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► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "S'engager n'est pas contracter (décision du Conseil d'État du 21 avril 2023, Orange c/ Arcep)", Newsletter MAFR Law, Compliance, Regulation, 28 juin 2023.
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🔴Engagements, acceptation, convention : multiplication de ces actes de volonté acceptés qui ne sont pourtant pas des contrats et échappent à leurs principes
Dans sa décision du 21 avril 2023, société Orangec/ Arcep, le Conseil d'État dit ce que ne constitue pas les engagements souscrits par l'opérateurs pour le déploiement de la fibre, acceptés par le ministre : ce n'est pas un contrat. La "qualification négative" est donc donnée. Mais alors qu'est-ce que c'est ?
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Dans le Droit de la Régulation et de la Compliance, parce qu'il s'agit de branches du Droit Ex Ante, dont l'objet même est l'avenir, les "engagements" sont un élément essentiel : les personnes juridiques s'engagent et les mécanismes juridiques sont utiles pour s'assurer que ces engagements soient tenus.
Ils présentent en outre l'avantage d'être souples. Ils sont aussi souvent critiqués, soit que l'administration ou le Régulateur n'ait forcé la main de l'entreprise qui s'engage en n'ayant de marge de négociation, soit que l'entreprise par ce biais ne s'approprie un pouvoir de décider qui n'appartenait naguère qu'à l'État dans l'exercice unilatéral de gouverner.
Le "modèle du contrat" est ainsi autant critiqué que loué, chacun étant des exemples pour alimenter sa louange ou sa diatribe.
🔴M.-A. Frison-Roche, 🚧Les conditions requises pour favoriser la "contractualisation" du Droit, 2023
Mais le "modèle du contrat", qui consiste à tout négocier, à rechercher des accords sur tout, à trouver qu'un engagement vaut mieux qu'une dispute ou qu'une sanction, ne renvoie qu'à une façon de faire et ne renvoie pas toujours à un contrat, lequel est une technique spécifique, déclenchant un régime juridique spécifique. Le contrat est un outil de la "contractualisation" de nos façons de vivre, il ne perd pas sa définition.
La décision rendue par le Conseil d'État (2ième et 7ième chambres réunies), n°464349, Société Orange c/ Arcep est donc particulièrement importante.
I. LA DÉCISION DU CONSEIL D'ÉTAT DU 21 AVRIL 2023
L'article L.33-13 du Code des postes et télécommunications prévoit un mécanisme d'engagements des opérateurs selon les termes suivants : "Le ministre chargé des communications électroniques peut accepter, après avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, les engagements, souscrits auprès de lui par les opérateurs, de nature à contribuer à l'aménagement et à la couverture des zones peu denses du territoire par les réseaux de communications électroniques et à favoriser l'accès des opérateurs à ces réseaux. L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en contrôle le respect et sanctionne les manquements constatés dans les conditions prévues à l'article L. 36-11.".
Sur cette base, le 18 février 2020 la société Orange a adressé au Premier Ministre une lettre par laquelle elle a déclaré prendre des engagements pour le déploiement de la fibre, engagements sur lesquels l'ARCEP a formulé un avis et qui ont été acceptés par le Secrétaire d'État en charge du numérique.
Ultérieurement, la Commission des sanctions a été saisie au regard de manquements qui auraient été commis. Contre la sanction prononcée, l'entreprise fait notamment valoir que "les engagements doivent être regardés comme de nature contractuelle".
La réponse du Conseil d'État est la suivante : "il ressort des dispositions de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques que le législateur a entendu donner une force contraignante aux engagements librement consentis par les opérateurs en matière de déploiement du réseau de fibre jusqu'à l'habitant en permettant au ministre chargé des communications électroniques de les accepter. Il en résulte que les engagements librement souscrits sur ce fondement et acceptés par cette autorité ne peuvent être qualifiés de contrat entre l'opérateur et l'Etat. Par conséquent, la requérante ne peut utilement se prévaloir de ce que les dispositions attaquées conduiraient à méconnaître la liberté contractuelle. Par ailleurs, ces engagements étant librement souscrits par les opérateurs, qui se placent volontairement dans une situation différente de ceux qui ne se sont pas engagés, les griefs tirés d'une atteinte à la liberté d'entreprendre et au principe d'égalité ne peuvent qu'être écartés.".
II. FACE À UN ENGAGEMENT ET À UNE ACCEPTATION SUR UN MÊME OBJET : UNE QUALIFICATION POURTANT OUVERTE
Cette formulation est négative, puisque l'on sait ce que l'acte n'est pas, mais l'on a donc du mal à savoir ce qu'il est.
En effet, il faut donc admettre en premier lieu que c'est bien selon la Loi que l'entreprise agit, mais que ce n'est pas sous la contrainte de celle-ci puisqu'elle a choisi librement de s'engager. Cela est souligné par la décision.
Il faut admettre en second lieu que l'acceptation de celui à l'égard duquel l'engagement est pris est requise, puisque c'est la même Loi qui le pose.
Pourtant, alors que l'un (l'entreprise) formule librement des obligations qui vont le contraindre, qu'elle y "souscrit", la loi l'ayant juste incité à le faire, l'autre (le ministre), après avoir été éclairé par le Régulateur, formule son acceptation de cet engagement.
Le fait que le ministre ne s'engage à rien n'élimine pas la qualification contractuelle (laquelle serait désormais exclue, et les principes qui y sont attachés) et c'est bien pourtant sur un même objet que la volonté de l'un et la volonté de l'autre s'expriment.
On est donc dans une affirmation étrange en Droit traditionnel où c'est bien par sa libre volonté que l'entreprise s'engage (ce qui conduit le Conseil d'État à éliminer les griefs relatifs à l'égalité à l'égard des autres opérateurs, puisque l'entreprise s'est librement engagée et qu'elle s'est librement chargée là où les autres entreprises ne l'ont pas fait) et que cela a reçu acceptation, sans pour autant en déduire une nature contractuelle, ou à tout le moins conventionnelle.
Si l'on suit l'analyse de qualification négative (ce que cela n'est pas) menée par le Conseil d'État, quelle serait la nature d'un tel procédé ?
III. UNE CATEGORIE D'ÉMISSIONS D'ACTES UNILATÉRAUX CORRÉLÉS
Le Conseil d'Etat a exclu mais n'a pas proposé.
Il a exclu le contrat entre une personne qui s'était engagée et une personne qui avait accepté.
Il a réaffirmé la libre volonté de l'entreprise qui prend des engagements et ne remet pas en cause la validité de l'acceptation par le ministre qui la prend par un arrêté.
En Droit économique, ces mécanismes sont assez fréquents, puisqu'en Droit de la concurrence il est courant que les entreprises proposent des engagements qui ont pour objet de mettre fin à "des préoccupations de concurrence identifiées par l'Autorité de concurrence", qui sont l'objet d'acceptation par l'Autorité de la concurrence, laquelle formule ces acceptations par des décisions.
Ce sont ces décisions de l'Autorité de concurrence dont le Conseil constitutionnel a souligné dans sa décision du 10 février 2023 Sony qu'il s'agit de véritables décisions, notamment en ce que l'Autorité peut refuser de tels engagements, ce qui justifie le possible recours pouvant être fait contre ce type de décision.
L'engagement accepté n'est donc pas une convention, ni en Droit de la concurrence ni en Droit de la régulation tel qu'il est prévu dans les textes, mais une proposition unilatérale, émise par l'entreprise, proposition qui est dans un second temps incorporée par un autre acte unilatéral qu'est la décision de l'Autorité publique.
Les engagements vont se développer de plus en plus car, comme les contrats..., en ce qu'ils visent l'avenir, ils en sont les instruments privilégiés.
🔴M.-A. Frison-Roche (dir.), 📕Les engagements dans les systèmes de régulation, 2006
Leur place va s'accroître dans le Droit de la Compliance, branche du Droit qui prolonge le Droit de la Régulation.
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