14 octobre 2024

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conférence

🎤Entreprises assujetties au Droit de la Compliance : la charge de prouver la crédibilité de la trajectoire des actions entreprises à partir des structures mises en place, in 🧮Les techniques probatoires adéquates dans le Contentieux Systémique Émergent, in cycle de conférences-débats "Contentieux Systémique Émergent"

par Marie-Anne Frison-Roche

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 Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Entreprises assujetties au Droit de la Compliance : la charge de prouver la crédibilité de la trajectoire des actions entreprises à partir des structures mises en place", in Les techniques probatoires adéquates dans le Contentieux Systémique Émergentin cycle de conférences-débats "Contentieux Systémique Émergent", organisé à l'initiative de la Cour d'appel de Paris, avec la Cour de cassation, la Cour d'appel de Versailles, l'École nationale de la magistrature (ENM) et l'École de formation des barreaux du ressort de la Cour d'appel de Paris (EFB), sous la responsabilité scientifique de Marie-Anne Frison-Roche, 14 octobre 2024, 11h-12h30, Cour d'appel de Paris, salle Cassin

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Résumé de la conférence : comme cela est développé ci-dessous, l'intervention montre que le contentieux systémique met en lumière ce qui est à la charge des entreprises systémiques : avant tout une obligation probatoire qui est permanente et qu'elles doivent satisfaire à l'égard des parties prenantes, notamment des investisseurs, des partenaires, des consommateurs, de l'opinion publiques, qu'il y ait procès ou qu'il n'y ait pas procès. Mais il est essentiel de déteminer l'objet de cette preuve, dont la charge est permanente. Il s'agit de montrer les efforts qui sont faits d'une façon permanente par l'entreprise cruciale pour que le système dans lequel elle évolue ne s'effondre pas ("but monumental négatif"), voire pour qu'il s'améliore ("but monumental positif"). Comme il s'agit d'objectifs par nature futurs, ce qui s'apparente à une preuve impossible, il s'agit d'apporter une démonstration de "crédibilité", c'est-à-dire de montrer que les structures mise en place par l'entreprise et les comportements déjà obtenus par elle, à l'intérieur et à l'extérieur, engendrent une "trajectoire" dont on peut raisonnablement penser qu'ils engendreront les effets qui sont attendus par les légsilations qui font peser les obligations sur les entreprises. Cela est pertinent quelques soient les systèmes impliqués, qu'il s'agisse du système bancaire, financier, énergégétique, climatique, numérique, etc., et quelque soit le but monumental systémique visé, qu'il s'agisse de la lutte contre la corruption, le blanchiment, le changement climatique néfastique, l'établissement d'une égalité effectif entre les êtres humains, le respect de l'autre, etc.

C'est à cette aune que les notions classiques d'objet de preuve, de charge de preuve, de présomption, de moyens de preuve, de dispension de preuve, et surtout d'office probatoire de juge, doivent être ajustés au contentieux systémique qui émege.

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La charge des entreprises assujetties au Droit de la Compliance de prouver la crédibilité de la trajectoire des actions qu'elles entreprennent à partir des structures qu'elles mettent en place ressort des lois et réglementations et des premières jurisprudences. En effet, les entreprises doivent prouver la "crédibilité" des actions qu'elles engagent au regard des Buts Monumentaux de la Compliance📎!footnote-3865, c'est-à-dire que les structures qu'elles ont mis en place, les effets qui ont déjà été obtenus, les comportements que l'on peut observer, sont "crédibles", de façon à ce que le juge puisse en déduire les effets futurs sur le système.

C'est ainsi que le système probatoire, aussi bien sur l'objet de preuve (le futur), le moyen de preuve (la trajectoire) et la charge de preuve (l'entreprise assujettie par l'Obligation légale de Compliance, ou l'entreprise débitrice par une Obligation contractuelle de Compliance), peut être dessiné d'une façon à la fois solide, raisonnable et proportionnée.

Pour étayer cela, j'ai tout d'abord rappelé la définition d'un Contentieux Systémique : il s'agit d'un contentieux dans lequel un système est impliqué, à travers et/ou au-delà des parties au litige (ex : système climatique, système numérique, système algorithmique, système bancaire, etc.). Ces systèmes ont des intérêts qui leurs sont propres, le premier étant commun à tous : ne pas s'effondrer (but négatif), de durer (but positif), point précédemment développé lors de la conférence sur la durabilité📎!footnote-3864. Ces intérêts peuvent être alignés avec ceux des parties au litige, ou différer de ceux-ci, posant alors la question de la représentation des intérêts du ou des systèmes impliqués. Cette question de l'alignement ou non des intérêts sera développée sous son angle processuel dans la prochaine conférence-débat du 18 novembre 2024 qui portera sur "Le Droit processuel de la Vigilance"📎!footnote-3863.

Ce rappel effectué et toujours d'une façon préalable à la démonstration du caractère central de la "crédibilité", je me suis ensuite attachée à évoquer les conséquences probatoires de la présence d’un système dans un contentieux, en abordant successivement les trois dimension de la preuve : l'objet de preuve, la charge de preuve et le mode de preuve.

Pour cela, je me suis implicitement appuyée sur les premiers travaux que j'ai menés sur la dimension probatoire du Droit de la Compliance :

🧱🕴🏻mafr, 📝Le juge, l'obligation de compliance et l'entreprise. Le système probatoire de la Compliance, in 🕴🏻mafr (dir.) 📕La juridictionnalisation de la Compliance, 2023

 

I. L'OBJET DE PREUVE DANS LE CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE

Le Droit de la Compliance internalise dans les opérateurs l'obligation d'agir de manière à tendre vers la réalisation de Buts Monumentaux. Ces buts, tout comme l'obligation qui en résulte, sont de de nature systémique. Dès lors, déterminer si l'entreprise a satisfait son Obligation de Compliance revient à déterminer si celle-ci a pris sa part - de manière effective, efficace et efficiente📎!footnote-3862-, dans la préservation des intérêts propres du système en cause.

Il ne s'agit donc pas seulement pour l'entreprise d'exécuter une obligation légale ou contractuelle en s'attachant au texte de la norme qui fait peser sur elle cette obligation.

Il s'agit au contraire pour elle de prendre sa part dans la préservation du système protégé par la norme, afin que demain celui-ci ne s'effondre pas (But Monumental Négatif) et dans un second temps soit amélioré (But Monumental Positif). L'entreprise doit montrer cette part qu'elle prend : c'est l'objet de preuve. Celui qui lui demande des comptes doit montrer qu'elle ne prend pas cette part qui est posée sur elle par une loi, une réglementation ou un contrat.

 

II. LA CHARGE DE PREUVE DANS LE CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE

L'entreprise n'a pas à démontrer qu'elle n'a pas mal agi, qu'elle n'a pas causé de dommage, ou qu'elle n'en causera pas : il y a une présomption, qui vaut pour tout un chacun, de respect des obligations légales et contractuelles. Renverser cela, cela reviendrait à considérer les entreprises assujetties (les entreprises puissantes) comme des "criminelles-nées", c'est-à-dire les présumer comme devant à l'avenir commettre des manquements, causer des dommages.

Déterminer sur qui repose la charge de preuve dans le Contentieux Systémique revient à se demander qui doit montrer la part que l’entreprise doit prendre dans la préservation ou la promotion de l’intérêt propre de tout système, qui est de perdurer (v. supra la détermination de l'objet de preuve).

C'est donc au demandeur, qui demande des comptes à l'entreprise, de supporter la charge de montrer le manquement, mais parce qu'il existe une "Obligation de Compliance", qui est pour l'entreprise de prendre sa part dans la concrétisation des Buts Monumentaux de la Compliance, c'est à l'entreprise de montrer qu'elle a mis en place les structures requises et que celles-ci, dans leur fonctionnement et dans les effets engendrés, produisent des effets qui sont dans la trajectoire menant vers la concrétisation des buts : le contentieux probatoire de la Vigilance tient dans ce raisonnement-là.

Ainsi, l'Obligation de Compliance, en ce qu'elle opère une obligation probatoire, qui est une obligation substantielle à la charge de l'entreprise, interfère avec le mécanisme en principe inchangé des charges de preuve.

J'ai commencé à développer cela dans l'étude précitée sur le système probatoire de la compliance :

🧱🕴🏻mafr, 📝Le juge, l'obligation de compliance et l'entreprise. Le système probatoire de la Compliancein 🕴🏻mafr (dir.) 📕La juridictionnalisation de la Compliance, 2023

J'ai continué à le préciser dans une des contributions dans l'ouvrage sous presse sur L'Obligation de Compliance📎!footnote-3871, contribution dans laquelle j'ai détaillé chaque effet probatoire, notamment sur les charges de preuve, de types d'Obligations de Compliance produites par tel ou tel dispositif légal ou contractuel :

🧱🕴🏻mafr, 📝Obligation de Compliance : construire une structure de compliance produisant des effets crédibles au regard des Buts Monumentaux visés par le Législateur, in 🕴🏻mafr (dir.) 📕L'Obligation de Compliance, 2024

 

III. LES MODES DE PREUVE DANS LE CONTENTIEUX SYSTÉMIQUE

Comment est-ce que l’entreprise peut montrer qu’elle apporte effectivement, efficacement et avec efficience sa part pour que dans le futur le système ne s’effondre pas et s’améliore ?

À première vue, l'objet de preuve engendre une impossibilité de prouver : prouver l'effectivité du futur est impossible. C'est sans doute pour cela que les entreprises assignées en appellent à la présomption d'innocence, affirmant que l'on en revient à les désigner comme des sortes de criminelles-nées, en présumant qu'elles commettront à l'avenir des dommages, qu'on leur imputerait dès à présent des dommages futurs, ce qui n'est pas admissible, qu'on les sanctionnerait dès aujourd'hui pour ceux-ci, ce qui est contraire aux principes les plus élémentaires du Droit répressif.

Pour ne pas tomber dans ce tableau des entreprises présentées comme toujours et d'ores et déjà coupables d'un futur qui par nature n'est pas écrit, mais admettre néanmoins que les entreprises sont "responsables Ex Ante" du fait de l'"Obligation de Compliance" que les législations font peser sur elles, s'opère un déplacement.

Le premier déplacement consiste pour l'entreprise à sortir du système probatoire, lequel porte sur les faits, pour aller dans le mécanisme des engagements, qui, surtout s'ils prennent la forme d'un contrat, en tant qu'il est un acte juridique, permet d'avoir prise sur le futur. Beaucoup d'entreprises procèdent ainsi, doublant leur Obligation légale de Compliance par des Obligations contractuelles de Compliance qui structurent leur chaîne d'activités et façonnent alors le futur, le contrat permettant de pallier le déficit probatoire. C'est notamment ce que les Autorités de concurrence font depuis toujours à travers le maniement des techniques d'engagements, lesquels deviennent obligatoires par la décision unilatérale de l'Autorité, mais les entreprises peuvent utiliser le Droit des contrats pour le faire :

🧱🕴🏻mafr📝La volonté, le cœur et le calcul, les trois traits cernant l'Obligation de Compliance ; 📝L’Obligation de Compliance, entre volonté et consentement : obligation sur obligation vautin 🕴🏻mafr (dir.) 📕L'Obligation de Compliance, 2024

Les entreprises peuvent alors rester dans le système probatoire et opérer un déplacement d'objet de preuve, à travers la notion de "crédibilité". Elles peuvent, et doivent, alors démontrer d'une façon crédible qu'effectivement ce qu'elles disent aujourd'hui elles le feront demain. Comme elles ne peuvent être crues sur parole, et s'il n'y a pas d'engagement juridique comme des programmes de compliance, la preuve va en être matériellement apportée par la production d'actions et de comportements déjà passés qui constituent une "trajectoire".

Cette trajectoire permet de montrer que la continuation de l'action, des comportements, et des effets produits par les structures de Compliance, va produire demain les effets attendus au regard des buts posés par le Législateur (ou le contrat).

La preuve en est alors apportée par l'entreprise, qui supporte ainsi ce qu'il convient de désigner comme une "charge de crédibilité". C'est le raisonnement qu'a suivi le Conseil d'État dans sa décision du 20 mai 2023, Grande Synthe (dite "Grande Synthe 3")📎!footnote-3861, le Conseil refusant d'ordonner l'astreinte demandée contre l'État car celui-ci, bien que reconnu comme devant agir dans le futur, a pu montrer d'une façon crédible par ses actions passées et en suivant la trajectoire que celles-ci permettent de dessiner que par la suite leur continuation (qui est présumée) permettra d'atteindre les objectifs posés.

Ce recours à la notion probatoire de trajectoire au regard de ce qu’on a déjà fait, au regard de ce à quoi le Droit de la Compliance oblige pour demain, doit être appliqué d'une façon plus large. En effet, cela donne la juste mesure de ce que l'on demande aux entreprises.

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