Les fiches récentes

2 novembre 2015

Publications

Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Droit et Marché : évolution, in Dormont, S. et Perroud, Th. (dir.) Droit et Marché, coll. "Droit et Économie, LGDJ - lextenso éditions, 2015, p.265-278.

Cet article trouve une forme plus développée et plus personnelle dans un working paper et constitue le prolongement d'une participation à un colloque.

Accéder à l'article.

Droit et Marché à première ne sont pas sur le même plan, l'un étant une construction, une invention humaine, l'autre étant des marchés. Mais depuis le XVIIIième en Europe, l'on a pareillement institué, donc inventé le "Marché". Ces deux institutions ont un rapport dialectique, puisque c'est par le droit que le Marché a été construit. La puissance des institutions dépend de ceux qui les construisent mais surtout de la foi de ceux qui les contemplent. Or, si le Droit a construit le Marché, aujourd'hui la foi se tourne vers le Marché et la croyance d'une loi qui lui sera proche et naturelle le rend universel, transportant avec lui sa "petite loi" juridique qu'est le contrat et le juge qui y est inclus, l'arbitre. Plus encore, parce tout cela n'est qu'affaires humaines et donc affaires de pouvoir, la place de l'Institution qui fût celle de la puissance, tirée de sa source, par exemple le Peuple Constituant, est en train de descendre en-dessous de ce qui est là, c'est-à-dire le fait. En effet, que peut-on contre un fait ? Seul Dieu, et donc une Assemblée parlementaire par exemple qu'il est aisé de destituer, peut prétendre lutter contre un fait. Or, le Marché est aujourd'hui présenté comme un fait, tandis que ce qui le gouverne seraient des phénomènes naturels, comme l'attraction entre l'offre et la demande, le fait d'offre ce qui attire, le fait de demander ce que l'on désire. Dès lors, seul Dieu, souvent brandi avec grande violence, peut prétendre encore dire quelque chose contre cela.

Aujourd'hui, Droit et Marché sont face à face. Curieusement les juristes sont assez taisant, peut-être sidérés de la destitution du Droit. Mais c'est la question de la Loi première qui est en jeu. Dans l'esprit occidental, depuis la pensée grecque l'on a pensé le sujet et la personne comme étant première, c'est-à-dire posée sans condition. Si on pose comme loi première l'efficacité de la rencontre des offres et des demandes, le monde a changé. Un monde sans Personne, avec des êtres humains plus ou moins attrayant, plus ou moins demanding , le monde des puissances ayant remplacé le monde de la volonté égale de tous. La technique devient la préoccupation première. Le droit qui était "art pratique" et les lois faites pour l'homme, devient une technique et les juristes se devront alors d'être neutres. Depuis quelques décennies, Droit et Marché sont donc face-à-face, mais le Marché semble en passe de dominer parce qu'il est en train de quitter le statut inférieur d'institution pour accéder à celui, universel, de fait. Il est en cela en passe de gagner.

 

29 octobre 2015

Base Documentaire : Doctrine

Référence complète : Supiot, A., et Delmas-Marty, M. (dir.), Prendre la responsabilité au sérieux, PUF, 2015,  424 p.

Lire la 4ième de couverture.

Consulter la table des matières.

Consulter l'introduction d'Alain Supiot.

 

29 octobre 2015

Blog

Le "lancer de nain", c'est une "séquence figée" que les étudiants apprennent par cœur, l'exemple-type du sujet d'examen, l'occasion d'en fêter l'anniversaire...

L'arrêt par lequel le Conseil d’État en 1995 a conforté l'interdiction de la distraction du lancer de nain au nom de la Dignité de la personne humaine.

C'est une antienne dans les enseignements de droit. C'est un morceau de choix au cinéma.

Les étudiants, par docilité, adhésion aux grands principes qui défendent la personne, ont tendance dans leur copie, à  conclure dans le II.B.2 : "comme c'est beau, comme c'est grand", estimant ainsi atteindre au moins 13/20.

Mais le journal Libération  a eu l'idée de demander son avis à l'intéressé. Celui-ci n'est pas content. Pas content du tout. Son réquisitoire est terrible.

  «Les putes gagnent bien leur vie avec leur cul. Pourquoi je ne pourrais pas être lancé en France ? Elle est où la liberté d’expression ?» «Le Conseil d’État décide du bonheur des gens contre leur gré». Il estime qu'on lui a ôté sa liberté de travailler et regarde les pays où les nains disposent de la liberté d'être lancés. Lui, il reste en France, où il touche le RSA. Il pense que le Conseil d'État a brisé sa vie.

Il continue et il a raison de l'affirmer : Le Conseil d’État, parce qu'il veut faire le bonheur des gens malgré eux, a fait son malheur.

Il envisage d'en demander compensation financière à l’État.

Rétrospectivement, est-ce donc une mauvaise décision ? Puisqu'on songe à une compensation financière, y aura-t-il eu une faute à décider ainsi ?

Cela dépend de l'office de la jurisprudence.

Reprenons la situation. Si on l'analyse comme un "cas", réduit aux seules personnes particulières, sans doute a-t-il raison. Mais les juges ne portent pas que cela, ne sont pas que des personnes qui arrangent au mieux les difficultés particulières des cas concrets. Dans certains cas, il y a des principes qui sont impliqués, sans doute contre le gré des personnes particulières en cause, et là c'est la jurisprudence qui apparaît. Sinon, cela n'est pas la peine de constituer des tribunaux, de prévoir des procédures, et de mettre l'ensemble au cœur des systèmes démocratiques.

Reprenons la situation :


 

26 octobre 2015

Responsabilités éditoriales : Direction de la collection "Droit et Economie", L.G.D.J. - Lextenso éditions (29)

Il s'agit du 25ième volume de la collection "Droit et Économie".

Consulter l'ensemble de la collection dans laquelle l'ouvrage a été publié.

 

Référence complète : Dormont, S. et Perroud. Th. (dir.), Droit et Marché, coll. "Droit et Économie", LGDJ - Lextenson Éditions, 2015, 278 p.

 

Lire la quatrième de couverture.

Consulter la table des matières.

Lire l'article de Marie-Anne Frison-Roche : Droit et Marché : évolution

Lire l'introduction de Jacques Chevallier : Ordre juridique et logique de marché

 

Droit et marché entretiennent des relations complexes : leur rencontre, inévitable, ne se fait pas sans heurts. D'un côté, le marché a tendance à bousculer le droit, à le soumettre à sa toute puissance amorale, implacable. De l'autre, le droit peut venir au secours du marché, lui permettre de fonctionner, l'accompagner dans ses différents développements en mettant à sa disposition des outils appropriés.


Le droit - ou du moins son utilisation, voire son instrumentalisation - peut même aller jusqu'à faire sienne la logique de marché, en adoptant ses codes (marketing), sa logique (mise en concurrence) et sa finalité (sélection du meilleur).


La réflexion sur le thème « droit et marché » dépasse ainsi le strict cadre du « droit du marché », qui suppose déjà en lui-même une analyse critique de ses sources et des techniques qui lui sont propres. Mais il s'agit également de se demander si le droit n'est pas en passe de devenir lui-même un marché, dans certaines circonstances. C'est autour de ces deux axes, « le droit du marché » et « le droit est-il un marché ? » que s'est articulée la réflexion.
 

Mise à jour : 25 octobre 2015 (Rédaction initiale : 30 août 2015 )

Publications

Ce Working Paper sert de base à une contribution parue en décembre 2015 aux Archives de Philosophie du Droit.

La notion d'ordre public économique renvoie au rapport de force entre le Droit et l’Économie. L'ordre public économique a lui-même plusieurs natures suivant les rapports que le droit peut entretenir avec l'économie. Il est  important de les distinguer nettement et de ne pas les confondre. En premier lieu, l'on doit distinguer "l'ordre public gardien des marchés", de "l'ordre public promoteur des marchés", de "l'ordre public architecte des marchés". En passant de l'un à l'autre, la dimension politique, voire souveraine, de l'ordre public économique apparaît du fait du changement de nature. En second lieu, l'on doit distinguer "l'ordre public de constitution des marchés de "l'ordre public d'octroi des marchés". En effet, c'est par des règles d'ordre public que le Droit à l'intérieur des marchés les garde, les bâtit ou les conçoive. Mais ce n'est qu'un versant de l'ordre public économique. Par un ordre public économique premier, des règles construisent des "octrois des marchés", pour empêcher que les objets de désir, objets naturels d'échanges, deviennent de ce fait objets de marché. Il s'agit d'un ordre public économique hautement politique, qui s'exprime par un rejet des élans de désir.

Cela serait une grave faute de ne pas percevoir les trois natures de l'ordre public économique (ordre public gardien de l'économie, ordre public promoteur de l'économie, ordre public d'octroi des marchés) les deux natures de l'ordre public économique.

Comme pour toute chose, la plus grande puissance de l'ordre public est dans sa version négative, ce par quoi des règles ferment l'accès du marché à des objets, des choses ou des prestations qui pourtant sont désirés, qui pourtant sont offertes. Ainsi, les personnes ne sont pas sur le marché, non pas parce qu'il n'y aurait pas de désir qu'elles y soient ni de consentement de leur part, mais parce que des règles d'ordre public économique le disent. Si on ne l'admet pas, alors parce que cette nature-là est la première forme de la prétention que constitue l'ordre public économique, alors celui-ci est dans sa nature-même  récusé.

 

21 octobre 2015

Base Documentaire : Doctrine

Référence : Rochfeld, J., Les géant de l'internet et l'appropriation des données personnelles : plaidoyer contre la reconnaissance de leur "propriété", in Behar-Touchais, M. (dir.), L'effectivité du droit face à la puissance des géants de l'Internet, coll. "Bibliothèque de l'IRJS - André Tunc", vol.1,  IRJS Éditions, Université Panthéon-Sorbonne, p.73-87.

L'auteur se demande si les "géants d'Internet" peuvent s'approprier les données.

14 octobre 2015

Enseignements : La personne entre le droit et l’économie

Les systèmes de Civil Law sont construits sur des distinctions de base, selon la technique de la summa divisio. Chaque terme en est défini d'une façon abstraite et la technique de l'opposition est à la base de tout le système. Cette méthodologie des systèmes de Civil Law les oppose aux systèmes de Common Law qui accumule des solutions concrètes à des difficultés et questions concrètes, les juges à l'occasion ou la doctrine (qui n'est pas nécessairement universitaire) dégageant de cet humus des principes explicatifs ou corseteurs.

Parmi les oppositions majeures qui forment l'ossature du système juridique romano-germanique, figure  la  distinction de base entre les personnes et les choses, les personnes étant "sujets de droits" et les choses étant "objets de droit". Mais cette distinction est aujourd'hui très incertaine. En effet, la notion de "personne" paraît artificielle, créée par le droit et donc disponible. En effet, est une "personne" ce qui est désigné par le droit comme un "titulaire de droits et d'obligations" (sujet de droits), comme peut l'être tout groupe accédant à la personnalité morale. Il est vrai que le droit va essayer de dépasser cette abstraction pour rapprocher cette notion de personne des êtres humains concrets qui sont jeunes ou vieux, hommes ou femmes, malades, etc. Mais on en reste à la distinction. Or, il est si efficace d'être une "personne", ne serait-ce que pour disposer des phénomènes qui sont mis par le droit dans la catégorie "chose" qu'il y a aujourd'hui de multiples prétendants pour accéder au statut juridique de personne. C'est le cas des animaux, ayant déjà gravi l'échelon de "l'être sensible", mais aussi la nature, les organisations étant depuis très longtemps des personnes morales (États, entreprises, etc.). Paradoxalement, c'est l'être humain qui fait les frais de cette évolution qui brouille pour l'instant la distinction entre les personnes et les choses, sans arriver à la remplacer par une nouvelle. En effet, l'être humain n'apparaît que très difficilement comme une catégorie autonome et suffisante du droit. Le masque de la personnalité étant tombé, le corps humain apparaît et sont remis en cause l'identité puisque l'apparence devient un critère, pour être aussitôt contestée au titre de l'identité sexuelle. En outre, la personne cessant d'être son corps, le droit se la représente comme ayant un corps, lequel devient une chose, dont elle dispose à volonté. Il s'agit tout d'abord de sa volonté, la personne disposant de son corps comme elle le veut. Puis, son corps, distancié d'elle-même, devient disponible, dès l'instant que la personne y consent (le consentement n'étant pas une notion assimilable à la volonté). Le corps se "décompose". Non seulement son fonctionnement devient une "prestation", la maternité devenant cessible, mais l'identité même se pulvérise devient un amas de "données" que le Droit tente de protéger.  Dès l'instant que la Personne se pulvérise,  autrui peut alors en disposer par le consentement qu'en fait le "titulaire du corps". Le marché des corps, des prestations corporelles et des données s'organise ainsi. Les enjeux de l'avenir de ce qui fût la distinction entre les personnes et les choses sont donc cruciaux.

Consulter le plan.

Consulter les slides sur le thème.

 

10 octobre 2015

Blog

Par son arrêt du 28 septembre 2015, la Cour d'appel de Rennes confirme l'annulation de la transcription sur l'état civil français d'une "filiation" de pure convenance, qu'une pratique de maternité de substitution réalisée hors de France avait pour objet de produire.

La pratique de maternité de substitution, qui consiste pour une personne, et plus souvent pour un couple, à demander à une femme de devenir enceinte et à leur "céder" l'enfant à l'instant de sa naissance pour que celui ou ceux qui le reçoivent, généralement avec une contrepartie financière de ce don, en deviennent les "parents", est sanctionnée en droit français par une nullité absolue, au nom du principe de dignité de la personne. En effet, les femmes et les enfants ne sont pas cessibles. Admettre une telle cessibilité, cela serait admettre une traite des êtres humains.

Certains systèmes juridiques tolèrent pourtant cette pratique. Par exemple la Californie, où tout s'achète dès l'instant que l'on "consent" à céder, la loi californienne posant que la femme qui porte et accouche n'est pas la "mère" mais n'est que la "gestatrice" de l'enfant, le Droit pouvant tout dire. C'est pourquoi des personnes ayant un "désir d'enfant" partent hors de la France pour échapper au droit français et reviennent ensuite avec un enfant fruit d'une convention de maternité de substitution (convention de gestation pour autrui - GPA). Comme la pratique est tolérée dans le pays d'où elles reviennent, c'est même pour cela qu'elles ont fait le voyage, elles se prévalent du caractère licite de leur comportement sur ces cieux-là et de l'acte d'état civil qui a été établi dans ce pays, par exemple en Californie, en Inde, en Thaïlande, au Népal (suivant leurs moyens financiers), acte qui mentionne un lien de filiation entre l'enfant et eux-mêmes.

Pour l'instant les Législateurs sont comme "assommés" par cette déferlante de désirs d'enfants sur-mesure offerts par des agences, qui affirment que "chacun a droit à l'amour d'un enfant" et qu'il suffit de leur verser environ 100.000 euros pour avoir l'enfant tant rêvé, les États devant plier devant ce projet privé de parentalité et ce bonheur familial qui s'ajuste avec l'efficacité d'un marché mondial, contre lequel il serait illusoire de lutter.

La Cour de cassation a rendu le 3 juillet 2015 deux arrêts qui opèrent un revirement de sa jurisprudence, laquelle excluait toute transcription des actes d'état civil ainsi établis à l'étranger sur l'état civil français, en posant que l'homme, "père biologique de l'enfant", qui déclare celui-ci à l'étranger comme son enfant, a le droit de faire transcrire cette mention sur l'état civil français, peu important que l'enfant soit issu d'une GPA. La portée de ces arrêts demeure incertaine.

L'arrêt que vient de rendre la Cour d'appel de Rennes le 28 septembre 2015 apporte de la clarté. Il se met dans les roues de l'opinion développée par Monsieur Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation.

Il affirme que lorsque l'état civil établi à l'étranger mentionne également comme "mère" la conjointe du "père biologique", laquelle n'est pas la femme qui a porté l'enfant, la mention n'est pas conforme à la réalité et qu'il faut en conséquence annuler la transcription de l'état civil établi à l'étranger sur l'état civil français.

C'est une solution qui protège la mère. Protège-t-elle l'enfant ?