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La Régulation suppose que l'on passe d'une conception politique des actes (c'est-à-dire décision collective exprimée par l’État) ou civiliste (c'est-à-dire volonté exprimée par un individu ou plusieurs dans un contrat) à une vision économique des organisations marchandes dont l'action est l'expression du marché. Si l'on se fie à l'ajustement de l'offre et de la demande, c'est-à-dire à la rencontre des désirs et des intérêts, il y aura « autorégulation », ce à quoi correspond la « loi du marché », renvoyant au droit de la concurrence. L'acte des opérateurs n'est que le reflet de cette sorte de loi naturelle, en action.
La Régulation est alors plus complexe car elle intègre cette rationalité économique des acteurs et des systèmes dans lesquels ils sont des agents (homo economicus) mais elle vise autre chose que cette rationalité mécanique, soit en raison d’une défaillance du marché (par exemple en cas de monopole naturel) soit parce que l'auteur de la norme, par exemple l’État ou le Régulateur veut obtenir plus que ce que le marché peut donner (par ex. l’accès de tous à des biens communs, comme la santé, même pour des demandeurs insolvables).
Dans ce cas, sont élaborées des règlementations, interventions ex ante désignées en anglais par le terme regulation. La règlementation est adéquate si elle incite des agents économiques à adopter des comportements qui concrétisent le but recherché par l’auteur de la règlementation.
Le Droit de la Régulation va alors s'appuyer sur la science économique pour produire les bonnes "incitations", laissant les agents - producteurs, offreurs, demandeurs, consommateurs, contribuables, parties prenantes les plus diverses - libres de faire des choix, mais les incitant à faire des choix qui produiront d'une façon isolée ou d'une façon globale ou croisée, immédiatement ou à terme, un résultat correspondant à celui qui a été voulu dès le départ par celui qui a conçu la norme. En cela, le Droit de la Régulation est hautement stratégique, qu'il soit de nature technique, visant à pallier une défaillance de marché ou plus politique. En cela, il est aussi de nature libérale, puisque ce ne sont pas des ordres formulés à des assujettis, mais des espaces de libertés construits au bénéfices de personnes.
Cette utilisation stratégique du droit nécessite alors le détour nécessaire par l'analyse économique du droit, c'est à dire l'analyse du droit dans ses effets économiques. Elle suppose chez ceux qui utilisent la norme, non seulement le Législateur mais encore le Juge, une connaissance des mécanismes économiques, par exemple la théorie des incitations, des contrats incomplets ou de l'économie comportementale, trois théories libérales sur lesquelles s'appuie ces interventions Ex Ante des autorités publiques et que prolongent les jugements des Cours.
C'est pourquoi l'Analyse économique du droit constitue une discipline à part entière. Elle a été créée aux États-Unis par Ronald Coase (Prix Nobel d’économie en 1991). Elle peut être simplement descriptive et révéler quels effets économiques a produit le Droit. Cette conception, qui est notamment celle de Richard Posner, fait de l’analyse économique du droit un outil d'expertise pour le décideur politique qui peut en tenir compte pour éventuellement modifier la règlementation, et pour le juge, qui peut en tenir compte pour interpréter celle-ci. Une conception plus radicale de l'analyse économique du droit, dite "normative", consiste à soutenir que les conclusions de l'analyse obligeraient le décideur et le juge à adopter l'interprétation "efficiente" désignée par l'analyse économique sans être légitime à en adopter d'autres.
De nature philosophique, l'enjeu est décisif car dans le premier cas le droit et les juristes - notamment le Législateur et le Juge - ont encore une existence autonome, dans le second cas ils n'existent plus vraiment, ne sont plus que la forme contraignante et explicite de la "loi du marché" dont la nature est a-juridique. Le Droit est alors la voie d'exécution et de pure et simple efficacité d'une Loi qui est lui serait extérieure, celle du Marché.
Les systèmes de Common Law ont parfois tendance à verser dans l'excès normatif consistant à confondre ce qui n'est qu'une description de choix et à adopter ce qui serait une "décision" prise par les économistes eux-mêmes : le Droit n'existe plus alors en tant que système normatif, n'étant plus que ce qui donne force exécutoire et sécurité juridique à ce qui devient véritablement normatif, la valeur économique de l'ajustement de l'offre et de la demande. Les systèmes de Civil Law intègrent l'Analyse Économique du Droit d'une façon plus conforme à la pensée des fondateurs ou de théoriciens actuels comme Cass. Sunstein, en permettant aux Législateurs et aux Cours d'intégrer la dimension économique des situations sans que leur raisonnement économique n'implique la solution à retenir, car les choix demeurent dans le Droit, qui expriment des valeurs, et dans des systèmes juridiques, qui sont gouvernées par des notions et règles juridiques propres, en distance de l’Économie.
Même sous sa simple forme descriptive, l'analyse économique du droit est généralement rejetée en France en ce qu'elle méconnaitrait le rôle du droit en ce qu'il porte des valeurs morales. C’est en réalité méconnaître sa fonction simplement descriptive, instructive et utile, et le fait qu'elle ouvre au contraire l'amplitude du choix rationnel offert aux décideurs politiques. Plus encore, la régulation n'est pas seulement une discipline technique, elle est aussi une question politique et philosophique. L’analyse économique descriptive lui est plus adéquate que l’analyse économique normative du droit, laquelle prétend vassaliser, voire détruire les autres disciplines, qui sont substantiellement méconnues.
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