July 13, 2016

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Arrêt du 13 juillet 2016, BFM TV

by Marie-Anne Frison-Roche

Par sa décision du Conseil d’État, BFM TV, .!footnote-562, Le Conseil d'Etat laisse le Régulateur - ici le CSA - décider selon son propre objectif - ici l'intérêt général et la mise en balance des risques, en visant le Droit de l'Union de l'Union communautaire qui n'a pas à en être contrarié.

En effet, le 17 décembre 2015, le CSA a agréé la décision de la chaîne LCI à ne plus faire payer l'accès à ses programmes.

Ce passage 'en clair" a été agréé d'une façon non ouverte alors que les textes communautaires visent avant tout le principe de concurrence et sont hiérarchiquement supérieurs au droit français qui organise la régulation du secteur.

On comprend donc que les concurrents de LCI, BFM TV et NextRadio TV aient attaqué cette décision devant le Conseil d’État, en demandant purement et simplement que l'autorisation d'émettre soit retirée à LCI en raison de sa décision de passer à la gratuité. Leurs requête sera pourtant rejetée, et cela par une forte motivation, qui s'appuie justement sur le Droit de l'Union européenne, son esprit et les relations entre l'Europe et le Droit français.

 

Lire ci-dessous.

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Référence complète : CE, 13 juillet 2016, Société BFM TV et NextRadio TV, n° 395824 et 399098

Le Conseil d’État vise les directives européennes de 2002 et 2009 relative à la concurrence dans le secteur, puis la loi du 30 septembre 1986 propre à la régulation de celui-ci.

Il rappelle la façon dont le CSA agrée depuis la loi de 2013 par une décision motivée une modification des modalités de financement, en considération notamment d'une étude d'impact de cette modification et d'éventuels engagements pris par celui qui y procède. En l'espèce le groupe TFI avait pris des engagements actés par le CSA pour l'équilibre des recettes publicitaires.

Le Conseil d’État rappelle qu'en annexe de la première décision du CSA - du 10 juin 2003 - autorisant la chaîne LCI à utiliser le réseau hertzien pour diffuser ses programmes, il était posé que la programmation est consacrée à l'information et que le financement fait appel à une rémunération par les usagers. Le groupe TFI a demandé la suppression de cette modalité mais a proposé des engagements tenant aux programmes :  "part respective des journaux d’information et des magazines dans la grille de programmes de LCI, à la présence d’émissions culturelles et d’émissions consacrées à l’actualité internationale et à la part des femmes intervenant dans les programmes". Dans sa décision du 17 décembre 2015, le CSA a subordonné l'agrément de la modification des conditions financières à ces engagements. Le 17 février 2016, le CSA et LCI ont conclu un avenant à leur convention portant sur les programmes.

BFM TV et NextRadio TV demandent l'annulation de la décision du 17 décembre 2015 et de celle du 19 février 2016 qui reprend les nouveaux termes de la convention. Notamment parce qu'il y aurait violation du Droit européen de la concurrence puisqu'il y a eu par le Régulateur passage "en clair" d'une chaîne par une procédure précipitée et opaque sans qu'il y ait ouverte aux autres (appel d'offres) ce qui est contraire aux principes du Droit de la concurrence, hiérarchiquement supérieur au droit français.

Sur le fond, le Conseil reprend donc le Droit de l'Union européenne et insiste sur l'interprétation que requiert un "objectif d'intérêt général". Il pose en effet (considérant 7) que "il résulte des dispositions de ....directive « Autorisations » que si les autorisations d’utilisation de ressources radioélectriques doivent en principe être délivrées après une procédure ouverte, les États membres peuvent exceptionnellement ne pas recourir à une telle procédure lorsque cela s’avère nécessaire à la réalisation d’un objectif d’intérêt général défini dans le respect du droit de l’Union ; qu’il ressort des travaux préparatoires de la loi du 15 novembre 2013 qu’en permettant au CSA d’agréer la modification, en ce qui concerne le recours ou non à une rémunération de la part des usagers, de l’autorisation afférente à un service de communication audiovisuelle, le législateur a tenu compte de l’échec du modèle économique de distribution payante défini par l’autorité de régulation lors du lancement de la télévision numérique terrestre et de l’intérêt qui peut s’attacher, au regard de l’impératif fondamental de pluralisme et de l’intérêt du public, à la poursuite de la diffusion d’un service ayant opté pour ce modèle ; qu’il appartient au CSA, saisi d’une demande d’agrément présentée sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986, d’apprécier, en tenant compte du risque de disparition du service exploité par le demandeur, des risques qu’une modification de ses conditions de financement ferait peser sur la poursuite de l’exploitation d’autres services et des contributions respectives de ces services au pluralisme du secteur et à la qualité des programmes, si, en raison notamment de l’absence de fréquence disponible, l’impératif de pluralisme et l’intérêt du public justifient de ne pas recourir à une procédure ouverte ; que, si tel est le cas, le CSA doit délivrer l’agrément sollicité, sans qu’il en résulte en tout état de cause une méconnaissance des dispositions de la directive dès lors que la modification de l’autorisation en ce qui concerne les conditions de financement du service doit alors être regardée comme nécessaire à la réalisation d’un objectif d’intérêt général ;

Après avoir ainsi interprété d'une façon générale le Droit communautaire par rapport au Droit français, le Conseil d’État reprend le cas qui lui est soumis. Il considère que : "pour délivrer l’agrément litigieux, le CSA a, dans sa décision du 17 décembre 2015, constaté l’absence à cette date de fréquence disponible permettant d’organiser un appel aux candidatures auquel la société La Chaîne info aurait pu se porter candidate pour l’exploitation d’un service gratuit ; qu’il a estimé que le maintien d’une diffusion payante comportait un risque sérieux de disparition du service LCI ; que, s’interrogeant ensuite sur les effets d’une diffusion gratuite de ce service sur les services d’information gratuits existants, il a retenu que la viabilité économique du service BFM TV ne serait pas remise en cause, même à long terme, et que si celle du service iTélé risquait d’être compromise, elle était susceptible d’être préservée si ce service prenait, dans le cadre d’une concurrence accrue, les mesures nécessaires pour se rendre plus attractif aux yeux du public ; que, tenant compte notamment des engagements pris par LCI en vue de faire évoluer la grille de programmes et de proposer un format de chaîne d’information différent de celui des chaînes gratuites existantes, le CSA a estimé que la diffusion gratuite du service LCI permettrait de renforcer le pluralisme et la qualité des programmes".

Dans cet arrêt, le Conseil d’État a donc posé à la fois les termes généraux et les termes particuliers de ce doit être l'application du droit de la concurrence, tel qu'il se développe en Europe, appliqué dans les secteurs régulés, tels que le droit communautaire admet qu'ils s'équilibre dans les États-membres.

Le Conseil d’État va plus loin en analysant la pertinence juridique de la décision du CSA non seulement au regard de la concurrence mais encore au regard du risque. En effet, le CSA n'est pas seulement un régulateur du pluralisme des idées politiques et des libertés, mais encore un régulateur économique de ce secteur et à ce titre un "régulateur des risques", puisque le Droit de la Régulation se centre de plus en plus sur la notion de risque.

Il pose que : "il ressort des motifs de la décision attaquée que le CSA a apprécié les risques de disparition du service LCI en cas de maintien de ses modalités de financement, les risques de disparition d’autres services dans l’hypothèse où la diffusion gratuite de ce service serait autorisée et la contribution du service LCI au pluralisme et à la qualité des programmes au regard de l’offre déjà présente sur la télévision numérique terrestre gratuite ; qu’il ne ressort ni des mentions de la décision attaquée, ni des autres pièces du dossier que le CSA aurait estimé que le seul constat du risque de disparition du service LCI devait entraîner la délivrance de l’agrément demandé ; que le CSA devant procéder à l’examen de ce critère de façon objective compte tenu de la situation existante à la date où il statue, il ne lui appartenait pas de tenir compte de l’attitude passée de l’éditeur du service pour apprécier le risque de disparition de celui-ci, hors le cas d’un comportement frauduleux qui n’est pas allégué en l’espèce ; que l’examen auquel s’est livré le CSA sur les trois critères mentionnés ci-dessus repose notamment sur l’évaluation de l’impact qu’aurait la modification demandée sur les équilibres du marché publicitaire des services de télévision hertzienne terrestre ; que les sociétés requérantes ne sont, dès lors, pas fondées à soutenir que l’instance de régulation se serait abstenue de procéder à cette évaluation en méconnaissance des dispositions du quatrième alinéa de l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986 ;

Enfin, le Conseil d’État développe la notion d'engagement. Celle-ci est particulièrement développée en matière de régulation de l'audiovisuel. Mais l'on peut considérer qu'elle est aujourd'hui une notion-clé.

Il rappelle en effet tout d'abord l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 qui prévoit le mécanisme de la convention par laquelle la chaîne s'engage à l'égard du régulateur montre l'importance du mécanisme et la considération que le CSA a eu pour les engagements du groupe TF1. Il pose que l'importance de la convention initiale n'empêche pas qu'elle soit complétée par de nouveaux engagements, précisant qu'il faut que "celles-ci ne revêtent pas, par leur objet ou leur ampleur, un caractère substantiel".

Or, en l'espèce LCI reste une chaîne d'information, le maintien à 80% suffisant à maintenir cette qualification (le CSA n'a pas commis d'erreur de droit en portant une telle appréciation). 

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Cet arrêt montre à quel point les Régulateurs sont puissants et libres, y compris à l'égard vis-à-vis du Droit communautaire : dès l'instant qu'ils sont fidèles à leur mission, car le Droit de la Régulation qu'ils concrétisent est lui-même dépendant de sa nature téléologique (définition par les fins).

 

 

 

 

 

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 La délivrance des autorisations d'usage de la ressource radioélectrique pour chaque nouveau service diffusé par voie hertzienne terrestre (...) est subordonnée à la conclusion d'une convention passée entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel au nom de l'Etat et la personne qui demande l'autorisation./ Dans le respect de l'honnêteté et du pluralisme de l'information et des programmes et des règles générales fixées en application de la présente loi et notamment de son article 27, cette convention fixe les règles particulières applicables au service (...)./ (…) / Sans préjudice des règles générales fixées en application de la présente loi et notamment de son article 27 et afin de faciliter le développement de la télévision numérique de terre, les conventions conclues avec les éditeurs de services autorisés en application de l'article 30-1 pourront être régulièrement révisées sur un ou plusieurs des points précédemment énumérés./ Toute modification de convention d'un service national de télévision autorisé en application de l'article 30-1 ou d'un service de radio appartenant à un réseau de diffusion à caractère national au sens de l'article 41-3 susceptible de modifier de façon importante le marché en cause est précédée d'une étude d'impact, rendue publique....

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