Publication : article dans une publication juridique collective
► Référence complète : Frison-Roche, M.-A., Le modèle du bon juge Magnaud, in Mélanges Georges Wiederkehr De code en code, Dalloz, 2009, pp.335-342.
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► Résumé de l'article : A travers l’histoire célèbre du "bon juge Magnaud" apparait la mauvaise face du juge, lorsque son sentimentalisme submerge le légalisme. Il en résulte une imprévisibilité des jugements et des positions politiques des juges illégitimes.
Mais l’affaire du juge Magnaud nous montre aussi la bonne face du magistrat car celui-ci utilisa la théorie de l’état de nécessité. En cela, il médiatisa l’application de la loi avec une théorie solide qui fait que la faim fait perdre le libre arbitre et que le principe de légalité n’est plus mal mené, l’état de nécessité constituant un fait justificatif. On mesure alors que le juge peut exprimer son sentiment de justice lorsqu’il le médiatise par des principes théoriques abstraits et stables comme le fit par exemple la Cour de cassation lorsqu’elle inventa la responsabilité générale du fait des choses. Cette obligation de médiatisation du sentiment de justice par une théorie entre la loi et le jugement distingue le pouvoir normatif du juge, qui en est ainsi fondé mais limité, alors que le pouvoir normatif du législateur ne subit pas une telle contrainte.
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On se souvient que le juge Magnaud, président du Tribunal correctionnel de Château-Thierry, refusa le 15 mars 1898 de condamner une voleuse de pain qui, en temps de disette, devait nourrir son jeune enfant. Clémenceau le désigna comme le "bon juge Magnaud", ouvrant la voie à la problématique définition de ce que peut être un bon juge, puisque celui-ci avait indéniablement substitué son attendrissement à la légalité, dont il était le gardien.
Dans cette question actuelle et essentielle de savoir si le juge Magnaud peut être pris pour modèle, on peut considérer que celui-ci présente sa "mauvaise face" si l'on oppose sentimentalisme et légalisme. En effet, il ne convient pas de permettre à un juge de substituer sa doxa à un ordre général de la loi, le juge ne pouvant se laisser porter par un sentiment imprévisible qui le conduit à juger l'ordre politique plutôt que les personnes. En effet, le principe d'impartialité de la justice exige du juge que celui-ci prenne distance par rapport à lui-même et préserve la légalité.
Mais le juge Magnaud nous montre aussi sa "bonne face" à travers une normativité prétorienne par considération directe d'une normativité propre.
En effet, le juge Magnaud s’appropria, certes d'une façon éclatante, la théorie de l'état de nécessité, constituant un fait justificatif en droit pénal. Ainsi, le principe de légalité n'était pas méconnu. En outre, l'élément intentionnel manquait, puisque le juge estima la faim prive l'être humain de son libre arbitre et que la mère veut éviter à son enfant de souffrir comme elle d'une semblable faim.
Nous voyons ainsi que le juge peut être "bon", c'est-à -dire être mu par l'équité, par exemple le souci de donner réparation aux victimes d'accident de la circulation, dès lors qu'il médiatise cette intention par l'invention d'une théorie. La Cour de cassation ne fit pas autre chose lorsqu'elle rendit en le 13 avril 1930 l'arrêt Jeand'heur en inventant la responsabilité objective du fait des choses.
Un juge peut alors à la fois être bon, c'est-à -dire soucieux d'autrui, du faible, alors même que celui-ci a enfreint la loi, mais néanmoins n'être pas imprévisible ou constituer un danger pour l'ordre social s'il est contraint de reprendre ou d'inventer un modèle théorique, ici l'état de nécessité qui limite considérablement son pouvoir normatif alors que le pouvoir légitime du législateur de créer du droit ne subit pas de telles contraintes.
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