Publication : monographie dans une publication juridique
Références complètes : FRISON-ROCHE, Marie-Anne, Autorités Administratives Incomprises (AAI), JCP G 2010, act.1166.
Le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques du Parlement a déposé le 29 octobre 2010 un rapport d'information sur les Autorités Administratives Indépendantes (AAI). Ce rapport voudrait "rationaliser" ces Autorités, consolider leur indépendance et veiller au contrôle de leurs pouvoirs.
Mais ce rapport est marqué par des erreurs de perspective à la fois dans la perspective générale des A.A.I. (I) et en conséquence dans les propositions concrètes qui sont faites les concernant (II).
Il traduit en cela l'incompréhension profonde que la France a de ce qui a été souvent qualifié comme un "O.V.N.I", c'est-à-dire ces A.A.I. si contraires à sa tradition.
Lire le résumé de l'article ci-dessous.
Dans la perception générale des AAI, le rapport est centré sur l'ARCEP, le CSA ou l'HADOPI, mais ne fait quasiment pas place aux Autorités qui ont des fonctions en matière financière. Cette étrange lacune peut tenir au fait que la régulation financière peut pour certains demeurer comme une excroissance du droit des sociétés, rejetant les Autorités qui en ont la charge dans le droit privé, alors que le rapport, datant en cela, reprend la summa divisio soit en charge des libertés publiques, soit en charge des industries de réseau, distinction dans laquelle effectivement la régulation du marché financier ne se retrouve pas.
Cette summa divisio est d'ailleurs dépassée car pour ne prendre que la CNIL ou le CSA, ces Autorités défendent tout autant les libertés publiques que le déploiement économique des secteurs.
Cet héritage du droit public traditionnel ne correspond à la vie économique actuelle, dans laquelle les Autorités sont construites soit pour équilibrer la concurrence, soit pour prévenir les risques, l'équilibre entre droit des personnes et efficience de marché étant un souci commun. Mais l'erreur du départ d'analyse se propage. Ainsi il est soutenu que les actes règlementaires des AAI relèvent par nature du juge administratif. Comme il faudrait par ailleurs unifier les compétences juridictionnelles et que la régulation des marchés relèverait de la police administrative, on doit comprendre que l'unification devrait se faire au profit du Conseil d'État.
Mais à travers ces affaires institutionnelles, c'est donc bien une conception économique qui apparaît, à savoir la main de l'État sur les activités économiques.
En ce qui concerne les propositions concrètes du rapport, le lecteur peut être très étonné quant à la proposition de rapprochement entre l'Autorité de concurrence, la CRE et l'ARAF. En effet, le rapport englobe toutes les Autorités dans ce que serait un mouvement unique de libéralisation de secteur. Il devient alors logique que cette régulation transitoire trouve son terme dans une fusion avec l'Autorité de concurrence.
Mais, les régulateurs de l'énergie et des activités ferroviaires n'ont pas la concurrence en perspective : ils ont aussi les investissements à long terme, l'autonomie nationale, la cohésion territoriale, la prévention des risques, les enjeux écologiques. D'ailleurs, on ne comprend pas pourquoi l'ARCEP n'est pas visée par une telle volonté de regroupement, alors que les communications électroniques sont ce qui se rapprochent le plus du schéma concurrentiel.
Bien plutôt, le rapport fait rapprocher l'ARCEP du CSA et de l 'HADOPI, au nom de la convergence numérique. En cela, il se contredit, puisqu'il avait posé comme summa divisio les libertés publiques d'une part et la régulation économique d'autre part, l'ARCEP alors relevant de celle-là et le CSA de celles-ci. Si l'on devait dire, pour retrouver de la cohérence que l'ARCEP devient elle aussi Autorité de liberté publique, alors elle devait, à lire le rapport, être tenue hors de la portée du pouvoir politique, ce qui ne devrait pas être le cas des Autorités de régulation économique, selon le schéma du rapport.
Plus encore, le législateur a confié à l'HADOPI la mission de défendre les droits de propriétés intellectuelles sur Internet, ce qui est tout à la fois un enjeu économique et un enjeu de liberté publique. Un raisonnement par l'absurde conduirait à propose de le fusionner avec le Défenseur des droits.
On voit bien que si l'on nie que la spécificité des missions justifie la segmentation des Autorités, on en revient à une idée d'une interdépendance, celle entre les libertés publiques, les droits et le déploiement économique.
Le mécanisme qui assurerait l'articulation de cette finalité s'appellerait : l'État.
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