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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, Naissance d'une branche du Droit : le Droit de la compliance, document de travail, novembre 2023.
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📕Ce document de travail a été élaboré pour constituer une contribution aux Mélanges offerts à Louis Vogel
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► Résumé du document de travail : L’étude porte sur les différents mouvements qui ont fait naître le Droit de la Compliance, l’accent étant plus particulièrement mis sur le Droit de la Concurrence.
Après une réflexion préalable sur la construction du système juridique en branches du Droit, leur classement les unes par rapport aux autres, la difficulté rencontrée à ce propos par le Droit économique, et les différents mouvements qui en font naître une, diversité dont la branche garde par la suite la trace, l’étude est construite en 4 parties.
Pour rechercher ce qui a fait naître le Droit de la Compliance, la première partie convie à récuser la perspective étroite d’une définition qui se contente de définir celui-ci par le fait de « se conformer » aux réglementations applicables. Cela a pour effet d’accroître l’efficacité de celles-ci mais cela ne produit pas une branche du Droit, étant un outil d’efficacité comme une autre.
La deuxième partie de l’étude vise à éclaircir ce qui apparaît comme une « énigme » car l’on affirme souvent que cela viendrait d’une méthode souple, ou d’un texte américain, ou d’autant de réglementations qu’il y a d’occasions d’en prendre. Il apparaît plutôt qu’il s’est agi aux Etats-Unis au sortir de la crise de 1929 d’établir une autorité et des règles pour prévenir un nouvel effondrement atroce de système, tandis qu’il s’est agit en Europe en 1978 en souvenir de l’usage des fichiers d’établir une autorité et des règles pour prévenir une atteinte atroce aux droits humains. Un élément commun qui vise l’avenir (« plus jamais ça ») mais pas le même objet de rejet préventif. Cette différence des deux naissances explique l’unicité et la diversité des deux Droits de la compliance, les tensions qui peuvent exister entre les 2, l'impossibilité d'obtenir un Droit global.
La troisième partie analyse la façon dont le Droit de la concurrence a fait naître en son soin la conformité : une branche secondaire qui est gage de conformité à la réglementation concurrentielle. Notamment développée ainsi à travers le droit souple émis par les autorités de concurrence, il en résulte une sorte d’obéissance souple, une collaboration bien comprise de type procédurale par laquelle l’entreprise éduque, surveille, voire sanctionne, sans sortir du Droit de la Concurrence dont la conformité constitue l’annexe. L’on peut mesurer ici le chemin qui sépare une culture de conformité d’un Droit de la Compliance.
La quatrième partie vise à montrer que le Droit de la Concurrence et le Droit de la Compliance sont deux branches du Droit autonomes et articulés. Le Droit de la Compliance étant une branche du Droit construite sur des Buts Monumentaux, notamment la durabilité des systèmes et la préservation des êtres humains qui y sont impliqués pour qu’ils n’y soient pas broyés mais en bénéficient, l’enjeu actuel de la construction européenne, est de construire à côté du plier concurrentiel le pilier du Droit de la compliance. Les juridictions sont en train de le faire et de les articuler.
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PROLÉGOMENES : VOIR NAITRE UNE BRANCHE DU DROIT À TRAVERS LES SYSTÈMES JURIDIQUES
1. Profondeur et immédiateté des branches du Droit🌿Pour celui qui veut saisir le Droit, cette matière ancienne et profonde, s'offre le bonheur de circuler dans les rayonnages des bibliothèques où tant de savoir a été déposé par les grands maîtres. Prêtons aussi attention à ce que toute personne peut indiquer à l'étudiant qui craint de s'effondrer lorsque l'heure du premier examen de sa première année d'étude s'approche. Quel conseil reçoit cet étudiant, auquel peu importent alors le titre et les diplômes de celui qui l'aide ?
D'un côté, l'érudit ouvre des volumes, façonnés encore en papier, parcourant ainsi par exemple le livre magnifique de Jean Gaudemet, Les naissances du droit. Le temps, le pouvoir et la science au service du droit (
De l'autre côté, celui qui débute ses études et espère avoir la moyenne au contrôle ira sans doute par deux clics trouver une page numérique par laquelle celui qui se présente comme "formateur" expose, par exemple sur le site aideauxtd.com, la première chose à savoir sur le Droit : son architecture à travers les différentes branches du droit. Il lui est expliqué que les deux premières "branches du Droit" seraient le Droit public et le Droit privé, le formateur précisant qu'il existe pourtant des "branches mixtes" comme le Droit pénal. Celui-ci paraît être du droit privé mais, premier pièce, il est en réalité du droit public... L'étudiant se dit que tout cela n'est pas clair... Heureusement, le site n'évoque pas le Droit économique, qui est si difficile à loger..
Avant d'être perdu, l'étudiant peut cliquer sur une video, celle-ci lui étant proposée comme le bon support pour ceux "qui ont la flemme" (sic) de lire les quelques lignes rendues précédemment disponibles à propos de l'architecture des branches du Droit. Si le sujet intéresse, le visiteur ne peut hélas aller plus loin, sauf si l'internaute souscrit à un document dont le titre est : "guide pour augmenter mes notes en échange de mon courriel et d'autres informations".
Plutôt que de se plonger dans la question juridique de l'effectivité d'un tel consentement et d'entrer dans le Droit du numérique dont nul ne sait s'il s'insère dans le Droit public ou dans le Droit privé, autant retourner à la réflexion ce qu'est une branche du Droit et à la façon dont celle-ci naît à travers le Droit romain de Jean Gaudemet, à l'anthropologie du Droit de Norbert Rouland et au Droit économique de Louis Vogel. Car peut-être l'étudiant d'aujourd'hui sera demain celui qui se promènera dans les rayonnage des bibliothèques.
2. Naissance du Droit économique : peu de souci de la summa divisio "Droit public / Droit privé"🌿En lisant les réflexions sur les sources du Droit de la concurrence, l'on mesure que la difficulté est plus grande encore puisque certains verraient cette branche là rattachée au tronc disciplinaire de l'Économie et non pas du Droit, qu'on le désapprouve comme le fait Alain Supiot📎
Même si on mesure ainsi qu'une branche du Droit qui s'applique à l'Économie, a bien du mal à être classée dans le système juridique français, comme le souligna Georges Vedel📎
Il est donc difficile de placer une "branche du droit" dans le système juridique ; on ne la dira "mixte" que parce qu'on ne sait pas la loger en totalité dans le Droit privé ou en totalité dans le Droit public, mais qu'on ne veut pas pour autant remettre en cause cette summa divisio dont nous ne voulons pas nous départir, sans doute aussi parce qu'il faudrait alors refaire les programmes d'enseignement dans les Universités et reconsidérer les modes de recrutement des professeurs de celles-ci, puisque ceux-ci seraient soit professeurs de droit public, soit professeurs de droit pubic, voire remettre sur le métier la dualité des ordres de juridictions📎
3. La multiplication des branches du Droit qui ne rendent pas compte des pratiques, faute d'une conception appropriée dans le système juridique🌿Mais à tout le moins il est acquis que le Droit de la concurrence, dont Louis Vogel est maître, ou le Droit de l'environnement, ou le Droit économique existent. A une époque où l'on en doutait encore, Vedel explique qu'il existe bien un Droit économique : il ne suffit pas pour cela qu'il existe des règles qui s'applique à un sujet spécifique, car il existe des règles qui s'appliquent aux chevaux et il n'existe pas pour autant une branche du Droit dont la dénomination serait "Droit du Cheval"📎
4. L'émoi de voir naître par plusieurs voies une branche du Droit : les naissances du Droit de la compliance. Quelle articulation avec le Droit de la concurrence ? Plan et construction de l'article 🌿Aujourd'hui, nous sommes en train de voir naître une nouvelle branche du Droit : le Droit de la Compliance📎
I. RÉCUSER UNE DÉFINITION D'OÙ SI PEU GERME : NE PAS SE CONTENTER D'UNE DÉFINITION DE LA "CONFORMITÉ" COMME LA VOIE D'EFFICACITÉ DES RÈGLES
5. Le Droit de la Compliance n'est pas une "conformité" que les entreprises doivent avoir vis-à-vis de toutes les réglementations qui leur sont applicables 🌿L'on confond encore souvent la "conformité" et le Droit de la Compliance📎"
Cela n'est pas propre à une branche du Droit car toute règle de Droit a été adoptée pour être appliquée. Cela est la marque du système juridique et à tout instrument juridique qui est fait pour être effectivement appliqué. Ainsi ceux qui attachent de l'importance aux règles juridiques qui visent à assurer le fonctionnement concurrentiel des marchés📎
6. La compliance n'est pas qu'une efficacité accrue de la règlementation 🌿Les Autorités de concurrence estiment que les règles dont elles ont la charge sont si importantes et si précieuses qu'on doit tout mettre de leur côté pour qu'elles sont le plus possible appliquées. L'idéal est qu'il ne faut pas attendre le manquement pour que ces règles régnent : l'utilisation du terme pénal d'"infraction" illustrant bien l'opinion que l'on a de la gravité du non-respect du Droit de la concurrence alors que ce vocable devrait être réservé au Droit Pénal. Le Droit de la concurrence serait si précieux et exceptionnel qu'il ne saurait souffrir d'attendre ce détour qu'est la violation puis la restauration de la règle par la sanction objective que constitue la sanction, l'amende restaurant la légalité. Mais les offices des brevets, les municipalités dans leur fonction d'urbanisme, voire les contractants qui estiment qu'une obligation doit être exécutée plutôt que leurs violations sanctionnées Ex Post veulent raisonner ainsi.
7. Le Droit de la Compliance comme branche du Droit autonome : où en sont les genèses ? 🌿Sauf à n'être que cette voie d'exécution qui passerait de l'Ex Post à l'Ex Ante pour plus encore d'efficacité, Le Droit de la Compliance, et n'a pas alors de raison particulière d'arrêter son arrimage à telle ou telle branche du Droit. Mais si l'on soutient que le Droit de la Compliance constitue une branche du Droit autonome, notamment autonome du Droit de la Concurrence, quite à entretenir ensuite dans un second temps des relations avec celui, alors il faut rechercher comment le Droit de la Compliance est né, quelles en sont les naissances, puisqu'il n'est pas né du Droit de la Concurrence. Et s'il en est ainsi, cela rend nécessairement difficile son rapport avec le Droit de la concurrence, car il cesse d'aller de soir.
II. ÉCLAIRCIR L'ÉNIGME DES NAISSANCE DU DROIT DE LA COMPLIANCE
8. Une première naissances du Droit de la compliance - le fait : la crise de 1929 aux Etats-Unis ; la conséquence : "plus jamais un effondrement systémique" 🌿Le Droit de la Compliance est tout d'abord est né aux Etats-Unis du fait de la crise de 1929. Celle-ci a fait s'effondrer le système bancaire et financier, puis économique, puis social, amenant le pays dans une situation proche de la guerre civile. L'origine ayant été des comportements internes à des entreprises agissant sur les marchés boursiers et parce que Roosevelt affirmait prendre une loi de niveau fédéral pour qu'une telle catastrophe ne se renouvelle pas, la Securities and Exchange Commission (SEC) fut instaurée. Le Droit de la Compliance était né, plongeant dans les entreprises, contrôlant les comportements, contrôlant Ex Ante les risques, prenant le niveau géographique le plus étendu possible tandis que la régulation bancaire resta étatique. C'est donc l'expérience de la crise systémique qui fît naître le Droit américain de la compliance et sa réponse : "plus jamais ça"📎
9. Une seconde naissances du Droit de la compliance - le fait : les fichiers nominatifs en Europe ; la conséquence : "plus jamais des individus broyés" 🌿En Europe, la source du Droit de la Compliance est tout à faite différente. Les peuples qui la composent ont gardé mémoire des fichiers qui à partir de renseignements sur la religion et la race ont précipité des millions de personnes vers une mort systématique, catastrophe que nul n'aurait imaginé. En 1978, en Allemagne comme en France, des lois furent prises pour réguler le nouveau que l'Informatique donnait aux Etats de constituer des fichiers pouvant atteinte aux libertés, en rassemblant ce que l'on appela par la suite des "données personnelles". Le RGPD de 2016 généralisa cela, mais le Législateur français s'attacha à conserver toujours le titre d' Informatique et libertés, pour garder trace de cette naissance, le règlement n'y étant qu'intégré.
10. Le Droit de la Compliance, exemple de la profondeur mémorielle des systèmes juridiques 🌿On mesure ainsi ce que le Droit de la compliance, suivant qu'il est américain ou européen, a de commun: être en Ex Ante pour prévenir des catastrophes systémiques, faire en sorte qu'elles n'adviennent pas. Mais parce que les systèmes juridiques ne sont pas des mécaniques réglementaires vides, ils conservent "l'esprit des peuples" pour reprendre la formule de Savigny. Ainsi le Droit actuel de la Compliance aux Etats-Unis continue de viser à préserver les systèmes d'une possible défaillance, ce qui explique par exemple que depuis l'origine la banque centrale y intervienne plus directement, mais que le sort des individus éventuellement broyés n'y soient pas un souci direct, notamment pas dans la compliance numérique. Tandis que le Droit européen de la Compliance demeure un droit humaniste📎
11. La force commune du Droit de la compliance : sa dimension systémique ; la dimension proprement européenne : son humanisme 🌿Il est donc essentiel de mesurer à la fois ce qui est commun et ce qui est différent, y compris dans des textes qui paraissent pourtant ce que l'on a souvent appelé du "traduit-collé", notamment en matière de lutte contre la corruption. En effet, la corruption doit être "prévenue et détectée" (et non pas seulement sanctionnée) non seulement parce qu'elle abîme l'économie (conception américaine) mais encore parce qu'elle abîme la jeune population, ce qui va justifier une attention plus particulière pour les jeunes, notamment à travers l'éducation (conception européenne). Le Droit occidental, qui réunit l'Europe et les Etats-Unis repose sur l'idée que la personne est libre d'agir et de choisir les moyens de son action, que son action n'est pas réductible à un acte d'obéissance📎
12. Les conséquences pratiques de la multiplicité des Naissances du Droit de la Compliance 🌿Les conséquences pratiques de ce qui est divers et de ce qui est commun dans les naissances du Droit de la Compliance sont considérables. En effet, parce que les Etats-Unis ont fait naître le Droit de la Compliance d'un souci systémique majeure et veulent exclure un nouvel effondrement, tout sera mobilisé en Ex Ante pour éviter cela, l'individu étant agent de cela et n'étant que le bénéficiaire indirect de cela. Ainsi sa vie privée pourra être éventuellement malmenée pour collecter l'information requise pour préserver l'avenir du système. Mais l'Europe qui a confié aux entreprises systémiques le soin premier de préserver les individus contre la puissance, notamment informationnelle, des systèmes, n'opérera pas cette hiérarchie. Cela explique aussi l'affrontement à travers le cas Schrems📎
C'est là où l'on retrouve le Droit de la Concurrence dans la conception duquel Louis Vogel a une influence majeure. En effet, le Droit de la Concurrence se soucie avant tout de liberté et de prise de risque, quitte à réparer par la suite, et le marché et les dommages subis par les personnes.
III. DROIT DE LA CONCURRENCE : NAISSANCE DU DROIT DE LA COMPLIANCE COMME BRANCHE SECONDAIRE, GAGE DE CONFORMITÉ À LA RÉGLEMENTATION CONCURRENTIELLE
13. L'accueil par la nature systémique du Droit de la Concurrence 🌿Depuis que le Droit de la Concurrence n'est plus que civil mais prend pour base et comme objet le "marché", qu'il vise à le construit, comme dans le projet de l'Union européenne, ou à le garder, comme dans le droit français ou américain, le marché étant un système, que la science économique présente parfois comme "autorégulé", le Droit du marché concurrentiel est lui-même une branche systémique. Ainsi l'objet du Droit de la Concurrence est d'assurer le libre fonctionnement du marché concurrentiel : si le libre fonctionnement est entravé, l'Autorité de concurrence intervient, y compris par autosaisine puisque le Droit de la concurrence en est contrarié. Il y a une idée de "tolérance zéro", alors que le Droit commun admet plus volontiers que les contrats ne soient pas tous exécutés, les dommages ne soient pas réparés, les devoirs ne soient pas faits. La sagesse du Droit civil qui tolère cette part d'irrespect, qui y invite presque, n'a pas cours pour un Droit qui garde un système. Si la règle De minimis s'applique, c'est par rationalité économique, car le marché n'est pas suffisamment affecté et que la poursuite serait trop onéreuse et non pas par la bonhomie civiliste📎
14. L'accueil par le passage du Droit de la Concurrence de l'Ex Post à l'Ex Ante : l'internalisation dans les opérateurs de la fonction de mise en oeuvre 🌿Mais si l'on vise à l'efficacité de la construction ou de la garde des marchés concurrentiels à travers les comportements adéquats des opérateurs, plus ceux sont puissants plus il est tentant de s'appuyer sur cette puissance pour non plus contrer cette puissance mais pour s'appuyer sur celle-ci et s'allier avec celle-ci pour renforcer le fonctionnement concurrentiel du système. On en trouve deux exemples particulièrement probants. En premier lieu, à l'occasion des concentrations et désormais des procédures de sanctions de comportements anticoncurrentiels, les entreprises prennent des "engagements" pour l'avenir. Ceux-ci ressemblent de plus en plus aux "programmes de compliance" que l'on trouve dans la mise en oeuvre du devoir de vigilance ou de lutte contre la corruption. En second lieu, le Digital Markets Act (DMA) vise à confier aux opérateurs systémiques l'obligation de veiller à l'effectivité en Ex Ante des accès, des opérabilités, etc. des marchés numériques, de sorte que par cette diligence Ex Ante ceux-ci continuent d'être gouvernés par le Droit de la Concurrence.
Mais le rôle des Autorités de concurrence changent : comme le font des Autorités de régulation, elles contrôleront Ex Post que cette fonction active aura bien été assurées par en Ex Ante par les opérateurs cruciaux. Il ne s'agit plus d'un Ex Post conséquence de la liberté d'entreprise, mais d'un Ex Post conséquence d'une mission particulière conférée à certains et pouvant, comme en Droit de la Régulation, donnant lieu à contrôle et contestation. Le rôle des Autorités de concurrence en sera transformée.📎
15. "Compliance matters": la conformité, simple accroissement de l'efficacité de la réglementation concurrentielle 🌿 L'idée est bien que les Autorités de concurrence estiment que les règles dont elles ont la charge sont si importantes et si précieuses qu'on doit tout mettre de leur côté pour qu'elles sont le plus possible appliquées. L'idée est qu'il ne faut pas attendre le manquement, l'utilisation du terme pénal d'"infraction" illustrant bien l'opinion que l'on a de la gravité du non-respect du Droit de la concurrence alors que ce vocable devrait être réservé au Droit Pénal. L'idée est que le Droit de la concurrence serait si précieux qu'il ne saurait souffrir d'attendre ce détour qu'est la violation puis la restauration de la règle par la sanction objective que constitue la sanction, l'amende restaurant la légalité. Pour éviter ce détour qui pendant un temps a laissé l'illégalité perdurer, pour ne pas souffrir le chiffre noir de l'illégalité inconnue, pour que jamais le marbre de la Loi concurrentielle ne soit égratignée, il faudrait donc que jamais l'infraction n'ait lieu : pour cela, les voies d'exécution devraient passer de l'Ex Post vers l'Ex Ante et insérées dans les opérateurs économiques eux-mêmes.
C'est bien ainsi que dès le départ lors des communications de l'ADLC de 2012, puis de la Commission européenne et 2013, Compliance matters📎
Dans cette conception, la compliance n'est spécifique que par le volontarisme, facilitée par l'existence d'une autorité administrative indépendante et une politique portée par la Commission européenne dont on connait la puissance. En effet, pour reprendre ce bon titre Compliance matters, cela renvoie en réalité à Competition Law matters. L'on pourrait dire Efficient Law matters ou What I like matters...
La communications de 2013 comme le document-cadre de 2022 le disent explicitement : les "programmes de conformité" adoptées par les entreprises, propageant la "culture de concurrence" dans l'entreprise et au-delà d'elle contribuent au système concurrentiel, sans l'accident de parcours que constitue la sanction. Ainsi il est souligné à plusieurs reprises que l'entreprise "gère son risque de sanction", puisque l'infraction n'est pas commise. Le terme de "conformité" est ici adéquat puisque les entreprises que de montrer qu'elles obéissent au Droit de la concurrence, aidées par l'Autorité.
Mais si la compliance n'est donc que cela, n'était donc que de la conformité, par laquelle l'entreprise prend à sa charge la mise en oeuvre des réglementations donc l'administration est classiquement en charge, prend à sa charge l'éducation des règles dont l'Education nationale et l'Université sont classiquement en charge, transfert de charges mais aussi de pouvoirs, l'on ne comprend pas pourtant cela serait spécifique au Droit de la concurrence. S'il en est ainsi, toutes les autorités vont soutenir que le Droit de la Compliance est ce qui rend effectif ce dont elles sont chargées, tous les législateurs également, tous ceux qui trouvent des vertus aux règles et à leur effectivité vont reprendre le raisonnement. Cela ne peut être que cela.
16. Les conséquences pratiques dans l'apprentissage du Droit de la Compliance, conçu comme un nouveau mode d'effectivité du Droit de la Concurrence, cela mais pas plus que cela🌿En premier lieu et sur la forme, les entreprises sont contraintes de se transformer en Universités. C'est déjà en cours. Parce qu'elles doivent éduquer toutes les personnes dont elles doivent répondre et par commencer elles-mêmes, leur apprendre la réglementation concurrentielle, élaborer et faire pénétrer une culture de compliance, les voilà structures d'enseignement📎
17. La conséquence dans le système juridique: autant de petits droits de la compliance qu'il y a de branche du Droit ainsi prolongées🌿Il en résulte un effet dommageable sur l'ensemble du système juridique. Plutôt que de constater nettement une branche du Droit, l'on observe sur chaque branche du Droit qui existe une petite spécialité qui s'y greffe, qui "compliance concurrentielle", qui "compliance énergétique", qui "compliance environnementale", qui "compliance données personnelle", qui "compliance vigilance", qui "compliance droits humains", qui "compliance sociale", etc. Chacune est conçue, et enseignée, selon la construction précédemment décrite, sans connaître la petite compliance d'à côté. Il sera donc difficile qu'il puisse en naître cette unité dont la pratique a besoin.
18. La conséquence dans le système juridique: le Droit de la Compliance général sera donc issu des juridictions🌿Il est donc paradoxal mais probable que la jurisprudence, saisie de cas qui, pourtant ne visent que des cas particuliers, seront plus amples, mais impliquant des questions générales du Droit de la Compliance, comme l'intérêt ou la qualité à agir des parties prenantes lorsque les entreprises prenant en charge la mise en oeuvre des réglementations agissent sur leurs partenaires contractantes. Un contentieux spécifique est en train d'en naître : le "contentieux systémique"📎
IV. DROIT DE LA CONCURRENCE ET DROIT DE LA COMPLIANCE COMME DEUX BRANCHES AUTONOMES ET ARTICULÉES
19. Risque d'excès inverse : monter le Droit de la Concurrence et le Droit de la Compliance l'un contre l'autre 🌿Pour tendre vers la concrétisation des Buts Monumentaux, le Droit de la Compliance fournit aux entreprises des instruments dont il exige parfois l'usage : cela produit des "actions collectives" et des ordres que l'entreprise donne à d'autres. Cela est particulièrement net dans le devoir de vigilance où "l'entreprise donneuse d'ordre, par nature en position dominante, à tout le moins relative, est obligée d'obtenir des informations et des comportements pour satisfaire elle-même son obligation légale. Mais les autorités de concurrence peuvent y avoir ententes, abus de position et pratiques restrictives. Il n'est pas exclu que les Autorités perçoivent le Droit de la Compliance, à travers ses outils, sa conception et son existence même, sa substance donc, non pas comme ce qui sert le Droit de la Concurrence mais ce qui le contre. Cela aussi engendrera des contentieux systémique. En effet, un des enjeux pratiques de ceux-ci se présente lorsque le juge devra articuler plusieurs systèmes entre eux📎
20. Nouvelle construction de l'Europe sur l'articulation entre les Droits de la Concurrence et de la compliance 🌿Louis Vogel à juste titre n'a pas dissocié le Droit de la Concurrence du projet européen📎
🕴️J. Gaudemet, 📗Les naissances du droit. Le temps, le pouvoir et la science au service du droit, Montchrestien, coll. "Domat droit public", 3ième éd., 2001, 389 p. ; repris dans la collection "Anthologie du Droit", LGDJ, 2016, 402 p.
🕴️J. Gaudemet, 📗Les naissances du droit. Le temps, le pouvoir et la science au service du droit, Montchrestien, coll. "Domat droit public", 3ième éd., 2001, 389 p. ; repris dans la collection "Anthologie du Droit", LGDJ, 2016, 402 p.
🕴️N. Rouland, 📗Introduction historique au droit, PUF, coll. "Droit fondamental", 1998, 720 p.
🕴️L. Vogel, 📗Droit européen des affaires, Dalloz, coll. "Précis", 2ième éd., 2019, 1041 p.
🕴️A. Supiot, 📗L'Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du Droit, 2005, rééd., 2009 ; 📗La gouvernance par les nombres, 2015.
🕴️N. Petit, 📗Droit européen de la concurrence, 2020.
🕴️L. Vogel, 📗Droit de la concurrence et concentration économique. Étude comparative, 1990. ; regarder dans l'introduction ou ailleurs s'il y a des propos sur le rapport entre le droit et l'économie.
🕴️Ph. Aghion, 🎤Innovations économiques face aux défis climatiques, in C. Arnaud, O. de Bandt et B. Deffains (dir.), 🧮Innovations économiques et juridiques face aux défis climatiques. Nouveaux défis regards croisés : Droit Économie et Finance, Banque de France et CRED/Université Paris Panthéon-Assas, 2 avril 2024.
🕴️G. Vedel, 📝Le droit économique existe-t-il ?, in 📗Mélanges offerts à Pierre Vigreux, t. 1, 1981.
🕴️R. Drago et 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Mystères et mirages des dualités des ordres de juridictions et de la justice administrative, in Archives de philosophie du droit (APD), 📗Le privé et le public, 1997.
Les Mélanges qui furent réalisés pour rendre hommage au grand professeur Roland Drago en sont le reflet : 📗L'unité du droit. Mélanges en hommage à Roland Drago, 1996 ; v. aussi par ailleurs et par exemple, 🕴️R. Drago et 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Mystères et mirages des dualités des ordres de juridictions et de la justice administrative, in Archives de philosophie du droit (APD), 📗Le privé et le public, 1997.
🕴️G. Vedel, 📝Le droit économique existe-t-il ?, in 📗Mélanges offerts à Pierre Vigreux, t. 1, 1981, v. aussi 📝L'unité du droit. Aspects généraux et théoriques, in 📗L'unité du droit. Mélanges en hommage à Roland Drago, 1996.
🕴️G. Viney, 📝La responsabilité, in Archives de philosophie du droit (APD), 📗Vocabulaire fondamental du droit, 1990.
🕴️M.-A. Frison-Roche & 🕴️Fabien Raynaud, Le Droit de la Compliance, in 🏛️Cour de cassation, 🧮La nuit du Droit 2023, 2023.
Sur cette perception, et ses conséquences notamment européenne, v. 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Devoir de vigilance : progresser, in 🕴️A. Brès & 🕴️C. Maubernard (dir.), 📗Le devoir de vigilance des entreprises : l'âge de la maturité ?, 2024.
FRISON-ROCHE, Marie-Anne, L’amour intéressé des lois. A propos des lois de droit économique, in L’amour des lois, 28 avril 1995, Montréal, Canada.
La question de savoir si le marché est d'abord une construction juridique ou une construction économique relevant de la poule et l'oeuf. Par inclinaison, les économistes y voient un phénomène économique, adossé à de la réglementation et à des institutions, tandis que les juristes y voient une construction juridique permettant des échanges sécurisés et prévisibles. Dans ce dernier sens, minoritaire puisque la voie des juristes a souvent du mal à porter, voir par ex., 🕴️F. Zénati, 📝Le droit et l'économie au-delà de Marx, in Archives de philosophie du Droit, 📗Droit et économie, 1992 ; 🕴️M. Torre-Schaub, 📗Essai sur la construction juridique de la catégorie de marché, 2002. La thèse de Louis Vogel a précisément montré la dimension essentiellement juridique du contrôle des concentrations : 🕴️L. Vogel, 📗Droit de la concurrence et concentration économique. Étude comparative, 1990.
Pour plus de développements, 🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Compliance : avant, maintenant, après, in 🕴️N. Borga, 🕴️J. -Cl. Marin et 🕴️J.-Ch. Roda (dir.), 📕Compliance : l'entreprise, le régulateur et le juge, 2018.
🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Un Droit substantiel de la Compliance, appuyé sur la tradition européenne humaniste, in 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Pour une Europe de la Compliance, 2019.
🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Devoir de vigilance : progresser, in 🕴️A. Brès & 🕴️C. Maubernard (dir.), 📗Le devoir de vigilance des entreprises : l'âge de la maturité ?, 2024.
🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Les droits subjectifs, outils premiers et naturels du Droit de la Compliance, in 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les outils de la Compliance, 2021.
Voir supra sur le contresens qui consiste à confondre la Compliance et l'obéissance, n°00.
🏛️CJUE, Grande chambre, 6 octobre 2015, C-362/14, Maximilian Schrems c/ Data Protection Commissioner (Schrems I) ; 🏛️CJUE, Grande chambre, 16 juillet 2020, C-311/18, Maximilian Schrems c/ Data Protection Commissioner (Schrems II).
🕴️M.-A. Frison-Roche, 💬La nouvelle loi de protection des données en Chine est un « anti-RGPD », 2 septembre 2021 ;
L'on connait le même décalage pratique entre le Droit chinois et le Droit occidental dans le Droit de la concurrence, même lorsque le premier recopie la lettre du second.
🕴️J. Carbonnier, 📝De minimis..., in 📗Mélanges dédiés à Jean Vincent, 1981 ; repris in 📗Flexible droit, 10ème éd., 2001.
Sur le DMA, sur le numérique et le droit de la concurrence, sur les décisions des autorités de concurrence et la CJUE, v. 🕴️J.-Ch. Roda, 📝Le Digital Markets Act (1re partie). Contrôler les contrôleurs d’accès, 2023 ; 📝Le Digital Markets Act (2e partie). Contraindre les contrôleurs d'accès, 2023 ; 📝Un an de droit de la concurrence dans l’univers numérique (2021), 2021 ; 📝Un an de droit de la concurrence dans l’univers numérique (2022), 2022 ; 📝Un an de droit de la concurrence dans l’univers numérique (2023), 2023.
🏛️Commission européenne, Direction générale de la concurrence, 📓Le respect des règles, ça compte! Ce que les entreprises peuvent améliorer pour respecter les règles de l’UE en matière de concurrence, 2012.
🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝Programme de conformité (Compliance), in 🕴️E. Combe & 🕴️M. Chagny (dir.), 📗Dictionnaire de droit de la concurrence, 2021 ; 2ième éd., 🕴️M.-A. Frison-Roche & 🕴️A. Nicollet, 📝Programme de conformité (Compliance), 2025.
🕴️M.-A. Frison-Roche, 📝La formation : contenu et contenant de la Compliance, in 🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les outils de la Compliance, 2021.
🕴️M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les outils de la Compliance, 2021.
Sur le "Contentieux Systémique", 🕴️M.-A. Frison-Roche, 🎤L'émergence du Contentieux Systémique, in 🧮Importance et spécificité du Contentieux Systémique Émergent, in cycle de conférences-débats "Contentieux Systémique Émergent", 29 mars 2024.
🕴️M.-A. Frison-Roche, 🚧L'hypothèse de la catégorie des "causes systémiques" portées devant le juge, 2021.
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🕴️L. Vogel, 📗Droit européen des affaires, Dalloz, coll. "Précis", 2ième éd., 2019, 1041 p.
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