Sept. 10, 2021

Compliance: at the moment

La convention judiciaire d'intérêt public "Morgan Stanley" : dix ans pour finalement ne rien ouvrir

by Marie-Anne Frison-Roche

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  La lecture de la ➡️📝 Convention judiciaire d'intérêt public signée le 26 août 2021 par le procureur de la République financier près le tribunal judiciaire de Paris et la filiale française de la banque d'affaire américaine JP Morgan, validée par l'➡️📝Ordonnance rendue par le Président du Tribunal judiciaire de Paris du 2 septembre 2021, est instructive à plusieurs titres.

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On peut la lire sur le fond et au regard croisé du droit fiscal et du droit des sociétés, entre l'abus de droit et le montage, puisque les faits reprochés concernant un montage très sophistiqué élaboré par les cadres de l'entreprise Wendel ayant abouti à n'être pas soumis à une taxation immédiate, ce à l'égard de quoi l'administration fiscale a réagi en demandant la condamnation des intérêts pour fraude fiscale. 

Prenons plutôt du côté de la Convention judiciaire d'intérêt public (CJIP). Elle résulte de discussion entre le Parquet national financier et la banque d'affaire qui a conseillé les cadres dirigeants de Wendel dans "la phase finale des discussions avec les concepteurs de l'opération" et qui a prêté les fonds.

Celle-ci souligne qu'elle n'était pas partie prenante dans le montage et qu'on lui avait soutenu que le risque de requalification en abus de droit était relativement faible. Qu'il ne convient pas de prononcer d'amende à son endroit, puisqu'elle n'a quant à elle tiré aucun profit fiscal de tout cela.

Le ministère public estime que, même si la banque n'a pas été impliquée dans la construction de l'opération, il faut retenir la qualification pénale de "complicité de fraude fiscale par fourniture de moyens".

Il passe donc directement au calcul de l'amende d'intérêt public : il le calcule, selon les termes de l'article 41-1-2 du Code de procédure pénale qui se réfère aux "avantages tirés des manquements", et ce dans la limite de 30% du chiffre d'affaires!footnote-2123

 

I. LE MANIEMENT DU PRINCIPE DE PROPORTIONNALITE DANS LE CALCUL DE L'AMENDE D'INTERET PUBLIC

Le principe de proportionnalité a un rôle central dans le Droit de la compliance. Il requiert que les différents instruments, par exemple les punitions, soient non pas tant limités mais au contraire utilisés pour atteindre efficacement leur but, par exemple dissuader les auteurs de recommencer et les opérateurs qui observent la sanction d'en être dissuadés pareillement (sur le principe de proportionnalité comme technique d'efficacité de la Compliance, v. Frison-Roche, M.-A., ➡️📝Proportionnalité et Compliance, 2021) : c'est pourquoi l'amende d'intérêt public doit être proportionnée à l'avantage retiré du manquement.

Puisque la Convention judiciaire d'intérêt public a pour but de clore l'affaire avant sa phase proprement juridique, le procureur n'étant pas un juge, elle n'a pas pour fonction principale de punir mais de réparer le dommage causé à la société et aux victimes et d'améliorer la situation à l'avenir par la technique du programme de compliance, en évitant le coût de la procédure. Ainsi la Convention judiciaire d'intérêt public fut présentée comme une sophistication du pouvoir d'opportunité des poursuite, le procureur maniant toujours son pouvoir de poursuivre, et donc aussi de ne pas poursuite, sans entamer l'apanage du juge du siège : le pouvoir de juger, le pouvoir de punir.

Il s'agit aussi de créer un effet dissuasif, pour que les tiers voient qu'il n'est pas avantageux de violer la loi, le procureur représentant la loi, la société et l'Etat, le Droit de la Compliance reposant sur la rationalité des acteurs, qui calculent l'opportunité de se conformer à la règle ou de la méconnaître, et non pas sur leur amour de la loi (Sur l'analyse économique des deux branches de cette alternative, qui fait par ailleurs les délices des philosophes, v. Benzoni, L. et Deffains, B., ➡️📝  Approche économique des outils de la Compliance : Finalité, effectivité et mesure de la compliance subie et choisie, 2021).

C'est pourquoi l'article 41-2-1 du Code de procédure pénale dispose donc : " Le montant de cette amende est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés".

Dans la Convention du 26 août 2021 liant la banque Morgan Stanley,  le parquet fait bien référence au ratio de 30% chiffre d'affaire d 'affaire de la banque, à savoir environ 30 millions de dollars, mais c'est aux avantages  financiers non pas retirés par elle mais retirés par ses clients, à savoir environ 78 millions de dollars qu'il se réfère pour calculer la proportionnalité de l'amende.

A partir de ce moment-là, le parquet fait jouer deux autres critères non visés par les textes, l'un classique et en faveur de l'entreprise, à savoir sa faible implication dans le montage, et l'autre moins classique et considéré comme une circonstance aggravante pour l'entreprise, critère t souvent visé en analyse économique du droit, à savoir la "complexité du montage" qui est visée en ces termes, dans le point 36 : "la complexité du montage fiscal justifie la prise en compte d'un facteur aggravant sa responsabilité".  En effet la complexité d'une opération la rend plus difficilement détectable pour le gardien de la règle et il faut donc sanctionner plus fort.

De cela, l'on peut souligner deux choses :

1️⃣L'interprétation que le parquet a de l'article 41-1-2 du Code de procédure pénale, la proportionnalité ne devrait donc pas viser que le profit retiré par la personne partie à la convention judiciaire d'intérêt public ; cela se conçoit car, même si l'interprétation littérale demeure la règle en matière pénale, puisqu'il s'agit encore d'une amende, cette référence à l'avantage retiré se superposant aux considérations classiques que sont l'implication (c'est-à-dire la faute...) et la difficulté à détecter ;

2️⃣ L'avantage retiré peut n'être pas celui de la personne partie à la convention judiciaire public mais, comme ici, l'avantage retiré par les intéressés principaux, clients de la banque.

C'est aller au-delà du texte, et dans sa lettre et dans son esprit, qui ne visait sans doute que les avantages retirés par la personne partie à la Convention. Cela aboutit à un amende de 25 millions, proche du maximum de 31 millions encourus.

Cela rejoint certes la définition de ce qu'est la complicité, puisque le complice encourt la même peine que l'auteur principal. C'est particulièrement sévère de faire jouer ce mécanisme qui va chercher dans les profits d'un autre le calcul de la sanction ainsi supportée et le principe de proportionnalité est d'un autre esprit que celui-ci.

Lors de l'audience qui s'est déroulée le 2 septembre 2021 devant le président du Tribunal judiciaire de Paris qui doit valider la Convention, l'établissement bancaire a indiqué n'avoir aucune remarque à formuler tandis que l'Ordonnance de validation indique que le ministère public "a été en mesure d'expliquer le calcul des avantages tirés des agissements constatés".

L'on ne sait pas à cette lecture si ce sont les agissements de la banque contrainte de payer l'amende d'intérêt public, tandis que ce sont les avantages d'un tiers, la formulation très générale masquant la distinction des deux qui pourtant caractérise ici la situation. 

Elle pourrait être d'importance dans de nombreux cas pour tous ceux qui "conseillent", "aident", "accompagnent", etc.

Mais est-ce que cela est conforme à ce qu'est la proportionnalité en matière de sanction ? Même s'il est difficile de cerner cette notion, il y a cette idée que la personne sanctionnée doit pouvoir supporter ce qu'on lui inflige, que cela ne doit pas être au-dessus de ces forces. C'est bien pour cela qu'au dehors de tout texte la jurisprudence a annulé les engagements "disproportionnés", parce qu'ils excèdent ce qu'une personne peut endurer, même si son consentement n'a pas été vicié!footnote-2125. Ici, le texte vise à amplifier l'amende en la proportionnant à l'avantage retiré, mais précisément c'est un avantage qui est retiré par un autre. Dès lors, la personne qui va payer l'amende n'est plus protégée que par le plafond visé des 30% de son chiffre d'affaire...

 

 

II. 10 ANS APRES, LA NON-OUVERTURE D'UNE PROCEDURE PAR LE PROCUREUR, A LA SUGGESTION DU JUGE D'INTRUCTION

Cette sévérité s'explique aussi par le temps qui s'est écoulé depuis les faits qui remontent à 2004, la plainte formée au pénal par l'administration fiscale datant de 2012. 

Après un arrêt de cassation, annulation une partie de la procédure, c'est le juge d'instruction qui, après de multiples investigation, a retransmis au procureur le dossier pour qu'une CJIP soit envisagée. 

Cette procédure a souvent été présentée comme ce qui permet d'éviter efficacement le coût et la lenteur des procédures.

L'on dira qu'il s'agit là d'un contre-exemple, puisque c'est l'Ex Post, par la volonté d'un juge d'instruction, qui aboutira, environ 10 ans, à finalement ne pas ouvrir le dossier. 

 

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Cet article vise dans son 1° : "Verser une amende d'intérêt public au Trésor public. Le montant de cette amende est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d'affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements. Son versement peut être échelonné, selon un échéancier fixé par le procureur de la République, sur une période qui ne peut être supérieure à un an et qui est précisée par la convention."

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V. par ex. Com. 4 nov. 2020, n°18-2524, Petites Affiches, 26 février 2021, obs. S. Andjechairi-Tribillac sur la nullité d'une clause de non-concurrence disproportionnée, ce qui peut être évoquée par voie d'exception. 

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