Mise Ă  jour : 18 juin 2016 (RĂ©daction initiale : 8 novembre 2015 )

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🚧 Les conséquences régulatoires d'un monde repensé à partir de la notion de "donnée"

par Marie-Anne Frison-Roche

Etant donnés, Marcel Duchamp, 1946-1966

â–ş RĂ©fĂ©rence complète : M.-A. Frison-Roche, Les consĂ©quences rĂ©gulatoires d'un monde repensĂ© Ă  partir de la notion de "donnĂ©e", Document de travail, novembre 2015.

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🎤Ce working paper a en premier lieu servi de base Ă  une intervention Ă  un colloque organisĂ© par  le internet-espace-/">Journal of Regulation,  ayant pour thème :    internet-espace-/">Internet, espace d'interrĂ©gulation.

Regarder les slides ayant servi de support à la conférence.

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🚧 Ce document de travail est articulĂ©  avec un premier document de travail qui a pour objet de rĂ©flĂ©chir sur le monde actuel, qui est en train de se reconstruire Ă  partir de la notion de "donnĂ©e", ce qui constitue une "rĂ©volution". 

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đź“ť Il a servi de  base Ă  l'article publiĂ© dans l'ouvrage đź“•internet-espace-dinterregulation-dir/">Internet, espace d'interrĂ©gulationĂ©ditĂ© dans la SĂ©rie RĂ©gulations, aux Éditions Dalloz.

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â–ş RĂ©sumĂ© du document de travail : La première consĂ©quence rĂ©gulatoire tient au fait que ce que l'on dĂ©signe souvent comme "l'objet" de la donnĂ©e (la personne, l'entreprise pour la donnĂ©e financière, l'Ă©conomie pour le rating, etc.), n'est que sa source, son "sous-jacent", la donnĂ©e Ă©tant fabriquĂ©e par une entreprise ou par l’État  tandis que son objet est bien plutĂ´t l'usage pour lequel cette donnĂ©e a Ă©tĂ© construite et articulĂ©e Ă  d'autres.  La donnĂ©e est donc autonome de son sous-jacent, est mise en masses affectĂ©es, prend une valeur Ă©conomique en fonction des dĂ©sirs qu'en ont ses utilisateurs et ses acheteurs, devient disponible hors du temps et de l'espace dans le numĂ©rique. Cela implique une interrĂ©gulation spĂ©cifique.

Mais la donnĂ©e est aussi le Janus du numĂ©rique, car, nouvel or noir, pur instrument financier, par nature immatĂ©rielle, la donnĂ©e conserve pourtant la trace des personnes. Elle la conserve, la met en exergue et en danger. Le Droit peut alors Ă©tablir de force une indissociabilitĂ© entre la donnĂ©e et son sous-jacent, pour protĂ©ger celui-ci, notamment s'il s'agit d'une personne, ou pour atteindre celui qui utilise l'information.  Cette double-face de la donnĂ©e entraĂ®ne des chocs de rĂ©gulations dans Internet. Le cas Safe Harbor l'illustre.

En outre, tout Internet ramène vers l'internaute, dans lequel l'on verrait volontiers "Le Grand Interrégulateur". Mais est-ce si adéquat, légitime et efficace ? Le "consentement," auquel renvoie l'interrégulation assurée par l'internaute lui-même, fait naître le doute. En revanche, sous le vocable déplacé de "droit à l'oubli" se dissimule une arme efficace qui peut frapper ceux qui accaparent les données dans une économie numérique qui semble se constituer dans un mécanisme anté-marché, c'est-à-dire dans une régression qui pulvérise l'autorégulation marchande elle-même pour remplacer les actes juridiques d'échange par des actes juridiques conjonctifs, organisation que pour l'instant le Droit et la Régulation ont bien du mal à appréhender, faute des qualifications juridiques pour ce faire.

Le "droit à l'oubli" requalifié à travers la catégorie des actes conjonctifs serait un premier pas pour satisfaire un objectif de la régulation, assurant à la fois la protection de l'innovation et la protection des personnes, dans un futur qui doit rester toujours ouvert et que nulle puissance économique ou politique ne peut s'approprier.

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🔓lire le document de travail ci-dessous⤵️

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Message qui s'affiche le 18 juin 2016 Ă  tout ouverture de Firefox

 

L''Ă©volution d'une organisation Ă©conomique et sociale construite sur des donnĂ©es dĂ©finies comme des informations pures est radicale!footnote-447 ; l'ampleur des enjeux est en train d'ĂŞtre mesurĂ©e ;  la pauvretĂ© des solutions pour l'instant Ă©laborĂ©es pour rendre compte d'une telle rĂ©volution apparaĂ®t !footnote-446. Il en rĂ©sulte que l'on a pu dĂ©signer comme  a pu une "Ă©preuve"!footnote-450.

En effet, si l'Ă©volution est Ă  ce point radicale, alors le schĂ©ma des rĂ©gulations en ce qu'elles sont cloisonnĂ©es secteur par secteur est Ă  revoir, comme l'est la distinction entre rĂ©gulation Ă©conomique et rĂ©gulation des libertĂ©s publiques!footnote-331. Il faut donc mesurer les consĂ©quences rĂ©gulatoires d'un monde pensĂ© comme une architecture de donnĂ©es ayant pris leur autonomie par rapport Ă  leurs sources, architecture autonome mais que l'on entend encore rĂ©guler au regard de l'usage que l'on va en faire (I).  Parce qu'actuellement, l'enjeu majeur est ce que vont devenir les personnes dans ce nouvel monde qui pourrait bien fonctionner "sans personne", il convient de mesurer le rĂ´le que les "personnes concernĂ©es" pourraient ou doivent y jouer (II).

 

I. LES  CONSÉQUENCES RÉGULATOIRES DU RAPPORT ENTRE LA DONNÉE ET SON SOUS-JACENT

Le droit est tout Ă  la fois un  art pratique et l'expression d'une action politique. Il doit tout Ă  la fois "prendre le monde comme il est" et nĂ©anmoins encore prĂ©tendre le dessiner car le droit est ce par quoi s'exerce l'action politique. Le Droit de la RĂ©gulation exprime ces deux faces. Ainsi le Droit de la RĂ©gulation doit prendre acte que les donnĂ©es se sont dĂ©tachĂ©es des objets sur lesquels elles portent. Mais parce que le Droit de la RĂ©gulation est un droit tĂ©lĂ©ologique, il doit se reconstruire Ă  partir des finalitĂ©s poursuivies, celles imposĂ©es Ă  ceux qui rĂ©coltent les donnĂ©es mais aussi celles que poursuivent les États et les RĂ©gulateurs.  Il convient donc de reconnaĂ®tre que la "donnĂ©e" est une information dont l'objet sur lequel elle porte n'est que la source et dont elle est autonome (A). Le lien dont la RĂ©gulation doit avoir souci est celui qui existe entre la donnĂ©e, qui, mĂŞme dans le monde "rĂ©el", est toujours virtuelle, et l'usage qui peut en ĂŞtre potentiellement fait (B). C'est pourquoi, dans cet univers de virtualitĂ© et de potentialitĂ©, c'est vers l'interrĂ©gulation et vers une rĂ©gulation de l'interconnexion qu'il faut tendre (C).

 

A. LA DONNÉE, INFORMATION AUTONOME DE L'OBJET SUR LEQUEL ELLE PORTE

Nous sommes dans une double transformation : celle qui mène vers une économie de l'information et celle qui mène vers une économie de l'accès. Les deux mouvements sont pavés de données. En effet, c'est par les données, notamment des données à caractère personnel, que les entreprises affinent l'accès. La notion de "données personnelles" n'est d'ailleurs plus à limiter à la notion de personnes physiques!footnote-209.

Par exemple la comptabilité est un ensemble de données paradoxalement détaché de l'entreprise!footnote-210. Mais il convient de généraliser le propos. Si l'on pose que les informations sur les réalités sont des objets existant indépendamment de celles-ci, non seulement cela restitue mieux le monde économique dans lequel nous vivons désormais (1), mais encore cela élimine un certain nombre de discussions aussi difficiles qu'inutiles (2).

 

1. La réalité des données, objets économiques virtuels autonomes des réalités sur lesquelles ils portent

En effet et en premier lieu , la finance peut elle-mĂŞme se dĂ©finir comme une information sur l'Ă©tat du monde, information devenue autonome de celui-ci. Par exemple, une action est un titre qui est chargĂ© des informations sur la sociĂ©tĂ© dont l'actionnaire est le crĂ©ancier tandis que l'option est un instrument financier qui anticipe l'Ă©tat futur du monde, mais dans le mĂŞme temps ce sont des titres qui sont dĂ©tachĂ©s de leur sous-jacent. Ainsi, le titre est dĂ©tachĂ© en premier lieu du rapport de crĂ©ance entre  le titulaire du titre et la sociĂ©tĂ©, de la mĂŞme façon qu'il est dĂ©tachĂ© en second lieu de l'Ă©tat futur du monde. Cette autonomie leur permet de circuler sur des marchĂ©s qui leur sont propres : marchĂ©s des actions, marchĂ©s des obligations, marchĂ©s des options, etc. Le monde (la sociĂ©tĂ© commerciale, l'Ă©tat futur du marchĂ©) n'est donc pas l'objet de l'information, mais la simple source de la donnĂ©e, qui une fois nĂ©e circule d'une façon autonome. Les produits financiers appelĂ©s littĂ©ralement "produits dĂ©rivĂ©s" sont exemplaires de cela. Cette dĂ©connexion est certes source de risques, mais c'est un fait.

Si la finance a pris effectivement son autonomie par rapport au monde qu'elle ne se contente pas de traduire, alors mĂŞme que le fonctionnement de l'industrie financière a un impact considĂ©rable sur celui-ci, les consĂ©quences rĂ©gulatoires sont considĂ©rable : en effet, si par un effet boomerang le monde est rĂ©duit Ă  ĂŞtre un "amas de donnĂ©es financières", alors le monde doit ĂŞtre rĂ©gulĂ© par le rĂ©gulateur financier. C'est sans doute la reprĂ©sentation du monde qu'ont eu les commanditaires du rapport demandĂ© au  prĂ©sident de l'AutoritĂ© des marchĂ©s financiers Ă  propos de la rĂ©gulation des produits agricoles : puisque le monde agricole est happĂ© par la finance, la seule façon de le rĂ©guler est d'en confier la rĂ©gulation au rĂ©gulateur financier!footnote-287.

En second lieu, l'autonomie de l'information par rapport à son objet concerne la personne elle-même. En effet, l'information sur la personne n'est pas qu'un "reflet" de celle-ci : elle est un découpage de celle-ci. Par exemple un goût alimentaire ou vestimentaire ou une façon de passer son temps libre est un découpage de la personne. D'une façon fine, il a été montré que l'information la plus importante que produit la personne à partir d'elle-même consiste dans "l'attention" qu'elle porte à telle ou telle chose, information précieuse pour l'entreprise qui vend cette chose et tout ce qui y est corrélé ou analogue. Se constitue ainsi les marchés numérique de "l'attention"!footnote-359. Le fait qu'une personne aime boire de l'alcool par exemple ne la restitue pas en son entier, ou le fait qu'elle ait fait des études au Royaume-Uni ne la donne pas à voir en elle-même. L'information est toujours parcellaire. Ce qui va changer par Internet et plus particulièrement par la puissance informatique qui en est le socle technique, c'est le traitement de cette information. Par la compréhension d'une personne, l'entreprise ou l’État obtiendra la compréhension des personnes proches d'elle, semblables à elle, analogues à elle, connectées à elle, passera de goût en goût, dressera des cartographies des "attentions", dessinera le futur!footnote-385. Les "fiches S" ne sont pas autre chose.

Ainsi, l'information devient autonome et prend de la valeur indépendamment de la personne à propos de laquelle elle a été forgée. La personne n'en est que la "source". L'expression de "méta-donnée" renvoie à ce travail de forge qui construit ces éléments autonomes et épars pour donner de la pertinence. La constitution de fichiers, par nature ciblés, par nature construit pour servir un but, n'est pas nouveau. Mais le changement produit par Internet devient qualitatif en ce que c'est la personne elle-même qui se livre donnée par donnée à tous les exploitants qui le désirent, n'ayant pas l'impression que les livres de chair qu'on lui demande lui coûtent, puisqu'elle a l'impression de demeurer intacte en n'ayant donné qu'une "information", ne mesurant pas qu'elle se livre ainsi elle-même.

Ainsi, si l'on cherche Ă  qualifier plus exactement le rapport entre la rĂ©alitĂ© et la donnĂ©e, par exemple lĂ  oĂą habite une personne d'une part et son adresse postale, d'autre part,  la première n'est pas l'objet de la seconde : la rĂ©alitĂ© est la source de la construction d'une information qui est "l'adresse" , laquelle va constituer une "valeur". A ce titre, le fait qu'il s'agisse d'une adresse portant sur une rue ou bien  qu'il s'agisse d'un courriel est indiffĂ©rent.  Cette mĂŞme  valeur pourra dans un second temps ĂŞtre utilisĂ©e Ă  de multiples fins : permettre l'envoi de document pour scolariser les enfants, envoyer des publicitĂ©s ciblĂ©es, comprendre des rassemblements potentiels de personnes, anticiper les dangers potentiels de ces rassemblements potentiels, etc. Tout est construction, Ă  partir d’une adresse, qui n’est pas l’objet, mais la source.

Pour formuler mieux ces qualifications, le rapport pertinent doit être établi entre une "réalité-source" (qui est tangible) et une "information-valeur" (qui est virtuelle, car toute information est virtuelle). Cette valeur se concrétise par l'usage qui en est fait : en détenant une adresse, on peut opérer l'envoi de la police!footnote-324, l'envoi d'une publicité, l'envoi d'une convocation, etc. Cette valeur est potentielle car à l'instant où l'adresse est insérée dans une liste, tous ces usages sont possibles. Or, la valeur accordée aux potentialités constitue aussi le principe de fonctionnement des marchés financiers, autre marque de l'analogie entre Internet et la finance!footnote-360.

Ainsi, ce qui va affecter l'information et déclencher la réaction du Droit, c'est l'usage qui en est potentiellement fait, ce n'est pas la nature de sa source!footnote-211.

 

2. L'absence d'influence de la nature de la réalité-source sur laquelle porte l'information-valeur

Pourtant, dans le droit classique, il est usuel d'affirmer qu'en transparence le statut de la chose se retrouve dans l’information sur la chose. Par exemple, s’il s’agit d’une information portant sur un Ă©vĂ©nement de la vie d'une personne, l'on considère qu'elle en est "titulaire" et que les tiers ne peuvent en disposer sans son accord, tandis qu'Ă  l'inverse s'il  s’agit d’une adresse postale ou d’une date de naissance, il s’agit d’un fait qui produit une donnĂ©e que l’on considĂ©rera comme une « donnĂ©e publique Â». La distinction dont on admet pourtant la fragilitĂ© entre le privĂ© et le public est encore Ă  l'oeuvre!footnote-212.

Des centaines d’études ont cherchĂ© Ă  dĂ©terminer le statut juridique des « donnĂ©es publiques Â» et ont conclu qu’il ne pouvait y avoir d’appropriation des « donnĂ©es publiques Â», qu’il devait y avoir libre accès, absence de rĂ©munĂ©ration, absence de contrĂ´le et de protection, etc.  Est-ce tout Ă  fait soutenable ? En revanche, s’il s’agit d’un objet privĂ© (ma maison que l’on photographie, mon article que l’on reproduit), alors si on Ă©met une information Ă  son propos qui ne se distingue pas du simple picorage que constitue le « droit de citation Â»,  qui n'est pas une construction nouvelle Ă  partir de ma propre donnĂ©e, alors celui qui a profitĂ© de l’information dĂ©pendra du premier titulaire. La chaĂ®ne de la connaissance, laquelle est pourtant un bien public, est brisĂ©e.

Nous payons très cher une distinction artificielle entre ce qui seraient des données "publiques" et ce qui seraient des données "privées". Si on regarde vers le passé, le contentieux autour des bases d'information de jurisprudence en est la trace. Si on regarde vers l'avenir, la difficulté à construire un instrument rassemblant l'information sur les propriétés privées, ce qui constitue un bien public, en est un autre exemple.

Il est pourtant essentiel que l'on pense l'enjeu économique et social que constitue cette valeur en se dispensant de qualifier la donnée de "privée" ou de "publique", car l'information est un bien commun dont la source est souvent un phénomène privé et cela n'est pas pertinent de garder cette distinction propre à la source pour manier l'information elle-même. Ainsi, le jour où l'on se dispense de cette distinction l'on pourra concevoir un cadastre numérique efficace, bien commun, à partir des informations privées apportées directement par ceux qui y ont intérêt, c'est-à-dire les propriétaires.

Pour l'instant, les règles  reposent sur l'idĂ©e que la nature de la source de la donnĂ©e contamine la donnĂ©e : l'information sur une adresse postale est une information publique, l'information sur un repas de famille est une information privĂ©e. Or, dans l'Ă©conomie de l'information, les deux donnĂ©es sont de mĂŞme nature. On le comprend plus nettement Ă  partir d'exemples plus nets encore : l'Ă©tat civil est un document public, mais l'âge est devenue une information Ă  caractère privĂ©. Le nom et le prĂ©nom sont des donnĂ©es publiques mais la pratique religieuse sur laquelle de fait ils renseignent sont des informations privĂ©es!footnote-386. Comment qualifier l'information Ă  partir de sa source, dès l'instant qu'il est aisĂ© de connaĂ®tre l'âge d'une personne en connaissant sa date de naissance ? L'information en elle-mĂŞme est neutre, la seule chose qui compte sera l'usage potentiel qui en sera fait. Pour prendre un autre exemple encore, le patrimoine relève de la vie privĂ©e mais les dĂ©clarations fiscales sont des documents publics. L'information est donc neutre, sauf Ă  contrĂ´ler l'usage nocif qui peut en ĂŞtre fait. L'exemple rĂ©cent de la demande par l'administration fiscale allemande de communication des certificats de baptĂŞme des français rĂ©sidant actuellement en Allemagne!footnote-295 montre que seul l'usage, ici fiscal, permet de dĂ©terminer s'il faut ou non entraver la circulation de l'information  ou non.

En cela, Internet est un espace qui accroĂ®t cet effet de neutralisation, renvoyant comme le marchĂ© financier au modèle walrasien du "marchĂ© pur". La neutralisation rĂ©sulte de cette rupture entre la donnĂ©e et sa source, c'est-Ă -dire ce sur quoi elle porte. Ainsi, les entreprises ayant construit les moteurs de recherche rĂ©duisant  le monde Ă  un parc de donnĂ©es dont elles sont les jardiniers gracieux, insistent sur leur "neutralitĂ©" : elle signifie  qu'ils fournissent une "information sur une information", Ă  savoir l'accès Ă  une information par rapport Ă  laquelle ils entendent demeurer extĂ©rieurs. Cette prĂ©sentation Ă©laborĂ©e principalement pour Ă©loigner toute responsabilitĂ© montre aussi que dans cette Ă©conomie de l'information, il s'agit d'informations autonomes les unes des autres : l'information sur le monde rĂ©el est autonome de celui-ci et constitue une valeur autonome tandis que l'information d'accès Ă  la première information est Ă©galement autonome de celle-ci et constitue Ă©galement une valeur qui lui est autonome. LĂ  encore, Internet correspond Ă  un modèle de "marchĂ© pur", car tout y est atomisĂ©, pulvĂ©risĂ©, pour mieux ĂŞtre mis en masse.

L'écosystème numérique qui s'est construit sur la puissance informatique du web est en train de bâtir une nouvelle façon de vivre qui fond sur l'ancien monde, comme le fait la finance, elle-même intégrée dans Internet. Cette puissance est bâtie sur cette autonomie conquise par rapport à l'objet. La régulation ne peut donc prendre prise que si le Droit de la Régulation conserve ce qui fait partie de sa définition : partir des finalités. Les Régulateurs des libertés ont toujours fait ainsi. La perspective économique doit le faire également et résister en cela à cette construction d'Internet en "marché pur".

 

B. LA DONNÉE, JANUS DE LA SOCIÉTÉ VIRTUELLE

La donnĂ©e prĂ©sente deux faces. D'un cĂ´tĂ©, elle est une information pure, qui a vocation Ă  ĂŞtre toujours disponible dans le monde numĂ©rique si l'on veut que l'Ă©conomie et la sociĂ©tĂ© de l'information se construisent (1).  Cela ne peut se faire sans rĂ©gulation. De l'autre cĂ´tĂ© et dans le mĂŞme temps, le Droit peut dĂ©cider que la donnĂ©e doit rester imprĂ©gnĂ©e par la source d'oĂą elle est nĂ©e, stoppant ainsi sa neutralisation (2). C'est Ă©galement un effet de rĂ©gulation.

 

1. La régulation de la donnée pour la rendre accessible dans l'espace numérique

La "donnée" peut donc se définir comme une information pure et autonome de sa source. En cela, elle est naturellement apte à circuler, à être elle-même source d'une autre valeur, à s'agréger. Elle est un objet de marché. Elle est même l'objet de marché par excellence, correspondant à une économie mondialisée de l'information. Il en résulte une "bataille mondiale des données"!footnote-484.

C'est pourquoi les nouveaux textes de l'Union européenne, laquelle vise à la construction d'un marché intérieur, vont avoir pour but, c'est-à-dire pour objet, de faciliter la circulation des données!footnote-325. Puisque les données sont constituées d'informations, de toutes sortes d'informations sans qu'on ait à se soucier ex ante de leur source, il convient de faciliter leur circulation, la circulation étant la condition première du marché et l'Europe s'étant construite sur les trois libertés de circulation!footnote-288.

Ainsi dans une perspective économique les données doivent "circuler" pour que se constitue un marché : c'est une tautologie, puisque c'est la circulation des biens qui fait le marché. Mais le terme même de "circulation" n'est pas le plus approprié. En effet, le terme est adéquat pour un bien corporel qui "bouge". Cela est encore approprié pour les idées ou les discours qui "circulent" car ils passent de personne en personne, lesquelles sont des personnes concrètes et situées sur un territoire donnée. Mais l'espère numérique n'a pas de corporéité. A proprement parler, l'on n'y "circule" pas. Les données ne doivent pas y "circuler", elles doivent y être toujours "disponibles" où que soient par ailleurs ces trois éléments ou personnes : la source de la donnée d'une part (le paysage, la personne, la civilisation, etc.), le fabricant de la donnée (l'entreprise qui la façonne, l'adosse à d'autres, etc.) et le consommateur de la donnée (l'internaute)!footnote-305.

Ainsi, la rĂ©gulation des donnĂ©es sur Internet doit porter non pas tant sur une "circulation" mais sur une disponibilitĂ© permanente de la donnĂ©e, prĂ©cisĂ©ment comme si elle ne bougeait pas dans l'espace virtuel, alors mĂŞme que la source, le fabricant et le consommateur de la donnĂ©e ne sont pas situĂ©s au mĂŞme endroit et quant Ă  eux bougent. C’est ce qu’exprime d’une façon plus exacte le terme nouveau de « portabilitĂ© Â».  Si les trois personnes prĂ©citĂ©es peuvent concrètement bouger et avoir toujours Ă  portĂ©e la donnĂ©e, c’est que l’espace numĂ©rique est en rĂ©alitĂ© immobile et toujours accessible. N’est-il pas tant de dire de l’espace numĂ©rique l’inverse de ce qu’affirma Copernic « mais pourtant il ne bouge pas Â».

Or, de nombreuses données sont imprégnées du droit national qui les a vu naître, lorsqu'il s'agit d’œuvres de l'esprit, lesquelles sont des informations revêtues par le droit de la propriété intellectuelle et entrave la libre disponibilité du bien dès l'instant que, par exemple, son consommateur change de lieu et déclenche de ce fait l'application d'un autre régime juridique applicable à la donnée. Le droit d'auteur notamment doit se combiner avec le mécanisme de disponibilité qui exige une unification des régimes juridique car il doit y avoir neutralisation des déplacements physiques des personnes concernées pour que la virtualité des données trouve son plein effet.

La rĂ©gulation des donnĂ©es devient alors principalement la rĂ©gulation de l'accès aux donnĂ©es, ce qui dĂ©place l'objet de la rĂ©gulation, l'accès premier mais aussi ce que l'on pourrait appeler "l'accès continuĂ©", le consommateur continuant Ă  y avoir accès alors qu'il s'est dĂ©placĂ©, allant notamment dans un territoire rĂ©gi par un droit diffĂ©rent de celui oĂą il s'est connectĂ© une première fois. C'est tout l'enjeu de la portabilitĂ©, bientĂ´t transformĂ© en droit subjectif!footnote-362. Cela est classique en Droit de la rĂ©gulation, construit sur le "droit subjectif d'accès"!footnote-306.  Le droit d'accès est un principe libĂ©ral qui permet tout d'abord Ă  celui qui a permis la fabrication de la donnĂ©e de contrĂ´ler celle-ci, première mesure de la loi Informatique et libertĂ©s, permettant Ă  chacun d'avoir accès au fichier en ce qui le concerne et organisant l'information de chacun de ce droit. Mais le principe est plus central encore, ce qui explique que les plateformes et les moteurs de recherche soient Ă  la fois les "entreprises cruciales"!footnote-326 du numĂ©rique et le souci juridique premier.

En effet et d'une façon plus gĂ©nĂ©rale, l'accès aux donnĂ©es est le point central de la rĂ©gulation des donnĂ©es, lorsque celles-ci ne sont apprĂ©hendĂ©es que comme des informations pures. C'est parfois ainsi que l'on dĂ©finit la "neutralitĂ© d'Internet" ou plus exactement l"Open Internet", consacrĂ© le 26 fĂ©vrier 2014 par la Federal Communication Commission. et le prochain Règlement europĂ©en, conçu par la Commission en 2012, ayant franchi l'Ă©tape du Parlement europĂ©en en 2014 et ayant Ă©tĂ© approuvĂ© par le trilogue en dĂ©cembre 2015, pose que les donnĂ©es doivent ĂŞtre accessible Ă  tout consommateur pour que se dĂ©veloppe Ă  la fois une Ă©conomie de la connaissance et une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique. L'on cesserait donc d'opposer protection de l'individu, dĂ©veloppement du système Ă©conomique et sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique. C'est pourquoi le fonctionnement de l'État est directement concernĂ©. L'ouverture de ses "donnĂ©es" est non seulement ouverte Ă  tous, la CADA Ă©tant le prĂ©curseur de l'Open Data!footnote-363, mais c'est l’État en train d'Ă©laborer qu'il s'agit d'observer, dĂ©mocratie participative par le numĂ©rique. Ainsi, la Securities Exchanges Commission  a accru en septembre 2014 l'accès de tous au processus d'Ă©laboration normative en son sein, l'"Open Data" s'appliquant dĂ©sormais Ă  l’État en train de bouger et non plus sur ses normes achevĂ©es!footnote-327. Tout devant ĂŞtre "disponible Ă  chaque instant", les normes sont remplacĂ©es par des flux normatifs, les images sont remplacĂ©s par des films (il est ainsi usuellement affirmĂ© que la comptabilitĂ© devient un film), ces flux Ă©tant dĂ©versĂ©s dans l'espace numĂ©rique.

Mais contrairement au cinéma, les images successives et rattachées les unes aux autres par une histoire ne se détruisent pas les uns les autres au fur et à mesure qu'elle se succèdent, Internet étant un espace dans lequel les images étant des données immobiles et toujours disponibles, elles perdent le sens que leur donnait "l'histoire" pour devenir disponibles à d'autres fins!footnote-329.

Cette disponibilité pure de la donnée ne signifie pas qu'on ne doivent ou ne puisse plus protéger la source d'où est extraite l'information. Cela n'implique pas davantage que, du seul fait qu'elle soit accessible, cette donnée doive être gratuite ou que l'accès à celle-ci en tant que tel doive l'être.

Le fait que l'information d'une façon générale est un bien commun , comme l'est l'éducation ou la santé, ne justifie pas en soi que son accès soit gratuit. Les entreprises qui construisent et gèrent les réseaux sans lesquels Internet n'existerait pas contestent de ne pouvoir justifier que par des raisons techniques de gestion des congestions de flux les priorités donnés à certains internautes ayant payé des abonnements plus onéreux, contestant en outre l'assimilation du réseau qu'Internet constitue à un simple réseau téléphonique!footnote-330.

 

2. La régulation de la donnée pour la colorer par la source d'où elle est fabriquée

Retournons la médaille. La donnée peut avoir été extraite d'une source qui pouvait n'être pas disponible pour une telle extraction!footnote-289. En cela, soit la donnée abîme ce sur quoi elle porte, car celle-ci ne supporte pas d'être simple source de valeur. économique. Soit la donnée ne peut échapper à ce point à ce qui a permis sa construction. L'Union européenne a imposé le lien maintenu entre la donnée et sa source à propos des "données à caractère personnel". Comme si l'Europe réinventait le droit d'auteur, notamment un quasi-droit moral, comme modèle du pouvoir de celui qui est la source de la fortune de celui qui a fabriqué l'objet.

Le Droit ne qualifie pas clairement ce lien. L'idĂ©e est que la personne demeure encore un peu dans la donnĂ©e, parce que l'information dĂ©tachĂ©e de la personne Ă©voque encore un peu celle-ci. L'idĂ©e est que la personne demeure encore un peu « dans la donnĂ©e Â», parce que l'information dĂ©tachĂ©e de la personne Ă©voque encore un peu celle-ci, comme l’auteur d’une Ĺ“uvre demeure dans celle-ci, conception romantique que l’Europe continue d’avoir du droit d’auteur. L'expression mĂŞme de "caractère personnel" invite Ă  voir encore la personne dans la donnĂ©e. Mais Ă  lire les prĂ©sentations et commentaires des textes, il est dit que la personne est alors "comme propriĂ©taire" de la donnĂ©e. Les "comme si" ne sont jamais une bonne qualification en droit!footnote-364. Il est vrai que l'on ne sait jamais bien qualifier ces valeurs que l'individu porte d'une façon intime et pour toujours ... mais dont il se sĂ©pare (l'image), qui sont sans prix ... mais qu'il vend chaque jour, etc. La notion de "biens de la personnalitĂ©" qui fĂ»t proposĂ©e montre bien l'embarras.

Sans doute vaudrait-il mieux penser le rapport de titularité entre la donnée et sa source selon le modèle du droit d'auteur, puisqu'il en est la source, pour justifier ce lien maintien entre l'information pure et circulant sur un marché et la personne qui en fût le creuset.

Mais surtout les personnes ne sont pas les seules sources d'information dans le monde. La nouvelle summa divisio  entre les informations Ă  caractère "personnel" pour lesquelles tant de prĂ©caution sont prises et les autres, disponibles purement et simplement, est-elle si pertinente ? Des informations mĂ©ritent sans doute de n'ĂŞtre pas laissĂ©es au seul mĂ©canisme de marchĂ©, lequel pose une disponibilitĂ© de principe. Une rĂ©gulation devrait ĂŞtre plus largement conçue Ă  propos des donnĂ©es "sensibles", lesquelles ne sont pas toutes personnelles!footnote-294.

En effet, l'on s'aperçoit que si l'on ne rĂ©gule que les donnĂ©es dĂ©jĂ  rĂ©pertoriĂ©es par une rĂ©gulation sectorielle, telle l'information financière, l'information bancaire, ces rĂ©gulations rĂ©pertoriant les donnĂ©es sensibles!footnote-290, en ne visant que les "donnĂ©es Ă  caractère personnel" hors des secteurs par ailleurs rĂ©gulĂ©es, on laisse alors aux entreprises qui tiennent les espaces sur Internet le point de dĂ©terminer les donnĂ©es "sensibles".  C'est ainsi que FaceBook ou Google ont Ă©tabli des chartes posant les donnĂ©es qui ne doivent pas circuler sur l'espace numĂ©rique qu'ils maĂ®trisent. Est ainsi prohibĂ©e la nuditĂ© fĂ©minine mais non les croix gammĂ©es. Il est vrai qu'il s'agit ici d'opĂ©rateurs qui se prĂ©valent de leur neutralitĂ©!footnote-472, leur permettant d'en rester au premier stade du contrĂ´le tĂ©lĂ©ologique qu'impose la rĂ©gulation des donnĂ©es, c'est-Ă -dire des informations qui donnent Ă  voir immĂ©diatement l'usage potentiel qui en sera fait. On aimera les croire lorsqu'ils affirment que les croix gammĂ©es ne donnent pas Ă  voir l'usage contraire au Droit qui en sera fait.

En outre, des données "sensibles" mériteraient d'être régulées, c'est-à-dire de faire l'objet d'une régulation ayant à la fois pour but de les faire circuler aisément, en les rendant partout et par tous disponibles, et de mettre en équilibre de ce principe de circulation un autre principe.

Le fait qu'une donnée soit à la fois une valeur économique ayant vocation à circuler pour qu'une économie dynamique de l'information se construise et qu'en même temps un équilibre se fasse pour que des dangers potentiels attachés aux données "sensibles" soient pris en considérés, y compris en ex ante, c'est la définition même du Droit de la régulation. En effet, celui-ci est l'appareillage qui met en équilibre d'une façon dynamique le principe de concurrence et un autre principe!footnote-291.

Le fait que pour l'instant, faute d'une régulation des données sensible, ce sont les maîtres des réseaux et des plateformes qui organisent cette régulation, montre l'immaturité du système. Le fait que l'Autorité de la concurrence intervienne, pour limiter les excès de l'exercice de ce pouvoir disciplinaire, par exemple par une décision Google du 8 septembre 2015!footnote-292 imposant des obligations de transparence, c'est-à-dire agissant comme un régulateur, ce qu'une autorité de concurrence n'est pas, montre que le système doit progresser.

Pour cela, il faut penser d'une façon plus générale la façon dont les données "sensibles" sont régulées, conformément au droit de la régulation, c'est-à-dire par rapport à la concordance nécessaire entre les conséquences des comportements, des organisations ou des structures d'une part, et les finalités recherchées par la régulation d'autre part.

 

C. LA RÉGULATION DES DONNÉES  PAR L'ANÉANTISSEMENT DE LEUR NEUTRALITÉ

Il peut paraître paradoxal d'évoquer une régulation des données. En effet, les données sont des informations et en principe en démocratie on ne régule pas l'information. C'est le principe et sans doute dans une économie de l'information ne faut-il pas non plus l'oublier. La régulation des données se conçoit néanmoins, soit en considération de leur nocivité potentielle (1), soit en fonction de leur sous-jacent ou de leurs effets (2),

 

1. La régulation des données en raison de leur nocivité potentielle

Si l’on donne la prĂ©valence Ă  la notion de donnĂ©es, sans l’indiffĂ©rence de ce sur quoi elle porte, il faut alors revenir Ă  la dĂ©finition du droit de la rĂ©gulation, droit gouvernĂ© par les buts!footnote-213 et ne qualifier  une donnĂ©e disponible sur Internet  en lui associant un qualificatif pertinent (critique, sensible, etc.) que par rapport Ă  l’usage potentiel. 

En effet, le Droit de la Régulation est un droit pragmatique, qui pose des principes directeurs concrets. Il consiste à confronter les buts qu'il a lui-même fixés - c'est en cela qu'il est éminemment politique - et les résultats des comportements, organisations ou structures que des Autorités observent en permanence!footnote-365, pour qu'il y ait coïncidence. Parce que Droit de la Régulation exprime un ordre public!footnote-214, si une telle coïncidence n'est pas observée, le Droit intervient pour interdire, pour obliger, pour prescrire, car c'est le but poursuivi par le Droit, parce que le Politique l'aurait démocratiquement posé, qui doit l'emporter sur le résultat qui adviendrait normalement par le seul jeu des forces économiques.

C'est ainsi que la Régulation de la puissance liée à la constitution et à la détention des fichiers a été conçue et cette méthode n'a pas varié.

Les premiers cas de figure sont simples. C'est le cas oĂą une personne prend des informations sur une autre pour savoir s'il est un homme ou une femme. Par exemple parce qu'il s'agit d'un formulaire d'Ă©tat civil. On estime d'ordinaire que la personne qui fait la dĂ©claration a une obligation de dĂ©claration exacte et  qu'il s'agit d'une "donnĂ©e publique". Il peut s'agir aussi  d'un site de rencontre sur internet  oĂą Il faut "renseigner" la case!footnote-366.  Parce que le but n'est plus pour l’État de connaĂ®tre sa population!footnote-217 mais plutĂ´t de faire une rencontre adĂ©quate, l'on va estimer que la personne communique une donnĂ©e personnelle et recherche une personne qui lui correspondre (du mĂŞme "genre" ou non). Il peut encore s'agir d'une donnĂ©e qui sera exploitĂ©e par un tiers comme un Ă©lĂ©ment parmi d'autres de persĂ©cution, en lien avec l'orientation sexuelle. 

Les décisions en matière de données à caractère personnelle sont toujours construites sur le même raisonnement, à savoir le contrôle de l'intérêt légitime de l'usage, même potentiel de l'organisation même potentielle des données entre elles. C'est la dangerosité de la construction qui est appréciée, l'information étant la première des armes. L'on peut prendre le cas examiné par l'arrêt du Conseil d'État du 19 juillet 2010!footnote-293SNES, par lequel le Conseil d'État exige une justification précise de "l'intérêt légitime" d'un fichier nominatif de tous les enseignants par le Ministère de l'éducation nationale.

L'on peut ainsi considérer qu'il y a trois hypothèses :

La première hypothèse correspond à celle dans laquelle la donnée est en elle-même empoisonnée, substantiellement nocive lorsqu'elle est dans les mains d'un tiers et ne peut être extraite de sa source dont elle est indétachable. Le Droit vise ici l'idée d' "intimité de la vie privée", notion qui dessine un cercle autour de la personne, marquant que ces informations ne peuvent être détenues en secret, manipulées et diffusées par des tiers, car en touchant ces informations, le tiers heurte la personne elle-même, dans sa liberté ou dans sa dignité. C'est le droit civil à travers sa protection des "droits de la personnalité"!footnote-369 et le droit public dans sa protection des "libertés publiques" qui assurent cette fonction. La fluidité numérique rend certes cette tâche plus ardue mais le droit classique est déjà en place et continue de s'adapter!footnote-368 pour y parvenir.

La deuxième hypothèse correspond à celle dans laquelle la donnée présume un usage nocif pour la source d'où elle est extraite, mais c'est une présomption simple. La personne qui procède à l'extraction ou qui en bénéfice peut échapper à la prohibition en démontrant "l'intérêt légitime" de ce qu'elle fait. Parce qu'il s'agit d'une régulation, la démonstration doit être faite en ex ante, par exemple auprès de l'administration ou d'un régulateur. C'est le cas où il y a constitution de fichiers contenant des informations sur la personnes qui ne concernent pas l'intimité de sa vie privée.

La troisième hypothèse correspond à celle dans laquelle la donnée ne présume pas un usage nocif mais qu'il est possible de montrer, avant ou après sa réalisation un usage abusif. Elle ne justifie qu'une intervention ex post. Plus le système politique et le système économique seront libéraux et plus la Régulation adoptée sera de ce troisième type. L'on peut considérer que le cas Safe Habor dans lequel les États-Unis et l'Europe se sont affrontés révèlent en cela une différence culturelle profonde, les États-Unis préférant un contrôle simplement Ex Post à l'initiative de juridictions, les Européens préférant une sécurité Ex Ante. Il en a résulté le coup d'arrêt de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 6 octobre 2015!footnote-372, et l'appel immédiat des autorités politiques à un nouveau dispositif international.

Cela montre d'une façon plus gĂ©nĂ©rale que la rĂ©gulation va intervenir non plus pour permettre Ă  celui qui a Ă©tĂ© la source de la donnĂ©e d'avoir encore son mot Ă  dire lors d'une circulation encouragĂ©e de celle-ci mais, autre mode classique du droit de la rĂ©gulation - en cela contraire au droit de la concurrence -, de "colorer" la donnĂ©e en fonction de son sous-jacent ou de son effet sur le secteur ou sur la sociĂ©tĂ©. 

 

2. La régulation des données colorées par leur sous-jacent ou par leur effet

Le droit de la concurrence neutralise les objets, ce qui les rend Ă©changeables et facilite  la « circulation Â» - c’est-Ă -dire leur disponibilitĂ© en tous lieux que soit la personne concernĂ©e, tandis que le droit de la rĂ©gulation concrĂ©tise les objets.  Cette « reconcrĂ©tisation Â» peut ĂŞtre dĂ©signĂ©e comme la « revanche du sous-jacent Â»..

C'est certainement le cas lorsqu'il s'agit des personnes physiques : c'est alors le terme même de "sous-jacent" qui doit être ici récusé. C'est en effet un tropisme économique qui réduit la personne à n'être que la source des richesses que sont les informations fragmentées la concernant, lesquelles ne prenant de valeur qu'ajustées à d'autres, alors que la "personne" est une invention juridique posée sur chaque être humain pour que tout à la fois il soit incommensurable aux autres et parfaitement égal en droit à tous les autres êtres humains!footnote-373.

En effet, il a été rappelé que la "donnée" n'est jamais qu'une information. Or, le statut de l'information est incertain, en droit comme dans les autres disciplines. A la fois Catala a montré en premier que l'information est l'objet d'une "propriété" : nous sommes propriétaires des informations que nous produisons!footnote-299. Mais il a été montré dans le même temps que l'information est un système général car une information particulière ne "vaut rien" sans référence à un système général dans lequel elle se place et qui lui donne un sens. Par exemple une information comptable ou financière particulière n'a de valeur qu'insérée dans un système comptable et financière qui n'appartient pas l'émetteur, sans même évoquer la langue dans laquelle est exprimée l'information, ou les couleurs utilisées par l'image qui sont "communes". Ainsi, l'information est aussi un bien commun, inappropriable.

L'information particulière n'existe qu'en tant qu'elle est reliée à une source (par exemple une entreprise, une personne, un lieu, une époque, etc.) et qu'elle appartient à un système qui permet son maniement et lui ôte dans certains cas sa neutralité, si le Droit en décide ainsi.

Tout l'enjeu politique et régulatoire est dans ce "si en décide ainsi".

En effet, si l'information a pour objet ou pour effet d'informer le public, et que le Droit décide que l'information du public est à propos de cela un objectif essentiel dans un système démocratique (parce que la personne concernée est une "personne publique", par exemple), alors la neutralité de la donnée est anéantie par ce critère politique intégré par le Droit : en tant que la donnée alimente le débat démocratique, elle sera protégée, puisqu'une nouvelle qualification juridique lui est imputée. La donnée devient un élément de l'information du public, voire du pluralisme politique. Dans un tel cas, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) aura compétence, puisqu'il est en charge du pluralisme politique dans le secteur audiovisuel, tandis que la Cour européenne des droits de l'Homme interférera puisque le fondement politique de la liberté d'expression sera activée.

Si l'on rattache la donnĂ©e non plus Ă  son effet mais Ă  sa source, en constatant qu'elle est le rĂ©sultat d'une extraction de ce qu'est la personne d'une façon consubstantielle - ce que le Droit exprime Ă  travers la notion Ă©troite d' "intimitĂ©", le Droit peut refuser la prise d'autonomie totale de la donnĂ©e par rapport Ă  la personne qui en est la source. C'est le cas pour les "donnĂ©es Ă  caractère personnel". Il faudra alors faire la balance entre les deux apprĂ©hensions : c'est pourquoi les textes communautaires qui limitent l’apprĂ©hendions par les tiers des donnĂ©es Ă  caractères personnels desserrent l'Ă©tau lorsque l'information dĂ©mocratique est en jeu. Mais pourquoi s'arrĂŞter Ă  cet cas-lĂ  du lien entre une donnĂ©e et une personne, car les donnĂ©es devant perdre leur "neutralitĂ©" ne se limitent au cas des donnĂ©es "personnelles"  ?

Le Droit peut rétablir un lien entre la donnée et sa source même si la donnée n'a pas de "caractère personnelle". Pour prendre un exemple, un contentieux est né à propos de la comptabilité d'une entreprise. Une entreprise a agi en justice contre son expert-comptable pour la façon dont celui-ci a émis des données comptables reproduisant un état de l'entreprise que celle-ci estime dolosif. Pourquoi pas ? Cela montre que la personne morale est bien la source de données dont l'auteur est un tiers qui est apte à répondre de l'émission d'informations autonomes dont la discordance avec la source peut engager sa responsabilité non seulement à l'égard des investisseurs par rapport auxquels il est un "tiers de confiance" et un axillaire du Régulateur, mais encore par rapport à l'entreprise dont il parle.

De la même façon, dans un espace numérique pensé comme "libertaire" les données sont créées indépendamment de leurs sources, c'est-à-dire ce que l'on appelle usuellement l'objet sur lequel porte l'information!footnote-303. Mais lorsqu'il y a discordance entre la donnée et sa source, ce n'est pas au titre d'un droit de propriété que celui sur lequel porte l'information (car on n'est pas "propriétaire de sa vie privée")!footnote-375 mais d'un lien perdurant d'une façon minimale entre la donnée et sa source, opposable à celui qui construit l'objet économique qu'est la donnée.

En effet, le "sous-jacent" peut n'ĂŞtre pas rĂ©duit Ă  l'Ă©tat de "source inerte" de la donnĂ©e. Ainsi,  lorsqu'une plateforme financière dĂ©veloppe des produits dĂ©rivĂ©s sur des produits agricoles, l'interrĂ©gulation peut consister Ă  donner une mission Ă  l'autoritĂ© financière qui prĂ©serverait la fonction du secteur agricole qui consiste Ă  nourrir les populations, en contrant  la "spĂ©culation excessive sur les matières premières agricoles"!footnote-315, ce qui est une façon pour un rĂ©gulateur d'un secteur (le secteur financier) de prendre en considĂ©ration la spĂ©cificitĂ© d'un autre secteur (agro-alimentaire), force d'interrĂ©gulation. La considĂ©ration du sous-jacent peut ĂŞtre plus impĂ©rieuse lorsque c'est le sous-jacent qui va impliquer le type de rĂ©gulation, en neutralisant la forme technique que cela prend y compris par le dĂ©ploiement numĂ©rique.  Il n'y a pas d'effet de nature, il s'agit d'un choix politique. Ainsi, en matière de santĂ© connectĂ©e, en dĂ©cidant que celle-ci relève d'une rĂ©gulation de la santĂ© publique, les logiciels Ă©tant alors pour la force de la qualification juridique considĂ©rĂ©s comme des "produits de santĂ©" relevant de ce fait des autoritĂ©s de rĂ©gulation sanitaire, les États-Unis ont fait un choix politique!footnote-376.

 

C. LA RÉGULATION DES MISES EN CONNEXION DES DONNÉES

Le Conseil d’État dans son arrêt du 19 juillet 2010!footnote-296 pose que l'interconnexion est en elle-même une donnée, laquelle peut mettre en danger de personnes, dès l'instant qu'elle ne correspond pas à un intérêt légitime dont peut se prévaloir celui qui la fabrique.

Il convient d'approuver une telle perspective car la régulation des données c'est avant tout la régulation de l'interconnexion des données.

L'interconnexion des données s'opère aujourd'hui principalement de deux façons, par les objets et par les sous-espaces sur Internet, que sont principalement les plateformes. L'on ne peut donc concevoir de régulation d'Internet sans interrégulation.

 

1. L'interrégulation par contraction, à travers des objets dans lesquels convergent les données

Ce que l'on désigne désormais comme les "objets connectées" sont des objets matériels qui sont les supports physiques des messages, prestations et informations pertinentes qui permettent, pour reprendre l'expression de Michel Serres, à l'individu de tenir le monde dans sa main. Plus encore, par ces objets connectés, il tient le monde à sa main, achevant ainsi le fantasme de la consommation, les compétences et les disponibilités convergeant vers lui, sa propre mobilité n'étant plus un obstacle du fait de la disponibilité permanente des informations sur le numérique, regroupées, reconstruites et transmises selon une finalité qui est l'objet de la prestation d'ensemble : par exemple la santé.

La réglementation de l'objet connecté correspond bien à la définition du Droit de la régulation pensé par les finalités seule mais ferme exigence d'une coïncidence ou au minimum d'une non-contradiction entre la finalité offerte par l'entreprise qui propose le faisceau de prestation sur l'objet connecté et la finalité recherchée ou sauvegardée par le Régulateur!footnote-343.

La Régulation peut alors se faire par "contraction", c'est-à-dire qu'au lieu de faire converger les régulations spécifiques de tel ou tel type d'informations qui confluent par l'objet connecté, l'un la régulation médicale, l'autre la régulation des données à caractère personnel, l'autre la régulation de la profession libérale, l'autre la régulation de sécurité nationale, etc., il faut mais il suffit de réguler l'objet connecté lui-même, puisqu'il a été fabriqué pour que tout converge en lui.

De la même façon que la Régulation a toujours eu pour objet et pour effet de lutter contre la neutralisation de la vie par l'économie, ici la Régulation redonne de la corporéité aux règles en se détournant des données elles-mêmes, qui sont par nature immatérielle, pour se saisir de l'objet connecté, qui est lui par nature matériel.

La Régulation prendra alors pour objet une mise en norme des objets eux-mêmes, l'imposition de normes techniques homogènes et émises ou admises par le Régulateur, etc.

S'il en est ainsi, l'interrégulation se fait par "contraction", du fait de l'objet physique qu'est principalement le téléphone portable. C'est alors à première vue le Régulateur des communications électroniques qui a vocation à exprimer cette interrégulation.L'on en reviendrait aux premiers temps de la Régulation, ce que l'on pourrait appeler le "temps des ingénieurs" où chaque objet corporel technique (le train, le téléphone, etc.) appelle une régulation propre, façonnerait la régulation. Ainsi, paradoxalement, le numérique, royaume de l'immatériel, du fait que la convergence dans un objet à corporéité qu'est le téléphone portable, déclencherait un retour en arrière dans la conception de la Régulation, l'offrant au Régulateur du téléphone, puisque désormais "tout est dans notre téléphone", y compris donc la Régulation de tout.

Pourtant lorsqu'on observe l'interrégulation la plus avancée, à savoir la e-santé aux États-Unis, l'évolution a été différente. Plutôt que de confier cette régulation à la Federal Communication Commission (FCC), le Législateur fédéral a choisi de convier cette régulation aux Régulateurs de la santé. Pour cela, il a fallu mais il a suffit de qualifier les logiciels qui permettent les connections de "produit de santé". On mesure ici à quel point la souplesse de la technique juridique de qualification peut servir des choix politiques. De la même façon, il ne semble pas que le Régulateur des communications électroniques ait vocation à réguler les activités bancaires et financières. Si les entreprises de téléphonie elles-mêmes se mettent à se déployer sur des activités régulés, par exemple bancaires!footnote-378, cela n'est pas forcément une raison pour concentrer la Régulation elle-même, car l'objet connecté n'est lui-même que le moyen d'accès à un "espace de convergence de données", lequel mérite seul un mécanisme d'interrégulation.

 

2. L'interrégulation des espaces clos de convergence des données sur Internet

Au regard de la régulation, Internet est un espace très nouveau, notamment pour deux raisons. Il est à la fois moins que le marché et plus que le marché.

Il est "moins que le marché", non pas parce qu'il serait gratuit, car le gratuit est un faux-semblant sur Internet!footnote-308, les internautes apportant précisant leurs "données" en échange de la satisfaction de leur désir, ce qui est la forme classique de l'échange intéressé, lequel est la marque de l'économie. Mais le marché libéral est "autorégulé" en ce qu'il met en masse les offres et les demandes, ce qui produit un équilibre et génère un prix admissible, les agents économiques à l'instant suivant prenant le prix de marché et choisissant les prestations disponibles. C'est donc la mécanique du marché qui fixe les prix, qui assure l'information et fait circuler les produits, etc. Ainsi, le marché est l'intermédiateur (certes "invisible") entre les parties, glissé dans toutes les opérations des marchés ordinaires de biens et services. Lorsque les marchés sont régulés, ils cessent d'être autorégulés, d'être régulés de cette manière invisible!footnote-473 et automatique : les régulateurs apparaissent et un appareillage, notamment sous la forme d'une réglementation ex ante , vient pour organiser les opérations.

L'espace d'Internet est "moins que le marchĂ©" parce que ce mĂ©canisme d'autorĂ©gulation peut en ĂŞtre Ă©jectĂ©. Par une fusion entre les offreurs et les demandeurs et le mĂ©canisme de ce qui est dĂ©signĂ© comme "l'Ă©conomie coopĂ©rative", les agents se dispensent du coĂ»t du marchĂ©, les deux acteurs intĂ©ressĂ©s Ă©changeant directement deux services (une information contre une information, comme peut l'ĂŞtre l'Ă©change d'une donnĂ©e personnelle contre une voie d'accès Ă  des sites, par exemple) ou convergeant vers une utilitĂ© commune (covoiturage, par exemple).  Le prix, qui n'est lui-mĂŞme qu'une information, n'est plus alors nĂ©cessaire, puisque la neutralisation par le marchĂ© n'est plus requise, l'Ă©change se faisant directement. Le fonctionnement est efficace par son archaĂŻsme mĂŞme, puisque la mise en masse des transactions est obtenue sans avoir recouru Ă  la neutralisation des termes des Ă©changes. Il s'agit donc d'une Ă©conomie antĂ©-marchĂ©, face Ă  laquelle le droit de la concurrence, qui postule l'idĂ©e de marchĂ©, est pris au dĂ©pourvu, a pensĂ©e magique Ă©tant Ă  l’œuvre, notamment la conception des machines comme nouveaux tiers de confiance (par exemple dans le mĂ©canisme des blockchains).

Ainsi, comment interpréter la condamnation d'Uber pop ? En effet, une des victimes d'un tel système qui tient sa performance dans le fait qu'il est "moins que le marché" est l'État. Dans la mesure où il y a transfert d'argent, il y a prélèvement par l'État au profit du groupe social. Une régression par l'échange brut entre des lapins et des carpes permet de priver l'État de sa part et à travers sa fonction redistributive, le groupe social. Les tenants de la Corporate social responsability ne change rien à ce constat, un agent économique ordinaire contribuant au bien collectif en payant ses impôts et non pas en menant telle ou telle action sociétale qui lui agrée!footnote-309.

Par ailleurs, les comportements "coopĂ©ratifs" consistent Ă  s'Ă©duquer entre soi, Ă  s'hĂ©berger entre soi sans se soumettre aux normes de sĂ©curitĂ©, etc., sont des comportements infra-marchĂ©s qui sont des comportements nĂ©anmoins Ă©conomiques, intĂ©ressĂ©s et organisĂ©s Ă  grande Ă©chelle par le biais des plateformes. En effet, les  personnes qui Ă©changent leurs appartements ou voyagent ensemble ne sont pas liĂ©s par des liens affectifs mais sont unis par une fonction d'utilitĂ© communs et maximalisent leur intĂ©rĂŞt particulier respectif, ce qui fait un "intĂ©rĂŞt commun" au sens de l'article 1832 du Code civil!footnote-310 . DĂ©sormais, les contrats-Ă©changes font place aux actes conjonctifs!footnote-311 qui quittent la seule catĂ©gorie des contrats-organisation pour se dĂ©velopper sur les espaces d'Ă©change.

Mais ces actes conjonctifs qui s'opèrent dans des espaces qui sont "moins que le marché" ne sont techniquement possibles que par l'existence technique des plateforme : il faut bien qu'existent des espaces de convergence pour que ces actes conjonctifs remplaçant par leur archaïsme ingénieux s'opèrent. La régulation des plateformes est un sujet à part entière. On peut l'aborder de plusieurs façon, soit en proposant de développer des exigences directement sur les algorithmes qui permettent au gestionnaire des plateformes de les faire fonctionner!footnote-312 ou bien proposer de réguler ces entreprises "cruciales"!footnote-313, ou bien les insérer dans un dispositif mondial de protection des effets potentiellement nocifs de la disponibilité des données, ce qu'a fait la CJUE par son arrêt du 6 octobre 2015!footnote-379.

 

 

III. LE RÔLE DE LA PERSONNE « CONCERNÉE »

 

Les activitĂ©s numĂ©riques tendent Ă  rĂ©ifier les personnes, puisque celles-ci sont dĂ©coupĂ©es en donnĂ©es consommĂ©es par d'autres, dans une nouvelle forme de la « personne-objet Â»!footnote-307, ainsi pulvĂ©risĂ©e. Elle l’est encore en tant qu’Internet la promène en consommateur d’informations, « machine dĂ©sirante »!footnote-297 adĂ©quate Ă  un pur comportement marchand Ă  la fois individuel et rĂ©pĂ©tĂ© Ă  l’identique, Ă  travers notamment les « clics » et les « like" .  Elle l’est finalement en ce qu’elle produit elle-mĂŞme des informations sur elle-mĂŞme et sur autrui. L'Ă©conomie numĂ©rique est avant tout cannibale, les recherches sur les moteurs de recherche portant avant tout sur soi-mĂŞme.

Dans le même temps, Internet redonne à la personne la liberté qu’elle lui prend, prolongeant en cela l'économie de l'information dans laquelle la personne qui consomme de l'information participe à la production de celle-ci et à l'accroissement du bien public global que l'information constitue!footnote-314. L'attention que la personne peut porter à une information devient elle-même un objet marchand mais constitue aussi un bien public, à tel point que l'on a pu évoquer la constitution dans "l'ère numérique" d'une "cité attentionnelle"!footnote-345.

Pour que  la personne maĂ®trise la donnĂ©e qui s'est dĂ©tachĂ©e d'elle, la solution rĂ©gulatoire du système consiste Ă  l'instituer rĂ©gulateur Ă  travers la technique du consentement. Cette conception très libĂ©rale paraĂ®t pourtant illusoire, voire perverse (A). En revanche, ce qu'il est prĂ©sentĂ© par rhĂ©torique comme un "droit Ă  l'oubli" est un maniement du temps, marque de la rĂ©gulation, qui justifie une prise en charge de cette fonction par un organe plus appropriĂ© que l'internaute (B).

 

A. LA RÉGULATION  ILLUSOIRE, VOIRE PERVERSE, PAR LE CONSENTEMENT 

On affirme souvent que la solution est trouvĂ©e : dans cette aire de libertĂ© que constitue le numĂ©rique, c'est l'individu qui va crĂ©er par son seul consentement les Ă©quilibres (1).  Mais cette rĂ©gulation par la puissance du consentement de l'Internaute est illusoire, voire perverse (2). Ce n'est pas dire que l'Internaute n'ait aucun rĂ´le Ă  jouer car il peut venir en soutien des RĂ©gulateurs, des juges et des LĂ©gislateurs (3).

 

1.  La  personne Ă©rigĂ©e en "Grand InterrĂ©gulateur" par la puissance de son consentement

Intervient ici l'articulation entre l'informatique et le numĂ©rique. S'il est vrai qu'Internet est un rĂ©seau informatique mondial constituĂ© d'un ensemble de rĂ©seaux nationaux, rĂ©gionaux et privĂ©s, dont la connexion gĂ©nĂ©rale (web) repose sur l'usage d'un mĂŞme protocole de communication!footnote-332, il a engendrĂ© un espace numĂ©rique, lequel serait peut-ĂŞtre la base d'une nouvelle "ère"!footnote-346, d'une nouvelle "citĂ©"!footnote-347, d'une nouvelle "civilisation"!footnote-348.  L'Ă©volution technique aurait ainsi rĂ©glĂ© les problèmes qu'elle a engendrĂ©s. En effet, face Ă  la puissance informatique, la personne est en dĂ©pendance et en dĂ©fense!footnote-333, mais dans l'espace numĂ©rique, la personne transformĂ©e en "internaute" est devenue l'acteur, l'observateur et le crĂ©ateur premier !footnote-344.

C'est pourquoi dans un espace numérique où les régulations ont du mal à s'ajuster, il est parfois affirmé qu'une solution libérale et néanmoins respectueuse des individus consiste à confier à celui-ci le soin de veiller à ses intérêts en l'armant de nouveaux droits, ce qui va créer les équilibres généraux du système sans entamer le dynamisme de l'ensemble. Il faudrait mais il suffirait que la personne soit informée des règles générales du jeu, qu'elle connaisse sa situation particulière et qu'elle exprime son accord. En effet, dès l'instant qu'il lui est loisible de sortir de l'espace numérique, que chacun est libre de ne pas entrer dans les différents espaces numériques, qu'il est techniquement possible de ne pas y laisser trace de ses données, c'est en consentant librement à donner en échange des informations accroissant un bien public que la personne, tirant profit d'un système qu'elle alimente à la mesure de ses propre intérêt, régule elle-même Internet.

Ainsi, il ne serait pas besoin de se poser la question d'une rĂ©gulation exogène et encore moins celle de l'interrĂ©gulation, puisque c'est l'utilisateur lui-mĂŞme qui devrait ĂŞtre le "Grand InterrĂ©gulateur", sachant ce qu'il fait et tient dans sa main un système dont il constitue la richesse et qui dĂ©pend donc de lui. 

C'est pourquoi son consentement est sans cesse requis. Il lui suffit donc par un clic de tout refuser, sans qu'il ne lui en coûte rien. Il ne serait plus besoin de rechercher un ou des Régulateurs, c'est chaque internaute qui serait chacun en ce qui le concerne le "Grand Interrégulateur" d'Internet.

Messieurs les Censeurs, hors du monde de la liberté qu'est enfin Internet !

 

2. L'illusion et la perversité d'une régulation par le consentement

Internet fonctionne selon le modèle du "marchĂ© pur"!footnote-334, en ce qu'il renverrait Ă  l'autosuffisance du consentement de l'Internaute, qu'il suffirait donc  d'informer et dont il faudrait seulement par prĂ©caution conserver trace du consentement. Les marchĂ©s mondiaux s'appuient effectivement sur le consentement de ceux qui y figurent. De ces consentements des milliards de fois recueillis sur des millions de tĂŞte, l'on en conclut alors que la volontĂ© libre des personnes a Ă©tĂ© respectĂ©e et qu'un monde d'adultes s'ouvre enfin. Internet est l'espace oĂą le rĂŞve rousseauiste des personnes, ĂŞtres solitaires et libres peuvent s'exprimer et Ă©changer.

Mais le consentement n'est pas toujours la preuve de l'exercice d'une liberté pleine et entière qui en rencontre une autre, ces deux libertés s'aliénant efficacement par l'échange des consentements!footnote-335. S'il est vrai qu'il existe des échanges de consentements entre Internautes à travers le commerce électronique, lequel est par ailleurs l'objet de règles spécifiques, cette régulation par le consentement vise ici les rapports entre les Internautes d'une part et ce qu'il convient d'appeler les "Maîtres du Numérique", d'autre part, qui sont les entreprises tenant le système même du Net et de l'espace sur lesquels les rencontres se font (plateformes), les accès s'organisent (moteurs de recherche), les informations s'accumulent.

En effet, dans cet espace antĂ©-marchĂ© sur lequel beaucoup d'opĂ©rations relèvent d'actes juridiques conjonctifs!footnote-336, les Internautes se retrouvent  pour satisfaire leurs dĂ©sirs rĂ©ciproques en s'allĂ©geant du coĂ»t d'intermĂ©diations, y compris parfois celle de la monnaie!footnote-380, grâce Ă  des entreprises de plateforme, les internautes ayant accès Ă  ce qu'ils recherchent grâce Ă  des moteurs, les mĂŞmes entreprises qui tiennent les moteurs achetant des plateformes et rĂ©ciproquement. Ainsi, le 9 octobre 2006 Youtube Ă©tait achetĂ© par Google pour 1,65 milliards $, l'acquisition se faisant par le biais d''une crĂ©ation d'actions, c'est-Ă -dire de titres immatĂ©riels de capital dont la valeur tient dans la confiance que le marchĂ© fait Ă  Google. En l'espèce, elle est totale. Sur Youtube, tout est gratuit et ce sont les consommateurs eux-mĂŞmes qui apportent en Ă©change la richesse, Ă  savoir l'information sur leur prĂ©fĂ©rence et leur "attention", reconstruites par l'entreprise qui tient l'espace et guide leurs pas. 

Dans ce système mĂ©diĂ©val!footnote-338 de liens entre des maĂ®tres vers lesquels convergent les utilisateurs, ce sont les maĂ®tres qui posent les conditions d'usage, par des conditions gĂ©nĂ©rales, chartes et autres engagements ou Code de conduite. S'il y a "consentement", il se fait donc non pas par Ă©changes mais par adhĂ©sion Ă  ces actes unilatĂ©raux. Le droit admet de plus en plus ce type de convergences de volontĂ©, l'un Ă©mettant la norme commune, qui vaut cadre pour le groupe,  tandis que les autres y adhèrent, le Droit laissant dĂ©sormais faire tandis qu'il y a pas d'abus. L'on a pu parler d' "acte rĂ©glementaire privĂ©"!footnote-451 et la notion juridique de "acte d'adhĂ©sion" est plus que jamais adĂ©quate. Le consentement de l'Internaute, sous cette forme positive d'adhĂ©sion!footnote-339 suppose que le maĂ®tre de l'Internet veille lui-mĂŞme sur les intĂ©rĂŞts de l'Internaute. On peut le croire, pourquoi pas ? Maintenant que l'on sourit lors qu’est Ă©voquĂ© le thème de la bĂ©nĂ©volence de l'État, puisque l'on ne veut croire que cet organisme recherche notre bien, l'on semble accorder grand crĂ©dit Ă  ce souci exprimĂ© par des entreprises.

Pourquoi pas, chaque pĂ©riode a ses aveuglements. A tout le moins, cette situation de dĂ©pendance vis-Ă -vis d'un maĂ®tre que l'on dira bienveillant interdit en tout Ă©tat de cause de poser que la personne dĂ©pendante est le  RĂ©gulateur du système. Les signataires de l'accord entre l'Europe et les États-Unis, dit Safe Harbor, permettant aux entreprises de transfĂ©rer les donnĂ©es des personnes utilisant leurs services, ont estimĂ© que l'internaute Ă©tait le gardien suffisant de ses propres intĂ©rĂŞts et que l'attention de toutes ses vigilances particulières suffisaient Ă  garantir l'intĂ©rĂŞt de tous, ce qui correspond Ă  la dĂ©finition de l'intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral pour un anglo-saxon, qui n'y voit que l'addition de la satisfaction de chaque intĂ©rĂŞt particulier.

Mais,  tandis que le droit de la concurrence rĂ©agit aux comportements de pouvoir sur les marchĂ©s, le droit de la rĂ©gulation traite de la dominance. Or, l'Internaute est dĂ©pendante des grandes entreprises qui tiennent les accès dans un espace numĂ©rique oĂą l'essentiel des prestations est l'accès!footnote-340. Il est inconcevable que la rĂ©gulation de la dominance soit exercĂ©e par ceux qui sont dĂ©pendants de celle-ci. C'est pourquoi un Internaute a mis en doute ce raisonnement qui suppose soit la bĂ©nĂ©volence des "maĂ®tres du numĂ©rique", soit l'activisme de l'Internaute : la dĂ©cision de la CJUE du 6 octobre 2015 a posĂ© qu'un tel transfert de donnĂ©es europĂ©ennes aux États-Unis sans garantie que celles-ci ne pourraient pas ĂŞtre utilisĂ©es sans porter Ă©ventuellement atteinte aux droits fondamentaux des personnes par des puissances amĂ©ricaines Ă©taient contraires au droit europĂ©en. A travers cette sanction, l'on mesure que l'Internaute a un pouvoir essentiel, celui de saisir un juge, ici par le biais d'une question prĂ©judicielle, et que celui-ci a le pouvoir de briser les accords dans lesquelles les entreprises et les États ont pesĂ© de tous les poids.

L'alliance entre l'Internaute et le Régulateur peut se faire dans l'autre sens. Ainsi, en Belgique la Commission de la protection de la vie privée (CPVP) a obtenu du internet/facebook-ne-pourra-plus-espionner-les-belges-09-11-2015-1980400_47.php">Juge des Référés de Tribunal de Grande Instance de Bruxelles la condamnation sous astreinte de FaceBook par une ordonnance du 9 novembre 2015 d'avoir sous astreinte à obtenir le consentement des personnes qui visitent son système. Cela ne vaut pourtant pas pour les Internautes inscrites, dont le consentement est présumé donné et dont on pourrait dire qu'elles subissent de leur plein gré le mécanisme de cookies, mais des simples visiteurs, auxquels information et demande de consentement exprès devra désormais adressées par le maître des lieux.

On mesure ainsi que l'Internaute n'est pas le seul Ă  jouer un rĂ´le car affirmer cela c'est en rĂ©alitĂ© offrir l'espace numĂ©rique aux seules entreprises, mais qu'il trouve sa place en alliance avec le RĂ©gulateur et le Juge.  Cela est d'autant plus vrai dans un système oĂą chacun et tous s'observe. Dans la mesure oĂą le numĂ©rique a brisĂ© avec l’homogĂ©nĂ©itĂ© des "mondes"!footnote-341, et avec elle avec le mĂ©canisme de l'auto-observation, puisque sur le Net tout le monde regarde tout le monde sans filtre et recevabilitĂ© ni sanction, le numĂ©rique est plutĂ´t l'espace de l'inter-observation : nul n'est pas l'abri des regards et il y a moins d'entre-soi.  Dès lors, si l'interrĂ©gulation ne peut ĂŞtre assurĂ©e par l'Internaute lui-mĂŞme, puisqu'il est dĂ©pendant du système et des maĂ®tres de celui-ci, l'Internaute peut nĂ©anmoins  jouer un rĂ´le en venant en "soutien" des RĂ©gulateurs.

 

3. L'hypothèse de l'Internaute comme soutien des Régulateurs et des Juges

En effet, la distorsion de puissance entre les Internautes et les maîtres de l'espace numérique est si grande que l'on ne peut même parler de "co-régulation". Mais les Internautes peuvent être actifs auprès des Régulateurs.

Ainsi, les Internautes sont de plus en plus encouragés à apporter des informations aux différents Régulateurs. Puisque les Internautes regardent tout, visionnent tout, retrouvent tout, ils peuvent apporter ces informations aux Régulateurs. Ce que l'on désigne pudiquement comme le Whistleblow permettant à tout un chacun de dénoncer par e-mail l'auteur d'un possible manquement est un mécanisme utilisé pour alimenter les Régulateurs en information

La jurisprudence a dĂ©jĂ  eu Ă  connaĂ®tre du choc que peut prendre un tel pouvoir de dĂ©lation lorsqu'il se traduit en obligation d'information, notamment en application de la loi Sarbanes-Oxley, mais trouve ses limites en butant sur le droit europĂ©en lorsque la transmission se traduit par une violation du droit Ă  prĂ©server la titularitĂ© des donnĂ©es Ă  caractère personnelle.

L'arrĂŞt prĂ©citĂ© de la CJUE du 6 octobre 2015 anĂ©antissant l'autorisation par un accord gĂ©nĂ©ral entre l'Europe et les États-Unis permettant aux entreprises amĂ©ricaines de stocker aux Etats-Unis les donnĂ©es personnelles collectĂ©es en Europe, redonne le pouvoir place aux accords particuliers entre les États d'une part (traitĂ©s bilĂ©latĂ©raux) et les accords privĂ©s, les internautes, les internautes consentants Ă  de tels transferts.  dispositifs de concentrations des donnĂ©es Ă  des fins de sĂ©curitĂ© (safe harbor), mais aussi sans doute de puissance Ă©conomique des entreprises amĂ©ricaines, redonnant aux États le soin de protĂ©ger les citoyens nationaux Ă  travers la non-transmission de leurs donnĂ©es Ă  caractère personnel montre que la tension est très forte entre les finalitĂ©s. Cela est sous-tendu par des conflits de domination car l'Europe a intĂ©rĂŞt Ă  protĂ©ger sa puissance par une rĂ©gulation de la vie privĂ©e qui conduit Ă  ne pas transmettre aux États-Unis, tandis que ceux-ci ont intĂ©rĂŞt Ă  protĂ©ger la leur par une rĂ©gulation de la sĂ©curitĂ© publique.

Mais même en affirmant dans cette discussion la primauté de la protection des individus, cela ne cantonne pas pour autant le Régulateur à sa fonction traditionnelle. En effet, notamment par cet arrêt du 6 octobre 2015, le juge européen semble mettre en jeu la protection de l'individu à travers le droit des données mais cela ne réduit pas pour autant le Régulateur des données personnelles à sa fonction initiale de protection de l'individu contre la puissance des personnes à constituer des fichiers contre l'informatique. En effet, parce que l'espace numérique est le passage vers un espace où l'Internaute est actif et s'exprime, ce Régulateur entend suivre ce mouvement par ce que l'on pourrait appeler un effet de nature.

En effet, le RĂ©gulateur considère qu'en tant que protecteur de l'individu, il peut intervenir non seulement au titre de l'hypothèse initiale Ă  savoir la mise en danger de l'individu dans ses libertĂ©s et dans sa dignitĂ© du fait de la puissance informatique, mais encore au titre de sa mise en danger dans ses libertĂ©s et dans sa dignitĂ© du fait de tout autre comportement, notamment du fait de l'exercice de la libertĂ© d'expression. En effet, de la mĂŞme façon que les droits de l'homme peuvent exprimer une prĂ©rogative face Ă  des pouvoirs non-Ă©tatiques, la dignitĂ© de l'individu doit ĂŞtre protĂ©gĂ©e au regard de ce que l'on en dit dans l'espace numĂ©rique, l'informatique n'Ă©tant alors qu'un cas du principe plus gĂ©nĂ©ral que le RĂ©gulateur doit servir : il devient alors le "RĂ©gulateur des libertĂ©s publiques dans l'espace numĂ©rique".

L'Internaute est ainsi la personne protĂ©gĂ©e par le RĂ©gulateur, qu'il s'agisse de son lien de titularitĂ© Ă  l'Ă©gard des donnĂ©es qui le concernent ou de ce qui est dit par quiconque Ă  son propos. Mais lui-mĂŞme vient en soutien des RĂ©gulateurs. Non seulement par l'apport d'information mais encore en tant qu'il est celui qui accrĂ©dite ou discrĂ©dite les entreprises de l'Ă©conomie digitale. Ainsi, s'il est vrai que le plafond posĂ© par les textes de la sanction par la CNIL de Google de 150.000 euros a pu faire sourire, la mention de cette condamnation sur la page d'accueil du moteur de recherche a frappĂ© davantage l'opĂ©rateur : ce sont les badauds qui rendent la technique du pilori efficace. 

 

 

B. LA RÉGULATION EFFECTIVE, SOUS L'APPELLATION RHÉTORIQUE DU "DROIT A L'OUBLI" ET LA PERSPECTIVE D'UN CARQUOIS DE DROITS SUBJECTIFS UNILATÉRAUX

 

Le "droit à l'oubli" est une invention extraordinaire du Droit, qui se révèle très efficace (1). C'est une voie très prometteuse pour que, par la puissance du maniement des données les entreprises ne peuvent pas s'approprier le futur (2).

 

1. OriginalitĂ© et efficacitĂ© du « droit Ă  l’oubli Â»


Le "droit à l'oubli" est une invention juridique. Les "droit à ..." sont une catégorie juridique nouvelle des droits fondamentaux!footnote-382. Il a pris la suite du "droit de retrait", tel que la loi française Informatique et libertés de 1978 l'avait mis en place, permettant à celui sur lequel l'information porte de faire retirer l'information qui le concerne du fichier. Le droit à la portabilité est son petit frère, d’autres viendront. Ils constituent l’alternative à l’idée malheureuse de droit de propriété.

Ce changement de vocabulaire est en effet une manœuvre rhétorique pour armer les personnes d'un pouvoir juridique considérable : effacer ce qui a été, alors qu'Internet se caractérise par sa mémoire absolue. Le Droit développe sa puissance par rapport à la réalité en faisant que ce qui a existé est "comme si" cela n'avait pas existé puisque ce dont l'on se souvient de fait l'on ne peut s'en souvenir de droit.

Cela relève du mécanisme de la "fiction juridique", ce par quoi le Droit montre sa domination sur le monde puisqu'il le reconstruit en lui injectant sa réalité, alors même que celle-ci est contraire. Il est traditionnel d'affirmer que seul le Législateur est légitime à créer des fictions juridiques car le juge ou les personnes ordinaires que nous sommes ne peuvent que constater la réalité ou en créer qui ne soient à tout le moins pas contraires à celle-ci;

Pourtant le "droit à l'oubli" consiste pour une personne ordinaire à imposer à une autre le fait de ne plus savoir quelque chose qu'elle sait à propos d'elle : c'est une fiction. C'est une réalité nouvelle injectée dans le monde, par le seul imperium du droit, maniée par une personne ordinaire qui retire du présent un élément de fait qui était dans le monde passé, ce que personne de fait ne peut faire. C'est pourquoi ce que, par le biais d'un droit subjectif, désormais un individu peut faire et l'imposer à un autre.

Ainsi, rien n'est plus puissant que le "droit à l'oubli", puisqu'il imposer de "ne plus savoir ce que l'on sait", comme la prescription interdit de demander des comptes pour ce qui est pourtant répréhensible. C'est exprimer la force pure du Droit. Cette puissance a bien été repérée, puisque par exemple le Législateur vient de conférer un "droit à l'oubli" pour les personnes qui ont eu un cancer : il s'agit en réalité de leur permettre d'imposer aux compagnies d'assurer de "ne pas savoir ce qu'elles savent".

Il s'agit donc d'un "droit subjectif extraordinaire", puisqu'une personne peut obtenir ce qui est impossible et que seul le LĂ©gislateur peut traditionnellement produire : une fiction qui rĂ©Ă©crit le passĂ© et fait que ce qui a existĂ© n'existe plus, puisque la connaissance que nous avons du monde fait le monde. En cela, le LĂ©gislateur a donc cĂ©dĂ© son pouvoir, son imperium  aux personnes ordinaires. En passant du "droit de retrait" au "droit Ă  l'oubli", le système juridique a opĂ©rĂ© un changement radical.

Pourquoi ?

Parce que le LĂ©gislateur a sans doute considĂ©rĂ© qu'en l'Ă©tat la loi nationale, gĂ©nĂ©rale et abstraite est faible face aux maĂ®tres des donnĂ©es numĂ©riques. "RĂ©guler Google", Ă©crire la "Google Lex", l'on peut y songer. Pour l'instant, il semble que les États quĂ©mandent un peu d'argent, soit Ă  travers des impĂ´ts, soit Ă  travers des aides directement versĂ©es Ă  des secteurs mendiants. Le plus efficace est de transfĂ©rer aux individus eux-mĂŞmes le pouvoir de fiction consistant Ă  ce que l'information dont les entreprises qui construisent les machines de donnĂ©es puissent leur ĂŞtre retirĂ©e. C'est l'effet du "droit Ă  l'oubli". 

Nous sommes alors dans le royaume des "comme si", c'est-à-dire des fictions. De la même façon que les entreprises du numériques sont "comme" des propriétaires de l'information, les internautes sont "comme" des maîtres de la mémoire", pouvant à volonté faire passer le marchand de sable et obliger les moteurs à dormir. Comme dans un mikado, il suffit qu'un nombre suffisant de petites épines se retirent du système pour que la machine marche moins bien. C'est pour cela que le Législateur a armé l'individu de ce "droit", qui n'est qu'une "nuisance" dirigée contre l'entreprise qui construit son empire sur le matériau de l'information.

L'Internaute, comme mouche du coche, pourquoi pas ? C'est bien le statut de l'administré dans le mécanisme du Recours pour excès de pouvoir. Il faut bien quelques internautes mal-lunés, voire névrotiques, pour que l’État de droit soit rétabli. Ainsi, pour reprendre le cas Safe Harbor, Monsieur Maximillian Schrems était un justiciable particulièrement hargneux!footnote-383.

Cela peut contribuer à préserver ce qui est le véritable enjeu d'un "monde repensé à travers la notion de donnée" : la préservation d'un futur ouvert".

 

2. La préservation d’un futur ouvert

La question brutale et pertinente est posée : Who Owns the Future ?!footnote-453L'alliance entre les avancées technologiques, par exemple l'informatique cognitive, et les business plans d'entreprises comme Google, font penser que la valeur des données tient avant tout dans le fait qu'elle donne l'image du "monde de demain", n'en déplaisent aux nostalgiques du "Monde d'hier".

Si l'on reprend une nouvelle fois l'exemple des donnĂ©es comptables, celles-ci sont dĂ©sormais des donnĂ©es financières (IFRS) et ont pour objet (c'est-Ă -dire pour but) de fournir la rĂ©alitĂ© future de l'entreprise Ă  propos de laquelle elles ont Ă©tĂ© construite, selon le modèle de la "comptabilitĂ© prĂ©dictive".  Si l'on prend le domaine de la santĂ©, et de citer le diction "il faut mieux prĂ©venir que guĂ©rir", il s'agit de connaĂ®tre l'Ă©tat futur de la personne en collectant les donnĂ©es de sa famille pour identifiant ses problèmes futurs. Si l'on prend le domaine de la sĂ©curitĂ©, dans le souvenir des thĂ©ories de la dĂ©fense sociale, il s'agit de repĂ©rer les foyers de dangerositĂ©, de renforcer lĂ  oĂą il y a risque - raisonnement qui a conduit les États-Unis Ă  mĂ©connaitre le droit europĂ©en. L'on peut encore prendre les domaines bancaire, financier, etc. : c'est le future qui a la plus grande valeur et l'entreprise qui peut vendre la connaissance du futur au-delĂ  des simples probabilitĂ©s, en resserrant le calcul Ă  l'individu ou Ă  l'entreprise ou au pays ("risque souverain") fait fortune.

L'on a beaucoup écrit sur la tension entre la liberté et la contrainte, sur le caractère autoréalisateur des prédictions, sur le caractère totalitaire des normes lorsqu'elles s'individualisent. On se contentera ici de rappeler que laisser les données entièrement disponibles à des puissances, quand même celles-ci ne recherchent que leur profit, voire que le bien commun, quand bien même ces informations sont gracieusement apportées par ceux qui cela concerne, peut fermer le futur. En effet, un futur déjà écrit n'est plus que le présent. Il n'y aurait plus de futur car si toutes les informations du futur deviennent par le calcul disponibles, le futur se ferme et il n'existe de véritable futur pour un être humain libre qu'ouvert.

 

 

 

 

 

 

 

 

2

Le plus souvent par la voix de Cassandre : v. par ex. Jaron Lanier, Who Owns the Future ?, 2013.

3

Bruguière,

4

Comme le prévoit pourtant dans sa définition l'article 2 de la loi Informatique et libertés (v. supra). En effet, la jurisprudence de la CEDH a consacré l'idée que les personnes morales, les entreprises et les institutions ont une "vie privée" et ces différentes organismes ont de multiples données qui leurs sont propres.

5

V. supra. V. plus précisément Jubé, S. ..., in Supiot, A., ...

6

Jouyet, J.-P., ...

7

La démonstration est faite par Emmanuel Kessous, L'attention au monde. Sociologie des données personnelles à l'ère numérique, 2012. Après avoir dressé ce constate, le sociologue observe qu'à écarter les opérateurs de la captation de cette information essentielle, l'on risque de limiter les libertés, il finit par se demander "comment définir les normes de justice dans une économie de l'attention ?".

8

Sur la question du futur, v. infra.

9

Plus facilement s'il s'agisse d'une adresse renvoyant à un  lieu physique, mais la police poursuit désormais les personnes aussi bien sur Internet. De la même façon la Poste a mis en place des "Recommandés numériques", etc.

10

V. Supra.

11

Pour plus de nuances, du fait que certaines sources d'information peut faire présumer certains usages, par exemple des informations ayant pour source l'orientation sexuelle des personnes, v. infra.

12

V. par exemple Le privé et le public, Archives de Philosophie du Droit, ...

13

Enquête de l'Institut Montaigne, ..., 2015.

14

Sur ce cas, v. Lenoir, N., Protection des données, liberté de religion et certificas de baptême, Petites affiches, 27 avril 2015 n° 83, p.4 et s.

15

France Culture, La bataille mondiale des données, 4 avril 2016.

16

C'est pourquoi Juliette Sénéchal, après avoir rappelé que les données sont "par nature" rattachées à la personne, continue sa description ainsi : " Cet aspect personnel ne doit cependant pas faire oublier qu'en parallèle de la négociation actuelle sur le contenu du règlement européen qui prendra la suite de la directive du 24 octobre 1995 sur la protection des données personnelles, mais également sur la libre circulation de celles-ci, se tient une négociation entre pays européens et d'autres états du monde sur les aspects commerciaux inhérents à ces mêmes données. En effet, la donnée personnelle  est assurément une valeur que nombre d'acteurs économiques font profession d'acheter ou de revendre à d'autres professionnels et que l'on nomme les « data brokers »." ((La fourniture de données personnelles par le client via Internet, un objet contractuel ?, AJCA 2015., p. 212).

17

Liberté de circulation des personnes, liberté de circulation des marchandises, liberté de circulation des capitaux. La circulation effective des données est un prolongement de ces trois libertés.

18

Sur la distinction entre les trois, la "source" étant ce sur quoi porte la donnée, le "fabricant" étant celui qui élabore l'information sur cette source (cela peut être la même personne, mais pas toujours), le "consommateur" étant le plus souvent une autre personne. Par exemple la vedette, le journaliste, le lecteur.

Sur la distinction, v. supra.

19

Article 12 de la Loi sur le numérique.

20

V. par ex. Frison-Roche, M.-A., "Accès", in Les 100 mots de la Régulation, 2010.

21

Frison-Roche, M.-A., ...

22

Nouvelle forme de la "modernisation de l'État : http://www.gouvernement.fr/action/l-ouverture-des-donnees-publiques

 

23

SEC, Announcement of New Rulemakink Database, 24 septembre 2015
.

24

Quand il n'y a plus de durée, il n'y a plus de temps, il n'est plus besoin d'aller à sa recherche, puisqu'il ne peut pas y avoir d'oubli. En cela, Internet est inhumain parce que les capacités de stockage sont surhumaines. C'est pourquoi la solution juridique pour l'instant trouvée est d'offrir aux êtres humains un "droit à l'oubli", arme qui contrebalance le pouvoir des entreprises maîtresses du système. V. infra.

25

V. par ex. Verizon, No Question About an Open Internet, 17 septembre 2014.

26

Sur la démonstration comme quoi ce sur quoi porte la donnée est sa source et non pas son objet, v. supra.

28

Il est d'ailleurs remarquable que l'on utilise désormais de plus en plus le terme générique de "données sensibles" pour viser toutes les données qui ne peuvent pas être soumises au traitement ordinaire des informations, c'est-à-dire soit captées, soit conservées, soit diffusées, en tout cas sans consentement. Par exemple à propos de l'information sur l'homosexualité masculine de la personne ayant voulu donner son sang en 2004 et à propos duquel cette "information sensible" avait été conservées , Cons. Const.

29

Par exemple les informations à inventorier à l'occasion d'une prise de contrôle.

30

Sur la question plus générale de l'articulation, difficile, entre le principe et le mécanisme de la responsabilité et la  "neutralité" de l'internet, v. Tourette, Responsabilité civile et neutralité de l'internet, 2015.  sur l'idée de la "neutralité" que l'on attache parfois à la régulation, en raison notamment de la technicité de celle-ci, v.

31

Frison-Roche, M.-A., Régulation versus Concurrence, 2011.

32

Autorité de la concurrence, Déc. n°15-D-13 du 9 septembre 2015, relative à une demande de mesures conservatoire de la société Gibmedia.

33

Frison-Roche, M.-A., Le droit de la régulation, 2001.

34

La transparence étant un principe majeur du droit de la régulation, ce qui le fait jouxter avec la supervision.

35

Voir d'une façon plus générale, Frison-Roche, M.-A.,, Les différentes natures de l'ordre public économique, 2015.

36

car cela fait longtemps qu'Internet massacre la langue française et qu'on y ignore qu'on ne peut renseigner que des êtres dotés d'entendement et non pas des formulaires

37

La définition classique de l'État renvoie à un territoire, une population et à des institution.

38

C.E., 10ième et 9ième sous-sect., 28 mars 2014, SNES, Rec. I, Rapp. Lemes ; Rapp. publ. E. Crépey . Par la suite, le Ministère de l'Éducation nationale parvînt à justifier la collecte de toutes les données, sauf celles relatives au sexe et à la nationalité du conjoint de l'enseignant, ce qui justifia l'annulation du décret du Ministère par l'arrêt du Conseil d'État du 28 mars 2014, SNES, publié au Lebon, CE, 28 mars 2014, n° 361042, SNES  (commentaire)
GP  n° 100 ,  10 avril 2014 .

39

Notamment par l'article 9 du Code civil, dont l'alinéa 1ier dispose que "Chacun a droit au respect de sa vie privée", le Code reprenant ce que la jurisprudence avait établi.

40

Pour l'adaptation du droit public, v. l'évolution de la jurisprudence du Conseil d'État à travers la description qu'en fait le Président Bernard Stirn, L'ordre public et les libertés publiques, in Archives de Philosophie du Droit, L'ordre public, 2015. 

Pour l'adaptation du droit privé,

42

V. d'une façon plus générale, Frison-Roche, M.-A., Droit et Marché, une épreuve humaine, 2015.

43

Calala, Le droit de l'information, D....

44

V. supra.

45

Sur le caractère inapproprié de la notion de "propriété" dans l'espace numérique, notamment lorsqu'elle est revendiquée par les entreprises du numérique qui se présentent que "propriétaires des données", voir la démonstration de Judith Rochfeld, Les géants de l'Internet et l'appropriation des données personnelles : plaidoyer contre la reconnaissance de leur "propriété", 2015.

46

ESMA, ...

47

V. Jeunehomme, M. , L'industrie innovante dans le secteur de l'e-santé face aux défis des régulations, in Internet, espace d'interrégulation, sous presse.

48

Préc.

49

V. supra.

51

V. d'une façon générale, N. Martial-Braz et C. Zolynski (dir.), La gratuité : un concept aux frontières de l'économie et du droit , 2013.

52

D'une façon plus générale, v. Sueur, J.-J., La "main invisible" et le droit économique, 2013.

53

Supiot, A., ...

54

A propos du contrat de société : ...

56

Conseil d'État, Le numérique et les droits fondamentaux, 2014.

58

V. infra.

59

Comme le fût la "femme-objet", découpée en morceaux selon le désir de celui qui consomme telle ou telle partie de la femme, déniée de ce fait en tant que personne.

60

Anders, G., Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j'y fasse ? ,

61

Foray, D., L'économie de l'information, préc.

63

TCP/IP : Transmission Control Protocol / Internet Protocol.

64

Le lien est désormais couramment opéré entre l'existence de ce réseau et l'existence de cet espace, entre l'usage de ce réseau et la participation active et libre d'un usage qui, devenu Internaute, est en passe de devenir acteur, et bientôt citoyen. L'expression "ère numérique", voire "ère digitale", est courante. V. par exemple, Koussis, A.V.,

66

Dans ce sens, Serres, M.,

67

Cette défense se traduit juridiquement par les dispositifs juridiques de connaissances des fichiers et du "droit au retrait", lequel fût transfiguré plus tard en "droit à l'oubli" (v. infra).

68

Le phénomène est non seulement technique mais encore sociologique. Pour une description très remarquable de ses paradoxes, menant à un "marché de l'attention", voire à une "cité attentionnelle", v. Kessous, A., L'attention au monde. Sociologie des données personnelles à l'ère numérique, 2012.

69

V. supra.

70

Sur la différence entre la volonté et le consentement, spécialement en droit économique, v. Frison-Roche, M.-A., La distinction entre la volonté et le consentement, 1995.

71

V. supra.

72

V. supra.

73

Sur le type médiéval de l'organisation économique des réseaux, v. Supiot, A., Les deux visages de la contractualisation : déconstruction du Droit et renaissance féodale, 2007.

74

Bruguière, J.-M. ,

75

L'expression de la volonté sous la forme violence de la négation est davantage la marque d'une liberté et produit un effet de régulation : elle prend la forme du "droit à l'oubli" (v. infra).

76

V. supra.

77

Sur la théorie sociologique des "mondes", v. Thévenot. L. et Boltansky. L., De la justification, 1993.

78

Pour leur critique, v. Cohen, D., Le droit à, 1999  ; pour leur approbation, v. Pichard, M., Le droit à. Étude de législation française, 2006.

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