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Ce document de travail a servi de base à un article pour l'ouvrage Compliance : Entreprise, Régulateur, Juge. , publié ultérieurement en mai 2018 dans la Série Régulations des Éditions Dalloz.
Voir les autres ouvrages publiés dans cette collection, dirigée par Marie-Anne Frison-Roche.
RÉSUMÉ : L'Entreprise, le Régulateur et le Juge sont trois personnages capitaux pour la construction d'un Droit de la compliance qui émerge. Un risque important tient dans une confusion de leur rôle respectif, l'entreprise devenant régulateur, le régulateur devenant conseil d'une place qui va à la conquête des autres, le juge se tenant en retrait. Il convient que chacun tienne son rôle et que leur fonction respective ne soit pas dénaturée. Si cette confusion est évitée, alors les points de contact peuvent se multiplier et on l'observe. Mais dès l'instant que chacun reste à sa place, l'on peut aller plus loin que ces points de contacts et s'ils en étaient d'accord, les trois personnages peuvent tendre vers des buts communs. Cela est d'autant plus légitime que le Droit de la Compliance, comme le Droit de la Régulation est de nature téléologique, ce qui rend ces branches du Droit profondément politiques. Ces buts communs sont techniques, comme la prévention des risques. Ils peuvent être plus politiques et plus hauts, s'il y a une volonté partagée, sans jamais l'un des personnages se fonde dans un autre : il s'agit alors de se soucier avant de l'être humain. La désignation de ce but commun à l'Entreprise, au Régulateur et au Juge peut s'exprimer par un mot : l'Europe.
Compliance : lorsqu'une matière est encore dans le bouillonnement de sa naissance
Le Droit de la Compliance pourrait ainsi bien prendre la forme du "cercle", car le cercle est cette figure fermée et rassurante au sein de laquelle une confiance se développe
Non seulement les deux figures sont à front renversé mais l'une a pris la qualité pourtant inséparable de l'autre. En effet, l'association entre la perfection et cette figure du cercle, fermé, limité,qui tourne sur lui-même, a été brisée par ce qui a donné des ailes à l'Occident, son exact opposé : l'ouverture, l'absence de limite, à laquelle a été attachée la poursuite de la perfection. L'ambition de conquête, y compris de la nature
Celui-ci n'eût pas peur de tomber en allant tout au bout de la Terre pourtant plate. C'est à cet esprit d'ouverture et au "sans-limite" que la perfection fût attachée (la science, la technique, etc.). L'homme occidental en fît le "pari", dans une démarche, dont Dany-Robert Dufour
Mais dans un tel monde ouvert d'aventures, de risques, de fortunes et de jeu
Si l'entreprise devient plus complexe parce qu'elle se déploie au-delà de ce premier mouvement, si le monde devient plus complexe parce qu'il se structure au-delà du vide bienvenu de la liberté, alors la question de la confiance au-delà de l'agent se pose. L'observateur trouve moins aisément une figure géométrique pour restituer ce qui produit, conserve et diffuse de la confiance
Apparaissent alors trois personnages, que l'on présente à tour de rôles comme très puissants ou très faibles : l'Entreprise, le Régulateur et le Juge. Ils ne cessent de parler les uns des autres, parfois en déception, ou soudain pour se vouer respectivement aux gémonies, souvent pour s'attribuer le beau rôle. Qui ne le ferait ? Ce sont effectivement trois personnages capitaux pour construire un Droit de la Compliance à partir du magma actuel des dispositifs de compliance où seules des briques sont disponibles (I). Chacun y a son rôle spécifique et le grand risque, engendré par la Compliance elle-même, tient dans la confusion entre ces personnages, l'entreprise devenant juge, le régulateur devenant entreprise, le juge devenant régulateur, etc. Pour sortir d'un tel tourbillon, alors même que la Compliance internalise dans des opérateurs privés des buts monumentaux qui sont le souci d'institutions publiques extérieures
Si le Droit de la Compliance vise non pas la simple conformité des comportements à la réglementation, définition pauvre et sans souffle, mais adopte des "buts monumentaux", voire vise des buts proprement européens, comme la construction de l'Europe elle-même, alors sans échanger leurs places respectives, l'Entreprise, le Régulateur et le Juge peuvent privilégier les points de contacts, voire réaliser des buts communs, sans pour autant interchanger de rôle ((II).
Car si à suivre Pirandello des personnages s'échinèrent à répéter sans fin une pièce sans Auteur, ce qui gâcha la répétition cela tînt tout au fait que personne ne savait par avance vers quel fin avancer. Ce n'est pas tant l'Auteur qui manquait que la fin par avance choisie. Ainsi, peu importe que l'on ne repère pas nettement les sources du Droit, si l'on comprend l'Histoire, c'est-à-dire qu'on en connaisse par avance la fin. Pas besoin d'un auteur unique si nous ne dépendons pas de la chouette de Minerve qui ne daignera se lever à un crépuscule qui ne viendra jamais, dès l'instant que les trois personnages ont des points de contact et auraient un but commun.
Or, ici, il peut y en avoir un. Ce but doit être clair, simple et commun; tandis que chacun garde son rôle, dans une pièce pour laquelle il y a eu et il y aura de multiples répétitions. Les tâtonnements, les affrontements ne veulent en rien dire que la pièce est mauvaise et ne sera jamais jouée. En effet, et s'il fallait trouver une forme géométrique simple qui traduise ce que doit être le Droit de la Compliance, cela serait un triangle, dont chaque pointe serait occupée par l'Entreprise, le Régulateur et le Juge, chacun conservant sa nature mais dans la même aventure où chacun pourrait participer à la même Histoire : ici et maintenant, il s'agit de l'Europe.
I. TROIS PERSONNAGES CAPITAUX "CHACUN EN CE QUI LE CONCERNE" POUR LA CONSTRUCTION DU DROIT DE LA COMPLIANCE
Dans la construction du Droit de la Compliance, les trois personnages saluent dès le début de la pièce, chacun tenant son rôle (A), mais à les observer se mouvoir on peut craindre des confusions dans les rôles des uns et des autres (B).
A. LE RÔLE DE CHAQUE PERSONNAGE DANS LA CONSTRUCTION DU DROIT DE LA COMPLIANCE
L'Entreprise est par définition un personnage parce que la Compliance l'oblige à sortir de sa passivité pour l'obliger à être un personnage actif. Cet "acteur contraint" du système de la Compliance n'a de rôle dans la pièce qu'en raison d'une distribution qu'elle n'a pas choisie (1). Le Régulateur à l'inverse se meut dans le Droit de la compliance avec plus d'aisance ; il est du bon côté du manche car c'est lui qui fait pénétrer les règles dont il confie la garde aux entreprises, il est un "acteur naturel" (2). Quant au Juge, comme dans tout mécanisme de droit, il est celui devant lequel tout et tous reviennent (3).
1. L'Entreprise, personnage de la Compliance en tant qu'elle a un rôle à y jouer
L'entreprise, en tant que sujet de droit, est soumise aux règles de Droit. Mais la Compliance ne peut se contenter d'exprimer ce principe, cela serait un pléonasme de la situation de chacun. Une entreprise qui s'engage par un acte de compliance ne peut se contenter d'affirmer le respect qu'elle a du Droit car elle ne peut en tout état de cause se soustraire au statut d'assujetti qu'elle partage avec tous.
L'Entreprise est par nature un "personnage de la Compliance" pour d'autres raisons. Elle le devient parce qu'elle s'engage à le faire, endossant alors un souci actif comme la protection de l'environnement, ou bien parce qu'elle subit des règles particulières qui s'appliquent à elle en tant qu'elle est une Entreprise particulière. Elle y est alors contrainte en tant qu'elle a des spécificités que n'ont pas les autres sujets de droit, ni mêmes les autres entreprises : notamment parce que l'Entreprise est "en position" d'avoir des informations que les autres n'ont pas, par exemple en matière de blanchiment d'argent.
L'Entreprise a donc un "rôle à jouer" au regard de soucis comme la protection des marchés, la protection de la planète ou des êtres humains, rôle endossé par la contrainte ou par une volonté propre qui suffit à elle-même. Dans ce dernier cas, la question des auteurs se déplace puisque ce ne sont plus les régulateurs - américains- qui écrivent les prescriptions de comportements mais les entreprises elles-mêmes.
Cela explique l'interférence entre les "codes de conduite" et le Droit de la Compliance.
Les entreprises sont libres de ne pas écrire de tels codes de conduite qui les contraignent au-delà de leurs obligations juridiques (car écrire qu'elles obéissent à la loi n'a aucun sens). Elles sont libre de choisir les buts à atteindre et les moyens de les atteindre, d'écrire cela à leur façon, de ne pas le faire sous la dictée d'un juge ou/d'un régulateur. Elles sont libre de ne pas le faire en une autre langue que celle du pays dans lequel elle se meuve ou dans la langue juridique du système juridique dont elles relèvent. C'est en faisant cela que l'Entreprise n'est pas un "exécutant" mais bien un personnage du Droit de la Compliance.
La distinction du Code de conduite "dicté" et du Code de conduite choisi - c'est-à-dire dont l'Entreprise est véritablement l'Auteur
2. Le Régulateur, personnage "naturel" de la Compliance
Le Régulateur fût le premier à saluer sur l'estrade, sans doute parce qu'il fût le premier à frapper : ce fût par les sanctions aux montants astronomiques infligées par les Régulateurs que la Compliance s'est donnée à voir
Si l'on définit le Droit de la compliance comme le mécanisme par lequel des règles publiques sont internalisées dans des entreprises globales afin que la puissance de celle-ci rendent ces règles pleinement effectives, le Régulateur apparaît comme une sorte de personnage bondissant !
Il bondit en effet dans les entreprises, alors qu'il en était extérieur, attaché pas même aux comportements de celles-ci puisque le Régulateur s'attache aux structures des secteurs et des marchés. Par la Compliance, le Régulateur "bondit" dans les entreprises elles-mêmes, par la Supervision
En Ex Ante, le Régulateur établit les règles, qui interdisent des comportements, prohibant à forte voix par exemple des transactions avec tel ou tel pays
Mais c'est aussi le Régulateur qui, bondissant de l'Ex Ante vers l'Ex Post, punit les entreprises de services essentiels qui n'ont pas bien joué leurs rôles en se structurant pour que les buts posés par le Régulateur soient atteints par les seules forces de l'opérateur privé
3. Le Juge, celui devant lequel chacun revient
Quant au Juge, il sera là toujours. Puisqu'il est central en Droit de la Régulation
En deuxième lieu et comme en matière de Régulation les régulateurs eux-mêmes prennent en matière de compliance la forme d'un tribunal
En troisième lieu, parce que la Compliance se développe dans cet sorte de désert qu'est la mondialisation
En cela, cela n'a pas de sens de mettre la Compliance du côté du Droit britannique ou américain, puisque le Droit de la Compliance est principalement construit sur de l'Ex Ante, l'entreprise étant "l'auteur"
Ces trois rôles peuvent évoluer, s'enrichir et se nuancer ; l'essentiel est qu'il n'y ait pas mélange des genres. Or, n'est-ce pas le plus grand risque du Droit de la Compliance ?
B. LE GRAND RISQUE DE LA COMPLIANCE : LA CONFUSION ENTRE L'ENTREPRISE, LE RÉGULATEUR ET LE JUGE
Quand on lit les lignes directrices, les codes de conduites, les lois et règlements, les nombreuses études sur le sujet, à la gloire de l'autorégulation, ou de la Soft Law, ou d'un juge modeste qui fait la balance des intérêts, on observe une confusion dans la distribution des rôles, conduisant à transformer l'entreprise en régulateur, le régulateur en conseil d'un système économique particulier et le juge en simple ajusteur du système.
Dans cette confusion générale, la première chose n'est-elle pas de revenir à l'élémentaire ? : la Compliance ne peut transformer l'Entreprise ni en régulateur ni en juge (1), le Régulateur ne peut être le seul avocat au service d'un système économique particulier (2) et le Juge n'est ni un Régulateur ni un simple ajusteur des intérêts particuliers (3).
1. Par la Compliance, le risque de transformer l'Entreprise en Régulateur ou en Juge
Il est vrai que par l'internalisation de la Régulation dans l'organisation structurelle de certaines entreprises
D'une façon plus générale, par les Codes de conduite l'Entreprise édicte les comportements à ne pas adopter, voire ceux à adopter. En cela, elle se transforme en Régulateur Ex Ante. Il est remarquable que la notion de "conduite" soit désormais intégré dans la dénomination des régulateurs publics eux-mêmes, comme le montre la Financial Conduct Authority (FCA) britannique, signe de la proximité entre les deux types d"organisation, les entreprises et les autorités publiques.
Que l'Entreprise le fasse proprio motu, au nom de l'autorégulation ou d'un mouvement vertueux, ou qu'elle le fasse sur la contrainte d'une injonction de compliance, par exemple dans un programme de compliance prévu dans une peine de compliance prononcée par le juge et suivie par l'Agence Française Anticorruption (AFA), le résultat est toujours le même : l'Entreprise devient dotée du pouvoir de punir dont la portée est mondiale.
Or, si l'on peut reprocher aux entreprises globales l'accaparement du pouvoir normatif par l'autorégulation
Mais de ce fait, dans cette comédie de boulevard Qui perd gagne, l'Entreprise n'aurait-elle pas le rôle sous couvert d'être l'opprimé le rôle du Grand Gagnant, puisqu'elle est sous l'ordre du Régulateur et du Juge devenue le Grand Régulateur-Juge mondial ?
Si l'on ne veut pas être gouverné par les seules entreprises globales, cette perspective dont les entreprises ne sont pas les seules sources constitue un risque à considérer sérieusement.
2 Par la Compliance, le risque de transformer le Régulateur en entreprise de développement des intérêts particuliers des places nationales
Si l'on regarde le Régulateur, et plus particulièrement le Régulateur financier, et - ajustant plus encore les jumelles de théâtre - le Régulateur financier américain, l'on constate que celui-ci agit pour que cesse la corruption, que demeure la liquidité des marchés, que l'information soit diffusée et utilisée d'une façon égale, l'on se dit aussi de cas en cas qu'il agit dans l'intérêt des marchés financiers américains, voire pour les intérêts américains.
Cela ne relève pas seulement d'une attitude soupçonneuse, mais participe d'une conception générale du Droit de la Régulation et de la Compliance, développé aux États-Unis et au Royaume-Uni. Et cela dans deux directions. Tout d'abord dans la conception britannique, le Régulateur a pour office de servir l'intérêt des marchés nationaux qu'il régule, tandis que dans la conception française, le Régulateur a pour office de servir l'intérêt général, lequel se distingue de l'intérêt même à long terme des marchés, incluant notamment des personnes tierces.
En cela, dans la conception britannique, le Régulateur fait bloc avec le secteur et l'intérêt du secteur. Et le terme d'avocat est utilisé : pour dire que le Régulateur est "l'avocat" des règles, celui qui fait comprendre aux entreprises du secteur l'utilité qu'elles ont d'embrasser ces règles. Ce qui est parfois désigner comme la "Régulation.Acte 2" consiste à dépasser ce rapport de contrainte pour que le Régulateur cesse de contraindre les marchés, et d'une part ne prétende plus les "dépasser", la notion d'intérêt général étant définitivement écartée, tandis que le Régulateur devient celui qui par sa capacité pédagogique parvient à guider les entreprises à mieux accomplir leur intérêt commun de place.
Voilà un Régulateur - pédagogue, qui conseille et oriente, dialogue et conserve, dans un Droit définitivement souple et doux. Ne peut-on considérer cela comme un risque, si l'on estime encore que par la Régulation, c'est encore l’État qui exprime des buts qui lui sont propres et intègre d'autres éléments que les intérêts bien compris du secteur ? Sauf à considérer que tous les éléments peuvent être réduits à celui-ci, ce qu'est parfois soutenu par hypertrophie de la rationalité économique des entreprises et rétrécissement de ce à quoi pensent les êtres humains.
3. Par la Compliance, le risque de transformer les juges en simples ajusteurs des intérêts
Quant aux juges, ils sont dans tous les actes de la pièce. Même lorsqu'ils ne s'agit que des magistrats qui poursuivent, la distinction faite entre ceux qui exercent l'action publique et ceux qui "jugent" n'affaiblissant. En effet, les nouveaux mécanismes de Compliance consistant à toujours remonter de l'Ex Post vers l'Ex Ante, la résolution des conflits (jugement) s'opère au sein des mécanismes de poursuites. Ainsi, ce sont les organes de poursuites, Deferred Prosecution Agreement aux États-Unis ou Convention judiciaire d'intérêt public en France qui décident de mettre fin à des poursuites par des mécanismes qui participent tout autant du jugement que du contrat.
Plus encore, à travers l'office qui leur est confié, de quels juges s'agit-il ? Lorsque le juge d'instruction renvoie lui-même à une perspective de convention judiciaire d'intérêt public, lorsque le juge pénal prévoit des programmes de compliance dont le suivi est assuré par l'Agence Française Anticorruption, il s'agit d'assurer, notamment par la technique des engagements, une sorte de balance des intérêts sur le long terme entre les parties prenantes, l'entreprise qui est visée n'étant elle-même qu'un élément du dispositif.
Dans cette conception très britannique et américaine de l'office du juge, lui-même neutre par rapport à des intérêts qu'il ne prétend pas dépasser, le Juge ne risque-t-il pas d'être peu maître du système ?
Sauf à ce, à l'occasion des cas particuliers dont il est saisi, il écrive les principes du Droit de la Compliance Mais il en serait alors l'Auteur. La pièce serait alors écrite différemment. Il faudrait commencer une nouvelle répétition. Et pourquoi pas ? Il suffit pour cela de formuler une ambition.
II. L'AMBITION À FORMULER : SANS ÉCHANGER LES PLACES, PRIVILÉGIER LES POINTS DE CONTACT, RÉALISER DES BUTS COMMUNS
Si l'on en reste à ces trois personnages, l'on peut avoir comme ambition tout d'abord de ne pas échanger les places (A). C'est lorsque chacun reste à sa place qu'il est plus facile et d'avoir des points de contacts (B), voire de viser ensemble des buts communs (C).
A. NE PAS ÉCHANGER LES PLACES ENTRE ENTREPRISE, RÉGULATEUR, JUGE
Quiconque s'approche de la Compliance, de gré ou de force, a une impression d'extrême complication. Tous ces textes, publiés par tout le monde en même temps, sur les mêmes sujets mais ne disant pas la même chose et ne s'appliquant pas de la même façon. On en vient à souhaiter le règne de la machine dite "intelligente" tandis cela relève davantage du stockage et du warning que de l'entendement.
Il convient donc de ne pas sombrer dans la confusion.
L'Entreprise doit n'avoir en principe qu'un but : réaliser l'aventure pour laquelle les personnes l'ont créée, endurant les risques de pertes, se partageant les profits qui en résultent. Le Droit de la Compliance visant à concrétiser des buts monumentaux, l'Entreprise ne peut avoir croisé la route du Droit de la Compliance que si elle est un "opérateur crucial" pour la concrétisation de ces buts (par exemple les banques qui gèrent les flux financiers internationaux) ou si elle a exprimé un but qui est par ailleurs un souci du Droit de la compliance, par exemple la sauvegarde des enfants, ou de la planète (finance dite "verte").
Sinon, et pour prendre un exemple, une banque n'a pas pour office de protéger les enfants. De la même façon qu'une petite entreprise industrielle n'a pas pour office de lutter contre le blanchiment d'argent.
On peut le regretter mais dans un système libéral, c'est à l’État, aux Régulateurs et au Juge, de le faire.
De la même façon, les Régulateurs et les Juges n'ont pas pour office d'aider leur propre pays à prospérer économiquement, ni à conquérir le monde. On peut certes le regretter, dans une conception servile du Droit qui ne serait qu'un outil au service de la prospérité économique, mais dans un État de Droit, le Droit a pour fonction de protéger les êtres humains et les Régulateurs et les Juges ont pour office de faire respecter le Droit et l'Intérêt général.
On peut le regretter, et c'est souvent fait par des ténors affirmant que le Droit, appelé alors "réglementation" ne serait qu'un outil neutre d'efficacité au service des désirs des entreprises. Mais si les entreprises ont un rôle, elles ne sont pas l'Auteur de la pièce qui se répète.
B. AVOIR DES POINTS DE CONTACTS ENTRE ENTREPRISE, RÉGULATEUR, JUGE
Lorsque les places sont marquées pour chacun, les points de contact sont d'autant plus faciles à établir à partir de ces repères. Car Entreprise, Régulateur et Juge ne sont en rien ennemis les uns des autres.
Établir et développer les points de contact, c'est la partie la plus facile, elle est déjà jouée : les trois se parlent, les experts passent de l'un à l'autre - la technique américaine ayant des émules, la gestion des conflits d'intérêts est l'art qui vient avec. En outre et comme l'a montré Luhmann, c'est la doctrine qui assure ces points de contacts. De fait, aux États-Unis, c'est plutôt les juridictions qui opèrent ce travail de type doctrinal tandis qu'en Europe et pour l'instant cela serait plutôt la Commission européenne, notamment à travers le secrétariat des différents rapports qui pavent l'évolution de la matière.
Mais il faut dépasser les points de contacts pour aller vers des points communs.
C. AVOIR DES POINTS COMMUNS ENTRE ENTREPRISE, RÉGULATEUR, JUGE
Le Droit de la Compliance a déjà cristallisé des "soucis communs" aux trois personnages (1). Reste à viser des points commun, voire des "buts commun" (2). Pourquoi pas poser l'Europe comme but commun ?
1. Des soucis communs par l'effet d'une même intensité
Les points de contact paraissent de diverses intensités suivant les points du "triangle"
A l'inverse, le Juge a pour souci premier la protection de la personne, ce qui est un souci commun avec les entreprises cruciales du secteur médical ou de la protection sociale, mais semble un souci de second niveau pour les entreprises du secteur financier.
Mais justement ne faut-il pas revoir cela ?
En effet, et pour prendre tout d'abord la perspective du Juge. Lorsqu'il s'agit du Juge de l'Union européenne ou du juge national économique, le souci systémique ne doit-il pas devenir pleinement un souci commun ? La jurisprudence de l'Union européenne montre que le souci de la personne est devenu premier. La question centrale des données montre qu'il est presque aujourd'hui impossible, voire pervers, de distinguer Régulation de déploiement des systèmes économiques et Régulation de protection des personnes.
Par une parole politique, il convient d'aligner ces points de contacts sur une même intensité, intensité donnée par le Politique lui-même.
C'est d'ailleurs ce que fait le Politique et l'Union européenne. Ainsi, les dernières propositions sur la "Finance soutenable", qui mêle souci de l'environnement et développement des marchés financiers, résumé par l'expression de "finance verte" montre que les points de contact ont la même intensité, et les travaux du Groupe de haut niveau, publié le 31 janvier 2018 a posé qu'il faut renouveler le Droit de la Régulation en conséquence.
Par son arrêt Safe Harbor du 8 octobre 2015, la Cour de Justice a montré à propos des données à caractère personnel la voie à prendre d'une façon plus générale en posant la personne au centre du dispositif. Ainsi, c'est bien des points de contacts entre Entreprise, Régulateur et Juge qui se dessinent, entre gestion de risques systèmes et considération première de la personne.
L'intensité de ces points de contact est telle que la perspective de points communs se dessine.
2. Un but commun à la Compliance exercée par l'Entreprise, le Régulateur, le Juge : l'Europe
Dans les marchés où le principe est la rencontre de l'offre et de la demande, le risque est inhérent tandis que la personne n'existe pas en tant que telle, "l'agent" étant le parangon du modèle.
Mais si l'on revenait un instant à la figure du cercle, dans une nostalgie des temps classiques
L'Europe est une zone qui peut constituer un cercle, avant un extérieur et un intérieur. Les trois personnages que sont l'Entreprise, le Régulateur et le Juge peuvent la construire. Ils ne peuvent le faire seuls. Il faut encore un Auteur.
Mais si la pièce trouve un auteur, à savoir le Politique, qui exprime une volonté et pose un but à atteindre en commun, alors toute la pièce pourrait tourner au profit du seul spectateur qui compte : l'être humain, celui qu'en Droit l'on nomme la Personne, personnage qui pourra donner à l'Europe son souffle et à l'Auteur sa plume.
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Pour une bibliographie, voir Bibliographie générale ordonnée autour de la Compliance.
V. par ex. Frison-Roche, M.-A., Le Droit de la Compliance, 2016.
Frison-Roche, M.-A., Le Droit de la Compliance, 2016.
Dans ce sens, Frison-Roche, M.-A., Tracer les cercles de la Compliance, 2017.
Et si la Compliance est un ensemble de mécanismes avant tout financiers, l'ordre juridique lui est étranger, est en dehors de son cercle, et la confiance ne pourrait être établie que si le Droit plie en entrant dans une autre logique que la sienne. C'est la conception de l'Analyse Economique du Droit, souvent à l'oeuvre en la matière. Sur une analyse de cela, V. Frison-Roche, M.A., Le Droit est-il un atout ou un handicap pour nos entreprises et nos territoires ?, 2018.
Frison-Roche, M.-A., Tracer les cercles de la Compliance, 2017.
Par nature le marché permet aux opérateurs, aux marchandises et aux capitaux d'entrer et de sortir (prohibition première des barrières à l'entré) . Il ne correspond pas à la figure du cercle, lequel est au contraire par excellence la figure de la fermeture, identifiée en cela à la perfection dans l'Antiquité grecque ou dans la civilisation japonaise par exemple. C'est pourquoi Williamson notamment a montré que le marché a brisé les systèmes sociaux des "cercles", par exemple construits sur les titres.
Pour une critique de cela, v. Supiot, A., in Prendre la responsabilité au sérieux.
Pour les conséquences qu'il conviendrait d'en tirer, et en Droit de l'environnement et sur ce qu'il est convenu d'appeler la "finance verte" ou la "finance soutenable".
Dufour, D.-R., Le divin marché. La révolution culturelle libérale, Denoël, 2007.
Ce que traduit le film Cloud Atlas.
Sur le lien étroit entre l'économie actuelle et le jeu, ne serait-ce par par le "bitcoin", v. Frison-Roche, M.-A., Vers l'avenir de la régulation des jeux, 2017.
Dans ce sens, Frison-Roche, M.-A., Tracer les cercles de la Compliance, 2017.
Frison-Roche, M.-A., Du Droit de la Régulation au Droit de la Compliance, 2017.
Sur la notion générale d'Auteur, v. supra. .
C'est notamment le cas dans la condamnation par la Commission européenne de Google le 27 juillet 2018, à adopter un nouveau comportement, notamment des nouvelles clauses contractuelles et des nouvelles pratiques, "sous sa seule responsabilité".
Sur cette façon dont le Droit de la Compliance est apparu, réaction américaine à la crise par la création même de la Securité Exchanges Commission, v. Frison-Roche, M.-A., La Compliance: hier, aujourd'hui et demain, 2017 ; sur le fait qu'en Europe, la Compliance est apparue à travers les sanctions infligées à des banques européennes par les entreprises américaines, v. Frison-Roche, M.-A., Le Droit de la Compliance, 2016. La différence d'origine explique la différence de perception et le fait que l'attitude européenne soit pour l'instant principalement de type "défensif".
Sur le continuum entre les notions, Frison-Roche, M.-A. dir., Régulation, Supervision, Compliance, 2017.
Ce qui conduit le Droit de la Compliance à devenir autonome du Droit de la Régulation, alors même qu'il en est issu : Frison-Roche, M.A., Le Droit de la Compliance au-delà du Droit de la Régulation, 2018.
Sur le droit des embargos, v. ....
Sur le Droit dit de la "finance verte", voir le rapport des experts de haut niveau, ...., décembre 2017.
V. infra.
Lesquels se mettent à fonctionner comme des organes de régulation recherchant la satisfaction d'un intérêt supérieur, s'éloignant d'un Droit des sociétés classique basé sur la propriété privée, Droit des sociétés qui s'efface de plus en plus (Frison-Roche, M.-A., .... Mélanges Schmidt) ; Sur l'opposition entre le Droit des marchés régulés et le Droit des sociétés, v. le cas pratique du retrait de la coté par décision pure et simple et non pas souci de l'intérêt du marché.
Sur la place du juge en Droit de la Régulation, v.
La qualification des autorités de régulation comme des organes juridictionnels lorsqu'ils appliquent des sanctions a été l'objet d'âpres discussions doctrinales et de cas de jurisprudence intenses. Les textes ont depuis entériné la solution, secteur après secteur, puis d'une façon générale. Sur cette question, voir d'une façon générale ....
Sur l'application du principe d'impartialité au Régulateur, et sur la figure juridictionnelle imposée au Régulateur, objet d'une très importante jurisprudence, puis législation, v. par ex. ....
En tant que la disparition des frontières et l'intensité des échanges produit une énormes masses de normes et de décisions juridiques, notamment contractuelles et juridictionnelles, vastes accumulation non-ordonné, sans que des principes communs acquis soient partagés. Ce désordre réglementaire très bourdonnant est un désert du Droit. Pour une démonstration plus détaillée, v. par exemple Frison-Roche, M.-A. La mondialisation vue du point de vue du Droit, 2017.
Supiot, A., Prendre la responsabilité au sérieux, 2015.
V. supra.
Sur la dimension intrinsèquement Ex Ante de la Régulation, v. Frison-Roche, M.-A., Le couple Ex Ante - Ex Post, justificatif d'un droit spécifique et propre de la Régulation, 2006.
Objet de la Loi dite "Sapin 2", loi qui a rendu très visible la notion de "Compliance" en Droit français. Sur cette loi du 9 décembre 2016, v. par exemple Boucobza, X. et Serinet, Y.-M., Loi "Sapin 2" et devoir de vigilance : l'entreprise face aux nouveaux défis de la compliance, 2017 ; Darrois, J.-M., La loi Sapin 2 : un défi pour les avocats, 2017
Sur la notion même de "buts monumentaux", caractéristique d'un "Droit de la Compliance" constitué et autonome, v. Frison-Roche, M.-A., Le Droit de la Compliance, 2016.
Sur le caractère peu classique de cette concentration des pouvoirs, issu d'une conception "économique" des organisations et non pas "juridique", v. Frison-Roche, M.A., Le système juridique français est-il un atout ou un handicap pour nos entreprises et nos territoires ?, 2018.
Selon la démonstration faite par Farjat, "Réflexions sur les codes de conduite privés", 1978. La démonstration fût développée depuis par Gunther Teubner, l'auteur affirmant que les entreprises disposent aujourd'hui et elles-seules du pouvoir d'établir les normes constitutionnelles mondiales: Teubner, G.,L'auto-constitutionnalisation des entreprises? Sur les rapports entres les conduite "privés" et "publics" des entreprises", 2015. V. d'une façon plus générale, Teubner, G., Fragments constitutionnels. Le constitutionnalisme sociétal à l'ère de la globalisation, 2016.
Sur la pertinence de cette figure géométrique, v. Introduction.
Sur la pertinence de cette figure classique, v. l'introduction de cette présente étude ; pour plus de développements, v. Frison-Roche, M.-A., Drawing the circles of Compliance Law, 2018.
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