March 23, 2025
Law by Illustrations
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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Pour juger un acte, il faut plonger dans les récits contradictoires des uns et des autres. En cela tout procès est "atypique"🎬documentaire Le procès", billet mars 2025.
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Le procès est un documentaire, diffusé sur TF1 le dimanche 23 mars 2025. Il porte sur un procès pour meurtre qui se déroule devant la Cour d'assises du Gard. Celui-ci est présenté comme "atypique", en ce que la victime y semble presque absente, son objet étant davantage la relation entre l'auteur du meurtre et sa mère (I). Il en ressort que juger des actes, celui du fils mais aussi celui de la mère, suppose la reconstitution crédible des faits, ce qui suppose aussi de comprendre les êtres humains impliqués (II). Tout procès est ainsi construit, mais l'on peut affirmer aussi que tout procès est atypique (III). Ce que la passion des algorithmes doit considérer.
I. UN DOCUMENTAIRE SUR UN PROCES D'ASSISES ATYPIQUE : SON OBJET EST LA RELATION ENTRE L'AUTEUR DU MEURTRE ET SA MÈRE
La chaine présente le documentaire : "vous verrez le procès comme si vous y étiez".
Le procès d'assise qui est déroulé à la Cour d'Assises de Nîmes est présenté dans l'ordre chronologique, la voix off rappelant quelques règles élémentaires, par exemple la désignation des jurés.
Il est aussi présenté comme "atypique", car le sujet n'est pas tant le meurtre lui-même mais les rapports entre l'auteur du meurtre et sa propre mère, qui est la compagne de la victime. En effet, le fils soutient qu'il a battu avec une batte de base-ball celui-ci pour le dissuader de continuer à battre sa mère et que, descendant de la chambre après l'avoir battu, il en informe sa mère. Mais sa mère a une version différente des faits, pour justifier notamment le fait qu'elle ne se soit pas déplacée pour aller voir l'état de la victime, affirmant qu'elle n'a pas vu cette batte.
Les psychiatres confirment ce caractère atypique en raison de la relation entre la mère et le fils, celui-ci ne pouvant assumer le rôle de protecteur qu'on exige de lui. Le psychiatre observe que la perte de contrôle que traduit le geste en est la conséquence.
Quant à elle, la mère dit qu'elle n'avait pas compris ce qui se passait. Elle est elle-même poursuivie pour délit de non-assistance à personne en danger.
Le documentaire considère que le sujet est donc la relation entre la mère et le fils, Cette relation est décrite comme fusionnelle, le fils étant instituée comme chef de famille tandis que la mère est dans un état de dépression permanente. Les témoins décrivent la mère comme étant "toxique", ne concevant pas que son fils puisse exister en dehors d'elle, le fils se sacrifiant. Des témoins considèrent que la mère serait manipulatrice.
II. JUGER UN ACTE SUPPOSE LA RECONSTITUTION CRÉDIBLE DES FAITS ET DE COMPRENDRE LES ETRES HUMAINS IMPLIQUÉS
Ce cas ainsi exposé montre d'une façon extrême que l'on ne peut juger les actes (le meurtre par le fils, la non-assistance à personne en danger par la mère).
La question de preuve, et les qualifications qui en découlent, est la suivante : celle des intentions. En effet, l'intention de tuer est en cause, l'avocate de l'accusé demandant pendant l'audience la requalification en blessures mortelles ayant entrainé la mort sans l'intention de la donner. De la même façon, l'intention de la mère de ne pas agir, voire l'intention d'utiliser son fils.
L'écoute des questions, des réponses, montre la difficulté de reconstituer ce qui est exact, ou à tout le moins crédible, dans les faits évoqués par les personnes, et plus largement les récits articulés par les uns et les autres.
Il ressort des uns et des autres que c'est le récit global de la mère qui est le moins crédible.
III. UN PROCÉS ATYPIQUE, DES EXIGENCES ET MÉTHODES PROBATOIRES COMMUNES
Ce que l'on peut retenir dans ce que ce documentaire porte sur la crédibilité des récits.
En effet, comme le rappelle l'Avocat général : "on n'est jamais dans la tête des gens". C'est pourquoi l'Avocat général récuse avec force la demande de requalification et rappelle la définition juridique de l'intention criminelle.
De la même façon, l'avocate de la mère rappelle que celle-ci n'est pas poursuivie pour avoir été une "mauvaise mère". Elle a sans doute une "responsabilité morale", qu'elle a reconnue, mais elle n'a pas de responsabilité juridique, l'avocate soulignant qu'il ne faut pas confondre Droit et Morale.
Ce qui est remarquable est qu'à ce titre ce procès qui est présenté comme "atypique" est comme tous les autres procès, non seulement les procès pénaux mais les procès civils.
Cet entrechoc des récits est ainsi raconté par Eliette Abécassis à travers son roman Divorce à la française.
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March 1, 2011
Interviews
► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Avocats : La gouvernance en question", Journal des Bâtonniers, n°9, nov.-déc.janv. 2010-2011, p.12-13.
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► présentation de l'entretien : Cet entretien porte sur l’organisation présente et future des ordres d’avocats. Après avoir défini leur rôle de gouvernance et de régulation de la profession, est examiné le rapport de l’avocat au marché et la conséquence de l’Ordre défini comme garant d’une crédibilité professionnelle, basée sur une déontologie, qui assoit la confiance, valeur première sur un marché. Sont ensuite examinés les débats actuels de dimension des ordres, de mutualisation des moyens, etc.
L’entretien est l’occasion de définir la gouvernance en tant que celle-ci est un ensemble de procédés qui aboutit à l’expression d’une adhésion à la règle de la part de celui à qui celle-ci s’applique. En cela, la gouvernance, par rapport à l’organisation hiérarchique, ne se manifeste pas par la puissance mais par l’adhésion à des valeurs communes. L’organisation d’une profession par des Ordres doit en être le reflet.
Cela ne veut pas dire que ce type d’organisation professionnelle est antinomique du marché. En effet, le marché par nature est un espace risqué. Il en résulte que la confiance y est une valeur rare, que les agents économiques achètent. La confiance que l’avocat peut provoquer notamment grâce à la déontologie est ainsi une valeur de marché. Les Ordres en sont les garants.
Dès lors, il importe peu l’ancienneté ou non des institutions : l’essentiel est d’émettre des normes de comportements dans lesquels d’une part les avocats se reconnaissent et donc adhèrent et d’autre part dans lesquels les tiers accordent confiance. La discipline construit la crédibilité de l’ensemble.
Pour bien ajuster les ordres à leur mission, question d’actualité, il faut reconstituer des causalités. Ainsi, si la dimension trop restreinte des périmètres des barreaux est à l’origine de la difficulté de formation, la solution est éventuellement dans la mutualisation des moyens de formation et le recours à de nouvelles technologies. Mais si la cause est bien plutôt le décalage entre ce qui est appris et ce qui est nécessaire à l’exercice de la profession, la question de la dimension des Ecoles et de leurs moyens perd de sa pertinence.
De la même façon, sur la question cruciale du maintien des ordres locaux, il faut d’abord déterminer si l’on rattache un barreau à une juridiction, dans une conception de la profession liée au juridictionnel, ce qui conduit à choisir entre tribunal et Cour d’appel ou si l’on conçoit la profession davantage comme une activité économique, ce qui conduit à rattaché les périmètres des Ordres à des notions comme la ville ou de bassin d’activités.
Il est possible que la diversité des organes représentatifs, notamment Conférence des Bâtonniers et CNB, soit le reflet de cette diversité d’approche, toutes deux légitimes, justifiant la superposition à première vue irrationnelle, des structures professionnelles.
Pour conclure, l’on pourrait dire, dans un monde où les frontières s’effacent et les réseaux se développent, que les professions doivent plus que jamais être la colonne vertébrale des sociétés et des marchés. Les professions elles-mêmes doivent être gouvernées de l’intérieur, car pour les réguler il faut les connaitre et que le professionnel adhère à qui les gouverne, mais d’une façon crédible pour l’extérieur. L’enjeu essentiel, en lui-même et pour les marchés et les agents économiques qui ont recours aux avocats, c’est le crédit qu’ils peuvent faire à la déontologie spécifique et effective de ceux-ci. En cela, les ordres sont les gardiens de l’identité de l’avocat, qui est sur le marché sur le marché sans être un commerçant.
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