Cour de cassation, chambre criminelle
Le contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois, introduit en 2008, a changé l'ordre juridique français. L'article 62 de la Constitution permet de diffuser l'effet dévastateur de la déclaration d'inconstitutionnalité, si elle est prononcée par le Conseil constitutionnel.
Mais le juge ordinaire peut aboutir, par la voie de l'exception, à un même anéantissement de fait, du fait que les normes sont analogues dans la Constitution et dans les normes internationales, notamment la Convention européenne des droits de l'Homme
Cela est notamment le cas pour les droits de la défense, particulièrement dans la procédure pénale.
Ainsi, de la même façon que le Conseil constitutionnel avait anéanti les articles du Code de procédure pénale qui ne permettaient pas la présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue par sa décision du 30 juillet 2010, QPC, Monsieur Daniel W. et autres, la chambre criminelle de la Cour de cassation déclara cet état du droit français non-conforme à l'article 6 CEDH. Mais tandis que le Conseil constitutionnel avait pu différer dans le temps les effets de la disparition des dispositions, le juge ordinaire ne dispose pas d'un tel pouvoir.
Il se l'appropria pourtant, en se fondant sur le principe de sécurité juridique.
Et tant mieux. Ainsi, le législateur eût le temps d'adopter la loi du 14 avril 2011 sur la garde à vue pour mettre le droit français en conformité, et à la Constitution, et à la CEDH.
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Sur cette affaire particulière de la garde à vue et de son organisation, la loi du 14 avril 2011 est venue pour modifier les textes de droit interne. Mais les difficultés qui l'ont précédé illustrent un problème de fond.
Le système juridique français est rendu complexe, voire est fragilisé par l'étau que constitue la mise en action superposée et non spontanément coordonnée du mécanisme de contrôle de constitutionnalité et celui du contrôle de conventionalité.
En effet, concernant l’organisation de la garde à vue par les dispositions du Code de procédure pénale, plus particulièrement quand la personne qui en fait l’objet est interrogée dans une information liée à la législation sur les stupéfiants, le Conseil constitutionnel a, sur question prioritaire de constitutionnalité, décidé que certains points de cette procédure n’était pas conforme à la Constitution. Il s’agit notamment de l’impossibilité de bénéficer immédiatement d’un avocat ou d’être informé du droit de se taire.
En revanche, le Conseil constitutionnel ne voyait pas d’obstacle à ce que les droits de la défense soient plus restreints lorsque les faits dont la recherche justifie la garde à vue ont un lien avec le trafic de drogue. D’une façon déterminante, le Conseil, utilisant en cela le pouvoir que lui a conféré l'article 62 de la Constitution, a différé dans le temps l’annulation des dispositions législatives françaises jusqu’au 1er juillet 2011, laissant ainsi au Parlement le temps de voter une loi de substitution conforme à la Constitution.
La difficulté vient du fait que les droits de la défense, principe constitutionnel, sont également un socle de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Or, les normes françaises sont aussi soumises au contrôle de conventionalité, le système juridique étant ainsi l’objet d’une sorte de double pyramide kelsenienne, l’une de droit interne, dont le sommet est la Constitution, l’autre de droit supranational dans laquelle le droit interne est inférieur. Or, les deux pyramides peuvent s’entrechoquer.
Cela n’allait pas tarder à propos de la garde à vue. Dans une affaire de trafic de drogue, une personne a été placée en garde à vue, en exécution d’une commission rogatoire délivrée par le juge d’instruction.
Elle n’a pu bénéficier de l’assistance immédiate d’un avocat dans cette garde à vue prolongée d’une durée totale de 65 heures. Par la suite, mis en examen, il a demandé l’annulation de la totalité de la procédure en ce qu’il n’avait pas bénéficié des droits qu’il tenait de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, de son droit à un procès équitable, des droits de la défense, de l’accès d’un avocat au dossier de la procédure et qu’il n’avait pas reçu notification du droit de se taire.
Les juges du fond, de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, par un arrêt du 1er avril 2010, ont rejeté la requête aux fins d’annulation, en raison de l’absence dans la Convention européenne de mention expresse d’obligation d’une "assistance concrète et effective par un avocat de la personne gardée à vue dès la première heure de cette mesure et de la notification d’un droit de se taire.".
Le ministère public près la Cour de cassation a demandé à la Cour de casser un tel arrêt en ce qu’il méconnait la Convention européenne des droits de l’homme.
Mais une telle solution risquait de créer une aporie, car l’annulation était certes une solution substantiellement identique à celle du Conseil constitutionnel, ce qui préservait l’unité du système juridique, mais à priori d’effet immédiat, alors que la décision du Conseil est d’effet différé, la présence des deux décisions juridictionnelles à la portée différente dans le temps mettant complètement en porte à faux et le législateur et les juridictions.
La Chambre criminelle par son arrêt du 19 octobre 2010 (deux autres arrêts analogues furent rendus le même jour) affirme que les juges du fond ont méconnu la Convention européenne car "sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction, doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat.".
A s’arrêter à ce seul attendu, on pourrait croire que la Cour de cassation aurait choisi ainsi de faire prévaloir, non pas en substance mais quant à la portée dans le temps, le contrôle de conventionalité sur le contrôle de conventionalité.
Mais, la Cour va s’échapper de ce guêpier, en ayant recours à deux notions clefs : la première, ancienne, à savoir "le bonne administration de la justice" et la seconde, nouvelle, à savoir le "principe de sécurité juridique".
En effet, alors même que la Convention européenne est violée par la Cour d’appel, le pourvoi qui attaque l’arrêt de celle-ci, est rejeté. En effet, les magistrats posent d’une façon à la fois sûre et audacieuse que "l’arrêt n’encourt pas la censure dès lors que ces règles de procédures ne peuvent s’appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en oeuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice".
Le dispositif est ainsi mis en place, pour que dans cet arrêt très court, la Chambre criminelle se contente alors d’en conclure et avec élégance " que ces règles prendront effet lors de l’entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, QPC, Daniel W. et autres, modifier le régime juridique de la garde à vue, ou au tard le 1er juillet 2011.".
Cet arrêt parvient avec une très grande économie de moyens et une grande clarté à résoudre le conflit. Certes, la Cour de cassation pour ce faire crée du droit puisque elle a elle-même créé de toute pièce le report dans le temps de l’effectivité d’une annulation juridictionnelle de procédure.
Mais ce n’est pas aujourd’hui que l’on découvrirait que la jurisprudence est source de droit...
De la même façon, le Conseil d’Etat, sans support de texte, diffère l’effet dans le temps des annulations d’actes administratifs que le juge peut prononcer.
La Cour de cassation relativise son audace en arrimant sa solution à deux principes majeurs. Le premier est systémique car la bonne administration de la justice interdit que perdurent une décision du Conseil constitutionnel et un arrêt d’annulation nécessaire mais d’effet immédiat de la Cour de cassation perturbant la première. Le second principe de sécurité juridique, aujourd’hui de valeur constitutionnel, est la qualité intrinsèque que toute personne attend légitimement du droit dans sa qualité normative.
Ainsi, par ce seul droit à la sécurité juridique, les dispositions atteintes de nullité peuvent demeurées effectives si des autorités leur ont donné un crédit suffisant. C’est tout à la fois donner au Conseil constitutionnel une grande place car l’autorité absolue dont ces décisions sont revêtues, par le biais de la sécurité juridique, permettent aujourd’hui au dispositif de différer dans le temps que la loi constitutionnelle de 2008 de différer l’effectivité des lois que lui de s’étendre par vague concentrique.
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