En hommage à Geneviève Viney, dont j'ai eu la si grande chance d'être l'étudiante
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► Full Reference: M.-A. Frison-Roche, Ex Ante Responsibility, Working Paper, December 2021.
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📝This Working Paper has been the basis for an article written in French, "La responsabilité Ex Ante", published in the Archives de Philosophie du droit (APD), in the book 📗La Responsabilité (2022).
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► Working Paper Summary: Quel est le temps auquel s'articule la responsabilité ? La question est si classique que toutes les réponses ont été dessinées : si l'on est responsable plus aisément par rapport au temps, car l'on peut alors plus aisément faire un lien entre la situation appréhendée, sa réalisation dans le passé la rendant plus facilement connaissable, et le poids de "responsabilité" que l'on impute sur une personne, l'on peut articuler la responsabilité avec le futur. Si l'on brise le poids de cette responsabilité avec un évènement ou une situation, par exemple. Le Principe Responsabilité de Jonas ou l'Ethique de la Responsabilité font ainsi voyager la Responsabilité dans le temps, par un rapport entre le Droit et l'Ethique.
D'ailleurs l'on pourrait soutenir que le Droit peut faire ce qu'il veut et imputer une responsabilité à quiconque pour le temps qu'il désigne, par exemple désigne comme porteur d'une responsabilité, c'est-à-dire d'un poids, celui qu'il veut. Le "responsable" serait alors le titulaire d'une sorte de "poids pur", qui le charge parce que le Droit l'a voulu pour le temps qu'il veut, par exemple un devoir d'agir pour que le futur soit dessiné comme le veut le Droit, alors même que le Responsable n'a rien à se reprocher dans le passé.
Mais les Cours constitutionnelle défendent un rapport minimal entre la Responsabilité et le poids que celle-ci fait porter une personne, fut-t-elle morale, gardant ainsi le lien consubstantiel entre le Droit et la Morale, la technique juridique de la Responsabilité ne pouvant équivaloir à celle d'un prélèvement obligatoire.
Ainsi l'idée d'une Responsabilité Ex Ante est simple dans son principe (I). Elle est celle d'un poids juridiquement posé sur une personne soit par elle-même (engagement), soit par la Loi ou par le Juge sur une personne de faire quelque chose pour que n'advienne pas quelque chose qui adviendrait ou pour qu'advienne quelque chose qui n'adviendrait pas si elle ne le faisait pas.
Mais les conditions juridiques pour admettre un tel poids alors même que le lien avec une situation passée serait brisé est plus difficile (II). On continue certes continuer à voir dans le futur le passé, ce qui facilite le voyage dans le temps, et fonda par exemple le contrôle Ex Ante du contrôle des concentrations. Mais l'on peut se briser même de cette facilité et regarder non plus le rapport entre le passé et le futur, mais le présent et le futur : ce que l'on sait déjà aujourd'hui du futur, ce qui met en jeu le rapport entre le Droit et la Science ; ce que l'on observe de l'emprise de la personne présente sur le moment présent, c'est-à-dire le Pouvoir, ce qui fait en jeu le rapport entre le Droit et l'Economie politique.
Dans cette dimension-là, la contrainte de la Responsabilité Ex Ante est alors maniée par le Juge, dont l'office lui-même devient un office Ex Ante. Les pouvoirs obligés Ex Ante par une telle responsabilité maniée par le Juge étaient les personnes en situation de pouvoir, sont non seulement les entreprises, mais encore les Etats, qui perdent le privilège - partagé avec les contractants - de disposer juridiquement du futur, et notamment en leur sein le Législateur.
Une telle révolution, qui se déroule sous nos yeux, s'explique parce qu'il faut agir maintenant pour que le futur ne soit pas catastrophique. La science nous informe qu'il le sera entéléchiquement. Il est donc juridiquement requis de désigner des responsables, non pas parce qu'ils auraient fait quelque chose, la dimension Ex Post n'étant pas le sujet, mais pour qu'ils fassent quelque chose, la Responsabilité Ex Ante étant un élément central de cette nouvelle branche du Droit qu'est le Droit de la Compliance.
I. L'URGENCE À PLACER LA RESPONSABILITÉ EX ANTE
Pourquoi s'évertuer à orienter vers le futur le Droit de la Responsabilité, puisqu'il est naturellement tourné vers le passé en ce qu'il contraint les personnes à "rendre des comptes"📎
A. LA RÉPARTITION TRADITIONELLE DES TEMPS ENTRE LES SOURCES DU DROIT
Dans le système juridique, la répartition du temps est affaire de pouvoir📎
Le principe dit de "sécurité juridique" 📎
Il est alors logique que le juge, agent neutre d'effectivité de ce qu'ont décidé les deux premiers, ait pour temps naturel le passé, lui qui, dans le système traditionnel, n'a pas vocation à avoir une volonté autonome : il prend ce qui est déjà là, à savoir les situations de fait et de droit déjà constituées et les règles de droit qui lui sont disponibles, ainsi que le rappelle l'article 12 du Code de procédure civile 📎
Le meilleur exemple en serait précisément le Droit de la responsabilité, en grande partie d'origine prétorienne, y compris dans les systèmes de droit romano-germanique, ce qui ne saurait troubler puisque le juge n'appréhendant que des faits et des actes constitués, la responsabilité actée des personnes, sanctionnées à ce titre est donc une responsabilité Ex Post. Certes, Christian Mouly avait le premier relevé la "super-rétroactivité" de la jurisprudence 📎
Ainsi dans la conception traditionnelle, aller contre cette répartition équivaut à remettre en cause la séparation des pouvoirs : dans une première direction, cela reviendrait à contester l'exclusif pouvoir du Législateur ou des contractants de disposer de l'avenir comme ils le veulent, le premier erga omnes et les seconds dans la portée donnée à leur échange ; dans la direction réciproque, cela reviendrait à prétendre que le Juge pourrait se saisir de l'avenir, en Ex Ante, ce qui serait lui attribuer un pouvoir politique, selon l'expression si souvent utilisée du "gouvernement des juges", soit pour dire qu'on y est favorable soit pour exprimer son hostilité et qu'il conviendrait d'y mettre bon ordre.
Dans cet environnement conceptuel très ancré, parce que la Responsabilité est en Droit maniée par les juges, la notion de "Responsabilité Ex Ante" peut apparaître comme aporétique. Cela serait très dommageable car aujourd'hui le temps qui requiert le plus la force du Droit est le temps futur.
B. LA PRIORITÉ DU FUTUR
Comme l'écrivit en 1992, à propos du Droit de l'environnement, Pierre Godé, ce qui doit être l'objet de réflexion ce n'est pas tant "l'avenir du Droit" que le "Droit de l'Avenir" 📎
Les effets systémiques ont toujours existé, justifiant des dispositifs Ex Ante, de détection et de prévention concernant des structures, des personnes et des comportements pouvant mettre en péril des systèmes complets : c'est l'objet du Droit de la Compliance, lequel constitue une branche du Droit Ex Ante 📎
Le Droit de la Compliance a pour objet de faire en sorte qu'un événement systémiquement catastrophique ne se réalise pas, soit en lui-même, soit dans tous ses effets systémiques. Cela constitue son "but monumental négatif" 📎
Mais si l'on en retient cette définition substantielle, qui fut initialement celle de l'Europe notamment à propos des informations personnelles 📎
C. L'INADÉQUATION DE LA RÉPARTITION TRADITIONNELLE DU TEMPS ENTRE LES SOURCES DU DROIT
En effet, le Législateur et l'Exécutif exercent l'emprise sur le futur, par des textes qui engagent les assujettis, mais l'expression erga omnes est trompeuse car leur volonté n'a de prise qu'à l'égard de ceux qui relèvent du système juridique dans lequel l'ordre juridique en question se déploie. Or, les enjeux systémiques qu'il faut détecter et prévenir dans leur potentialité néfaste par une organisation à bâtir dès aujourd'hui excèdent les frontières géographiques de chacun des systèmes juridiques, puisqu'il s'agit d'enjeux globaux et qu'il n'existe pas de Droit global 📎
La question de "l'extraterritorialité", qui fait tant réagir comme une agression d'un gouvernant contre un autre, répond pourtant à la dimension systémiquement globale du sujet. En effet, la corruption et le blanchiment d'argent sont considérés non pas en tant que tels mais en tant qu'ils détruisent les économies, puis les sociétés et conduisent à la guerre ; le changement climatique étant le plus violent exemple de cette dimension systémique.
À cela, le Droit international public ne peut répondre par les conventions internationales conclues entre les sujets de droit souverain que sont les États, insuffisants à construire un plan d'ensemble, de la même façon qu'aucune institution internationale ne peut, pour l'instant, globalement détecter et prévenir les crises systémiques globales futures, qu'elles soient sectorielles, notamment bancaires, financières ou énergétiques, et encore moins lorsqu'elles ne sont pas sectorielles, c'est-à-dire numériques et climatiques 📎
L'on pense alors à se tourner vers les "petites lois" que sont les contrats internationaux des entreprises, lesquelles ont pour elles de n'être pas bridées par le lien consubstantiel qu'ont les États à un territoire 📎
C'est donc bien vers la voie de la Responsabilité qu'il faut se tourner. Or, le Droit de la Responsabilité est bien l'affaire du Juge 📎
II. LES VOIES JURIDIQUES POUR PLACER LA RESPONSABILITÉ EX ANTE
Pour déplacer la responsabilité dans le temps, le Juge peut se fonder sur l'engagement, ce qui ne constitue pas véritablement un déplacement, puisque l'engagement est par nature un fait ou un acte qui est dans le passé. La Responsabilité n'en est donc pas bouleversée. Cela valide au contraire l'idée que la Responsabilité relève plutôt de l'exécution (A). Le Droit va dans ce sens, puisque cela ne malmène pas la répartition des pouvoirs préalablement exposée. En revanche, l'affirmation par les Juges que la connaissance du futur catastrophique est si acquise que les droits des victimes futures deviennent immédiatement présents est une conception révolutionnaire de la Responsabilité Ex Ante (B). Plus encore, l'idée que l'on pourrait faire peser le poids de la Responsabilité pour le futur à une entité parce qu'elle est en position d'endurer cette charge, car il faut que quelqu'un le fasse et qu'elle est en position de le faire serait un fondement révolutionnaire (C).
A. L'ENGAGEMENT PASSÉ, FONDEMENT POUR DECLENCHER LA RESPONSABILITÉ EX ANTE
A propos du contrat, Philippe Rémy avait souligné que la responsabilité contractuelle était essentiellement distincte de la responsabilité délictuelle en ce que la première visait à contraindre celui qui s'est engagé à s'exécuter, certes en principe par équivalent mais cela suffisant à la distinguer d'une indemnisation comme celle déclenchée dans le second type de responsabilité 📎
Plus globalement ce raisonnement qui attache la Responsabilité non pas tant à une faute mais à un engagement, par rapport auquel il y a manquement s'il n'y a pas exécution, ce qui permet à travers une déclaration de responsabilité par le Juge qui constate dans le passé l'existence d'un engagement et conclut que l'auteur de cet engagement doit le tenir, vaut bien au-delà de la sphère du contrat, l'engagement unilatéral faisant désormais partie du droit positif 📎
Si l'on examine en effet la décision Grande Synthe rendu par le Conseil d'État le 1ier juillet 2021 📎
Cette décision remarquable n'est pas révolutionnaire, puisque si le pouvoir législatif, au sens large (sens européen, visant aussi le pouvoir parlementaire que le pouvoir exécutif), ne s'était pas engagé, la nullité du refus implicite, c'est-à-dire sa Responsabilité Ex Ante d'agir parce qu'il s'y était lui-même contraint, n'aurait pas été explicitée par le Juge. Mais le Juge ne fait que déployer un engagement que l'Autorité politique a lui-même pris.
La même analyse peut être menée à propos des entreprises, et ce d'une façon plus nette encore, le Droit de la responsabilité ayant été expressément utilisé par le Tribunal de La Haye dans le jugement rendu le 26 mai 2021, engageant la responsabilité de Shell 📎
Cela revient à souligner qu'au-delà de la distinction, la multiplicité et la diversité des personnalités juridiques 📎
S'appuyant notamment sur les rapports du GIEC 📎
Il est remarquable que le terme de "responsabilité opérationnelle" soit utilisé, pour décrire cette organisation Ex Ante. Plus encore, le Tribunal ajoute : "RDS écrit que son PDG est ultimement responsable de la gestion globale du groupe Shell. Le PDG est l'autorité finale et a la responsabilité ultime de toutes les questions de gestion, à l'exception de celles qui relèvent de la responsabilité ultime de l'ensemble du conseil d'administration de RDS ou relèvent de l'assemblée des actionnaires de RDS. En ce qui concerne le changement climatique, la déclaration du CDP indique :« Le PDG est la personne la plus élevée responsable du changement climatique. Cela inclut la mise en œuvre de la stratégie de Shell, par exemple à travers les plans de Shell (…) pour fixer des objectifs à court terme pour réduire l'empreinte carbone nette des produits énergétiques qu'elle vend (…). ; La déclaration du CDP 2019 exprime que la politique climatique dont le PDG de RDS est ultimement responsable est déterminée par le conseil d'administration de RDS, qui a « supervision des questions liées au climat ».
Puis le Tribunal analyse la façon dont le Groupe Shell traite le climat comme un risque à évaluer et met en place des technologies pour diminuer les effets négatifs des technologies utilisées actuellement par le groupe, en regrettant que les Etats n'agissent pas davantage en ce qui les concerne et confronte les déclarations au Conseil et aux actionnaires avec l'existence de clauses de non-responsabilité de l'entreprise en raison de la pollution maintenue et des déclarations publiques claires et nettes sur le maintien massif de l'exploitation du pétrole, tandis qu'on trouve sur le site de l'entreprise des déclarations comme : "« Nous avons la responsabilité et l'engagement de respecter les droits de l'homme en mettant fortement l'accent sur la façon dont nous interagissons avec les communautés, la sécurité, les droits du travail et les conditions de la chaîne d'approvisionnement. ».
De tout cela, le Tribunal conclut que RDS est obligé, au travers de la politique d'entreprise du groupe Shell, de réduire les émissions de CO2 des activités du groupe Shell d'ici fin 2030 de 45% net par rapport à 2019. Cette obligation de réduction concerne l'ensemble du portefeuille énergétique du groupe Shell et sur le volume combiné de toutes les émissions. Il appartient à RDS de définir l'obligation de réduction, en tenant compte de ses obligations actuelles et d'autres circonstances pertinentes.
C'est donc d'une part la notion d'engagement et d'autre part la notion de cohérence qui sont utilisées, à partir du seul Code civil néerlandais dans ses dispositions générales sur le Droit de la Responsabilité, que le jugement a été rendu. Ces notions d'engagement et de cohérence, que l'on rapprochait classiquement davantage de l'éthique que du Droit, se développent aujourd'hui fortement en Droit portées par l'économie de la Régulation. Elles reposent sur l'idée que celui qui est assez puissant pour engager les autres dans le futur doit pouvoir être contraint d'être tenu par ses promesses et son discours. Cela revient, comme l'a parfaitement exprimé Alain Supiot, à "prendre la responsabilité au sérieux" 📎
Le Tribunal reconnait en outre que cette responsabilité est partagée entre les Etats et l'entreprise, car celle-ci ne peut prétendre simplement "se conformer" à la réglementation (ce qui montre l'opposition entre la "conformité" et le Droit de la Compliance, dans ses liens avec la Responsabilité et l'Éthique 📎
Les juges ont pu donc se saisir du futur parce que l'entreprise s'était elle-même prétendue assez puissante pour le faire. Au titre du Droit ordinaire de la responsabilité, les juges peuvent donc engager la responsabilité des entreprises en prenant appui sur les paroles engageantes que celles-ci ont élaborées : déclarations faites aux actionnaires et à l'opinion publique, portant sur la modification systémique du futur. Les juges n’obligent en rien les entreprises à s’engager, en cela ils ne « gouvernent » pas les entreprises. Mais en prenant au sérieux ce qu’elles disent, elles les contraignent à une obligation de sérieux. Parler sérieusement, ne pas être incohérent, accorder crédit à ce que l’on dit soi-même, devient ainsi une nouvelle sorte de devoir. Si l’on considère qu’il y a de la Raison dans le Droit, qui peut être contre ?
La question ouverte est celle d'un pouvoir juridique, Législateur ou Entreprise, qui ne serait engagé à rien, et à propos duquel une personne concernée viendrait pourtant demander à ce qu'il soit contraint d'agir au titre de sa responsabilité vis-à-vis du futur.
Cela supposerait que l'on connaisse déjà le futur, ce qui modifie la place du risque 📎
B. LA CONNAISSANCE DU FUTUR CATASTROPHIQUE, FONDEMENT POUR PLACER LA RESPONSABILITÉ EX ANTE
Dans le Vocabulaire fondamental du Droit, dans un article admirable présentant "La responsabilité" 📎
C'est la puissance de la "virtualité" que de rendre d'ores et déjà présent ce qui est acquis dans le futur 📎
Cette hypothèse est celle qui a été examinée par le Tribunal constitutionnel allemand, dans son arrêt du 29 avril 2021. Il a pu être qualifié à juste titre de "révolution juridique" 📎
La question était procédurale, puisque le reproche fait était le fait pour le Législateur de n'avoir prévu d'action que jusqu'en 2050, laissant aux parlementaires du temps futur le soin de prendre à ce moment-là les dispositions appropriées. Les demandeurs soutenaient que si le Législateur choisissait alors de ne rien faire, il violait le droit fondamental à la vie des générations futures. Il leur avait été répondu que ce droit des "générations futures" ne pouvait être évoqué puisque ces générations n'étaient pas présentes leurs droits n'étaient pas effectifs et ne pouvaient être évoqués.
Le Tribunal constitutionnel affirma que les travaux scientifiques étaient à ce point crédibles que s'il était possible pour le Législateur futur de ne rien faire, alors il était d'ores et déjà acquis que beaucoup de personnes de ces générations futures mourront. En Droit, il estime qu'un Législateur ne peut adopter une Loi dont l'objet est la lutte contre le changement climatique dont les mécanismes mis en place ne dépassent pas 2030, en laissant donc la possibilité pour celui qui dispose du Futur en 2030 d'éventuellement ne rien faire. Cela est incohérent et le Législateur (pas plus et pas moins qu'une entreprise) n'a pas le pouvoir d'être incohérent.
L'on mesure qu'une telle décision n'est pas l'expression d'un "gouvernement des juges" mais l'affirmation d'une obligation de cohérence, par rapport à ce que dit le Législateur, c'est-à-dire la juste opposition entre le Droit et l'Arbitraire 📎
La question qui reste ouverte est donc de savoir si le Juge peut aussi imposer une Responsabilité Ex Ante aux entreprises s'il n'y a pas eu d'engagements, du seul fait qu'il y a un "trouble", du seul fait qu'il y a trouble futur dont l'advenance est d'ores et déjà acquise et que l'entité devrait supporter le poids de faire quelque chose parce qu'elle est "en position" de le faire.
C. LA POSITION DE L'ENTITÉ, FONDEMENT SUFFISANT POUR DÉCLENCHER LA RESPONSABILITÉ EX ANTE ?
Le Droit de la Responsabilité n'a pas encore franchi ce Rubicon. Il puise encore dans un engagement, recherche dans son temps naturel qui est le passé, un engagement pour faire peser un poids, même s'il étire ce passé vers le futur.
Mais ce franchissement a d'ores et déjà été opéré par le Droit de la Compliance, branche révolutionnaire du Droit à partir de laquelle il convient de penser le Droit de la Responsabilité.
En effet, lorsque le Droit de la Compliance fait peser sur les banques des obligations de détecter et de prévenir des comportements de blanchiment d'argent ou de corruption, ce n'est ni parce qu'elles en seraient, même potentiellement, les complices, ni parce qu'elles auraient pris des engagements de participer à cette lutte : c'est parce qu'elles sont en position de le faire efficacement. De la même façon et d'une façon extraordinaire, la Banque Centrale Européenne pose que son premier objectif est la lutte contre le changement climatique, affirmation dont le seul fondement est la nécessité de la mener. "But Monumental" qui est inséré par son pouvoir et par les Autorités de marchés financiers dans les opérateurs bancaires et financiers non pas parce qu'ils auraient un rapport avec le phénomène (car ils n'ont pas d'activités énergétiques - contrairement à Shell ou à un législateur qui adopte une loi en la matière -) mais parce qu'ils sont en position de le faire.
Le Droit de la Compliance, Droit de l'Avenir par excellence, désigne comme sujets de droit obligés ceux qui sont "en position" d'agir. Dans sa décision du 17 mars 2013 📎
Parce qu'il faut penser la Responsabilité Ex Ante comme faisant partie intégrante du Droit de la Compliance, branche du Droit Ex Ante qui place sa normativité dans ses "Buts Monumentaux" qui sont le respect effectif de la dignité humaine, laquelle est dissociable du souci de prévenir la disparité de l'Humanité en raison d'un changement climatique fatal, le principe de nécessité et de trouble doit suffire pour faire peser ce poids sur les entités "en position" de faire quelque chose.
Puisque la "Révolution" de l'arrêt Jand'heur a été possible, pourquoi celle-ci ne le serait-elle pas ?
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V. par ex. Viney, G., Responsabilité, in Archives de Philosophie du Droit, Vocabulaire fondamental du Droit, ....
Voir par ailleurs Frison-Roche, M.-A., Concevoir le pouvoir, 2021.
La théorie de l'application de la loi dans le temps n'est elle-même qu'une projection de la conception que l'on a des sources du Droit. Il a suffi que le Doyen Roubier souligne dans son ouvrage de 1960, Le droit transitoire, que la Loi était la plus importante, que la nouvelle était fortement meilleure que l'ensemble, pour la non-rétroactivité de la loi nouvelle cesse d'être le premier principe et prend la seconde place, cédant le pas devant ce qui est désormais le premier principe : l'application immédiate de la loi nouvelle, sans même qu'il soit besoin de toucher à la lettre de l'article 2 du Code civil.
D'une façon plus générale, pour qui aime le Législateur et partage cette conception selon laquelle la loi nouvelle est toujours meilleure que la loi ancienne, v. Carbonnier, Toute loi nouvelle ... ; ce n'est pas ce que l'on pense par ailleurs à propos des vieux impôts (v. L'impôt, Archives de philosophie du droit...).
... Le contrat par acte de prévision, in L'avenir du Droit, Mélanges François Terré, ....
Comme on le verra plus loin, ce partage du temps étant remis en cause par la priorité du Futur, ce principe de "sécurité juridique" que l'on présente comme si intangible et comme naturel, sera remis en cause si l'on change les perspectives et fait prévaloir la détection et la prévention des crises systémiques futures. Voir dans ce sens, Frison-Roche, M.-A., ...principe d'insécurité juridique, 2021.
"
Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat.
Le litige né, les parties peuvent aussi, dans les mêmes matières et sous la même condition, conférer au juge mission de statuer comme amiable compositeur, sous réserve d'appel si elles n'y ont pas spécialement renoncé."
Mouly, Ch. ... ; v. dans les Mélanges Christian Mouly, ....
Ce que montra la thèse de Geneviève Viney, Le déclin ...
Godé, P., Le droit de l'avenir, ....
V. par ex., Cohendet, M.-A. et Fleury, M., Constitution et droit international de l'environnement, 2020.
Sur l'apparition du Droit de la Compliance, v. par ex., Frison-Roche, M.-A., ....
Frison-Roche, M.-A., Le Droit de la Régulation, branche du Droit spécifique Ex Ante, ..., 2004....
Sur la distinction entre les "buts monumentaux négatifs" et les "buts monumentaux positifs", v. Frison-Roche, M.-A., La cohérence ..., in Frison-Roche, M.-A. (dir.), Les outils de la compliance, 2021.
Sur l'idée même des "buts monumentaux" qui définissent la nouvelle branche du Droit que constitue le Droit de la compliance, v. Frison-Roche, M.-A.(dir.), Les buts monumentaux de la compliance, 2022.
Frison-Roche, M.-A., Compliance : hier, aujourd'hui, demain, ....
Frison-Roche, M.-A., Repenser le monde à partir de la notion de donnée ; Tirer les conséquences régulatoires d'un monde repensé à partir de la notion de donnée, in ..., 2016 ....
Le thème des sanctions et de la responsabilité dans le Droit de la Compliance concerne pour l'instant et en abondance la Responsabilité Ex Post. Les études disponibles sont donc relativement classiques, puisqu'il s'agit d'appliquer le Droit classique de la responsabilité, dans une matière aujourd'hui bien maîtrisée qui est le "droit des sanctions". V. par exemple Segonds, M., ... in Les Buts Monumentaux de la Compliance, 2022. L'on y retrouve les principes classiquement exposés de proportionnalité des sanctions, et les principes de procédure comme les droits de la défense, etc. Si l'on se place dans la perspective d'une Responsabilité Ex Ante, il ne peut plus s'agir d'une simple transposition, puisque notamment le procès apparaît comme étant sans "litige". Voir dans cette perspective le remarquable article de Nicolas Cayrol, Le Droit processuel dans le Droit de la Compliance, in La juridictionnalisation de la Compliance, 2022. Sur ces perspectives procédurales, v. infra.
Sur la perspective de "Droit global", notamment au regard des Etats, v. ....
Frison-Roche, M.-A., Compliance Law, Future and Health Crisis, 2020.
Ruiz-Fabri, H., ..., Archives de philosophie du droit, ...
Mossé, M., ... Archives de philosophie du droit, ....
Sur le fait que la Responsabilité est avant tout l'affaire du Juge : ....
Rémy, Ph., ....La responsabiité contractuelle ...
Le titre de l'ouvrage de Muriel Fabre-Magnan est en cela exemplaire : Droit des obligations. 1. Contrat et engagement unilatéral, 6ième éd., coll. Thémis, PUF, 2021.
C.E., 1ier juillet 2021, Grande Synthe, ... ; ....
Sur les conséquences, et notamment l'obligation de faire, v. infra.
Trib. La Haye, 26 mai 2021, Shell (traduction française)
Ce qui la met en correspondance directe avec le Droit de la Compliance. V. dans cette perspective, Frison-Roche, M.-A., Droit de la Compliance et Personnalité juridique ....
Sur la question de la "connaissance du futur", v. infra.
Supiot, A., Introduction, in Supiot, A. et Delmas-Marty, M., Prendre la responsabilité au sérieux, 2015.
V. l'introduction, supra.
Voir d'une façon générale la place centrale du risque dans d'autres disciplines que le Droit, par exemple la Sociologie (écouter Pierre-Michel Menger) ou dans le Droit (Mestre, J., Le droit et le risque). Le Droit de la Compliance vise à accumuler et à traiter les informations pour connaître le futur et, par la maîtrise des risques, d'en prévenir les conséquences systémiques ; c'est notamment l'enjeu de la cartographie des risques (Frison-Roche, M.-A., Le statut juridique de la cartographie des risques ...).
; dans le prolongement de cet article, v. Viney G., Pour ou contre un "principe général" de responsabilité pour faute ? Une question posée à propos de l'harmonisation des droits civils européens, in Le droit privé français à la fin du XXe siècle, tudes offertes à Pierre Catala, Litec, 2001
Pour plus de développement sur cette notion juridique de "virtualité" qui permet de distinguer le futur "nouveau" et le futur "acquis", lequel est de ce fait traité juridiquement comme du présent, v. Frison-Roche, M.-A., in Mélanges Elie Alfandarie, ....,
C'est exactement le cas présent.
Lepage, C., Le jugement du Tribunal constitutionnel allemand, une révolution juridique, ...
Sur l'opposition entre le Droit et l'arbitraire, v. supra l'introduction.
Cons. const., 17 mars 2017, ... ;
Voir la loi du 23 mars 2017 ....
Cela valide donc la distinction de la Responsabilité Ex Ante, fondée lorsqu'elle s'insère dans une perspective de Droit de la Compliance. Si l'on reste dans une perspective de Droit de la Responsabilité, la distinction entre la responsabilité civile et la responsabilité-sanction faite par le Conseil constitutionnel n'est pas compréhensible. Elle a d'ailleurs été critiquée, et par ceux qui excluient toute responsabilité, y compris civile, et par ceux qui voulaient une pleine responsabilité, y compris répressive.
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