Nov. 26, 2010

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Référence complète : FRISON-ROCHE, Marie-Anne, Ambition et efficacité de la régulation économique, in le droit face au risque financier, Revue de droit bancaire et financier, n°6, nov-dec 2010, études n°34, p.59-66.

Cet article est la suite d'une conférence.

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Résumé de l'article :

Les rapports entre la régulation économique et la régulation financière sont ambigus. En effet, si l'on suit Walras, le marché financier est le plus pur des marchés et les Autorités de la concurrence traitent les établissements financiers le plus souvent comme des entreprises ordinaires en concurrence. D'ailleurs, un courant libéral considère que la concurrence peut être un moyen efficace de réguler le comportement des banques au bénéfice des consommateurs. En outre, la finance est toujours présente à l'intérieur même des marchés des biens et services puisque c'est la monnaie qui permet l'échange.

Mais, nous vivons le temps radicalement nouveau d'une sphère financière totalement autonome, immatérielle, globalisée et comme l'a montré Fernand Braudel, sans rapport avec le marché concurrentiel. Ce qu'il appelle "le temps des banquiers" est venu.

La seconde ambigüité vient de la confusion souvent faite entre la régulation et la réglementation. En effet, si le terme anglais Regulation désigne la règlementation, la régulation dépasse cet outil pour viser un ensemble de mécanismes de règles et d'institution qui mettent en équilibre le principe de concurrence et un autre principe, comme le service public, l'accès de tous à un bien essentiel ou la prévention des risques.

La présente étude est limitée à la régulation économique puisqu'un autre auteur a en charge de traiter l'ambition et l'efficacité de la régulation financière.

Pour cerner l'ambition de la régulation économique, il faut tout d'abord évoquer l'hypothèse historique et ponctuelle du passage au forceps d'une organisation monopolistique à une organisation concurrentielle. Il peut arriver que certains secteurs aient été organisés sous la forme de monopoles légaux, généralement conférés à des structures d’État, entreprises ou établissements publics.

Si il y a décision de libéraliser le secteur, par exemple par le jeu d'une directive communautaire, il ne suffit pas de déclarer la possibilité de concurrence, il faut l'établie "au forceps", car la puissance de ces opérateurs historiques est telle que les compétiteurs potentiels ne pourront pas de fait entrer dans le marché si un régulateur ne leur y fait pas place.

L'Autorité de régulation va alors systématiquement favoriser les nouveaux entrants par une régulation asymétrique, jusqu'à ce que les conditions d'une concurrence saine et forte soit établie, moment à partir duquel cette régulation en principe transitoire devrait pouvoir cesser, le secteur revenant alors sous la bannière du droit de la concurrence.

Le secteur des télécommunications est exemplaire en cela.

S’en distingue l’hypothèse économique d‘une régulation définitive d’une organisation d’un secteur qui ne peut engendrer ni maintenir ses équilibres intrinsèques.

En effet, il peut exister dans l’organisation économique du marché des « défaillances » naturelles (market failures), qui entravent définitivement la production d’un prix exact par la rencontre de l’offre et de la demande, quelle que soit la puissance des acteurs.

C’est notamment le cas lorsqu’il existe des infrastructures essentielles dont le meilleur exemple sont le réseau de transport de télécommunication ou d’énergie, dont il faut réguler l’accès des opérateurs à ses ces facilités pour passer du marché amont de la production au marché aval de la vente. Ces monopoles sur les infrastructures étant « naturels », il s’agit de régulations de nature économique, qui sont définitives et dont un régulateur prend la charge.

En finance la défaillance de marché prenant la forme d’asymétrie d’information, le régulateur financier sera définitivement établi pour faire circuler l’information et protéger l’investisseur.

 La question aujourd’hui ouverte est de savoir si l’on peut conférer à la régulation de nouvelles ambitions sur de nouveaux territoires. Il en est ainsi de l’Internet, ou de l’agriculture.

Se distingue enfin l’hypothèse politique et souveraine d’une volonté de mettre face au principe de concurrence un principe a-concurrentiel ou anticoncurrentiel en équilibre. Il ne s’agit plus alors d’une obligation qu’engendrerait le marché  mais d’une volonté politique, par exemple exprimée par le parlement, en ce qu’il est légitime de faire des choix pour décider  du futur du groupe social qui a établi son pouvoir.

A ce titre, le Politique va fixer ce qu’il estime être des « biens communs » pour sa population. Les pouvoirs politiques vont alors créer de véritables droits subjectifs, comme un droit à la santé, ou un droit à la culture ou un droit au transport, qui vont entrer en équilibre avec le principe de concurrence et qu’un système de régulation, par exemple en matière de santé, v prendre en charge.

Après avoir cerné ces trois types d’ambitions de la régulation économique, il convient d’examiner l’efficacité de la régulation économique.

Tout d’abord, celle-ci ne peut être efficace que si elle dispose des institutions qui lui sont nécessaires, et avant toute chose, un Régulateur.

A ce titre, il faut ne pas confondre l’Autorité de régulation, qui construit un secteur, le supervise en permanence et dispose pour cela de pouvoirs ex ante, et l’Autorité de concurrence, institution ex post qui intervient ponctuellement pour réparer les dommages faits à des marchés de biens et services qui en principe fonctionnent d’ordinaire par eux-mêmes.

Le régulateur, lorsqu’il est présent d’une façon définitive (voir supra) intervient constamment dans le secteur, ce qui engendre une chaine dans son comportement entre des décisions ex ante et des décisions ex post. C’est à ce titre qu’il peut, selon les secteurs et les besoins, disposer du pouvoir réglementaire, du pouvoir de règlement des différents, du pouvoir de sanction, du pouvoir de transaction, etc. Cette palette des pouvoirs dont dispose le régulateur ne cesse de s’accroître et certains ont pu y voir une atteinte à la séparation des pouvoirs. Mais cela tient au fait que le droit de la régulation est de nature téléologique,  cette normativité logée dans la finalité justifiant l’ampleur et la diversité de ces instruments.

En contrepartie et logiquement, l’usage de ces pouvoirs cumulés est entouré de multiples garanties.

Aussi le principe de légalité que les techniques procédurales ou l’obligation de motiver et les voies de recours permet de rendre « supportable » les pouvoirs par ailleurs nécessaires du régulateur.

Enfin, le régulateur doit justifier de son efficacité, les techniques de reddition des comptes (accountability)  ne cessant de s’affiner, tandis que le secteur, et bientôt le droit à travers le principe de sécurité juridique, lui demande avant tout de ne pas se contredire dans le temps. Par cette forme de rationalité et de légitimité la régulation économique est le bastion avancé du droit moderne.