♾️ suivre Marie-Anne Frison-Roche sur LinkedIn
♾️ s'abonner à la Newsletter MAFR Regulation, Compliance, Law
____
► Référence complète : M.-A. Frison-Roche, "Dans les causes systémiques : "délibérer" plutôt que "se disputer"", Newsletter MAFR - Law, Compliance, Regulation, 17 avril 2023.
____
📧Lire par abonnement gratuit d'autres news de la Newsletter MAFR - Law, Compliance, Regulation
____
🔴Pour traiter des "causes systémiques", notamment les cas systémiques de compliance, passer dès le départ de la "dispute" à la "délibération"
Le Droit de la compliance met en cause les systèmes, par exemple bancaires, financiers, numériques, de santé, etc. Lorsqu'un contentieux est porté devant un juge, cette dimension demeure, que l'on soit devant un juge du Droit ou un juge du fond, que l'on soit devant un juge civil, pénal, commercial, administratif, européen, etc. Il faut adapter l'office du juge en conséquence. Et c'est en train de se faire.
____
📧lire l'article ⤵️
Pour ouvrir la lettre d'avril 2023 de la Première Chambre civile de la Cour de cassation, Hugues Fulchiron, professeur d'Université désormais conseiller en service extraordinaire, explicite sa découverte du travail de la Cour.
Il souligne notamment : "Dans le traitement du dossier, depuis sa première lecture jusqu’à la signature de l’arrêt, l’universitaire redécouvre également l’art de l’argumentation. Il doit non seulement construire un raisonnement, mais aussi mettre en place les arguments qui, dans un dossier particulier et dans un cadre particulier, celui du pourvoi, n’aient pas uniquement vocation à donner une réponse à la question de droit posée, mais, au-delà , à faire le droit, qu’il s’agisse d’un rejet, d’une cassation, d’un « simple » rejet non spécialement motivé ou d’une non-admission. Ce travail sur l’argumentation se fonde à la fois sur la doctrine et sur la jurisprudence, et sur le dialogue qui s’est établi entre eux au fil des décisions. Il est d’autant plus important qu’il n’est pas univoque : il s’agit de donner aux autres conseillers la matière à partir de laquelle ils construiront leur propre raisonnement. Certes, le conseiller rapporteur indique dans son avis l’orientation qu’il propose. Mais ce n’est qu’une proposition. Il se peut d’ailleurs qu’il fasse des propositions multiples, compte tenu de la complexité du sujet, de sa nouveauté ou, au contraire, de l’existence de précédents dont est envisagé l’affinement… ou l’abandon. Pour celui qui serait encore attaché au dogme de la solution unique, la désillusion risque d’être grande. Tout comme l’étonnement de qui sous-estimerait l’importance du précédent. La mise en place de l’argumentation trouve son prolongement dans le délibéré, i.e. dans la discussion à trois voix (pour les dossiers de non-admission ou de formation restreinte) ou à au moins douze voix (pour les dossiers de formation de section), qui se développe à partir des éléments (rapport, avis, projets d’arrêts) fournis par le rapporteur : un débat de fond dans lequel chacun opine librement et qui, par les éclairages théoriques et pratiques qu’il apporte, par le rappel des grandes lignes jurisprudentielles (de la ratio jurisprudentiae, si l’on ose dire), par l’analyse des implications théoriques et pratiques que pourrait avoir telle ou telle solution, peut, jusqu’au dernier moment, faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Pour un universitaire plus habitué à discuter, au sens noble de la disputatio, qu’à délibérer, l’expérience est, là aussi, passionnante.".
__________________________________________
Ce continuum entre la "dispute", la réflexion commune et la solution finalement arrêtée par la décision (car il faut bien rendre un "arrêt", prendre une "décision") est exemplaire de ce qui doit se faire d'une façon plus générale dans les cas complexes. Il existe en effet des causes soumises à des juges, qu'ils soient juges du Droit ou juges du fond qui requièrent de passer de la "dispute" à la "délibération".
Ce rejet doit être fait de l'opposition entre la "dispute" et la "délibération" sur le modèle de ce qui est ici décrit à la Cour de cassation lorsque la cause examinée par le Juge est complexe.
Lorsque le cas soumis à un juge est simple, en ce qui concerne les faits et le droit applicable, la tâche entre les parties et le juge peut se répartir selon la distinction traditionnelle : les parties "se disputent", selon le principe du contradictoire, la contradiction portant autant sur les faits de la cause que sur les règles de droit qui lui sont applicables, puis le juge "délibère" : instruit de ce débat, il confronte en n'ayant pas d'intérêt dans la cause sur la meilleure qualification des faits, la plus adéquate interprétation du Droit, afin de bien juger.
Mais si l'on a un cas complexe, notamment parce qu'au-delà de la "dispute" entre les parties, constituant le "litige" qui les oppose, c'est un système complet qui est impliqué dans la cause soumise au Juge, qu'il soit juge du fond ou juge du Droit, cette présentation ne produit pas de résultats optimaux : parce qu'un système est impliqué (par exemple bancaire, financier, numérique, climatique, sanitaire, etc.), il faut qu'il soit présent dans la procédure et qu'il soit considéré dans le jugement. La complexité qui en résulte ne doit pas être masquée.
🔴M.-A. Frison-Roche, 🎤L'hypothèse des causes systémiques, in L'office du juge et les causes systémiques, in Cycle de conférences, Penser l'office du juge, Grand Chambre de la Cour de cassation, 9 mai 2021, et son document de travail sous-jacent : 🚧L'hypothèse de la catégorie des causes systémiques portés devant le juge
Il faut alors transformer l'office du juge, dès le stade de la procédure pour que la technique de la dispute se transforme le plus possible en technique de délibération.
Cela doit s'opérer principalement de quatre façons :
En premier lieu, le juge et les parties à l'instance doivent dès le départ se rapprocher, pour que les termes de la dispute s'accordent : la méthode de l'accusatoire est plus adéquate dans les causes systémiques, même si l'ordre public impliqué est très élevé. La détermination des éléments de la cause, par un débat entre le juge et les parties est le plus efficace. Les mises en état, y compris devant les juges du Droit, les instructions à la barre, l'oralité, sont des méthodes les plus productives. De cette façon les parties entre elles et avec le juge participent à la détermination des termes sur lesquels la délibération doit porter.
En deuxième lieu, le juge doit faire entrer dans l'instance des personnes qui ne sont pas dans le litige mais qui peuvent exprimer l'intérêt du système puisqu'il est impliqué par la cause. A ce titre les Autorités de Régulation, les organes de place ou la Commission européenne, sont bien placés pour exprimer d'une façon délibérative, leurs opinions dans un processus de discussion, diminuant ainsi l'opposition frontale impliquée par les intérêts situés exprimés par le litige.
En troisième lieu, le juge doit pouvoir "réfléchir activement" pendant la procédure, si l'on peut définir ainsi ce qu'est la délibération. C'est pourquoi le juge du fond ou du droit doit, à la fois, s'instruire pendant la procédure selon sa propre initiative, ne dépendant pas des seules écritures des parties et des opinions d'experts apportées par celles-ci. Les opinions qu'il sollicite lui-même lui permettent d'alimenter sa délibération.
đź”´N. Cayrol, đź“ťL'amicus curiae, mesure d'instruction ordinaire, 2022
En quatrième lieu, le juge doit pouvoir directement poser des questions aux parties et à leurs experts, l'instruction à la barre transformant l'audience en réunion de travail dans un continuum entre contradiction et délibération. Plus cela est pratiqué et plus les parties retrouvent dans la décision par la suite adoptée la prise en considération de leurs moyens et des réponses apportées à la méthode délibérative.
Cette méthode consistant à passer de la dispute à la délibération permettant à un juge confronté à une "cause systémique" est particulièrement adéquate dans les cas impliquant le Droit de la Compliance.
Elle correspond en outre à la méthode démocratique qu'il faut aujourd'hui préserver :
🔴M.-A. Frison-Roche, 📧La "rationalité délibérative" et l'usage adéquat de l'impératif de vigilance, 2023
________
les commentaires sont désactivés pour cette fiche