Mise à jour : 31 décembre 2024 (Rédaction initiale : 1 janvier 2024 )

Organisation de manifestations scientifiques

🧱⚙️Coordination scientifique et animation du cycle de conférences-débats 🧮Contentieux Systémique Émergent (CSE)

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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, Coordination et animation du cycle de conférences-débats Contentieux Systémique Émergent, organisé à l'initiative de la Cour d'appel de Paris, avec la Cour de cassation, la Cour d'appel de Versailles, l'École nationale de la magistrature (ENM) et l'École de formation des barreaux du ressort de la Cour d'appel de Paris (EFB), sous la direction scientifique de Marie-Anne Frison-Roche, 11h-12h30

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Le Cycle en quelques mots : Devoir de Vigilance, supervision des plateformes, information extrafinancière (CSRD), etc. : autant de nouveaux textes qui portent devant les juges des contentieux d’un type nouveau.

Malgré leur diversité, les cas portés devant les juges les plus divers présentent une unité : à travers le litige qui oppose les parties, c’est un système qui est en jeu, par exemple le système climatique, numérique, énergétique, financier, etc.

Les réglementations nouvelles ne sont que l’illustration de ce « contentieux systémique émergent » dont la formation a pour objet de montrer les nouveaux champs, les nouvelles techniques, les nouvelles normes, etc., en lien avec l’ampleur et la diversité des attentes des parties prenantes. Le cycle vise à favoriser les échanges croisés, afin d’alimenter la réflexion des magistrats en amont des litiges qui leurs seront soumis.

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🔴Les inscriptions et renseignements se font à l’adresse : inscriptionscse@gmail.com

🔴Pour les avocats, les inscriptions se font à l’adresse suivante : https://evenium.events/cycle-de-conferences-contentieux-systemique-emergent/ 

⚠️Les conférences-débats se tiennent en présentiel à la Cour d’appel de Paris

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► Présentation générale du cycle : En 2024, la Cour d’appel de Paris a créé une nouvelle chambre spécialisée : la chambre 5-12 Contentieux émergent – Devoir de vigilance et responsabilité écologique. Le contentieux de la vigilance est un exemple de ce qui émerge d’une façon plus générale : le contentieux systémique, souvent lié aux technologies. Celui-ci appelle une nouvelle façon de juger, d’organiser les procédures et les relations entre professionnels. Pour entrer dans ce Contentieux Systémique Émergent, une série de conférences-débats, valant formation continue, est organisée conjointement par la Cour d’appel de Paris, la Cour d’appel de Versailles, la Cour de cassation, l’École nationale de la magistrature (ENM) et l’École de Formation du Barreau (EFB), placée sous la responsabilité scientifique de la Professeure Marie-Anne Frison-Roche.

 

Dans ce contexte, un cycle de conférences-débats faisant appel à des professionnels d’horizons très divers est proposé sur les thématiques suivantes :

  • 🧮la notion même de « contentieux systémique émergent » et la place qu’y occupe le magistrat (29 mars 2024) : en lire le compte-rendu

 

  • 🧮la vigilance, en tant qu’elle donne lieu à un contentieux systémique, notamment parce qu’elle prend forme juridique dans de nombreux contrats, par exemple dans les relations de travail (26 avril 2024) : en lire le compte-rendu

 

  • 🧮la prise en considération dans le contentieux systémique émergent des techniques de fiabilité des informations, notamment sur les contenus disponibles sur les plateformes (27 mai 2024) : en lire le compte-rendu

 

  • 🧮la façon dont l’intelligence artificielle engendre un contentieux systémique et l’influence des nouveaux textes spécifiques pris (24 juin 2024) : en lire le compte-rendu

 

  • 🧮la durabilité, principe des systèmes que l'on retrouve dans les rapports et transitivement dans les contentieux portant sur leur élaboration, leurs normes, voire leur contrôle (9 septembre 2024) : en lire le compte-rendu

 

  • 🧮les techniques probatoires nouvelles requises par le contentieux systémique émergent, pour rendre compte des besoins systémiques, par exemple des systèmes climatiques et numériques, et la façon dont les entreprises y répondent (14 octobre 2024) : en lire le compte-rendu

 

  • 🧮le Droit processuel de la Vigilance, en ce qu'il intègre la dimension systémique du Contentieux de celle-ci (18 novembre 2024) : en lire le compte-rendu

 

  • 🧮retour d’expérience institutionnelle et jurisprudentielle des juridictions dans le contentieux systémique émergent (16 décembre 2024) : en lire le programme

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🧮consulter ci-dessous le programme complet du cycle de conférences-débats⤵️

Conférence inaugurale – Vendredi 29 mars 2024, de 11h à 12h30

IMPORTANCE ET SPÉCIFICITÉ DU CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE ÉMERGENT

Cour d’appel de Paris, salle Masse

 

11h-11h20. L’émergence du contentieux systémique, par Marie-Anne Frison-Roche, Professeure de Droit de la Régulation et de la Compliance, Directrice du Journal of Regulation & Compliance (JoRC)

  • J'ai abordé deux questions :

1. la définition du contentieux systémique ; et quelles conséquences pratiques cela a-t-il ?

2. pourquoi émerge-t-il maintenant ? et quelles conséquences pratiques cela a-t-il ?

  • La notion en a été proposée en 2021 : 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝L'hypothèse de la catégorie des causes systémiques portées devant le juge, 2021.
  • Cette définition est ici concrètement développée au regard des systèmes impliqués dont les intérêts, essentiellement futurs, doivent être entendus. La distinction en Droit processuel utilisée est celle entre la partie au litige et la partie à l'instance, car il ne faut pas que des personnes puissent avoir des prétentions (ce qui est le propre d'une partie au litige) du seul fait qu'elles soient "concernées", ce qui doit, mais ne doit que, leur ouvrir l'instance.
  • L'émergence est venue soit parce que des systèmes nouveaux sont apparus (numérique, algorithmes), soit parce que des atteintes nouvelles sont apparues à des systèmes anciens (climat), soit parce qu'une volonté politique ou une conscience sociale est apparue sur un système inchangé (rapport hommes/femmes).
    La part du technique et du politique n'est pas du tout la même et cela a un fort impact sur la technique procédurale et dans l'office du juge.

🌐consulter sur LinkedIn le compte-rendu de cette intervention fait par Marie-Anne Frison-Roche et renvoyant à une présentation générale de la manifestation, elle-même renvoyant aux comptes-rendus de chaque intervention 

🔲consulter les slides servant de support à cette intervention 

 

11h20-11h40. L’office du magistrat du parquet dans le contentieux systémique, par François Vaissette, Avocat général près la Cour d’appel de Paris

  • François Vaissette a illustré le Contentieux Systémique Emergent à travers le rôle et la place qu'y tient le parquet.
  • Revenant sur ce qui engendre le Contentieux Systémique Emergent, c'est-à-dire le Droit de la Compliance, il a souligné que les différentes réglementations ont plutôt marginalisé le rôle du ministère public. En effet, en confiant d'une part à des régulateurs administratifs et d'autre part aux entreprises elles-mêmes la fonction d'atteindre les Buts Monumentaux par lesquels cette nouvelle branche du Droit se définit, le Parquet, qui demeure actif lorsque les comportements sont pénalement sanctionnés, est marginalisé au profit d'autres entités.
  • Mais il considère que d'une part le procureur a su renouveler sa fonction, notamment à travers la CJIP, la contractualisation lui permettant de contribuer d'une nouvelle façon à traiter efficacement de ce qui au départ est un ferment de contentieux. D'ailleurs, prenant l'exemple du contentieux sur l'interdiction pénale de l'accès des mineurs à la pornographie proposée par des sites numérique (affaire dite Youporn), il souligne que dans ces contentieux complexes, une dimension pénale apparait fréquemment, ce qui invite le Procureur à exercer son office.

🌐consulter sur LinkedIn le compte-rendu de cette intervention fait par Marie-Anne Frison-Roche et renvoyant à une présentation générale de la manifestation, elle-même renvoyant aux comptes-rendus de chaque intervention 

 

11h40-12h30. Débat

  • Ces questions ont été vivement débattues avec la salle, dans la définition de ce qu'est un "système" et dans la répartition qui en a été faite, chacun s'accordant sur l'existence de ce nouveau contentieux et la nécessité de tirer les conséquences pratiques de sa spécificité.
  • Lors de la discussion, il a été également souligné par plusieurs intervenants que le rôle du Parquet allait sans doute s'accroître, qu'il y avait une demande en ce sens, du fait de la juridictionnalisation de la Compliance📎!footnote-3523, du fait que le Parquet est une partie jointe non indirectement impliquée, mieux placée que des entités privées qui s'approprient des intérêts collectifs qu'elles ne sont pas toujours légitimes à représenter et qu'il est un organe naturel pour exprimer un avis autorisé sur l'avenir des systèmes impliqués.

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Deuxième conférence – Vendredi 26 avril 2024, de 11h à 12h30

LA VIGILANCE, NOUVEAU CHAMP DE CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE

Cour d’appel de Paris, salle Masse

 

Présentation générale du sujet et modération par François Ancel, Haut Conseiller à la Première Chambre civile de la Cour de cassation

  • François Ancel a montré que la Compliance n'est pas que du droit souple mais aussi du droit dur, le "devoir de vigilance" le démontrant. La loi du 27 mars 2017, qui impose ce devoir de vigilance constituant la pointe avancée de la Compliance, a instauré à la charge des entreprises d’une certaine taille l'obligation d’identifier et de prévenir des risques en matière de droits humains, d'environnement et de droits sociaux.
  • Il en a rappelé les moyens, prévus par la loi : cartographie des risques d’atteintes graves aux droits humains et à l'environnement ; procédures d'évaluation régulière des filiales, des sous-traitants, des fournisseurs ; actions adaptées d’atténuation des risques ; mécanismes d’alerte et de recueil de signalement ; dispositif de suivi des mesures.
  • Afin d’assurer le contrôle, l’exécution et le cas échéant la sanction de ce plan, la loi a prévu un dispositif de contrôle judiciaire, avec une procédure en 2 temps : tout d'abord une procédure préventive, avec une mise en demeure, puis une procédure judiciaire, se déroulant au fond ou en référé.
  • L'orateur a estimé que la loi avait désormais atteint comme "l'âge de raison" et qu'elle a effectivement donné lieu à un contentieux, dont on peut même dire qu'il "a émergé", puisque des jugements rendus par le Tribunal judiciaire de Paris sont actuellement portés devant la Cour d'appel de Paris. L'orateur souligne que ce contentieux reste encore assez faible en nombre, mais que cela ne veut pas dire qu’il ne va pas être "florissant à l’avenir", car "les enjeux en sont énormes pour les entreprises et pour la société civile".
  • Afin d’éviter une expansion de ce contentieux, l'orateur estime qu'il faut que les juridictions parviennent à définir rapidement une "politique jurisprudentielle", qui permet de dégager des lignes assez claires, "permettant aux entreprises de savoir ce qui est attendu par la loi et ce qui est permis de demander au juge". C'est le juge qui va devoir l'écrire en l’absence de décret.
  • François Ancel pose que l'ensemble de ce cycle sur le "Contentieux Systémique Émergent" est là pour les aider, eux magistrats, à construire cette politique jurisprudentielle. À ce titre, il n’y a rien de mieux que d’entendre les sachants.
  • Ainsi, le plan de vigilance va faire naître des contentieux qui sont systémiques et qui vont toucher toutes les branches du Droit. Le sujet plus particulier de cette conférence-débat est d'essayer de voir les incidences de la loi Vigilance sur deux branches du Droit. Tout d'abord le Droit des contrats, qui peut être un instrument de mise en œuvre du devoir de vigilance par les entreprises. Or, une application classique du Droit des contrats peut être quelque peu bousculée quand ce droit s’inscrit dans un contexte de Compliance, comme va le montrer Jean-Christophe Roda
  • La seconde branche du droit ici privilégiée est celle qui porte sur la relation de travail, qui est impactée par le devoir de vigilance, parce qu’il concerne le respect des droits humains, le respect des travailleurs, ce qui va impliquer une collaboration entre entreprises, employeurs et décideurs, afin d’aider les entreprises à faciliter la mise en place de normes de type référentiel, comme va le montrer Cyril Cosme.

 

11h-11h20. Le contentieux émergent de la Vigilance dans les rapports contractuels, par Jean-Christophe Roda, Professeur à l’Université Jean-Moulin Lyon 3

  • L'orateur expose que le contentieux de la vigilance dans les rapports contractuels est naissant, mais il estime que ce contentieux, de nature systémique, sera sans doute florissant. Il souligne que les questions qu'il soulève et va soulever sont à la croisée des Droits traditionnels et du Droit économique. En effet, par ces obligations de Compliance, l'entreprise contrainte d'être vigilante est poussée à regarder ce qui se passe dans ses locaux, à surveiller ses salariés, à rassembler des données de géolocalisation, etc. Cela soulève des questions de Droit du travail, de vie privée, de respect du RGPD.
  • Or, ces "entreprises cruciales"📎!footnote-3670 qui sont visées par le devoir de vigilance sont par définition en position dominante ou peuvent l’être. Elles vont être poussées par la loi et les textes européens à avoir une obsession du contrôle accru. Dans leurs contrats de distribution elles insèreront des clauses de vigilance. Ainsi, dans l’ancienne version de la directive, il était prévu que les concurrents pourraient entrer en contact les uns avec les autres, ce qui montre que le Droit de la Compliance n'est pas que ce qui accroît l'efficacité de la concurrence mais ce qui peut la contrarier. Le contentieux de la vigilance va donc exacerber des questions d'entente, mais aussi d'abus de position dominante, puisque l'entreprise donneuse d'ordre, pour obéir à la loi, doit accroître son emprise sur ses partenaires.
  • Les textes eux-mêmes font des références, parfois directes, parfois indirectes, au contrat. La loi française de 2017 se réfère au contrat. La directive sur le devoir de vigilance est plus transparente, puisqu'elle pose par exemple que les entreprises cruciales doivent être vigilantes à l’égard de leurs sous-traitants avec lesquels elles entretiennent une relation commerciale, en faisant preuve d'attention particulière. On se réfère donc à la notion de relation commerciale établie, qui n'est pas à proprement parler une notion contractuelle, mais qui transcende le contrat. Et en réalité, c’est souvent bien d'une chaîne de contrats dont il est question.
    Plus encore, pour exécuter et remplir leurs missions de vigilance, le lien privilégié, la technique employée, sera le contrat et l'insertion de clauses. Déjà et par exemple le Sarbanes-Oxley Act, point déterminant dans la propagation du Droit de la Compliance oblige les entreprises à aller fouiller dans les affaires de leurs sous-traitants et partenaires contractuels, c'est-à-dire à être vigilantes, en s'appuyant éventuellement sur des techniques contractuelles.
    Dans les premiers contentieux, par exemple dans le jugement du Tribunal judiciaire du Paris du 5 décembre 2023, Sud PTT c/ La Poste📎!footnote-3671, des questions contractuelles se posent, et elles vont se multiplier.
  • La question essentielle à se poser est donc celle du rôle du juge.
    L'orateur se réfère aux propos récents de Marie-Anne Frison-Roche à ce propos : "dès lors qu’il y a contrat il y a juge". Celui-ci sera donc amené à regarder ces clauses particulières. Il sera d’abord concerné par la bonne application du plan, mais également par toutes ces relations contractuelles. Nous allons observer ce que va engendrer la transposition de la directive européenne désormais votée par le Parlement européen, puisqu’elle prévoit aussi la désignation ou la création d’une Autorité administrative indépendante de Supervision.
    Il conviendrait de répartir les rôles entre cette autorité et le juge. Si on réfléchit à l’Autorité de la concurrence, elle a un rôle de contrôle et surveillance du marché, mais les aspects contractuels ne sont pas de sa compétence, c'est le juge judiciaire qui demeure compétent : l'on peut donc se dire que la mission du juge ne sera pas forcément impactée.
  • Puis l'orateur continue son analyse en soulignant que 6 enjeux majeurs méritent d’être plus précisément évoqués dans cet immense sujet.
    • Il a tout d'abord élaboré une question préalable : est-ce que ce contentieux de la vigilance ne va pas échapper aux juges par l'insertion de clauses d'arbitrage ? En effet, la grande distribution insère des clauses d'arbitrage et le contentieux échappe au juge étatique et les grands groupes peuvent les suivre. Certes, se pose alors la question de l'arbitrabilité. L'arbitre ne peut sans doute pas se prononcer sur le plan lui-même, mais la vigilance ne concerne pas que le plan. Cela renvoie aux rapports qui évoluent entre les clauses de compliance et l'arbitrage, entre l'ordre public et l'arbitrage.
    • La première question posée par l'orateur porte sur l'évolution de la fonction même du contrat. Le contrat va se transformer nécessairement, en n'étant plus utilisé comme un instrument pour faire des affaires, mais comme un "contrat régulatoire". On l’observe dans le contentieux américain, il se transforme en instrument de contrôle avec des clauses d’audit régulier. Les entreprises, face à des enjeux qui sont tels, ne voudront pas prendre de risque. Aux États-Unis, est utilisée la technique du red flag, c’est-à-dire qu’il n’y a même pas de manquement mais le juge américain estime que c’est une raison suffisante pour rompre le contrat. Est-ce que le juge français se prononcera de la même manière ?
      Certes, les entreprises ont une relation que l'on pourrait dire crispée avec ce qui finit par être une fonction de surveillance, que ces clauses leur donnent les moyens d'exercer, sur d'autres entreprises, souvent plus faibles, sur ordre de la loi. Le contrat devient ainsi un instrument de surveillance de tous les autres.
    • La deuxième question soulevée par l'orateur est celle de la preuve. Comme on a pu l'observer dans le jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 28 février 2023 dans l'affaire dite "Total Ouganda"📎!footnote-3672, le juge est bridé par la territorialité de ses pouvoirs d’enquête ; dans bien des situations les éléments pour pouvoir interpréter la bonne ou mauvaise exécution du contrat seront à l’étranger. Il y a certes toujours les commissions rogatoires et les dispositifs de la Convention de La Haye de 1970, mais c'est demeure difficile à mettre en œuvre, notamment dans certains pays. Les entreprises ont donc intérêt à préconstituer la preuve des diligences qu'elles font au titre de l'obligation de vigilance, cette préconstitution pouvant alimenter le débat devant le juge au profit de l'entreprise.
    • La troisième question est celle de l’équilibre des contrats, ou plutôt de leur possible déséquilibre. En effet en matière de vigilance, le plus souvent et par nature, les relations contractuelles sont déséquilibrées car c'est la loi qui l'exige : c'est la loi qui, en assujettissant des groupes puissants, des "opérateurs cruciaux"📎!footnote-3670 pour reprendre le vocabulaire de Marie-Anne Frison-Roche, dans leurs rapports contractuels avec des sous-traitants qui le plus souvent sont petits mais aussi être des groupes aussi puissants, voire plus et qui se prévalent de systèmes juridiques qui les protègent davantage. Les relations contractuelles peuvent donc être déséquilibrées et c'est pour obéir à la loi que le groupe va insérer des clauses qui accroissent ce déséquilibre pour concrétiser son obligation légale : clause d'audit, clause de rupture, etc. Ne pas le faire serait se voir reprocher un manquement à la loi. Comment le juge va-t-il appréhender cela ?
      C'est le cœur de la problématique. En effet, c'est le Droit de la Compliance, ici à travers la vigilance, qui exige des entreprises d'avoir un comportement contractuellement intrusif. Et d’un autre côté, des dispositions du Code de commerce posent qu'au sein du contrat un équilibre doit être assuré. Un contentieux peut donc naître à ce titre, notamment par l'évocation de l'article L.442-1 du Code de commerce. La charge de preuve en est lourde, puisqu'il faudra prouver la soumission ou la tentative de soumission, tandis que la Cour de cassation rappelle que l'article 1171 du Code civil est supplétif, et on n’a sans doute pas ici à faire à des contrats d’adhésion. Les instruments ne seront pas faciles à mettre en oeuvre, mais les avocats s’en saisiront.
      Ce contentieux croissant, à la croisée du Droit de la Compliance et du Droit des contrats, peut d'ailleurs aboutir à dépoussiérer des dispositions du Code civil. Ainsi en est-il de l'article 1170 du Code civil, qui dispose que "Toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite". Les juges auront à connaître de contrats qui stipulent des clauses qui dominent pour mieux protéger. Il n'est par ailleurs pas inconcevable que le principe de l'estoppel puisse être évoqué, ce principe général dégagé par la Cour de cassation. La question est alors de savoir si ce principe de droit processuel peut avoir un tel aspect de fond.
      Sera en outre posé au juge la question des "engagements", dont on mesure mal la portée, certains y voyant des possibilités de qualification d'actes juridiques unilatéraux, voire d'actes juridiques conjonctifs. L'engagement, dont la nature juridique est incertaine, va être au cœur de contentieux systémiques à venir.
    • La quatrième question concerne l'office et le pouvoir du juge. Ces techniques contractuelles vont se répandre dans tout ce qui entoure la vigilance, mais l'orateur rappelle que le juge ne peut pas obliger l'entreprise à orienter ses contrats dans tel ou tel sens, ou à orienter son organisation contractuelle avec ses prestataires par telle ou telle clause, car le Droit des contrats demeure ancré dans le principe de la liberté contractuelle. Plus encore, en s'appuyant d'ailleurs sur la pratique de l'Autorité de la concurrence en matière d'engagements, il y a des discussions sur la possibilité pour une Autorité administrative d'admettre des modifications dans les contrats, l'engagement devenant contraignant par la décision unilatérale de l'Autorité. En outre la décision précitée La Poste pose que ce n’est pas au juge de s’occuper du contrat en ces termes : "ne saurait conduire le juge à se substituer à la société et aux parties prenantes pour exiger d’elles l’instauration de mesures précises et détaillées"📎!footnote-3671.
      Cela pose la question plus globale du rôle du juge dans l’efficacité du plan. Dans cet esprit, le juge doit se poser la question de savoir s'il ne vaut pas mieux obtenir une modification des contrats et/ou des comportements, plutôt que de sanctionner à la lettre. Certes, l'obligation de vigilance, c'est-à-dire atteindre la détection et la prévention des atteintes à l'environnement et aux droits humains est une obligation de moyens. Elle est de résultat lorsqu'il s'agit de suivre le process, par exemple les modalités de consultation pour élaborer le plan. Le juge va apprécier les contours de ce mixte d'obligations, de moyens parfois aux Buts Monumentaux et parfois d'obligations de résultat par rapport au process, qui assure l'efficacité de l'ensemble pour respecter l'esprit des textes et qui donne sens à la Vigilance. Pour cela, le juge doit être en mesure d'apprécier ce qui résulte de l'action programmée et réalisée selon une trajectoire par l'entreprise c'est-à-dire ses "résultats" produits et raisonnablement projetés.
      Cette référence aux "résultats" produits par l'action de l'entreprise peut créer une confusion, car c'est en examinant les "résultats" obtenus ou prévisibles que l'on mesure si l'obligation de moyens est satisfaite, tandis que certains process plus mécaniques constituent une obligation de résultat. Ces questions, essentiellement probatoires, sont centrales au regard des Buts Monumentaux (ici la préservation systémique de l'environnement et des droits humains), c'est-à-dire les objectifs de la Vigilance vers la concrétisation desquels l'entreprise doit tendre et pour lesquels on doit disposer de la trace tangible attestant qu'elle y tend effectivement.
    • La cinquième question est de nature procédurale, à savoir ici principalement la compétence exclusive du Tribunal judiciaire de Paris. Le contentieux de la Vigilance va tout de même être en partie porté devant d'autres juridictions, par exemple le Tribunal de commerce lorsqu'il y aura un contentieux sur le fondement de l'article L.442-1 du Code de commerce précité. Si le contentieux soulève des questions qui relèvent du devoir de vigilance, il devra y avoir un sursis à statuer si l'exécution du devoir de vigilance est contestée ou s'il s'agit d'interpréter les clauses activées à l'aune du plan ou de cette obligation de vigilance. Les juges devront veiller à ce que le contentieux ne soit pas indûment ralenti et peut-être le Législateur devrait-il retravailler la question pour que se dissipe cette difficulté processuelle qui avait été assez peu anticipée.
    • La sixième question renvoie aux questions internationales. Elles sont fondamentales. Si l'entreprise française contracte avec des partenaires étrangers, les questions de Droit international privé apparaissent. Si l'entreprise est raisonnablement vigilante, les clauses vont rarement l'amener vers le juge français. Si cela concerne une entreprise pakistanaise on sera hors du champ du Règlement communautaire. Il y a toutefois des options de compétence. La question du droit applicable aussi se posera et ce n’est pas dit que ce soit toujours le droit français qui s'applique, sauf à passer par le truchement des lois de police, mais l'orateur souligne que l'on est loin d’avoir résolu ces questions qui agitent les internationalistes, d'autant plus que la notion de "chaine de valeur" n'est elle-même pas claire.
  • Raison de plus, conclut-il, pour porter attention à ces conférences successives sur le Contentieux Systémique Émergent, dans lequel les techniques de vigilance sont toujours impliquées.

 

11h20-11h40. Le contentieux émergent de la Vigilance dans les relations de travail, par Cyril Cosme, Directeur du Bureau de l'OIT pour la France

  • L'orateur expose la façon dont aujourd’hui les grandes entreprises françaises se tournent vers l’OIT et les différentes ressources qu’elle peut proposer pour faire face à leurs nouvelles obligations de droit dur en matière de vigilance, ce qu'elles font depuis de nombreuses années, notamment à partir de droit souple qu'elles ont elles-mêmes contribué à construire par leurs politiques de droits humains et de RSE.
  • Il souligne que ces ressources normatives n'ont pourtant pas été conçues au départ dans cette perspective. Il rappelle que l'OIT, qui est la plus vieille organisation des Nations-Unies, élabore des normes qui promeuvent la justice sociale et s'adressent aux États. Ici l'enjeu normatif impliqué par le devoir de vigilance a été pris en considération par les grandes entreprises internationales, qui sont aujourd'hui les usagers de ces normes, ce qui n'avait pas été initialement prévu mais ce qui fonctionne.
    L'entreprise en tant que telle était restée comme une inconnue de ce système, prise plutôt comme un "employeur" et non pas comme ce qui rend effectives des normes qui ne sont pas des normes de relations de travail.
  • La situation a évolué lorsque l'OIT elle-même a intégré la RSE dans son mandat, ce qui a permis concrètement à l'OIT d'aider des entreprises multinationales à prendre en charge ces nouvelles responsabilités, nouvelles exigences à l'égard non seulement des travailleurs mais encore des actionnaires, des consommateurs et des clients, qui consistent non plus seulement à compenser par le Droit une relation juridique asymétrique de travail mais à modifier la conception économique et sociale de leurs opérations.
    Cette conception a fait de l'entreprise un acteur incontournable de la volonté d'encadrer la mondialisation en même temps que cette perspective est elle-même entrée dans le mandat de l'OIT.
  • Il en résulte qu'aujourd'hui le modèle traditionnel des conventions internationales de droit public établies par les États montre ses limites, notamment parce que ceux-ci ne maîtrisent pas les chaines de valeur et de production, les entreprises étant les acteurs de la reconfiguration, notamment là où se développent les innovations techniques, par exemple le fret et le numérique.
    Il en résulte un autre phénomène nouveau : depuis une quinzaine d'années, les entreprises utilisent les ressources de l’OIT pour élaborer et mettre en oeuvre leurs obligations, notamment de vigilance, ce n’était pas prévu au départ dans ce schéma classique de Droit international public. Cela s'est opéré sous la forme de soft law.
    Il y a ainsi une forte parenté entre les principes directeurs de l'OCDE et la déclaration de l'IOT sur la "déclaration volontaire" des entreprises dans leur action internationale.
    L'entrelacs entre des normes de droit dur et de droit souple multiplie les canaux d'influence normative, dont l'un des résultats est le global compact, et les entreprises françaises sont particulièrement dynamiques pour défendre les droits humains, par exemple dans la filière de l'habillement.
  • Le Droit de la Compliance donne évidemment à l'ensemble une meilleure effectivité, notamment par la loi française de 2017, réaction au drame du Rana Plaza. Mais il est difficile de construire des lois et des conventions internationales. Les contrats sont un relais efficace, il faut prendre soin de prévoir des certificateurs pour qu'ils jouent ce rôle-là.

 

11h40-12h30. Débat

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Troisième conférence – Lundi 27 mai 2024, de 9h à 10h30

LES CONTRÔLES TECHNIQUES DES RISQUES PRÉSENTS SUR LES PLATEFORMES ET LES CONTENTIEUX ENGENDRÉS

Cour d’appel de Paris, salle Cassin

Présentation et modération par Marie-Anne Frison-Roche, Professeure de Droit de la Régulation et de la Compliance, Directrice du Journal of Regulation & Compliance (JoRC)

 

9h-9h10Le contentieux Systémique Emergent du fait du système numérique, par Marie-Anne Frison-Roche

  • En introduction, j'ai donc rappelé ce qu'est un Contentieux Systémique Émergent : une cause (au sens procédural de ce terme) dans laquelle sont impliqués les intérêts d'un système et son avenir même (systèmes bancaire, financier, énergétique, de transport, numérique, etc.).
  • Ce cas, qui est systémique parce qu'un système est ainsi dans l'instance, peut être présent devant un juge spécialisé, dans les questions qui touchent ce système, y compris et par nature un régulateur dans sa formation juridictionnalisée, mais aussi un juge de droit commun, non pas parce qu'il voudrait s'emparer d'un sujet mais parce que des parties en litige lui posent des questions et qu'il est de son office juridictionnel de devoir répondre aux questions qu'on lui pose📎!footnote-3663.
  • Il en résulte par nature un éclatement du contentieux, un système de poulies avec des sursis à statuer, des enjeux de cohérence qu'il faut affronter dès le départ, car c'est toujours le même système qui est présent devant chacun de ces juges. Même devant le juge de droit commun, c'est en termes d'"interrégulation" qu'il faut penser le cas, procéduralement et substantiellement📎!footnote-3664.
  • Le système numérique est exemplaire de cela📎!footnote-3665. Le système numérique est ici pris en ce qu'il présente des "risques systémiques". La gestion de ces risques systémiques est faite "en première ligne" par les opérateurs eux-mêmes, puisqu'elle est internalisée dans les opérateurs cruciaux qui ont construit, structurent et font fonctionner l'espace numérique. C'est la base même du Droit de la Compliance📎!footnote-3666.
    Ces enjeux d'interrégulation doivent être intégrés dans l'office du juge lui-même📎!footnote-3667.
  • Les plateformes font ainsi de fait et de droit émerger des contentieux systémiques, puisqu'elles engendrent et gèrent des risques systémiques. Ils sont répertoriés en liste mais constituent aussi une unicité au regard du type de contentieux qui en naît. Ainsi, par méthode, plus le contentieux paraît dispersé et plus cette unicité doit être mise en avant par les différents juges qui, par leur dialogue et travail commun, doivent agir, tandis que les parties saisissent tant de juges différents sur des sujets qui paraissent différents mais qui relèvent tous de la même logique.
  • Il s'agit notamment dans le système numérique de risques de désinformation, de risques d'agression par le discours, de risques de captation d'information, de risques de destruction d'infrastructure, de "risques cyber" (ce qui est une façon très large de désigner), de risques d'accès des mineurs aux sites qui leur sont interdits (ce qui est une façon très précise de désigner), mais il s'agit toujours de de risques qui s'infiltrent dans la structure même de l'espace numérique et à propos desquels une question va être posée au juge : va donc en résulter un "Contentieux Systémique Émergent".

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9h10-9h30Les techniques de gestion du risque systémique pesant sur la cybersecurité des plateformesMichel Séjean, Professeur de droit à l'Université Sorbonne Paris Nord

  • Après cette brève introduction générale, Michel Séjean a exposé la façon dont l'obligation systémique de cybersécurité est prise en charge par les plateformes.
  • L'orateur souligne l'unicité des règles à première vue éparses qui concernent l'espace numérique si on les appréhendé à travers l'exigence de cybersécurité, ce qui justifie l'élaboration d'un code d'éditeur consacré à celle-ci : M. Séjean et a. (dir.), Code de la cybersécurité, Dalloz, 2e éd., 2024.
    Cela illustre le fait que c'est l'ensemble du numérique qui peut justifier une approche par les risques📎!footnote-3668.
  • L'orateur souligne l'analogie souvent faite entre l'espace numérique et l'espace physique, puisque dans l'un comme dans l'autre chacun d'entre nous peut faire l'objet d'une agression. Mais cette analogie trouve très rapidement ses limites.
    En effet et en premier lieu, les personnes ont un droit à la sécurité dans l'espace physique mais dans l'espace numérique un tel droit est soumis à la satisfaction préalable : que l'entreprise ait elle-même organisé sa sécurité. L'entreprise ne pourrait se plaindre d'une agression, par exemple d'un vol de données, que si elle a préalablement sécurisé celles-ci, sécurisation dont elle est responsable, et dont chacun est responsable, par exemple à travers la robustesse des mots de passe choisis.
    Cette exigence singulière tient au fait qu'une attaque opérée contre une personne ne met pas en danger ou ne cause pas un dommage qu'à celle-ci, mais met en danger et cause un dommage à l'ensemble du système : sa réalisation ou sa perspective est par nature systémique.
  • Si l'on croise cela avec le fait que par nature les plateformes, et plus particulièrement les 4 premières (dont les 3 premières sont américaines) sont elles-mêmes un phénomène systémique, par exemple en ce qu'elles hébergent la grande majorité des données du monde entier, l'on mesure que l'obligation de sécurité sur les plateformes est une "obligation systémique".
  • L'orateur souligne également qu'une situation présente une dimension systémique lorsque sont en jeu les intérêts vitaux de la Nation. Pour qu'une situation soit ainsi caractérisée, il n'est pas forcément besoin que de très nombreuses personnes soient concernées, il faut mais il suffit qu'un "opérateur vital" soit concerné. Ainsi, il n'est pas besoin que l'incident réalisé ou possible soit "massif" pour qu'il ait une dimension systémique.
  • Si l'on prend le cas plus particulier des plateformes, des critères de deux ordres font apparaître cette dimension systémique : le premier critère est l'importance des données, le second critère est l'importance de l'entité concernée.
    • L'importance des données varie et ne dépend pas forcément des distinctions opérées par le Droit, par exemple entre les données personnelles et les données non-personnelles, mais implique souvent le secteur dont il s'agit (santé, bancaire, défense, etc.), chaque catégorie et sous-catégorie renvoyant à un régime juridique qui lui est spécifique et qui croise d'autres régimes juridiques.
      Le critère général est plutôt celui de la criticité des données, qualification unifiante engendrant des régimes juridiques de plus en plus contraignants qui consistent "à avertir le système" en cas de problème, notamment à travers les différentes autorités de régulation concernées à un titre ou à un autre, par exemple une Agence Régionale de Santé (ARS), l'ACPR, la CNIL, etc.
    • Le second critère concerne la criticité des entités. Il s'agit des opérateurs d'importance vitale, des entités essentielles, ce qui inclut les très grandes entreprises dans 18 secteurs de l'économie. La différence de criticité implique des régiments juridiques différents.
  • L'orateur souligne que ce n'est donc pas la plateforme le centre d'analyse, mais que la plateforme est le signe de la façon dont le Droit élabore l'obligation systémique de cybersécurité, en ce que cette obligation systémique dépasse la Nation française, ce qui justifie par ailleurs les Agences de régulation et de supervision. D'une façon plus particulière, l'ANSSI, qui relève du Premier Ministre, sera bientôt dotée d'un pouvoir de sanction impliqué par la prochaine loi de transposition de la directive européenne relative à élever le niveau de cybersécurité (Network and Information Security 2 directive - NIS 2).
  • Mais cette préservation Ex Ante du système par ses propres dispositifs techniques et des Autorités administratives ainsi que des obligations intégrées dans les entités elles-mêmes n'empêche pas les contentieux. L'orateur en a pris un exemple. Une cyberattaque s'est déroulée en 2017 au détriment de plus de 10.000 entreprises, dont certaines de taille critique. Les laboratoires Merck ont voulu activer la police d'assurance les protégeant en cas de "virus informatique". Dans le même temps, le président des États-Unis se réfère dans les médias à cette cyberattaque en l'imputant aux russes et en la qualifiant d'acte de guerre. Or, dans le contrat d'assurance, si une clause prévoit la garantie en cas de dommage causé par un virus informatique, une autre clause exclut la garantie lorsque le dommage résulte d'un acte de guerre. L'entreprise a saisit les tribunaux. Tandis que le cas était pendant devant la Cour suprême du New Jersey, une transaction a eu lieu entre les parties, et l'on ne connait donc pas la solution que le juge aurait apportée à un tel contentieux. Mais la Cour d'appel avait précédemment statué en affirmant que l'ambiguïté profite à celui qui ne rédige pas le contrat, et que d'autre part la qualification d'"acte de guerre" ne peut pas être retenue puisqu'il n'y a pas eu de sang versé dans cette cyberattaque.
  • Dans la "grammaire systémique" sur laquelle vont se construire de tels contentieux systémiques, l'on retrouve le principe selon lequel l'entité, notamment la plateforme, doit respecter son obligation de minimiser le dommage qui peut lui être fait, notamment en élaborant une cartographie des risques, un plan de réponse à incident, une politique générale de sécurité, inséré dans une exigence plus générale documentaire.
  • Si le risque est trop lourd, il sera partagé entre l'entreprise et l'État, lequel prend aussi sa part dans les procédures de contrôle. L'objectif n'est pas la suppression du risque cyber, ce qui est impossible, mais de le limiter et de le gérer par la prévention, l'information, la détection, la sécurisation.

 

9h30-9h50Un contentieux systémique in vivo : le cas dit des sites pornographiques, Marie-Anne Frison-Roche

  • Après cette démonstration d'ensemble, une cause systémique in vivo a été décrite pas à pas par Marie-Anne Frison-Roche.
  • S'appuyant sur la démonstration précédente, qui a montré que les entreprises sont en première ligne, pour illustrer la façon dont cela se passe, pas toujours aussi bien, pas toujours aussi vite, qu'effectivement la notion de territoire est en train de disparaître, ce qui permet de saisir une multitude de juges, de différentes sortes, dans différents lieux, dans différents litiges entre différentes parties, alors même que c'est une seule question systémique qui est posée et contestée, j'ai pris un cas ouvert depuis 2021 : le cas dit des sites à contenu pornographique.
  • L'exposé n'est pas ici repris, puisque des informations plus exhaustives sont disponibles sur les slides : 🧱consulter les slides ayant servi de base à cette intervention, reproduisant, étape par étape les courriers, décisions de justice et législations, avec les arguments et prétentions des uns et des autres
  • De ce cas toujours en cours, où interfèrent de nombreuses lois, anciennes, récentes, françaises, européennes, l'Arcom, le juge judiciaire, le juge administratif, potentiellement le juge constitutionnel, le juge européen, il en résulte que les différents juges ont toujours su non seulement répondre aux questions mais encore écouter ce que disent les autres juges.
  • Il demeure que 3 ans après l'effectivité de l'interdiction d'accès des mineurs à la pornographie n'est pas atteinte. La loi française du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique confie au Régulateur le soin d'y parvenir. On peut craindre que cela n'éteigne pas le contentieux. Le Régulateur anglais, l'Ofcom, alourdit les obligations et les sanctions sur les opérateurs numériques. Il est possible que cela ne l'éteigne pas davantage.
  • Le dialogue des juges que l'on peut observer dans ce cas, où le Tribunal judiciaire de Paris s'est expressément référé dans son jugement du 7 juillet 2023 à la notion de "cause systémique"📎!footnote-3669 pour justifier son sursis à statuer, se tournant ainsi vers le Conseil d'État, doit voir son efficacité accrue.
  • À travers ce cas en cours, c'est une observation et un souhait que l'on peut d'une façon plus générale formuler pour l'ensemble du Contentieux Systémique Émergent.

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9h50-10h10Les obligations systémiques des opérateurs numériques à travers le Règlement sur les Services Numériques (RSN/DSA) et le rôle des régulateursRoch-Olivier Maistre, Président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)

  • Puis, Roch-Olivier Maistre s'est appuyé sur les deux précédentes interventions pour exposer les obligations systémiques qui relèvent des opérateurs, telles qu'elles découlent notamment du Règlement sur les Services Numériques (RSN/DSA) et la place du Régulateur, en écho avec le rôle du Juge.
  • À titre liminaire et prenant appui sur l'exposé du cas évoqué ci-avant, l'orateur a rappelé que la place du Régulateur est "à côté" du Juge. Il ne se substitue pas au juge, qu'il soit judiciaire ou administratif, et agit en permanence sous le contrôle de celui-ci.
    Sur ce sujet de la place du Régulateur, il constate également que les pouvoirs politiques nationaux et européens (législatifs et exécutifs) oscillent entre le choix de la voie de la régulation et celui plus direct de la coercition.
  • L'orateur expose ensuite le rôle de l'Arcom dans le contrôle des contenus publiés sur les plateformes numériques.
  • Il retrace brièvement les fondements de l'action de l'Arcom en la matière et l'évolution de celle-ci. D'abord, la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information, qui a imposé aux opérateurs de premières obligations et notamment de collaborer avec le Régulateur (à l'époque le CSA), mais sans que celui-ci ne soit alors doté d'un pouvoir de sanction. Vient ensuite la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet (dite loi "Avia"), quasiment intégralement censurée par le Conseil constitutionnel. Le législateur français, ayant par la suite adopté la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République anticipant quelque peu sur ce qui est depuis devenu le texte de référence pour l'action du Régulateur : le Règlement du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques (dit règlement sur les services numériques - RSN) (en anglais Digital Services Act - DSA), en vigueur depuis le mois d'août 2023 pour les très grandes plateformes et février 2024 pour les plus petites.
  • L'Arcom dispose en outre d'une compétence spécifique en matière de sites pornographiques, afin d'empêcher l'accès des mineurs aux contenus publiés sur ces sites. La première base juridique fondant cette compétence est la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales. Le cadre juridique a récemment évolué, à la faveur de la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique (dite loi SREN). Celle-ci a soulevé beaucoup de débats, notamment au niveau européen, au regard de son articulation avec le DSA. En application de la loi SREN, l'Arcom a élaboré avec la CNIL un référentiel, notifié à la Commission européenne.
    Tous ces textes n'empêcheront pas le contentieux, d'abord parce qu'ils seront eux-mêmes contestés et ensuite parce que l'exercice par l'Arcom de ses pouvoirs, notamment son nouveau pouvoir direct de blocage des sites, sera contesté devant les tribunaux nationaux et européens, judiciaires et administratifs, tandis que la question de la mise en place d'un contrôle technique de l'âge de l'internaute n'est toujours pas résolue. Dans le référentiel élaboré par les deux Autorités françaises, il est proposé une solution, intermédiaire par rapport à toutes celles proposées, à partir de la carte bancaire utilisée. Cet état des lieux montre bien la difficulté du sujet, puisque ces sites demeurent accessibles.
  • La seconde compétence de l'Arcom est elle-aussi très spécifique, visant la lutte contre les contenus terroristes et pédopornographiques, notamment par le Règlement dit TCO, confiant au Régulateur la supervision du fonctionnement de la plateforme Pharos qui bloque ces sites. Chaque semaine, une vérification est faite pour éviter les abus dans l'exercice de ce pouvoir.
  • L'orateur a ensuite centré son propos sur le RSN/DSA.
  • Il rappelle que le Règlement précité RSN (ou DSA) constitue la première tentative mondiale d’un continent pour réguler les grands acteurs mondiaux du numériques et lutter contre les excès des contenus disponibles sur les grandes plateformes.
  • Ce qui est en jeu ici et d'une façon plus générale est l'équilibre entre la protection des libertés publiques fondamentales, notamment la liberté de communication qui s'exerce sur les plateformes, lesquelles sont indispensables dans notre vie quotidienne, et le besoin de protection des individus et de la société.
  • Ce Droit s’est inspiré de ce qui prévaut dans le champ audiovisuel, à ceci près qu'il n'est pas possible de déployer les mêmes techniques, car le monde audiovisuel est un monde fini, qui se déploie à l'égard d'une situation physique dans laquelle l'on peut revisionner l'ensemble des contenus pour les analyser juridiquement et le cas échéant les sanctionner, alors que sur les plateformes numérique ce sont des centaines de millions de contenus qui sont diffusés chaque seconde, à l'échelle planétaire, ce qui rend impossible un contrôle de chaque contenu par le régulateur. C'est pourquoi le DSA s'appuie également sur le Droit de la Compliance, en ce qu'il impose aux opérateurs d'eux-mêmes lutter contre les contenus illicites. L'Union européenne exprime cette volonté politique, ce but, et demande aux opérateurs de lutter contre les contenus illicites.
    Cela se traduit par plusieurs obligations, mises à la charge des opérateurs, à savoir l'obligation d'évaluer chaque année les risques systémiques auxquels la plateforme expose les utilisateurs et l'obligation de lutter contre ces risques, l'obligation de soumission à des audits externes, l'association de la société civile, notamment par des signaleurs de confiance dont les informations devront être traitées en priorité par l'opérateur numérique, l'obligation de collaborer avec le monde universitaire, notamment en donnant accès aux données aux chercheurs.
  • Cette internalisation de la règle dans les entreprises par des mécanismes de Compliance s'opère sous le contrôle d’un Régulateur mais dans une gouvernance originale mise en place dans l'Union européenne par le RSN/DSA. En effet, la Commission européenne est au cœur du dispositif qui s'appuie également sur des Autorités des Etats-membres. Ainsi, la loi SREN a confié ce rôle à l'Arcom pour la France, comme autorité en charge de la coordination au niveau national.
  • Cette gouvernance originale a déjà produit ses effets, puisque la Commission a ouvert des enquêtes sur le fondement du RSN/DSA sur de très grandes plateformes, enquêtes européennes auxquelles l'Arcom collabore en tant que coordinateur national.
  • En outre, le texte prévoit une sanction financière des opérateurs conséquente, pouvant aller jusqu'à 6% du chiffre d'affaires mondial.
  • L'orateur souligne la difficulté concrète engendrée par la différence de temporalité entre le temps de la régulation systémique, le temps judiciaire, le temps de la décision administrative et politique, et le temps des contrôles techniques sur les plateformes, au regard des risques et des buts de régulation.
    Cette articulation des temporalités se met en place par l'action des plateformes elles-mêmes, notamment par le recours aux outils algorithmiques, tandis que l'Etat s'est renforcé pour lutter contre les ingérences étrangères. Le nouveau Règlement européen prévoit des procédures d'urgence. Il demeure que ce premier sujet mérite toutes les attentions, et que les technologies font partie des solutions pour que le fossé ne demeure pas entre ces temporalités.
  • Sur le fond et pour que se déploie cette nouvelle gouvernance, pleine d'avenir, il faut que non seulement s'articulent ces différentes régulations, comme c'est déjà en train de se faire, selon des méthodes qui sont en train de s'inventer, mais encore que s'opère un équilibre entre plusieurs libertés publiques fondamentales, visées dans ce Règlement européen complexe et prometteur, à savoir l'équilibre entre la liberté d'expression et les libertés dont les citoyens demandent la protection effective à travers le contrôle des contenus, voire le blocage de sites. Le juge en est un des gardiens essentiels.

 

10h10-10h30Débat

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Quatrième conférence – Lundi 24 juin 2024, de 11h à 12h30

L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, NOUVEAU CHAMP DE CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE

Cour d’appel de Paris, salle Cassin

Présentation et modération par Marie-Anne Frison-Roche, Professeure de Droit de la Régulation et de la Compliance, Directrice du Journal of Regulation & Compliance (JoRC)

 

11h-11h10Les deux rencontres entre l'intelligence artificielle et le Contentieux SystémiqueMarie-Anne Frison-Roche, Professeure de Droit de la Régulation et de la Compliance, Directrice du Journal of Regulation & Compliance (JoRC)

  • Dans la présentation générale sur le thème lui-même, j'ai souligné "Les deux rencontres entre l'intelligence artificielle et le Contentieux Systémique".
  • La perspective retenue dans la conférence n'est pas l'état de ce qui est convenu d'appeler l'"Intelligence Artificielle", mais bien la façon dont on doit corréler ici l'IA et le "Contentieux Systémique Émergent" (CSE).
  • Cela suppose de rappeler ce qu'est un "contentieux systémique" (1), puis de voir l'apport de l'intelligence artificielle pour traiter ce type de contentieux (2), avant de voir que le système algorithmique lui-même peut être l'objet de Contentieux Systémique (3).

1. Ce qu'est le Contentieux Systémique que l'on voit Émerger

  • Sur la notion même de "Contentieux Systémique Émergent", proposée en 2021, lire : M.-A. Frison-Roche, 🚧L'hypothèse de la catégorie des causes systémiques portés devant le juge, 2021
  • Ce Contentieux Systémique Émergent vise des situations dont la connaissance est portée devant le juge et dans lesquelles un système est impliqué. Il peut s'agir du système bancaire, du système financier, du système énergétique, du système numérique, du système climatique, du système algorithmique.
  • Dans ce type de contentieux, les intérêts et l'avenir du système lui-même sont "en cause". Le juge doit donc les "prendre en considération"📎!footnote-3683.
  • En cela, le "Contentieux Systémique" doit se distinguer du "contentieux de masse". Le "contentieux de masse" vise des litiges très nombreux et analogues. Le fait qu'ils soient souvent de "faible importance" n'est pas forcément déterminant, car ces litiges sont importants pour les personnes en cause (cf. l'article déterminant de Carbonnier, "De Minimis...", 1981)📎!footnote-3684 et l'usage de l'I.A. ne doit pas trop écraser ce que chacun a de spécifique. Mais toujours est-il que le Contentieux Systémique a pour critère la présence d'un système. Il peut arriver qu'un contentieux de masse mette en cause l'intérêt même d'un système (par exemple le contentieux sur les dates de valeur), mais le plus souvent le Contentieux Systémique que l'on voit émerger est, à l'inverse du contentieux de masse, un cas très spécifique où une partie qui, formulera une prétention très particulière (par exemple demandera l'arrêt de travaux considérables) contre une multinationale, mettra ainsi "en cause" une chaîne de valeur complète et les obligations qui incombent à l'entreprise puissante pour la sauvegarde du système climatique qui, de ce fait, est présent dans l'instance (ce qui ne lui ouvre pas pour autant le droit de formuler des prétentions mais qui doit être pris en considération).

2. L'apport de la puissance algorithmique dans la menée d'un Contentieux Systémique

  • À ce titre, l'IA peut être un outil utile, voire indispensable, pour maîtriser de tels Contentieux Systémiques, dont l'émergence correspond à une nouveauté et dont la connaissance est portée devant le juge de droit commun.
  • En effet, ce type de contentieux est particulièrement complexe et long, les questions probatoires étant au centre, les expertises succédant aux expertises. L'appréciation des expertises est difficile à mener. L'IA peut alors être un moyen pour le juge, afin de juguler de risque accru de capture par les experts de son devoir de décision, de maîtriser la dimension expertale du Contentieux Systémique.
  • Le choix des techniques d'IA présente les mêmes difficultés que celles exposées depuis toujours à propos des experts. Il est probable que des mécanismes de certification, analogues à l'inscription sur des listes d'experts, se mettent en place, si l'on s'écarte de la construction par les juridictions elles-mêmes (ou par le gouvernement, ce qui peut poser un problème d'indépendance de la justice), ou si l'on veut un contrôle sur des outils fournis par les parties elles-mêmes, au regard du principe de l'égalité des armes, en raison du coût de ces outils.

3. Lorsque c'est le système algorithmique lui-même qui est l'objet d'un Contentieux Systémique : sa place est alors plutôt en défense

  • En outre et d'une façon centrale, le système algorithmique donne lui-même lieu à un Contentieux Systémique, en ce que des personnes peuvent saisir le Juge en prétendant avoir subi un dommage par le fonctionnement du système algorithmique ou en demandant l'exécution d'un contrat rédigé par ce système. C'est sur le terrain du Droit commun des obligations que le système peut se trouver impliqué dans l'instance juridictionnelle.
  • Il est remarquable que, par rapport à des hypothèses jusqu'ici privilégiées dans les précédentes conférences-débats, notamment le 26 avril 2024 à propos du Contentieux Systémique Émergent lié au Devoir de Vigilance📎!footnote-3685, les systèmes impliqués ont été plutôt pris en considération en arrière des prétentions articulées par les demandeurs, puisque ceux-ci allèguent qu'un système a été attaqué. Ce serait alors la "société civile" qui agit contre l'entreprise. Dans le cas du système algorithmique, les premiers contentieux sont composés d'allégations qui mettent plutôt celui-ci en accusation, en ce que celui-ci aurait par exemple porté atteinte à des droits (par exemple les droits d'auteur, le droit à la vie privée, etc.).
  • Or, l'instance change si le système est présenté non plus comme la "victime" potentielle mais plutôt comme le "coupable" potentiel. Il est notamment beaucoup moins clair d'identifier quel type d'intervenant dans l'instance, qui ne soit pas nécessairement partie au litige, a vocation à parler pour expliciter l'intérêt du système, notamment au regard de la durabilité et de l'avenir du système de l'IA.
  • Ce point de réflexion devra être approfondi par les chefs de juridiction.

 

11h10-11h30Les premiers contentieux systémiques observables impliquant l’intelligence artificielle, Sonia Cissé, Avocate Associée, Linklaters Paris

  • Sonia Cissé a exposé les premiers contentieux systémiques observables impliquant l’intelligence artificielle.
  • Elle expose les contentieux déjà tranchés ou en cours, notamment en propriété intellectuelle (PI) lorsque les informations utilisées pour l’apprentissage de la machine sont protégées par le droit d’auteur ou lorsque se pose la question d'une éventuelle protection par le Droit de la propriété intellectuelle des "oeuvres" produits par les machines.
  • Elle évoque en premier lieu un contentieux s'étant déroulé en Chine en 2019, dans lequel un tribunal a considéré qu’un article même entièrement généré par un outil d’IA était protégé par le droit d’auteur au profit de celui qui l’a publié. Elle indique qu'à l'inverse, des tribunaux américains et européens ont quant à eux considéré que la propriété intellectuelle ne peut porter sur une œuvre dans laquelle il n’y a aucune paternité humaine, ne constituant donc ni une œuvre de l’esprit ni une invention. Elle cite à ce titre les décisions du tribunal de Columbia et du tribunal municipal de Prague de 2023. Elle constate qu'au delà du droit de la propriété littéraire et artistique, le droit du brevet ne permet pas non plus d'obtenir une protection, la Cour Suprême du Royaume-Uni ayant par exemple refuser de qualifier une machine alimentée par l'IA d'inventeur.
  • Elle évoque ensuite le contentieux de masse qui pourrait naître de l'automatisation des décisions, en cas d'erreur de l'algorithme, avec notamment la question de l'imputabilité de la responsabilité (développeur, déployeur, utilisateur ?). Elle constate que les premiers contentieux, notamment aux États-Unis ou en Australie, font peser la responsabilité de l'erreur sur l'utilisateur.
  • Puis l'oratrice a montré que l'IA est un outil que les juridictions utilisent et vont de plus en plus utiliser pour faire face aux contentieux de masse auxquels elles doivent répondre. Cette efficacité conduit les avocats, les entreprises et les juges à utiliser l'IA pour finalement décider : s'ouvre alors la question de la responsabilité de la décision, par exemple de la décision judiciaire, ou des écritures, s'il y a un manquement observé, par exemple dans les règles ou les précédents visés. Précisément, le Règlement IA qualifie de "haut risque" la conception et l'usage de l'IA pour la prise de décision juridictionnelle, y compris dans l'organisation de solutions amiables. Cela ouvre donc des perspectives de contentieux, lesquels sont et seront de nature systémique.

 

11h30-11h50L’influence des nouveaux textes et des textes à venir sur les contentieux systémiques émergents impliquant l’intelligence artificielle, Emmanuel Netter, Professeur de Droit à l'Université de Strasbourg 

  • Emmanuel Netter a explicité l'impact des textes de régulation adoptés par l'Union européenne en reprenant la nature même du système de l'IA.
  • Il a explicité l'impact des textes de régulation adoptés par l'Union européenne, non seulement l'IA Act mais aussi le RGPD, tels que non seulement les Autorités administratives de Régulation mais encore le juge de droit commun ont vocation à le mettre en oeuvre, notamment à travers des actions en responsabilité.
  • L'orateur tient deux propos préalables.
    • En premier lieu, il souligne que les auteurs voient dans l'IA soit la solution à tout, soit la source de toutes les catastrophes à venir.
    • En second lieu, il insiste sur le fait qu'il y a deux ordres de puissance algorithmique : celle dont on peut penser qu'elle n'est qu'un outil au service de la déduction à partir de règles et de principes et celles dont on peut penser qu'à partir de la puissance d'accumulation de solutions particulières et sans aucune déduction, des solutions pour les prochains cas particuliers seront retrouvées, voire seront inventées ("machine learning", "deep learning").
  • Quant aux textes, l'orateur commence par rappeler que le RGPD de 2016, sans traiter de l'intelligence artificielle, a posé le principe, en son article 22, de la prohibition des décisions "entièrement" automatisés. Il relève à cet égard que bien que des exceptions à cette prohibition soient prévues, la Cour de justice adopte une interprétation large de cette article et de la notion de "décision entièrement automatisée", position résolument protectrice de la personne humaine (v. not. CJUE, 7 décembre 2023, aff. C‑634/21, Schuffa).
  • Il évoque ensuite le règlement établissant des règles harmonisées concernant l'intelligence artificielle, dit "règlement sur l'intelligence artificielle" (en anglais IA Act) et centre son propos sur les IA dites à "hauts risques" et les obligations découlant de cette qualification : analyse des risques raisonnablement prévisibles et tests préalables (art. 9) ; obligations en matière de « gouvernance des données » (art.10) et obligations probatoires afférentes ; transparence (art. 13) ; contrôle humain proportionné (art. 14) ; exactitude et robustesse (art.15), etc.
  • L'ensemble de ces informations permet à l'orateur d'expliciter les litiges systémiques sur lesquels ces affrontements d'appréhension d'ensemble et cette logique régulatoire des systèmes technologiques vont déboucher. Cela prendra notamment la forme de contentieux en responsabilité civile. Il souligne les enjeux probatoires que ceux-ci vont présenter.

 

11h50-12h30Débat

 

Conclusion 

  • A l'issue de cette conférence, l'auditeur peut mesurer que le contentieux de masse peut éventuellement, et avec une grande prudence, trouver appui sur l'IA, parce que les cas successifs sont analogues.
  • Par ailleurs, le Contentieux Systémique Émergent se caractérise précisément en ce qu'il mobilise un système, en ce que la situation qu'il présente (par exemple un cas de supervision d'une plateforme, un cas de vigilance dans une chaine de valeur) est nouvelle et implique les intérêts et l'avenir d'un système en mettant "en cause" des principes : en cela, par nature, le Contentieux Systémique requiert un raisonnement qui ne se réduit pas au prolongement de l'accumulation de solutions particulières mises en correspondance : parce qu'il est "émergent", il est essentiellement le fruit de l'inventivité des entreprises, des parties prenantes, des avocats et des juges, pris parce qu'ils sont des êtres humains singuliers.

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Cinquième conférence – Lundi 9 septembre 2024, de 11h à 12h30

LE RAPPORT DE DURABILITÉ : OBLIGATIONS ET CONTENTIEUX SYSTÉMIQUES ÉMERGENTS

Cour d’appel de Paris, salle Cassin

Présentation et modération par Marie-Anne Frison-Roche, Professeure de Droit de la Régulation et de la Compliance, Directrice du Journal of Regulation & Compliance (JoRC)

 

11h-11h10Pourquoi les textes et la pratique sur le rapport de durabilité vont engendrer un Contentieux Systémique, par Marie-Anne Frison-Roche, Professeure de Droit de la Régulation et de la Compliance, Directrice du Journal of Regulation & Compliance (JoRC)

  • Dans cette présentation générale sur le thème lui-même, j'ai souligné Pourquoi les textes et la pratique sur le rapport de durabilité vont engendrer un Contentieux Systémique. J'ai présenté un panorama pour mettre en corrélation ce qui paraître à première vue éloignée : d'une part le Rapport de durabilité et le Contentieux Systémique.

I. RAPPORT DE DURABILITÉ ET CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE : DEUX RÉVOLUTION JURIDIQUE LIÉES

A. Les 2 termes de la Révolution juridique : le contentieux systémique et le Rapport de durabilité

  • 1. Le Contentieux Systémique désigne une catégorie spécifique dont la catégorie, proposée en 2021📎!footnote-3880, désigne des "causes" portées devant les juridictions, parfois spécialisées, parfois de droit commun : il s'agit de cas portés devant des juges dans lesquels non seulement des parties s'affrontent dans leur litige mais encore dans lesquels un système est lui-même impliqué. Les intérêts propres du ou des systèmes impliqués doivent être "pris en considération". Or, ses intérêts propres peuvent être distincts de ceux des parties aux litiges. La procédure et le juge doivent donc permettre aux intérêts du système d'être pris en considération.
  • Il peut s'agir de divers systèmes : systèmes bancaire, financier, de transport, énergétique, numérique, climatique, etc. Mais ils ont toujours des intérêts qui sont les mêmes. Ils ont été souvent pris en charge par des Autorités de régulation, qui prennent en charge les disputes, qui sont des disputes systémiques, à travers leurs commissions de sanction et de règlement des différents. Aujourd'hui, ces cas sont portés devant le juge de droit commun. Ils vont l'être de plus en plus : c'est le Contentieux Systémique.
  • Pour le juge, les enjeux institutionnels, procéduraux et de transformation de son office sont considérables. C'est l'objet de l'ensemble de ce cycle de conférences-débat.
  • Pour plus de développements sur la définition du Contentieux systémique :

🧱🕴🏻mafr📝Le contentieux systémique, 2024

  • Parmi les intérêts propres des systèmes, qui vont être évoqués devant le juge, il y a la durabilité des systèmes (l'on parle souvent du système climatique, mais cela peut être évoqué pour chacun des systèmes, par exemple énergétique, par exemple bancaire,).
  • On a pu dire qu'il s'agissait d'une "Révolution juridique". Oui. L'article visé montre que le Contentieux Systémique est la conséquence du Droit de la Compliance, qui est la source de tout cela en internalisant dans les entreprises la garde des systèmes et l'avenir les systèmes, c'est-à-dire les Buts Monumentaux.

 

  • 2. Prenons maintenant du côté du Rapport de Durabilité. Qui est lui-aussi une terminologie nouvelle et dont on va nous parler en détail. Restons à ce qu'il est dans son terme de durabilité et ce qui va le faire rencontrer le Contentieux Systémique. Cela rencontre ce qui fait également l'objet d'une terminologie nouvelle, à savoir, le "rapport de durabilité".
  • On va y trouver une "Révolution juridique" et c'est la même Révolution juridique.
    En effet, par le Rapport de Durabilité, l'entreprise doit permettre son évaluation non seulement économique et financière, objet de la comptabilité, mais encore son évolution dans ce qu'elle fait à l'extérieur en matière d'ESG et ce que fait l'extérieur sur elle, ce qu'elle fait dans le monde, ce qu'elle peut faire pour l'avenir du monde. Cette idée fondatrice du rapport du durabilité se retrouve dans le contentieux systémique, puisque dans celui-ci ce sont les systèmes, revendiquant leurs intérêts propres c'est-à-dire leur intérêt à ne pas s'effondrer à l'avenir, à être solide et vivable, c'est-à-dire leur durabilité, qui sont présents devant le juge.
    Or, par ce Rapport de Durabilité, dans la conception que l'Europe en a, et qui n'est pas la même que celle que les Etats-Unis en développe, c'est une action qui est demandée aux entreprises : en cela, c'est le futur qui est l'objet du Rapport de Durabilité et non pas seulement des informations sur le passé et le futur.
  • C'est donc en réalité les deux faces d'une même Révolution juridique car l'objet du Contentieux Systémique est lui-aussi le futur.

🧱🕴🏻mafr (coord.), 🧮Dans l'espace de justice, les pratiques juridictionnelles au service du futur, 2024

 

II. L'ALIMENTATION DES CONTENTIEUX SYSTÉMIQUES EN INFORMATION GRACE AU RAPPORT DE DURABILITÉ

A. Le Rapport de Durabilité est un trésor probatoire
(attention à l'exactitude et à la non-contradiction dans le procès)

  • Or, le Contentieux Systémique développe des enjeux probatoires nouveaux, souvent liés au Droit de la Compliance, lié au système probatoire nouveau que celui-ci implique, notamment quant aux charges de preuve.

🧱🕴🏻mafr📝Le juge, l'obligation de compliance et l'entreprise. Le système probatoire de la Compliancein 🕴🏻mafr (dir.) 📕La juridictionnalisation de la Compliance, 2023

🧱🕴🏻mafr (coord.), 🧮Les techniques probatoires adéquates dans le Contentieux Systémique Émergent, 14 octobre 2024

  • Mais ce rapport de durabilité rencontre ce qui est déjà le sort du rapport d'enquête interne impliqué par le Droit de la Compliance : ce trésor probatoire peut contenir des informations qui ne doivent pas être acessibles à tous :

🧱🕴🏻mafr & 🕴🏻M. Boissavy (dir.), 📕Compliance et droits de la défense. Enquête interne – CJIP – CRPC, 2024

  • La question des secrets va donc être posée dans des contentieux systémiques qui pourront n'être intentés qu'à fin de se procurer des informations, et ce d'autant plus que, contrairement aux rapports d'enquête d'interne, les informations du Rapport de Durabilité peuvent être des informations stratégique (l'on retrouve cette question essentielle à propos du Plan de Vigilance et des contentieux systémiques auquel il donne et va donner lieu).

 

B. L'importance de l'assurance donnée par le professionnel

  • L'expert agit en Ex Ante. Le juge va prendre en considération cette "assurance" contenue dans l'accréditation".
  • Mais parce que cette nouvelle comptabilité extrafinancière dont l'objet est aussi la stratégie de l'entreprise pour le futur va insérer dans l'enjeu probatoire  anticipation de l'office Ex Ante du Juge.
  • Le professionnel, sa formation et la régulation de son activité de certification par la H2A sont donc essentielles, car la crédibilité (notion clé dans le système probatoire, qui sera étudié lors de la conférence-débat d'octobre 2024) repose en grande partie sur l'entreprise, le certificateur et le régulateur.
  • Celui-ci a vocation à être amicus curiae au bénéfice du juge.

 

III. DEUX EXEMPLES DU LIEN ENTRE RAPPORT DE DURABILITÉ ET CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE :  LE CONTENTIEUX DE LA VIGILANCE ET LE CONTENTIEUX ALGORITHMIQUE

  • Je prends ces deux exemples parce que deux conférences-débats ont déjà eu lieu, l'une à propos du contentieux systémique de la Vigilance et l'autre à propos du rapport entre le contentieux systémique et le système algorithmique. autres conférences-débats l'ont montré pour la durabilité du système numérique ou pour la durabilité du système algorithmique, ou pour la durabilité des chaines d'activités.
  • A ce titre et pour en rester ici au thème plus particulier du rapport de durabilité, c'est tout le système de l'information qui est transfiguré, et ce qu'une façon différente suivant les normes adoptées, aux Etats-Unis, en Europe ou ailleurs, soit qu'on se contente d'information pour que les tiers ajustent leurs comportements, principalement les investissements, soit, comme en Europe, que le Droit oblige à cette obligation pour que l'entreprise elle-même ajuste son propre comportement, son gouvernance, sa position dans le monde, dans une relation renouvelée avec les parties prenantes : le dire et le faire se nouent alors, la CSRD étant gémellaire de la CS3D.
  • En outre, l'on peut alors considérer que l'information extrafinancière, à travers le rapport de durabilité, son assurance de crédibilité, la régulation de l'audit qui en est fait, constitue elle-même un système.
  • Le système est alors en intermaillage avec d'autres systèmes, qui sont eux-mêmes l'objet de contentieux systémiques émergents : tout d'abord celui de la vigilance, qui a été examinée dans le cycle de conférences comme un champ de contentieux systémique, puis celui de l'intelligence artificielle, qui l'a été pareillement.
  • Ainsi le devoir de vigilance assujettit les entreprises à une obligation de compliance, la CSRD et la CS3D étant des textes gémellaires : 

sur l'articulation entre la CSRD et la CS3D, v. intervention au H3C, 🧱🕴🏻mafr🎥L'esprit des Lois en matière de vigilance, 2023.

  • Les contentieux systémiques vont articuler plus encore les 2 directives.

Sur cette articulation que les juges vont prendre en compte dans les Contentieux systémiques, 🧱🕴🏻mafr📝Devoir de vigilance : progresser, 2024.

  • Le rapport de durabilité, en tant qu'il croise l'obligation de durabilité qui reflète le devoir de vigilance implique va donc être attrait au contentieux systémique auquel la Vigilance donne e va donner lieu.
  • De la même façon, les algorithmes font être un outil pour accumuler et faire coïncider les données en matière d'ESG, ce qui pourra opérer un même phénomène d'attraction. Si cela advient, cette dimension devra être présent et comprise à travers par exemple des amici curiae, en articulation avec les Régulateurs et les professions concernées.
  • En outre, comme dans tout mécanisme émergent et comme on l'a vu par exemple à propos des agences de notation, le droit de la responsabilité pourra interférer si la responsabilité soit de l'entreprise soit de celui qui a mené l'audit était mis en compte, la perspective systémique devant alors être intégré dans le traitement du cas, même devant le Juge ordinaire.

 

11h10-11h20Élaboration et esprit de la directive CSRD, par Florence Peybernès, Présidente de la Haute Autorité de l'Audit (H2A)

  • Après cette première intervention, Florence Peybernès a présenté la directive européenne CSRD, laquelle a introduit le nouvel outil : le rapport de durabilité.
  • L'oratrice a exposé le contexte ayant présidé à l'adoption de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD).
    Ce texte était précédé par la Non-Financial Reporting Directive (NFRD), qui se contentait de d'inciter les entreprises à publier des informations extrafinancières dans une déclaration de performance extrafinancière. Cette déclaration ayant cependant été rendue obligatoire dans certains États membres, dont la France, l'Espagne et l'Italie.
    Face aux insuffisances de ce texte, et dans la démarche de décarbonation de l'économie arrêtée dans le Pacte Vert européen, l'Union européenne a donc adopté un nouveau texte, la CSRD, imposant aux plus grandes entreprises de rédiger et publier un rapport de durabilité. Celui-ci est construit à partir de normes techniques impératives arrêtées par l'EFRAG : les European Sustainability Reporting Standards (ESRS). Ces normes permettent d'unifier les rapports produits, afin de créer une réelle comparabilité des rapports et donc une plus grande transparence. L'oratrice insiste sur la révolution que constitue le rapport de durabilité, les normes ESRS pouvant être comparées à une nouvelle forme de comptabilité.
  • L'oratrice explique enfin que les informations contenues dans le rapport de durabilité produit par l'entreprise doivent être certifiées, en France soit par un commissaire aux comptes, soit par un organisme tiers indépendant (OTI) certifié par l'OFRAC. Cet audit de durabilité faisant ensuite l'objet d'un contrôle par le Régulateur qu'est la H2A.

 

11h20-11h40L'élaboration du rapport de durabilité, par Alexis Gazzo, Associé, Climate Change & Sustainability leader, EY France

  • Après cette première vision d'ensemble, Alexis Gazzo, a abordé la manière dont l'entreprise élabore le rapport de durabilité.
  • En prolongement de l'intervention précédente, l'orateur a débuté sa prise de parole en mettant l'accent sur l'un des objectifs principaux de la CSRD : par la transparence, favoriser le fléchage des capitaux vers des activités permettant d'atteindre la neutralité cartonne en Europe.
    Pour ce faire, et c'est l'une des innovations de ce texte, l'information contenue dans le rapport de durabilité ne porte pas que sur le passé ou le présent, mais surtout sur le futur (plan de transition, moyens alloués à ce plan sur 3 ans, etc.).
  • L'orateur a également a rappelé que la CSRD avait largement étendu le champ des entreprises soumises au reporting extra-financier, dans une relative indifférence au territoire.
  • Il rappelle que le rapport de durabilité a vocation être appréhendé par un grand nombre de parties prenantes : financiers, clients, régulateurs, salariés, société civile.
  • L'orateur a ensuite exposé la manière dont est structuré le rapport de durabilité et présenté les normes impératives qui encadrent sa rédaction : les ESRS.
  • Il a insisté sur l'ambition et les difficultés de la "double matérialité".

 

11h40-12h00Le contrôle de l'activité d'audit du rapport de durabilité, par Florence Peybernès, Présidente de la Haute Autorité de l'Audit (H2A)

  • Florence Peybernès a repris la parole pour montrer comment le Régulateur, les entreprises et les certificateurs travaillent ensemble pour aboutir à un rapport de durabilité qui satisfasse les finalités pour lesquelles tout ce dispositif nouveau a été mis en place.
  • Elle a tout d'abord présenté la nouvelle H2A - Haute autorité de l'audit, laquelle remplace l'ancien Haut Commissariat aux Comptes (H3C) afin de réguler, outre les professionnels de l'audit, les nouvelles activités liées à l'audit de durabilité.
  • L'oratrice a montré la façon dont les experts, les représentants des autorités publiques, et des entreprises, contribuent au travail du Régulateur, notamment dans l'élaboration des lignes directrices qui aident les entreprises et les professionnels.

 

12h00-12h30Débat

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Sixième conférence – Lundi 14 octobre 2024, de 11h à 12h30

LES TECHNIQUES PROBATOIRES ADÉQUATES DANS LE CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE ÉMERGENT

Cour d’appel de Paris, salle Cassin

Présentation et modération par Marie-Anne Frison-Roche, Professeure de Droit de la Régulation et de la Compliance, Directrice du Journal of Regulation & Compliance (JoRC)

 

11h-11h10Entreprises assujetties au Droit de la Compliance : la charge de prouver la crédibilité de la trajectoire des actions entreprises à partir des structures mises en placeMarie-Anne Frison-Roche, Professeure de Droit de la Régulation et de la Compliance, Directrice du Journal of Regulation & Compliance (JoRC)

  • La charge des entreprises assujetties au Droit de la Compliance de prouver la crédibilité de la trajectoire des actions qu'elles entreprennent à partir des structures qu'elles mettent en place ressort des lois et réglementations et des premières jurisprudences. En effet, les entreprises doivent prouver la "crédibilité" des actions qu'elles engagent au regard des Buts Monumentaux de la Compliance📎!footnote-3874, c'est-à-dire que les structures qu'elles ont mis en place, les effets qui ont déjà été obtenus, les comportements que l'on peut observer, sont "crédibles", de façon à ce que le juge puisse en déduire les effets futurs sur le système.
  • C'est ainsi que le système probatoire, aussi bien sur l'objet de preuve (le futur), le moyen de preuve (la trajectoire) et la charge de preuve (l'entreprise assujettie par l'Obligation légale de Compliance, ou l'entreprise débitrice par une Obligation contractuelle de Compliance), peut être dessiné d'une façon à la fois solide, raisonnable et proportionnée.
  • Pour étayer cela, j'ai tout d'abord rappelé la définition d'un Contentieux Systémique : il s'agit d'un contentieux dans lequel un système est impliqué, à travers et/ou au-delà des parties au litige (ex : système climatique, système numérique, système algorithmique, système bancaire, etc.). Ces systèmes ont des intérêts qui leurs sont propres, le premier étant commun à tous : ne pas s'effondrer (but négatif), de durer (but positif), point précédemment développé lors de la conférence sur la durabilité📎!footnote-3875. Ces intérêts peuvent être alignés avec ceux des parties au litige, ou différer de ceux-ci, posant alors la question de la représentation des intérêts du ou des systèmes impliqués. Cette question de l'alignement ou non des intérêts sera développée sous son angle processuel dans la prochaine conférence-débat du 18 novembre 2024 qui portera sur "Le Droit processuel de la Vigilance"📎!footnote-3876.
  • Ce rappel effectué et toujours d'une façon préalable à la démonstration du caractère central de la "crédibilité", je me suis ensuite attachée à évoquer les conséquences probatoires de la présence d’un système dans un contentieux, en abordant successivement les trois dimension de la preuve : l'objet de preuve, la charge de preuve et le mode de preuve.
  • Pour cela, je me suis implicitement appuyée sur les premiers travaux que j'ai menés sur la dimension probatoire du Droit de la Compliance :

🧱🕴🏻mafr📝Le juge, l'obligation de compliance et l'entreprise. Le système probatoire de la Compliancein 🕴🏻mafr (dir.) 📕La juridictionnalisation de la Compliance, 2023

 

I. L'OBJET DE PREUVE DANS LE CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE

  • Le Droit de la Compliance internalise dans les opérateurs l'obligation d'agir de manière à tendre vers la réalisation de Buts Monumentaux. Ces buts, tout comme l'obligation qui en résulte, sont de de nature systémique. Dès lors, déterminer si l'entreprise a satisfait son Obligation de Compliance revient à déterminer si celle-ci a pris sa part - de manière effective, efficace et efficiente📎!footnote-3877-, dans la préservation des intérêts propres du système en cause.
  • Il ne s'agit donc pas seulement pour l'entreprise d'exécuter une obligation légale ou contractuelle en s'attachant au texte de la norme qui fait peser sur elle cette obligation.
  • Il s'agit au contraire pour elle de prendre sa part dans la préservation du système protégé par la norme, afin que demain celui-ci ne s'effondre pas (But Monumental Négatif) et dans un second temps soit amélioré (But Monumental Positif). L'entreprise doit montrer cette part qu'elle prend : c'est l'objet de preuve. Celui qui lui demande des comptes doit montrer qu'elle ne prend pas cette part qui est posée sur elle par une loi, une réglementation ou un contrat.

 

II. LA CHARGE DE PREUVE DANS LE CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE

  • L'entreprise n'a pas à démontrer qu'elle n'a pas mal agi, qu'elle n'a pas causé de dommage, ou qu'elle n'en causera pas : il y a une présomption, qui vaut pour tout un chacun, de respect des obligations légales et contractuelles. Renverser cela, cela reviendrait à considérer les entreprises assujetties (les entreprises puissantes) comme des "criminelles-nées", c'est-à-dire les présumer comme devant à l'avenir commettre des manquements, causer des dommages.
  • Déterminer sur qui repose la charge de preuve dans le Contentieux Systémique revient à se demander qui doit montrer la part que l’entreprise doit prendre dans la préservation ou la promotion de l’intérêt propre de tout système, qui est de perdurer (v. supra la détermination de l'objet de preuve).
  • C'est donc au demandeur, qui demande des comptes à l'entreprise, de supporter la charge de montrer le manquement, mais parce qu'il existe une "Obligation de Compliance", qui est pour l'entreprise de prendre sa part dans la concrétisation des Buts Monumentaux de la Compliance, c'est à l'entreprise de montrer qu'elle a mis en place les structures requises et que celles-ci, dans leur fonctionnement et dans les effets engendrés, produisent des effets qui sont dans la trajectoire menant vers la concrétisation des buts : le contentieux probatoire de la Vigilance tient dans ce raisonnement-là.
  • Ainsi, l'Obligation de Compliance, en ce qu'elle opère une obligation probatoire, qui est une obligation substantielle à la charge de l'entreprise, interfère avec le mécanisme en principe inchangé des charges de preuve.
  • J'ai commencé à développer cela dans l'étude précitée sur le système probatoire de la compliance :

🧱🕴🏻mafr📝Le juge, l'obligation de compliance et l'entreprise. Le système probatoire de la Compliancein 🕴🏻mafr (dir.) 📕La juridictionnalisation de la Compliance, 2023

  • J'ai continué à le préciser dans une des contributions dans l'ouvrage sous presse sur L'Obligation de Compliance📎!footnote-3878, contribution dans laquelle j'ai détaillé chaque effet probatoire, notamment sur les charges de preuve, de types d'Obligations de Compliance produites par tel ou tel dispositif légal ou contractuel :

🧱🕴🏻mafr📝Obligation de Compliance : construire une structure de compliance produisant des effets crédibles au regard des Buts Monumentaux visés par le Législateurin 🕴🏻mafr (dir.) 📕L'Obligation de Compliance, 2024

 

III. LES MODES DE PREUVE DANS LE CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE

  • Comment est-ce que l’entreprise peut montrer qu’elle apporte effectivement, efficacement et avec efficience sa part pour que dans le futur le système ne s’effondre pas et s’améliore ?
  • À première vue, l'objet de preuve engendre une impossibilité de prouver : prouver l'effectivité du futur est impossible. C'est sans doute pour cela que les entreprises assignées en appellent à la présomption d'innocence, affirmant que l'on en revient à les désigner comme des sortes de criminelles-nées, en présumant qu'elles commettront à l'avenir des dommages, qu'on leur imputerait dès à présent des dommages futurs, ce qui n'est pas admissible, qu'on les sanctionnerait dès aujourd'hui pour ceux-ci, ce qui est contraire aux principes les plus élémentaires du Droit répressif.
  • Pour ne pas tomber dans ce tableau des entreprises présentées comme toujours et d'ores et déjà coupables d'un futur qui par nature n'est pas écrit, mais admettre néanmoins que les entreprises sont "responsables Ex Ante" du fait de l'"Obligation de Compliance" que les législations font peser sur elles, s'opère un déplacement.
  • Le premier déplacement consiste pour l'entreprise à sortir du système probatoire, lequel porte sur les faits, pour aller dans le mécanisme des engagements, qui, surtout s'ils prennent la forme d'un contrat, en tant qu'il est un acte juridique, permet d'avoir prise sur le futur. Beaucoup d'entreprises procèdent ainsi, doublant leur Obligation légale de Compliance par des Obligations contractuelles de Compliance qui structurent leur chaîne d'activités et façonnent alors le futur, le contrat permettant de pallier le déficit probatoire. C'est notamment ce que les Autorités de concurrence font depuis toujours à travers le maniement des techniques d'engagements, lesquels deviennent obligatoires par la décision unilatérale de l'Autorité, mais les entreprises peuvent utiliser le Droit des contrats pour le faire :

🧱🕴🏻mafr📝La volonté, le cœur et le calcul, les trois traits cernant l'Obligation de Compliance ; 📝L’Obligation de Compliance, entre volonté et consentement : obligation sur obligation vautin 🕴🏻mafr (dir.) 📕L'Obligation de Compliance, 2024

  • Les entreprises peuvent alors rester dans le système probatoire et opérer un déplacement d'objet de preuve, à travers la notion de "crédibilité". Elles peuvent, et doivent, alors démontrer d'une façon crédible qu'effectivement ce qu'elles disent aujourd'hui elles le feront demain. Comme elles ne peuvent être crues sur parole, et s'il n'y a pas d'engagement juridique comme des programmes de compliance, la preuve va en être matériellement apportée par la production d'actions et de comportements déjà passés qui constituent une "trajectoire".
  • Cette trajectoire permet de montrer que la continuation de l'action, des comportements, et des effets produits par les structures de Compliance, va produire demain les effets attendus au regard des buts posés par le Législateur (ou le contrat).
  • La preuve en est alors apportée par l'entreprise, qui supporte ainsi ce qu'il convient de désigner comme une "charge de crédibilité". C'est le raisonnement qu'a suivi le Conseil d'État dans sa décision du 20 mai 2023, Grande Synthe (dite "Grande Synthe 3")📎!footnote-3879, le Conseil refusant d'ordonner l'astreinte demandée contre l'État car celui-ci, bien que reconnu comme devant agir dans le futur, a pu montrer d'une façon crédible par ses actions passées et en suivant la trajectoire que celles-ci permettent de dessiner que par la suite leur continuation (qui est présumée) permettra d'atteindre les objectifs posés.
  • Ce recours à la notion probatoire de trajectoire au regard de ce qu’on a déjà fait, au regard de ce à quoi le Droit de la Compliance oblige pour demain, doit être appliqué d'une façon plus large. En effet, cela donne la juste mesure de ce que l'on demande aux entreprises.

 

11h10-11h30Ce que des entreprises font et les preuves disponibles qui en résultent, par Nathalie Fabbe-Costes, Professeure de gestion à Aix-Marseille Université 

Constats introductifs

  • L'oratrice a débuté son intervention en exposant la prise de conscience progressive des enjeux environnementaux par les entreprises. Débutant dans les années 1970 et se renforçant au fur et à mesure de l'écoulement du temps (rapport Meadows, rapport Brundtland, 17 objectifs de développement durable de l'ONU, etc.), elle se traduit aujourd'hui par un passage de l'ex post à l'ex ante, les entreprises n'étant plus dans une logique consistant simplement à compenser les externalités négatives liées à leurs activités mais bien à prévenir ces atteintes afin de tendre vers un futur plus désirable.
  • À cet égard, elle souligne qu'en interne une impulsion venant du dirigeant et se diffusant dans l'entreprise depuis son sommet (approche top down) n'est à elle seule pas suffisante. Il est nécessaire, pour obtenir de réels changements et effets, que cette approche se double d'une approche bottom up, c'est-à-dire que la stratégie de développement plus durable de l'entreprise soit également portée au plus près du terrain et par des individus tout au long de la chaîne de valeur de l'entreprise.
  • Dans ce nécessaire dialogue entre les différents échelons de l'entreprise et de sa chaîne de valeur, les systèmes d'information mis en place jouent un rôle déterminant. Toutefois, l'oratrice souligne qu'il convient d'adopter une approche nuancée de la puissance et du niveau d'information des grandes entreprises. Elle rappelle que la plupart des entreprises ne sont pas verticalement intégrées et ont au contraire externalisé certaines activités et structuré des chaînes d'activités mondiales, distribuées et divisées en un grand nombre d'échelons. Cet éclatement rendant la maîtrise de l'entreprise pilote de la chaîne complexe, aboutissant à des situations dans lesquelles elle ne connaît pas l'ensemble des sous-traitants composants celle-ci et parfois même où elle fait face à des entreprises qui, par leur position, sont en réalité plus puissantes qu'elle.

 

Attitude et comportement des entreprises

  • Ces constats introductifs posés, l'oratrice s'est attachée à analyser la manière dont les entreprises appréhendent les nouvelles exigences qui pèsent sur elles au titre de la durabilité.
  • Elle souligne que les approches varient grandement selon les entreprises, allant de l'incompréhension de ce qu'on attend d'elle, conduisant à un déni total, à la mise en place d'une réflexion et d'actions visant à transformer leur modèle économique. Les entreprises étant quoiqu'il en soit toutes au prise avec le même dilemme : la conciliation entre des intérêts financiers à court terme et une vision de plus long terme au profit de la planète et des êtres humains.
  • Ces nouvelles exigences imposent aux entreprises de mener une démarche stratégique complète. Elles doivent dessiner une trajectoire, établir un plan détaillant les actions permettant de produire des résultats et le mettre en oeuvre. Elles doivent à ce titre prévoir des dispositifs de contrôle et d'évaluation, permettant de contrôler le bon déroulement de l'exécution du plan et que les actions engagées produisent effectivement les effets prévus. À ce titre, elle souligne que les actions mises en place divergent selon le secteur d'activité de l'entreprise en cause, sa taille, son organisation interne, etc., et dépendent des risques inhérents à ses activités.

 

Conséquence sur la "fabrique de preuves" des entreprises

  • Ces exigences, qui amènent l'entreprise à inscrire son activité dans une stratégie durable, génèrent des documents et informations. En effet, dans la première étape qu'est la définition de sa stratégie durable, elle doit choisir ses cibles, fixer des objectifs, anticiper les difficultés qui pourraient survenir et qui l'empêcheraient d'atteindre ces objectifs. Elle doit ensuite réaliser un mapping de la situation puis l'analyser afin de prioriser les risques et identifier les opportunités de développement liées à son activité et à cette stratégie plus durable. Ces deux étapes que sont la définition de la stratégie et le mapping s'influençant réciproquement.
  • Une fois la stratégie déterminée, l'entreprise doit agir. Elle le fait tout d'abord en établissant un plan et en transformant ses organisations tant interne qu'externe, en entraînant avec elle, dans cette stratégie plus durable, ses partenaires. Elle doit ensuite développer des systèmes de suivi, de contrôle et d'évaluation, lui permettant de mesurer les résultats obtenus par ses actions et de piloter les adaptations potentiellement nécessaires.
  • Ces différents procédés d'organisation génèrent de l'information, les entreprises constituant à cet égard une sorte de "fabrique de preuves". En effet, dans l'établissement et la mise en oeuvre de leur stratégie de développement durable, les systèmes d'information utilisés, les décisions adoptées, les communications internes et externes, les différents échanges, les contrats, les rapports d'audit (notamment des sous-traitants) et les rapports d'experts, sont autant de "traces" de l'action de l'entreprise.
  • Toutefois, ces éléments de preuve ne sont pas forcément disponibles. En effet et par exemple, les systèmes d'information et de pilotage mis en place par les entreprises sont multiples et l'information qui en résulte n'est pas centralisée. Les systèmes de traçabilité ne sont pas automatiquement synonymes de plus de visibilité et plus de transparence. De plus, il ne faut pas exagérer la puissance des systèmes de reporting et de mesure de performance. Ceux-ci dépendent des méthodes et indicateurs de performance retenus par les entreprises et peuvent donc produire des résultats biaisés (ex : divergence des méthodes de calcul des émissions de CO2). En outre, des "parties prenantes" interfèrent avec la fabrication des preuves, que ce soient des consultants, des cabinets d'audit, des organismes de normalisation, etc.
  • Enfin, force est de constater qu'en l'état les entreprises ne disposent pas d'autant de preuves permettant de documenter et prouver ce qu'elles font en ex ante que de preuves se rattachant à l'ex post, c'est-à-dire de preuves liées au dommage qui n'aura pu être évité malgré leur action préventive.

 

11h30-11h50Les différentes techniques probatoires quand un système est impliqué dans un litige, par Thibault Goujon-Bethan, Professeur de droit à l’Université Jean-Moulin Lyon 3, directeur du Centre patrimoine et contrats, directeur de l’IEJ de Lyon

  • L'orateur a commencé par rappeler ce qu'est une "cause systémique", notion proposée par Marie-Anne Frison-Roche en 2021📎!footnote-3880. Dans ces procès, au-delà des parties au litige et de leurs prétentions, ce sont un ou plusieurs systèmes qui sont impliqués, systèmes dont les intérêts propres dépassent ceux des parties, dans une sorte d'"arrière-litige". Surgissent alors les "Buts Monumentaux". Il souligne que les juges doivent prendre conscience, dans la compréhension qu'ils ont du litige, de l'existence de cet "arrière-litige", dont ils sont également saisi et dont ils doivent donc prendre la mesure.
  • Cette nouvelle conception de la saisine du juge a des conséquences sur les techniques probatoires. Dans la conception accusatoire traditionnelle du procès civil, le procès est la chose des parties, le juge est un arbitre neutre des éléments débattus devant lui et la vérité n'a pas une place centrale, le juge doit rechercher ce qui est le moins faux et non ce qui est le plus vrai. Cependant, lorsqu'un système est impliqué, la place de la vérité doit être revalorisée, puisque précisément celle-ci est nécessaire pour faire en sorte que le système dure. Cela rejaillit sur les techniques probatoires dans le Contentieux Systémique, qu'elles soient extra-judiciaires (I) ou judiciaires (II).

 

I. Les techniques probatoires extra-judiciaires

  • L'orateur met en avant la grande liberté qui gouverne et doit gouverner ces preuves constituées en dehors de tout procès. Faisant écho à l'intervention précédente, il souligne qu'elles supposent l'accès à de nombreux éléments produits par les entreprises : données brutes et interprétées, rapports d’audit, rapports d’experts, etc.
  • Il rappelle que dans ces Contentieux Systémiques il s'agit d'apporter des éléments de preuve certes sur le passé, mais surtout sur le futur. Les entreprises devant montrer la trajectoire qu'elles suivent et établir la crédibilité des actions qu'elles mettent en oeuvre au regard de cette trajectoire. Cela suppose notamment de recourir à des techniques de gestion fiables ainsi qu'à des sachants, qui seront à même de déterminer si ces actions sont crédibles ou non.
  • Il considère qu'il faut que le juge se saisisse pleinement de ces preuves, et qu'il est ainsi nécessaire de diminuer les potentiels obstacles tant à la production de celles-ci (A) qu'à leur appréciation par le juge (B).

 

A.    Absence d’entrave dans la production des preuves

  • L'orateur constate que le cadre juridique commun est très accueillant à l'égard de la production de preuves extra-judiciaires et l'est de plus en plus au fil des évolutions jurisprudentielles.
  • Constatant que de nombreux éléments de preuve sont produits par l'entreprise elle-même, il explique qu'il ne faut pas considérer que le principe selon lequel "nul ne peut se constituer de preuve à soi-même" pourrait constituer un obstacle. Il démontre qu'il ne faut pas sur-interpréter cette règle, qui ne vise en réalité que le titre et donc l'exigence d'un titre signé lorsqu'il s'agit de prouver un acte juridique et qu'une preuve écrite est nécessaire et que la jurisprudence écarte lorsqu'il s'agit de prouver un fait juridique.
  • Il évoque ensuite les questions de licéité et loyauté de la preuve. Il rappelle les conditions d'admission de telles preuves, en soulignant que les obstacles de la licéité et de la loyauté sont des digues en train de céder progressivement, notamment par l'arrêt d'Assemblée plénière du 22 décembre 2023 (captation) et le recul des secrets. Les pratiques probatoires en sont modifiées, pour que le juge civil se rapproche toujours plus de la vérité, soit du fait de l'entreprise qui se constitue des preuves, soit du fait des ONG qui vont spontanément chercher des preuves. La distinction entre obligations de moyens et de résultat continue néanmoins de guider la répartition des charges de preuve en la matière.
  • Si l'évolution se fait vers l'admission possible d'un "droit à la preuve", cela signifie d'une part qu'il ouvre cette possibilité précitée pour l'intéressé d'aller lui-même chercher ses preuves et de les produire et d'autre part qu'il est sans doute possible d'aller les chercher chez un tiers, mais il faut alors que cet élément probant ait un rapport direct avec l'objet du litige : en effet, ce droit à la preuve est un droit subjectif substantiel et non pas un simple droit subjectif procédural. C'est pourquoi le juge ne doit ordonner une production forcée, voire une mesure d'instruction, que s'il y a un rapport direct avec la matière litigieuse (ce que justifie sa nature de droit subjectif substantiel), étant observé qu'ici il s'agit d'une matière litigieuse systémique. Le fait probant recherché doit ainsi avoir un "caractère indispensable" pour les "Buts Monumentaux" qui caractérisent la matière systémique et ce type nouveau de contentieux. Le juge doit aussi veiller à ce que les atteintes que peut alors engendrer l'exercice de ce "droit à la preuve", notamment par rapport aux secrets ou à la liberté d'entreprendre, soit proportionnées, légitimes, nécessaires.

 

B.    Absence d’entrave dans l’appréciation des preuves

  • L'orateur explique que l'appréciation des preuves par le juge doit être libre. Il rappelle qu'en droit français, mis à part en Droit de la concurrence, il n'y a pas de standard de preuve. Ainsi, il revient en principe au juge d'apprécier les preuves, en fixant lui-même la valeur qu'il leur accorde dans sa conviction.
  • Toutefois et par exception, certaines règles imposent au juge de fixer une certaine valeur aux preuves. La loi fixe parfois des équivalences, comme des présomptions. Il se peut aussi qu'elle pose que des éléments suffisent sauf preuve contraire, ou bien encore que certains éléments ne suffisent pas pour fonder exclusivement la décision du juge (ex : un rapport d'expertise judiciaire doit être corroboré pour pouvoir fonder la solution du juge).
  • Il souligne enfin la marge de manoeuvre des juges en la matière, qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.

 

II. Les techniques probatoires judiciaires

  • L'orateur a ensuite abordé les preuves constituées grâce au juge. Il a souligné l'importance pour le juge civil de se saisir pleinement des pouvoirs à sa disposition et d'exercer pleinement son office en matière probatoire. A cet égard, il estime que le juge doit procéder à une "exploitation des techniques probatoires judiciaires désinhibée".
  • Il considère également que la place de la vérité doit être revalorisée dans les contentieux systémiques, en raison de leur technicité (vérité technique) et de leur ampleur, ce qui passe par une revalorisation de l’office du juge à tous égards et notamment probatoire. Il n'y a pas de différence dans les Codes entre juge civil et juge pénal sur les moyens dont il dispose pour instruire une affaire
  • Le juge, dont l'office probatoire doit se développer, peut ainsi en premier lieu, puiser dans les preuves qui sont produites de l'extérieur et qu'il a le pouvoir d'apprécier, et peut aussi en second lieu gouverner l'établissement de preuve dans l'instance elle-même. Le juge civil étant un juge d'instruction comme un autre, il peut ainsi se rapprocher de la réalité des systèmes impliqués et de la connaissance des besoins propres de ceux-ci (A). Il peut aussi se comporter en "juge d'appui" pour chacune des parties qui elles-aussi peuvent prétendre porter l'intérêt propre du système au-delà de leur intérêt proche, ce que les ONG et les entreprises systémiques allèguent souvent, aussi bien en demande qu'en défense (B).

 

A.    Apporter un appui aux parties

  • Le juge peut apporter son appui aux parties en ordonnant des mesures d’instruction. Il peut ainsi ordonner toutes les mesures d’instruction légalement admissibles, et peut le faire en tout état de la procédure, notamment sur l'article 145 du Code de procédure civile. Des contentieux sont en cours sur l'article de cette technique procédurale dans des Contentieux Systémiques. Il faut alors que soit faite la démonstration d’un motif légitime, que la demande soit circonscrite dans l'espace et dans le temps, soit proportionnée aux intérêts en présence, ménage les secrets éventuellement en cause. Il peut aussi ordonner des mesures de production forcée, contre lesquelles l'intéressé peut invoquer un empêchement légitime.
  • Une question ouverte porte sur la possibilité de demander la fabrication de preuve : Est-ce que le juge peut ordonner la production d’interprétations de données, d’un indicateur spécifique, de données agrégées ? ou que de données brutes ? Ce renvoie à la question des preuves ex novo, constituées pour les besoins de la cause. Le Droit positif y est peu ouvert, la production de pièces ne pouvant porter que sur des éléments existants, mais jurisprudence de l'Union européenne admet preuves ex novo notamment dans le contentieux de concurrence et l'orateur estime qu'il faudrait faire évoluer la jurisprudence nationale dans les Contentieux Systémique.

 

B. Supplanter les parties

  • Le juge est acteur de la preuve et l'on peut concevoir qu'il aille chercher des preuves, éventuellement même si personne ne lui demande. Il peut en effet ordonner d’office des mesures d’instruction. Il peut d’office inviter les parties à produire des pièces, mais il ne peut pas ordonner d'office la production forcée de preuves. Il pourra néanmoins tenir compte de l'abstention des parties face à son invitation....
  • En outre, il pourra avoir recours à l'amicus curiae, pour que les intérêts propres du système soient portés devant lui, pouvant décider d’auditionner un sachant pouvant lui apporter son expertise sur le système impliqué.
  • Certes, cela n'est pas réglementé par les textes pour la première instance, mais la pratique démontre que quand des enjeux systémiques sont en cause cela est possible et utile, comme l'a montré la pratique du Tribunal judiciaire de Paris de 2023 et 2024, ordonnant des mesures de désignation d’amici curiae
  • L'orateur conclut de la manière suivante : « Il faut une libéralisation de la preuve dans ces contentieux et que le juge investisse avec mesure et équilibre son office probatoire, qui lui est reconnu dans le Code de procédure civile ».

 

11h50-12h30Débat

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Septième conférence – Lundi 18 novembre 2024, de 11h à 12h30

LE DROIT PROCESSUEL DE LA VIGILANCE

Cour d’appel de Paris, salle Cassin

Présentation et modération par Marie-Anne Frison-Roche, Professeure de Droit de la Régulation et de la Compliance, Directrice du Journal of Regulation & Compliance (JoRC)

 

11h-11h10Choix et embranchements de compétences lorsqu'un enjeu de vigilance est allégué, par Marie-Anne Frison-Roche, Professeure de Droit de la Régulation et de la Compliance, Directrice du Journal of Regulation & Compliance (JoRC)

  • J'ai insisté sur le fait qu'on ne peut pas dissocier la désignation du juge compétent de la matière litigieuse dont il est saisi. C'est pourquoi, malgré la désignation du Tribunal judiciaire de Paris, d'autres juges seront efficacement saisis, soit ratione loci, soit ratione materiae, comme le tribunal de commerce, mais aussi le tribunal administratif. Le Droit des contrats ou le Droit de la commande publique ou de la concurrence ou de la distribution ou de la responsabilité font revenir le juge naturel.
  • J'ai exposé les 2 pistes possibles, leurs fondements, leurs avantages et leurs inconvénients.
  • J'ai présenté le résultat qui pourraient être la combinaison de ces 2 pistes. Elles reposent avant tout sur le dialogues des juges entre eux, dans le dialogues entre les juges et les avocats (et les parties par notamment la médiation), par l'accroissement de la "compétence" directement liée à la matière litigieuse, c'est-à-dire la connaissance des besoins des systèmes impliqués.
  • 🎤consulter une présentation détaillée de cette intervention

 

11h10-11h20Les enjeux à venir de l'intérêt et de la qualité à agir dans les contentieux systémiques de vigilance, par Natalie Fricero, Professeure émérite à l'Université Côte d'Azur

  • Natalie Fricero est intervenue pour traiter de la question de la qualité et de l'intérêt à agir devant le juge. Elle a souligne que c'est à l'article 31 du Code de procédure civile qu'il faut toujours revenir, car les textes spéciaux en matière de Vigilance, en se référant parfois aux critères de "l'action banale" puis en y ajoutant des critères restrictifs, renvoient ainsi à une exigence d'action qualifiée, qui requiert une qualité légalement conférée, indépendamment même du lien que l'association doit montrer entre son action et son objet social. Ce qui montre par ailleurs que le Législateur de la vigilance ne maîtrise peut-être pas la base de la procédure civile et du droit d'action.
  • Approfondissant ceci et revenant sur la jurisprudence déjà disponible, notamment les 3 arrêts rendus par la Cour d'appel de Paris le 18 juin 2024, elle a souligné que ces notions d'intérêt et de qualité sont indissociables du fond, puisqu'il faut bien montrer une certaine pertinence de la demande pour justifier d'un intérêt, ce qui en matière de vigilance demeure assez difficile.
  • Cette difficulté s'accroît lorsque la demande est de nature probatoire.

 

11h20-11h30Les spécificités à concevoir dans la mise en état des contentieux systémiques de vigilance, par Natalie Fricero, Professeure émérite à l'Université Côte d'Azur

  • Dans le prolongement de sa première intervention, Natalie Fricero a débuté son propos en pointant le risque de multiplication des contentieux liés à la qualité et à l'intérêt à agir en raison des stratégies procédurales que les parties sont et seront amenées à mettre en place. Elle insiste sur l'importance pour le juge d'anticiper cela et d'aménager la mise en état en conséquence. 
  • L'oratrice commence par évoquer les moyens à disposition du juge lui permettant d'éviter les stratégies dilatoires. Elle vise à ce titre trois outils procéduraux tels qu'ils résultent du décret dit "Magicobus" : 
    • Elle mentionne d'abord la compétence du juge de la mise en état, lequel est exclusivement compétent pour connaître des fins de non-recevoir. Après avoir rappelé que la démarcation entre intérêt procédural à agir et l'objet substantiel de la prétention est parfois très fine voire poreuse, elle pose que si cela est nécessaire pour trancher la fin de non-recevoir, alors le juge de la mise en état peur apprécier des éléments touchant au fond du litige. Elle explique qu'il en résulte de fait une obligation de concentration temporelle de ce type de moyens, une fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt ou de qualité ne semblant pas pouvoir entrer dans les exceptions permettant au juge d'apprécier une fin de non-recevoir postérieurement à la clôture de la mise en état. 
      Elle évoque ensuite la possibilité pour le juge de la mise en état de renvoyer l’examen de la fin de non-recevoir et de la question de fond dont dépend la fin de non-recevoir au tribunal qui statuera au fond
      Enfin, elle rappelle qu'au terme du décret dit "Magicobus" l'ordonnance du juge de la mise en état n'est plus susceptible d'appel immédiat. 
    • L'oratrice explique ensuite qu'il est possible de soulever le défaut d’intérêt ou qualité pour la première fois en appel. En pareil cas, le fin de non-recevoir sera jugée par la cour d'appel au fond et pas par le conseiller de la mise en état, lequel ne peut pas statuer pour la première fois sur une fin de non-recevoir de première instance, car sinon l'on serait dans une situation dans laquelle il pourrait anéantir un jugement, or il ne le peut pas.
    • Elle rappelle enfin que si des manœuvres dilatoires sont constatées, la partie fautive pourrait être condamnée à des dommages et intérêts.
  • Elle termine son intervention en évoquant le principe de l'estoppel, qui pourrait potentiellement avoir une place dans ces contentieux. Elle relève que ce principe a été soulevé en première instance dans l'une des affaires soumises à la Cour d'appel de Paris le 18 juin 2024. Elle rappelle cependant que cette sanction procédurale tirée par la Cour de cassation est appliquée de manière extrêmement restrictive, et uniquement à l’horizontal (c'est-à-dire dans le cadre de la même instance et non entre la première instance et l'appel). En ce sens, dans l'un de ses arrêts du 18 juin 2024 la Cour d'appel écarte ce moyen, au motif que le Code de procédure civile prévoit que la fin de non-recevoir peut être soulevée en tout état de cause.

11h30-11h40Les spécificités à concevoir dans l'audience publique des contentieux systémiques de vigilance, par Marie-Anne Frison-Roche, Professeure de Droit de la Régulation et de la Compliance, Directrice du Journal of Regulation & Compliance (JoRC)

  • J'ai abordé des réflexions sur la façon dont l'audience doit être spécifiquement conçue lorsque le cas porte sur un contentieux systémique de vigilance. N'a pas été développé ce qui est commun à toutes les audiences mais seulement ce en quoi précisément cette audience-là pourrait se distinguer des autres audiences, en ce que le cas de vigilance sur lequel l'audience se déroule, en ce qu'il est de nature systémique, est de nature différente des autres cas contentieux.
  • L'intervention de 10 minutes était construite en 4 points, qui s'articulaient progressivement les uns avec les autres. Le premier point portait sur la nécessité de tenir compte procéduralement, dans la tenue de l'audience, de la dimension médiatique du contentieux systémique de la vigilance. Le deuxième point portait sur la nécessité de faire place dans l'audience aux parties à l'instance au-delà des parties au litige, car les parties à l'instance permettent de faire comprendre les enjeux systémiques et formuler les besoins des systèmes, notamment les besoins futurs. Le troisième point portait sur la détermination des personnes apte à parler à l'audience au nom des systèmes et à la détermination de qui invite celles-ci. Le quatrième point portait sur la menée de l'audience, en ce qu'elle pourra se démarquer des autres audiences, et notamment emprunter à des techniques pour l'instant développées dans les audiences d'arbitrage international. 
  • 🎤consulter une présentation détaillée de cette intervention

 

11h40-11h50Les spécificités à concevoir  l'office du juge dans le contentieux systémique de vigilance, par Natalie Fricero, Professeure émérite à l'Université Côte d'Azur

Le temps n'a pas permis de faire cette intervention. Occasion a été prise de reprendre ce thème plus tard.

 

11h50-12h30Débat

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Conférence de clôture de l'année 2024 – Lundi 16 décembre 2024, de 11h à 12h30

L’EXPÉRIENCE DES JURIDICTIONS

DANS LE CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE ÉMERGENT

Cour d’appel de Paris, Première Chambre

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8

🕴️M.-A. Frison-Roche📝L’hypothèse de l’interrégulationin 🕴️M.-A. Frison-Roche (ed.), 📕Les risques de régulation, 2005.

15

🕴️J. Carbonnier, 📝De minimis...in 📗Mélanges dédiés à Jean Vincent, 1981.

16

🧮La vigilance, nouveau champ de contentieux systémiquein cycle de conférences-débats "Contentieux Systémique Émergent", organisé à l'initiative de la Cour d'appel de Paris, avec la Cour de cassation, la Cour d'appel de Versailles, l'École nationale de la magistrature (ENM) et l'École de formation des barreaux du ressort de la Cour d'appel de Paris (EFB), sous la responsabilité scientifique de Marie-Anne Frison-Roche, 26 avril 2024.

21

Sur ce triptyque "effectivité - efficacité - efficience" qui caractérise le Droit de la Régulation et de la Compliance, v.🕴️M.-A. Frison-Roche📝Définition du principe de proportionnalité et définition du Droit de la Compliancein 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les Buts Monumentaux de la Compliance, 2022 ; 📝Le juge, l'obligation de compliance et l'entreprise. Le système probatoire de la Compliancein 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕La juridictionnalisation de la Compliance, 2023.

22

🕴🏻M.-A. Frison-Roche (dir.) 📕L'Obligation de Compliance, 2025.

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