Oct. 12, 2014

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L’IMPOSSIBILITÉ DE RÉGULER L’ILLICITE : LA CONVENTION DE MATERNITÉ DE SUBSTITUTION

by Marie-Anne Frison-Roche

Certains évoquent la "régulation" comme solution pour rendre admissible les conventions de maternité pour autrui, appelées parfois "GPA". Ayant souvent travaillé sur l'idée, les objets et les techniques  du "droit de la régulation", j'écris cette étude pour affirmer qu'il n'est concevable d'appliquer le droit de la régulation en matière de convention de maternité pour autrui.

En effet, quelle que soit l'hypothèse, on ne peut réguler que des situations licites.

Or, les conventions de maternité pour autrui, même si on les imagine faite à titre gracieux, l'enfant étant remis dans un geste de "don magnifique" sont atteintes d'une illicéité absolue.

Celle-ci n'est pas entamée par les techniques de régulation auxquelles certaines songent, qu'il s'agisse d'une régulation "éthique", d'une régulation par des mécanismes ex ante (réglementation et autorité administrative) ou des mécanismes ex post (contrôle du juge). L'exemple britannique le montre.

Ainsi, la régulation est inapplicable et ne peut être appelée pour légitimer les conventions par lesquelles les femmes s'offrent, leur grossesse leur permettant d'offrir leur bébé à la naissance. En effet, le droit défend les personnes, ici les femmes et les enfants, présents et futurs, en les empêchant de se transformer ou d'être transformés en choses.

 

1. Je publie cet travail parce que j’ai choisi de devenir professeur de droit par souci du juste et pour que ce souci du juste soit partagé. Sinon, j’aurais étudié une autre matière et j’aurais fait un autre métier que celui de professeur.

 

2. Par la suite, j’ai étudié, enseigné et parfois écrit en droit économique, et plus particulièrement en « droit de la régulation ».

 

3. Aujourd’hui, le drame des femmes qui s’offrent, proposant leur aptitude à engendrer le bébé dont elles accouchent, m’a tirée par la manche et distraite du droit économique. Mais me voilà de nouveau replacée dans mes « sujets », puisque des personnes, agissant pour que le droit français admette la licéité des accords de maternité de substitution (appelés souvent « GPA ») soutiennent qu’il faut mais qu’il suffit que ces pratiques soient « régulées » par le législateur pour qu’elles en deviennent admissibles.

 

4. C’est donc en tant que spécialiste du droit de la régulation que j’écris ici une courte contribution. En effet, l’on m’a parfois reproché avec un sourire de vouloir « tout réguler », de « voir de la régulation partout ». Cet article a pour objet de rappeler que la régulation ne peut s’appliquer à tout. Le droit de la régulation suppose certes une inadéquation, une défaillance de l’objet sur lequel elle porte, mais la régulation supporte que son objet soit licite (I). Or, la convention de maternité pour autrui est illicite d’une façon absolue (II). C’est pourquoi l’on ne peut envisager de réguler la GPA (III).

 

I. L’IMPOSSIBILITÉ DE RÉGULER L’ILLICITE

 

5. L’on se dispute sur la définition du droit de la régulation, suivant que l’on en adopte une conception plus ou moins technique ou politique, qu’on l’enferme ou non dans le droit public, qu’on le découpe en autant de secteurs particuliers constitués par ses objets (médias, finances, énergie, justifiant une régulation des médias, une régulation financière, une régulation énergétique, etc.) ou qu’on y préfère une approche unifiée (« le droit de la régulation »).

 

6. Mais il est acquis que la régulation, même si on la restreint dans son sens minimum et littéral de « réglementation », n’intervient que sur un mécanisme de marché. Il peut s’agir d’organiser un marché non encore construit et qui ne pourra s’établir spontanément, ou de pallier les défaillances avérées de marché, défaillances techniques (asymétries d’information ou monopoles naturels, par exemple) ou défaillances politiques (non-satisfaction d’un souci politique de rendre accessible un bien à tous, même à ceux dont la demande n’est pas solvable).

 

7. Mais quels que soient les hypothèses, il s’agit toujours d’utiliser la puissance publique, d’établir des règles spéciales, d’admettre l’intervention d’un régulateur ou d’un juge pour organiser la production, le transport, la distribution ou l’accès à des biens ou des prestations intrinsèquement  licites.

 

8. Il est impossible de réguler un objet ou un comportement qui n’est pas licite en lui-même : on ne régule pas le meurtre, on ne régule pas le viol. Certes, la prohibition qu’en édicte le droit est plus ou moins efficace. Malgré l’ordre de la Loi, il y a des meurtres et des viols. En outre, les méconnaissances de l’interdiction ne sont pas toutes détectées, toutes poursuivies, toutes punies. Mais cette ineffectivité (« chiffre noir ») ne remet pas en cause l’affirmation de principe, à savoir la prohibition. Le constat de l’ineffectivité relative de la prohibition invite plutôt à rechercher les moyens d’obtenir le respect concret de l’ordre de la Loi et ne justifie pas que l’on raye celle-ci.

 

9. Ainsi, la régulation n’a jamais été la solution à l’ineffectivité d’une prohibition d’un comportement. C’est ignorer tout du droit de la régulation que de l’affirmer. Le droit de la régulation organise l’accès effectif à un bien ou à une prestation licite. Or, la convention de maternité est atteinte d’une illicéité absolue.

 

II. LA CONVENTION DE MATERNITÉ DE SUBSTITUTION, ILLICITE ABSOLU

 

10. La convention de maternité de substitution est une pratique sociale, prenant la forme d’un accord entre une personne qui désire un enfant et une femme qui a la capacité physique d’en engendrer un au terme d’une grossesse.

 

11. La femme qui développe dans son ventre un fœtus échange avec celui-ci des éléments biologiques qui participent durablement au développement de l’enfant. Ainsi, l’enfant lorsqu’il sort du ventre de cette femme a celle-ci pour mère, non seulement au sens juridique mais encore au sens biologique. Cette réalité, rappelée par l’Académie de médecine dans un rapport du 23 mai 2014, établit entre la femme et l’enfant un lien de maternité.

 

12. Ainsi, juridiquement, l’affirmation avancée par certains selon laquelle la femme « rend » l’enfant à la naissance du fait qu’on a procédé sur elle à une implantation d’ovocyte n’a pas de sens, car elle sous-entendrait que rien ne s’est pas passé le temps de la grossesse. Même dans ce cas, l’enfant à la naissance n’est pas « rendu », il est « échangé » contre un prix ou une indemnisation, ou « donné » si la cession s’opère à titre gracieux.

 

13. Dans la convention, la mère exprime au bénéfice de son cocontractant son consentement d’abandonner à la naissance son enfant pour le remettre au bénéficiaire, lequel se prévaudra du titre de parent. Le consentement est formalisé par la signature d’un acte écrit. Le plus souvent, la convention contient une clause par laquelle la femme affirme avoir compris la portée de son engagement et déclare renoncer à tous ses droits au profit de son cocontractant. Si elle est mariée, son mari est alors également partie à la convention, lui-même s’engageant par avance à ne revendiquer aucun droit sur l’enfant, notamment pas un rapport de filiation issu du fait qu’il est le mari de la mère.

 

14. Il est inexact de qualifier cette convention de « gestation pour autrui » (en sigle G.P.A.). Il ne s’agit pas d’une « gestation » que la personne accomplirait pour une autre personne, la grossesse ne pouvant être dissociée de la femme elle-même. Ici, la femme s’offre elle-même afin de pouvoir donner l’enfant dont elle était la mère. Par un tel consentement, elle accepte de substituer une autre personne dans la place qu’elle rend ainsi libre : la place de « mère ».

 

15. Par la puissance de son consentement, la femme s’est contractuellement effacée, permettant à son cocontractant de s’appeler « mère » à sa place. Par le mécanisme de l’adoption, cette place peut être occupée par une femme ou par un homme, si par exemple le cocontractant est un homme marié à un autre homme. L’enfant n’ayant pas de mère, le conjoint homme peut prendre cette place rendue contractuellement disponible.

 

16. Nous sommes dans l’illicite absolu.

 

17. Que la mère ait été rémunérée ou non, nous sommes dans l’illicite absolu.

 

18. En effet, la femme efface sa maternité et cède, à titre gratuit ou à titre onéreux, l’enfant. La Cour de cassation dès son arrêt d’Assemblée plénière du 31 mai 1991 a posé sans besoin de s’appuyer sur des textes spécifiques la nullité absolue de telles conventions.

 

19. La Cour a rappelé que le corps des femmes n’est pas disponible, même si elles y consentent. Il ne s’agit pas même ici de discuter sur le point de savoir si elles y consentent vraiment ou non. Certes, nous savons qu’elles y sont le plus souvent contraintes par leur état de pauvreté. Mais peu importe, le consentement de la victime d’une atteinte absolue à sa dignité ne suffit pas à lever l’illicite. La jurisprudence la rappelle dans d’autres cas.

 

20.Certes, nous savons que ces jeunes femmes sont payées très peu et que les agences intermédiaires s’enrichissent, prospèrent et se multiplient. Mais peu importe, le rééquilibrage financier dans la chaîne de valeurs afin que l’argent du couple manifestant un désir d’enfant aille davantage vers celle qui l’offre et au reste de sa famille, ne suffirait pas à retirer au comportement son caractère illicite.

 

21. A supposer même qu’il y ait véritablement un « don magnifique », cela ne change pas le fondamentalement illicite : on ne peut se donner pour offrir le bébé par avance, fabriquer des êtres humains à seul fin de les donner, même gracieusement.

 

III. L’IMPOSSIBILITÉ DE RÉGULER LA CONVENTION DE MATERNITÉ DE SUBSTITUTION

 

22. C’est pourquoi l’idée de « réguler la GPA » est juridiquement intenable. Pourtant ceux qui l’avancent proposent techniquement, en les mimant, certains des mécanismes que l’on retrouve en droit de la régulation.

 

23. Ainsi, il y aurait tout d’abord une sorte d’autorégulation à travers le sens revendiqué ou le souci exigé de l’éthique : seule serait tolérée la « GPA éthique », alors que la « GPA mercantile » serait prohibée. L’on retrouve effectivement, par exemple dans le droit de la régulation bancaire et financière, cette « régulation éthique » concernant les comportements du « dominant » sur le « dominé ». Les comportements deviennent admissibles si le puissant agit avec souci de l’autre et sans l’exploiter (par exemple le manager de grandes sociétés à l’égard du petit actionnaire). Ici, il s’agirait de dire que l’outil de domination, l’argent, ne devrait pas être utilisé, et la personne faible, la « gestatrice » devrait être protégée, par la certitude qu’elle n’agirait que par « intention libérale », que pour « donner » la vie à un couple à travers le bébé qui sera accueilli.

 

24. Ainsi, l’éthique serait partagée, du côté de la gestatrice qui agirait librement, le consentement n’ayant pour cause que le souci de faire le bonheur du cocontractant infertile et malheureux de l’être, tandis que celui-ci en ne payant pas serait également éthique, puisqu’il n’exprimerait que sa reconnaissance pour un tel geste de générosité, si bienvenu dans un monde où l’altruisme mériterait d’être encouragé par la loi. C’est pourquoi une loi admettant et organisant la « GPA éthique », forme première de régulation, serait justifiée.

 

25. Mais, sans même évoquer la réalité d’une telle « éthique », le caractère véritablement bénévole de ce transfert virtuel de grossesse et ce transfert réel d’enfant, cette régulation par le souci d’autrui n’est pas pertinente. En effet, même par « altruisme », la femme ne peut s’abandonner elle-même pour mieux abandonner l’enfant, comme si elle et l’enfant étaient deux choses. Le droit interdit que l’on dispose de soi et d’autrui (ici l’enfant) comme s’il s’agissait de choses. La circonstance de « l’altruisme » ne permet pas aux individus de briser la distinction première que le droit fait entre la personne et la chose, n’offre pas aux individus le pouvoir de transformer les personnes en choses.

 

26. Il est certes possible qu’un jour la référence à la volonté toute-puissante de l’individu devienne à la fois si forte et si exclusive que cela suffisse pour qu’on se cède soi-même et que l’on cède ses enfants, éventuellement à titre gracieux, pour faire plaisir. Mais nous ne serons plus dans la régulation, nous aurons changé de civilisation.

 

27. Est ensuite avancée l’idée d’une « agence d’État », une sorte d’autorité de régulation, une Autorité administrative, peut-être indépendante (A.A.I.), qui veillerait au bon équilibre entre les intérêts de tous et éviterait les « dérives ». On associe si souvent la régulation et la formalisation institutionnelle qu’en est le régulateur, que la solution vient naturellement dans les propositions. Ainsi, pour éviter le « marché » et assurer la protection de l’intérêt du faible et l’intérêt général, pour concrétiser le « désir d’enfant », le « droit d’accès » de tous à une valeur commune qui serait « la joie d’avoir un enfant », l’on pense à un régulateur qui assurerait un sorte de « service public »,  concrétisant un « droit à l’enfant ». La confiance naguère faite à l’État s’étant déportée vers la confiance dans un régulateur, celui-ci s’assurerait de l’absence de dérive, de l’absence d’eugénisme, de l’absence de contre-lettre pour obtenir un enfant plus beau, livré plus vite.

 

28. Mais la régulation a pour objet de dépasser l’opposition entre l’État et le marché. La théorie de la régulation reconnaît les mérites de l’offre et de la demande et soupçonne les administrations de ne pas laisser de côté leurs propres intérêts. Plus encore, les régulateurs ne régissent, établissent et contrôlent que des objets licites. Il n’existe pas de régulateurs de la pédophilie ou du trafic de drogue. Confier l’illicite à l’État ne change pas la nature de l’objet sur lequel porterait le pouvoir de celui-ci, ne le blanchit pas : la mère demeure dépossédée d’elle-même, l’enfant continue d’être cédé. De droit et de fait, ils le seraient plus confortablement. Cela ne serait en rien une « entrave aux dérives », cela serait un adoucissement de l’inadmissible car on ferait en sorte que les mères et les enfants qui sont cédés soient mieux traités. C’était aussi l’objet du Code Noir.

 

29. De la même façon, admettre que le contrat est un outil de domination mais en tirer comme conséquence qu’il suffit de le faire « réguler » par un juge, est inadmissible. La solution est certes classique, le juge veillant à protéger la partie faible dans les contrats. Mais lorsque le contrat est vicié dans son objet, le rôle du juge n’est pas de rendre effectif le contrat, son office est l’anéantir.

 

30. Le droit comparé montre que partout où le Législateur a admis le principe de licéité de la convention de mère-porteuse, à condition qu’elle soit « éthique », « encadrée » et « régulée », il y a eu en réalité et immédiatement l’organisation d’un trafic des mères et des enfants. Ainsi, la loi thaïlandaise n’admet que la « GPA éthique » sans contrepartie financière. Chaque jour, de nombreux cas nous montrent les usines à bébés qui s’y sont établies, les enfants étant rejetés s’ils ne sont pas conformes à la naissance par rapport à la commande, etc.

 

31. Certes, l’on pourrait dire que ces mœurs sauvages sont la marque des pays lointains et que nos contrées ne tomberont pas dans ces « travers ». Mais le Royaume-Uni qui admet depuis longtemps la « GPA éthique » en rejetant la « marchandisation » n’a posé qu’un paravent. En effet, les femmes susceptibles de s’offrir pour porter un enfant pendant 9 mois puis l’abandonner contre une simple « indemnisation », par le seul souci de porter secours aux personnes « infertiles », sont peu nombreuses sur le territoire britannique. La loi ayant légitimé le « désir d’enfant », devenu pour tout un « droit à l’enfant » dont l’État serait le débiteur, les Britanniques sont les plus nombreux à aller dans d’autres pays dans lesquels la transaction est plus aisée, moins encadrée, moins coûteuse encore que l’« indemnisation » réglementée.

 

32. Lorsque les contractants et le bébé reviennent, la loi britannique prévoit que le juge exerce un contrôle sur la qualité éthique de la convention réalisée à l’étranger avant d’adopter un acte de juridiction gracieuse, le  parental order. Le dispositif existe depuis 1985 et l’on a pu constater qu’au nom de « l’intérêt supérieur de l’enfant », les magistrats offrent à chaque fois le titre de « parents » à ceux qui le sollicitent, alors même que les demandeurs ne remplissent pas les conditions prévues par la loi, notamment parce qu’ils ont acheté le bébé dans une usine de production low cost. Ainsi, la loi qui visait à « réguler le désir d’enfant », qui ambitionnait d’obtenir que les seules maternités pour autrui reconnues par le droit anglais, même celles faite à l’étranger, ne soient pas des achats de ventre et de bébés, a échoué, les juges ayant balayé ce souci légal de « GPA éthique » au nom de « l’intérêt supérieur de l’enfant ».

 

33. Cela montre que dès l’instant que le Législateur admet le système de maternité pour autrui, lorsqu’il prétend en limiter les effets dévastateurs par des outils du droit de la régulation, soit par des règles, soit par la présence d’un régulateur ex ante ou un juge ex post, c’est un échec, car ces mécanismes n’empêchent en rien l’échange des deux personnes (la mère et le bébé) pour satisfaire le désir d’enfant des demandeurs, à titre gratuit ou onéreux.

 

34. Plus encore, c’est une très grave erreur que de croire que la régulation peut légitimer un mécanisme qui est fondamentalement illicite puisqu’il s’agit, même à titre gracieux, d’une cession d’une femme et d’un enfant, la femme à l’état présent et son enfant en état futur d’achèvement.

 

35. Angela Davis, qui lutta dans les années 60, pour que la population noire cesse d’être aux États-Unis traitée comme des personnes inférieures aux autres, reprend aujourd’hui  la parole pour affirmer que ce que l’Occident fait actuellement aux femmes, le plus souvent noires, vivant le plus souvent dans les pays pauvres, même au XIXième siècle, dans les plantations de sucre nous ne le faisions pas.

 

36. Car à l’époque l’on assumait l’exploitation jouissive faite des corps des esclaves. Aujourd’hui, on prétend non seulement le faire mais cela serait au nom de la technicité du droit de la régulation.

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