Le Conseil constitutionnel vient de rendre une décision sur QPC, UBER, le 22 mai 2015.
Par une loi du 1ier octobre 2014, souvent appelée "Loi UBER" tant il s'agissait d'une loi ad hoc, le Parlement avait voulu réserver aux seuls taxis le droit de pratiquer l'activité de transport de personnes à titre onéreux dans un véhicule de moins de 10 personnes par la technique dite de la "maraude", c'est-à-dire en roulant ou en stationnant sur la voie publique, en allant à la rencontre du client, sans réservation préalable ou contrat avec le client final.
Parvenu jusqu'au Conseil constitutionnel par plusieurs QPC, articulées sur des moyens plus ou moins solides, UBER se prévalait notamment de la liberté d'entreprendre et de la liberté d'aller et de venir.
En effet, comment le Législateur peut-il ainsi porter atteinte à ces deux libertés constitutionnelles majeures ? Un entrepreneur ne peut-il pas circuler dans une ville en attendant qu'un client l'appelle, sans avoir à se soumettre à la procédure administrative d'autorisation de stationnement ? N'exerce-t-il pas la liberté constitutionnelle d'entreprendre ? De la même façon, sur un terrain moins économique, c'est la liberté d'aller et de venir, formulation de la Déclaration de 1789, que l'on désignerait aussi comme la "liberté de circulation" dans le vocabulaire de l'Union européenne, qui fonde juridiquement cette technique de la "maraude".
Pour admettre ces deux atteintes faite par la Loi à ces deux libertés constitutionnelles, il fallait donc une justification par un "ordre public en rapport avec l'objet de la Loi".
Et là, le lecteur de la décision n'est pas déçu ...
Si dans une envolée, l'on pense à une tirade que l'on déclamerait à la place de cette décision "un peu courte" que le Conseil constitutionnel a rendue le 22 mai 2015, et si l'on était en verves, cela donnerait :
"Ah ! non ! c'est un peu court, jeune homme ! On pouvait dire... Oh! Dieu!... bien des choses en somme. En variant le ton,-par exemple, tenez:
Mais ce n'est pas du tout ce que l'on lit dans la décision. Rien n'est dit de la réalité du système économique des taxis, rien de la légitime concurrence faite à l'extérieur, rien de la situation dramatique de certains exploitants qui doivent se ruiner pour "acheter une plaque" et qui sont en complète dépendance dans des contrats à l'égard de grandes centrales qui leur laissent peu tout en les laissant travailler un nombre considérable d'heures par semaine. Rien n'est dit du souci que le Législateur peut légitimement avoir, non pas du monopole en tant que tel, mais de la situation des exploitants personnes physiques. Laisser la ratio legis dans le silence du juge est très regrettable. Rien n'est dit de la sécurité des véhicules et du contrôle de la qualité des personnes, notamment de leur aptitude à se retrouver d'une façon élémentaire dans les rues d'une ville, ce que ne peut contrôler un client, ce que garantit le système des taxis.
Dans les 13 pages de la décision, ce qui est très peu, on y découvre que ceci : l'ordre public qui justifie l'atteinte faite par le Législateur à la liberté d'entreprendre et à la liberté d'aller et de venir tient en ce que la loi est justifiée par "des objectifs d'ordre public de police de la circulation et du stationnement sur la voie publique".
Par cette formule mystérieuse, qui suppose donc que l'ordre public en jeu consiste simplement à contraindre les taxis à se répartir sur le territoire municipal dans la contrainte de demeurer dans la zone de leur autorisation de stationnement (s'ils veulent pratiquer la maraude et non pas seulement pratiquer de la conduite sur réservation ou sur contrat). Cela permet à la municipalité d'assurer la présence de suffisamment de véhicules sur le territoires, véhicules en stationnement et en circulation.
On conviendra qu'il est très faible de justifier une atteinte au principe de concurrence par une règle de stationnement et de circulation.
Négativement, il est regrettable que les juges aient fait comme s'ils ne savaient rien de la réalité du secteur.
L'ordre public concurrentiel
La Roxanne d'Uber attendra une autre occasion.
Cette regrettable application de la "neutralité constitutionnelle" au regard du principe de concurrence
Il serait en effet opportun d'ouvrir de droit la concurrence, comme le Conseil d'État a commencé à le faire. Comme la remontée de 3 QPC le même jour, et par la Cour de cassation et par le Conseil d'État, dans un beau mouvement d'ensemble, en donne le signe.
Il serait de la même façon équitable que le Gouvernement accompagne un mouvement qui s'accomplira de fait, en accompagnant les exploitants qui sont financièrement prisonniers d'un système pervers de "plaques". Le Conseil constitutionnel vient de permettre au Gouvernement de reculer.
Avant de devoir sauter, un jour ou l'autre.
Frison-Roche, M.-A., L'ordre public économique et financier, 2015.
Canivet, G., Prolégomènes à l'étude de la doctrine du Conseil constitutionnel en matière de concurrence, 2015.
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