Le droit est à première à distance de la réalité et de la vérité. Cela n'est pas "un sujet" pour lui.
L'art ne colle pas davantage à la réalité. C'est ainsi qu'il peut la projeter, en murmures ou en cris. Car l'art prend soin de sonner toujours faux. C'est ainsi que les demoiselles demandent à leur mère de passer le sel à table en chantant et que l'on comprend que c'est ainsi la famille et son droit.
Mais parce que le droit est un "art pratique" et que "le droit est fait pour les hommes et non les hommes pour le droit", il serait délirant de congédier la réalité et la vérité, même si ensuite il ne peut les atteindre une fois qu'il en a admis le principe.
Car lorsque Clouzot titre son film sur la justice La vérité, par ce seul titre il condamne la justice.
D'une façon aussi implacable que le fît Gide dans ses souvenirs d'un juré d'assises.
L'un et l'autre montrant que la justice n'en a rien à faire, mais plus encore que nous, nous qui jugeons - nous jurés à côté de Gide, nous mégères entassées dans la salle d'audience par Clouzot -, nous voulons juste que coule le sang. Le sang du trop, trop jeune incendiaire chez Gide, de la trop, trop belle B.B. chez Clouzot. Et surtout pas la vérité. Qu'on ne saurait jamais, de toutes les façons.
Lire ci-dessous les développements.
Aujourd'hui, on explique souvent que le droit d'une part est "performatif" et d'autre part constitue un système auto-référentiel.
Ainsi, il n'a pas à connaître la réalité et il ne connaît que "sa vérité" (logique interne). A chacun sa vérité. Certes, mais celle du vérité est "incontestable" et celui qui comparait ne peut s'y soustraire que par la mort, sauf à revenir au Droit médiéval au sein duquel l'on pendait dûment les cadavres afin qu'ils ne s'échappent pas, qu'ils répondent encore,.
La "vérité" du droit tient en premier lieu dans son pouvoir de "vérité légale" qui est attachée aux décisions et aux lois, c'est-à-dire à son incontestabilité.
Si l'on se réfère à Popper, le droit n'étant pas scientifique mais normatif, la vérité n'est pas une notion pertinente pour lui, seule la cohérence a du sens. Kelsen "théorie pure du droit". Conçue pour résister à la puissance de la pensée nazie qui se référait à la seule "réalité".
Plus encore, si l'on se réfère à la leçon inaugurale de Foucault sur L'ordre du discours, celui-ci pose que la science est de l'ordre du vrai mais que le Droit est de l'ordre du discours politique, celui qui met de l'ordre dans la cité, un ordre juste puisqu'il donne à chacun la part qui lui revient (Aristote). Foucault souligne que c'est le XIXième siècle qui va recouvre ce second type de discours par le premier.
Seul aujourd'hui aujourd'hui l'Art, par des chuchotements, par des cris, parle encore pour dire que le Droit relève du juste partage et non pas de la vérité. Le discours que l'on entend partout, hors de l'art - dont on nous rappelle qu'il n'est que fiction et qu'il faut passer aux choses sérieuses, c'est-à-dire à l'économie -, c'est que le Droit est de l'ordre de la vérité, du fait, de l'exact et du calcul.
En second lieu, le droit fonctionne avec des qualifications qui constituent la puissance normative suprême : la qualification. On peut en prendre deux particulièrement problématique : la "culpabilité" et la "personne".
Mais le droit est aussi "un art pratique". S'il "dit" tout ce qu'il veut, il "déraisonne" et produit des explosions sociales. Ainsi, l'on disait : Le Parlement anglais peut faire tout ce qu'il veut, sauf transformer les hommes en femmes. Dès lors, le Parlement, c'est--à-dire la source légitime du droit doit connaître la réalité qui fournit les critères distinctifs entre l'homme et la femme en dehors du droit.
De la même façon, même dans une conception performative, beaucoup de personnes "parlent" dans le système juridique (pluralisme juridique). Ainsi, si l'on dit que la notion d' "erreur judiciaire" est une notion juridique, il faudrait donc admettre qu'il y a une vérité. Dès lors, il y a bien une vérité, puisqu'il y a une erreur. L'erreur visée est ici commise par les juges par rapport à la vérité des faits à travers le système complexe de la preuve.
Peut-on aller plus loin et parler d'"erreur du droit" ? Le Législateur peut-il faire une erreur ? Peut-on chercher à connaître la réalité ? Plus encore devrait-il être obligé de connaître la réalité ? Cela supposerait qu'il y ait une hiérarchisation des ordres normatifs et que le droit ne soit non plus plus autonome et ouvert à l'égard des autres ordres normatifs (conception de Luhmann).
Cette ouverture existe, c'est le Droit qui l'organise, car il est aussi une "science sociale".
Mais allant plus loin, mais certains pensent que le droit étant et n'étant qu'un "instrument", il est tout en dessous d'une pyramide et qu'il est le servitude d'ordres normatifs qui lui sont supérieurs : le prétendant actuel à être la "discipline-mère" est l'économie. Alain Supiot décrit livre après livre le succès de cette conception.
Le Législateur aurait pour seul rôle, neutre normativement, à donner puissance d'exécution à la "loi du marché". C'est par exemple l'enjeu de la convention de maternité de substitution, dont la licéité est inconcevable si le Droit existe encore, qui va de soi dans la seconde organisation d'une société de marché où la seule loi est celle de l'ajustement des désirs.
Dans ce cas, le Législateur (le grand : le Parlement, ou le petit : les contractants), va prendre en considération l'existence de la "réalité" pour la poser comme limite à sa puissance. C'est le droit naturel "classique" (Aristote).
L'un des enjeux est de repérer ce qui appartient à la "réalité" et ce qui appartient à l'institution. Ainsi, les deux enjeux majeurs sont : la "personne" et la "filiation", ce que la première elle ne pourrait se confondre avec les choses, en ce que la seconde ne peut naître de la seule volonté d'un individu.
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