Nov. 4, 2021

Thesaurus

MARTY, Frédéric

📝L'apport des programmes de conformitĂ© Ă  la compĂ©titivitĂ© internationale : une perspective concurrentielle, in Frison-Roche, M.-A., 📕Les Buts Monumentaux de la Compliance

â–ș RĂ©fĂ©rence complĂšte : Marty, F., L'apport des programmes de conformitĂ© Ă  la compĂ©titivitĂ© internationale : une perspective concurrentielle, in Frison-Roche, M.-A. (dir.), Les buts monumentaux de la Compliance, collection "RĂ©gulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz, Ă  paraĂźtre.

____

â–ș RĂ©sumĂ© de l'article : L'auteur prend les programmes de conformitĂ© adoptĂ©es par les entreprises, tels que visĂ©s par le document-cadre publiĂ© le 11 octobre 2021 par l'AutoritĂ© de la concurrence, pour examiner tout d'abord comment les entreprises utilisent ces programmes pour se prĂ©munir contre la perspective de sanctions, pour lutter elle-mĂȘme contre des incitations criminelles produites notamment par des incitations de performances financiĂšres, les programmes de conformitĂ© participant au management du "risque juridique", liant notamment conformitĂ© et programme de clĂ©mence.

Puis l'auteur dĂ©crit la façon dont ces programmes de conformitĂ© concurrentielle sont utilisĂ©s d'une façon plus dynamique par l'entreprise pour accroĂźtre sa compĂ©titivitĂ© de l'entreprise, celle-ci accueillant au sein de sa gouvernance une fonction de rĂ©gulation que l'autoritĂ© publique lui a rĂ©pliquĂ©e, allant au-delĂ  de l'autorĂ©gulation pour atteindre efficacement des Buts grĂące Ă  cette RĂ©gulation dĂ©lĂ©guĂ©e. . 

 

 

Il est alors possible de parler d’organizational crime[22] quand bien mĂȘme les objectifs du systĂšme d’incitations n’étaient orientĂ©s que vers la recherche de performance et non vers un encouragement Ă  enfreindre les rĂšgles[23]. Il convient en effet d’articuler les notions de responsabilitĂ© individuelle (des personnes physiques) et de responsabilitĂ© collective (des personnes morales). Le cadre qui commet une pratique anticoncurrentielle peut agir de son propre chef et dans son propre intĂ©rĂȘt mais il peut Ă©galement le faire dans le cadre de la structure incitative mise en place par la firme. Comme l’a indiquĂ© la Cour SuprĂȘme amĂ©ricaine dans son arrĂȘt Dotterweich : « la seule façon pour une entreprise d’agir, c’est Ă  travers les individus qui agissent pour son compte[24] Â».

 

La dĂ©centralisation induit des risques spĂ©cifiques en matiĂšre de supervision mais Ă©galement en termes de divergence des cultures professionnelles, notamment dans des groupes multinationaux. La culture de concurrence peut s’avĂ©rer hĂ©tĂ©rogĂšne d’une division Ă  l’autre. Des Ă©valuations divergentes des risques liĂ©s Ă  l’absence de conformitĂ© peuvent conduire Ă  des rises de risques excessives de la part de certains dĂ©cideurs. Il s’agit Ă©galement de relever qu’une firme dĂ©centralisĂ©e et active sur plusieurs marchĂ©s fait face Ă  des sanctions potentiellement croissantes au titre du facteur aggravant qu’est la rĂ©itĂ©ration des pratiques. Dans le cadre du communiquĂ© « sanctions Â» de l’AutoritĂ© de concurrence publiĂ© en juillet 2021, ce facteur peut conduire Ă  une augmentation du montant de base de la sanction de 15 Ă  50%.

 

La rĂ©ponse Ă  ce risque est d’une triple nature : la rĂ©vision des modes de rĂ©compenses et d’évaluation de la performance par la firme elle-mĂȘme, un contrĂŽle interne adĂ©quat pour dĂ©tecter des comportements collectivement nuisibles et enfin l’existence d’un ensemble de sanctions individuelles tant internes (contrat de travail) qu’externes (poursuites des personnes physiques, sanctions sous forme d’interdictions professionnelles comme dans certains champs de rĂ©gulation).

 

La conformitĂ© peut tout d’abord jouer comme un remĂšde comportemental dans le cadre d’un contentieux concurrentiel.

 

Il n’est pas acquis que l’existence d’un programme de conformitĂ© puisse jouer comme un facteur permettant de rĂ©duire une sanction concurrentielle[25], ne serait-ce en ce que la constatation d’une infraction montre la faible effectivitĂ© du programme[26]. Pour autant, la mise en place d’un programme de clĂ©mence peut participer, si une procĂ©dure est ouverte, du recours Ă  une procĂ©dure de transaction[27]. L’attrait de cette procĂ©dure, qui a remplacĂ© l’ancienne non contestation des griefs, est de donner une certitude Ă  la firme mise en cause quant Ă  la fourchette de la sanction pĂ©cuniaire qui lui sera appliquĂ©e. Cette relative certitude a une forte importance pour le management des firmes et leurs actionnaires. En effet, bien que l’AutoritĂ© publie des lignes directrices quant Ă  sa mĂ©thode de fixation des sanctions pĂ©cuniaires, il ne s’agit en rien d’un barĂšme donnant une indication prĂ©cise du montant encouru[28]. Une firme qui doit rendre compte aux marchĂ©s financiers et en premier lieu Ă  ses actionnaires du risque encouru a donc un intĂ©rĂȘt significatif d’opter pour une procĂ©dure de transaction pour dĂ©livrer une information financiĂšre plus fiable et donc Ă©viter les effets d’une Ă©ventuelle « prime de risque Â» que pourraient exiger les investisseurs[29].

 

Si la mise en place d’un programme de conformitĂ© peut jouer dans des procĂ©dures transactionnelles (transaction, engagements), l’existence d’un programme de conformitĂ© ne semble pas ĂȘtre de nature Ă  jouer comme un facteur aggravant dans le calcul d’une sanction pĂ©cuniaire. Il n’est fait nulle mention Ă  ce point dans le communiquĂ© sur les amendes de la Commission europĂ©enne de 2006. Les lignes directrices de l’AutoritĂ© de la concurrence ne mentionnent pas ce point tant pour leur version de 2011 que pour celle de 2021.

B-      La conformitĂ© contrainte par les investisseurs. Un investissement en rĂ©putation ou en minimisation du risque pour l’actionnaire

 

Il s’agit ici de s’interroger sur les coĂ»ts de la non-conformitĂ©. Un premier coĂ»t est liĂ© Ă  la sanction pĂ©cuniaire que peut prononcer l’AutoritĂ© de la concurrence[30]. La sanction administrative Ă  laquelle s’expose une entreprise qui s’est engagĂ©e s’inscrit dans une nette hausse depuis la mise en place du RĂšglement 1/2003. La directive ECN+ a sensiblement aggravĂ© ces sanctions[31], notamment dĂšs lors par exemple qu’une Ă©ventuelle entente utilise une association professionnelle pour mettre  en Ɠuvre ses activitĂ©s[32].  L’entreprise fait de surcroĂźt face Ă  des risques accrus d’action de suite en dommages et intĂ©rĂȘts au civil[33]. Rappelons enfin qu’une sanction concurrentielle peut s’accompagner d’injonctions comportementales obligeant la firme condamnĂ©e (ou la firme qui opterait pour une procĂ©dure d’engagements) de revoir les termes de ses contrats et donc de renĂ©gocier avec ses contreparties en situation de faiblesse.

 

Les coĂ»ts potentiels liĂ©s Ă  une infraction aux rĂšgles de concurrence peuvent Ă©galement avoir une traduction directe sur les personnes physiques. Dans le cas français, l’article L.420-6 du code de commerce prĂ©voit des peines pouvant aller jusqu’à quatre ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende pour « les personnes physiques ayant pris frauduleusement une part personnelle et dĂ©terminante dans la conception, l’organisation ou la mise en Ɠuvre de pratiques anticoncurrentielles Â». Cette ressource juridique, hĂ©ritage de l’article 419 du code pĂ©nal[34] (relatif au dĂ©lit d’accaparement[35]) n’est guĂšre frĂ©quemment utilisĂ©e mais son aspect dissuasif fait Ă©cho Ă  l’expĂ©rience des Etats pour lesquels subsiste une criminalisation des pratiques anticoncurrentielles[36].

 

Cependant, d’autres coĂ»ts liĂ©s Ă  une infraction – ou ne serait-ce qu’à une procĂ©dure engagĂ©e par une autoritĂ© de concurrence – doivent ĂȘtre mis en exergue.

 

Un premier trĂšs direct tient aux coĂ»ts liĂ©s Ă  la dĂ©fense[37]. Comme cela a pu ĂȘtre documentĂ© dans le cas Ă©tats-unien, la mise en Ɠuvre de l’approche par les effets (dite approche plus Ă©conomique) fait peser un coĂ»t significatif sur les acteurs Ă©conomiques dont la surface de marchĂ© est la plus faible ou la situation financiĂšre la plus prĂ©caire, ce qui pose un problĂšme en termes de capacitĂ© d’exercice des droits de la dĂ©fense[38].

 

Un deuxiĂšme effet tient Ă  un divertissement de l’attention du management. La dĂ©fense est trĂšs chronophage et peut dans certains cas paralyser les dirigeants de la firme. Le cas de Microsoft engagĂ© dans de nombreux contentieux concurrentiels entre la fin des annĂ©es 1990 et la premiĂšre dĂ©cennie de notre siĂšcle a pu ĂȘtre citĂ© en exemple. La firme a manquĂ© certains virages technologiques, notamment l’Internet mobile, peut-ĂȘtre dans la mesure oĂč elle ne pouvait pas ĂȘtre aussi attentive aux opportunitĂ©s de marchĂ© que ses concurrentes[39]. Il convient Ă©galement de prendre en considĂ©ration le temps induit pour les Ă©quipes des firmes mises en cause par les rĂ©ponses et les Ă©lĂ©ments statistiques et factuels Ă  apporter aux autoritĂ©s de concurrence dans le cadre d’une procĂ©dure contradictoire[40].

 

Un troisiĂšme effet, et non le moindre, tient Ă  l’impact rĂ©putationnel pour la firme. Ce dernier se dĂ©cline en impact sur l’image de la firme auprĂšs des consommateurs et en impact sur les investisseurs. Ces derniers peuvent ĂȘtre tout d’abord affectĂ©s en ce qu’une procĂ©dure ouverte sur la base des rĂšgles de concurrence (pour ne pas parler d’une sanction) nuit Ă  l’image de marque de la firme. Les dimensions Ă©thiques et sociĂ©talement responsables des investissements peuvent ĂȘtre un premier problĂšme. Un second problĂšme tient Ă  l’anticipation de l’impact des coĂ»ts liĂ©s Ă  la dĂ©fense et des Ă©ventuelles sanctions sur la valeur du titre. En effet, si on adopte l’hypothĂšse d’efficience des marchĂ©s financiers, la valeur d’un titre reflĂšte les flux de ressources qu’il est possible d’en attendre dans le futur. L’annonce d’une procĂ©dure concurrentielle a donc un effet direct et immĂ©diat sur le cours de bourse[41]. Il est par exemple possible de citer l’étude d’évĂšnement rĂ©alisĂ©e par Aguzzoni, Langus et Motta qui montre que l’annonce d’une visite d’entreprise a un effet sur le cours nĂ©gatif Ă  hauteur de 2,2%[42]. Plus l’incertitude sur le montant de la sanction est fort, plus les investisseurs appliqueront une dĂ©cote sur le titre. Pour limiter cette prime de risque tant en montant qu’en durĂ©e d’application, les firmes ont un intĂ©rĂȘt direct Ă  s’engager dans des procĂ©dures transactionnelles et Ă  mettre en Ɠuvre des procĂ©dures de dĂ©tection et de remĂ©diation interne pour Ă©viter ces effets.

 

Un quatriĂšme effet doit ĂȘtre considĂ©rer : celui de la perte d’opportunitĂ©s. Une Ă©ventuelle condamnation peut priver la firme de l’accĂšs Ă  certains marchĂ©s publics. De la mĂȘme certains partenaires commerciaux potentiels, Ă©galement soumis Ă  des exigences de conduite responsable, peuvent ĂȘtre rĂ©ticents Ă  s’engager avec une compagnie dont l’image auprĂšs des investisseurs est Ă©cornĂ©e. Ces facteurs peuvent ĂȘtre de nature Ă  accroĂźtre les coĂ»ts futurs de l’entreprise ou de rĂ©duire sa capacitĂ© Ă  rĂ©aliser des gains de productivitĂ©.

 

II - L’effectivitĂ© des programmes de conformitĂ© et les effets en termes de compĂ©titivitĂ©

 

Il convient de revenir sur une distinction trĂšs ancienne mais qui demeure pertinente : celle de la sĂ©paration du management et de la propriĂ©tĂ© des firmes. Remontant aux travaux de Berle et Means au dĂ©but des annĂ©es 1930[43], cette question du contrĂŽle induit un possible dĂ©salignement des intĂ©rĂȘts entre cadres exĂ©cutifs des entreprises et actionnaires. L’inscription dans le temps de la procĂ©dure concurrentielle et le fait que la sanction pĂšse sur les actionnaires peut conduire Ă  une logique de relation principal – agent particuliĂšrement prĂ©judiciable pour l’actionnaire. Au-delĂ  des mĂ©canismes incitatifs permettant d’aligner les intĂ©rĂȘts (participation, stock-options, etc
), des dispositifs de sensibilisation mais Ă©galement de contrĂŽle internes sont nĂ©cessaires. Il s’agit non seulement de prĂ©venir des infractions mais aussi de les dĂ©tecter et de pouvoir prendre les mesures nĂ©cessaires pour limiter les consĂ©quences pour la firme. Pour ĂȘtre crĂ©dible auprĂšs des managers, le programme de conformitĂ© doit ĂȘtre portĂ© par les dirigeants[44] et ĂȘtre intĂ©grĂ© Ă  l’ensemble des outils de coporate governance.

 

A-     Des programmes effectifs ?

 

La question de l’effectivitĂ© des programmes de conformitĂ© doit ĂȘtre saisie en regard de la double nature individuelle et collective de la question. Au niveau de l’individu, le choix d’une action conforme ou non conforme aux rĂšgles de concurrence peut dĂ©pendre de plusieurs facteurs. Parmi ces derniers nous pourrions citer l’intĂ©rĂȘt individuel perçu, l’adhĂ©sion aux valeurs ou aux normes de comportement d’une communautĂ© professionnelle donnĂ©e ou encore la mĂ©connaissance des rĂšgles. L’information dĂ©livrĂ©e dans le cadre des formations dĂ©livrĂ©es dans le programme de conformitĂ© peut rĂ©soudre les difficultĂ©s se rattachant Ă  ce dernier point. De la mĂȘme façon, la diffusion d’une culture de conformitĂ© peut faire Ă©voluer les conventions adoptĂ©es par les cadres. La rĂ©solution de la premiĂšre difficultĂ© citĂ©e est peut-ĂȘtre moins Ă©vidente. AuprĂšs de cadres animĂ©s par une rationalitĂ© substantielle (ou d’un raisonnement de type 1), une information sur les rĂšgles de concurrence et un systĂšme d’incitations internes adaptĂ©es peuvent modifier le comportement. La connaissance de la probabilitĂ© de dĂ©tection et de la sanction encourue peut avoir un effet dissuasif d’autant plus fort que la « menace Â» externe se double d’une menace interne[45]. Le programme de conformitĂ© peut, comme nous allons le voir infra, accroĂźt la probabilitĂ© de dĂ©tection (la firme jouit d’une meilleure information que le rĂ©gulateur) et conduit Ă  de nouvelles sanctions pesant sur les perspectives de rĂ©munĂ©ration des agents. Pour autant, ce raisonnement est-il applicable Ă  des cadres court-termistes ou animĂ©s par une rationalitĂ© limitĂ©e[46] ? C’est le problĂšme de dĂ©cisions qui relĂšvent plus d’une logique de type 2, propre Ă  une convention, que d’une logique de type 1, relevant d’un calcul, selon les catĂ©gories construites par Daniel Kahneman dans Thinking, Fast and Slow[47].

 

Toujours est-il que c’est bien sur cette logique incitative que repose la conformitĂ©.  En effet, la logique incitative des programmes de conformitĂ© est d’autant plus renforcĂ©e sur le principe par la directive ECN+ que celle-ci renforce les gains liĂ©s au bĂ©nĂ©fice d’un programme de clĂ©mence, Ă  la fois pour les entreprises et pour les personnes physiques. Comme le relĂšve l’AutoritĂ© de la concurrence dans son document cadre sur la clĂ©mence : « [
] l’incitation pour les entreprises Ă  mettre Ă  jour d’éventuelles ententes secrĂštes est encore renforcĂ©e puisqu’une immunitĂ© , ou une rĂ©duction, de sanction pĂ©nale peut Ă©galement ĂȘtre obtenue, sous condition, par les personnes physiques appartenant au personnel de l’entreprise qui a la premiĂšre formĂ© une demande de clĂ©mence[48] Â».

 

Pour autant, deux risques doivent ĂȘtre mis en exergue. Un premier risque est une dĂ©naturation du programme de conformitĂ© qui conduirait Ă  combiner surveillance interne et maintien d’un systĂšme incitatif biaisĂ©. Bien qu’informĂ© par l’entreprise sur les enjeux de la conformitĂ©, le cadre serait toujours incitĂ© Ă  opter pour des stratĂ©gies non vertueuses pour satisfaire aux objectifs qui lui sont donnĂ©s. Ils joueraient alors le rĂŽle de fusibles bien commodes pour la firme. La dĂ©rive ne serait qu’individuelle et non collective. Un second risque serait que mieux informĂ©s des rĂšgles, des mĂ©canismes de dĂ©tection et des standards de preuve, un cadre risquophile s’engage d’autant plus dans des pratiques anticoncurrentielles. L’illusion du contrĂŽle jouerait alors.

 

Il serait possible de considĂ©rer que les programmes de conformitĂ© se heurtent aux mĂȘmes limites que celles frĂ©quemment attribuĂ©es aux logiques d’autorĂ©gulation. Il serait possible de considĂ©rer que ceux-ci se limitent Ă  des dĂ©clarations unilatĂ©rales dĂ©pourvues d’effectivitĂ© et conduisant Ă  une « sous-application Â» des rĂšgles[49]. Cependant, l’autorĂ©gulation peut ĂȘtre plus efficace que la rĂ©gulation externe dĂšs lors qu’elle dispose d’informations plus fiables et accessibles plus rapidement et que les firmes ont un intĂ©rĂȘt bien compris Ă  la mettre en Ɠuvre de façon diligente[50]. En d’autres termes, l’efficacitĂ© de l’autorĂ©gulation est d’autant plus efficace que la menace de la rĂ©gulation externe est forte tant en termes de probabilitĂ© de dĂ©tection des comportements dĂ©linquants que de risques de sanctions. Il en est de mĂȘme pour les programmes de conformitĂ©.

 

Le document cadre publiĂ© par l’AutoritĂ© de la concurrence le 11 octobre 2021 reflĂšte la nature incitative de la mise en place et de la mise en Ɠuvre effective par les firmes de programme de conformitĂ© dans une perspective d’intĂ©rĂȘt individuel bien compris. Si l’adhĂ©sion Ă  la norme concurrentielle au travers de la diffusion d’une culture de concurrence est l’une des finalitĂ©s des programmes de conformitĂ©, ces derniers jouent Ă©galement un rĂŽle en matiĂšre de responsabilisation des parties prenantes. L’objectif d’un programme de conformitĂ© ne doit pas seulement rĂ©sider en une fin prĂ©ventive (Ă©viter la commission d’infraction) mais Ă©galement en des fins curatives. Le programme doit permettre de dĂ©tecter et de remĂ©dier Ă  d’éventuelles pratiques illicites. Le lien entre le programme de conformitĂ© et les programmes de clĂ©mence[51] mis en place par les autoritĂ©s chargĂ©es des rĂšgles de concurrence apparaĂźt ici. La politique de conformitĂ© peut permettre de dĂ©tecter en interne des pratiques anticoncurrentielles, d’y mettre un terme et d’activer ces programmes pour bĂ©nĂ©ficier d’une immunitĂ© en termes de sanction concurrentielle[52].

 

A cet Ă©gard, la conformitĂ© peut ĂȘtre saisie non seulement comme une information interne quant aux rĂšgles de concurrence applicables Ă  la firme mais Ă©galement comme un outil participant Ă  la gouvernance de la firme elle-mĂȘme. En premier lieu, le programme de conformitĂ© doit s’adapter Ă  chaque firme. Il doit tenir compte des risques qui lui sont propres mais Ă©galement de l’évolution de sa position sur le marchĂ©[53]. En deuxiĂšme lieu, le programme de conformitĂ© doit s’ajuster aux Ă©volutions du cadre lĂ©gislatif, Ă  la pratique dĂ©cisionnelle et mĂȘme aux communications et autres production des autoritĂ©s relevant du droit souple. En troisiĂšme lieu, le programme de conformitĂ© doit s’appuyer sur des procĂ©dures internes de contrĂŽle et d’alertes effectives[54].

 

B - Seulement une rĂ©plication des rĂšgles externes dans les procĂ©dures des firmes ou un outil de pilotage et de recherche de compĂ©titivitĂ© ?

 

De tels dispositifs sont essentiels pour que le programme de conformitĂ© ne soit pas qu’une dĂ©claration sans effet ou une simple communication d’entreprise. Ils n’en induisent pas moins la mise en place d’un mĂ©canisme de rĂ©gulation dĂ©lĂ©guĂ©e ou un mĂ©canisme de rĂ©gulation procĂ©durale[55]. Celles-ci peuvent s’envisager de deux façons[56].

 

Dans une premiĂšre, il s’agit d’une double relation « principal – agent Â», avec l’actionnaire jouant le rĂŽle d’un principal dĂ©lĂ©guĂ©[57]. En situation d’information imparfaite par rapport Ă  l’actionnaire, le « rĂ©gulateur Â» lui transfĂšre une obligation de rĂ©sultat[58]. Il peut contrĂŽler l’agent Ă  moindre coĂ»t et peut – en dernier lieu – prĂ©venir la rĂ©alisation du dommage. Il peut Ă©galement le dĂ©tecter plus rapidement et y remĂ©dier avec plus de cĂ©lĂ©ritĂ©. A ce titre, le renforcement des sanctions est une condition prĂ©alable pour le dĂ©veloppement de programmes de conformitĂ© de la part des firmes. Un second facteur d’incitation est liĂ© au dĂ©veloppement de textes de droit souple mettant en exergue les intĂ©rĂȘts de la conformitĂ© pour les entreprises et insistant sur les bĂ©nĂ©fices attendus en termes de limitation de risque de sanction (logique prĂ©ventive) et de limitation de leurs montants si les procĂ©dures de contrĂŽle associĂ©s au programme de conformitĂ© permettaient de les mettre Ă  jour (logique curative).

 

Dans une seconde, il s’agit d’une procĂ©duralisation de la rĂ©gulation. Sa mise en Ɠuvre effective passe par la transposition de la rĂšgle au sein des rĂšgles de gestion de l’entreprise. La logique est celle d’une lĂ©galisation des rĂšgles internes des entreprises[59].

 

Le document cadre de l’AutoritĂ© de la concurrence reprend cette logique : la conformitĂ© est appelĂ©e Ă  se dĂ©cliner dans le rĂšglement intĂ©rieur des entreprises et Ă  trouver des traductions dans des clauses des contrats de travail (§32). Il s’agit Ă  la fois de pouvoir recueillir et dĂ»ment traiter des Ă©ventuelles alertes[60] et de mettre en place une procĂ©dure de sanction interne. La conformitĂ© en matiĂšre de concurrence joue Ă  ce titre un rĂŽle de prĂ©vention des dommages et de limitation de leur ampleur. L’accroissement des sanctions encourues et le dĂ©veloppement des logiques de conformitĂ© peuvent alors se saisir dans la logique dĂ©veloppĂ©e par Coglianese et Kagan[61], lesquels pensent la mise en Ɠuvre de la rĂ©gulation comme une combinaison de logiques « lĂ©gale Â» (agonistique, verticale) et « sociĂ©tale Â» (coopĂ©rative, horizontale).

 

Pour autant la conformitĂ© n’est pas qu’un coĂ»t, une prime qui viserait Ă  limiter un risque de sinistre. Au-delĂ  de son coĂ»t[62], elle peut ĂȘtre source de gains d’efficacitĂ©[63].

 

 

La logique de conformitĂ© peut s’avĂ©rer un facteur de compĂ©titivitĂ© Ă  long terme pour les entreprises, notamment dans une dimension internationale, en ce qu’elle permet de crĂ©dibiliser les engagements en termes de responsabilitĂ© sociĂ©tales tant vis-Ă -vis des consommateurs que des actionnaires et qu’elle permet de sĂ©curiser les dĂ©cisions des investisseurs. Il s’agit d’un cĂŽtĂ© de prĂ©venir des phĂ©nomĂšnes de type consumer backlash et de l’autre de conforter les anticipations des investisseurs vis-Ă -vis des titres de la sociĂ©tĂ©, si celle-ci est cotĂ©e, ou des acquĂ©reurs si la firme fait l’objet d’un projet de fusion-acquisition. L’absence d’un programme de conformitĂ© et d’un Ă©ventuel programme de clĂ©mence peuvent exposer les acheteurs d’une entreprise Ă  un risque financier et rĂ©putationnel majeur si l’entreprise cible est impliquĂ©e dans une pratique anticoncurrentielle. Evoluant dans une situation d’information incomplĂšte et asymĂ©trique dans ses opĂ©rations de due diligence prĂ©alables Ă  la transaction, l’acquĂ©reur risque tout d’abord de valoriser excessivement la cible (sa profitabilitĂ© pouvant ĂȘtre liĂ©e Ă  son comportement dĂ©linquant) et ensuite de s’exposer au paiement des sanctions administratives et des rĂ©parations au civil. La conformitĂ© en sĂ©curisant les actionnaires et plus gĂ©nĂ©ralement les parties prenantes de la firme permet de consolider les anticipations et de prĂ©venir d’éventuelles primes de risque.

 

Comme le relevait une Ă©tude commandĂ©e en 2008 par le Conseil de la concurrence sur les programmes de conformitĂ©[64], ces derniers se sont en partie dĂ©veloppĂ©s dans le cas français grĂące Ă  l’internationalisation de nos groupes et Ă  des prises de participations d’investisseurs Ă©trangers dans leur capital. D’une part, les risques pour les entreprises Ă©trangĂšres Ă©taient plus Ă©levĂ©s qu’en France et celles-ci Ă©taient plus sensibilisĂ©es aux effets rĂ©putationnels. D’autre part, la dĂ©nonciation d’irrĂ©gularitĂ©s internes par les firmes mĂȘmes n’avaient pas une connotation aussi nĂ©gative qu’elle avait en France. Un groupe multinational doit, dans une situation marquĂ©e par la portĂ©e extraterritoriale de certaines lois nationales[65], se conformer aux rĂšgles nationales qui sont les plus exigeantes et ce pour l’ensemble de ses filiales.

 

 

Au final, le programme de conformitĂ© peut conduire la firme Ă  rĂ©pliquer en interne les procĂ©dures de dĂ©tection des pratiques anticoncurrentielles mises en place par les autoritĂ©s de concurrence[66]. Le meilleur accĂšs aux donnĂ©es dont dispose la firme peut faciliter l’utilisation des outils de balayage des donnĂ©es (screening) en vue de dĂ©tecter des configurations de prix anormales susceptibles de traduire des ententes anticoncurrentielles ou des pratiques de corruption[67]. Des dispositifs de protection des lanceurs d’alerte internes, voire des procĂ©dures internes de clĂ©mence, peuvent permettre de mettre un terme plus rapide aux pratiques contraires aux rĂšgles de concurrence. Ce sont donc tous les instruments des autoritĂ©s de concurrence que la firme peut rĂ©pliquer dans ces rĂšgles internes pour dĂ©tecter en amont les risques de conformitĂ© concurrentielle et activer les ressources mises Ă  sa disposition par les rĂšgles de concurrence[68]. Le programme de conformitĂ© conduit non seulement la mise en Ɠuvre de dispositifs d’incitations et de sanctions internes inspirĂ©s des outils des autoritĂ©s de concurrence mais Ă©galement au dĂ©veloppement d’audits et de procĂ©dures de contrĂŽle reprenant leur modĂšle[69]. Il s’agit non seulement de rĂ©pliquer en internes les outils de surveillance des marchĂ©s utilisĂ©s par les rĂ©gulateurs mais Ă©galement de lancer des visites surprises de telle ou telle filiale ou direction de type mock dawn raids[70].

 

Comme le souligne l’AutoritĂ© dans son document-cadre d’octobre 2021, les programmes de conformitĂ© n’ont pas qu’un effet ex-ante (prĂ©vention) mais un possible ex-post (curation). En permettant une dĂ©tection interne en amont des pratiques questionnables, ils rendent possibles la mise en Ɠuvre d’actions permettant d’y mettre un terme. Le sens d’un programme de conformitĂ© ne se limite Ă  la diffusion d’une culture de concurrence ou Ă  une information donnĂ©e aux cadres de l’entreprises, il doit Ă©galement s’exprimer au travers de procĂ©dures de contrĂŽle interne.

 

A ce titre, la conformitĂ© pousse Ă  l’adoption de programmes internes de dĂ©tection des pratiques anticoncurrentielles mĂȘme s’ils sont coĂ»teux Ă  court terme pour les firmes. Ils permettent cependant une meilleure performance Ă  long terme en limitant d’éventuelles primes de risques prises par les investisseurs et les partenaires commerciaux et conduisent au point de vue collectif Ă  une prĂ©vention plus efficace de ces pratiques que si elle Ă©tait menĂ©e par les seuls pouvoirs publics.

 

La conformitĂ© ne doit cependant pas ĂȘtre rĂ©duite Ă  une seule finalitĂ© utilitariste, fĂ»t-elle individuelle ou collective. Un programme conformitĂ© ne doit pas ĂȘtre conçu dans les eaux glacĂ©es du calcul Ă©goĂŻste ou ĂȘtre Ă©crit avec de l’acide cynique, pour reprendre des termes utilisĂ©s dans d’autres contexte par Karl Marx[71] ou Oliver Wendell Holmes[72] mais qui recouvraient Ă©galement le fait que le calcul Ă©conomique rationnel ne pouvait Ă  lui seul rĂ©sumer la vie sociale. Les stratĂ©gies des firmes ne peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es selon le seul angle du marchĂ©. Leur performance de long terme dĂ©pend Ă©galement de leurs capacitĂ©s Ă  intĂ©grer des pressions sociales qui peuvent trouver une traduction dans les rĂšgles de droit mais Ă©galement dans les attentes des parties prenantes. Il ne s’agit pas seulement de prĂ©venir un risque de coĂ»ts futurs mais de rester « en phase Â» avec les aspirations sociales et de contribuer aux buts monumentaux que se donne la sociĂ©tĂ©. La conformitĂ© dĂ©passe la stratĂ©gie de marchĂ© ou la garantie du respect de la rĂ©gulation[73]. Elle ne revient pas seulement Ă  crĂ©er (ou Ă  prĂ©server) de la valeur mais Ă  porter des valeurs qui sont les meilleures garantes de la capacitĂ© de la firme Ă  rester compĂ©titive sur le long terme.

 

[1] Une premiĂšre version de ce texte a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© dans le cadre du colloque EffectivitĂ© de la compliance et compĂ©titivitĂ© internationale organisĂ© Ă  l’UniversitĂ© Paris 2 PanthĂ©on-Assas dans le cadre du cycle de colloques sur Les Buts Monumentaux de la Compliance organisĂ© par Marie-Anne Frison-Roche.

Ses actes seront publiés en 2022 sous la direction de Marie-Anne Frison-Roche.

Frison-Roche, M.-A. (dir.), (2022), Les Buts Monumentaux de la Compliance, série "Régulations & Compliance", Journal of Regulation & Compliance (JoRC) et Dalloz.

[2] Les programmes de conformitĂ© se sont initialement dĂ©veloppĂ©s dans le domaine de la rĂ©gulation bancaire et financiĂšre. La mise en Ɠuvre de ces derniers a notamment Ă©tĂ© accĂ©lĂ©rĂ©e aux Etats-Unis par la loi Sarbanes-Oxley (Public Company Accounting Reform and Investor Protection Act) du 30 juillet 2002, promulguĂ©e Ă  la suite de l’affaire Enron, notamment pour protĂ©ger les intĂ©rĂȘts des actionnaires par rapport aux pratiques dĂ©lictuelles que pourraient mettre en Ɠuvre les dirigeants des firmes mais Ă©galement pour « Ă©tablir un lien systĂ©matiques entre les buts de politique publique (policer le marchĂ©) et la gouvernance interne des entreprises Â».

Du Marais B., (2015), « Compliance et conformitĂ© Â», in Bazex M., Eckert G., Lanneau R., Le Berre C., du Marais B. et SĂ©e A., eds., Dictionnaire des rĂ©gulations 2016, pp.191-201, p.192.

[3] AutoritĂ© de la concurrence, (2021), « Document cadre du 11 octobre 2021 sur les programmes de conformitĂ© aux rĂšgles de concurrence Â».

[4] A ce titre, la conformitĂ© s’inscrit dans les dĂ©bats sur l’effectivitĂ© et sur l’efficacitĂ© de la rĂ©glementation. Cette derniĂšre peut ĂȘtre saisie Ă  la fois au regard de l’atteinte de ses buts ou en termes d’impacts sociaux mais Ă©galement en termes procĂ©duraux.

Voir Ă  ce propos Ayres I. and Braithwaite J., (1992), Responsive Regulation. Transcending the Deregulation Debate, Oxford University Press.

[5] Marty F., Kirat T., Bouthinon-Dumas H. et Rezaee A., (2020), « La crise de la rĂ©gulation par la sanction ex post : les nouvelles voies de la rĂ©gulation financiĂšre, de la crise des subprimes au trading haute frĂ©quence Â», Droit et SociĂ©tĂ©, 104, 2020/1, pp.71-88.

[6] Boulu-Reshef B. et Monnier-Schlumberger C., (2019), « Lutte contre les cartels : comment dissuader les tĂȘtes brĂ»lĂ©es ? Â», Revue Economique, 70, 2019-6, pp.1187-1199.

[7] Bach D. and Bruce Allen D., (2010), “What Every CEO Needs to Know About Nonmarket Strategy”, MIT Sloan Management Review, 51(3), Spring, pp.41-48.

[8] Becker G., (1968), “Crime and Punishment: An Economic Approach”, Journal of Political Economy, 76, pp.169-217.

Voir Ă©galement : Polinsky A.M. and Shavell S., (2000), “The Economic Theory of the Public Enforcement of the Law”, Journal of Economic Litterature, 38, pp.45-76.

[9] Fleckinger P., Lafay T. et Monnier C., (2013), « RĂ©munĂ©ration des dirigeants et risque de fraude d’entreprise Â», Revue Economique, 64(3), pp.457-467.

[10] HĂŒschelrath K., (2010), “Competition Law Compliance Programmes: Motivation, Design and Implementation”, Competition Law, pp.481-506.

[11]  Stucke M., (2011), “Am I a Price-Fixer? A Behavioral Analysis of Cartels”, in Beaton-Wells C. and Ezrachi A., eds, Criminalizing Cartels: A Critical Interdisciplinary Study of an International Movement, Hart Publishing, ch.12

[12] Combe E. et Monnier-Schlumberger C., (2016), « Cartels et comportements des managers : Analyse et implications pour les politiques publiques Â», Revue Economique, 2016-HS1, pp.95-109, p.99.

[13] Cohen J., Ding Y., Lesage C. and Stolowy H., (2010), “Corporate Fraud and Managers Behavior: Evidence from the Press”, Journal of Business Ethics, 95(2), pp.271-315.

[14] Roquilly C., (2010), « Intel, dix ans aprĂšs : le mythe de la compliance revisitĂ© ? Â», Concurrences, 2-2010, pp.50-56.

[15] Commission européenne, cas AT.39850 Container Shipping, 7 juillet 2016.

[16] Tan D., Chapple L. and Walsh K., (2017), “Corporate Fraud Culture: Re-Examining the Corporate Governance and Performance Relation”, Accounting & Finance, 57, pp.597-620.

[17] Cet esprit de corps est d’autant plus effectif que les cadres impliquĂ©s se caractĂ©risent par une forte homogĂ©nĂ©itĂ© (en termes sociaux, culturels, scolaires, 
) et qu’ils interagissent depuis longtemps.

Armstrong M. and Huck S., (2014), “Behavioral Economics and Antitrust”, in D. Blair and Sokol D., eds, The Oxford Handbook of International Antitrust Economics, volume 1, Oxford University Press, pp.205-228.

[18] Ce point plaide pour une mise en Ɠuvre du programme de conformitĂ© au plus haut niveau de la direction de la firme pour tĂ©moigner de l’implication de sa direction gĂ©nĂ©rale et lĂ©gitimer par ce biais la convention sur laquelle le programme de conformitĂ© s’appuie.

[19] Bilz K. and Nadler J., (2014), “Law, Moral Attitudes, and Behavioral Change”, in Zamir E. and Teichman D., eds., Behavioral Economics and the Law, Oxford University Press, pp.241-267.

[20] Voir sur ces points : Combe E. et Monnier-Schlumberger C., (2016), « Cartels et comportements des managers : Analyse et implications pour les politiques publiques Â», Revue Economique, 2016-HS1, pp.95-109.

[21] Combe E. and Monnier C., (2011), “Fines against Hard Core Cartels in Europe: The Myth of Over enforcement”, Antitrust Bulletin, 56(2), pp.235-275.

[22] Reurink A., (2016), “‘White-Collar’ Crime: The Concept and its Potential for the Analysis of Financial Crime”, European Journal of Sociology, 57(3), pp.399 et s.

[23] Certains contentieux américains ont conduit à souligner dans le domaine de la régulation bancaire que certaines entreprises pourraient développer une culture de non-conformité en vidant le programme de compliance de sa substance, ne serait-ce que pour en réduire les coûts.

Voir Garrett B.L., (2016), « Le dĂ©linquant d’entreprise comme bouc Ă©missaire », Revue Internationale de Droit Economique, 2016-2, tome XXX, pp.239-279, p.264.

[24] U.S. v. Dotterweich, 320 U.S., 277, 1943. Cité par Garrett B.L., (2016), Ibid.

[25] Claudel E., (2012), « Document cadre du 10 fĂ©vrier 2012 sur les programmes de conformitĂ© aux rĂšgles de concurrence Â», Revue Trimestrielle de Droit Commercial, pp.312 et s.

[26] A l’inverse, les organizational sentencing guidelines amĂ©ricaines (§ 8D1.1) de 2014 considĂšrent que l’existence d’un tel programme peut ĂȘtre retenue comme une circonstance attĂ©nuante.

[27] Article L.464-2. III du code de commerce.

[28] Les sanctions concurrentielles sont dĂ©terminĂ©es en fonctions des circonstances propres Ă  chaque espĂšce et doivent de surcroĂźt respecter une exigence d’individualisation. Comme le note l’AutoritĂ© dans son communiquĂ© du 30 juillet 2021 sur les sanctions : « Il n’est donc ni possible, ni souhaitable, tant du point de vue de l’AutoritĂ© que dans l’intĂ©rĂȘt des entreprises et des associations d’entreprises concernĂ©es, de concevoir un barĂšme automatique permettant de prĂ©voir par avance le montant prĂ©cis des sanons encourues Â»

AutoritĂ© de la concurrence, (2021), « CommuniquĂ© relatif Ă  la mĂ©thode de dĂ©termination des sanctions pĂ©cuniaires Â», 30 juillet, §13.

[29] Bougette P., Bouthinon-Dumas H. et Marty F., (2016), « La prévisibilité et la négociabilité des sanctions en droit de la concurrence. Réflexions à partir du cas Orange et de la procédure de transaction introduite par la Loi Macron », Orizzonti del Diritto Commerciale, n°2-2016, art. 51, http://images.rivistaodc.eu/f/articoli/51_articolo_QsSmi_ORIZZONTI.pdf

[30] Bouthinon-Dumas H. et Marty F., (2014), « Evaluer et manager le risque de sanctions pécuniaires prononcées par les autorités de régulation », Management & Avenir, n°74, décembre, pp.175-189.

[31] Directive n°2019/1 du 11 dĂ©cembre 2018 visant Ă  doter les autoritĂ©s de concurrence des Etats membres des moyens de mettre en Ɠuvre plus efficacement les rĂšgles de concurrence et Ă  garantir le bon fonctionnement du marchĂ© intĂ©rieur ; directive transposĂ©e en droit interne par l’ordonnance n°2021-649 du 26 mai 2021.

[32] DĂ©velopper

[33] L.481-1 du code de commerce

[34] « Tous ceux :

1° Qui, par des faits faux ou calomnieux semĂ©s sciemment dans le public, par des offres jetĂ©es sur le marchĂ© Ă  dessein de troubler les cours, par des suroffres faites aux prix que demanderaient les vendeurs eux-mĂȘmes, par des voies ou moyens frauduleux quelconques ;

2° Ou qui, en exerçant ou tentant d'exercer, soit individuellement, soit par réunion ou coalition, une action sur le marché dans le but de se procurer un gain qui ne serait pas le résultat du jeu naturel de l'offre et de la demande.

Auront, directement, ou par personne interposée, opéré ou tenté d'opérer la hausse ou la baisse artificielle du prix des denrées ou marchandises ou des effets publics ou privés,

Seront punis d'un emprisonnement de deux mois Ă  deux ans et d'une amende de 7.200 F Ă  360.000 F Â».

[35] Bouloc B., (2005), « La sanction judiciaire des pratiques anticoncurrentielles par la voie pĂ©nale Â», Les Petites Affiches, 20 janv., n° PA200501402, p. 11.

[36] Wils W., (2006), “Is Criminalization of EU Competition Law the Answer?”, World Competition, volume 28, Issue 2, pp. 117-159, https://kluwerlawonline.com/journalarticle/World+Competition/28.2/WOCO2005010

[37] Pour l’affaire Airtours / First Choice liĂ©e Ă  une opĂ©ration de concentration, au dĂ©but des annĂ©es 2000, les frais engagĂ©s par les deux entreprises Ă©taient dĂ©jĂ  Ă©valuĂ©s Ă  plus de deux millions d’euros.

Neven D., (2005), « Competition economics and antitrust in Europe”

[38] Chopra R. and Khan L., (2020), « The Case for “Unfair Methods of Competition” Rulemaking », Chicago Law Review, vol. 87, pp. 357-379.

[39] Voir sur ce point l’interview de Bill Gates, New York Times DealBook Conference – 11/6/2019. https://www.youtube.com/watch?v=ZMMZ1Qzr1ag&t=1307s

Microsoft aurait selon son ancien PDG Ă©tĂ© trop focalisĂ© sur sa dĂ©fense pour identifier le potentiel d’Android qu’il n’a pas rachetĂ© alors qu’il avait la possibilitĂ© de le faire avant Google.

[40] HĂŒschelrath K., (2010), op. cit., p.485.

[41] Pour une analyse gĂ©nĂ©rale de l’impact des procĂ©dures engagĂ©s par les autoritĂ©s de rĂ©gulation sur la valeur boursiĂšre des entreprises mises en cause, voir

Thierry Kirat and Amir Rezaee, (2019), « How Stock Markets React to Regulatory Sanctions? Evidence from France », Applied Economics, 51 (60), pp. 1-9.

[42] Aguzzoni L., Langus G. and Motta M., (2013), “The effect of antitrust investigations and fines on the firm valuation”, Journal of Industrial Economics, 61(2), pp. 290-338.

[43] La maĂźtrise des risques liĂ©s Ă  cette dĂ©connexion passe par l’utilisation des outils de la gouvernance d’entreprises (surveillance, alignement des intĂ©rĂȘts par des mĂ©canismes incitatifs, etc
).

Jensen M. and Meckling W., (1976), “Theory of the Firm: Managerial Behaviour, Agency Costs and Ownership Structure”, Journal of Financial Economics, 3(4), pp.305-360.

[44] Bergam H. and Sokol D., (2015), “The Air Cargo Cartel: A Study in Compliance and Detection”, in Beaton-Wells C. and Tran C., ed., Anti-Cartel Enforcement in a Contemporary Age: The Leniency Religion, Hart Publishing.

[45] La menace externe est une dimension clĂ© pour les discussions relatives aux risques de sur-enforcement ou de sous-enforcement des rĂšgles de concurrence. Si la probabilitĂ© de dĂ©tection est forte, le montant de la sanction encourue peut ĂȘtre maintenue Ă  des niveaux raisonnables ce qui permet Ă  la fois de limiter les coĂ»ts potentiels des faux-positifs et de garantir une certaine proportionnalitĂ© des peines. En renforçant de façon significative les risques de dĂ©tection et en ajoutant aux sanctions des rĂ©gulateurs extĂ©rieurs des sanctions internes, les programmes de conformitĂ© peuvent apporter une rĂ©ponse partielle mais importante Ă  ces deux enjeux.

[46] Boulu-Reshef, B. and Monnier-Schlumberger, C. (2019). Lutte contre les cartels : comment dissuader les tĂȘtes brĂ»lĂ©es ?. Revue Ă©conomique, 70, 1187-1199.

[47] Kahneman D., (2011), Thinking Fast and Slow, Farrar, Straus and Giroux, ed., 499p.

[48] Autorité de la concurrence, octobre 2021, §13.

[49] BasĂ©s sur des rĂšgles d’origines privĂ©es, propres Ă  la firme, communes Ă  une branche ou issues d’instances de certifications, ainsi que sur des textes de droit souple, les programmes de conformitĂ© peuvent apparaĂźtre, peut-ĂȘtre Ă  tort, comme dotĂ©s d’une moindre effectivitĂ© que les dispositions relevant du droit de la rĂ©gulation.

[50] Cusumano M. A., Gawer A., Yoffie D. B., (2021), “Can self-regulation save digital platforms?”, Industrial and Corporate Change, pp.1-27, https://doi.org/10.1093/icc/dtab052

[51] Article L.462-2 (IV) du code de commerce. La clĂ©mence permet Ă  une entreprise de bĂ©nĂ©ficier d’une exonĂ©ration totale ou partielle de sanctions dĂšs lors qu’elle permet de dĂ©tecter et de sanctionner les membres d’une entente dont elle a fait partie. En termes Ă©conomique, la clĂ©mence exploite l’instabilitĂ© intrinsĂšque des accords de cartels. Elle vise Ă  favoriser l’enclenchement d’une course Ă  la dĂ©nonciation entre les firmes participantes. Le mĂ©canisme est d’autant plus efficace qu’il permet de diffĂ©rencier le plus significativement possible les situations de sortie entre la premiĂšre firme Ă  dĂ©noncer le cartel et les autres. L’enjeu est alors d’autant plus significatif que les actions de suite au civil reprĂ©sentent un risque financier Ă©levĂ©.

[52] Le lien avec les deals de justice amĂ©ricain peut ĂȘtre tracĂ©. Dans ce cadre, la coopĂ©ration de l’entreprise suppose Ă©galement la mise en Ɠuvre d’enquĂȘtes internes (ou le paiement d’enquĂȘteurs extĂ©rieurs) pour dĂ©terminer les fautes individuelles. Voir Ă©galement la contribution d’Antoine Gaudemet dans ce volume.

[53] Une entreprise qui devient dominante voit sa responsabilitĂ© s’approfondir et une firme qui Ă©volue sur un marchĂ© de plus en plus oligopolistique doit veiller Ă  ce que son comportement ne soit pas de nature Ă  faciliter l’émergence d’un Ă©quilibre de collusion tacite. Pour autant, comme l’a rappelĂ© la cour d’appel de Paris « un simple parallĂ©lisme de comportements ne suffit pas Ă  dĂ©montrer l'existence d'une entente anticoncurrentielle. Il peut [
] ĂȘtre le fait de concurrents prenant des dĂ©cisions autonomes, sur le fondement d'informations accessibles Ă  tous, et selon une rationalitĂ© Ă©conomique propre Â» (30 septembre 2021, 20/078467). La logique de la conformitĂ© n’empĂȘche en rien l’entreprise de se comporter comme un acteur de marchĂ© avisĂ©.

[54] Autorité de la concurrence, document cadre du 11 octobre 2021, §31.

[55] Black J., (2013), “Seeing, Knowing, and Regulating Financial Markets: Moving the Framework from the Economic to the Social”, LSE Law, Society and Economy Working Papers, 24

[56] Kirat T. and Marty F., (2015), “The regulatory practice of the French Financial Regulator, 2006-2011. From substantive to procedural financial regulation?”, Journal of Governance and Regulation, 4(4), pp.441-450.

[57] Voir dans le cas américain, la doctrine du respondant superior qui rend les entreprises responsables des actes illégaux que pourraient commettre leurs dirigeants et cadres.

Brickey K.F., (1982), “Corporate Criminal Accountability: A Brief History and an Observation”, Washington University Law Quarterly, 60(2), pp. 393-423.

En droit interne, la logique pourrait revenir Ă  une dĂ©lĂ©gation de pouvoir administrative, Ă  ceci prĂšs qu’un programme de conformitĂ© peut y ajouter des Ă©lĂ©ments d’autorĂ©gulation le conduisant Ă  ĂȘtre un outil de management de la firme et non pas seulement une rĂ©plication de la rĂ©gulation dans les rĂšgles internes Ă  la firme.

Voir sur ce point, du Marais B., (2015), op.cit., p.198.

[58] L’absence de mĂ©canisme de contrĂŽle effectif est sanctionnĂ©.

[59] Pistor K., (2013), “Towards a Legal Theory of Finance”, Journal of Comparative Economics, vol.41, pp.315-330.

[60] Traduction interne d’un dispositif de whistleblowing. Il est d’ailleurs Ă  relever qu’il est plus intĂ©ressant pour la firme de mettre en place des dispositifs internes en faveur des lanceurs d’alerte que de risquer que ces derniers n’utilisent les dispositifs externes.

Schmidt M., (2005), « Whistleblowing’ Regulation and Accounting Standards Enforcement in Germany and Europe - An Economic Perspective », International Review of Law and Economics, Volume 25.

Cette question, ainsi que celle de l’éventuelle rĂ©munĂ©ration des lanceurs d’alerte, a occupĂ© une place importante en novembre 2021 dans le cadre de la transposition en droit interne de la directive europĂ©enne du 23 octobre 2019 sur la protection du lanceur d'alerte.

[61] Coglianese C. and Kagan R.A., (2007), Regulation and Regulatory Process, Ashgate.

[62] Aubert C., Rey P. and Kovacic W., (2006), “The Impact of Leniency Programs on Cartels”, International Journal of Industrial Organization, 24(6), pp.1241-1266.

[63] La question peut ĂȘtre reliĂ©e Ă  celle plus gĂ©nĂ©rale de l’attractivitĂ© Ă©conomique du droit ou de l’impact de la qualitĂ© du cadre rĂ©glementaire sur l’attractivitĂ© d’une place juridique pour les investisseurs. La qualitĂ© peut Ă  la fois ĂȘtre vue comme une source de surcoĂ»ts, pĂ©nalisante dans une logique de concurrence par les prix, ou comme une source de sĂ©curitĂ© additionnelle pour les investisseurs. Voir notamment sur le premier angle, celui d’une conformitĂ© allant Ă  l’encontre de la compĂ©titivitĂ© internationale, les travaux de Luigi Zingales sur l’impact de la loi Sarbanes-Oxley.

Zingales L., (2007), “Is the U.S. Capital Market Losing its Competitive Edge?”, ECGI - Finance Working Paper, n°192/2007.

[64] Europe Economics, (2008), Etat des lieux et perspectives des programmes de conformité, étude réalisée pour le Conseil de la concurrence, septembre, https://www.autoritedelaconcurrence.fr/sites/default/files/2019-05/etude-programmes-conformite-2008.pdf

[65] BonnecarrĂšre P., (2018), ExtraterritorialitĂ© des sanctions amĂ©ricaines, Rapport d’information de la Commission des affaires europĂ©ennes du SĂ©nat, n°17, octobre.

[66] HĂŒschelrath K., (2010), op. cit., p.492.

[67] Ces mĂ©thodes sont utilisĂ©es dans le domaine de la dĂ©tection des cartels dans les marchĂ©s publics (notamment s’ils fonctionnent sur le base de mĂ©canismes d’offres de couverture). Elles peuvent notamment s’appuyer sur les ressources offertes par l’intelligence artificielle pour prĂ©dire des configurations « anormales Â» Ă  partir de l’analyse de grandes bases des donnĂ©es. Ces mĂȘmes mĂ©thodes basĂ©es sur l’apprentissage machine ont Ă©tĂ© appliquĂ©es pour dĂ©tecter des cas de favoritisme dans l’attribution de marchĂ©s publics par des collectivitĂ©s territoriales.

De Marcellis-Warin N., Marty F. et Warin T., (2021), « Vers un virage algorithmique de la lutte anticartels ?

ExplicabilitĂ© et redevabilitĂ© Ă  l’aube des algorithmes de surveillance Â», Ethique Publique, Ă  paraĂźtre.

[68] Pour une application aux secteurs financiers et bancaires, voir :

Bouthinon-Dumas H., (2017), « La quĂȘte de l’effectivitĂ© dans la rĂ©gulation financiĂšre Ă  travers les sanctions dissuasives et la conformitĂ© Â», Revue Internationale des Services Financiers, 2, pp.23-27

Teller M., (2015), « Les fonctions de la procĂ©dure en droit bancaire et financier Â», Revue Internationale de Droit Economique, 4-2015, pp.503-512.

[69] HĂŒschelrath K., (2010), op. cit., p.495.

[70] Voir la contribution de Jean-Christophe Roda dans cet ouvrage.

[71] Voir Vioulac J., (2014), « Dans les eaux glacĂ©es du calcul Ă©goĂŻste Â», Esprit, n° 3-4, pp. 132-136

[72] Holmes O.W., (1897), “The Path of the Law,” Yale Law Journal, vol.10, pp. 457 et s.

[73] Frison-Roche M.A., (2018), « Le droit de la compliance au-delĂ  du droit de la rĂ©gulation Â», Recueil Dalloz, Dalloz, pp.1561 et s.

comments are disabled for this article