Les enfants sont sensibles à la Justice.
Et donc au Droit.
Pourquoi ?
Parce qu'ils sont sensibles à l'injustice.
Lorsque Serge Lebovici, l'un des plus grands pédopsychiatres praticiens, participa à l'ouvrage consacré à La Justice, L'obligation Impossible, il intitula son article "C'est pas juste", c'est-à-dire le cri de l'enfant. L'enfant réagit non pas à la justice, il ne recherche pas la justice, il rejette l'injustice, il la récuse, parce qu'il la repère. Et cela, si précocement.
Ainsi le fait Dumbo. Non pas tant sensible à l'injustice dont il l'est l'objet, mais à celle dont sa mère est victime. Et la scène la plus grande de ce film merveilleux est le miroir de la scène où la mère est punie injustement, enfermée, enchaînée : en contrepoint, plus tard par les forces de l'enfant, apparaît la scène de la mère installée dans le wagon pullman avec plein d'oreillers tandis que son fils qui a restauré la justice vole au-dessus d'elle.
La Justice n'est pas un but en soi, posé à partir de rien, la Justice n'est que la lutte contre l'Injustice, qui est elle est première. La Justice est la négation positive de l'Injustice.
C'est pourquoi dans le dessins animé Vice-versa le "sentiment de justice" qui active le cerveau de l'enfant de 12 ans a pour traits furieux la colère.
Car le sentiment de justice n'est pas froid : il est au contraire dans l'instant la réaction chaude contre la violence de l'injustice. C'est en retour le Droit qui refroidit la réaction de justice, Droit qui par la procédure et la lenteur voulue de celle-ci calme les esprits, le meilleur des juges étant impavide, selon le modèle du juge anglais, juge "indifférent" par excellence.
Et voilà qu'arrivent Les indestructibles ! Adaptation française du titre anglais The Incredibles. Le sens des deux appellations n'est pas le même et l'on peut préférer le terme français qui renvoie non pas au fait qu'ils sont "incroyables" (par leurs pouvoirs mirobolants - surtout le bébé, si mignon, si terrible) mais au fait qu'on ne peut les "détruire" (et cela, par la seule solidité des liens affectifs qui les unissent).
Du point de vue du Droit, le film commence comme dans X-Men, puisqu'en tant qu'appartenant à la catégorie des Super-héros ils ont été déclarés comme eux "hors la loi".
Mais cela n'est pas pour le même motif.
En effet, dans X-Men, l'idée est celle d'une guerre des civilisations. Les Autorités publiques affirment que la planète Terre appartient à l'espèce humaine, que les X-Men sont des mutants, des sortes d'ennemis de l'intérieur, qu'il est difficile de repérer lorsque les pouvoirs ne sont pas déployés et qu'ils convient de les marquer, de les exiler ou de les éliminer. A cela répond deux attitudes, cela de Charles, britannique qui propose l'alliance et celle de Magneto, juif allemand dont la mère fut tuée par les nazis, qui rendra au sens propre la monnaie de sa pièce à l'assassin de celle-ci et qui veut la guerre ouverte. C'est donc un schéma politique et de droits humains qui est sous-jacent, où l'enfant Magneto rend lui-même l'injustice faite à sa mère.
Ce qui le mettra aussi de ce fait "hors la loi" car c'est devant les juges que le bourreau doit rendre des comptes, la Loi du Talion appliquée par Magneto qui rend la monnaie de la pièce n'a pas cours. Le procès de Nuremberg a été conçu pour cela, alors même que la question de la culpabilité n'était pas en doute : c'est à des juges froids de sanctionner, pas aux enfants définitivement meurtris et brûlants de colère.
La famille heureuse des Indestructibles est exclue pour une toute autre raison et elle l'admet tout à fait.
Tout d'abord dans le tout début du film la famille est à table dans son motel, les enfants voulait manger des popcorns en regardant des dessins animés tandis que les parents voudraient qu'ils mangent des légumes et restent à table en se tenant bien. Scène de la vie ordinaire, donc.
Les parents se mettent du côté de la légalité. Ils expliquent qu'ils leur est difficile d'exercer leurs pouvoirs car cela n'est plus autorisé par la Loi et qu'il faut obéir à la Loi. Ils sont positivistes et peuvent que les enfants respectent comme eux la réglementation, laquelle ne les pourchasse pas. Il ne semble pas y avoir une guerre entre espèces ou intergalactique ...., juste une réglementation municipale de bonne organisation de la ville.
Mais les enfants se mettent du côté de la Justice, c'est-à-dire de la lutte contre l'injustice. Et estiment qu'il est du devoir de celui qui le peut d'utiliser ses capacités pour lutter contre l'injustice. Ils estiment donc que "la loi est injuste". C'est exactement en ces termes-là qu'ils formulent leur argument. Ils estiment donc qu'à une "loi injuste" il est de leur devoir de ne pas obéir.
Il n'est pas besoin de lire Jean-Jacques Rousseau, il suffit d'aller voir les Indestructibles et de s'asseoir à leur table pour se demander qui a raison, des parents ou des enfants. Car nous aussi nous avons des capacités, nous sommes soumis à des réglementations qui en réduisent l'usage et nous sommes entourés de cas d'injustice susceptibles de nous mettre en colère, si nous n'avons pas tout à fait oublier notre perspective d'enfant et notre sentiment de justice.
C'est d'ailleurs sur un tout autre terrain qu'un autre débat va se dérouler un peu plus tard dans le film. Car contrairement aux X-Men il n'y a pas de nazis et de camps de concentration, mais il y a ... une analyse coûts/bénéfices.
En effet, un incident arrive, la famille se déploie, le drame est évité. Et l'on dit merci à qui ?
Et bien justement à personne.
En effet, l'Autorité municipale estime que le coût d'une telle intervention des super-héros, en raison de la tendance du père à tout casser et de leur manie de tout casser, dans des comportements imprévisibles, est trop élevé, alors même que des services et des règles sont disponibles pour prendre en charge les criminalités qu'il s'agit de prévenir et d'enrayer.
C'est pourquoi le service qui permettait à la famille de vivre petitement dans ce motel sera supprimé, en raison de son inefficacité par rapport à une application ordinaire de la réglementation par les services municipaux.
C'est donc l'analyse économique du Droit qui a eu raison des Indestructibles !
La suite du film montrera que cela n'était pas une bonne idée et une façon d'appréhender l'action publique un peu étroite. La suite du film montrera bien d'autres choses, notamment ce que Disney peut penser de la Silicon Valley, mais laissons donc les enfants découvrir cela, ainsi que les juristes.
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