celle des ingĂ©nieurs et des Ă©conomistes qui insĂšrent directement les notions quâils manient dans les textes sans se soucier de leur compatibilitĂ© avec le systĂšme juridique dâaccueil qu'ils ne songent pas Ă connaĂźtre, les juristes viennent aprĂšs. Ils viennent mĂȘme en masse car une telle façon de faire ne peut que produire de nombreux contentieux : on ne comprend rien aux "rĂ©glementations" ainsi Ă©tablies et les arbitrages internationaux se multiplient, oĂč siĂšgent ensemble juristes, ingĂ©nieurs et financiers, pour leur plus grande prospĂ©ritĂ©.
De ces mouvements si profonds, que penser ?
Lâessentiel est dâen penser quelque chose. Et d'un jugement portĂ© sur la mondialisation vue du point de vue du Droit, l'essentiel est d'en tirer quelques consĂ©quences, mĂȘme si c'est pour dire que l'on y peut rien. Que le temps des honoraires est venu et que le temps du Droit serait clos.
II. PENSER JURIDIQUEMENT LA MONDIALISATION ET FAIRE QUELQUE CHOSE
Par une sorte de fatalitĂ©, il est souvent affirmĂ© que le tsunami de la mondialisation nous dispense mĂȘme dâen penser quelque chose. Il convient plutĂŽt de poser lâimpĂ©ratif juridique dâen penser quelque chose(A). Une fois quâon en a pensĂ© quelque chose, alors et enfin, lâon peut se demander ce que lâon peut faire (B)
A. LâIMPĂRATIF JURIDIQUE DE PENSER LA MONDIALISATION
Penser quelque chose de la mondialisation est un impĂ©ratif juridique (1). Lâon y renonce souvent parce que la mondialisation serait un « fait Ă©conomiquement acquis et inexorable » (2). Lâon peut pourtant construire la mondialisation comme un projet juridique en distance des faits (3).
Le Droit nâest pas quâune technique dâeffectivitĂ©, dâefficacitĂ© et dâexcellence permettant Ă un systĂšme de gagner contre un autre dans une Ă©preuve de compĂ©titivitĂ©. Le Droit est aussi un ensemble de valeurs, de valeurs coĂ»teuses, dont il nâest pas adĂ©quat de montrer seulement le caractĂšre profitable par un heureux effet de billard. Par exemple, il nâest pas adĂ©quat de se contenter de montrer que le respect de la personne des travailleurs est profitable pour lâentreprise, pour sa rĂ©putation sur les marchĂ©, pour la fidĂ©litĂ© des consommateurs, parce qu'un travailleur heureux ne fraude pas, etc. ; il faut poser quâen soi les travailleurs, en tant quâils sont des personnes, doivent ĂȘtre titulaires de droits sociaux, dans lâindiffĂ©rence du profit ou du coĂ»t que cela reprĂ©sente pour lâentreprise et de la bonne ou mauvaise image que cela projette sur les marchĂ©s financiers.
Soit on « croit au Droit », comme une expression laĂŻque du sacrĂ© et on adhĂšre Ă quelques principes, dont le premier est la protection des ĂȘtres humains par un lien indĂ©fectible avec la notion de personne, soit on nây croit pas. Celui qui nây voit quâune technique dâefficacitĂ© nây croit pas et lâon nây peut rien. A lire les rapports d'experts qui se succĂšdent, aussi bien internationaux que nationaux, l'on a l'impression que la technique juridique est de plus en plus considĂ©rĂ©e comme outil de performance et que l'on croit de moins en moins au Droit. C'est-Ă -dire Ă l'ĂȘtre humain en tant que tel.
Ne cherchons pas mĂȘme la justice immanente qui se prĂ©pare dans la violence des ĂȘtres humains qui, si cette valeur laĂŻque du Droit leur est dĂ©niĂ©e, sâils sont rĂ©duits Ă nâĂȘtre rien, que des actifs, que des objets, que des machines Ă produire, que des "machines dĂ©sirantes"!footnote-817 ou "dĂ©sirĂ©es", mĂ©caniquement disposĂ©es Ă consommer ou Ă ĂȘtre consommĂ©s, les ĂȘtres humains iront chercher dâautres valeurs, un dieu, un dieu vengeur, et le Droit ne pourra sans doute pas tenir Ă distance cette force-lĂ , pourtant illĂ©gitime!footnote-774.
Il faut donc que le juriste pense. Si la mondialisation ravale le droit Ă nâĂȘtre que technique, met au premier plan les juristes techniciens, fortunĂ©s Ă condition dâĂȘtre neutres, Ă condition de ne pas penser, en compĂ©tition avec les robots et les algorithmes, si les juristes sâen accommodent, ne dĂ©fendent pas le Droit qui dĂ©fendit Antigone, on peut le concevoir. Mais quâils pensent quelque chose. Car câest eux-mĂȘmes quâils jugent.
Mais si nous pensons si peu la mondialisation, câest parce quâelle est prĂ©sentĂ©e comme un mĂ©canisme si naturel quâon nâa pas plus Ă la juger quâon ne juge la pluie.
2. La mondialisation présentée comme un « fait économiquement acquis »
Il ne faut pas dire que la notion de « droit naturel » ne se porte pas bien. Au contraire, il nous est expliquĂ© chaque jour quâil existerait une « loi naturelle universelle » Ă laquelle nul ne pourrait Ă©chapper, ni lâĂtat ni lâĂȘtre humain : celle de lâoffre et de la demande. De ce droit naturel, le droit positif devrait avoir pour fonction d'ĂȘtre le double neutre, le recouvrirait de son efficacitĂ©, et ne pourrait s'en dĂ©marquer quâen explicitant les bonnes raisons quâil aurait de le faire.
Cette loi naturelle fonctionnerait par autorĂ©gulation, reposant sur un autre mĂ©canisme tout aussi naturel : le « consentement », les ĂȘtres humains et les organisations rationnelles â dont les algorithmes reprĂ©sentent une pointe avancĂ©e â donnant naturellement leur « consentement », si lâoffre qui leur est prĂ©sentĂ©e est adĂ©quate Ă leur dĂ©sir ou Ă leur besoin. Les opĂ©rations boursiĂšres passĂ©es par les ordinateurs programmĂ©s et la sanction par le RĂ©gulateur boursier pour des abus de marchĂ© commis par l'algorithmefootnote-818 sont exemplaire de cette subsomption du consentement sous la rationalitĂ©.
Il est vrai que la mondialisation est avant tout un phĂ©nomĂšne dâĂ©changes de biens et de services, reposant donc sur lâoffre et de la demande, qui se sont rencontrĂ©es de plus en plus massivement avec de moins en moins dâentraves, notamment grĂące Ă l'OMC, organisation devenue pleinement juridique en 1995. Cette « loi des attractions » repose sur une force naturelle, celle du marchĂ©, Ă propos de laquelle il nây aurait rien Ă penser. Les contrats par lesquels la rencontre des offres particuliĂšres et des demandes particuliĂšres se concrĂ©tisent nâauraient pas plus Ă ĂȘtre jugĂ©s.
Il est remarquable que les contrats, qui sont prĂ©sentĂ©s comme « allant de soi » dans la mondialisation, sont aujourdâhui qualifiĂ©s dâ « intelligents », alors mĂȘme quâils ne sont plus rĂ©digĂ©s par des ĂȘtres humains. Ainsi, plus la technologie Ă©limine lâĂȘtre humain et plus lâadjectif « intelligent » est utilisĂ©. Quelle ironie.
Si lâon reprend ses esprits, lâon peut prĂ©tendre concevoir un projet juridique face Ă la mondialisation.
3. Construire la mondialisation comme un projet juridique en distance des faits
Le Droit nâest ni un enveloppe transparente du rĂ©el ni une pure construction performative. Il sâappuie sur une rĂ©alitĂ© qui lui prĂ©existe mais il a la puissance dây insĂ©rer des idĂ©es qui contraignent cette rĂ©alitĂ© et construisent le futur par la volontĂ© que le Droit a exprimĂ©e. Si ce nâest pas cela, le Droit nâa pas dâintĂ©rĂȘt.
Dans cette perspective, si des faits juridiques mondiaux sont bienvenus, le Droit doit les accompagner ; sâils sont nĂ©fastes, le Droit doit les contrer ; sâils nâexistent pas et sont souhaitables, le Droit doit les construire.
Parce que le Droit est politique et nâexiste que pour crĂ©er une rĂ©alitĂ© qui lui est propre et quâil a pour fin de dĂ©fendre des ĂȘtres humains qui, sans ce masque du Droit (persona) ne peuvent le faire par leur seule force, il ne faut pas que le Droit abandonne ses prĂ©tentions face au phĂ©nomĂšne si puissant de la mondialisation. Cela serait abandonner lâĂȘtre humain faible.
B. QUI FACERE ?
La rĂ©ponse spontanĂ©e est : « rien » (1). Mais lâon peut faire mieux âŠ, et rĂ©pondre : « moins que rien » (2). Si lâon nâest pas dĂ©sespĂ©rĂ©, la rĂ©ponse peut ĂȘtre la rĂ©gulation (3) ou bien, dĂ©passant celle-ci, pourquoi pas ne pas rĂ©pondre « tout » ? (4).
On lâentend si souvent : ne faites rien, tout est jouĂ©. PrĂ©tendre encore faire quelque chose aurait quelque chose de dĂ©risoire, voire de ridicule. L'on chuchote derriĂšre votre dos OĂč est donc votre fidĂšle Sancho Pança ? La mondialisation Ă©tant un fait Ă©conomiquement acquis, il en serait de mĂȘme pour le Droit, qui n'a qu'Ă suivre, en pleine docilitĂ©.
Il est souvent soutenu quâil convient de ne plus rien faire car le droit anglo-saxon rĂšgne de par le monde et que la Loi a Ă©tĂ© depuis longtemps recouverte par un droit dâautant plus contraignant et supĂ©rieur quâil est souple et non situĂ©. Le droit souple!footnote-819 , qui ne fait lâĂ©loge, ne salue sa puissance et ne se rĂ©jouit de son universalitĂ© ?
Câest avec un certain masochisme que les observateurs du Droit continental, mais aussi les auteurs mĂȘme de ce Droit, soulignent quâenfin grĂące Ă la domination du droit anglo-saxon, nous serions « libĂ©rĂ©s du droit systĂ©matique ». Enfin, le dogmatisme serait rejetĂ©, enfin le cas par cas rĂšgnerait.
Le Droit nâaurait donc plus rien Ă faire, quâĂ accompagner dâune façon neutre les opĂ©rations Ă©conomiques une Ă une, en leur assurant la sĂ©curitĂ© par une forme contraignante et une lisibilitĂ© propre Ă ce quâon appelle si clairement la toolbox que constituerait le Droit. SĂ©curitĂ©, simplicitĂ©, prĂ©visibilitĂ©, voilĂ le nouveau triptyque. Il a l'avantage de s'ajuster et d'imposer du contrat jusqu'Ă la Constitution. Il ne faut pas en vouloir au plombier polonais quand le lĂ©gislateur lui-mĂȘme nâest quâun rĂ©parateur de tuyaux pour que lâargent y circule mieux. Les entreprises en donnent l'exemple par l'adoption de chartes internes ou communes, de portĂ©e mondiales, constituant le nouveau Droit constitutionnel mondial!footnote-821.
Et de citer un exemple de réussite : le droit mondial du sport. Un ensemble mondial unifié de droit souple, des chartes de déontologie, une agence mondiale, des associations. Un franc succÚs.
Mais lâon peut proposer mieux encore : faire moins que rien.
2. La deuxiÚme réponse possible du Droit à la mondialisation : faire moins que rien
Car ce que lâon dĂ©signe souvent comme le « Droit mondial », montrĂ© en exemple, comme le futur du Droit, apparaĂźt comme tout sauf du droit.
Prenons tout dâabord la comptabilitĂ©. La comptabilitĂ© Ă©tait le droit civil mis en chiffres, puisquâelle traduisait le patrimoine et les opĂ©rations passĂ©es et prĂ©sentes de la sociĂ©tĂ©. Elle ne lâest plus. Les normes IFRS (International Financial Reporting Standards) ont, comme leur nom lâindique, imposĂ© une comptabilitĂ© qui a pour objet de donner des informations financiĂšres prĂ©sentes et futures aux investisseurs qui doivent pouvoir Ă chaque instant acheter ou vendre les titres affĂ©rents Ă la sociĂ©tĂ©. Le droit en a Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©. Alors mĂȘme que ces normes IFRS sont mondiales et sont aujourdâhui la rĂ©fĂ©rence premiĂšre de nombreuses contrats internationaux et deviennent le modĂšle de construction des finances publiques des Ătats.
Prenons ensuite les normes de sĂ©curitĂ© technologique. Celles-ci sont mondiales et essentielles, non seulement en matiĂšre nuclĂ©aire mais encore pour tout ce qui concerne lâinformatique ou la sĂ©curitĂ© des donnĂ©es. Les nouvelles techniques, sur lesquelles le droit est pour lâinstant assez silencieux, dâEthics by design montrent que le monde prĂ©fĂ©rerait donc confier Ă des algorithmes les choix de vie ou de mort sur les victimes des accidents de la route causĂ©s par les voitures sans conducteur. Ayons une pensĂ©e pour Tunc.
Lâon pourrait prendre encore lâexemple des nouvelles normes de propriĂ©tĂ© intellectuelle, repensĂ©e par les Ă©conomies de lâinnovation, dans une perspective Ex Ante et non plus Ex Post. Ou bien le mĂ©canisme rĂ©volutionnaire de la rĂ©solution bancaire, la seule vĂ©ritable crĂ©ation de lâUnion europĂ©enne depuis ces derniĂšres annĂ©es, entiĂšrement pensĂ©e par les financiers et les Ă©conomistes de la rĂ©gulation.
Car si le droit mondial semble ne plus exister que sous la forme de normes non juridiques Ă©laborĂ©es par des non-juristes, câest avant tout dans une perspective sans cesse rĂ©pĂ©tĂ©e : rĂ©guler.
3. La troisiÚme réponse possible du Droit à la mondialisation : réguler
Cette rĂ©gulation mondiale conçue hors du Droit, dâune façon dâautant plus contraignante quâelle est souple, dans des bĂątiments de Londres ou de BĂąle sur les frontons desquels il semble Ă©crit « ici nâentrent pas les juristes », a pleine effectivitĂ©.
Avant mĂȘme dâĂȘtre transposĂ©e dans des textes de loi, qui en recopient les normes, les opĂ©rateurs les appliquent, indiffĂ©rents Ă cette derniĂšre formalitĂ©. Câest le cas pour les normes prudentielles, comme BĂąle III.
Cela peut-il tenir longtemps ? Car pourquoi pas une contrainte absolue produite par des normes produites dâune façon opaque par des auteurs inconnus et non Ă©lus dont on affirme quâelles sont sans portĂ©e mais auquel le juge fait produire des effets comme il lâentend.
Lâessentiel est que les assujettis puissent le supporter longtemps, aussi bien ceux qui sont contraints par ces normes, comme les banques par les normes prudentielles ou les opĂ©rateurs globaux par la compliance, que ceux qui dans la population voient l'impact sur eux des mĂ©canismes globaux dont ils sont exclus alors que tout sây passe.
Car cette rĂ©gulation de la mondialisation apparaĂźt Ă deux vitesses. La question juridique qui apparaĂźt alors est celle de la responsabilitĂ©. Comment les opĂ©rateurs peuvent-ils ĂȘtre contraints si violemment par les rĂ©gulateurs et rendre si peu de comptes Ă lâĂ©gard de la population ?
Les entreprises puissantes elles-mĂȘmes ne le veulent pas. L'on ne peut ĂȘtre durablement puissants si l'on n'est responsable, la responsabilitĂ© Ă©tait la source de la libertĂ© et de l'action, et non leur consĂ©quence. C'est pourquoi le Droit de la responsabilitĂ© sociĂ©tale des entreprises, qui ne s'attache qu'aux entreprises structurellement puissantes, a un grand avenir dans la mondialisation. L'Ă©thique et la puissance ne sont pas incompatibles, surtout pas dans un monde ouvert!footnote-828. Il concrĂ©tise en Droit le Principe responsabilitĂ© de Jonas : une responsabilitĂ© pour le futur. Elle Ă©claire particuliĂšrement bien la responsabilitĂ© de ces entreprises-lĂ en matiĂšre d'environnement ou d'Ă©ducation. D'autres voient dans la persistance des "codes d'honneur"!footnote-826 une solution, preuve que la refĂ©odalisation dont on a dĂ©noncĂ© les mĂ©faits!footnote-827 a aussi des bienfaits.
Ce thĂšme de la reddition des comptes (accountability) et de la responsabilitĂ© est le thĂšme majeur de la mondialisation!footnote-822. Pour lâinstant, ce principalement les juges qui le concrĂ©tisent, parce quâobliger celui qui a du pouvoir sur autrui Ă rendre des comptes â dĂ©finition de la responsabilitĂ© -, câest lâoffice du juge, gardien du Droit et de la justice. Sâexpliquent ainsi lâarrĂȘt Google Spain!footnote-823 et la crĂ©ation ex nihilo du droit Ă lâoubli!footnote-824 ou les contentieux devant lâOMC, ces procĂšs dans lesquels les Ătats-Unis perdent si souvent.
Mais la rĂ©gulation nâest pas quâun appareillage technique qui pallie les dĂ©faillances de marchĂ©. Câest aussi une construction politique qui prĂ©tend par exemple protĂ©ger les populations contre des puissances qui ne se justifient pas ou dĂ©fendre quelques principes, comme le service public. Ainsi les fonds souverains et les fonds vautours qui bĂ©nĂ©ficient l'un et l'autre du principe de neutralitĂ© des textes nationaux et internationaux sont traitĂ©s dâune façon opposĂ©e par les juridictions et les tribunaux arbitraux
Le critĂšre retenu par les juges et les arbitres est celui de la personne. Les fonds souverains ont pour but de protĂ©ger les personnes, les fonds vautours sont indiffĂ©rents Ă la destruction des personnes que leur voracitĂ© provoque. En consĂ©quence, les tribunaux font donner des droits supplĂ©mentaires aux premiers et priver de prĂ©rogatives essentielles, notamment du droit dâĂȘtre payĂ©, les seconds. De la mĂȘme façon, le juge va distinguer dans lâusage des donnĂ©es suivant quâil est favorable ou nĂ©faste pour les personnes!footnote-825.
En effet, le Droit de la rĂ©gulation ne sâapplique que dâune façon tĂ©lĂ©ologique et face Ă la mondialisation, la rĂ©gulation ne doit pas se rĂ©duire Ă un service neutre et technique mais doit affirmer son but : la protection de la personne.
4. La quatriÚme réponse possible du Droit à la mondialisation : prétendre à tout
Si le Droit nâaffirme pas face au phĂ©nomĂšne de la mondialisation quâil prĂ©tend protĂ©ger la personne, mĂȘme si câest difficile, alors il nâest plus le Droit. Et la population ne supportera pas cet abandon du Droit car les peuples refusent les faits mondiaux illĂ©gitimes et demandent la protection du Droit, notamment sous sa forme juridictionnelle.
Exprimant cela, les Ătats se lĂšvent contre les pratiques juridiques mondiales nĂ©fastes et expriment des prĂ©tentions nouvelles, contrĂŽlent davantage les investissements dans les secteurs cruciaux, Ă©tendent leur compĂ©tence extraterritoriale y compris en matiĂšre pĂ©nale, pratiquent la mĂ©thode de « lâenrichissement contextuel » dans ce que lâon appelle Ă juste titre lâĂtat augmentĂ©.
Cet Ătat est augmentĂ© non seulement parce quâil rĂ©affirme sa puissance normative et dâeffectivitĂ©, mais encore parce quâil prĂ©tend se soucier non seulement de sa population mais encore des autres, ce qui rejoint la dĂ©finition classique de la Justice comme souci dâautrui.
Oui, les Ătats et le Droit doivent formuler des prĂ©tentions. Car depuis toujours le fort a la force et le Droit, tandis que le faible a le Droit et nâa que le Droit. La mondialisation a rendu les forts plus forts et les faibles plus faibles. Et l'on voudrait que cela soit le moment oĂč le Droit devrait s'abandonner et perdre sa prĂ©tention Ă protĂ©ger le faible, ne servant plus que les projets de ceux qui ont la force dâen avoir ?
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