10 octobre 2021

Publications

Un principe de proximité systémique active pour que le Droit de la Compliance concrétise sa vocation mondiale

par Marie-Anne Frison-Roche

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► Référence complète : Frison-Roche, M.-A.Vers un principe de proximité systémique active pour que le Droit de la Compliance concrétise sa vocation mondiale,  document de travail, octobre 2021.

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🎤 ce document de travail sert de base à la conclusion faite avec Laurent Benzoni du  colloque Effectivité de la Compliance et Compétitivité internationale, coorganisé par le Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et le Centre de recherche en Droit et en Économie de l'Université Panthéon-Assas (Paris II), se tenant le 4 novembre 2021, Salle des Conseils, Université Panthéon-Assas (Paris II). 

Il est corrélé à un premier document de travail sur l'appréciation du lancement d'alerte et de l'obligation de vigilance au regard de la compétitivité internationale, lui-aussi base d'une intervention dans le même colloque. 

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📝Ce document de travail n'a donc pas été utilisé.

Il a été retravaillé dans un nouveau document de travail, reprenant les idées qui auraient avaient vocation à être exposées lors de cette conférence et servant de base à l'article par la suite publié : Le principe de proximité systémique active, corolaire du renouvellement du principe de souveraineté par le Droit de la Compliance

Le second document de travail, ainis enrichi, est devenu la base d'un article publié

📕dans sa version française dans l'ouvrage Les buts monumentaux de la Compliancedans la collection 📚 Régulations & Compliance

 📘dans sa version anglaise dans l'ouvrage Compliance Monumental Goalsdans  la collection 📚 Compliance & Regulation

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► Résumé du document de travail : Bien plus que la lutte contre la corruption et le FCPA, l 'obligation de vigilance est la pointe avancée de ce que doit être le Droit de la Compliance en ce qu'elle contraint l'entreprise à extraire d des entités qui sont pourtant sous un autre ciel juridique que celui dont relève l'entreprise ainsi obligée.  

C'est d'une façon plus générale qu'il faut affirmer la consubstantielle indifférence au territoire du Droit de la Compliance. Mais l'indifférence n'est qu'un principe négatif. Il faut également développer un principe positif. Ce principe positif doit être formulé comme le Principe de Proximité. Le Droit de la Compliance doit déployer ses effets dans l'indifférence du territoire dès l'instance que l'objet lui est proche ("proximité"), la dimension systémique d'un objet ou d'un risque ouvrant à ce moment-là un devoir d'action porté par le Droit de la Compliance.  

C'est déjà le cas pour l'obligation de vigilance, puisqu'elle implique de par la Loi pour l'entreprise assujettie toute la puissance nécessaire afin de remplir l'obligation imposée 📎!footnote-2329, permet à cette entreprise d'obtenir des informations, voire d'imposer à son tour au nom de sa propre responsabilité personnelles des obligations de compliance à des partenaires économiques qui sont pourtant sujets de droit de systèmes juridiques qui ne prévoient pas de tels contraintes.

Cela conduit à une perspective nouvelle, qui met en corrélation des principes pour l'instant en linéament dans l'obligation de vigilance au regard de la définition générale du Droit de la Compliance, qui doit pleinement affirmer sa nature mondiale. En effet, l'obligation de vigilance est la pointe avancée d'un Droit de la Compliance indifférent au territoire, d'un Droit agissant urbi et orbi 📎!footnote-2332, devant permettre l'action là où cela se passe, soit parce qu'y développe un phénomène à impact systémique : l'atteinte à l'environnement est déjà prévu par l'obligation de vigilance, il convient de l'étendre au Climat, et au risque systémique sanitaire. 

Pour l'instant se déroule encore une sorte de guerre de tranchée, cristallisée par le terme d'extraterritorialité, qui n'est adéquat que pour un objet national auquel l'on veut donner un effet lointain, comme un projectile que l'on lance avec une grande force, concrètement les déclaration d'embargos pour lesquels la force de la Compliance est illégitimement réquisitionnée.

Mais ici, comme le montre ces premiers textes visant les droits humains et l'environnement, c'est la notion même de distance qu'il convient de récuser en prenant le principe inverse : le Principe de proximité, en redéfinissant la notion de "Proximité" sous un angle systémique.  

Si l'on pense la proximité non pas d'une façon territoriale, le territoire ayant une dimension politique forte mais pas une dimension systémique, mais que l'on pense la proximité systémique d'une façon concrète à travers les effets directe d'un objet dont la situation impacte immédiatement la notre (comme dans l'espace climatique, ou dans l'espace numérique), alors la notion de territoire n'est plus première. 

Si l'idée d'humanisme devait enfin avoir quelque réalité, de la même façon qu'une entreprise "donneuse d'ordre" a un devoir de Compliance à l'égard de qui travaille pour elle, cela rejoint là encore la définition du Droit de la Compliance comme protecteur des êtres humains 📎!footnote-2330 qui sont proches parce qu'internalisés dans l'objet que nous consommons. C'est bien cette technique juridique là qui permet la transmission du droit d'action en responsabilité contractuelle avec la chose vendue. 

Dès lors, un Principe de Proximité active justifie l'action des entreprises pour intervenir, de la même façon que les Autorités publiques sont alors légitimes à les superviser dans l'indifférence du rattachement juridique formel, ce que l'on voit déjà dans l'espace numérique et dans la vigilance environnementale et humaniste.

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Le Droit de la Compliance s'appuie sur la puissance des entreprises pour que la prétention politique des États à faire face à des menaces systémiques crédibles puisse se concrétiser, alors que le Droit de la concurrence se méfie toujours de la puissance des entreprises. C'est là leur différence essentielle. 

Dès lors face à des risques qui sont globaux, comme le sont les risques sanitaires et  les risques climatiques et les risques de désinformations, le Droit économique ne peut rien s'il continue de mettre en son centre le Droit de la concurrence, lequel même lorsqu'il tenta de prendre une dimension mondiale ne le fit qu'à travers la perspective marchande du libre-échange. 

Que n'a-t-on pas dit contre le Droit de la Compliance en ce qu'il se déploie au-delà des frontières ... Il fût accusé de tous les maux, notamment la destruction de l'économie européenne, et de toutes les intentions machiavéliques, les américains choisissant le discours juridique vertueux de la conformité comme cheval de Troie de l'invasion de notre tradition juridique laissant à nue nos entreprises sommées de payer des amendes à peine négociées, notre seule issue étant de se défendre en recopiant le dispositif pour n'avoir à payer qu'à nous-mêmes. 

Reproches amers qui se justifiaient sans doute en matière de droit des embargos mais en rien pour les autres sujets, parce que le Droit de la Compliance n'a pas de raison d'être limité par un territoire, étant en cela d'une autre nature que le Droit international qui, pour dépasser les frontières, s'appuie d'abord sur la reconnaissance première de celles-ci. 

 

I. CHOISIR LE DROIT DE LA COMPLIANCE EN CE QUI EST EN MIROIR DE SON OBJET : LES RISQUES GLOBAUX 

Ce que l'on a si souvent dénoncé sous le vocable de "extra-territorialité" du Droit américain ne concerne qu'un cas très particulier où effectivement une décision nationale, à savoir un embargo décidé par le Président des États-Unis, est assorti d'un effet contraignant sur des personnes dont l'activité n'a pourtant pas de rattachement avec les États-Unis, ce qui a provoqué de multiples protestations, notamment juridiques, en raison du seul visa de l'usage du dollar dans la transaction pour donner compétence à des organes américains pour affliger des sanctions, par exemple à la BNP. 

Mais c'est prendre un arbre rattaché à un cas certes critiquable mais très particulier, et le confondre avec une forêt qui elle justifie au contraire l'applicabilité du Droit de la Compliance, notamment l'obligation de vigilance et tous les pouvoirs que celle-ci implique.

A. Les risques globaux des objets corporels systémiques

Si l'on prend tout d'abord le climat, celui-ci est composé de mécaniques physiques corporels que l'on peut mesurer. On le peut si bien que le Tribunal constitutionnel allemand, dans sa décision historique du 29 avril 2021, a considéré que la crise systémique climatique future devait avoir le statut d'une crise systémique ouverte et que les droits des personnes futures étaient déjà des droits subjectifs présents 📎!footnote-2370

Ainsi la localisation de la forêt amazonienne doit être remis à cette aune. En effet de la même façon que, selon le Code civil, un arbre enraciné peut avoir le statut d'un meuble parce qu'il a vocation à être coupé et est d'ores et déjà virtuellement un meuble, la forêt amazonienne, en ce qu'elle est ce qu'elle permet à la population mondiale de respirer n'est pas enracinée au Brésil mais a pour surface la planète elle-même.

Ainsi les Autorités publiques "concernées" et les entreprises qui concrétisent les Buts Monumentaux du Droit de la Compliance climatique  📎!footnote-2371 même si les Autorités publiques ne sont pas brésiliennes, dès l'instant que leur population est concernée et que les entreprises sont en position d'agir, sont en Droit, voire en obligation, de le faire. 

Ce qui est vrai pour ce qu'il convient de désigner comme les objets systémiques : les forêts systémiques, les masses d'eau systémiques, etc.

Comme le secteur bancaire est le système le plus mature en technique de compliance, il convient de dresser une des objets systémiques globaux, comme sont dressés des listes des opérateurs bancaires et financiers systémiques, afin que s'y appliquent des obligations et surtout des pouvoirs afin que les obligations puissent s'y concrétiser. 

 

B. Les risques globaux des objets informationnels

Plus encore, l'immatérialité du monde, notamment produite par sa digitalisation, fait naître de nouveaux risques pour les êtres humains, le service nouvellement proposé de vivre une "méta"-vie dans un monde que le film Matrix avait dessiné, accroissant les possibilités technologiques à la fois pour le bien et pour le mal.

L'industrie des données a vocation à être gouvernée par le Droit de la Compliance en ce qu'il implique l'articulation entre le déploiement industriel et la maîtrise des informations, la neutralité concurrentielle étant contredite par le Droit de la Compliance. 

Cela ne peut pas se faire qu'associé à une supervision des Autorités publiques, telle que notamment elle se dessine à travers le Digital Services Act. 

 

II. CONSTRUIRE L'APPLICABILITÉ GLOBALE DU DROIT DE LA COMPLIANCE EN APPLICATION DU PRINCIPE DE "PROXIMITÉ SYSTÉMIQUE ACTIVE

Il ne faut pourtant pas confondre la portée naturellement globale du Droit de la Compliance et ce qui serait un Droit global, lequel n'existe pas. 

Il convient donc de dégager un principe qui permette de déclencher la puissance globale du Droit de la Compliance, laquelle n'apparaît que dans une situation particulière.

C'est pourquoi il est proposé un principe qui est celui de la "proximité systémique active".

Celui-ci peut s'exprimer ainsi : lorsqu'il apparaît qu'une situation a un élément systémique dont la portée, qu'elle soit négative en ce qu'elle constitue un risque global, ou qu'elle soit positive, en ce qu'elle constitue une ambition globale, alors cela engendre une obligation d'action, dont l'obligation de vigilance est l'épigone mais qu'il convient de généraliser. 

Ainsi les opérateurs cruciaux en position d'agir, parce qu'ils en ont les moyens de localisation, informationnels, technologiques et financiers, doivent en avoir le pouvoir d'agir (c'est en cela que le principe est "actif") parce qu'ils en ont aussi l'obligation au regard du But Monumental consistant à protéger les êtres humains face à une crise générale d'ores et déjà détectée (c'est en cala que le principe est "systémique").

Le principe est nouveau est de ce qu'il repose sur la notion de "proximité" : la proximité n'est pas nécessairement une proximité physique, telle que notre accoutumance à un monde physique, et notamment à la notion de territoire, nous y a accoutumés. La proximité peut être observée par la virtualité : en se projetant dans l'avenir, l'asphyxie parce que la foret ou l'eau manquent fait que ces objets en ce qu'ils dégagent nos besoins de base nous sont physiquement très proches. 

Plus encore, le Droit, en cela allié du Politique, peut encore prétendre s'ancrer dans l'héritage occidental posant que l'être humain est à la fois parfaitement unique par rapport à un autre être humain et parfaitement égal à un autre être humain. En cela, l'altérité et l'égalité sont les principes humanistes sur lesquelles est bâti le Droit de la Compliance dans son ancrage européen.   

 

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