25 août 2021

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🚧 Les Buts Monumentaux, cƓur battant du Droit de la Compliance

par Marie-Anne Frison-Roche

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â–ș RĂ©fĂ©rence complĂšte : M.-A. Frison-Roche, Les Buts Monumentaux, cƓur battant du Droit de la Compliance, document de travail, aoĂ»t 2021

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📝Ce document de travail constitue la base de l'article, "Les buts monumentaux, cƓur battant du droit de la compliance", qui constitue l'introduction â€”

📕dans sa version française, de l'ouvrage Les buts monumentaux de la Compliancedans la collection đŸ“šRĂ©gulations & Compliance

 đŸ“˜dans sa version anglaise, de l'ouvrage Compliance Monumental Goals, dans la collection đŸ“šCompliance & Regulation

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â–ș RĂ©sumĂ© du document de travail : L'on peut dĂ©finir cette branche du droit comme l'ensemble des procĂ©dĂ©s obligeant les entreprises Ă  donner Ă  voir qu'elles respectent l'ensemble des rĂ©glementations qui s'appliquent Ă  elles. L'on peut aussi dĂ©finir cette branche par un cƓur normatif : les "buts monumentaux". Ceux-ci permettent de rendre compte du droit positif nouveau, rendu ainsi plus clair, accessible et anticipable. Ils reposent sur un pari, celui du souci de l'autre que les ĂȘtres humains peuvent avoir en commun, forme d'universalitĂ©. 

Par les Buts Monumentaux, apparaĂźt une dĂ©finition du Droit de la Compliance qui est nouvelle, originale et spĂ©cifique.  Ce terme nouveau de "Compliance" dĂ©signe en effet une ambition nouvelle : que ne se renouvelle pas Ă  l'avenir une catastrophe systĂ©mique. Ce But Monumental a Ă©tĂ© dessinĂ© par l'Histoire, ce qui lui donne une dimension diffĂ©rente aux États-Unis et en Europe. Mais le cƓur est commun en Occident, car il s'agit toujours de dĂ©tecter et de prĂ©venir ce qui pourrait produire une catastrophe systĂ©mique future, ce qui relĂšve de "buts monumentaux nĂ©gatifs", voire d'agir pour que l'avenir soit diffĂ©rent positivement ("buts monumentaux positifs"), l'ensemble s'articulant dans la notion de "souci d'autrui", les Buts Monumentaux unifiant ainsi le Droit de la Compliance. 

En cela, ils rĂ©vĂšlent et renforcent la nature toujours systĂ©mique du Droit de la compliance, comme gestion des risques systĂ©miques et prolongement du Droit de la RĂ©gulation, en dehors de tout secteur, ce qui rend disponibles des solutions pour les espaces non-sectoriels, notamment l'espace numĂ©rique. Parce que vouloir empĂȘcher le futur (faire qu'un mal n'advienne pas ; faire qu'un bien advienne) est par nature politique. Le Droit de la Compliance concrĂ©tise par nature des ambitions de nature politique, notamment dans ses buts monumentaux positifs, notamment l'Ă©galitĂ© effectif entre les ĂȘtres humains, y compris les ĂȘtres humains gĂ©ographiquement lointains ou futurs. 

Les consĂ©quences pratiques de cette dĂ©finition du Droit de la Compliance par les Buts Monumentaux sont immenses. A contrario, cela permet d'Ă©viter les excĂšs d'un "droit de la conformitĂ©" visant Ă  l'effectivitĂ© de toutes les rĂ©glementations applicables, perspective trĂšs dangereuse. Cela permet de sĂ©lectionner les outils efficaces au regard de ces buts, de saisir l'esprit de la matiĂšre sans ĂȘtre enfermĂ© dans son flot de lettres. Cela conduit Ă  ne pas dissocier la puissance requise des entreprises et la supervision permanente que les autoritĂ©s publiques doivent exercer sur celles-ci. 

L'on peut donc attendre beaucoup d'une telle dĂ©finition du Droit de la Compliance par ses Buts Monumentaux. Elle engendre une alliance entre le Politique, lĂ©gitime Ă  Ă©dicter les Buts Monumentaux, et les opĂ©rateurs cruciaux, en position de les concrĂ©tiser et dĂ©signĂ©s parce qu'aptes Ă  le faire. Elle permet de dĂ©gager des solutions juridiques globales pour des difficultĂ©s systĂ©miques globales a priori insurmontables, notamment en matiĂšre climatique et pour la protection effective des personnes dans le monde dĂ©sormais numĂ©rique oĂč nous vivons. Elle exprime des valeurs pouvant rĂ©unir les ĂȘtres humains.

En cela, le Droit de la Compliance construit sur les Buts Monumentaux constitue aussi un pari. MĂȘme si l'exigence de "conformitĂ©" s'articule avec cette conception d'avance de ce qu'est le Droit de la Compliance, celui-ci repose sur l'aptitude humaine Ă  ĂȘtre libre, alors que la conformitĂ© suppose davantage l'aptitude humaine Ă  obĂ©ir. 

C'est pourquoi le Droit de la Compliance, défini par les Buts Monumentaux, est essentiel pour notre avenir, alors que le droit de la conformité ne l'est pas.

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Lire les dĂ©veloppements ci-dessous —

I. LES BUTS MONUMENTAUX, COEUR NOUVEAU, ORIGINAL ET PROPRE AU DROIT DE LA COMPLIANCE

Cette dĂ©finition proposĂ©e en 2016📎footnote-2463 , centrant normativement le droit de la compliance sur des "buts monumentaux" rend compte d'un concept juridique nouveau, ce qu'il s'est construit sur une ambition nouvelle, elle-mĂȘme fruit de l'Histoirele termeme de  « compliance Â» pouvant traduit cette nouveautĂ© (A). Ces buts monumentaux au cƓur du Droit occidental de la compliance donne Ă  celui-ci une dĂ©finition substantielle (B). Ils peuvent ainsi former le cƓur juridique d'un droit nouveau et unifiĂ© de la compliance (C).

 

A. « COMPLIANCE » : UN TERME NOUVEAU POUR DÉSIGNER UNE AMBITION NOUVELLE : DES BUTS MONUMENTAUX DESSINÉS PAR L'HISTOIRE

Parce que l’ensemble des obligations et devoirs, des pouvoirs, des institutions et des personnages sont nouveaux, il est adĂ©quat, ne serait-ce que pour y comprendre quelque chose, d’utiliser un mot nouveau : compliance prĂ©sente cet avantage linguistique, comme le prĂ©sentait avant lui le terme rĂ©gulation.  

Rien pourtant ne s’écrit sur feuille blanche. De la mĂȘme façon que les mĂ©canismes de compliance trouvent Ă©cho dans les branches du droit classique et s’articulent Ă  celles-ci, le droit de la compliance n’est pas apparu du jour au lendemain. Comme tous les autres corpus, il a eu un hier et il aura un lendemain. Ce sont des faits qui ont engendrĂ© son apparition. Il est nĂ© il y a longtemps aux États-Unis. Non pas pour envahir le monde mais en rĂ©action Ă  une catastrophe qui frappa ce pays : la crise de 1929, comme le droit de la compliance prit forme en Europe lorsque la performance technologique apparut comme un danger systĂ©mique pour les personnes.

 

1. Naissance du droit américain de la compliance afin de prévenir le renouvellement la crise de 1929, ravivé par chaque nouvelle crise

Le droit de la compliance semble n’avoir jailli de nulle part, tant il paraĂźt « Ă©trange Â». IndĂ©pendamment des racines dans les mĂ©canismes classiques du systĂšme juridique, l’on peut en situer l’apparition plus identifiable et factuelle d’une part aux États-Unis et d’autre part en Europe. Dans les deux cas, cela fut toujours en rĂ©action Ă  une sorte d’agression : dans le premier cas, la crise de 1929, dans le second, le danger que constitue pour l’individu la technologie du numĂ©rique. De ces deux histoires autonomes et nouĂ©es, le droit de la compliance porte fortement la trace.

La crise majeure de 1929 tient en grande partie son origine dans des comportements internes Ă  des entreprises que les autoritĂ©s publiques ne pouvaient dĂ©tecter, des personnes ayant utilisĂ© des informations qu’elles dĂ©tenaient, en raison mĂȘme de leur position dans ces entreprises, pour agir Ă  leur profit sur les marchĂ©s financiers. L’effet systĂ©mique de cette exploitation de l’asymĂ©trie d’information a Ă©tĂ© colossal, puisque s'en est suivi la crise Ă©conomique et sociale de 1929, dont la dimension monĂ©taire s’est rĂ©percutĂ©e en Europe, notamment en Allemagne, confluant avec d’autres difficultĂ©s majeures, ce qui mena Ă  la Seconde Guerre mondiale.

Prenant appui sur ce constat de l’origine possible des crises systĂ©mique dans les entreprises, Roosevelt a donc dĂ©cidĂ© de mettre en place une autoritĂ©, des prohibitions et des obligations pour prĂ©venir le renouvellement d’une crise d’une ampleur aussi phĂ©nomĂ©nale que la crise de 1929, en interdisant non seulement l’utilisation d’informations privilĂ©giĂ©es (dĂ©lits d’initiĂ©s) mais encore en obligeant les entreprises Ă  dĂ©tecter et Ă  prĂ©venir les abus de marchĂ© pouvant prĂ©venir une nouvelle crise systĂ©mique.

 La dimension systĂ©mique de la crise a justifiĂ© que le droit nouveau soit adoptĂ© au niveau fĂ©dĂ©ral, phĂ©nomĂšne rare aux États-Unis, oĂč par exemple le droit bancaire demeure de niveau Ă©tatique. Par la loi de 1933 fut Ă©tablie la Securities and Exchange Commission (SEC) qui exerce son office sur l’ensemble des marchĂ©s financiers amĂ©ricains et veille Ă  l’effectivitĂ© de la prohibition des abus de marchĂ©s financiers, notamment les manquements d’initiĂ©s et la diffusion de fausses informations.

Il s’agit donc d’obliger les entreprises exposĂ©es aux marchĂ©s financiers Ă  ĂȘtre transparentes et d’agir elles-mĂȘmes pour que l’information soit partagĂ©e ou que, si elle ne l’est pas, ne soit pas exploitĂ©e sur les marchĂ©s par les « initiĂ©s ». L’idĂ©e est de protĂ©ger les marchĂ©s financiers d’une dĂ©faillance pouvant causer leur effondrement. La prohibition des abus de marchĂ©, donnant lieu Ă  des sanctions Ex Post, est articulĂ©e Ă  des obligations Ex Ante centrĂ©es autour de l’information permanente et Ex Ante des investisseurs. Cela justifie le principe procĂ©dural de transparence, qui caractĂ©rise les marchĂ©s financiers par rapport aux marchĂ©s concurrentiels des biens et services ordinaires. La SEC centralise et diffuse l’information, contrĂŽle sa qualitĂ©. Cela justifie notamment son rĂŽle dĂ©terminant dans la protection des lanceurs d’alerte en tant que ceux-ci restaurent la pleine information des marchĂ©s financiers.

Le droit amĂ©ricain a conservĂ© cette dimension systĂ©mique, rĂ©affirmĂ©e Ă  chaque crise, en tant que celle-ci a rĂ©vĂ©lĂ© une dĂ©faillance de l’aptitude du droit amĂ©ricain fĂ©dĂ©ral Ă  connaĂźtre l’état effectif des entreprises puisant dans l’épargne publique. Ainsi les faillites des entreprises Enron et WorldCom ont montrĂ© qu’une entreprise cotĂ©e, spĂ©cialisĂ©e, pouvait tromper les marchĂ©s non seulement malgrĂ© une communication financiĂšre abondante mais encore grĂące Ă  celle-ci, notamment grĂące Ă  des manipulations comptables. Le CongrĂšs amĂ©ricain adopta donc en 2002 la loi dite Sarbanes-Oxley qui superpose aux normes professionnelles comptables des exigences de compliance pour rendre l’information donnĂ©e aux investisseurs plus fiable. En raison de la globalitĂ© des marchĂ©s financiers, la portĂ©e de cette loi est extraterritoriale. La loi oblige le directeur gĂ©nĂ©ral et le directeur financier Ă  certifier les comptes, ce qui les rend juridiquement responsables.

Ceux-ci doivent ĂȘtre complĂ©tĂ©s d’une sĂ©rie d’informations, notamment le rapport des auditeurs ou les engagements hors bilan, dont l’importance est telle qu’on a pu dire que les comptes n’étaient plus aujourd’hui que l’annexe de leurs annexes. D’une façon continue un comitĂ© d’audit doit contrĂŽler les process, le choix des auditeurs externe est davantage organisĂ©, notamment leur rotation, le Public Compagny Accounting Oversight Board (PCAOB) est crĂ©Ă© pour superviser les cabinets d’audit, tandis que la SEC elle-mĂȘme vĂ©rifie rĂ©guliĂšrement le comportement des sociĂ©tĂ©s cotĂ©es, sans qu’il y ait nĂ©cessairement un soupçon d’abus. Ce dernier point montre la dimension pleinement Ex Ante du dispositif et la pĂ©nĂ©tration de l’autoritĂ© dans l’entreprise, passant de la rĂ©gulation du marchĂ© Ă  la supervision des entreprises qui s’y financent.

 La crise financiĂšre de 2008 va dĂ©clencher une rĂ©action analogue. Pour reprendre le titre du rapport de la Commission europĂ©enne Ă  propos de l’audit, il s’agira de tirer « les leçons de la crise Â». En effet, comme en 1929, la crise financiĂšre de 2008 prend Ă  la fois sa source dans une faillite d’entreprise, celle de la banque d’affaire Lehmann Brothers, davantage en raison d’une crise de liquiditĂ©s davantage que d’une manipulation de marchĂ©. Il demeure que l’effet systĂ©mique est majeur puisque, comme en 1929, l’effet dĂ©vastateur en fut mondial. Il fut moindre puisque les États Ă©taient lĂ  pour briser les cascades produites par « l’effet domino Â» mais la leçon fut de trois ordres. En premier lieu, l’information n’avait pas Ă©tĂ© suffisante sinon les investisseurs auraient rĂ©agi de façon adĂ©quate, les autoritĂ©s de rĂ©gulation n’étant pas perspicaces. En deuxiĂšme lieu, il faut trouver des mĂ©canismes qui ne favorisent pas ceux qui ont causĂ© la difficultĂ© systĂ©mique (« alĂ©a moral Â») et profitent ensuite de l’aide publique qui puisent dans les ressources des contribuables qui n’ont rien fait. En troisiĂšme lieu, les conflits d’intĂ©rĂȘts structurels permettant Ă  un opĂ©rateur de marchĂ© d’ĂȘtre Ă  la fois un intermĂ©diateur de marchĂ© et un prĂ©teur, ont engendrĂ© des comportements prĂ©judiciables et une fragilitĂ© de l’entreprise systĂ©mique.

C’est donc toujours au niveau fĂ©dĂ©ral que la loi dite Dodd-Frank de 2010 intervient pour prĂ©venir ce renouvellement en gĂ©rant mieux ce risque systĂ©mique logĂ© dans l’asymĂ©trie d’information inhĂ©rent au systĂšme financier. Parce que le droit amĂ©ricain demeure fidĂšle au principe libĂ©ral, l’idĂ©e est de protĂ©ger l’investisseur non pas par une intervention directe de l’administration mais de donner Ă  celui-ci les moyens de rĂ©agir dans son intĂ©rĂȘt, ce qui protĂšge le mieux le systĂšme tout entier. La loi basĂ©e sur l’économie comportementale dote ainsi les investisseurs, qualifiĂ©s de « consommateurs Â» de produits financiers, de nouveaux pouvoirs et de nouveaux droits pour obtenir des informations et demander des comptes aux dirigeants. En outre, pour renforcer la soliditĂ© des opĂ©rateurs et pallier les possibles conflits d’intĂ©rĂȘts, ladite « rĂšgle Volcker Â» a Ă©tĂ© intĂ©grĂ©e pour distinguer structurellement des activitĂ©s et pour les faire superviser en interne par le service de la compliance, voire interdire aux banques certaines activitĂ©s pour compte propre qui avaient participĂ© au dĂ©clenchement de la crise. En raison de son caractĂšre structurel, la rĂšgle Volcker est dotĂ©e d’un effet extraterritorial.

La dimension systĂ©mique de la corruption qui abĂźme un systĂšme Ă©conomique mĂȘme lorsque le pacte corruptif est commis Ă  l’étranger justifia l’adoption du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), loi fĂ©dĂ©rale amĂ©ricaine de 1977. En effet, la corruption d’agents publics Ă  l’étranger a un impact systĂ©mique qui dĂ©tĂ©riore l’ensemble du systĂšme Ă©conomique (ce que ne fait pas la mĂ©connaissance d’un embargo). Cette dimension a justifiĂ© l’effet extraterritorial du FCPA, dont se plaignent les entreprises qui, en tant que personne juridique, ne relĂšvent pas de l’ordre juridique amĂ©ricain. La confusion souvent faite entre l’application, notamment par l’Office of Foreign Assets Control, du FCPA, et des rĂšgles de compliance dans le dispositif de compliance contre le blanchiment d’argent, notamment par la SEC, qui sont justifiĂ©es par cette dimension systĂ©mique globale, avec l’usage critiquable qui fĂ»t fait de sanctions internationales en matiĂšre d’embargo, oĂč cette dimension systĂ©mique n’existe pas, a grandement endommagĂ© la perception et la comprĂ©hension du droit de la compliance.

On observe pourtant une continuitĂ© du but monumental du droit amĂ©ricain de la compliance, visant Ă  dĂ©tecter et Ă  prĂ©venir les risques de systĂšme. Les lĂ©gislations d’une trĂšs grande complexitĂ© ont un point commun : elles ont toutes pour but de prĂ©venir le dĂ©clenchement d’une crise systĂ©mique bancaire ou/et financiĂšre et, si celle devait advenir, de gĂ©rer celle-ci puis d’en sortir. La complexitĂ© et le pointillisme de la masse des dispositions contrastent avec la simplicitĂ© et l’unicitĂ© de ce « but monumental Â» : se saisir de l’avenir pour que n’arrive pas la catastrophe, et si celle-ci dĂ©bute, avoir les moyens immĂ©diats et efficaces, au besoin hors-normes, pour en sortir.

L’Europe reprit cette conception, en mĂȘme temps qu’elle recevait les effets nĂ©fastes des comportements dommageables des entreprises amĂ©ricaines et des insuffisances du droit amĂ©ricain de la rĂ©gulation.            

Mais par ailleurs, parce que l’Europe a son histoire propre elle a produit un droit de la compliance Ă  partir de ses propres catastrophes. 

 

2. Naissance du droit europĂ©en de la compliance afin de protĂ©ger l’individu des systĂšmes construits sur les informations qui le concernent

Le droit europĂ©en de la compliance est lui-aussi ancrĂ© dans l'histoire. Lui aussi, il est le rĂ©sultat de catastrophes. Celles-ci sont tout autres. C'est pourquoi son cƓur est dans le droit des dites "donnĂ©es Ă  caractĂšre personnel", souvenir de la catastrophe europĂ©enne qui se dĂ©ploya dans le systĂšme juridique et administratif nazi. D'une façon plus proche et moins dramatique, Koen Lenaerts situe la naissance du droit de la compliance en Europe Ă  la dĂ©fense de la personne par le droit contre l’usage qu’une entitĂ© puissante peut faire grĂące aux performances technologiques des informations personnelle qui la concernent!footnote-2464.

Comme aux États-Unis oĂč le choc de la crise de 1929 dĂ©clencha la naissance des premiĂšres lois, c’est Ă©galement la guerre qui fait comprendre l’évolution europĂ©enne. Il est remarquable qu’actuellement l’évĂ©nement systĂ©mique que le droit de la compliance pourrait faire Ă©viter, notamment dans son lien avec la dĂ©tection du terrorisme, est encore la guerre.  Mais l’angle en est tout diffĂ©rent, parce que l’histoire est diffĂ©rente.

L’Europe a Ă©tĂ© marquĂ©e par ce que l’on appellerait dans une terminologie moderne les « fichiers de donnĂ©es Ă  caractĂšre personnel Â». L’atrocitĂ© de la Seconde Guerre mondiale, son incommensurabilitĂ©, tiennent Ă  ce que les personnes juives ont subi. Cette « information Ă  caractĂšre personnel Â» spĂ©cifique a Ă©tĂ© notamment recueillie, concentrĂ©e, exploitĂ©e, les fichiers, et notamment les « fichiers juifs Â» ont contribuĂ© Ă  l’atrocitĂ©. Les fichiers n’ont pas Ă©tĂ© faits clandestinement : l’État les ont officiellement Ă©tablis, la doctrine juridique a commentĂ© le « dĂ©cret juif Â», etc. Sans doute n’y voyait-elle qu’un process. La technocratie nazie a dĂ©ployĂ© ce qu’elle pouvait d’efficacitĂ© Ă  partir de ce traitement de donnĂ©es Ă  caractĂšre personnel. La technologie ne permettait pas davantage.

Lorsqu’à partir des annĂ©es 1970 l’informatique s’est dĂ©ployĂ©e, Ă  la fois le droit français et le droit allemand ont identifiĂ© le danger que des fichiers peuvent reprĂ©senter pour les individus, dĂšs l’instant qu’ils contiennent des « informations qui les concernent Â». Le droit Ă©tant Ɠuvre de mĂ©moire, l’idĂ©e a Ă©tĂ© d’empĂȘcher qu’à l’avenir une catastrophe monumentale comme l’a Ă©tĂ© la Shoah, ou quoi que ce soit qui lui ressemble, puisse se renouveler. En France, la loi du 6 janvier 1978 a instituĂ© la Commission nationale de l'Informatique et des LibertĂ©s (CNIL). MĂȘme aprĂšs la transposition du rĂšglement dit RGPD, ce titre a Ă©tĂ© conservĂ© pour que chacun garde en mĂ©moire que les libertĂ©s de l’ĂȘtre humain doivent ĂȘtre protĂ©gĂ©es dans un espace oĂč la puissance informatique se dĂ©ploie, y compris lorsque cette puissance est maniĂ©e par l’État.

 L’informatique s’est dĂ©ployĂ©e non pas tant entre les mains de l’État mais dans les entreprises, et plutĂŽt les entreprises amĂ©ricaines, dans un nouvel espace : l’espace numĂ©rique. Parce que le juge a vocation Ă  dĂ©fendre les ĂȘtres humains et doit rĂ©pondre aux questions qu’on lui pose, la Cour de justice de l’Union europĂ©enne (CJUE) dans un arrĂȘt du 13 juillet 2014, Google Spain, a posĂ© qu’un moteur de recherche a l’obligation d’empĂȘcher qu’un internaute puisse accĂ©der Ă  une information Ă  caractĂšre personnel d’un autre sans le consentement de celui-ci. Pour fonder une telle solution, la Cour a purement et simplement inventĂ© un droit subjectif dont celui-ci est titulaire : le « droit Ă  l’oubli Â», nouvelle formulation de ce qui n’était que le droit, dans les lĂ©gislations nationales prĂ©citĂ©es, de demander aux titulaires de fichiers de retirer la mention de son nom et des informations y affĂ©rentes.

Puis le RĂšglement du 26 avril 2016 a organisĂ© la protection des personnes Ă  propos de la collecte et l’exploitation des informations qui les concernent. Les entitĂ©s qui y procĂšdent doivent intĂ©grer ce souci premier dans leur conception mĂȘme ; la privacy by design Ă©tant une forme de compliance by design et donne Ă  voir ce souci de protĂ©ger elles-mĂȘmes autrui, en s’empĂȘchant de tirer profit de ces objets de grande valeur que sont les informations Ă  caractĂšre personnel. Les lois amĂ©ricaines, notamment la loi californienne de 2018, protĂšgent davantage le consommateur, tandis que le marchĂ© d’achat et de vente de ce type d’information prospĂšre. Cela tient Ă  la diffĂ©rence d’histoire : Ă  chaque continent ses traumatismes.

 

B. LES BUTS MONUMENTAUX, COEUR COMMUN DE LA DEFINITION SUBSTANTIELLE DU DROIT DE LA COMPLIANCE

Ce Ă  quoi sert cette masse rĂ©glementaire ? Cette question simple n’est pas Ă  l’extĂ©rieur du droit. Dans le droit Ă©conomique gouvernĂ© par ses finalitĂ©s (droit tĂ©lĂ©ologique), ce sont les buts qui juridiquement gouvernent les divers instruments, notamment les rĂ©glementations. Les mĂ©canismes de compliance sont gouvernĂ©s par des Buts Monumentaux. AprĂšs avoir explicitĂ© ce concept (1), il convient de distinguer les Buts monumentaux Â« nĂ©gatifs Â» (2) et « positifs Â» (3), l'ensemble pouvant se subsumer dans ce qui les unit : le souci d'autrui (4).

 

1. Concept de "buts monumentaux"

Le droit Ă©tant un art pratique, il a toujours eu un but, mais celui-ci est classiquement placĂ© Ă  l’extĂ©rieur de la branche du droit. Par exemple, le but pour lequel le droit organise les familles ne constitue pas le centre normatif du droit de la famille. Mais dans une conception plus rĂ©cente, notamment en droit Ă©conomique, ce pour quoi les divers instruments juridiques sont agencĂ©s sont au contraire ce qui constitue le cƓur normatif de la branche du droit : ces branches du droit dites « tĂ©lĂ©ologiques Â» sont juridiquement gouvernĂ©es par leurs buts. Il devient alors techniquement essentiel de dĂ©terminer ceux-ci. Les diverses branches du droit qui composent le « droit Ă©conomique Â» sont de cette nature-lĂ . Par exemple, l’on affirme que le droit de la concurrence a pour but le dĂ©veloppement des marchĂ©s par la libre rencontre des offres et des demandes, mais si l’on oriente les rĂšgles de cette branche, sans mĂȘme en changer la rĂšgle, vers d’autres buts, les solutions peuvent changer radicalement.

Les buts peuvent ĂȘtre non seulement trĂšs variĂ©s, mais encore de diverses forces. Par exemple, il peut ne s’agir que de mieux servir une autre rĂšgle. Ce fut la conception ancienne de la procĂ©dure, conçue pour servir les branches substantielles du droit ; c’est encore dĂ©veloppĂ© pour le droit de la conformitĂ©, qui n’aurait pour but que de rendre plus effective telle ou telle branche du droit. C’est donc un but a minima puisque pas mĂȘme autonome. Il peut s’agir de buts autonomes mais trĂšs divers, issus de la volontĂ© ponctuelle et variant dans le temps des lĂ©gislatifs qui dĂ©cident d’utiliser les instruments juridiques de la compliance.

Il peut s’agir d’influencer l’avenir pour qu’il soit diffĂ©rent de ce qu’il serait si le droit n’intervenait en Ex Ante : cette intervention immĂ©diate qui change l’avenir et le construit comme on veut qu’il soit est un « but monumental Â». Un « but Â» puisque tout le dispositif juridique repose sur cette volontĂ© s'exerçant sur l’avenir ; il est « monumental Â» puisqu’il mobilise un ensemble d’instruments juridiques nouveaux et puissants pour que l’avenir apparaisse sous une forme qu’il n’aurait pas eu sinon : c’est donc le droit de la compliance qui construit l’avenir, comme l’on construit un monument, comme le fait un architecte, qui utilise toute sa force en s’appuyant sur les bĂątisseurs que sont les entreprises.

Cela ne peut concerner que certains buts particuliers car construire l’avenir en mobilisant les entreprises et les autoritĂ©s publiques, par une force juridique inĂ©dite, ne se justifie que pour certains buts spĂ©cifiques : les buts monumentaux « nĂ©gatifs Â» et les buts monumentaux « positifs Â».

 

2. Concept de "buts monumentaux négatifs"

Le droit de la compliance a Ă©tĂ© historiquement construit pour que dans le futur des Ă©vĂšnements n’arrivent pas : c’est en cela qu’il doit ĂȘtre qualifiĂ© de « nĂ©gatif Â». La crise systĂ©mique en est le parangon : si l’entreprise est obligĂ©e d’en dĂ©tecter les risques, c’est pour que n’advienne pas la catastrophe de l’ensemble du systĂšme. Cet « effet domino Â» si redoutĂ© a toujours Ă©tĂ© connu et redoutĂ© dans le systĂšme bancaire, expliquant que le droit de la compliance trouve son emprise la plus ancienne et la plus profonde dans ce secteur-lĂ . En raison de l’imbrication entre les activitĂ©s bancaires et financiĂšres, le but « nĂ©gatif Â» est d’éviter l’avĂšnement de la catastrophe : par exemple, la dĂ©faillance de l’établissement systĂ©mique (par la supervision), ou/et de briser l’effet domino (par la rĂ©solution).

Mis en place pour les systĂšmes Ă©conomiques et financiers, les buts monumentaux nĂ©gatifs donnent une cohĂ©rence aux mĂ©canismes qui dĂ©tectent et prĂ©viennent des comportements non pas en tant qu’ils sont rĂ©prĂ©hensibles en soi mais en raison de leur effet systĂ©mique dolosif. Ainsi, le blanchiment d’argent, la corruption, le terrorisme sont tous trois des comportements qui corrodent les sociĂ©tĂ©s et font Ă©merger un risque de dĂ©stabilisation et in fine de guerre. C’est pourquoi ils sont l’objet du droit de la compliance alors que l’homicide, comportement plus grave que la corruption par exemple, ne l’est pas car il n’est pas systĂ©mique.

L’évolution du monde justifie en revanche que le sujet climatique soit aujourd’hui sous l’emprise du droit de la compliance puisque les faits sont systĂ©miques et qu’une volontĂ© se dĂ©gage pour vouloir que l’avenir ne soit pas catastrophique, ce qu’il sera si des instruments de compliance ne sont pas utilisĂ©s.

La nature systĂ©mique et la volontĂ© de protĂ©ger les sociĂ©tĂ©s pour qu’elles ne dĂ©gĂ©nĂšrent pas dans le futur tiennent avant tout Ă  des considĂ©rations techniques, Ă©tablies par des disciplines techniques, l’économie pour les dĂ©faillances de marchĂ© ou la science pour la question climatique. Cela facilite d’autant plus l’adoption de rĂšgles globales puisque les rĂ©percussions du fait Ă  combattre sont elles-mĂȘmes a-territoriales. Cela est moins aisĂ© pour les buts monumentaux « positifs Â».

 

3.  Concept de "buts monumentaux positifs"

La volontĂ© portĂ©e par le droit de la compliance d’un avenir qui soit diffĂ©rent de celui qu’il aurait Ă©tĂ© sans la puissance de ce droit peut ĂȘtre « positive Â» : faire en sorte qu’un Ă©vĂ©nement systĂ©mique advienne, alors qu’il ne serait pas advenu sans les instruments de compliance enclenchĂ©s. C’est le cas si l’on veut, par exemple, de l’égalitĂ© effective entre les ĂȘtres humains, notamment les femmes et les hommes en commençant par l’égalitĂ© salariale.

Les buts monumentaux « positifs Â» sont plus politiques, l’éthique y est plus prĂ©sente. Le risque systĂ©mique y est moins immĂ©diatement prĂ©sent et c’est davantage l’idĂ©e d’un avenir meilleur qui anime alors les rĂšgles. Ils s’imposeraient donc moins, seraient plus contestables et sont souvent plus ancrĂ©s dans une culture d’une sociĂ©tĂ© particuliĂšre, voire d’une partie de la population de celle-ci, voire se rattache Ă  une opinion politique. Ils peuvent pourtant constituer un stade ultĂ©rieur des buts monumentaux nĂ©gatifs. 

 

4.  Articulation entre les buts monumentaux : le souci d'autrui 

En effet, la lutte contre le risque systĂ©mique des marchĂ©s bancaires et financiers, en permanence menacĂ©s d’effondrement devient elle-mĂȘme plus pĂ©renne si les dispositifs de compliance prennent pour but non plus tant l’évitement de l’effondrement mais l’organisation structurelle et comportementale de la durabilitĂ©. De la mĂȘme façon, le droit de la compliance climatique a pour but monumental la conservation de l’équilibre climatique et biologique, ce qui relĂšve de la mĂȘme notion de durabilitĂ©. En cela, l’on peut dire que dans une conception plus dynamique l’ensemble des buts monumentaux sont avant tout des buts positifs.

Si l’on veut plus encore rĂ©duire la diversitĂ©, non seulement les buts normativement poursuivis deviennent positifs mais l’on peut cesser de mettre dans des catĂ©gories radicalement distinctes ce qui relĂšve de l’économie et ce qui relĂšve des ĂȘtres humains. L’on se souvient que cette summa divisio avait Ă©tĂ© faite pour le droit de la rĂ©gulation dans les annĂ©es 1980, en opposant la rĂ©gulation Ă©conomique et la rĂ©gulation des libertĂ©s publiques, ce qui conduisait Ă  classer la rĂ©gulation des mĂ©dias dans celle-ci en laissant de cĂŽtĂ© la dimension Ă©conomique essentielle que prĂ©sentaient les mĂ©dias. Le droit de la compliance Ă©tant le prolongement du droit de la rĂ©gulation, il convient Ă  l’inverse de mesurer la part que la considĂ©ration des ĂȘtres humains doit prendre dans le souci de l’efficacitĂ© des systĂšmes Ă©conomiques.

C’est ainsi que le droit de la compliance en matiĂšre de data, comme le souligne le titre exact du rĂšglement europĂ©en toujours appelĂ© RGPD vise non seulement cette protection des donnĂ©es qui concerne les personnes mais encore la circulation des donnĂ©es. De la mĂȘme façon, la protection de la nature par la compliance climatique vise avant tout Ă  ce que les gĂ©nĂ©rations futures puissent y vivre encore.

C’est donc toujours le souci d’autrui, que l’on retrouve dans l’ensemble des dispositifs de compliance, qui vise Ă  rendre durables les systĂšmes. En cela, la dĂ©finition du droit de la compliance par les buts monumentaux exprime l’humanisme dont le droit est lui-mĂȘme gardien, ce qui la distingue fortement de la dĂ©finition du droit de la conformitĂ©, prĂ©sentĂ©e comme un respect par l’entreprise de toute la rĂ©glementation qui lui est applicable.

 

C. LES BUTS MONUMENTAUX, COEUR JURIDIQUE D'UN DROIT NOUVEAU ET UNIFIÉ DE LA COMPLIANCE

Ce concept de buts monumentaux permet de donner une cohĂ©rence Ă  une multitude de mĂ©canismes tellement compliquĂ©s et variables que personne ne s’y retrouve plus vraiment. En raison de la nature tĂ©lĂ©ologique du droit de la compliance, en Ă©clairant d'une façon unitaire des mĂ©canismes si hĂ©tĂ©roclites et d'une façon si constante des mĂ©canismes si changeantes, les buts monumentaux simplifient techniquement l'ensemble : au-delĂ  d’une lettre toujours plus compliquĂ©e, l’esprit en est simple. Aux États-Unis, la prĂ©servation du systĂšme pour qu’il demeure solide dans le futur ; en Europe, que cette soliditĂ© bĂ©nĂ©ficie avant tout Ă  l’individu et qu’au besoin l’intĂ©rĂȘt de celui-ci soit prĂ©fĂ©rĂ© Ă  celui du groupe. En Chine, que l’intĂ©rĂȘt du groupe demeure servi dans la durĂ©e. Toutes les rĂ©glementations qui mettent en cause le futur systĂ©mique doivent ĂȘtre guidĂ©es, dans leur adoption, non seulement par les entreprises mais encore par les autoritĂ©s publiques, et dans leur interprĂ©tation par les uns et les autres, non seulement par les entreprises mais encore les juridictions, par ces buts monumentaux, qui fondent juridiquement cette branche du droit.

Par les buts monumentaux, le droit de la compliance se saisit de l'avenir.  Tandis que le droit de la conformitĂ© n’est Ex Ante que pour opĂ©rer le respect de la rĂ©glementation plutĂŽt que de sanctionner Ex Post les violations de celle-ci, ce qui est une conception fondĂ©e mais n’est pas une conception nouvelle, le droit de la compliance conçu comme ayant sa normativitĂ© dans les buts monumentaux est radicalement nouveau en ce que son objet est l’avenir. Il exprime en cela une prĂ©tention, imposĂ©e par les autoritĂ©s publiques aux entreprises qui sont en position de la concrĂ©tiser, Ă©ventuellement partagĂ©e par celles-ci, de faire en sorte que l’avenir soit diffĂ©rent de ce qu’il serait sans cette action Ex Ante. Cette normativitĂ© juridique contenue dans ces buts monumentaux constitue la nouveautĂ© de cette branche du droit.

Les buts monumentaux donnent aussi l’unicitĂ© de cette branche du droit. En lui donnant de ce fait des contours, ils en limitent l’emprise. Il ne s’agit pas de dĂ©velopper les instruments de compliance pour toute la rĂ©glementation, mais uniquement pour ce qui est en cause d’une façon systĂ©mique pour le futur. DĂšs lors, la puissance dĂ©veloppĂ©e par cette nouvelle branche du droit trouve une unicitĂ©, puisque beaucoup de rĂšgles ne se rattachent pas Ă  cela, et lui donne aussi sa mesure : il ne s’agit pas de faire rĂ©gner toute la rĂ©glementation, par avance et sur tous. Il ne s’agit pas de remplacer le principe de libertĂ© de chacun, sauf Ă  rĂ©pondre de son action par le mĂ©canisme de la responsabilitĂ©, mais d’ĂȘtre contraint d’agir effectivement lorsque l’avenir est d’ores et dĂ©jĂ  en jeu d’une façon systĂ©mique. En cela, les buts monumentaux donnent une unicitĂ© nĂ©gative (en ce que cela n’est pas : cela ne vise pas toute la rĂ©glementation) et une unicitĂ© positive (en ce que c’est : obtenir un futur durable conforme Ă  une volontĂ© politique).

 

 

II.  LES BUTS MONUMENTAUX, COEUR DE LA NATURE SYSTÉMIQUE ET POLITIQUE DU DROIT DE LA COMPLIANCE  

 Parce que le droit de la compliance prĂ©serve en Ex Ante la durabilitĂ© des systĂšmes, il peut imposer des contraintes inĂ©dites et accorder les pouvoirs nouveaux Ă  des entreprises, justifiĂ©s par cette nature systĂ©mique (A). Plus encore, parce qu’il porte une ambition de dessiner le futur grĂące aux entreprises, continuant ainsi le droit de la rĂ©gulation, il concrĂ©tise en cela des choix de nature politique (B).

 

A. LES BUTS MONUMENTAUX, COEUR DU SYSTÈME DU DROIT DE LA COMPLIANCE, 

 Les Buts Monumentaux participent directement au systĂšme de compliance puisqu'ils placent le Droit de la Compliance dans la gestion des risques systĂ©miques (1).  Ils peuvent porter ce souci systĂ©mique au-delĂ  des secteurs, ce qui est particuliĂšrement prĂ©cieux dans des espaces qui ne constituent pas des secteurs, comme l'est dĂ©sormais l'espace numĂ©rique (2).

 

1. Le droit de la compliance, gestion des risques systémiques.

Le droit de la compliance est un systĂšme de gestion des risques eux-mĂȘmes systĂ©miques. Les contraintes inĂ©dites qui pĂšsent sur les entreprises, notamment par l’effet extraterritorial du droit de la compliance, se justifient par la portĂ©e globale des risques eux-mĂȘmes. En effet, les risques sanitaires ou climatiques se diffusent sans considĂ©ration des frontiĂšres. Plus encore les espaces financiers et numĂ©riques sont en grande partie immatĂ©riels. Il est remarquable que l’expression de « rĂ©gulation du numĂ©rique Â» est aujourd’hui courante alors qu’il ne s’agit pas d’un secteur. Ainsi la cartographie des risques est le moyen de dĂ©tecter et de prĂ©venir les catastrophes systĂ©miques, ce qui explique sa pratique plus ancienne dans les secteurs rĂ©gulĂ©s et supervisĂ©s, notamment le secteur bancaire, que dans les autres.

Il est frĂ©quent que dans les Ă©tablissements bancaires le service en charge de la compliance soit Ă©galement en charge des risques. Cela signifie que la fonction n’a pas en charge l’effectivitĂ© de toute la rĂ©glementation applicable Ă  l’entreprise mais, ce qui est tout autre chose, l’apprĂ©ciation des risques que l’entreprise court et qu’elle-mĂȘme fait courir au systĂšme, si elle est elle-mĂȘme systĂ©mique. ApparaĂźt alors le lien entre le droit de la compliance et les mĂ©canismes de supervision dont l’entreprise fait l’objet.

 

2. Le droit de la compliance, déploiement a-sectoriel du droit de la régulation

Parce que ces buts monumentaux convergent, voire sont identiques Ă  ceux du droit de la rĂ©gulation, le droit de la compliance apparait comme le relais, voire l'amplification du droit de la rĂ©gulation, particuliĂšrement efficaces pour les espaces globaux ou non-sectoriels. Le droit de la compliance imposant Ă  certaines entreprises l’obligation, le pouvoir et les droits nĂ©cessaires pour obtenir que des crises n’adviennent pas et que les systĂšmes soient dotĂ©s de la qualitĂ©, dĂ©sormais juridique, de durabilitĂ©, souci que les entreprises elles-mĂȘmes partagent par intĂ©rĂȘt ou/et par conviction, il peut se dĂ©ployer dĂšs l’instant qu’il pĂ©nĂštre dans les entreprises sans qu’il soit nĂ©cessaire d’établir au prĂ©alable une autoritĂ© spĂ©cifique. Cela est particuliĂšrement utile lorsque les risques sont inhĂ©rents Ă  des espaces mondiaux que des autoritĂ©s publiques ont du mal Ă  rĂ©guler faute de pouvoir elles-mĂȘmes ĂȘtre globales (cas de l’espace financier) ou que l’espace est immatĂ©riel : ce qu’est l’espace financier, ce qu’est par nature l’espace numĂ©rique. Obliger les entreprises Ă  prendre le relais de la garde des systĂšmes, le numĂ©rique pouvant ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le systĂšme premier du monde, permet l’usage de moyens juridiques Ă  portĂ©e systĂ©mique, laquelle exige une perspective Ex Ante.

 

B. DROIT DE LA COMPLIANCE, DROIT CONCRÉTISANT DES AMBITIONS POLITIQUES 

 Les Buts Monumentaux situent le Droit de la Compliance comme ayant pour objet l'Avenir pour qu'il soit diffĂ©rent de ce Ă  quoi le cours des choses mĂšnerait. En cela, ils font du Droit de la Compliance un choix pour l'avenir, ce qui est par nature un exercice politique (1).  Cette dimension s'accroĂźt lorsqu'il s'agit des Buts Monumentaux positifs (2).

 

1. Choisir son avenir, exercice par nature politique

Choisir ce que doit ĂȘtre l’avenir est l'expression d’une volontĂ© par nature politique. MĂȘme si l’on se contentait de poser que le systĂšme ne doit pas Ă  l’avenir entrer en crise, c’est dĂ©jĂ  en cela faire un choix de nature politique, car de nombreux travaux montrent Ă  l’inverse la nature salutaire de la crise, facteur d’innovations et d’apprentissage. Le goĂ»t pour ce qui brise et renouvelle l’ensemble, Ă  travers le terme de « disruptif Â», montre la pertinence de cette conception.

Si les institutions et le droit posent d’exclure cette hypothĂšse, en matiĂšre bancaire, financiĂšre, Ă©nergĂ©tique, numĂ©rique, etc., elles formulent en cela un choix, consistant notamment Ă  privilĂ©gier un certain Ă©tat du futur, notamment pour que certaines personnes ne paient pas pour que d’autres recueillent les bienfaits des changements apportĂ©s par la crise. Cette permanence ainsi politiquement dĂ©cidĂ©e en fait peser le coĂ»t sur les acteurs prĂ©sents. Le pouvoir de faire ce choix politique est gĂ©nĂ©ralement confiĂ© Ă  l’État, au nom de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, en ce qu’il est lĂ©gitime Ă  opĂ©rer les choix pour le futur du groupe social, ces choix exprimant en outre la souverainetĂ©.

 

2. Accroissement de la dimension politique dans le droit de la compliance dĂ©fini par des buts monumentaux positifs

Poser normativement que n’arriveront pas certains Ă©vĂ©nements futurs, comme la faillite du systĂšme bancaire et financier Ă©tant dĂ©jĂ  l’expression d’une volontĂ© politique, cette dimension est encore plus perceptible si le droit tĂ©lĂ©ologique que constitue le droit de la compliance pose l’ambition que doivent exister Ă  l’avenir des situations qui sinon, sans cette volontĂ© prĂ©alablement exprimĂ©e, n’existeraient pas. C’est le cas en premier lieu lorsque des politiques industrielles se mettent en place, notamment en matiĂšre d’infrastructures de donnĂ©es.

Le droit de la compliance opĂšre alors la jonction entre la politique industrielle et le droit de la rĂ©gulation, dans la protection effective notamment qu’il peut opĂ©rer des droits de la propriĂ©tĂ© intellectuelle, ce que le droit de la concurrence ne peut faire puisque ceux-ci constituent des monopoles.

Cette dimension politique apparaĂźt plus nettement encore lorsqu’il s’agit d’utiliser directement la puissance des entreprises, parce qu’elles sont en meilleure position que d’autres entitĂ©s pour concrĂ©tiser le cƓur normatif du droit de la compliance, pour la protection des ĂȘtres humains. C’est expressĂ©ment dit dans la loi du 23 mars 2017, dite « Loi Vigilance Â», dont l’objet est la prĂ©vention de la violation des droits humains, c’est-Ă -dire la prise par en charge par les entreprises de l’effectivitĂ© de ceux-ci. Plus encore, la prise en charge de l’égalitĂ© des droits entre les personnes exprime une volontĂ© politique qui est distincte de la prĂ©vention d’une catastrophe

La dimension politique du droit de la compliance explique l’intĂ©rĂȘt que la science politique lui porte. Elle justifie aussi fortement que les autoritĂ©s politiques, que sont les parlements et les gouvernements demeurent ceux qui fixent les contours de ces buts monumentaux, puisque ces autoritĂ©s politiques, en ce qu’elles tiennent leurs pouvoirs de faire des choix pour le futur du groupe social, de l’élection par le peuple qu’elles reprĂ©sentent, soient trĂšs prĂ©sentes dans le droit de la compliance.

C’est l’une des consĂ©quences pratiques majeures de cette dĂ©finition du droit de la compliance par ses buts monumentaux.

 

 

III.  CONSÉQUENCES PRATIQUES DU DROIT DE LA COMPLIANCE AYANT POUR COEUR SES BUTS MONUMENTAUX  

Les premiĂšres consĂ©quences pratiques du droit de la compliance mettant en son cƓur ses buts monumentaux sont d'exclure les excĂšs d'une conception, souvent appelĂ©e "droit de la conformitĂ©" visant Ă  l'effectivitĂ© totale de toute la rĂ©glementation applicable (A). Ainsi conçu par les buts monumentaux, conception si ambitieuse, l'avantage pratique est au contraire sa limitation, ce qui le rend supportable. En effet, le droit de la compliance, en ce qu’il tient sa normativitĂ© juridique dans les buts monumentaux qu’il doit concrĂ©tiser grĂące Ă  la puissance de ses dispositifs, est ipso facto limitĂ© aux seuls domaines impliquĂ©s par ces buts monumentaux, Ă  l’exclusion des autres, la prĂ©valence des buts, qui constituent l'esprit, permet de limiter le tsunami de la lettre innombrable des rĂ©glementations (B).

 

A. Ă‰VITER LES EXCÈS D'UN DROIT DE LA CONFORMITÉ VISANT A L'EFFECTIVITÉ DE TOUTE LA RÉGLEMENTATION APPLICABLE

 

1. La conception de la Compliance, comme contrainte des entreprises de donner Ă  voir qu'elles se "conforment" Ă  toutes les rĂ©glementations qui leur sont applicables

L'on peut concevoir le Droit de la Compliance comme l’ensemble des dispositifs juridiques qui obtient qu’un agent, plus spĂ©cifiquement une entreprise, « se conforme Â» Ă  l'ensemble de toutes les rĂ©glementations qui le gouvernent, c’est-Ă -dire obĂ©isse et montre qu’il obĂ©it. L'on aurait alors tendance Ă  appeler la branche du Droit le "Droit de la conformitĂ©", puisqu'il s'agit d'ĂȘtre conforme aux rĂšgles, Ă  toutes les rĂšgles applicables.

Cette obĂ©issance est principalement obtenue par l’efficacitĂ© des sanctions encourues en cas de dĂ©sobĂ©issance et/ou par l’intĂ©rĂȘt que l’agent Ă  de suivre toute la rĂ©glementation qui le vise. Cette dĂ©finition procĂ©durale dessine le droit de la compliance comme une sorte de voie d’exĂ©cution des rĂšgles, exĂ©cution qui est dĂ©placĂ©e de l’Ex Post Ă  l’Ex Ante, l’agent donnant Ă  voir de grĂ© ou de force qu’il se conforme Ă  la rĂ©glementation qui le soumet. La teneur de la rĂšgle Ă  laquelle le sujet de droit « se conforme Â» n’appartient pas au droit de la compliance, ce pourquoi elle a Ă©tĂ© prise encore moins : la branche du droit serait centrĂ©e sur l’efficacitĂ© de cette « conformitĂ© Â».

En pratique, sanctions, procĂ©dure et preuves sont au cƓur de cette dĂ©finition qui appelle en pratique Ă  la fois des rĂšgles universelles (obtention efficace de l’obĂ©issance) et des solutions technologiques (dans le maniement de la masse rĂ©glementaire et l’information). Les algorithmes sont la solution pour gĂ©rer une telle "complexitĂ© rĂ©glementaire". Certes, les algorithmes ne peuvent pas "comprendre" les rĂšgles, mais cela n'est pas un obstacle, puisque le Droit de la conformitĂ© ne serait qu'une sorte de mĂ©thode d'efficacitĂ© qui s'applique Ă  toutes les rĂšgles.  

Pour Ă©viter cela, l’on doit en revenir au principe classique d’un systĂšme juridique et Ă©conomique libĂ©ral, qui ne demande en rien Ă  une entreprise qu’elle concrĂ©tise elle-mĂȘme les rĂšgles. Une entreprise agit comme elle le veut. Le respect qu’elle doit avoir du Droit, contrainte qui pĂšse sur elle comme sur tout sujet de droit, implique simplement que si, dans l’exercice qu’elle fait de sa libertĂ© d’action, son comportement s’avĂšre contraire Ă  une rĂšgle de droit, alors une personne peut s’en prĂ©valoir contre elle : l’autoritĂ© publique, ou une victime, peut lui en demander des comptes et le juge l’en tiendra responsable.

L’effet extraordinaire produit par le droit de la compliance, impliquant pour l’entreprise qu’elle concrĂ©tise elle-mĂȘme des rĂšglementations ne peut se justifiant que parce qu’elle est en position de concrĂ©tiser des buts monumentaux systĂ©matique : hors de ceux-ci, parce que nous ne sommes pas dans une Ă©conomie administrĂ©e, ce n’est pas aux entreprises, ni aux sujets de droit eux-mĂȘmes, de rendre effectives, efficaces et efficientes les rĂšgles de droit.

Mais de la mĂȘme façon que les personnes peuvent dĂ©cider de le faire, d’entreprendre une « lutte pour le droit Â», qu’il peut ĂȘtre pertinent pour l’Etat ou les juridictions de les y inciter, de la mĂȘme façon les entreprises peuvent dĂ©cider, par « esprit de responsabilitĂ© Â», de concrĂ©tiser des rĂšgles de droit, voire d’en accroĂźtre la contrainte, parce qu’elles y adhĂšrent : c’est alors la rencontre entre la responsabilitĂ© sociĂ©tale des entreprises et le droit de la compliance. L’importance grandissante des engagements, notamment de la portĂ©e donnĂ©e par le droit de la compliance aux engagements volontairement pris par les entreprises, en atteste. 

 

 2. Echapper aux consĂ©quences d'une dĂ©finition neutre et mĂ©canique d'une "conformitĂ©", par une dĂ©finition autre du Droit de la Compliance par les Buts Monumentaux 

Ne disposer que de cette dĂ©finition, comme internalisation dans les entreprises de leur soumission dĂ©montrĂ©e Ă  la rĂ©glementation qui leur est applicable, gage de l’efficacitĂ© de celle-ci, aurait pour inconvĂ©nient, paradoxal dans cet environnement si rĂ©glementaire dans lequel les dĂ©cisions et textes en tous genres abondent, de sortir la Compliance du Droit. 

En effet, le premier inconvĂ©nient est le caractĂšre Ă©trangement non-juridique de l’ensemble du dispositif. Toutes les sortes de normes, de la Constitution jusqu’à la circulation en passant par les contrats ou les chartes sont engloutis dans la qualification de « rĂ©glementation Â» et tout y est mĂ©caniquement traitĂ© comme « data Â», masse d’informations traitĂ©es. Ce pour quoi sont faits les dispositifs reste extĂ©rieur, les normes constitutionnelles ou les contrats sont considĂ©rĂ©s comme ayant de fait la mĂȘme valeur, la perspective Ă©tant non pas verticale mais « horizontale Â», le droit souple Ă©tant d’ailleurs plus important que les Constitutions, puisque plus rapide, plus adaptĂ© et plus efficace ; l’efficacitĂ© Ă©tant le seul critĂšre. Beaucoup prĂ©sentent d’ailleurs la compliance comme n'Ă©tant d’ailleurs pas du droit, mais plutĂŽt de la seule gestion des risques ou de la politique internationale, pour s’en fĂ©liciter ou pour s’en plaindre. Dans la mesure oĂč y est associĂ©e une grande puissance, il paraĂźt important que cela reste du droit, si l’on veut que les sociĂ©tĂ©s demeurent ancrĂ©es dans l’État de droit.

Centrer la conformitĂ© comme le respect anticipĂ© et actif de la rĂšgle sans regard pour le contenu de celle-ci prĂ©sente un danger souvent mis en avant pour aller Ă  une sorte de « rĂ©sistance Â» ou Ă  tout le moins de rĂ©action : celui du totalitarisme. En effet, si le principe n’est plus celui de la libertĂ© d’action puis la responsabilitĂ© Ex Post en cas de violation avĂ©rĂ©e de la rĂšgle mais celui de l’obligation de donner Ă  voir que l’agent se conforme Ă  toute la rĂ©glementation qui lui est applicable, il faut mais il suffit de mettre dans ladite rĂ©glementation une volontĂ© de puissance pour obtenir le bĂ©nĂ©fice de la puissance des entreprises qui en quelque sorte marchent mĂ©caniquement avec les auteurs de la rĂ©glementation C’est pourquoi, de la mĂȘme façon que le droit amĂ©ricain de la compliance est souvent dĂ©noncĂ© comme constituant un nouveau mode d'expansionnisme, voire de colonialisme par le droit, le droit de la conformitĂ© est associĂ© Ă  une soumission des agents et Ă  la captation de leur puissance d’action pour un dessein oĂč la libertĂ© n’a pas la place premiĂšre.

Se dĂ©gage ainsi l’inconvĂ©nient majeur d’un droit de la compliance dĂ©fini par une seule exigence de conformitĂ© mais une exigence totale de conformitĂ© : sa toute-puissance. Parce qu’il faudrait que l’entreprise soit elle-mĂȘme l’entitĂ© qui assure la pleine effectivitĂ© de la moindre rĂšgle, le droit de la compliance ainsi dĂ©fini, oĂč tout serait « obligation de rĂ©sultat Â» serait un « droit implacable Â». C’est d’ailleurs pourquoi, dans l’idĂ©al, un systĂšme de conformitĂ© rĂ©ussi, oĂč l’entreprise se conforte totalement, le juge n’a pas sa place. Or, dans un État de droit, c’est le juge qui est le signe et le garant des libertĂ©s des ĂȘtres humains, limitant tout mĂ©canisme de toute-puissance.

Centrer normativement le Droit de la Compliance sur des Buts Monumentaux limite cette exigence d'obĂ©issance dans un lien avec des perspectives de toute-puissance ; ils portent au contraire et en eux-mĂȘmes des limites juridiquement portĂ©es Ă  la puissance des outils de compliance.

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B. LIMITATION DU DROIT DE LA COMPLIANCE AUX SEULS DOMAINES IMPLIQUANT DES BUTS MONUMENTAUX 

 En pratique, les Buts Monumentaux produisent une limitation heureuse de l'emprise du Droit de la Compliance, puisque la puissance de celui-ci ne se dĂ©ploie que lorsque ces Buts Monumentaux sont concernĂ©s (1).  Un mĂȘme effet heureux de limitation provient du fait que, dans l'application qu'il faut alors faire, l'esprit - donnĂ© par les Buts Monumentaux - doit prĂ©valoir sur la lettre, si abondante et si difficile. Celle-ci devient alors, si ce n'est secondaire Ă  tout le moins seconde (2).

 

1. L'effet de limitation par le contour du but monumental considéré

 Le droit de la compliance Ă©tant donc dĂ©fini comme la dĂ©tection des risques de systĂšme et la prĂ©vention de catastrophes futures (« buts monumentaux nĂ©gatifs Â») ou l’ensemble des instruments qui permet d’obtenir Ă  l’avenir des Ă©quilibres plus favorables aux ĂȘtres humains (« buts monumentaux positifs Â»), il convient d’éliminer, dans toute la multitude des rĂšgles qu’une entreprise doit suivre, celles qui sont pertinentes pour cela.

 

2. L'effet de limitation par la prévalence de l'esprit sur la lettre

Puisque toute branche du droit tĂ©lĂ©ologique prend comme objet normatif mĂȘme son but, le droit de la compliance n’a pas pour objet de maĂźtriser toutes les rĂ©glementations qui s’appliquent aux entreprises, ni mĂȘme les rĂ©glementations qui s’attachent Ă  la prĂ©vention des catastrophes (buts nĂ©gatifs) ou Ă  la construction de nouveaux Ă©quilibres futurs (buts positifs), ce qui serait dĂ©jĂ  bien difficile. Cela implique en effet la connaissance technique des abus de marchĂ©, impliquant la maĂźtrise technique du droit de la concurrence, des droits des diffĂ©rents secteurs rĂ©gulĂ©s (bancaire, financier, Ă©nergĂ©tique, tĂ©lĂ©communication, transport, poste, aĂ©rien, spatial, etc.).

Il faut plutĂŽt ne s’appuyer sur la lettre de ces multiples rĂ©glementations que pour en comprendre et maĂźtriser l’esprit. Cela peut paraĂźtre plus limitĂ©, mais c’est aussi une conception plus classique du droit, dans lequel l’on affirme que l’esprit est plus important que la lettre, que celle-ci n’a d’intĂ©rĂȘt que pour mener Ă  l’esprit et que, dans l’hĂ©sitation, l’esprit doit prĂ©valoir sur la lettre. C’est donc l’esprit qu’il faut comprendre. Il est douteux qu’un algorithme puisse le faire.

 

 

C. SÉLECTIONNER LES OUTILS DE COMPLIANCE ET LES SUPERVISER POUR ATTEINDRE EFFECTIVEMENT LES BUTS MONUMENTAUX

Puisque la normativitĂ© du droit de la compliance est dans ses buts monumentaux, les diffĂ©rents dispositifs juridiques sont des instruments qui prennent leur sens au regard de ces buts. Cela suppose que les diffĂ©rents mĂ©canismes maniĂ©s par les entreprises sont sĂ©lectionnĂ©s dans cette perspective-lĂ  (1) et que ce maniement, voire cette crĂ©ation, ne peut se s’opĂ©rer sans la supervision d’autoritĂ©s publiques, en raison de la nature politique des buts monumentaux dont il s’agit (2).

 

1. SĂ©lection des instruments de compliance requis pour atteindre les buts monumentaux

Parce que l’on demande aux entreprises non pas d’ĂȘtre passivement en conformitĂ© de la rĂ©glementation mais d’ĂȘtre activement en mesure d’amĂ©liorer le futur, par exemple prĂ©venir la corruption et le blanchiment ou Ă©tablir effectivement l’égalitĂ© entre les ĂȘtres humains, il faut que celles-ci puissent utiliser leur puissance Ă  cette fin. C’est mĂȘme pour cela que les autoritĂ©s publiques, par diverses lois, sont allĂ©es les chercher. Il faut donc qu’elles puissent utiliser leur capacitĂ© technique d’innovation et leur position, par exemple le fait de pouvoir avoir des informations et les centraliser. Ainsi les systĂšmes de compliance, qui sont aussi des systĂšmes de pouvoir, via par exemple la compliance by design ou via le devoir de vigilance ou via les codes de bonne conduite, lĂ©gitimes les diffĂ©rentes crĂ©ations normatives ou les fonctions quasi-juridictionnelles qu’exercent les entreprises.

La Commission des sanctions de l’Agence française anticorruption (AFA) a ainsi rappelĂ© que les entreprises sont libres de choisir la façon dont elles dĂ©tectent et prĂ©viennent la corruption, en dehors des façons de faire recommandĂ©es par l’AFA.

Dans cette conception qui s’appuie sur la puissance des entreprises, les autoritĂ©s publiques en Ex Ante ont, le plus souvent, un rĂŽle incitatif plus qu’un rĂŽle de contrainte. En cela proche du droit de la rĂ©gulation, le droit de la compliance jouxte ainsi les politiques publiques. Les entreprises peuvent ainsi dĂ©velopper des normes techniques et des standards de comportements qui leur sont communs, pour crĂ©er des Ă©cosystĂšmes, comme l’est Gaia-X. Tout cela n’est admissible qu’à condition d’y associer la supervision par des autoritĂ©s publiques d’une part et la possibilitĂ© toujours ouverte d’un contrĂŽle Ex Post par un juge.

Parce que les buts monumentaux concernent le futur de l’humanitĂ© (Ă©viter la guerre, restaurer l’équilibre climatique, protĂ©ger contre la haine, etc.), pour atteindre cela, c’est avant tout les ĂȘtres humains eux-mĂȘmes qui doivent ĂȘtre les acteurs. Cette dĂ©finition du droit de la compliance jouxte plus fortement l’éthique et la responsabilitĂ© sociĂ©tale. Elle explique notamment l’insistance avec laquelle les autoritĂ©s publiques demandent aux dirigeants des entreprises d’ĂȘtre publiquement « exemplaires ". Dans cette conception, la formation Ă  l’intĂ©rieur des entreprises, notamment Ă  l’intĂ©rieur des programmes de compliance, que ceux-ci soient contraints ou volontaires, est essentielle.

Parce que la formulation des buts monumentaux repose sur les autoritĂ©s publiques, auxquels peuvent Ă©ventuellement adhĂ©rer les entreprises, tandis que le fait de pouvoir les atteindre repose avant tout sur la puissance des entreprises Ă  le faire, parce qu’elles sont en position de le faire, l’essentiel est non seulement l’établissement de dispositifs structurels (ce qui relĂšve gĂ©nĂ©ralement d’obligations de rĂ©sultats) mais encore de comportements (ce qui relĂšve gĂ©nĂ©ralement d’obligations de moyens). Ce besoin impĂ©ratif de « culture de compliance Â» est soulignĂ© de toutes parts, que ce soit par les autoritĂ©s publiques, les entreprises, les praticiens ou la doctrine.

Cette « culture de compliance Â» est difficile Ă  dĂ©tacher de la « culture de l’entreprise Â» elle-mĂȘme. C’est mĂȘme un moyen pour la premiĂšre de son bon dĂ©veloppement : qu’elle s’articule avec la culture de l’entreprise particuliĂšre. Par exemple, le soin accordĂ© Ă  la nature, si cette entreprise-ci est trĂšs ancrĂ©e dans un territoire, ou le soin accordĂ© Ă  chacun des clients dont la vie privĂ©e est prĂ©servĂ©e, si c’est la valeur premiĂšre de cette entreprise-lĂ . Cela permet d’ailleurs de bien internaliser la compliance au-delĂ  des distinctions des systĂšmes juridiques si l’entreprise est internationale et adopte des normes communes Ă  l’ensemble du groupe, Ă  travers une charte ou un code, par exemple Ă  l’égard des fournisseurs, ce qui facilitera l’effectivitĂ© de son devoir de vigilance, et la contractualisation de celui-ci.

 La dimension systĂ©mique des buts monumentaux les contient trĂšs rarement dans un territoire. La volontĂ© d’atteindre ces buts systĂ©miques (obtenir qu’un Ă©vĂ©nement n’advienne pas dans le futur ; obtenir qu’un Ă©vĂ©nement advienne dans le futur) lĂ©gitime que les instruments du droit de la compliance, qui ne s’appliquent heureusement pas Ă  toute la rĂ©glementation applicable Ă  l’entreprise, soient dotĂ©s d’un effet territorial correspond Ă  la propagation nĂ©gative de l’évĂ©nement dont on exclut la survenance ou Ă  l’ampleur positive de l’évĂ©nement dont on veut l’arrivĂ©e.

C’est bien parce que la question des embargos ne correspond pas Ă  cette dĂ©finition, que ces sanctions Ă©conomiques dĂ©finies par un pouvoir particulier pour servir son intĂ©rĂȘt propre en contraignant des tiers, est un contournement du droit de la compliance. En revanche, la dĂ©tection et la prĂ©vention des atteintes Ă  la probitĂ©, la lutte contre le blanchiment d’argent, la lutte contre le changement climatique, contre le trafic des ĂȘtres humains, etc., n’ont que peu d’effectivitĂ© s’ils demeurent enfermĂ©s dans les frontiĂšres. C’est donc d’une façon consubstantielle que le droit de la compliance est extraterritorial.

Les entreprises s’en sont souvent plaintes, notamment les entreprises europĂ©ennes se prĂ©sentant comme punies par des autoritĂ©s amĂ©ricaines alors qu’elles ne sont pas sujets de droit amĂ©ricains, le lĂ©gislateur les ayant entendu par la modernisation des lois de « blocage Â», mais le devoir de vigilance leur confĂšre des pouvoirs qui vont au-delĂ  des frontiĂšres sur d’autres opĂ©rateurs tandis que le prochain possible drame climatique ne trouve de solutions pratiques que si le droit rompt avec ce qui est encore posĂ© comme un prĂ©alable en droit classique : la frontiĂšre. Ce que le droit de la compliance, pas plus qu’il ne connait plus guĂšre le « secteur Â», ne considĂšre plus d’une façon rĂ©dhibitoire.Les entreprises s’en sont souvent plaintes, notamment les entreprises europĂ©ennes se prĂ©sentant comme punies par des autoritĂ©s amĂ©ricaines alors qu’elles ne sont pas sujets de droit amĂ©ricains, le lĂ©gislateur les ayant entendu par la modernisation des lois de « blocage Â», mais le devoir de vigilance leur confĂšre des pouvoirs qui vont au-delĂ  des frontiĂšres sur d’autres opĂ©rateurs tandis que le prochain possible drame climatique ne trouve de solutions pratiques que si le droit rompt avec ce qui est encore posĂ© comme un prĂ©alable en droit classique : la frontiĂšre. Ce que le droit de la compliance, pas plus qu’il ne connait plus guĂšre le « secteur Â», ne considĂšre plus d’une façon rĂ©dhibitoire.

 

2.La supervision publique requise

Mais en contrepartie de cette liberté nécessaire laissée aux entreprises dont la puissance est recherchée, et non pas contrée, les autorités publiques ne sont pas seulement en Ex Post, grùce aux juridictions qui sanctionnent les manquements ou infractions de leur part. Les entreprises sont supervisées par des autorités publiques qui, en dehors de tout indice de manquement, peuvent contrÎler la bonne exécution de leurs obligations de compliance.

 En cela, le droit de la compliance a opĂ©rĂ© un saut qualitatif extraordinaire. En effet, heureusement que le droit de la compliance n’impose pas Ă  toutes les entreprises de donner Ă  voir qu’elles respectent toutes les rĂ©glementations qui leur sont applicables. Mais dĂšs que l’avenir est en jeu et qu’une ambition est portĂ©e par cette nouvelle branche du droit pour que le futur ne se dĂ©roule pas comme le dessinerait le cours mĂ©canique des choses, les entreprises – qu’elles soient rĂ©gulĂ©es ou pas – vont devenir transparentes, les autoritĂ©s publiques contrĂŽlant la façon dont elles mettent en Ɠuvre leurs obligations et pouvoirs de compliance, en l’absence de tout litige. Seules les entreprises en charge d’un service public, ou pour parler d’une façon plus moderne, d’une infrastructure essentielle, ou pour reprendre une qualification plus nouvelle encore, les « entreprises cruciales", Ă©taient jusqu’ici ainsi supervisĂ©es. Le secteur bancaire en Ă©tait le parangon, puisque secteur Ă  la fois rĂ©gulĂ© dans ses structures et supervisĂ© dans ses acteurs. Le droit de la compliance en emprunte ses principes et ses techniques. Par exemple l'obligation de vigilance qui pĂšse sur les banques s'est transformĂ©e en devoir de vigilance qui pĂšse dĂ©sormais sur l'ensemble des entreprises. 

 

 

IV. DEMAIN : L'ATTENTE FACE AU DROIT DE LA COMPLIANCE  CONSTRUIT SUR LES BUTS MONUMENTAUX

L'on peut attendre beaucoup d'une telle dĂ©finition du Droit de la Compliance par ses Buts Monumentaux (A). Notamment qu'elle fonde une alliance entre les AutoritĂ©s politiques et les opĂ©rateurs Ă©conomiques cruciaux. Mais il faut sans doute avant tout faire une sorte de pari pour demain, en croyant encore que le souci d'autrui peut guider l'action humaine (B).

 

A. CE QUE L'ON ATTEND DU DROIT DE LA COMPLIANCE CONSTRUIT SUR LES BUTS MONUMENTAUX

 L'on peut attendre de cette dĂ©finition du Droit de la Compliance par ses Buts Monumentaux un renforcement de l'alliance entre le Politique et les opĂ©rateurs cruciaux (1).  Cette dĂ©finition peut produire des solutions globales pour des difficultĂ©s pour l'instant difficilement solubles, notamment en droit climatique (2). Cette dĂ©finition contenant en son cƓur les Buts Monumentaux met en premier des valeurs pouvant ĂȘtre communes aux ĂȘtres humains (3). 

 

1. Une alliance entre le Politique et les opĂ©rateurs cruciaux 

Par l’usage des incitations et en raison du dĂ©veloppement d’une culture de compliance partagĂ©e entre les ĂȘtres humains qui composent les entreprises, la Compliance progressant en mĂȘme temps que la raison d'ĂȘtre repose sur une dĂ©finition de l'entreprise davantage comme un groupe de personne que comme un groupe d'actifs financiers, les entreprises ont tendance Ă  appliquer davantage les rĂšgles parce que les personnes dont elles rĂ©pondent savent Ă  quoi celles-ci servent.

Cette rĂšgle si triviale mais soulignĂ©e en sciences Ă©conomique et managĂ©riale conduit l’entreprise Ă  ne plus « subir Â» le droit de la compliance, Ă  ne plus mĂȘme l’endosser par meilleur calcul du « risque de rĂ©putation Â» mais simplement parce que les personnes en cause adhĂšrent elles-mĂȘmes aux buts normatifs en question : c’est la « compliance consentie Â». Comme ces buts sont conçus par les autoritĂ©s politiques et publiques, les entreprises rĂ©pondant de personnes qui ont les mĂȘmes buts, les conditions sont alors rĂ©unies pour une alliance entre les entreprises et les autoritĂ©s.

L’on peut mĂȘme alors concevoir le droit de la compliance comme cette alliance entre les autoritĂ©s politiques, lĂ©gitimes Ă  formuler juridiquement ces buts, et les entreprises, en position de les atteindre et libres d’adhĂ©rer Ă  ces buts, notamment parce que les personnes dont elles rĂ©pondent les privilĂ©gient. Le mouvement lĂ©gislatif sur la raison d’ĂȘtre va dans ce sens.

 

2. DĂ©gager quelques solutions de droit global pour des difficultĂ©s a priori insurmontables

Le deuxiĂšme avantage pratique de penser normativement la compliance Ă  travers ses buts monumentaux et est de situer le corpus vĂ©ritablement en Ex Ante, les contraintes n’étant pas au centre du dispositif, le droit pĂ©nal redevenant ce qui devrait ĂȘtre en droit classique qui conçoit celui-ci comme exception au principe de libertĂ©. En effet, la conception procĂ©durale prĂ©citĂ©e vise Ă  soumettre les entreprises, c'est-Ă -dire les ĂȘtres humains, Ă  la rĂšgle ; elle s'oppose donc Ă  leur libertĂ©. C'est aussi pour cela que le Droit de la Compliance a Ă©tĂ© si critiquĂ©.

Au contraire, si l'on conçoit le Droit de la compliance normativement Ă  travers ses buts monumentaux, non seulement la libertĂ© des ĂȘtres humains qui forment l'entreprise est possible mais elle est mĂȘme requise. En effet, les entreprises dĂ©veloppent des mĂ©canismes dont elles conçoivent librement la forme, rendant des comptes sur les effets produits au regard des buts, selon le principe devenant Ă  la fois central et positif : la proportionnalitĂ©. 

Comme ces normes et mĂ©canismes sont, d’une part, davantage intĂ©riorisĂ©s par la formation des ĂȘtres humains qui sont dans l'entreprise ou collaborent d'une façon ou d'une autre avec elle ou sont concernĂ©es par son action, et sont, d’autres part, dĂ©ployĂ©s par les entreprises qui dĂ©pendent moins des frontiĂšres que ne le sont les États, notamment grĂące au droit souple qu’elles produisent, par exemple par les codes de conduite, la portĂ©e mondiale est atteinte, non pas par la neutralitĂ© des normes produites mais par la globalitĂ© de son Ă©metteur : l’entreprise. Lorsque le but monumental est mondial parce que le sujet est lui-mĂȘme mondial, il peut arriver que des institutions internationales soient dĂ©jĂ  prĂ©sentes (comme en matiĂšre bancaire ou en matiĂšre financiĂšre), mais cela n’est pas le cas ni en matiĂšre de corruption, ni en matiĂšre de climat, ni en matiĂšre d’égalitĂ© entre les ĂȘtres humains. Les entreprises peuvent pallier l’absence de droit global, notamment en matiĂšre climatique.

 

3. Autour d'une dĂ©finition du droit de la compliance fondĂ©e sur des valeurs pouvant rĂ©unir les ĂȘtres humains

Les buts monumentaux prĂ©sentent une dimension technique, surtout lorsqu’ils sont nĂ©gatifs, mais expriment aussi des valeurs. Les valeurs y sont toujours prĂ©sentes, mĂȘme lorsqu'il ne s'agit pas de servir directement les ĂȘtres humains (exemple de la lutte contre les discours de haine), mais qu'il s'agit de prĂ©server un systĂšme Ă©conomique et financier. En effet, mĂȘme dans ce dernier cas, si la faillite de systĂšme est exclue, c’est par refus de sacrifier les ĂȘtres humains qui devraient payer le coĂ»t de la crise qui ferait passer du systĂšme effondrĂ© Ă  un systĂšme nouveau, perspective Ă  laquelle l'on pourrait ĂȘtre favorable.

Il demeure que les valeurs sont plus présentes lorsque les buts monumentaux positifs sont concernés plutÎt que les buts monumentaux négatifs, comme elles le sont lorsque c'est le futur lointain qui est en cause plus que le futur immédiat.

IndĂ©pendamment du choix de chacun pour ce Ă  quoi doit servir le Droit au regard des ĂȘtres humains, il est plus efficient de faire comprendre et de rĂ©unir des ĂȘtres humains trĂšs divers autour de valeurs qui les concernent directement qu’autour d’une masse rĂ©glementaire difficile Ă  comprendre. L’efficacitĂ© est du cĂŽtĂ© des valeurs lorsque les rĂšgles doivent ĂȘtre concrĂ©tisĂ©es par les personnes elles-mĂȘmes.

 

B. LE PARI DU DROIT DE LA COMPLIANCE CONSTRUIT SUR LES BUTS MONUMENTAUX

 Cette dĂ©finition permet de mieux comprendre le droit positif, de mieux l'apprendre aussi. Elle s'articule avec l'exigence gĂ©nĂ©rale que nous avons de nous "conformer" au Droit (1). Mais, parce que le Droit de la Compliance porte sur l'Avenir, ses Buts Monumentaux reprĂ©sentent en son cƓur battant le pari que l'ĂȘtre humain peut faire prĂ©valoir en Droit le souci d'autrui (2).

 

1. L'articulation de la conformité et de la Compliance

Il ne s’agit pas de dire que l’une des dĂ©finitions est exacte et l’autre fausse. Le droit positif, que cet ouvrage restitue en l’ordonnant, porte d’ailleurs des traces de l’une et de l’autre. Elles se superposent. Par exemple, les algorithmes ont leur place, mais ils ne peuvent suffire Ă  exclure la place, sans doute centrale et dĂ©cisive, des humains. La part politique du droit de la compliance doit ĂȘtre admise mais il ne faut pas que cette branche soit une voie d’accĂšs Ă  des totalitarismes technologiques. La premiĂšre dĂ©finition est sans doute plus universalisable que la seconde, puisque plus technologique et mĂ©canique ; la seconde est plus humaniste, renvoyant Ă  ce pour quoi sont faites les rĂšgles : « Les lois sont faites pour les hommes et non pas les hommes pour les lois Â», cette phrase de Portalis, il convient de l’avoir Ă  l’esprit.

 C’est sans doute plutĂŽt plus une inclinaison. Soit l’on fait encore confiance aux ĂȘtres humains, Ă  la part d’éthique que l’on croit exister en eux, au souci d’autrui qui peut les animer, et l’on inclinera vers non seulement la premiĂšre dĂ©finition mais on y superposera la seconde et lorsqu’il y a interprĂ©tation Ă  opĂ©rer ou contradiction, l’on prĂ©fĂ©rera la seconde. Si l’on a dĂ©sespĂ©rĂ© de l’ĂȘtre humain, mu par le calcul, en cela une sorte de machine, alors il convient d’en rester Ă  la premiĂšre dĂ©finition et de considĂ©rer que la seconde dĂ©finition n’est que du vent, du « mĂ©ta-droit Â» et n’a pas Ă  ĂȘtre considĂ©rĂ©e lorsque des solutions pratiques doivent ĂȘtre choisies ou imposĂ©es.

 

2. Le droit de la compliance, un pari sur l'aptitude humaine Ă  ĂȘtre libre

Si l’on a cette conception-lĂ  des ĂȘtres humains, alors il faut recruter des ingĂ©nieurs et leur demander d’élaborer des algorithmes qui effectueront leur travail dans des banques de donnĂ©es, qui traiteront toutes les rĂ©glementations qui nous gouvernent, et les ĂȘtres humains s’y conformeront Ă  la lettre. Si l’on a une conception des ĂȘtres humains comme des ĂȘtres libres, alors le droit de la compliance est ce qui permet la protection de cette libertĂ© d’une façon systĂ©mique pour qu'elle demeure Ă  l'avenir. C'est pourquoi le Droit de la compliance a un rapport si profond avec la DĂ©mocratie, laquelle s'exprime dans la durĂ©e. Il est vrai que cela constitue un pari, un pari dans les gouvernements, dans les entreprises, dans les rĂ©gulateurs, dans les juridictions et dans les ĂȘtres humains.

Ce pari est transparent dans la conception d’une normativitĂ© juridique placĂ©e dans les buts monumentaux du droit de la compliance. Cela tient au fait que je fais le pari que l’ĂȘtre humain est apte Ă  ĂȘtre libre et que le Droit est ce qui peut le lui permettre maintenant et dans le futur.

C’est pour cela que le droit de la compliance est essentiel, alors que le droit de la conformitĂ© ne l’est pas.

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